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21 mars 2021 7 21 /03 /mars /2021 14:42
Paroisse de Sotteville-sous-le-Val, extrait du plan terrier du XVIIIe siècle. Sotteville "Le bas". Anonyme. Conservé aux Archives de Seine-Maritime (cote 12Fi107).

Paroisse de Sotteville-sous-le-Val, extrait du plan terrier du XVIIIe siècle. Sotteville "Le bas". Anonyme. Conservé aux Archives de Seine-Maritime (cote 12Fi107).

 

Sotteville sous les monts

Sotteville-sous-le-val est une charmante commune de 774 habitants (en 2018) située en Seine-Maritime. Il s’agit plus précisément de hameaux qui s’égrènent au pied du coteau de la presqu’ile de Freneuse, autrement sous des monts. D’est en ouest se trouvent donc, à l’abri des crues de Seine, La cour à Monnier, Sotteville, Les Bocquets, Le Val-Renoux, La Ferme du val et le château du val-Freneuse. 

Sotteville désigne, à l’origine, quelques habitations regroupées autour de l’église Saint-Baudile, ou Baudèle, siège de la paroisse. La Révolution française et la création des communes ne changea pas la donne qui établit ici le chef-lieu de commune où la mairie fut bâtie, ensuite. Il faut dire que le lieu est propice à l’installation humaine avec la côte Moulinière, nom de ce vallon riche en eaux comme le démontre l’installation de la station de pompage actuelle et son château d’eau près du bois Bocquet. D’après le nom, il y eut peut-être ici un moulin. On peut aussi imaginer, d’antan, de l’élevage, des arbres fruitiers, voire des vignes comme il y en avait à Freneuse et de nouveau depuis quelques années grâce à Édouard Capron. Ces espaces sont occupés aujourd’hui par une résidence pavillonnaire autour de la rue Hyacinthe-Langlois. Signe aussi d’une certaine centralité de Sotteville parmi ses hameaux, c’est en lieu, face à l’église, que se trouvait naguère le café de l’Europe, hériter assurément de la principale épicerie-café de la commune.   

 

Vues diverses sur Sotteville-sous-le-val (photographies d'Armand Launay, 2004).Vues diverses sur Sotteville-sous-le-val (photographies d'Armand Launay, 2004).

Vues diverses sur Sotteville-sous-le-val (photographies d'Armand Launay, 2004).

 

Parmi les activités ancestrales de Sotteville et ses hameaux devaient vraisemblablement figurer le maraichage dans la plaine alluviale, la culture comme l’indique le toponyme “les petites coutures” (les cultures en normand), près de l’eau, ainsi que la pêche, le transport fluvial et le halage. C’est ce que semble indiquer l’une des rues centrales de Sotteville qui descend droit vers le sud et l’ancien port de Saint-Martin de Maresdans (aujourd’hui Bonport) et une autre voie qui descend droit du Val-Renoux vers Criquebeuf-sur-Seine. Ce lien entre Sotteville, la plaine et l’eau a été partiellement rompu avec l’arrivée du chemin de fer (entre 1840 et 1843) puis, surtout, au XXe siècle où d’immenses carrières de sable ont creusé la plaine laissant derrière elles des étangs un peu mornes. Un circuit de karting, dit de l’Europe, occupe aussi un peu ces anciens espaces.

 

Autres vues sur le chef-lieu de commune (photographies d'Armand Launay, 2019).Autres vues sur le chef-lieu de commune (photographies d'Armand Launay, 2019).
Autres vues sur le chef-lieu de commune (photographies d'Armand Launay, 2019).Autres vues sur le chef-lieu de commune (photographies d'Armand Launay, 2019).

Autres vues sur le chef-lieu de commune (photographies d'Armand Launay, 2019).

 

Sotteville la scandinave ? 

Les seuls vestiges antiques trouvés sur le territoire communal se trouvent au-dessus de l'entrée du tunnel ferroviaire. Ils semblent liés au hameau de la Nos Robin, à Tourville-la-rivière, et sont à ce titre intégrés parmi l'étude de la commune limitrophe, comme nous l'avons nous-même fait dans un article à lire ici. On peut suspecter que d'autres vestiges existent près de l’eau, lieu très utilisé par les hommes comme l’ont révélé les vastes fouilles récentes d’Alizay et celles plus anciennes de la Gritte, même lieu.

L’élément le plus ancien attestant la présence de l’homme est, pour l’heure, le nom de Sotteville. Il s’agit d’un toponyme que l’on ne retrouve qu’en Normandie, dans La Manche, à Sotteville-sur-mer en Seine-Maritime, à Sotteville-lès-Rouen et dans des lieux-dits de l’Eure à Breteuil et Dampierre. “Sóti”, en vieux danois, désigne “celui qui est noir comme de la suie”. L’on traite donc d’une personne à la peau mate et aux cheveux noirs, à moins que ce soit un sobriquet hérité d’une anecdote. Le suffixe “ville” vient du roman “villa” qui désigne, non une ville ou une somptueuse villa romaine, mais un domaine rural. Ce suffixe permet donc de transformer le nom “Le Noir” en “Domaine du Noir”. Un autre toponyme scandinave a existé, que l’on retrouve dans Le livre des jurés de l’abbaye de Saint-Ouen, d’Henri Dubois : Houlegate. Ce nom signifie en scandinave le “chemin creux”. Nous ne savons précisément quelle partie de la paroisse il désignait, que ce soit le terrain appelé sur le plan cadastral les “Gattes”, en bordure de Seine, ou le Val-Renoux lui-même, ou encore ailleurs ? Quoi qu’il en soit, le domaine de Sotteville a été attribué à un scandinave, comme ceux de Tourville, Ymare, Igoville, Criquebeuf, Martot… L’organisation médiévale en fiefs nobles était installée durablement. MM. Charpillon et Caresme nous apprennent, dans leur excellent Dictionnaire historique de toutes les communes de l’Eure, que “Jean de Poissy était, vers 1260, seigneur de Gouy, les Authieux, Sotteville, Igoville.” Ces mêmes auteurs, à l’article d’Igoville, citent l’existence d’un “fief aux Malades” qui était peut-être autour de l’ancienne ferme sise entre Igoville et Sotteville et connue dans la base Mérimée sous le nom de Maladrerie. Ce fief fut la propriété du prieuré du Mont-aux-malades, sur les hauts de Rouen, mais nous n’en savons pas assez pour développer ce point. 

 

La croix hosannière du XIIe siècle, décrite plus bas dans le texte, est le plus ancien patrimoine de la commune. La première illustration provient des fonds numériques des Archives de Seine-Maritime (cote 6Fi9) ; la seconde est issue du riche site MonVillageNormand.fr que nous conseillons et remercions pour son existence et ses documents.La croix hosannière du XIIe siècle, décrite plus bas dans le texte, est le plus ancien patrimoine de la commune. La première illustration provient des fonds numériques des Archives de Seine-Maritime (cote 6Fi9) ; la seconde est issue du riche site MonVillageNormand.fr que nous conseillons et remercions pour son existence et ses documents.

La croix hosannière du XIIe siècle, décrite plus bas dans le texte, est le plus ancien patrimoine de la commune. La première illustration provient des fonds numériques des Archives de Seine-Maritime (cote 6Fi9) ; la seconde est issue du riche site MonVillageNormand.fr que nous conseillons et remercions pour son existence et ses documents.

 

Pourquoi sous le val ? 

Il semble qu’on ait voulu distinguer notre Sotteville de celui de Rouen en le désignant sous le nom de Sotteville-sous-le-val. Est-ce une référence au val de la Moulinière ? Non. Le val le plus proche est celui par lequel passe l’autoroute A13 depuis 1967 avec son étrange sculpture de Georges Saulterre, “Sur la trace des vikings” (et datant de 1990). Nous avons établi dans un autre article que, étonnamment, le val en question est celui qui sépare Les Authieux d’Ymare. Dans le plan terrier de la paroisse sont distingués Sotteville dans la vallée et les hauts de Sotteville. Ces hauts se trouvent dans un val particulier, situé à 80 mètres d’altitude et qui correspond au passage ancien de la Seine qui forme une boucle surélevée dans le paysage local.

Différentes vues sur Saint-Baudèle de Sotteville (photographies d'Armand Launay, 2004 pour la première et 2019 pour les suivantes). Différentes vues sur Saint-Baudèle de Sotteville (photographies d'Armand Launay, 2004 pour la première et 2019 pour les suivantes).
Différentes vues sur Saint-Baudèle de Sotteville (photographies d'Armand Launay, 2004 pour la première et 2019 pour les suivantes). Différentes vues sur Saint-Baudèle de Sotteville (photographies d'Armand Launay, 2004 pour la première et 2019 pour les suivantes).

Différentes vues sur Saint-Baudèle de Sotteville (photographies d'Armand Launay, 2004 pour la première et 2019 pour les suivantes).

 

Saint-Baudile, ou Baudèle, de Sotteville et sa croix hosannière

L’élément religieux le plus notable de Sotteville est sans conteste la croix hosannière, croix centrale du cimetière médiéval, qui est datée du XIIe siècle et qui fut classée Monument historique le 27 décembre 1913. Il s’agit d’un monolithe calcaire dans lequel une croix a été taillée à son sommet. C’est, à notre connaissance, la plus ancienne croix hosannière de la région de Pont-de-l’Arche. 

Rares sont les lignes, à notre connaissance, sur Sotteville. Mais l’inépuisable curé-historien havrais Jean-Benoit-Désiré Cochet, dit l’abbé Cochet, a rédigé quelques lignes sur l’église dans le Répertoire archéologique du département de la Seine-Inférieure, paru en 1871 : “L’église, dédiée à saint Baudèle, est une construction du XIe siècle, dont il ne reste guère que l’appareil en feuilles de fougère et en arête de poisson. Les fenêtres ont été agrandies au XVIIIe siècle.”  

Selon le site “Mon village normand”, l’église avait été “restaurée en 1862” mais cela ne suffit pas. Le clocher et la toiture semblent s’être effondrés. L'édifice fut “complètement reconstruit en 1880.” Malgré les affres de la Seconde guerre mondiale, l’église semble se présenter telle qu’elle fut alors : un vaisseau unique, rectangulaire et orienté. Sans transept, le vaisseau est élégamment ajouré de sept paires de baies voutées en piers-point. Le chainage et les contreforts sont réalisés en brique rouge et le remplissage est fait de moellon calcaire local scié, caractéristique de cette époque. Le toit à deux pans est couvert d’ardoise. Un clocher massif couronne le portail et donne un aspect austère à l’édifice qui serait, autrement, une harmonieuse et lumineuse chapelle néogothique, qui plus est avec ses briques blanches dessinées sur la façade du portail.

Sur Gallica, la Semaine religieuse du diocèse de Rouen n° 44 du 3 novembre 1894 nous apprend, aux pages 1071 et 1072, que les deux nouvelles cloches furent récemment bénies. Le site de l’Institut national de l’histoire de l’art nous apprend l’existence, au XIXe siècle, d’une “confrérie de saint Baudèle, de la Sainte Vierge et de saint Éloi établie à Sotteville-sous-le-Val.” 

 

Vues sur les colonnes et pierres bonportoises à Sotteville-sous-le-val (photographies d'Armand Launay, 2019).Vues sur les colonnes et pierres bonportoises à Sotteville-sous-le-val (photographies d'Armand Launay, 2019).
Vues sur les colonnes et pierres bonportoises à Sotteville-sous-le-val (photographies d'Armand Launay, 2019).Vues sur les colonnes et pierres bonportoises à Sotteville-sous-le-val (photographies d'Armand Launay, 2019).

Vues sur les colonnes et pierres bonportoises à Sotteville-sous-le-val (photographies d'Armand Launay, 2019).

 

Sotteville et les colonnes bonportoises

En face de l’église, le long de la route reliant Igoville à Freneuse (la rue du village), se voient deux colonnes entièrement dégagées et une troisième à moitié engagée dans un bâtiment d’habitation. Elles sont couronnées de chapiteaux sculptés comme dans des églises. Une photographie de cette maison datant de 1939, un cliché d’Emmanuel-Louis Mas (1891-1979) reproduit ci-dessous montre l’édifice. Il s’agit de colonnes de l’ancienne abbaye de Bonport qui servit partiellement de carrière de pierre entre 1791 et au moins 1820. Sur la façade sud du bâtiment d’habitation une pierre sculptée avec un “M” vient aussi de Bonport, comme les colonnes de deux propriétés du centre-village, colonnes qui servent de piliers de portail.  

 

Le château de Val-Freneuse par @nika de Norm@ndie, aimable bloggeuse de Tourville-la-rivière que nous remercions pour la photographie ci-dessus, datant de 2018.

Le château de Val-Freneuse par @nika de Norm@ndie, aimable bloggeuse de Tourville-la-rivière que nous remercions pour la photographie ci-dessus, datant de 2018.

 

Château de Freneuse-Sotteville

Ce château se confond avec la Ferme du Val sur la carte d’état major de 1840. Il constitue un fief d’Ancien Régime, celui des Le Cornier dont certains membres furent officiers du roi et siégèrent au parlement de Rouen. Le “château de Val-Freneuse” se trouve essentiellement dans la commune de Sotteville, seuls son parc et une aile de bâtiment sont à Freneuse. L’édifice fut bâti au XVIIe siècle et respire le classicisme architectural français fait de symétrie à défaut peut-être d’harmonie parfaite. Nous pensons à la rupture de hauteur entre les fenêtres des deux premiers niveaux et celles du troisième niveau, très ramassées. Le chainage est en brique de pays, reconnaissables à leur clarté, leur chaleur, et qui laisse peu de place au remplissage entre les contours des fenêtres et les lignes de chainage. Au fronton de la façade principale, côté est, se trouve le blason selon toute vraisemblance des Le Cornier.   

Ce château a été partiellement inscrit sur la liste supplémentaire des Monuments historiques le 21 décembre 1977, du moins les façades et toitures du château et des communs, la grille d'entrée, les petit et grand salons et bureau-bibliothèque au rez-de-chaussée, la chambre nord-ouest au premier étage et la chapelle aménagée dans les espaces communs. Différents appartements sont désormais aménagés et loués dans une partie de la résidence. 


Enfin, c’est à Sotteville que des véhicules allemands de la Première guerre mondiale furent neutralisés, eux qui cherchaient à dynamiter les ponts de la région et donc à perturber le ravitaillement du front français.

 

 

Armand Launay

Pont-de-l'Arche ma ville

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22 novembre 2020 7 22 /11 /novembre /2020 08:04
Carte postale des années 1910 montrant une vue générale de Léry et sa plaine alluviale depuis les hauteurs de la Voie-blanche (Archives départementales de l'Eure : 8 Fi 362-3).

Carte postale des années 1910 montrant une vue générale de Léry et sa plaine alluviale depuis les hauteurs de la Voie-blanche (Archives départementales de l'Eure : 8 Fi 362-3).

 

Sur l’Eure, dans la partie nord de la plaine du Vaudreuil, à deux kilomètres du confluent avec la Seine, se trouve Léry. Ce nom est un mystère. Au-delà des formes latinisées, “Lereti” en 1021 et “Liretum” en 1077, un radical en “Ler” renverrait vers un hydronyme, selon Albert Dauzat et Charles Rostaing. C’est ce qu’ils affirment pour la Risle dont on a gardé les noms des communes de la Vieille-Lyre et la Neuve-Lyre. Mystère donc. Nous aurions affaire à un nom prégaulois, ce qui irait avec la présence d’un dolmen, aujourd’hui disparu, aux Vignettes. 

Quel beau site ! Depuis la hauteur de la Crute (75 m) entre Les Damps et Léry, un coteau descend doucement vers Incarville, le long de l’orée de la forêt de Bord. En contrebas s’égrenaient, le long de l’Eure, des villages depuis regroupés sous le nom de Léry : la Ruelle-Polet, Léry, La Ruelle-Goujon, Les Vallées et, à mi-pente, La Voie-blanche. On peut aisément retracer les multiples activités paysannes qui occupaient immémorialement quelques familles : en forêt, la glandée des porcs ; sur le coteau plus sec de la Crute, la divagation des caprins ; l’exploitation de carrières comme on en voit toujours le relief en haut de la Voie-blanche ; la vigne à mi-pente ; la culture autour des hameaux ; l’élevage au bord de l’Eure et dans les iles ; la pêche et le commerce sur le petit port proche de l’église Saint-Ouen et de l’ancienne église Saint-Patrice (début du XIIe siècle). Le tout à l’abri des crues qui recouvraient régulièrement la plaine du Vaudreuil.  

Ce sont surtout des ecclésiastiques qui se rendirent maitres des lieux au Moyen Âge. Vers 1077, Guillaume le Conquérant dota l’abbaye aux hommes et l’abbaye aux femmes, chez lui à Caen, de terres et de deux moulins, à construire : celui de l’Offrand et du moulin du roi. Ils subsistèrent jusqu’au début du XXe siècle où le moulin du roi fut reconverti en usine de pâte à papier. Elle accueille aujourd’hui la compagnie théâtrale Beau geste. 

C’est l’abbaye Saint-Ouen de Rouen qui fut la mieux dotée. Vers 1018, Richard II dota cette immense abbaye de terres à Léry et lui confia la tutelle de la paroisse qui prit son nom. L’église Saint-Ouen en témoigne toujours par son nom et son architecture d’époque, bâtie entre 1130 et 1160. Classée Monument historique en 1911, elle fait partie des rares églises romanes locales. Sa beauté provient de la blancheur calcaire et l’harmonie de ses lignes pures regroupées en forme de croix latine autour d’une tour-clocher carrée. La décoration romane est riche : fenêtres en plein cintre, modillons sculptés sous le rebord du toit, portail… Même la charpente de son clocher, en flèche élancée du XVIe siècle, entre en harmonie avec l’édifice. À noter aussi, une croix hosannière du XVIe siècle, restaurée et installée devant l’église en 1875, et classée Monument historique en 1927. 

Léry a aussi attiré les moines de l’abbaye de Bonport. Depuis 1195 et un don de Richard Cœur de Lion, les moines bonportois ont acquis un clos et de très nombreuses pièces de vignes. On voit encore le “manoir du clos de Bonport” au n° 3 de la rue Jules-Ferry. Il conserve du XIVe siècle, semble-t-il, des voutes en tiers point et une belle alternance d’assises de silex noir et de pierre calcaire qui rappellent le moulin de la Couture de Tostes et le manoir de Blaquetuit, à Montaure. Deux magnifiques fenêtres à meneaux de la Renaissance ajourent ce bel édifice qui accueille des chambres d’hôtes. 

Léry a connu de nombreuses cultures. Celle du pavot, de la gaude pour la teinture jaune. On cultiva le tabac, avec Le Vaudreuil et Les Damps, ce que le blason contemporain rappelle par une feuille de tabac. On cultiva aussi le chardon dont on récupérait les crochets pour faire des brosses fermes. Elles servaient aux cardeurs des usines textiles qui épaississaient très légèrement les tissus en les brossant.

Léry a connu ‒ sûrement plus encore que la moyenne des communes ‒ une révolution après la Seconde guerre mondiale : celle de l’immobilier. Léry a été rolivalisé, c’est-à-dire dévalisé par la création de Val-de-Reuil qui prit 601 hectares lérysiens et apporta une vaste population (13 000 habitants) comparée au petit village normand (2 000 habitants). Un nouveau quartier fut adjoint à Léry, le quartier Candide. Léry est partiellement devenu rolivalois. Dans la même logique, afin de construire des villes nouvelles et surtout d’agrandir celles existant, d’énormes carrières de sable ont vidé la plaine de Léry-Poses. Des étangs ont remplacé le traditionnel paysage agricole et ont laissé place à la Base de loisirs de Léry-Poses, en 1972, qui a diffusé le nom de Léry dans maints esprits. Un monde a basculé qui évoluait déjà vite, comme le notèrent les ethnologues Claude Macherel et Jacques Le Querrec, en 1974, dans Léry, village normand. Un croquis ethnologique. Comme s’ils étaient conscients qu’une page se tournait ; ils ont voulu inviter leurs lecteurs à la relire afin d’en mémoriser la richesse. De même, des photographies de Jean Pottier ont alors été commandées pour immortaliser cette période que l’on savait bousculée.  

Aujourd’hui les Lérysiens ont à cœur de maintenir une sociabilité à échelle communale, qu’elle soit associative, municipale ou gravitant autour de ses petits commerces. L’une d’entre elles, étudiée par les ethnologues, est celle du Petit-Saint-Ouen. Il s’agit d’un culte catholique aux réminiscences païennes qui réunit des paroissiens sur les hauteurs de Léry au printemps.

 

Cartes postales et photographies issues de la collection de Joëlle David que nous remercions vivement.
Cartes postales et photographies issues de la collection de Joëlle David que nous remercions vivement.
Cartes postales et photographies issues de la collection de Joëlle David que nous remercions vivement.
Cartes postales et photographies issues de la collection de Joëlle David que nous remercions vivement.
Cartes postales et photographies issues de la collection de Joëlle David que nous remercions vivement.

Cartes postales et photographies issues de la collection de Joëlle David que nous remercions vivement.

Sablière près de Léry par Jean Pottier en 1971 (base POP du patrimoine, Ministère de la culture).

Sablière près de Léry par Jean Pottier en 1971 (base POP du patrimoine, Ministère de la culture).

Armand Launay

Pont-de-l'Arche ma ville

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10 juillet 2019 3 10 /07 /juillet /2019 12:42

 

À la mémoire de Serge Petit, parti trop tôt avec son sourire et sa courtoisie.
 

Nous tenons à remercier pour leur aide Yvette Petit-Decroix ainsi que Renée et Pierre Roussel

 

Sa position sur une montagne élevée de trois cents cinquante pieds environ au-dessus des vallons que parcourent la Seine, d’une part, et l’Andelle, rivière du Pont Saint-Pierre, de l’autre, lui donne une des vues les plus agréables de France, surtout au printemps ; les pommiers qui couvrent ces vallons étant alors en fleurs.”

   

Aubin-Louis Millin de Grandmaison, Antiquités nationales ou Recueil de monumens…, 1791.

 

 

La côte des Deux-amants, avec au premier plan le barrage de Poses, vue depuis la rive gauche de la Seine (cliché Armand Launay, mars 2012).

La côte des Deux-amants, avec au premier plan le barrage de Poses, vue depuis la rive gauche de la Seine (cliché Armand Launay, mars 2012).

 

Pyramide verte émergeant du paysage de la vallée de la Seine, la côte des Deux-amants est un lieu de rêveries. Comme nous l’avons précédemment étudié dans un article, on lui attache depuis au moins le XIIe siècle la légende de deux amants, cousins d’infortune de Roméo et Juliette, aux amours interdites et empêchées par les obligations à eux imposées par leurs ainés. 

Dans une autre étude, nous nous sommes penchés sur l’origine du nom de la côte des Deux-amants : populaire, littéraire, chrétienne ou pratique ? La réponse n’est pas simple qui mérite d’associer les différentes thèses. Mais il semble, à minima, que l’existence d’un prieuré au sommet de la côte a entretenu les discussions et le besoin de répéter la légende des deux amants. Que savons-nous de ce prieuré, aussi appelé Madeleine des Deux-amants ? Ses bâtiments ? Son histoire ? Sa fondation ? Des documents existent, passim, sur le Net. Nous en compilons et commentons ici afin de donner quelques repères chronologiques, architecturaux et politiques.  

 

Pour respirer pleinement les images et les sensations, le mieux est de commencer la balade en marchant sur les eaux de la chute du barrage de Poses. La côte des Deux-amants se profile alors entre le vert sombre du bois du contrebas et le vert clair des herbages à contrehaut, parfois couronnés de bleu. Puis, il est bon de longer un peu la Seine et ses remous avant d’apercevoir, derrière sa haie, le manoir de Canteloup. La balade se fait ensuite en sous-bois par les premières pentes du coteau. L’air y est vif, les senteurs varient au fil des saisons et sont toujours au rendez-vous. Le cœur bat plus fort, on existe, on sort plus de soi à mesure que l’on fait l’effort de gagner en altitude. Puis, quelques pas remplacent le sous-bois par les tiges folles des herbages fouettés par les vents. Les échappées sur le paysage épousent la vallée de la Seine, la forêt de Bord et le bois de Longboël. On approche de l’ancien prieuré, rehaussé de fait par son cadre et devenant symboliquement un horizon mystérieux à notre balade. En 1791, Louis-Aubin Millin de Grandmaison écrivit en ce lieu que Le Prieuré est entouré d’un joli jardin, on y jouit de la vue la plus vaste et la plus étendue ; on y découvre une grande partie du département de l’Eure, de la Seine inférieure [...], les villes du Pont-de-l’Arche et de Louviers ; la Seine qui serpente aux pieds, rend ce site le plus agréable qu’il soit possible de voir.” La côte des Deux-amants appelle l’élévation du regard vers ses hauteurs autant que le recul sur nos existences dans la vallée. 

Presque arrivé à la table d’orientation, l’impression d’être devant une fortification se fait. Derrière le mur de la table d’orientation se trouve en effet une vaste propriété privée dont on aperçoit un imposant monument, surtout depuis deux ans où maints arbres ont été abattus. 

 

 

Le dortoir des chanoines émergeant du bois sommital (cliché Armand Launay, juillet 2017).

Le dortoir des chanoines émergeant du bois sommital (cliché Armand Launay, juillet 2017).

 

Un édifice du prieuré subsiste ! Le dortoir de 1685. 

Après le début de la révolution de 1789, les élus de la Convention missionnèrent Aubin-Louis Millin de Grandmaison. Il devait répertorier le patrimoine français. C’était la première recherche encyclopédique, à l’échelle nationale, de l’histoire perçue à travers le patrimoine matériel et littéraire. Les députés révolutionnaires tournaient des pages d’histoire et prenaient conscience de l’intérêt d’immortaliser les plus notables des chapitres précédents, aux pages tournées trop vite, sûrement, tant nous nous sentons et sommes emportés par l’action quotidienne, ses tracas et ses divertissements.  

Dans son ouvrage Antiquités nationales ou Recueil de monumens.., Aubin-Louis Millin accorda au prieuré des Deux-amants, en spécialiste du patrimoine, de belles pages au côté des plus beaux monuments de Paris et de France. Il décrivit le dortoir des chanoines, aussi appelé logis : Le bâtiment est composé d’un rez-de-chaussée, d’un étage et d’une mansarde, avec deux pavillons : il y a neuf croisées de front au corps-de-logis du milieu, et deux à chaque pavillon, ce qui fait treize à chaque étage, avec la porte du milieu, en tout trente croisées. Ce bâtiment a été construit en 1685, ainsi que l’indique l’inscription en brique, fig. 1.” Notre auteur semble fidèle à la réalité qu’il observa alors que son dessinateur se trompa en ajoutant deux croisées imaginaires. Imaginons-le, dépêché dans des lieux nombreux, griffonnant de rapides croquis, pour après, peut-être rentré à Paris, créer ses documents finaux destinés à la reproduction (du sculpteur Ransonnette). La réalité du fait a cédé à la beauté du trait. 

Les analogies entre le bâtiment dessiné pour Aubin-Louis Millin, celui des cartes postales des années 1910 et celui de la photographie de Wikimedia commons sont frappantes. Depuis lors, on appelle ce bâtiment “château des Deux-amants”, tant il est vrai que son architecture est bien plus caractéristique d’une résidence aristocratique, aux larges ouvertures, que d’un modeste et sobre dortoir monacal. Les constructions de l’aile ouest (“à gauche” ; mes excuses aux géographes) ont été remplacées par de nouveaux édifices témoignant que les lieux servirent de maison de retraite, privée, de 1975 à 2007. Les résidents devaient y trouver la paisible retraite des chanoines, retirés du monde ; un peu trop peut-être s’ils n’en avaient fait le vœu.

Quoi qu’il en soit, ce logis est recensé dans la base Mérimée du patrimoine national depuis 1986. Les bâtiments du prieuré n’ont donc pas tous disparu. 

Mais quels étaient les autres bâtiments prioraux ? 

 

Le dortoir des chanoines et l'église en 1791 tels que représentés dans Les Antiquités nationales d'Aubin-Louis Millin.

Le dortoir des chanoines et l'église en 1791 tels que représentés dans Les Antiquités nationales d'Aubin-Louis Millin.

Le dortoir des chanoines dans une carte postale illustrée des années 1910.

Le dortoir des chanoines dans une carte postale illustrée des années 1910.

Le dortoir des chanoines vers 2015 (Source Wikimedia commons).

Le dortoir des chanoines vers 2015 (Source Wikimedia commons).

 

L’église priorale de 1723 : disparue mais partiellement connue...

L’église priorale a entièrement disparu. Il nous en reste néanmoins la représentation demandée par Aubin-Louis Millin pour illustrer ses Antiquités nationales. Notre chercheur en a donné une description textuelle ainsi tissée : “À côté [du logis central, le dortoir] est l’église qui a été entièrement réparée, à l’exception du pan de muraille du côté de l’ancien portail dont on a conservé la rosette. Ce portail n’existe plus, et on n’entre dans l’église que par l'intérieur de la maison. Elle est d’un assez mauvais goût, le bâton de la croix étant plus court que le croisillon. Cette église a été dédiée le 22 septembre 1726, par M. Jean Gaulet, évêque de Grenoble. L’autel est dans le milieu : sous cet autel est un vase, fig. 5 , qui, selon la tradition, renferme les cendres des deux amans : il est de bois peint, et très-moderne. Il contient, en effet, quelques portions d’os, mais ce sont ceux de quelques Saints dont on ignore le nom, parce qu’on a perdu l’étiquette. Dans cette église on remarque trois tombes plates : les gens du pays assurent que ce sont celles des deux Amans et du barbare Banneret.”

 

On lit ici que la nouvelle église n’est pas du gout d’Aubin-Louis Millin qui la trouve disproportionnée et, surtout, sans rapport avec la rareté et l’ancienneté des monuments qu’il devait localiser et décrire. L’église remplaçait un précédent édifice puisqu’elle conservait un “pan de muraille du côté de l’ancien portail.” L’ancien portail est représenté. Il est orienté vers le sud. L’église était donc orientée vers le nord, ce qui est assez rare ; les églises étant traditionnellement tournées vers la renaissance, à l’Est, du soleil et ce afin de symboliser la renaissance du Christ. Un accès public était auparavant possible, surement par la porte perçant le mur d’enceinte visible sur la représentation. Les fidèles étaient donc plutôt attendus depuis les villages du plateau du Vexin. On peut imaginer les personnes les plus pieuses, empreintes de crainte et de respect pour ces lieux mystérieux ; mystérieux car on y entend le chant des chanoines, assis dans leurs stalles, derrière le jubé et la grille qui séparent le chœur de la nef. On ne voit pas les chanoines durant l’office, mais on est baigné de leurs voix, de leur place singulière, peut-être, entre soi et le chemin sublime qui mène aux cieux. Qui sait si, pour les humbles fidèles, les voix des chanoines n’étaient pas comme les rais de lumière traversant les rosaces et vitraux, les sculptures baroques illustrant le souffle divin qui s’en viendra, les joues gonflées des angelots, leurs ailes comme un élan vers le Paradis et la cessation des souffrances… 

Or, la reconstruction de l’église n’a prévu qu’un accès aux chanoines depuis le dortoir ; signe autant que cause, peut-être, de la perte de vitalité et d’idéal du prieuré.  

 

Une autre représentation, non signée et non datée, fut reproduite sur des cartes postales illustrées des années 1910. Elle montre le même corps de logis et date ‒ de ce fait et vraisemblablement ‒ d’après 1685. Cette représentation montre aussi intacte l’église priorale, celle d’avant 1723, semble-t-il, car le portail sud est ouvert et couronné d’un arc en plein cintre ; ce qui n’existait plus dans la nouvelle église. Jusqu’à plus ample informé, le premier à avoir publié une description de l’ancienne église est Charles de Stabenrath, en 1836. Comment le put-il 45 ans après le passage d’Aubin-Louis Millin ? Il consulta puis cita un document, un “état très curieux, rédigé et signé le 11 janvier 1723” rédigé par le prieur et ses frères eux-mêmes. Notre auteur retira de ce document que l’église “avait cent pieds d'élévation depuis le sol jusqu'au sommet du clocher [environ 32 m], et cent-douze pieds de longueur [environ 36 m]. Elle était éclairée par sept croisées ; on y entrait par une porte à plein cintre. Sur les arcs-boutans de l'entrée et de chaque côté, on voyait deux statues en pierre de Saint-Leu : l'une était celle de Jésus-Christ, l'autre celle de Madeleine, tombée quelques années avant. Les contre-forts étaient très peu prononcés, comme dans les anciens édifices.” 

Mais pourquoi refaire cette église, semble-t-il d’architecture rurale ? Charles de Stabenrath le précise : “Dès l'année 1722, le clocher de l'église, qui était carré, construit en pierre, surmonté d'une galerie et d'une flèche couverte d'ardoises, avait été abattu, et l'on songeait à renverser totalement un édifice menaçant probablement ruine.” L’auteur estimait que cette église était romane et datait sa construction du XIIe siècle ; siècle de la fondation du prieuré. Elle avait subi beaucoup de dommages. L’auteur le plus précis sur ces questions est François Blanquart qui, en 1926, publia un article inspiré de celui de Charles de Stabenrath mais plus détaillé et sourcé (les annexes reproduisant les textes originaux). François Blanquart cita les dégâts causés aux bâtiments claustraux par la Guerre de Cent ans et la domination anglaise (page 10). Il cita aussi les lettres d’indulgences accordées en 1454 par le Pape au cardinal de Rouen, Guillaume d’Estouteville, afin d’inciter des fidèles à financer la réparation du prieuré deuxamantin. Le même auteur cita les dégâts causés par la guerre de religions : en 1593, des protestants furent délogés manu militari du prieuré où un incendie ruina de nombreuses parties.   

Mais tout a-t-il réellement disparu de l’église ? 

 

L'église bâtie en 1724 selon un détail la représentation demandée par Aubin-Louis Millin (1791).

L'église bâtie en 1724 selon un détail la représentation demandée par Aubin-Louis Millin (1791).

Gravure non signée et non datée mais qui remonte à la période comprise entre 1685 et 1723. On y voit l'ancienne église et son portail sud.

Gravure non signée et non datée mais qui remonte à la période comprise entre 1685 et 1723. On y voit l'ancienne église et son portail sud.

 

Des vestiges de l’église priorale à Amfreville-sous-les-monts ?

Des vestiges de l’église priorale nous sont parvenus. Selon Charles de Stabenrath : “Parmi les ornemens remarquables qui décoraient cette petite église, il faut citer le retable du grand autel, en pierres sculptées, et représentant l'histoire de sainte Madeleine. Le curé d'Amfreville-sous-Ies-Monts, sans doute plus artiste et plus amateur de l'antiquité que les chanoines ses voisins, ayant appris la démolition de l'église du prieuré, demanda avec instances et obtint pour la sienne ce précieux retable, et, probablement, un tabernacle en pierre, quelques statues devenues inutiles pour l'édifice qu'on allait construire. Le chœur comprenait vingt stalles en bois, précédées par un jubé de même matière, très délicatement sculpté.”

 En consultant des photographies de l’intérieur de l’église Saint-Michel d’Amfreville-sous-les-monts, on retrouve autour du chœur la vingtaine de stalles et des panneaux de bois caractéristiques d’un prieuré. Ce sont les sièges où s’installaient les chanoines durant les offices. Nous avons vu ce même type de stalles à Pont-de-l’Arche, Criquebeuf-sur-Seine et Montaure

L’église est orientée, c’est-à-dire tournée vers l’orient. Son chœur est clôt par un mur plat, sans baies. Celui-ci est orné par un retable, sculpté en pierre semble-t-il, de style baroque. On contemple, c’est-à-dire qu’on est “avec un temple” de la Rome antique, avec ses frontons et ses colonnes. C’est ce que souhaitait symboliser artistiquement la Contre-réforme de 1630 rappelant que le christianisme était catholique et romain et non prétendument réformé, que ce soit par Jean Calvin ou Martin Luther. Le maitre-retable est enrichi d’une statue du Sacré-cœur de la Vierge-Marie. Sur sa droite, se trouve une statue du Sacré-cœur de Jésus-Christ. Sur sa gauche se trouve Saint-Joseph portant l’enfant Jésus. Sur le mur nord du chœur se trouve Saint-Michel, patron des lieux. En vis-à-vis, sur le mur sud du chœur, se trouve Sainte-Madeleine portant un vase de parfum, la myrrhe, qu’elle apporta au tombeau du Christ. Quid des écrits de Charles de Stabenrath ? On retrouve sainte Madeleine dans l’église d’Amfreville mais pas sous la forme d’une histoire illustrée. Quant au maitre-autel, il semble dater du XVIIe siècle. Il serait étonnant qu’il fût délaissé par les chanoines qui construisirent une église en 1723. À tout prendre, nous avons peut-être affaire, ici, à des récupérations d’éléments du monastère lors de la nationalisation des biens de l’église à la Révolution. 

Nous retrouvons en revanche, des éléments concordant : un tabernacle en pierre et une riche statuaire dont une Sainte-Madeleine et un Sacré-cœur de Jésus rappellent l’importance de l’amour et semblent issus de l’église priorale.  

 

 

Le choeur de l'église Saint-Michel d'Amfreville-sous-les-monts (cliché de Pierre Roussel, février 2006).

Le choeur de l'église Saint-Michel d'Amfreville-sous-les-monts (cliché de Pierre Roussel, février 2006).

Le maitre-autel de l'église Saint-Michel d'Amfreville-sous-les-monts (cliché de Pierre Roussel, février 2006).

Le maitre-autel de l'église Saint-Michel d'Amfreville-sous-les-monts (cliché de Pierre Roussel, février 2006).

La statue de sainte Madeleine de l'église Saint-Michel d'Amfreville-sous-les-monts (cliché de Pierre Roussel, février 2006).

La statue de sainte Madeleine de l'église Saint-Michel d'Amfreville-sous-les-monts (cliché de Pierre Roussel, février 2006).

 

Le dortoir des chanoines et l’église de 1723 sont-ils des témoignages des changements d’ordres religieux ?

Charles de Stabenrath livra quelques informations sur les chanoines et leur temporel, c’est-à-dire leurs biens matériels. Il ne restait que trois frères à la Révolution. On ne sait ce qu’ils devinrent à la nationalisation de leurs biens par les Députés. Notre auteur avança qu’ils étaient neuf à se vouer à Dieu en ces lieux, en 1746, et qu’ils disposaient d’un revenu modeste : “le revenu des chanoines du prieuré des Deux-Amans n'était pas considérable, en 1746. Ils possédaient en tout un revenu annuel de 3 655 livres et 13 deniers.” L’auteur compara cette somme aux 12 250 livres qu’avait couté la démolition de l’ancienne église et la construction de la nouvelle maison de Dieu.

Différentes sources montrent que le monastère était passé dans la mouvance des jésuites, c’est-à-dire un ordre de moines fondé en 1539 par Ignace de Loyola afin de lutter contre la Réforme protestante et donc de renforcer les pouvoirs du Saint-Siège. Jean-Michel Bouvris avance, archives en main, la date de 1617 où le monastère devint une dépendance du collège des jésuites de Rouen. Aubin-Louis Millin l’exprima en ces termes : “La mense prieurale a été unie au collège des Jésuites de Rouen, par Paul V, dont les lettres sont datées des années 1607 et 1608, et par des lettres-patentes de l’année 1649. La mense conventuelle fut donnée, en 1652, aux réformés de la congrégation de France. Ce sont eux qui ont rebâti à neuf l’église et tous les lieux réguliers.” Cela signifie que le revenu du monastère (la mense) était réparti en deux sommes : la première, celle du prieur, renforça les revenus des jésuites de Rouen ; la seconde, celle du couvent en lui-même, donc des frères, alla à des frères réformés. Mais réformés de quoi ?   

Charles de Stabenrath nous l’apprend : “les chanoines avaient embrassé la réforme le 24 mai 1648 (...) ils avaient pris le costume de France, et cessé de porter l'aumusse noire sur la tête...” Cette réforme est celle de la Congrégation de France, un ordre de chanoines fondé vers 1619 par François de la Rochefoucauld, abbé de Sainte-Geneviève, à Paris. La finalité était de renforcer l’observance des règles monacales et ce dans la lignée de la Contre-réforme du concile de Trente. En quelques mots, c’était un projet analogue à celui des jésuites que rejoignit, à ce propos, François La Rochefoucauld à la fin de sa vie. C’est sûrement pour cela qu’Aubin-Louis Millin regroupa l’arrivée des génovéfains (adjectif de Sainte-Geneviève) et des jésuites dans le même ensemble chronologique, quitte à la rendre peu compréhensible ‒ voire vétilleuse ‒ pour nous aujourd’hui. Il semble que ce nouvel élan génovéfain soit à l’origine du dortoir des chanoines visible de nos jours. Ce mouvement de contre-réforme génovéfain eut son siècle de gloire, à la fin du XVIIe siècle, où il gagna plus d’une centaine de monastères et prieurés de France. Les religieux devaient attendre de nouveaux frères animés par un renouveau de la foi. 

La réforme génovéfaine a-t-elle été une révolution dans la croyance et la pratique des frères ? Dans la croyance, il semble que non puisque cette réforme se fondait sur une observance accrue de la règle de Saint-Augustin ; règle déjà censée régir le prieuré des Deux-amants depuis 1192, au moins. C’est ce que Jean-Michel Bouvris montre en commentant une bulle originale par laquelle le pape Célestin II accorda aux “augustins” des Deux-amants certains privilèges. 

Mais dans la pratique il semble que les chanoines deuxamantins n’étaient pas tous disciplinés.

 

 

Frère des Deux-amants portant l'aumusse de chanoine d'après une gravure prévue pour les Antiquités nationales d'Aubin-Louis Millin.

Frère des Deux-amants portant l'aumusse de chanoine d'après une gravure prévue pour les Antiquités nationales d'Aubin-Louis Millin.

 

Peut-on expliquer les changements d’ordres religieux ?

Il est facile de lire les passages du prieuré d’un ordre à un autre avec un œil anticlérical. Alors on sourit en songeant aux religieux nobles ‒ à défaut de nobles religieux ‒ s’octroyant une partie des revenus prioraux. C’est partiellement vrai, comme nous l’avons plus haut, et faisait partie de la légalité la plus stricte. Le pape, et même le roi de France, pouvaient nommer des abbés commendataires percevant une partie des revenus afin de gérer les abbayes mais ce dans l’intérêt de celles-ci et non du leur propre. Un prieur, religieux présent parmi les moines, dirigeait réellement l’abbaye. Or, des abus furent commis et maints établissements servirent de rentes à des abbés peu scrupuleux, au grand dam de prieurs. C’est ce comportement illégitime que les nouveaux ordres religieux voulaient extirper de cette hydre à deux têtes qu’on appelle une religion d’État. 

Qui plus est, une crise des vocations religieuses touchaient les monastères parmi lesquels celui des Deux-amants. MM. Charpillon et Caresme citèrent les écrits de Monseigneur Eudes Rigaud, archevêque de Rouen, qui visita plusieurs fois le prieuré qui nous intéresse : “Sous la date du 9 février 1258 on trouve : “ils sont XV chanoines.” C’est à comparer aux 9 chanoines du début du XVIIIe siècle et aux trois derniers tondus de 1789. Il semble que le prieuré n’ait jamais attiré énormément de frères et qu’il fut en perte de vitalité après le Moyen Âge. 

La discipline a aussi inspiré et justifié le renouvèlement des ordres religieux. En sus des écrits d’Eudes Rigaud au XIIIe siècle, MM. Charpillon et Caresme relatent les procès intentés de 1620 à 1649 par le prieur Jacques de la Ferté (par ailleurs récipiendaire de nombreuses commendes et terres, notamment au Québec) à l’encontre de deux de ses frères accusés de “manque absolu de discipline et d’esprit religieux” et de “violences commises contre ceux que l’on avait tenté d’introduire pour donner le bon exemple”. 

Face aux abus d’une part, de nobles avides d’argent et de pouvoir et, d’autre part, de la crise des vocations et du relâchement de la piété chez certains frères, la Réforme protestante séduisit de nombreux croyants. À défaut de réformer par l’intérieur l’Église, les protestants tentèrent de réformer les croyances et pratiques des hommes. Ceci excita plutôt l’hostilité et la haine entre croyants et nourrit l’agnosticisme et l’anticléricalisme. Le prieuré des Deux-amants fut incendié en 1593 lors d’un combat entre les Ligueurs, des protestants militairement en rébellion contre le roi, qui avaient trouvé refuge dans le prieuré. Ils en furent délogés par les garnisons royales des Andelys et de Louviers parmi lesquelles des assaillants mirent “le feu à la porte principale, l'incendie gagnant ensuite tout le cloître” écrivent MM. Charpillon et Caresme. Outre les nécessaires réparations puis reconstructions des locaux en 1685 et 1723, c’est la remise en cause de l’autorité du roi qui explique en partie la nécessité de mieux contrôler les confessions et les ordres religieux. Le roi dut se défendre des protestants en renouvelant la spiritualité et l’organisation de l’église catholique de France. Il dut aussi diriger cette religion afin qu’elle ne soit plus la stricte propriété d’un État étranger comme elle le fut, durant le Moyen Âge, sous l’emprise du Saint-Siège. C’est ce que l’on nomma l’Église gallicane.

Nous avons vu ici un prieuré de taille et revenus modestes ; qui plus est en perte de vitesse. Qu’en était-il de ses revenus et de sa vitalité durant la période précédente ?

 

 

Vue aérienne du dortoir des chanoines et de la propriété contigüe qui servit, longtemps, de ferme aux frères puis aux propriétaires particuliers après la Révolution française (capture d'écran sur le site Géoportail, juin 2019).

Vue aérienne du dortoir des chanoines et de la propriété contigüe qui servit, longtemps, de ferme aux frères puis aux propriétaires particuliers après la Révolution française (capture d'écran sur le site Géoportail, juin 2019).

 

La constitution du terrier prioral du XIIe siècle au XIIIe siècle. 

Se consacrer à Dieu doit être une vocation, pas une profession. Mais cette vocation nécessite des revenus pour entretenir la santé des hommes et la solidité des locaux conventuels. C’est pourquoi les religieux vivaient des dons des croyants, que ceux-ci soient inspirés par une foi sincère ou par l’intérêt d’une bonne réputation. Les grands donateurs étaient donc, nécessairement, des nobles. Les actes anciens permettent de jalonner les années où émergea le prieuré deuxamantin : entre le XIIe siècle et le XIIIe siècle. 

Un article a été rédigé par Jean-Michel Bouvris, archiviste de l'Orne, qui relate la constitution du terrier du prieuré deuxamantin, c’est-à-dire les actes attestant les droits permanents des religieux sur des terres, des redevances, des services... Les actes prioraux sont principalement conservés aux Archives de la Seine-Maritime, dans le fonds du Collège des Jésuites de Rouen qui en recolle une douzaine pour la période choisie. Sans surprise, les droits des chanoines étaient situés dans le Vexin (Bacqueville, Gaillardbois), son pays naturel, mais aussi le long de la Seine (Tournedos), sur le plateau du Neubourg (Crasville) et, plus surprenant, en France, à Triel-sur-Seine. Jean-Michel Bouvris cite ce qui est, pour lui, “La pièce la plus précieuse (D 109) (...) diplôme original, daté de 1175, concernant des libéralités effectuées par le roi Louis VII à Authie, sur le terroir de Triel-sur-Seine (Yvelines). Les Deux-Amants furent, au cours du Xlle siècle, l'un des rares établissements religieux normands en faveur duquel le roi de France effectua une donation.” 

On peut relier cette rare connexion entre la Normandie et la France à ce qui se produisit à l’endroit de l’ancienne abbaye de Bonport, à Pont-de-l’Arche, cofondée en 1189 par Richard-cœur-de-Lion, roi d’Angleterre, et Philippe Auguste, roi de France. En étudiant cette abbaye cistercienne, nous avons trouvé des mentions du prieuré des Deux-amants dans deux de ses actes (à lire ici). Le 31 juillet 1205, une charte fut signée par les religieux du prieuré des Deux-amants afin de céder à leurs frères de la jeune abbaye de Bonport la chapelle de Saint-Martin de Maresdans, avec toutes ses appartenances et dépendances entre Pont-de-l’Arche et Criquebeuf. Ces droits avaient été en partie cédés en 1198 mais semblaient trop peu précis. Les chanoines des deux communautés durent se concurrencer et s’opposer sur l’exploitation des lieux, d’où la précision de 1205. 

Les religieux étaient aussi, en toute logique, possessionnés alentour. Le prieur était patron de la paroisse de Flipou et, depuis 1208, de celle d’Amfreville-sous-les-monts grâce au don de l'archevêque de Rouen (André Pilet, page 37). Une partie des revenus de ces paroisses leur revenaient donc. En 1203, Jourdain de Canteloup donna aux frères un moulin installé sur la Seine (André Pilet, page 20). Les chanoines possédaient à Amfreville la ferme du Plessis et “la ferme des Deux Amants”, jouxtant le prieuré (André Pilet, page 87). Ils possédaient des terres à Romilly-sur-Andelle, qu’ils fieffaient contre des rentes et redevances. Ils accaparèrent 12 hectares de pâturages à Pîtres et Romilly. Les habitants de ces paroisses leur intentèrent un procès en 1507 qui ne fut jugé qu’en 1583 en faveur des habitants spoliés. Les chanoines possédaient aussi un hôtel à Rouen, rue Martainville (André Pilet, page 43), sûrement pour la résidence temporaire du prieur et de frères et la vente de productions locales comme le vin dont on voit le vignoble sur la représentation ancienne plus haut. 

Mais de quand date précisément ce prieuré ? 

 

 

Représentation du gisant de Jean Farceau (selon Nicolas Bertin) dont la tombe était située dans l'église priorale. Il compte parmi les donateurs nobles qui ont constitué le temporel des chanoines.

Représentation du gisant de Jean Farceau (selon Nicolas Bertin) dont la tombe était située dans l'église priorale. Il compte parmi les donateurs nobles qui ont constitué le temporel des chanoines.

 

Vers 1145 apparait le prieuré des Deux-amants. 

Ernest de Blosseville cita le chartrier deuxamantin dans le fonds du collège des jésuites de Rouen. Il le consulta partiellement. À la page 16 de son article, il écrivit que “Le plus ancien [acte], croyons-nous, est un acte de Louis-le-Gros, donnant au prieuré des Deux-Amants 56 arpents de terre. L'origine de l'établissement religieux est donc au moins contemporaine du règne de ce prince, monté sur le trône en 1108.” Louis VI, dit le gros, régna sur les Francs de 1108 à 1137. MM. Charpillon et Caresme citèrent la même donation mais la datèrent de 1175. Le document doit être peu lisible mais la date de 1175 est plus réaliste et rejoint la lecture de Jean-Michel Bouvris abordée ci-dessus. 

MM. Charpillon et Caresme datent les premiers actes du chartrier de 1143 sans toutefois les détailler. 

Jean-Michel Bouvris cite, page 450, une charte d’”Hugues d'Amiens, archevêque de Rouen, délivrée peu avant 1150, par laquelle le prélat prend sous sa protection l'établissement, dont le patrimoine apparait encore à l'état embryonnaire.” Ceci pose assez précisément la naissance du prieuré quelques années auparavant, soit vers 1143. Le même auteur cite une bulle du pape Alexandre III, datée de 1165, qui intégra officiellement le prieuré deuxamantin dans le giron du Saint-Siège. Jean-Michel Bouvris est parvenu à faire le lien entre l'archevêque de Rouen, Gautier de Coutances (1184-1207), et le prieuré des Deux-amants envers lequel il fut généreux : son aumônier, frère Guillaume, était en 1207 un moine deuxamantin. L’impulsion religieuse est établie : le prieuré dépendait d’un groupe de frères appelés chanoines, eux-mêmes soumis à l’archevêché. 

Une famille parait avoir particulièrement enrichi le temporel du prieuré au point de passer pour sa fondatrice : les Malesmains. Les armes de cette famille étaient celles du prieuré comme le démontre le document des chanoines, daté de 1723, et reproduit par François Blanquart (page 28) : “Au fond, contre le pignon, etoit un autel et, au dessus, un retable representant l'Annonciation, au bas duquel etoit, d'un coté, les armoiries du prieuré, qui sont trois mains gauches de sable sur un fond d'azur, representant le dessus de la main à la vüe de l'autre coté etoit un ecusson dont le fond etoit aussi d'azur, en ovale, de meme que le precedent, avec un cheveron doré, au hault duquel et entre la pointe etoient deux roses sans queue et au bas dudit cheveron, dans le milieu, un croissant doré.

On retrouve cette famille dans les chartes attestant les donations de terres et de droits. C’est le cas des dons de Roger de Berville qui donna des droits sur huit églises qui du pays de Caux qui du Calvados. Nous étudions plus précisément cette famille dans un article consacré à la datation du lai de Marie de France sur les Deux-amants et son lien avec des nobles originaires de Pîtres attachés au pouvoir des rois normands d’Angleterre. 

 

 

Armes de la famille de Rouville, apparentée, vraisemblablement, aux Malesmains qui passent pour les fondateurs du temporel des chanoines. Leurs armes sont devenues celles du prieuré des Deux-amants (source : Pierre Palliot et Louvan Géliot, Science des Armoiries, 1660).

Armes de la famille de Rouville, apparentée, vraisemblablement, aux Malesmains qui passent pour les fondateurs du temporel des chanoines. Leurs armes sont devenues celles du prieuré des Deux-amants (source : Pierre Palliot et Louvan Géliot, Science des Armoiries, 1660).

 

Résumer pour conclure !

Nous avons étudié un prieuré de chanoines réguliers soumis à la règle de saint Augustin. Il exista de 1143, environ, à 1790. Il fut possessionné par de nobles familles normandes, au premier rang desquelles les Malesmains. Le roi de France Louis VII fit un don assez faible géographiquement mais fort symboliquement, ceci dans une des rares périodes de paix entre la France et la Normandie. 

Sans jamais croitre énormément (15 frères), le prieuré deuxamantin perdit de sa vitalité durant l’Ancien Régime. C’est ce dont témoignent les changements d’ordres religieux au XVIIe siècle (il fut jésuite puis génovéfain). Il reste de ces tentatives de vitaliser le prieuré le bâtiment du dortoir des chanoines, bâtiment datant de 1685, et des documents sur l’église bâtie vers 1724 et qui dut disparaitre sous les pics d’une carrière de pierres durant et après la Révolution. 

La Madeleine des Deux-amants fut, somme toute, un petit prieuré d’origine religieuse mais il attira les regards par son nom énigmatique autant que poétique : les deux amants. Nous consacrons une étude à ce nom. Il attira aussi les regard par la beauté de son cadre, c’est-à-dire son élévation qui rend sa vue incontournable. La légende ainsi que la géographie ont achevé de magnifier ce lieu au point qu’il est entré dans la liste des monuments nationaux établie par Aubin-Louis Millin. Avec le lai de Marie de France, la côte des Deux-amants et un petit joyau géographique et littéraire, au cœur de la culture française. Le prieuré n’a pas eu d’incidence notable dans l’histoire régionale mais il a largement contribué à bâtir le rayonnement poétique et spirituel de la côte des Deux-amants. 

 

Aujourd’hui, les appétits capitalistes s’apprêtent à ternir et salir l’environnement de la côte deuxamantine : en effet les lobbies du pétrole et de la construction ont prévu de construire une nouvelle autoroute contournant l’Est de Rouen depuis Val-de-Reuil. Une longue saignée de bitume environnera autant qu’elle polluera nos forêts, villages et poumons. Pour quel gain ? La richesse matérielle et très ponctuelle de quelques hommes.  

 

 

Croix de fer de l'entrée du village de Poses devant le sommet, en arrière plan, de la côte des Deux-amants (cliché Armand Launay, mars 2012).

Croix de fer de l'entrée du village de Poses devant le sommet, en arrière plan, de la côte des Deux-amants (cliché Armand Launay, mars 2012).

 

Sources

- Bertin, Nicolas, Voyage archéologique et liturgique en Normandie, Rouen, E. Cagniard, 1863, 56 pages, voir les pages 12 et 13. Accessible sur Gallica ;

- Blanquart, François, “La madeleine du mont des Deux-amants en 1722 : une description de l’ancienne église prieurale au moment de sa démolition”, pages 9 à 73, in Mélanges : documents / Société de l'histoire de Normandie, 10e série, 1926. Accessible sur Gallica

- Blosseville, Ernest, “L’origine du prieuré des Deux amants en Normandie : fabliau du XIIIe siècle, par un trouvère du XVIIIe siècle”, 32 pages, extrait du Précis des travaux de l'Académie impériale des sciences, belles-lettres et arts de Rouen, années 1807-1868. Disponible sur le site de la Bibliothèque de la Sorbonne ;

- Bouvris, Jean-Michel, “Les plus anciens actes du prieuré augustin des Deux-Amants à l'ancien diocèse de Rouen (vers 1110-1207)”, Annales de Normandie, n° 4, 1995, p. 448-450. Accessible sur Persée ;

- Charpillon, Louis-Étienne, Caresme, Anatole, Dictionnaire historique de toutes les communes du département de l’Eure, Delcroix, Les Andelys, 1868, tome I, notice “Amfreville-sous-les-monts”, chapitre : “Prieuré des Deux-amants”, page 109 ; 

- Duplessis, Michel Toussaint Chrétien, Description de la haute et basse Normandie, 1740, tome 2, page 331 (consultable dans Google livres) ; 

- Foulon, Charles, “Marie de France et la Bretagne”, Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest, 1953, pages 243 à 258. Accessible sur Persée

- Francis, Elizabeth A., “Marie de France et son temps” in Romania, tome 72, n° 285, 1951. pages 78 à 99. Accessible sur Persée ;

- Millin de Grandmaison, Aubin-Louis, Antiquités nationales ou Recueil de monumens..., tome 2, chapitre 17, “Prieuré des deux amans”, 1791 (consultable dans Gallica et dans archives.org) ;

- Pilet, André, Terre des Deux-Amants. Amfreville-sous-les-monts : son histoire, des silex taillés à l’ordinateur, éditions Bertout, Luneray, 1996, 179 pages (achetable dans cultura.com) ;

- Stabenrath, Charles de, “Notice sur le prieuré des Deux-amants”, in La Revue de Rouen et de Normandie, 1836, pages 370 à 382. 

 

 

Armand Launay

Pont-de-l'Arche ma ville

http://pontdelarche.over-blog.com

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18 septembre 2017 1 18 /09 /septembre /2017 18:09
Par la géographie ou par l'histoire, quel plaisir de se balader en beaux lieux ! Ici derrière la Plaine-de-Bonport, le long de l'Eure (cliché Armand Launay, avril 2011).

Par la géographie ou par l'histoire, quel plaisir de se balader en beaux lieux ! Ici derrière la Plaine-de-Bonport, le long de l'Eure (cliché Armand Launay, avril 2011).

 

Les on-dits sont nombreux en ce joli coin de Normandie : “l’abbaye de Bonport fut construite à Saint-Martin de Maresdans”, “près d’un ancien temple gallo-romain”. “Une chapelle existait toujours il y a 200 ans sur les hauteurs de Criquebeuf”, “le Val-Richard tient son nom de “Richard Cœur de Lion”... Autant d’informations romantiques qui nous plongent dans les belles brumes, comme celles d’automne sur la Seine. Nous proposons ici un article sans autre problématique que de nous éclairer sur la localisation de lieux-dits et, surtout, de hameaux, c’est-à-dire des espaces habités entre Criquebeuf-sur-Seine et Pont-de-l’Arche. Nous y apportons quelques connaissances glanées de-ci de-là, qu’elles soient sourcées, orales ou issues de découvertes archéologiques officieuses.   

 

Présentation de la zone étudiée

À la recherche de Saint-Martin de Maresdans (ou Maresdamps, entre Criquebeuf-sur-Seine et Pont-de-l’Arche)

 

Cette capture d’écran a été faite durant la consultation de Google maps le 2 septembre 2017. À droite, se voient les bâtiments agricoles de l’ancienne abbaye de Bonport (commune de Pont-de-l’Arche). Au centre se trouve le hameau de la Plaine-de-Bonport (“casse automobile”, commune de Criquebeuf-sur-Seine). Au sud-ouest de ce hameau, on reconnait la zone d’activité du Val-Richard. Coupant notre zone en deux depuis le nord vers le sud, se trouve l’Autoroute de Normandie (A13). D’Est en ouest se trouve la route départementale d’Elbeuf à Pont-de-l’Arche (D321) puis le récent contournement de cette dernière agglomération. Un délaissé de la route départementale borde au sud la Plaine-de-Bonport. À l’Est s’étale Criquebeuf-sur-Seine au sud du cours de l’Eure. Au sud-Est se voit la zone d’activité du Bosc-hêtrel, au nord du chemin du Becquet. La forêt de Bord, ce qu’il en reste malgré les coupes et la tempête de 1999, apparait au centre et au sud de cette vue. 

 

Distinguer Le Catelier, Gaubourg et Saint-Martin de Maresdans

Dans un précédent article dévolu au paganisme antique, nous avions cité Victor Quesné et Léon de Vesly qui semblent apporter un précieux témoignage. Ces archéologues locaux ont procédé aux fouilles d’un fanum, un temple païen rural, situé sur le territoire de l’actuelle commune de Criquebeuf. Dans un rapport édité en 1898 (1), ils avancèrent que ce fanum devait faire partie d’un village gallo-romain situé au “Catelier”, à Criquebeuf (page 304). Nos auteurs observaient qu’il existait une ferme appelée Gaubourg, vingt ans auparavant. Ils en tiraient la conclusion que le Catelier avait été appelé Gaubourg « par les envahisseurs du Ve siècle, qui paraissent avoir abandonné la hauteur pour s'établir sur les bords de la Seine en un lieu appelé Maresdans. Il ne reste aujourd'hui de cette station célèbre mentionnée par Guillaume de Jumièges, qu'un tertre couvert de bois : la chapelle, dans laquelle ont été baptisés quelques vieux villageois a disparu et l'image de saint Martin, patron de cette paroisse, a été remplacée dans l'église de Criquebeuf où nous l'avions souvent contemplée. — Quelques pierres et des traces de mortiers qui roulent à la surface des champs, voilà tout ce qui reste de Saint-Martin-de-Maresdans ! »

Les auteurs, malgré leur mérite, semblent confondre les lieux-dits. Le Catelier est un lieu-dit de Criquebeuf mais limitrophe de Martot, au sud de Quatre-âges. Quant à Gaubourg, on retrouve ce nom dans le plan cadastral de Criquebeuf, mais bien loin du Catelier. C’est ce que montre le document, ci-dessous, extrait du plan cadastral de Criquebeuf datant de 1834.

À la recherche de Saint-Martin de Maresdans (ou Maresdamps, entre Criquebeuf-sur-Seine et Pont-de-l’Arche)

 

Sur cette capture d’écran (archives.eure.fr) du plan cadastral de Criquebeuf-sur-Seine (1834, section C, feuille 1), on localise précisément Gaubourg et le fond de Gaubourg (Est). Gaubourg était situé à l’Est du “Boshêtrel”, au nord de la route du “Becquet à Pont-de-l’Arche”, tronçon aujourd’hui coupé, voire disparu. Nous sommes ici au nord de la route forestière de Cobourg [sic]. Le chemin du Boshêtrel est aujourd’hui la route qui traverse la zone d’activité du Bosc-hêtrel. Elle reconnaissable à son coude et son virage, au nord, la rapprochant du rondpoint de la RD321.  

On est bien loin de la limite avec Martot. C’est ce que montre aussi la carte de Cassini ci-dessous.

À la recherche de Saint-Martin de Maresdans (ou Maresdamps, entre Criquebeuf-sur-Seine et Pont-de-l’Arche)

 

Cette capture d’écran (du site geoportail.gouv.fr) montre un détail de la numérisation de la carte de Cassini en couleur (feuilles gravées et aquarellées), issue de l’exemplaire dit de « Marie-Antoinette » du XVIIIe siècle.

À l’ouest de Bonport se lit, sur la forêt, “Saint-Martin” sous un clocher qui symbolise un hameau. Plus à l’ouest, vers Criquebeuf, se lit le nom de hameau de Gaubourg qui semble correspondre à l’entrée actuelle de la commune de Criquebeuf en venant de Pont-de-l’Arche (les rues de Rougemont et du Val-Richard). C’est ce que dément le plan cadastral ci-dessus. Quoi qu’il en soit, Gaubourg se distingue bien à la fois du Catelier et de Saint-Martin de Maresdans. Gaubourg semble n’avoir survécu que dans le nom de la route forestière de Cobourg. L’ancienne maison forestière des Brulins qui tombe en ruine depuis quelques décennies a été la dernière habitation de cet espace.   

Alors, quid de la fiabilité du témoignage de Victor Quesné et Léon de Vesly ? Ils semblent commettre une confusion de taille : croire que les habitants ont abandonné le Catelier pour construire Gaubourg et que Gaubourg se confond avec Saint-Martin. Ils semblent penser les lieux-dits à l’image du village-rue de Criquebeuf et non comme des hameaux, des groupes de fermes, bien distincts.

Pourtant la carte de Cassini mentionne bien un hameau Saint-Martin entre Gaubourg et Bonport. Nous avons cherché, dans le plan cadastral de 1834, la chapelle Saint-Martin où, selon nos auteurs, certains anciens de Criquebeuf avaient été baptisés. Notre recherche est demeurée vaine. Aucun lieu ne porte le nom de Saint-Martin dans ce plan cadastral.

Il faut donc partir d’autres éléments connus. C’est le cartulaire de Bonport, l’ensemble des chartes possédées par les moines, qui nous fournit des indices sur Saint-Martin (2).  

 

 

À la recherche de Saint-Martin de Maresdans (ou Maresdamps, entre Criquebeuf-sur-Seine et Pont-de-l’Arche)

Vue sur les bâtiments agricoles dans l'enceinte de l'ancienne abbaye de Bonport (cliché Armand Launay, avril 2011). Outre le colombier, à droite, qui sait si la grange médiévale à gauche n'est pas celle citée dans la charte d'Innocent III ? Voir plus bas.

 

Saint-Martin dans l’orbite des moines

La charte de fondation de l’abbaye de Bonport, signée le 22 juin 1190 à Chinon par Richard 1er, cite un lieu, en forêt de Bord, que l’on appelait d’abord Maresdans et où sera bâtie l’abbaye Notre-Dame de Bonport (... dedisse et concessisse et presenti carta confirmasse, in puram et perpetuam elemosinam, Deo et ecclesie Beate Marie de BonoPortu, que in foresta nostra de Borz sita est et fundata, in loco qui prius dicebatur Maresdans).

La charte de confirmation signée par le même roi le 28 février 1198 répète ce nom (in loco scilicet qui prius dicebatur Maresdans) et cite un lieu contigu appelé la haie de Maresdans entre le chemin et la forêt (et totam haiam de Maresdans, sicut chiminus dividit eamdem haiam a foresta).

Le 31 juillet 1205, une charte fut signée par les religieux du prieuré des Deux-Amants afin de céder à leurs frères de la jeune abbaye de Bonport la chapelle de Saint-Martin de Maresdans, avec toutes ses appartenances et dépendances entre Pont-de-l’Arche et Criquebeuf (concessimus in puram et perpetuam elemosinam Deo et ecclesie Beate Marie de Bono-Portu, et in manu domini Petri, tune abbatis ipsius loci, resignavimus capellam Sancti-Martini de Maresdans, cum omnibus pertinentiis suis et quicquid juris habebamus a Ponte-Arche usque ad ecclesiam de Crikeboe, in terris, in bosco, in aqua, sive quibuscumque aliis rebus).

Enfin, le pape Innocent III confirma, dans une charte de 1216, toutes les libertés, immunités et exemptions déjà accordées aux moines de Bonport, dont une grange à Maresdans (grangiam de Maresdans).

Que retenir de tout cela ? Il existait un espace qui était appelé Maresdans. L’ancien nom des Damps (Hasdans) est nettement lisible. Hasdans signifiait le domaine de Husido comme dans les toponymes suivants : Houdan, Hodeng et “aux Damps” comme le faisait la tradition orale). Maresdans pourrait se lire en ancien français “mare ès Damps”, c’est-à-dire la mare des Damps. La mare est un mot d’origine norroise attesté en 1175 (Wiktionnaire). La référence aux Damps montre que ce lieu était connu et, surement, exploité avant l’émergence du bourg de Pont-de-l’Arche (Xe siècle).

Puis, par souci de précision semble-t-il, un espace plus large est désigné par “haie de Maresdans”. La haie désigne un espace cultivé (terris) entouré d’arbres comme les clos-masures du pays de Caux, et entouré de bois (bosco). Cette haie allait jusqu’à un chemin ; peut-être le chemin du Becquet reliant Pont-de-l’Arche à Caudebec-lès-Elbeuf. Il doit s’agir de l’espace appelé les Pâtures (commune de Criquebeuf) ainsi que les bois alentours. Un toponyme “haie de Bonport” existe toujours en forêt de Bord (voir plus bas, la carte IGN) mais sans qu’il soit possible de retrouver la délimitation précise d’une propriété. De fonction agricole, cette haie de Maresdans possédait une grange, au moins en 1216.

Une autre propriété, ecclésiastique, consistait en une chapelle dédiée à saint Martin. Saint Martin est un vocable ancien, c’est-à-dire un saint que l’on vénérait dès les premiers siècles du christianisme en Gaule à la suite de Martin de Tours. Cette chapelle n’était donc pas une église, donc pas le siège d’une paroisse. Elle était la propriété des moines du prieuré des Deux-amants. À quelle population se destinait-elle ? Les moines, les convers, une famille de fermiers, des journaliers, quelques personnes du voisinage et des passants ?

Quoi qu’il en soit, il semble que les moines de Bonport étaient à l’étroit et posaient problème aux moines des Deux-amants. C’est ce qui expliquerait la précision de leurs droits sur toute la haie de Maresdans en 1198 et, en 1205, la cession soudaine de leurs droits de Saint-Martin à Pont-de-l’Arche, tant sur l’eau, la terre que les bois, ce qui semble se mêler avec l’emplacement de Bonport. Enfin, la précision de l’existence de la chapelle Saint-Martin est certainement un argument des moines des Deux-amants rappelant la légitimité et la légalité de leur droit en ce lieu. En l’absence de chartes supplémentaires, nous ne pouvons que conjecturer et imaginer que les moines des Deux-amants ont été dédommagés par Jean-sans-terre en quelque autre endroit.

Toujours est-il qu’il existait une chapelle Saint-Martin que l’on retrouve dans les mémoires des hommes du XIXe siècle. La retrouve-t-on dans les documents d’époque ?

 

La plaine de Bonport

À la recherche de Saint-Martin de Maresdans (ou Maresdamps, entre Criquebeuf-sur-Seine et Pont-de-l’Arche)

Le plan cadastral de 1834 (section B, troisième feuille) montre deux lieux-dits : “la plaine du bout de la ville” et, par différence, “la plaine de Bonport”. La plaine désigne un espace plane et non bocager, signe qu’il y a longtemps que l’on cultive ce sol, sans aucun élevage. On ne retrouve ici aucune habitation, aucun vestige. Le hameau de la Plaine-de-Bonport est donc assez récent qui a pris le nom de ce lieu-dit.

Quid de la localisation de Saint-Martin ? Était-ce un espace plus au sud, recouvert depuis par la forêt et malheureusement vierge dans les plans cadastraux de Criquebeuf et Pont-de-l’Arche ? L’ensemble des vestiges avait-il déjà disparu quand Victor Quesné et Léon de Vesly écrivirent, en 1898, que des anciens criquebeuviens y avaient été baptisés ?


La dernière piste que  nous exploitons est celle de l'hydrologie. Où une petite population pouvait-elle s’établir durablement si ce n’est auprès d’une source d’eau ? Or, il existe un espace appelé le “val Richard” entre Criquebeuf et la Plaine-de-Bonport. Replongeons dans le passé. Il faut imaginer des rus, des rivières éparses, des puits peu profonds, des nappes phréatiques non encore captées par l’adduction d’eau vers les villes comme depuis le 20e siècle.

À la recherche de Saint-Martin de Maresdans (ou Maresdamps, entre Criquebeuf-sur-Seine et Pont-de-l’Arche)

 

Quand on consulte les cartes IGN classiques (site de geoportail.gouv.fr), au 1:17000e on peut observer les courbes de niveau comme sur la capture d’écran (ci-dessus). Les courbes de niveau montrent distinctement que le val de Bonport, désigné “val à loup”, est la partie basse du vallon des Carrières en haut duquel se trouve le hêtre Tabouel. Ce vallon sec est encore riche en eaux souterraines comme le démontre la présence d’une station de pompage au sud des nouveaux quartiers de Pont-de-l’Arche. Il y a fort à parier que les eaux ‒ souterraines ou non ‒ ont permis la création de l’abbaye de Bonport en son temps.  

Or, le val Richard est aussi visible, notamment grâce aux bâtiments en gris de la zone d’activité à l’Est de l’autoroute. Deux vallons se rejoignent en cet endroit et nous pensons que de petits cours d’eau l’alimentaient à une date de nous inconnue. Ce val Richard se trouve entre Bonport et Gaubourg et correspond au Saint-Martin de la carte de Cassini. Son nom ne semble pas être une référence à Richard Cœur de Lion mais à un propriétaire dénommé Richard. Une charte, commentée par Louis-Étienne Charpillon et Anatole Caresme, irait en ce sens : “Gautier, châtelain du Pont-de-l’Arche, vendit, vers 1230, 3 vergées ¾ à prendre dans la forêt de Bord, à Raoul de Criquebeuf et Richard du Val, pour 12 s. 9 d. de rente, il mesura lui-même et fit si bonne mesure, que les acquéreurs lui donnèrent 30 s de pot-de-vin.” Un Richard, habitant ce vallon à l’orée de la forêt, serait un potentiel acquéreur de terres en forêt.

 

Par conséquent, le hameau de Saint-Martin devait se trouver dans le “vallon de Richard” où les conditions de vie étaient plus aisées grâce à l’eau mais aussi grâce à la communication entre les eaux de Seine et la forêt. Notons que cet emplacement situait Saint-Martin au nord du chemin du Becquet, comme Gaubourg et Le Catelier. La chapelle devait se trouver vers le sud-Est de la zone d’activité, dans le creux du vallon, au milieu du bois qui s’avance vers la Plaine-de-Bonport (nombre “18” sur la carte). Un peu en hauteur, non loin de l’ancienne voie du Becquet entre Caudebec-lès-Elbeuf et Pont-de-l’Arche. Quant au vallon ouest, il semble être issu du chemin du Vallot, un toponyme limpide, descendant lui-même de la Cramponnière de Tostes. Ses eaux devaient arroser Gaubourg avant d’arroser Saint-Martin.

En contrebas du bois de Saint-Martin, devant la casse-automobile de Bonport, la prospection de métaux révèle des milliers de pièces de monnaies depuis les années 1990. Relevées et réparties par les labours chaque année, il s'agit essentiellement de monnaies romaines (Postume, vers 260), Constantin (vers 310) et Constant (vers 320).

L'observation de terrain révèle un très important nombre de restes de tuiles, dans le champ en vis-à-vis de la casse-automobile. De gros blocs calcaires encore un peu équarris couvrent, par endroits, des restes de tuiles. Quand le maïs est haut, on peut voir se former un rectangle fait de maïs poussant plus haut que les autres. Ce rectangle, en sus des découvertes décrites ci-dessus, semble indiquer la présence ancienne d'un bâtiment.

De plus, des restes de jarres et de poteries ont été retrouvées en ces lieux. Ce bas du vallon de Saint-Martin semble avoir été exploité durant la paix romaine, peut-être à la fois pour des raisons agricoles mais aussi commerciales en tant que petit port de Seine. En effet, la faible pente de ce vallon en fait un lieu idéal de chargement de troncs et de calcaires issus de carrières de la forêt de Bord. Ce lieu serait d'autant plus idéal qu'il se trouvait entre les deux anciennes iles de Launy et de Bonport, en face d'un bras donc donnant sur le cours principal de Seine.

L'existence de ce port est attestée au XVIIIe siècle. Nous en avons traité dans notre article sur la forêt de Bord (voir “Activités anciennes ‒ La coupe du bois”). Nous citons l’historien Jean Boissière, auteur d'un article intitulé « Les forêts de la vallée de la Seine entre Paris et Rouen d’après l’enquête de 1714 » (publié dans Les Annales du Mantois, 1979). Cet article se fonde sur le procès verbal d’Hector Bonnet chargé par l’hôtel de Ville de Paris de comprendre pourquoi le bois ne parvenait pas suffisamment dans une période de disette de combustible. Cet homme voyagea de Paris à Rouen du 27 septembre au 18 octobre 1714. Il résida à Pont-de-l'Arche du 10 au 15 octobre. Il cita les ports de Pont-de-l'Arche et de Bonport.

Enfin, dans le bois de Saint-Martin, la prospection de métaux n'a révélé que quelques monnaies romaines, une monnaie gauloise et un bloc de bronze, peut-être un déchet d'un travail de forge.

 

Conclusion

Comme nos recherches sur Tostes et Montaure l’ont montré, il faut s’imaginer un paysage antique et médiéval bien différent de celui que nous connaissons depuis deux siècles. Le pays était bien moins peuplé, mais l’habitat plus épars ; un habitat constitué de quelques fermes dans des haies, des essarts. Certains de ces hameaux se sont développés et sont devenus des villages, des villes. Beaucoup d’entre eux ont disparu avec l’exode rural. La nature a été domestiquée. Finis les rus, les bois qui séparaient beaucoup de hameaux, les fanums qui ont laissé place aux chapelles rurales. Le Catelier, Gaubourg et Saint-Martin sont trois hameau le long d’une ancienne voie : le chemin du Becquet reliant Pont-de-l’Arche à Caudebec-lès-Elbeuf. Ces hameaux étaient situés en bas de vallons : le val Asselin pour Le Catelier, le Vallot pour Gaubourg et Saint-Martin, le Val à loup pour Maresdans-Bonport. Saint-Martin n'a laissé que peu de traces mais semble avoir été un lieu propice à l'habitat, à l'exploitation des ressources locales et peut-être même à quelques activités portuaires et commerciales.





Orientations bibliographiques

(1) Victor Quesné et Léon de Vesly, « Nouvelles recherches sur Le Catelier de Criquebeuf-sur-Seine (Eure) », in Bulletin archéologique du Comité des travaux historiques et scientifiques, année 1898, Paris : imprimerie nationale, 1898). Voir aussi : Halbout-Bertin Dominique, Sennequier Geneviève, Delaporte Jacqueline. “Le Câtelier de Criquebeuf-sur-Seine. Notes archéologiques”, Annales de Normandie, 37ᵉ année, n° 1, 1987, p. 54-68 ;

(2) Andrieux Jules, Cartulaire de l'abbaye royale de Notre-Dame de Bon-Port de l'ordre de Cîteaux au diocèse d'Évreux, 1862, A. Hérissey.

 

Armand Launay

Pont-de-l'Arche ma ville

http://pontdelarche.over-blog.com

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30 août 2014 6 30 /08 /août /2014 12:12

Balade littéraire et poétique

aux Damps et à Pont-de-l’Arche

 

Lever de soleil sur l'Eure(1).jpg

Armand Launay

 

                            À Dany

                                Patrice

                                    Peggy et David…

 

 

Avant propos

Qui n’a pas connu le plaisir de la balade, dans les rues de son petit village, quand le ciel du printemps permet de remettre le bout du nez dehors sans risquer un gros rhume ?

Qui ?

À vrai dire je ne connais personne. Personne qui reste insensible au vert tendre des bourgeons et au rayon de soleil qui redonne au paysage un charme que l’hiver lui a interdit… En fait, au printemps tout le monde redécouvre la nature et, en même temps, son âme de poète… comme dirait l’autre !

    Eh bien ! Ce printemps là, en rentrant aux Damps chez mes parents, quelques jours seulement entre deux semaines d’étude au Havre, j’ai eu une envie irrésistible et spontanée d’aller respirer l’air vif du redoux en arpentant les ruelles du patrimoine local que j’aime tant. En plus, je dois l’avouer, même si Le Havre est une ville que j’ai appris à aimer et que je trouve belle aujourd’hui, quoi qu’en disent les sceptiques (!), mon petit coin de Normandie natal m’a manqué et j’ai eu besoin de le retrouver…

    C’est pourquoi, ayant eu l’envie d’écrire mes sensations, j’ai emmené quelques feuillets que j’ai griffonnés en me baladant à droite et à gauche. Après deux ou trois retouches -quand il le fallait vraiment- j’ai trouvé que le résultat n’était pas si décevant et j’ai eu envie de partager mes sensations, grâce à un petit livre, avec mes contemporains mais aussi avec des lecteurs de demain. En fait, inspiré du livre d’Edmond Spalikowski et de mon goût pour l’Histoire, j’ai tenu à laisser un témoignage avec l’espoir que son message procurera autant de plaisir à ses lecteurs que je n’en ai eu à lire le livre de 1930…

    Le résultat est comme le début de ma balade : imprévu et donc imprévisible dans sa spontanéité. Alors, ma plume s’est promenée entre la littérature, la poésie, l’Histoire et le témoignage sur les modes de vie d’aujourd’hui... En fait, c’est peut-être ça la véritable originalité de cette balade, outre le fait que les publications sur Pont-de-l’Arche et, à plus forte raison, sur Les Damps sont rares : elle se propose d’aborder de nombreux aspects du patrimoine sans les analyser avec rigueur.

    Enfin, chacun verra s’il le souhaite si le résultat et jugera par lui-même ! Quoi qu’il en soit, je ne suis sûr que d’une chose : ces lignes chantent le plaisir et c’est bien là tout ce qui compte !

 

                                                     Armand Launay

 

                     Aux Damps,

le vendredi 4 avril 2003

            



 

Prendre le temps de flâner                    

 

J’aime ces douces heures passées à flâner, à rêver.

Ces heures où le temps cesse

Un instant, de m’éroder comme

La mer usant les falaises d’Étretat.

 

Entre le temps que l’on a et celui que l’on prend,

J’ai choisi celui que l’on dit " Hors du temps "…

Comme suspendu au-dessus de la toile tissée

Par les impératifs au temps métrés du quotidien.

Il est le moment que l’on vit à plein temps

Car il permet que l’on se retrouve, seul ou non.

 

Il est le temps où l’on ne quitte

Pas même quelqu’un, pas même quelque lieu,

Pour en effleurer de nouveaux et éphémères,

Et ce en courant, en s’oubliant.

 

Il est l’instant où, sur les berges de l’Eure

Ou ailleurs en forêt de Bord, on glisse

Sur la pente des jours… et l’on se regarde vivre.

La pensée devient fluide lorsque les sens épousent

Le doux courant de la rivière ou la cascade des feuilles

Parcourues par le vent de doux échos printaniers.

 

C’est le moment du plaisir.

Mais ce plaisir n’est rien

Si la conscience n’y est pas.

Seule la conscience de ce plaisir et des moments paisibles

Engendre le bien-être, le bonheur.

Le bonheur est la conscience que l’on est heureux.

Sans conscience, l’existence est bien peu,

Elle ne réalise pas la chance d’être aux côtés

Des gens que l’on aime, des paysages du quotidien

Qui sont le cadre des visages aimés…

Elle ne mesure pas la valeur des échos des temps passés

Qui résonnent dans nos murs actuels

Et qui raisonnent nos actes et pensées.

Or, l’éveil de la conscience a besoin de temps à soi.

 

"Hors du temps" ou, plus justement,

Au cœur même du temps que l’on prend,

Arpentons nos bois et ruelles

Qu’elles soient des Damps,

Qu’elles soient de Pont-de-l’Arche,

En quête de richesses humaines,

Historiques et naturelles…

  


 

                  Les Damps,

                        le vendredi 4 avril 2003


À l’aube des temps

 

Notre balade qui suit les hommes

Dans leurs paysages et dans leur histoire

Débute dans ce grand massif

Qu’est la forêt de Bord de Seine.

 

Ici, aujourd’hui, le printemps

Hisse la sève des arbres

Et l’air bourgeonne du soleil.

 

Le craquant tapis de feuilles,

Ces héroïnes de l’automne passé

Qui virevoltaient au vent,

Laisse peu à peu place sous les pieds

À un tendre duvet, de couleur prairie,

Constellé de fleurs blanches,

Une mauve de-ci de-là.

 

C’est un plaisir chaque année renouvelé

Lorsque le soleil regagne sa place,

Celle de clé de voûte, celle d’étoile de vie.

 

Cet après-midi, le ciel revêt

La même couleur que les tableaux

Des impressionnistes,

Eux qui surent savourer la lumière

Et les couleurs normandes.

 

Sur le promontoire naturel qu’est la Crûte, on aperçoit furtivement

Une échappée colorée sur le paysage de la vallée et, parfois,

Sur Les Damps, d’où percent les cris enjoués des enfants

À l’heure de la récré tant espérée.

 

Le vent de Nord-ouest me baigne de son eau aérienne

D’une tiède légèreté. Éole me fait écho

Des activités des hommes de la vallée

Et des gens de la nuit des temps car,

Non loin d’ici, fut levé un voile de mystère

Lorsque deux ou trois vestiges,

D’un bronze vert et mordu par le poids des âges,

Furent détectés et déterrés.

L’homme, bien avant notre ère,

Façonnait sa hache dans la pierre,

Mais le métal est ici le premier jalon

Décelé de l’évolution de l’homme.

 

Le bois alors gagné sur la forêt servît-il de poutre à l’habitat,

De rempart contre l’excès hivernal,

De figure de proue d’un voyage sur Seine ?

C’est un mystère qui recèle de bien plus grands charmes

Qu’une réponse nette et assurée.

 

Cependant, la forêt garde aussi en mémoire

Les anodins dés à coudre,

Romains tout comme contemporains,

Qui trahissent les actes immémoriaux

De nos lointaines mères, elles qui tuaient le temps,

L’aiguille à la main, en gardant le troupeau.

C’est ce que m’avoua le timide talus,

Longiligne et caché sous l’humus,

Qui dessine sous nos yeux d’antiques parcelles

Qui crient toujours, aux promeneurs,

Leur raison d’être, tout en restant incomprises.

 

Ici, le petit bruit d’un scarabée attire l’œil curieux

Qui voit la feuille lentement se soulever.

Là-bas, la chaleur d’un rayon outrepasse le branchage

Fraichement fleuri et verdi avant qu’un nuage n’ose,

Un court instant, l’interrompre insolemment.

 

Dans le sous-bois ou aux abords d’un chemin

Le couvert végétal éparpillé laisse paraître sa moue désolée.

Le groin du cochon l’a retourné :

Il abandonne alors ses plaies au regard étranger.

 

Et là, encore un hêtre, au tendre vert d’une jeune feuille,

Présente un corps harmonieux sur lequel j’appose ma feuille

Ma plume et ma prose. D’ailleurs, plus le tronc du hêtre choisi est fin,

Plus mon écriture tremblante me rappelle mon âme d’enfant.

 

En revanche, je ne me risque pas au chêne sur lequel le mariage

Entre ma plume et l’écorce déchirerait ma feuille de longs regrets.

 

Mais je reprends mon chemin entre les essences en ébullition.

 

Une voie pourfend le bois : je préfère l’ignorer

Et poursuivre à travers les sentiers non battus, les sentiers préservés.

 

Mais très vite, sous le pas, la terre laisse paraitre

Un vallon qui courbe l’horizon et invite la curiosité

À assouvir son penchant : c’est une des portes de la vallée.

Au rebord du promontoire où j’arrive bientôt

Une souche me propose ses assises où je me pose.

Ici apparaissent les couleurs vertes, presque bleues,

Des falaises accompagnant la côte des Deux Amants,

Ainsi que les couleurs végétales qui parcourent la plaine

En formant une mosaïque traversée par la tendre courbe de l’Eure.

 

Un train pourfend soudain la plaine

Et traverse la Seine par le couloir du Manoir,

Cette dentelle de métal suspendue,

Et disparait bien vite derrière les usines qui

Négligent notre vue, notre nez et notre santé,

En nourrissant de moins en moins les familles alentour.

 

La Seine se laisse deviner grâce aux furtives apparitions,

Entre deux bouquets d’arbres,

D’une péniche qui semble flotter

Entre deux sillons de cultures.

 

En contrebas, vrombissent les flèches roulantes

Sur le chemin de grisaille qu’est l’asphalte.

 

Les ronces abondent depuis peu avec leurs fraiches pousses

Qui mordent parfois le mollet du promeneur

Comme si elles défendaient un lieu un peu mystérieux

Qu’un curieux enjambe allègrement.

 

Et l’endroit ne manque pas d’énigmes et de légendes…

 

À deux pas d’ici domine la côte de la Crûte,

Petite élévation de terre telle une motte,

Qui fit couler l’encre autour du dilemme :

Est-elle naturelle ou fille de l’homme ?

Mais surtout, est-elle le lieu de la bataille des Damps ?

 

Depuis la côte, la pente, sévère, accélère le cœur et retarde le pas.

Or, dans les brumes de la Seine du siècle neuvième,

Surgirent les hommes du Nord dont les figures de proue des navires

Étaient des têtes de dragons que l’on nomma "drakkars".

 

Dudon de Saint-Quentin narre une bataille opposant

Francs et Normands non loin de la confluence de l’Eure et de la Seine.

Les enfants de Scandinavie, retranchés derrière une fortification,

Battirent l’armée franque à As Dans, devenu Les Damps.

Alors, le flou des textes lointains et miraculeusement conservés

Fut une porte à l’imagination, aux rêves et à la légende.

D’aucuns situèrent, qu’ils soient historiens ou romantiques,

Le lieu de la bataille ici même où on surplombe les premières demeures.

Le paisible chant des oiseaux contraste avec les faits rapportés,

Mais l’image est saisissante : les Normands, sortis de leurs navires,

Barrèrent la route aux Francs et voguèrent vers Paris.

Peut-être ce sol fut-il maculé ? Toutefois, les mystères qu’il recèle

Entretiennent la mémoire des hauts faits des temps passés.

 

Mais là où la magie le dispute résolument à l’histoire,

C’est le terrain des couloirs souterrains.

Cette légende locale, où réalités et rêveries

Tourbillonnent ensemble dans la même danse,

Donne le pétillant dans l’œil de nos ainés

Dont l’âme d’enfant narre à cœur joie

Les anecdotes glanées, çà et là,

En jouant aux gendarmes et aux voleurs

En forêt de Bord, en se réfugiant, dans une cavité,

Des bombes de la guerre passée…

 

Parfois, au hasard de promenades

Dans d’autres splendeurs de la forêt,

On croise de grands effondrements :

Certains sont des témoins des bombes

D’il y a six décennies,

Mais les autres sont-ils

Les éboulements de galeries souterraines

Qui courent de part et d’autre

Rejoindre une commanderie templière ?

 

Enfin, franchissons l’orée et gagnons le petit village blotti

Au bord de l’Eure : la patrie dampsoise…




 

Aux Damps,

                                le samedi 5 avril



Au cœur des Damps


Quelques arpents plus loin, sur le chemin de la Crûte,

On entre dans une partie préservée des Damps

Où les balles de paille s’alignent non loin des haies

Qui plongent avec le chemin vers le cœur du village.

 

D’ici, en faisant quelques pas avec le vent

Qui s’engouffre fraichement dans cette allée verte et fleurie,

Quelques échappées de paysage laissent entrevoir les colombages

Et les pierres du pays accompagnés de blancs pommiers en fleurs.

 

Le soleil, qui a récemment percé le frêle voile matinal,

Rayonne sur les jardins de l’ile étalés le long de la Seine

Et juste devant le monde bétonné d’une usine indicible

Mais que les mots ne peuvent taire.

 

Cette descente de la Crûte évoque

Les tortueuses routes du bocage normand

Où l’ancien bitume est noyé dans une verdure

Dont le feuillage salue le vent au passage.

La Maison Commune des Damps émerge ici et veille sur le hameau.

Cette Mairie fut l’enjeu, en 1879, d’un combat entre une population

Éprise de l’universel esprit républicain et les résistances obscures

Des sujets de "Sa Majesté", camelots du roi ou de l’empereur.

Ces hommes et ces femmes voulaient fonder la jeune République

Sur l’éducation et la culture, sans lesquelles ces mots ne seraient.

 

Mais la balade me mène au fond du val au creux duquel

Se blottissent frileusement les colombages, le torchis et les briques

Du dernier corps de ferme animé. Témoin de temps récemment révolus,

Cette ferme me rappelle qu’il y a six décennies – à peine –

Une dizaine de domaines fertilisaient le sol et élevaient le troupeau

Dont la présence aujourd’hui encore confère aux Damps

Un cachet rural des plus appréciables. En ces lieux,

La vie n’a pas rompu avec les temps passés qui l’ont conçue…

 

La rue des Carrières est une véritable notice historique :

Elle rappelle qu’elle est le berceau de nombreuses pierres

Aujourd’hui insérées dans les murs de nos ruelles.

Sous le chant du coq, la rue des Plâtriers

Ainsi que l’inscription presque entièrement effacée

Indiquent l’activité des ancêtres du maçon qui vit ici.

 

Poursuivant la visite vers la rue des Carrières,

J’observe l’ancienne charrette abandonnée,

Et la plante grimpant sur la façade,

Qui jalonnent le chemin à peine perturbé

Par quelque vrombissement soudain.

 

L’ancienne épicerie s’est endormie ainsi que la pompe communale

Alors que, issue du Moyen-Âge,

Resplendit la maison de la "Dame Blanche" :

Un petit reptile, qui lézardait sur la pierre baignée de soleil,

Ose fuir ses poutres croisées et ses petits carreaux en losanges.

 

 

Après cette rencontre avec le plus lointain souvenir,

Fièrement dressé dans un recoin du village,

Le chemin dessine un coude vers l’Eure,

Point d’arrivée et d’attache de nos aïeux.

 

Il suffit "d’aller aval" de quelques pas,

Comme disait le marinier,

Pour faire la rencontre avec le cœur

Du village des Damps : la place.

 

Vue du petit pont, elle est aujourd’hui

Bien anodine et reposante avec ses peupliers

Tendrement caressés par le frai vent du Nord.

Qui se souvient qu’on les plantait pour tendre le fil

Qui séchait les toiles lavées dans l’eau ?

 

Combien de femmes ont plongé le linge,

Toute leur vie durant, et frotté, et frotté ?

Combien d’enfants ont joué à la balle

Dessus les fils tendus alors que leurs pères

Amassaient les stères sur la place

Avant de les charger sur la Seine.

 

La Seine, eh oui ! car c’est ici , jusqu’en 1934,

Que se trouvait la confluence entre les deux cours.

C’est ici que l’Eure perdait son nom.

C’est ici encore que l’on trouvait le bac,

Dix mètres en amont du pont.

 

Mais tout l’ancien temps du lieu n’est pas réservé à la sensibilité,

Qui nous fait voir ce qui n’est plus :

L’âme des mariniers et du passé de la Seine

Se lit encore dans les linéaments du paysage mais aussi dans les actes

Des pêcheurs qui perpétuent une occupation ancestrale.

 

Enfin, peut-on encore s’imaginer qu’ici passèrent les fûts qui firent

Les bateaux de la monarchie de la fin des âges médiévaux

Mais aussi qu’un jour les navires normands

Passèrent et s’arrêtèrent en ces lieux si paisibles ?

 

Aujourd’hui, quelques voitures sont garées

Devant le bien nommé "Café de la Place",

Lieu de sociabilité des gens d’ici depuis des temps immémoriaux.

Il garde la mémoire du rendez-vous

Des mariniers et des paysans qui l’animaient.

 

Maintenant que l’Eure, "La rivière d’Ure",

Comme le prononçaient nos ancêtres,

Est découverte, la suite de notre balade

Passe par ses contours où un sentier pittoresque

Rappelle le chemin de halage et passe à travers les pâquerettes,

Les pissenlits et les boutons d’or.

 

L’eau fait scintiller de mouvements

Les piles du pont, toujours ombragées.

Les remous de l’eau font onduler

La surface de la rivière et de curieux dessins

Tourbillonnent lentement au gré du courant

Comme des galaxies dans l’immensité noire.

 

Le vent, qui accélère le courant, ride la surface de l’Eure

Qui garde, néanmoins, un cours paisible et ponctué de vaguelettes.

 

Les chiens du lointain aboient en canon.

Les motos et les mobylettes percent l’air tel l’essaim d’abeilles.

Les taupes façonnent leurs mottes.

Les plantes aquatiques se laissent bercer

Par le silencieux courant.

 

Toujours assoiffé de nouveauté, je m’enfonce dans le marais,

Asséché ces temps-ci, et y découvre un sol moelleux

Parcouru de sèches failles et où poussent en tous sens

Les troncs et les branches à la recherche de lumière.

 

Pendant que j’avance, un oiseau signale de deux cris qui s’envolent

Ma dangereuse présence aux siens. Deux canards viennent rayer

La surface de l’Eure où le bleu du ciel clignote désormais.

 

Cependant, alors que je suis à l’ombre de hauts arbres,

Un cygne blanc nage avec célérité en ma direction

Et s’arrête sur la berge, peu avant mon pas.

Il doit s’étonner de ma présence dans ce marais retranché,

Me dis-je. Mais non, pas du tout, ce cygne est une mère attentive

Qui est venue protéger ses petits, encore tout ronds au fond du nid,

Vaste berceau de paille.

Cette attendrissante protection vaut bien mon départ silencieux

Qui préserve cette beauté, après quelques secondes d’admiration.

Je l’admire encore, en m’éloignant et rêve déjà au plaisir de l’été prochain

Où elle glissera sur l’eau, contrastant par sa blancheur étincelante,

Suivie de ses petits, les fruits de son amour.

 

Un peu plus en aval, c’est un bras mort que je découvre,

Flaque bleue dans le vert dominant du pré de l’ile Saint-Pierre.

Une poule d’eau détourne mon attention en s’envolant de la berge.

Elle frappe l’Eure de ses ailes cinq ou six fois

Avant de lâcher un cri surprenant et d’atterrir sur la rive d’en face.

 

La chapelle, derrière moi, même si elle n’a que cent cinquante ans,

Marque l’emplacement de l’antique église de Saint-Pierre des Damps.

 

Appelé par la découverte, je gravis sur ma gauche

Le moins connu "passage des marronniers",

Étroit et boisé, ce passage pittoresque ravine

Ce qui rend son ascension moins aisée

Et presque digne de celles des Vosges.

Les Vosges, nom auquel fait écho

Cette partie du village appelée Les Vauges,

Mais qui n’a de lien que le son,

À l’inverse de ma poésie qui préfère faire rimer

Les sens plutôt que les sons.

 

        Au sommet du chemin de pierre,

        Apparaissent les toits plats de Le Corbusier

        Et les résidences toutes récentes des Merisiers.

        À gauche encore, de retour vers la Mairie,

        Je longe les terrains de jeux et l’école

        Qui a libéré, tout à l’heure, à "l’heure des mamans",

        Les enfants vers un samedi radieux.

        

        L’œil du quotidien passe sans savoir

        Près de deux ou trois plaisirs à saisir :

        Qui a lu, sur la pierre du mur qui fait face à l’aire sportive

        Cette ancienne gravure, "1833", à moitié effacée,

        À moitié recouverte par le lierre vert tendre.

        

        Qui a pris le temps de lire les noms

        De ceux qui tombèrent durant les guerres

        Sur l’humble monument d’un village

        Ému et meurtri par le sacrifice

        Consenti pour la liberté

        Et qui déplore à jamais la guerre

        Qu’elle soit d’aujourd’hui dans les sables,

        Qu’elle soit d’hier dans la boue…

 

        Qui apprécie la poésie et la touche d’humour

        Du nom de la rue Monte au Ciel,

        Rue escarpée que l’on nommait Saint-Jean

        Et ce deux siècles auparavant ?

 

        Qui ? Peut-être ce couple qui se promène,

        Avec l’enfant dans le landau,

        À qui je souhaite un bonjour

        Qu’il me retourne.

 

Derrière moi, ce terrain anodin recèle les vestiges d’une villa romaine

Révélés par une fouille lorsque je n’étais pas encore de ce monde.

La cave et ses soupiraux furent épargnés par la mécanique

Et offerts à notre savoir et à nos divagations teintées de rêve.

 

Tous ces secrets à peine voilés me font dire que la routine n’est pas le fait

De vivre le même quotidien mais d’y apposer le même regard.

Que ton œil garde la curiosité qui pétille dans l’œil des enfants

Et chaque journée que tu vis t’apportera son écot de nouveauté

Et de charme…

Ces balades, où le temps est celui de la nature, qui ne compte

Ni les heures, ni les révolutions de la terre,

Est le terreau de ces découvertes que je veux partager avec toi.

Alors, si tu le peux, vas sur ces lieux que je dépeins et jouis de tes sens.

 

Ces lieux sont le cadre d’un tableau, celui du bonheur,

Que tu peins avec les couleurs que sont tes sens.


 

                            Aux Damps,

                                     le samedi 5 avril


 

Sur le chemin des Haies


 

La chaleur dans le dos,

Le parfum des fleurs qui virevolte dans les airs,

Quelques filaments blancs en guise de nuages,

Je m’oriente maintenant vers Pont-de-l’Arche.

 

Le Chemin des Haies, ce long chemin qui domine l’Eure,

Tel une petite corniche, se resserre pendant un instant

Qui s’interdit aux moteurs.

 

Ici, à l’ombre d’un mur et d’une haie,

Le piéton savoure le raccourci

D’un rare espace qui lui est réservé.

 

En bas, deux pêcheurs perdus entre les branches

Occupent l’entrée du bras mort,

Le tout en silence et à l’insu de tous, ou presque.

 

Les insectes s’activent, sous ce soleil d’avril,

Tout comme les propriétaires de terrains

Non loin du "passage des Thuyas".

 

Ici et là, dans les cours, ou derrière la grande usine,

Des parterres de béton apparaissent à la surface

Comme des couches géologiques.

 

Une oie passe à l’instant et m’interrompt.

Toutes ailes déployées et impressionnantes

Elle va, d’Est en ouest, en exprimant

De rapides gémissements essoufflés.

 

Ces étendues bétonnées témoignent de l’emplacement

D’une base aérienne anglaise datant de la Grande Guerre.

On réparait ici les moteurs dans des bâtiments parfois disparus.

On se restaurait dans ce qui est, aujourd’hui,

Le Café des Dardanelles et l’on occupait l’usine qui demeure.

 

Le nom de la rue est, une fois encore, révélateur : la rue des Dardanelles.

Ce nom commémore les terribles combats qui firent rage au large

De l’actuelle Turquie et qui meurtrit les Français et les Anglais,

Unis face à l’Ottoman et l’Allemand de ces temps.

 

Alors qu’une fourmi me chatouille, un sac qui vole à l’horizon

Rappelle à mon regard l’usine de briques rouges,

Symbole d’un temps qui fait écho dans ma raison

Comme celui de la chaussure et du chausson.

C’est le temps de l’industrie, des abus des uns

Sur le faible, l’honnête : c’est un temps éternel et humain, trop humain...

 

C’est le temps de la grande grève de 1932,

Sous les yeux de la gendarmerie à cheval :

La plus grande manifestation qu’aient connue

Les Damps et Pont-de-l’Arche.

"Morel à l’iau ! Morel à l’iau ! Vivent les dix pour-cent !"

Criait la majeure partie des gens de la région

Dans les rues médiévales du chef-lieu de canton.

 

Cette usine symbolise, à elle seule,

Sa période : grâce à son toit de sheds

Fabriqué selon la dextérité anglaise ;

Et le pays de ses origines d’où nous vint,

Aussi, la révolution industrielle,

La brique rouge systématique et

Le train qui roule toujours à gauche…

 

En face d’elle, des pans entiers des Damps

Ont grandi depuis l’Armistice et, depuis peu,

Grâce à d'entières familles heureuses de vivre

Dans un cadre aussi accueillant et je les comprends.

 

Un faisceau blanc pourfend le ciel à la suite d’un lointain avion.

Arrivé au Val des Damps, je ne peux que penser à Octave Mirbeau,

Ce journaliste, cet écrivain, épris de justice sociale.

Il  appela de tous ses vœux une société libertaire en réaction à

Une économie dont il voyait les méfaits sur le peuple des Damps,

De Pont-de-l’Arche et de partout ailleurs, et à une République

Qu’il jugeait pas assez sociale et radicale.

Je pense ici à lui car c’est là qu’il habita,

Quatre ans durant après 1889, dans un cadre qu’il aima

Et qu’il décrivit par ces mots que je vous livre…

 

    « Je ne retrouverai nulle part un spectacle aussi admirable que celui là.

Toute la vallée de la Seine, la vallée de l’Andelle, au loin s’ouvrant derrière le mont des Deux Amants, et tout près de nous l’embouchure de l’Eure.

Le petit village des Damps est bâti, près de l’embouchure de l’Eure, sur un bras de la Seine que sépare du grand fleuve une île plantée de hauts peupliers et d’oseraies abandonnées, maintenant envahies par une flore exubérante et vagabonde qui donne l’impression d’une jungle mystérieuse. Du grand bras de Seine, caché par le niveau de l’île, on n’aperçoit que la rive droite, plate, nue, découvrant par places les écorchures blanchâtres d’un terrain marneux. La plaine ensuite, çà et là semée de bouquets de trembles et de pommiers solitaires, s’étend en paisibles carrés de cultures, jusqu’à des coteaux aux souples ondulations, aux pentes orangées, couronnées de forêts, dont la tache sombre s’attendrit, se voile de bleu léger et semble se vaporiser avec la brume qui monte, soir et matin, des nappes d’eau et des prairies riveraines. Gaiement éparpillés sur une même ligne, des villages longent le pied des coteaux, et leurs toits rouges et leurs façades blanches éclatent parmi les verdures estompées. Un peu vers la droite, la plaine s’élargit, les coteaux s’exhaussent en montagnes et s’ouvrent brusquement pour laisser voir un espace très lointain, très bleu et très rose, une enfoncée de vallée qu’on dirait remuante et légère autant que des nuées. Le spectacle de cet horizon est délicieux à regarder ; il est d’une douceur infinie, d’une lumière opaline, exquise, rendue plus exquise par la dureté des premiers plans et la complication de leurs arabesques emmêlées. Durant les mois d’automne, le brouillard y promène ses rêves fugitifs et ses mystères changeants dans la fine transparence de ses voiles argentées. »

Octave Mirbeau

 

Dès lors, notre balade littéraire nous amène à emprunter

La rue Morel-Billet, voie que se partagent les villages

Des Damps et de Pont-de-l’Arche.

 

Nos premiers pas archépontains nous montrent un petit ange

Dessiné dans le bout de plâtre isolé dans la façade de pierre

De la dernière bâtisse, à gauche, avant la grande route de Rouen.

Un ouvrier s’amusa à imiter l’artiste qui donna aux églises

Tout son savoir faire, il y a des siècles.

 

Franchissons le pont qui eut l’insigne honneur

D’être inauguré par Pierre Mendès France.

L’intérêt de quitter Pont-de-l’Arche et de gagner les terres d’Igoville

Est d’avoir un point de vue imprenable sur la cité millénaire…

 

 

Igoville,

le samedi 5 avril

 

Au fort de Limaie

 

Sous le ciel limpide, à l’abri du vent,

Le soleil double sa superbe

En faisant de la Seine le miroir de sa majesté.

 

La chaleur monte au visage et seule une brise

Parvient à percer le bouquet végétal, derrière moi,

En face de Pont-de-l’Arche, au lieu dit "Le Fort".

 

Ici, face à la Seine, en contrebas de l’actuel pont,

Je suis avec un ami sur les bases de l’ancien ouvrage

À l’endroit même du pont de Charles le Chauve,

Ce roi qui, en 862, voulut barrer la Seine aux Normands.

 

Ce lieu, inaccessible jusqu’à la semaine passée,

Où mes mains n’écrivirent mais frayèrent

Un passage à travers les ronces,

Est un promontoire humain

Qui montre le point de départ du pont

Qui menait à la rue Alphonse Samain,

Au centre ville de Pont-de-l’Arche.

 

Nous sommes assis, les jambes dans le vide,

À l’endroit même de la porte du château de Limaie,

La forteresse qui défendait le pont et qui disparut il y a deux siècles.

 

Combien de milliers de mil de passages !

Et quel silence aujourd’hui…

Il n’y a plus que l’esprit pour aimer à rêver

Au trot du cheval tirant la charrette.

J’imagine ce bruit de herse, s’éveillant dans mon dos,

Laissant place au trot de ce cheval fantôme

Qui me traverse : il apparait à mes yeux,

S’éloignant sur ce pont, puis entre dans Pont-de-l’Arche

Entre deux remparts et sous la maison du portier.

 

C’est un luxe de l’esprit que de créer ce qui n’est pas

Et ceux qui ne sont plus.

C’est un lèse de l’automobile que de me réveiller de ce rêve.

 

Mais, ce qui me console, c’est le cadre naturel :

Le déversoir laisse entendre, par intermittences éoliennes,

Ses rêves où il s’imagine en cascade de Mortain

Ou même, l’orgueilleux, en chute alpine.

 

Le soleil scintille çà-et-là sur l’eau tout comme l’image des isles

Qui font rêver celui qui ne connait pas même le village d’à côté.

 

Et, droit devant, l’église, toujours imposante,

Laisse apparaitre par transparence

La lumière provenant de derrière deux vitraux.

La tour de Crosne, de même,

Par l’alignement de ses deux fenêtres,

Est percée d’un rayon de lumière

Qui fait d’elle le phare tardif

D’un port qui n’est plus.

 

Les iles verdissent mais, manquant d’arbres,

Laissent à Pont-de-l’Arche la place qui doit lui être impartie :

La première dans le paysage. Or, ici, fait singulier,

Peu d’annonces criardes le long de la route.

Aucune pollution visuelle, de ce côté-ci de la Seine,

Pour le grand commerce – le grand appât –

Ou de la grande industrie ne nuit au paysage et au cadre de vie.

 

Je songe à cette ville où je vécus enfant et adolescent

Avant de gagner Les Damps tout en allant

Apprendre l’étude historique au Havre de Grâce.

Je me dis que, tout en évoluant, la bourgade a gardé son charme.

Elle n’a jamais rompu avec la tradition qui, certes,

N’est pas un point d’attache mais constitue un point de repère :

Elle nous dit d’où nous venons et donc qui nous sommes

Afin d’évoluer tout en restant nous-mêmes,

Afin d’évoluer sans nous dénaturer

Et sans dénaturer nos enfants par là même.

 

Mais ce fil ténu de l’évolution est mal compris

Entre ceux de la révolution qui du passé veulent faire table rase

Et taire ses enseignements et ceux de la tradition

Qui se ferment aux solutions actuelles

Que propose et impose une situation nouvelle.

J’aime à me voir, tel l’arbre, prenant mes racines

Dans le terreau de mes ancêtres et

Me déployant vers de nouveaux horizons : nul extrême.

 

Une péniche interrompt mes considérations

Le "Bay Trader" va aval et gagne Rouen

En claquant les vaguelettes sur les berges du fleuve.

 

Le soleil décline, en cette fin d’après-midi,

Et illumine l’horizon du couchant,

Laissant avec parcimonie

Aux blanches maisons du centre ville

Quelques rayons aux façades bien orientées.

Les oiseaux volent au-dessus de l’eau

En quête d’insouciants moustiques.

Les voitures reflètent – une seconde à peine –

L’astre déclinant par leurs vitres.

 

Mais Pont-de-l’Arche mérite mieux qu’un regard lointain,

Même à la base de son ancien pont, son acte fondateur.

Approchons nous…

 

 

À Pont-de-l’Arche,

le 6 avril

 

Lumières nocturnes

 

Si la plume prend ses pauses,

La prose ne tarit pas sous l’effet bénéfique des Muses

Qui m’insufflent les doux airs de lyre de la vie.

Nos déesses me réchauffent le cœur et je me sens en sécurité,

Lové dans la blanche chaleur de leurs bras,

Quand je les entends entonner les chants

Qui louent le plaisir de vivre au milieu des hommes,

Dans la culture et la quête du bien-être en société.

Chose étrange, alors que Clio, l’Histoire, est la déesse

À qui je donne le plus de temps et adresse le plus de pensées,

C’est Polymnie, la Poésie, qui me susurre depuis deux ou trois jours

Les notes que je joue à la lyre qu’est ma plume.

Parfois même, Érato, la tendre et triste nostalgie,

Me chante sa mélopée que je sème çà et là dans mes vers.

Ainsi quelques fleurs tendrement nostalgiques

Apparaissent dans les recoins du tableau que je dépeins.

Érato est aussi belle que ses sœurs avec ce timide sourire

Des jours où le soleil intérieur peine à se lever.

 

Je reviens donc, bien plus tard, voir ce paysage

Que chaque instant renouvèle,

Que chaque heure recolore,

Que chaque couleur redécore.

 

La moitié de la nuit a sonné sous l’infinité céleste ponctuée d’étoiles,

Et je me suis posté à l’affût de l’insolite, à l’endroit même du quotidien,

Assis sur une marche du tourbillon qui relie le pont à l’ile Saint-Pierre.

 

Les lampes et le va-et-vient automobile

Accompagnent ma prose nocturne.

L’obscurité du fleuve et de la rivière

Font écho – encore et encore – au ciel :

Les étoiles scintillent dans un ballet de clins-d’œil.

Bleu tout à l’heure, le ciel est désormais noir

Comme la rétine du chat que j’ai croisé en venant des Damps.

Le chat, ce furtif de nos nuits,

Était là, sur le muret du Val,

Dans la sempiternelle position du félin

Lorsqu’arrive l’homme inconnu ;

L’œil plus vif que jamais,

La tête basse tournant en un instant,

Une fois à droite, une fois à gauche,

Pour mesurer où sa fuite bondissante

Se traduira par le succès le plus assuré.

 

L’araignée, au milieu de sa toile,

A tissé son réseau, mortel,

Dans celui de la rambarde écaillée.

Elle qui attend l’imprudent moustique

Me sert de point de mire sur la ville

De Pont-de-l’Arche, au second plan.

Une partie de sa toile est déchirée

Mais l’autre trahit sa position

Car la soie relaie les lumières

Et révèle son piège fatal.

Non loin d’ici, l’Eure est comme un ruban

Qui brille et qui glisse avec aisance et douceur

Entre les doigts des herbes qui peuplent les rives.

Derrière elle, sur la place,

Quelques jeunes prisonniers de leurs voitures

Ne tardent pas à démarrer vers un nouveau samedi soir.

L’ironie des temps me prête à sourire :

Naguère, ils eussent gagné l’Hôtel de Normandie,

Au lieu même de l’actuelle banque,

Où la salle de concert accueillait

Le on ne peut plus local Monte Carlo Jazz band.

 

Ma frêle enveloppe corporelle tremble parmi cette fraicheur

Pourtant atténuée grâce à un vent qui tomba avec l’astre du jour.

Des odeurs d’herbages adoucissent – un instant – le climat

Grâce aux rayons précieusement recueillis le jour durant.

Mais le bourg dort au chaud :

Ses maisons blotties les unes aux autres

Rappellent un temps où la nécessité

Drapait les hommes de solidarité

Dans le tissu social qu’est la condition commune.

On a gagné la couette, où l’on tue encore le temps

À l’aide d’un écran … Ah si l’écran ne tuait que le temps…

Quand on le regarde de trop près,

On en oublie parfois jusqu’à son propre foyer.

La télévision jette le voile sur la parole, la lecture, les amis et

L’empathie qui sont les acteurs des riches et longues veillées…

 

Les anciennes pêcheries, au pied de la courtine,

Au pied de l’église et de la tour de Crosne,

Laissent rayonner leurs façades

Aidées en cela par la guirlande lumineuse

Qui éclaire nos vieilles rues.

 

Enfin, Notre-Dame-des-Arts, derrière mon araignée,

Reste grave et impassible. La forme de ses fenêtres

En ogive, lui confère un regard sévère et austère

Renforcé par un contraste entre sa façade éclairée

Et ses vitraux, son toit, qui rivalisent avec l’obscur céleste…

Il est vrai que l’Archange de la lumière descendit,

Une à une, les marches séparant le Paradis de l’Enfer…

Les Lumières et les Églises…

Mais mes doigts se crispent et mon imaginaire prend

De plus en plus les étoiles comme le scintillement

De lumières sur la glace… Je pars donc rejoindre

La chaleur de celle qui donne un visage à l’amour

Et un bonheur à mes jours.

Ma plume m’a dérobé trop longtemps

À sa présence, à ses précieux moments.

 

Je tais mon verbe et l’offrirai tout à l’heure au soleil.

 

À Pont-de-l’Arche,

le dimanche 6 avril

 

Le marché de Pont-de-l’Arche


Sortant du pont, sur ma droite, le dimanche matinal consacre

Le lieu privilégié de la balade le long des étals du marché.

 

Le ciel offre un mélange cotonneux

Tel un camaïeu de blancs et de gris.

Une légère bise nous rappelle

Que la dure saison n’a pas renoncé

À ses prétentions sur la Normandie.

Mais l’œil l’ignore, attiré par le fruit, le légume,

Le fil tissé aux couleurs de l’été.

Le regard se pose furtivement,

Pudeur oblige, sur le promeneur qui vient en face.

 

Je reste parfois incompris et éveille souvent l’étonnement

En consignant sur le papier quelques impressions glanées

Devant la demeure du luthier.

 

Les sacs s’emplissent à mesure que les billets glissent de main en main.

Le panier des anciens se balance paisiblement ou se protège sur le flanc.

 

Le repos dominical que symbolise le marché,

Où le contact humain reste privilégié,

Est un havre, le long de la rue Montalent,

Pardon ! de la rue Jean-Prieur.

Il est entouré de l’océan bruyant

Du véhicule roulant vers Rouen,

Ou de celui du ballet motorisé

De l’âpre quête de la place

De stationnement.

 

Le marché mêle, côte à côte,

Grands et petits, humbles et opulents,

Ainés et puinés, bérets et casquettes,

Dans une activité tout droit issue

Des temps immémoriaux.

Ici on croise l’ami, le voisin, la famille, les copains,

Ceux que l’on voit tous les dimanches

Et ceux que l’on revoit au gré des vents.

La discussion fait alors écho sur les murs anciens

Faits de sombres colombages, de rouges briques,

De blanches pierres et de clairs crépits.

Le tout se déroule autour de bavardages épars

Et d’éclats de rire de-ci de-là,

Sous la rouge coccinelle de l’enseigne.

 

Je me lève et pense à ces quelques pierres

Qui sont les lointaines filleules

Des pierres de taille depuis lors morcelées

Qui servirent à la construction

De la porte du rempart médiéval.

Cette porte, avec pont et fossé,

Se situait ici même…

 

Marcher le long de la rue animée,

C’est traverser des univers de senteurs

Aux horizons divers : viandes rôties,

Fruits du verger, légumes du potager…

 

Les cloches sonnent soudain annonçant la fin du catholique office

Alors que, à tour de rôle, on propose Jéhovah aux paniers déjà repus.

 

Je suis arrivé et installé, après le lent pas du marché,

Au buste de Hyacinthe Langlois où la sèche fontaine est envahie

Par les étals répandus sur la place.

Ce buste n’existe plus depuis la dernière guerre,

Mais en 1930, Edmond Spalikowski,

Grand amateur de culture et de Normandie,

Pouvait encore écrire ces quelques vers :

 

« Hyacinthe Langlois, poète archéologue

« Qui sur ta stèle vois, surpris, tendant le dos,

« Dévaler le troupeau bondissant des autos

« Échappées aux éclairs du mont Décalogue,

« Pour assaillir le pont cher à Charles le Chauve,

« Dans un mugissement de démon ou de fauve,

« Lève pour dissiper l’effroi de ta prunelle

« La tristesse de tes regards

« Que consolait jadis l’inflexion d’une aile

« Vers le sourire gothique

« De Notre-Dame-des-Arts,

« Reine aux fleurons de pierre en couronne au portique.

« Mais prête aussi l’oreille à l’argot des commères

« Bourdonnant à tes pieds aux étaux du dimanche,

« À leur langue salée, à l’invective amère

« Lancée en bon patois, les deux points sur les hanches

« Et tu reconnaîtras par ce verbe gaulois,

« Le sang fier de la race aux illustres exploits

« Dans les veines d’enfants des "machons" d’autrefois. »

 

Edmond Spalikowski

 

Mais le temps vient à me manquer :

Un rendez-vous familial m’attend

Lui qui consacre une institution

Bien française… le repas dominical.

Mon pas oublie la place Langlois

Sous les senteurs envoutantes

De la boulangerie, mais je reviendrai…

 

Pont-de-l’Arche,

le 12 avril



Dans les ruelles médiévales

 

Six jours ont passé et nous ont fait frissonner,

Eux qui sont les derniers soubresauts de l’hiver.

 

Le temps est redevenu clément et les ruelles archépontaines

Sont animées par les roues et les pas d’un samedi après-midi.

 

Quelques enfants dévalent la pente

Qui relie la fontaine à la Seine

Et ce grâce à leurs trottinettes.

 

Assis devant la cascade

Je prends le temps de voir les passants

Sortir et entrer d’un magasin à l’autre

Comme l’abeille butine de fleur en fleur

Le nectar de son quotidien.

Et les enseignes ne trompent pas,

Du Coccinelle aux Quatre-Saisons,

Car ici les senteurs se marient

Sous le nez du promeneur

Averti du conseil du vendeur.

 

C’est lorsque l’on est épris d’histoire

Que l’on en vient ici à s’étonner

De cette route qui descend et qui meurt

Avant même d’atteindre le bord de l’Eure

Et qui laisse apparaitre au loin

Les ruines désolées de l’ancien pont fortifié

Où tant d’armées croisèrent le fer.

 

C’est un bonheur de voir que la ville

Qui naquit pour des raisons belliqueuses

Est aujourd’hui un parfait havre de paix.

 

Les poutres anciennes sont repeintes

De toutes les couleurs, selon l’usage médiéval,

Et côtoient les façades, de plâtre ravalées,

Nées du vingtième siècle aux idéaux

De richesses et d’apparences.

 

Une façade présente de vieilles peintures,

Les réclames d’une chapellerie-mercerie,

Qui apparaissent comme un ancien maquillage

Qui a conservé un charme certain

À défaut d’un éblouissant éclat artificiel.

 

Un parterre de fleurs orne la rue

Devant le fleuriste qui remplaça,

Récemment, le cordonnier qui

Laissa le soin à l’usine Marco

De rappeler à nos contemporains

Le passé de la chaussure des Archépontains.

Tout comme les Ch’tis

Qui voient poindre dans leur cœur

Un soupçon de nostalgie quand

On parle de ceux qu’allotent à l’ fosse,

Je pense aux Archipontins

Qui, eux, allaient à la cauchure.

Comment qu’on l’appelait le père untel ?

C’était quoi son soubriquet ?

I’l’en avait bien un comme tout le monde ici.

L’Cat Qui Miaule, voilà son surnom,

Mais qu’est-ce que ça veut dire aujourd’hui ?

Cela voulait-y dire qu’il avait écorché un nom

Ou qu’il avait une grande goule ?

Mai j’sais pâs. J’sais juste qui l’était fâniâ !

 

Mais l’arc de cercle de la rue Blin m’appelle.

Il me propose de faire plus ample connaissance :

Avec l’hôpital qui fut un couvent

Qu’un chemin droit devant reliait à l’église ;

Avec la maison du gouverneur

Du Pont de l’Arche, au coude à droite ;

Avec l’ancienne Mairie, au coude à gauche,

Qui était le bailliage et la prison de l’Ancien-Régime.

 

Quelques pas plus loin la vue se dégage

Sur les arrières de la tour de Crosne et de l’église

Tandis que la maison du gouverneur dévoile

De nouveaux charmes sous un jour nouveau,

Un jour bien lointain de ceux où

Saint-Louis et Henri V vinrent ici.

 

Ce décor est impressionnant car il marie le cadre urbain

Aux charmes champêtres de ces arbres, toujours plus verts,

Qui sont les demeures des chants d’oiseaux.

 

L’église, dans laquelle j’entre,

Porte en elle une page d’histoire

Sous la forme du verre du vitrail du halage :

Le maitre de pont dirige les siens

Et les chevaux, de son dix-septième siècle,

Qui tirent l’embarcation peinant

À remonter le courant concentré

Entre les piles du vieux pont.

 

Et je sors du monument : les gargouilles m’inquiètent

Certes moins par la forme de leur sculpture

Que par le risque de chute qu’elles représentent.

 

Le cadran solaire tait le temps,

Qui se lisait selon les pas du soleil,

Car les nuages font leur entrée

Sur la scène du ciel normand.

 

Sous les échos de la place Langlois,

En contrebas à droite,

Je m’oriente vers le petit chemin,

La Sente de Beauregard,

Qui serpente derrière l’église

Et traverse l’ancien rempart.

Il me rappelle le village de Provence

Où la venelle escalade le caprice naturel d’une pente

Encline à exaspérer le promeneur.

Tout en gagnant l’Eure, cette brève descente

Laisse admirer combien les habitations entremêlent

Les toits et les façades dans un dédale de rues alors invisibles.

 

Les couleurs s’offrent à nouveau au regard

Quand la pierre cède la place au végétal

Qui borde la Seine et l’Eure.

 

Mais je me tourne vers ces verbes que j’étale et réfléchis sur le papier

Et je me dis que le mot exprime la pensée,

Épouse les contours d’un paysage et révèle un sentiment.

Autant Les Damps offre à ma prose un visage aux linéaments poétiques,

Autant Pont-de-l’Arche fait prendre à ma plume

Le cours littéraire d’une balade historique et touristique.

Aux Damps le lyrisme et à Pont-de-l’Arche la solennité

Prouvent que la littérature et le paysage

Font partie du domaine sentimental de l’homme.

 

Aucun lieu ne fait écho dans nos cœurs

S’il n’y a derrière le visage d’un être aimé,

S’il n’y a le souvenir d’un bonheur, d’un sentiment…

Le lieu n’est pas le nom d’un cadre géographique

Mais celui d’un espace sentimental : le tien, le mien…

Les lieux revêtent la richesse des sentiments :

La larme d’une chambre désormais vide ;

La nostalgie de temps heureux

Lovés dans le monde de l’amour maternel ;

Les rires partagés avec des alcoolytes du lycée ;

Les retrouvailles des parents et des amis

Après la distance d’un voyage…

Les lieux sont imprégnés d’humanité

Ce qui leur donne une dimension que

Ni les richesses du bout du monde

Ni l’empire d’à-côté ne revêtent.

Un charme ne se lit pas sur les traits du paysage

Mais sur les élans du cœur.

Un charme ne réside pas

Dans la beauté d’un visage

Mais dans le pouvoir, l’emprise,

D’une femme ou d’un homme

Sur nos sentiments.

Les sens et les sentiments doivent

Vivre et évoluer à travers les lieux et le temps.

Mon espace sentimental est différent du tien

Mais ils vivent côte à côte

Et, parfois, et c’est le cas des amoureux,

Ils s’entremêlent en partageant le même plaisir.

 

Et je poursuis la balade qui suit le cours de l’Eure

Entre le terrain de camping,

Où arrivent les premiers touristes,

Et la berge caressée par l’eau.

Le soleil ne danse plus au creux des remous de l’Eure

Car le voile vaporeux des nuages a drapé le ciel printanier.

Le soleil éclaire le voile blanc ce qui dessine une véritable

Feuille naturelle sur laquelle s’écrivent les rêves de ceux

Qui s’allongent sur les prés de l’été.

Il leur faudra attendre encore un peu.

 

Mais la crue de la Seine s’impose aux yeux du curieux

Qui peut lire, à la base du mur, sur l’anodine plaque :

"Crue 2 février 1910". Sa hauteur coupe le souffle

 

Et rappelle immédiatement la carte postale

De noir et blanc illustrée et maculée d’une belle plume,

Cursive et courbée.

 

Mais longer l’Eure c’est aussi croiser

Le petit pont qui mène à l’ile et

Qui garde pour lui son passé oublié,

Celui où ses semblables, parmi tant d’autres,

Formèrent le port artificiel d’Arromanches

En juin 1944, à la Libération.

Aujourd’hui, Pont-de-l’Arche

Garde en mémoire les plus connus

Des libérateurs de l’époque :

Rue Roosevelt, Charles de Gaulle,

De Lattre de Tassigny, Mendès-France…

Mais, à côté de ceux-ci,

Les résistants et les malchanceux

Ont leur part de souvenir :

Rue Cacheleux, Samain, Antoine, Bonnet…

Néanmoins, de nombreux noms

De ceux qui sauvèrent l’honneur de la Cité

Ont été oubliés : Roger et Jean Tardy,

Robert Doucerain, Victor et Berthe Désert…

Mais ce n’est pas tout, jeunes et moins jeunes

Se rappellent encore l’anecdote du grand père

Lors de l’exode de 1940 ou encore les canons français

Placés sur les remparts de Pont-de-l’Arche

Et bombardant l’Allemand arrivant sur les hauteurs d’Igoville :

Ce fut la dernière fois que les fortifications millénaires

Eurent une fonction militaire.

 

Toujours plus loin, vers l’abbaye de Bonport,

Le chemin prend des allures un peu écossaises

Lorsque l’on ouvre et referme sur nos pas

La clôture veillant sur les moutons.

Ici les anciennes barques sont toujours attachées

À leurs pontons ou à leurs amarres de fortune.

Leur proue pointue fait triste mine

Car elle manque de fraiche peinture

Et de nouvelles aventures.

Une barque apparait derrière

Le miroir qu’est la surface de l’Eure :

Elle touche le fond

Sous les derniers rayons

Qui parviennent à elle.

Ce lieu est le terrain propice au pique-nique de l’été,

Près du puits artésien et de la petite ferme

Sertie de haies à la normande.

 

Vers Bonport, se dresse à gauche

Une légère corniche restée naturelle

Et percée par d’anciennes carrières

Et ce à quelques pas de la Seine d’époque

Où l’on chargeait la pierre qui bâtit les villes de Paris à la mer.


 

Pont-de-l’Arche,

le 16 avril

 

Derniers rayons sur l’Eure

 

Désormais, c’est l’heure où les rayons solaires

S’étalent longuement avant de laisser place à l’ombre.

 

C’est le moment où les ombres s’allongent en fuyant

Le soleil qui se couche dans son berceau flavescent,

Mêlant le bleu-azur, l’or et les pourpres.

 

C’est le moment où les ombres s’allongent de plus en plus

Avant de recouvrir le théâtre des cieux.

Le soleil dépose encore, çà et là,

Les quelques langues roses du soir venu

Sur les vieilles barques où s’écaille la peinture.

 

Je suis assis sur la berge

Qui relie Bonport à Pont-de-l’Arche.

C’est elle qui accueille les moutons,

Qui bêlent au loin, rappelant ainsi la campagne.

 

Une barque retournée ferme les yeux sur son passé

Alors qu’une autre offre au regard la douce danse

Des reflets de lumière sur l’eau

Et qui ricochent sur son bois.

 

Le soleil, presque orange, double son visage sur l’eau

Laissant la berge isolée entre deux feux.

Néanmoins, les derniers rayons de la journée,

Véritable enclave estivale dans la beauté du printemps,

Ne parviennent plus à contenir le frai courant d’air

Qui remonte du calme courant d’eau.

 

Les poumons inspirent un air plus vif, dans sa tiédeur,

Qui laisse indifférents les canards

Remuant la surface de l’Eure.

 

Les moustiques virevoltent et s’entrecroisent

Sous les projecteurs solaires

Comme de furtives poussières.

 

Et le soleil descend lentement

De ses hauteurs olympiennes

Tel un dieu que l’on tutoie

Et devant lequel on ne baisse plus les yeux.

 

L’horizon invite l’astre à se retirer du paysage

Et à laisser les plaisirs d’aujourd’hui

Devenir, peu à peu, les rêves de demain,

Les rêves pour le lendemain.

 

Déjà affaibli derrière les branches des saules,

Pleurant son départ, l’astre d’or

Entre en terre derrière la presqu’ile de Freneuse.

 

Il prend la forme d’un amphithéâtre

Dans lequel il est enseigné à quiconque

Le plaisir, la fascination,

De voir un coucher de soleil

Et de ressentir pleinement la nature.

 

Le ciel perd ses accents dorés.

Une flèche de fumée relaie les rayons,

Désormais cachés, à la suite d’un avion.

 

L’Est se pare de rose et d’une auréole incandescente

Alors que les senteurs florales cèdent la place

Aux odeurs des herbages et des bords de l’Eure.


 

Pont-de-l’Arche,

le jeudi 10 juillet

 

 

Aux abords de Bonport

 

Sur le chemin de l’abbaye,

C’est une ou deux lieues qu’il me faut parcourir

Accompagné par le destin de l’Eure

Qui rejoint doucement celui de la Seine à Martot.

 

Les murs silencieux de l’édifice religieux

Indiquent, par les divers parements qui l’habillent,

Le nombre de siècles qui, l’un après l’autre,

Se sont pris pour les vagues de l’océan,

Elles qui sont les magiciennes de l’érosion.

 

Ils marquent aussi la volonté des hommes

Qui ne veulent pas que le temps ait de prise

Sur leurs corps, leurs esprits ou, encore,

Sur l’expression matérielle de leurs rêves.

 

Cette belle journée d’été prolonge

Mon plaisir printanier à cela près

Que la chaleur a rejoint mon pas.

 

L’herbe, aux pointes sèches battues par la brise,

Abrite un monde dont l’écho traduit les rêves

D’une infinité d’insectes qui caricaturent

Les chanteuses d’oc : les cigales du midi.

 

D’ailleurs, ce sont peut-être ces doux sons

Que vont chercher les vacanciers qui défilent,

Non loin, sur l’autoroute de Normandie,

Cette grise entaille qui ne brise qu’à peine

La sérénité impavide de l’abbaye de Bonport,

Une lointaine filleule de Bernard de Clairvaux.

 

Et je me plais à imaginer, dans la voiture,

Les enfants assoupis, rêvant de plage et de glaces,

Lovés dans l’amour parental : ils sont

Une des sources intarissables du bonheur.

 

Le papillon, à l’imprévisible tracé,

Me rappelle que là, derrière le pré,

L’Eure s'était dérobée à ma conscience.

Elle revient à moi accompagnée,

Comme toute parcelle de savoir,

D’un autre vécu, littéraire celui-ci :

Cette expérience, toute Archépontaine,

Enrichit mon savoir lorsque je lus l’ouvrage

De Léon de Duranville, datant de 1856.

J’y appris que, jusqu’au XVIIIe siècle,

Une fête chrétienne perpétuait

Le rituel du paganisme en proposant aux fidèles

De communier par un bain dans la Seine,

Acte répandu dans de nombreuses contrées païennes.

Cette lointaine habitude de nos ancêtres

Me fait alors immédiatement penser

À l’arbre du Petit Saint-Ouen de Léry.

Ici encore le Christianisme fit perdurer

Ce qu’il condamnait encore au XIe siècle :

Le culte de la nature et des divinités plurielles

Qu’elle insuffle dans le cœur des hommes

Qui n’ont pas rompu leurs liens avec elle.

 

Mais reprenons une lecture plus onirique

Et prenons plaisir à imaginer que cette communion annuelle

Fut la commémoration de l’acte fondateur de l’abbaye :

La chute du duc de Normandie et roi d’Angleterre

Dans les eaux plus actives de la Seine d’alors.

La légende, encore vivace à Pont-de-l’Arche,

Dit que Richard Cœur de Lion, poursuivant une proie

Lors d’une chasse en forêt de Bord,

Tomba dans les eaux du fleuve et failli s’y noyer.

Or, le courant rapprocha le Lion de la berge

Ce qui le persuada d’une bienveillance divine.

Richard fit alors édifier l’abbaye qui consacra

Le "Bon port" du courant et ce à la fin du XIIe siècle.

Depuis lors l’abbaye accueillit les clercs et les laïcs

Jusqu’aux heures de la Révolution où les pierres de l’édifice,

Nées du labeur des humbles, passèrent des mains du privilège

Aux mains d’un autre privilège, monétaire celui-ci,

Et qui fit de Bonport le lieu d’une carrière.

Ainsi, les pierres du lieu furent vendues et éparpillées

Dans la région où, aujourd’hui,

On les trouve dans la Cour du Cerf,

À Pont-de-l’Arche, ou encore à l’entrée de la ferme,

À Sotteville-sous-le-Val, ou dans la rue d’Alizay.

 

L’image des austères bâtiments se traduit pour mon ouïe

Par des chants grégoriens d’une époque lointaine et

Qui donneraient aux murs une sagesse et une connaissance

Frustrante et magique… à cause de leur silence

Quand le regard se prend, aujourd’hui, à les interroger.

Mais je me vengerai dès ce soir car, si les siècles ont passé,

Les hommes laïcs d’aujourd’hui savent redonner de la vie et du charme

À ce site historique en proposant du théâtre aux influences italiennes

Et aux références grecque et française – Phèdre ou l’amour impossible –

Au sein du festival : l’été en Bord de Seine.

 

Mais je me regarde penser, tout d’un coup,

Et des ressemblances se dessinent sous mes yeux :

Les faits culturels, les faits historiques

Sont comme les faits personnels,

Les faits présents, les sentiments

Qu’ils soient amoureux ou amicaux,

Haineux ou dédaigneux, et encore

Comme les mots qui résonnent et

Qui encrent le papier…

Ils ont cela en commun

Qu’ils sont tous des expériences

Qui font la richesse de la vie

De celui qui en prend conscience

Et qui en ressort grandi

Par le savoir, la sagesse

Et le bonheur.

 

Ici s’arrête notre balade

Et ces moments solennels

Dont le privilège est la simplicité…

 

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8 juin 2014 7 08 /06 /juin /2014 19:23

Le moulin de la Couture, plus connu sous le nom de moulin de Tostes, a été inventorié par le service régional de conservation du patrimoine culturel (référence IA00018023). Celui-ci le date du XIVe siècle avec un point d’interrogation. Il a raison car aucune étude n’a encore posé la question sur cette propriété privée qui ne fait l’objet d’aucune protection. 

Le moulin de la Couture vue de l'ouest (route de Tostes à Montaure) (cliché Armand Launay, novembre 2013).

Le moulin de la Couture vue de l'ouest (route de Tostes à Montaure) (cliché Armand Launay, novembre 2013).

Repères historiques : une propriété de Bonport

La plus ancienne mention du moulin de la Couture se trouve dans le travail d'Etienne Deville qui a recueilli les manuscrits de l'ancienne abbaye de Bonport et publié leur contenu (voir les sources). A la page 24 du second fascicule, il résume un document rédigé par un moine ou un prieur : « Etat du revenu de l'abbaye de Bonport ordre de Cisteaux diocèse d'Evreux et ce commençant à la Saint Michel mil six cens six. » Parmi les bénéfices cités, Bonport possède des droits sur la « grande ferme » de la vallée de la Corbillière, le Camp des Ventes, Montore [sic], Blacquetuit, la Cramponnière et Tostes. A la page 25 est écrit que, parmi les propriétés tostaises, Bonport percevait des revenus sur le « moulin de Tostes » et, plus précisément sur Pierre le Bourgeois et Pierre Martin.

Ensuite, nous empruntons au précieux travail de Max Masson (voir les sources) qui a passé au crible les archives municipales de Tostes et dressé une liste de propriétaires du moulin de la Couture (tome 1, folios 74 et 75). Max Masson trouve trace du moulin vers 1670 où il est toujours une propriété bonportaise. La Couture, culture en normand, formait alors un hameau qui regroupa « jusqu'à sept masures ». Grâce aux archives d'état civil, Max Masson cite les meuniers tostais : Jean Auger (1707), Jean Pétel (1759), Jean Moreau (1771), François Longuemare (1796) et François Langlois (1801). Le moulin fut nationalisé ainsi que l'ensemble des propriétés de Bonport et revendu comme bien national à certain Quesney, fabricant à Elbeuf. C'est peut-être cet homme qui est honoré par une belle stèle dans le cimetière de Pont-de-l'Arche. Max Masson rapporte des souvenirs d'anciens du village de Tostes se rappelant avoir vu des débris d'ailes et « même une aile qui pendant encore au mécanisme du sommet, après avoir tourné longtemps aux grands vents venus de la mer... » Enfin l'auteur tostais rapporte une légende locale donnant aux moulins un rôle de surveillance militaire tant leur architecture massive rappelle des tours de guet.

1606 est donc, jusqu'à plus ample informé, la date la plus reculée concernant ce moulin et ce malgré une analyse attentive du Cartulaire de l'abbaye royale de Notre-Dame de Bonport dressé en 1862 par Jules Andrieux. En effet, dans cette importante somme de documents, l'entrée des terres tostaises dans le giron de Bonport n'est pas mentionnée. La mention la plus reculée date du 15 novembre 1456 où les moines rendent aveu de leurs biens en Normandie et en Ile-de-France. Parmi ces biens (page 405) « plusieurs terres labourables avec trois manoirs ou granches, nommées Tostes, Blacquetuit et la Corbeillerre. » Pas de référence à notre moulin donc. Pourtant celui-ci a nécessairement dû être bâti ou acquis par Bonport pour moudre les récoltes des importantes granges locales. Nous notons que, sans être à équidistance, la Couture forme un quatrième point entre Tostes, la Corbillière et Blacquetuit.

D’après le même cartulaire, il semble que Bonport n'acquit aucun terrain à Tostes au XIIIe siècle où les chartes sont nombreuses. Cependant, Jules Andrieux reproduit (page 159) une charte de février 1246 par laquelle Louis IX céda 100 acres en forêt de Bord aux moines de Bonport. Le roi accorda ces terres forestières en réparation de dommages antérieurs causés sur des terres cultivées : « ... pro restauratione dampnorum que sustinebant, ut dicibant, pro terris traditis ad culturam in forestis de Borz et de Aquosis, dedimus et concessimus in perpetuam centum acras terre, sitas in dicta foresta de Borz... » Qui plus est, Louis IX accorda de nouveaux droits aux moines sur un moulin de Pont-de-l’Arche. Ces terres de la forêt de Bord semblent avoir un lien fort avec la culture. Peut-être tenons-nous là une partie des terres de Tostes tombées dans la mouvance de Bonport.

En résumé, nous entrevoyons le début de la mainmise de Bonport sur Tostes et ses dépendances à partir du XIIIe siècle et officiellement au XVe siècle. En toute logique, ces nouvelles terres fertiles ont nécessité la présence d’un moulin pour moudre les récoltes.

Qui plus est, dans un article intitulé "Moulins seigneuriaux et moulins royaux en Normandie : marché de l'énergie et institution (XIIe-XVe siècles)" Mathieu Arnoux note (page 520) "deux épisodes de forte croissance économique" durant la période étudiée : les "XIe-XIIe siècles" et la "seconde moitié du XVe siècle".  Cette période serait donc propice à la construction de notre moulin.  

 

Description architecturale

Le moulin de la Couture a été bâti sur une motte de terre ; motte certainement amoindrie par la hausse naturelle du sol autour. Depuis qu'il est tombé en désuétude, le moulin a perdu sa toiture et ses pales. Aujourd'hui demeure le corps principal, de type moulin à tour cylindrique, réalisé en pierre calcaire locale et en silex. Deux larmiers séparent trois niveaux dont la circonférence diminue avec l'altitude. On peut parler d’architecture télescopique. Le premier niveau – la base de la tour – est légèrement évasé. Avec le deuxième niveau, il présente une décoration esthétique reposant sur une alternance d'assises en pierre de taille et en silex gris. Le troisième niveau est orné d'un damier de pierres de taille et de silex. Quelques ouvertures étroites ponctuent le corps du bâtiment. Elles devaient servir d’éclairage et d’aérations faciles à boucher en périodes de froid. Le moulin est percé de deux portes (Est et ouest) voutées en tiers-point selon les canons de l'architecture gothique. La toiture a entièrement disparu. Paul Hélot, dans un article intitulé « Document sur les moulins à vent de France » décrit la toiture des moulins à tour (page 18) : « la toiture seule est mobile, supportée par deux gros sommiers qui reposent à chacune de leur extrémité sur un rail circulaire surmontant l’arête du mur. Ils reposent sur ce rail par l’intermédiaire de galets en fonte, c’est en somme une plaque tournante montée sur le rail et qui sert de base à la charpente du toit. Cette charpente est munie d’une lucarne qui laisse passer l’arbre des ailes. On peut faire tourner toute cette toiture au moyen d’une queue que l’on pousse du sol ; elle est fixée à la charpente du côté opposé aux ailes. » On parle ainsi de moulin-tour à calotte tournante. Ainsi s’explique la présence de deux portes afin que l’on pénètre dans le moulin quelle que soit l’orientation de ses pales.

Paul Hélot précise que le moulin à tour à calotte tournante est un véritable donjon de pierre qui fit son apparition dans le nord de la France « que vers le XVe siècle ». Ses murs ont souvent « plus d’un mètre d’épaisseur, il y a presque toujours un rez-de-chaussée et un étage ». Une description allant parfaitement au moulin de la Couture.

Le moulin de la couture vu de l'Est (cliché Armand Launay, novembre 2013).

Le moulin de la couture vu de l'Est (cliché Armand Launay, novembre 2013).

Détail de la porte ouest (cliché Armand Launay, novembre 2013).

Détail de la porte ouest (cliché Armand Launay, novembre 2013).

Détail de l'appareillage du niveau supérieur de la tour du moulin (cliché Armand Launay, novembre 2013).

Détail de l'appareillage du niveau supérieur de la tour du moulin (cliché Armand Launay, novembre 2013).

Le moulin de la Couture est habité par au moins un personnage halloweenien (cliché Armand Launay, novembre 2013).

Le moulin de la Couture est habité par au moins un personnage halloweenien (cliché Armand Launay, novembre 2013).

Autre perspective sur la porte ouest et les reflets d'automne sur les moellons de silex (cliché Armand Launay, novembre 2013).

Autre perspective sur la porte ouest et les reflets d'automne sur les moellons de silex (cliché Armand Launay, novembre 2013).

Comparaisons architecturales

Les assises de notre moulin font penser à celles d'une tour d'angle de l'enceinte de l'abbaye de Bonport, réalisée toutefois avec du silex blanc. Une analyse dendrochronologique, c'est-à-dire portant sur l'ancienneté du bois, réalisée par Jean-Baptiste Vincent en 2016 nous apprend que cette tour date du milieu du XIIIe siècle. Jean-Baptiste Vincent expose ainsi que "cette datation dendrochronologique affine la typo-chronologie des constructions employant un appareillage mixte calcaire et silex, phénomène souvent daté au plus tôt du XIVe s., mais qui dans ce contexte apparaîtrait dès le milieu du XIIIe s. C’est ainsi les problématiques sur les politiques architecturales monastiques et les techniques de construction du Moyen Âge qui trouveront une réponse grâce à cette confirmation dendrochronologique."

Elles se rapprochent aussi de la technique utilisée pour le moulin d’Hauville (construit en 1258 par les moines de Jumièges et détruit en 1400 selon l'association du moulin) et le proche moulin de Beauregard à La Haye-Malherbe, daté du XVe siècle par la conservation régionale (référence IA00019331) avec un point d'interrogation. Ce moulin a fait l'objet d'une de nos études accessible en cliquant ici.  

Les assises d'une tour d'angle de l'enceinte de Bonport ressemblent à celle du moulin de la Couture, le silex n'étant pas noir mais blanc. Cette tour date du milieu du XIIIe siècle (cliché Armand Launay, 2012).

Les assises d'une tour d'angle de l'enceinte de Bonport ressemblent à celle du moulin de la Couture, le silex n'étant pas noir mais blanc. Cette tour date du milieu du XIIIe siècle (cliché Armand Launay, 2012).

Le moulin de Beauregard, à La Haye-Malherbe, est voisin de celui de la Couture. Hormis le garde-corps en brique (XIXe siècle) qui le couronne, il est en tous points semblable à celui de Tostes (cliché Armand Launay, novembre 2013).

Le moulin de Beauregard, à La Haye-Malherbe, est voisin de celui de la Couture. Hormis le garde-corps en brique (XIXe siècle) qui le couronne, il est en tous points semblable à celui de Tostes (cliché Armand Launay, novembre 2013).

En guise de conclusion

Le moulin de la Couture était une propriété de l’abbaye de Bonport au service des vastes terres mises en valeur par et pour les moines. Son architecture de moulin à tour cylindrique traduit une technologie arrivée dans le nord de la France vers le XVe siècle. Ce siècle nous a aussi laissé les plus anciennes chartes attestant la mainmise de Bonport sur Tostes (1456) et donc la nécessité, pour l’abbaye, de moudre le grain sur place. La seconde partie du XVe siècle étant une période de prospérité économique, nous sérions tentés de la retenir pour dater la construction du moulin de la Couture. Mais, vu les datations dendrochronologiques et les comparaisons avec la tour d'angle de Bonport et le moulin d'Hauville, le moulin de la Couture semble, par-delà les restaurations, dater du XIIIe siècle.

 

A lire aussi...

L'histoire de Tostes

La ferme de Blacquetuit

Sainte-Anne de Tostes

 

 

Sources

- Arnoux Mathieu, "Moulins seigneuriaux et moulins royaux en Normandie : marché de l'énergie et institution (XIIe-XVe siècles)", pages 505 à 520, Cavaciocchi Simonetta, Economia e energia (secc. XIII-XVIII), atti della "Trentaquattresima settimana di studi del'Instituto internazionale di storia economica "F. Datini "" 15-19 aprile 2002, Firenze, 2003 ;  

- Deville Etienne, Les Manuscrits de l'ancienne bibliothèque de l'abbaye de Bonport conservés à la Bibliothèque nationale et à la bibliothèque de Louviers, fascicule 2e, Paris, Honoré Champion, 1910, 36 pages ;

- Masson, Max, Histoire de Tostes par Tostes pour Tostes, 2 tomes, Tostes, mairie, 1986, 55 f. ;

- Hélot Paul, « Documents sur les moulins à vent de France », Nos vieux moulins, Société des amis des vieux moulins, Rouen, juillet 1933, 2e année, n° 1, 48 pages ;

-  Vincent, Jean-Baptiste, « Pont-de-l’Arche – Abbaye de Bonport : tour d’enceinte », ADLFI. Archéologie de la France - Informations [En ligne], Haute-Normandie, mis en ligne le 18 février 2016, consulté le 19 janvier 2020. URL : http://journals.openedition.org/adlfi/16653.

Deux cartes postales de la première décennie du XXe siècle. Sur la première se trouvent des vestiges de toiture. Deux cartes postales de la première décennie du XXe siècle. Sur la première se trouvent des vestiges de toiture.

Deux cartes postales de la première décennie du XXe siècle. Sur la première se trouvent des vestiges de toiture.

Armand Launay

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8 juin 2014 7 08 /06 /juin /2014 17:00

Près de Pont-de-l'Arche, dans l'Eure, se trouve la peu connue commune de Tostes (454 habitants, 5 hameaux). Il se trouve qu'en plus d'être charmante elle est riche en histoire et en patrimoine... 

La mairie de Tostes, construite en 1891, est le symbole républicain de la volonté d'autonomie des Tostais (cliché A. Launay, mai 2014).La mairie de Tostes, construite en 1891, est le symbole républicain de la volonté d'autonomie des Tostais (cliché A. Launay, mai 2014).

La mairie de Tostes, construite en 1891, est le symbole républicain de la volonté d'autonomie des Tostais (cliché A. Launay, mai 2014).

Une présence humaine préhistorique

Même en l’absence de rapport archéologique contemporain, il n’est pas difficile de constater la présence de l’Homme à Tostes durant la préhistoire et ce grâce à trois articles de Léon Coutil.

Le premier article, intitulé « Inventaire des menhirs et dolmens de France (département de l’Eure) », expose que « sur la limite de la forêt, entre Tostes et Saint-Pierre-lès-Elbeuf, au triage de la Cramponnière, se trouve un grès d'environ un mètre de hauteur, que l'on désigne sous le nom dePierre du Gain » (pages 108-109). Cela doit vraisemblablement être un mégalithe préceltique attestant la présence de l’Homme, voire sa sédentarisation.

Dans un article de 1893, « Résumé des recherches préhistoriques en Normandie (époque paléolithique) », Léon Coutil fait état d’une autre découverte : « Dans les champs, à la surface, M. Noury a recueilli une large hache plate taillée à grands éclats des deux côtés ; cette pièce, un peu triangulaire et à patine ocreuse, mesure environ 0m15. On peut la voir au musée d'Elbeuf, ainsi que des lames moustériennes trouvées dans les mêmes conditions, au même endroit » (page 66).

Dans un autre article, « Ateliers et stations humaines néolithiques du département de l’Eure » Léon Coutil écrivit que « Le Musée d'Elbeuf possède plusieurs belles haches trouvées à la Vallée, près Tôtes, au triage des Routis. Au triage des Treize-Livres, hache plate en silex rosé, trouvée en 1859 (Musée de Louviers)" (page 177).

 

Des traces gallo-romaines

La Carte archéologique de la Gaule, éditée par Dominique Cliquet, fait état (page 227) de fouilles réalisées entre 1894 et 1904 par Léon de Vesly et Victor Quesné. Celles-ci eurent lieu, en forêt, près de La Vallée. Elles ont restitué les bases d’un fanum (13 m de côté) à cella carrée (un sanctuaire) de 4,35 m de côté et entourée d’une galerie. Les murs de cette dernière étaient recouverts d’une couche de gypse rose et surmontés d’un portique. Plus de 60 monnaies ont été retrouvées sur les lieux allant du début du Ier siècle avant notre ère au IVe siècle : Tibère, Claude, Néron, Marc-Aurèle, Lucille, Dèce, Gallien, Salonine, Postume, Claude II, Tétricus I et II, Probus, Constance Chlore, Maximien Hercule et Daia, Constantin, Licinius, Crispus, Constantin II.

D’autres vestiges sont signalés par la carte d’état-major de l’IGN en forêt de Bord, près du carrefour des Quatre-bancs, entre La Couture et Louviers. La carte IGN les considère comme des restes de villa avec son puits. Nous n’avons pas trouvé de rapport de fouille sur ces vestiges situés aujourd’hui hors du périmètre administratif de Tostes.

Ces premiers éléments laissent entrevoir un habitat gallo-romain dispersé dans des friches d’une forêt de Bord aux contours différents de ceux que nous lui connaissons depuis le Moyen-Âge.

Les quelques éléments dont nous disposons montrent que, vraisemblablement, certaines villas ont été abandonnées et la nature a repris ses droits sous forme de forêt. C'est certainement ce qui a rendu possible leur conservation : les autres vestiges de villas ayant été arrasés par des siècles d'activité agricole.

Nous pensons que d'autres villas ont ponctué le rebord de plateau sur lequel Tostes a émergé ensuite. Les hameaux que nous connaissons de nos jours ont peut-être remplacé et recouvert de petites exploitations agricoles familales de l'Antiquité.

En effet, les emplacements les plus propices à l'activité humaine n'ont pas dû être abandonnés : résurgences de sources ou présence de nappes phréatiques importantes et non profondes, terres planes et ensoleillées, proximité de la forêt pour l'élevage d'animaux... A ce titre, les courbes de niveau de la carte d'état major montrent que la naissance du ravin de la vallée d'Incarville se situe près de la Fosse Caron, au-dessus de la ferme du Petit-Bonport (en face de la mairie). S'il y a un ravin, c'est qu'il y a eu un ravinement et donc de l'eau. Quand cette eau a-t-elle cessé de couler ? Nous l'ignorons mais il paraitrait logique que la Ferme du Petit-Bonport ait été bâtie à côté d'une source et, autour d'elle, le hameau de Tostes.  

Il y a certainement eu un mouvement de bocagisation autour des habitats des cinq hameaux (voire plus). Ce paysage était quelque peu différent de celui d'aujourd'hui : des champs ouverts dévolus à la production intensive, saufs autour des habitations et de quelques lisières de forêt.  

La carte d'état major IGN indique des "vestiges Gallo-romains" et un "Puits romain" près du carrefour des Quatre-bancs. Le deuxième extrait de carte montre la naissance du ravin de la vallée d'Incarville, à deux pas de la ferme du Petit-Bonport certainement installée ici en raison de la résurgence d'eau. La carte d'état major IGN indique des "vestiges Gallo-romains" et un "Puits romain" près du carrefour des Quatre-bancs. Le deuxième extrait de carte montre la naissance du ravin de la vallée d'Incarville, à deux pas de la ferme du Petit-Bonport certainement installée ici en raison de la résurgence d'eau.

La carte d'état major IGN indique des "vestiges Gallo-romains" et un "Puits romain" près du carrefour des Quatre-bancs. Le deuxième extrait de carte montre la naissance du ravin de la vallée d'Incarville, à deux pas de la ferme du Petit-Bonport certainement installée ici en raison de la résurgence d'eau.

Un lieu-dit Tostes attesté en 1130

Le nom de Tostes existait bien avant que le village ne soit constitué en paroisse en 1687. En 1130, le grand rôle de l’Echiquier de Normandie cita des droits à percevoir en forêt de Bord et à Tostes « … et de 4 lib. 14 sol. de pasnagio foreste de Bort. In thesauro 74 sol. In suo superplus veteris anni de compoto suo de vadio Petri de Bures in Tostes 100 sol. et quiebus est. » (Léopold Delisle, Mémoires de la Société des antiquaires de Normandie, page 29, membrane 8). Difficile de douter qu'il s'agisse de l'emplacement du chef-lieu de commune que nous connaissons aujourd'hui et qui a dû, selon notre thèse exposée plus haut, être construt autour de la ferme dite du Petit-Bonport.

 

Un nom sorti de la clairière ?

Louis-Etienne Charpillon et Anatole Caresme ont écrit que le nom de Tostes provient du scandinave « topt », signifiant village. Cette hypothèse est séduisante car le plateau du Neubourg est ponctué de toponymes scandinaves : Surtauville, Limbeuf, Daubeuf, Ecquetot et le très proche Blacquetuit dans la commune de Montaure… Une autre hypothèse est soulevée par Auguste Le Prévost (voir Léopold Delisle et Louis Passy) : Tostes viendrait du participe passé latin « tostus » du verbe « torrere », bruler. Les « tostes » anciennes de la forêt de Bord seraient donc nos « brulis » actuels, c’est-à-dire des terres forestières ou herbagères brulées afin de les rendre plus propres à l’agriculture. Une trace de ces pratiques demeure sur le territoire de Criquebeuf-sur-Seine où une parcelle de forêt est nommée Les Brûlins (près du Bosc-hêtrel).

 

Sainte-Anne, déjà patronne en 1174

Dans le Dictionnaire des anciens noms de lieux du département de l'Eure, Auguste Le Prévost cite une charte d'Henri II, datée de 1174, qui mentionne sainte Anne comme patronne de Tostes. C'est toujours sous ce vocable qu'est connue l'église paroissiale. Le lieudit dépendait du chapitre de la cathédrale de Chartres. Après tout, le confluent de la Seine et de l'Eure, rivière de Chartres, n'était pas loin : Les Damps. Comment la cathédrale de Chartres avait-elle été possessionnée à Tostes ? Edouard Jore, auteur de « La chasse en forêt de Bord » (page 14), nous fournit des éléments d'explication par un document constituant la plus ancienne référence du nom « Bord » : « il s’agit d’une charte du 11e jour des calendes d’octobre de l’an 1014, par laquelle Richard II, dit « le Bon Duc de Normandie » pour réparer les dommages que son armée avait causés aux possessions de la Cathédrale de Chartres, fait don à cette Basilique notamment de Vraiville entre Louviers et Elbeuf avec la dîme de la chasse dans la forêt appelée Bord ». Il s'agit d'une conséquence indirecte des incursions scandinaves donc et il semble que le lien avec Tostes soit fait par la forêt de Bord.

"Plan, figure et arpentage général de la terre de Toste appartenant à Messieurs les Abbé et religieux de Notre-Dame de Bomport" par Jacques Longuet, arpenteur ordinaire du roi, en 1694 (Gallica, Bibliothèque nationale de France).

"Plan, figure et arpentage général de la terre de Toste appartenant à Messieurs les Abbé et religieux de Notre-Dame de Bomport" par Jacques Longuet, arpenteur ordinaire du roi, en 1694 (Gallica, Bibliothèque nationale de France).

Tostes est née d'une clairière et n'en est pas tout à fait sortie ce qui renforce le caractère agréable de cette commune (photo Armand Launay, 2011).

Tostes est née d'une clairière et n'en est pas tout à fait sortie ce qui renforce le caractère agréable de cette commune (photo Armand Launay, 2011).

Des terres dans la mouvance de Bonport

Richard Cœur de Lion, roi d’Angleterre et duc de Normandie, et Philippe Auguste, roi de France, ont fondé l’abbaye de Bonport en 1190. Ils dotèrent cet établissement de nombreuses terres en forêt de Bord, aux alentours, et le long de la Seine. Cependant le cartulaire de Bonport, tel que compilé, commenté et partiellement reproduit par Jules Andrieux, reste muet sur l’entrée de terres tostaises dans le domaine de l’abbaye. Le cartulaire mentionne pour la première fois Tostes le 15 novembre 1456 où les moines rendent aveu de leurs biens en Normandie et en Ile-de-France. Parmi ces biens (page 405) « plusieurs terres labourables avec trois manoirs ou granches, nommées Tostes, Blacquetuit et la Corbeillerre. » La grange de Tostes doit assurément être la ferme qui jouxte aujourd’hui l’église Sainte-Anne. Selon Max Masson, à la Révolution elle était exploitée par la famille Mouchard (voir plus bas) et était connue sous le nom de ferme du « Petit Bonport » (folio 4, tome I). Celle-ci côtoie une ancienne grange – très remaniée – qui semble avoir remplacé la grange dimière bonportaise de Tostes, à deux pas de l’église.

 

1687 : Bonport érige Tostes en paroisse

Les notes d’Auguste Le Prévost (page 286) citent un document important dans l’histoire de Tostes : « En 1687, les moines de Bonport exposèrent à l’évêque d’Evreux qu’ils possédaient mille acres de terre, tant de labour que de bois, situées dans la forêt du Pont-de-l’Arche, autrement dite la forêt de Bord ; qu’au milieu de ces terres s’élevaient cinq villages : Tostes, Blasquemesnil [sic], la Corbillière, la Cramponnière et Treize-livres, et que ces cinq villages comprenaient environ trois cents habitants : que depuis 1680, l’abbaye de Bonport avait fait élever une chapelle à Tostes, et qu’il était urgent de transformer cette chapelle en paroisse. La paroisse ne fut érigée que le 14 janvier 1687 à la demande de Louis Colbert, abbé de Bonport, par décret de l’évêque d’Evreux. » L’on mesure la mainmise de Bonport sur les terres situées autour de la forêt de Bord.

Louis Colbert, fils de Jean-Baptiste Colbert, bras droit du roi, avait un pouvoir certain. Il parvint à faire reconnaitre la nouvelle paroisse de Sainte-Anne de Tostes, composée de terres prises sur Montaure (dont la ferme de Blacquetuit qui revint en définitive à Montaure en 1791)… Il rattacha la paroisse de Tostes au domaine de son abbaye, ce qui lui fit gagner près de 300 hectares de bois et 300 hectares de terre. L’intérêt de cette affaire était de récupérer, en plus, le dixième des récoltes grâce à l’impôt de l’Eglise qu’était la dime.

L’autre partie des terres, boisée, était elle aussi essentielle. Outre la fabrication des outils et des locaux abbatiaux, les moines pouvaient se chauffer, cuisiner et vendre le bois coupé. Ils pouvaient de même faire glaner les porcs. En revanche, leurs bois étaient évidemment à la merci des habitants les plus démunis, ou avides, de la région. C’est ce qui fit que les moines mandatèrent des hommes à la surveillance de la propriété… Une famille de Tostes était missionnée pour cela : les Mouchard (Max Masson, folio 37, tome I). Leur ferme était située près de l’église et était appelée « Le petit Bonport » (Max Masson, folio 4, tome I). Leur nom de famille doit venir du surnom « mouchard » puisqu’ils révélaient aux moines les noms des auteurs de délits. Ceux-ci devaient les transmettre aux autorités de la Maitrise des eaux et forêts de Pont-de-l’Arche.

L'église Sainte-Anne est contemporaine de l'érection de Tostes en paroisse par l'abbaye de Bonport en 1687 (cliché Armand Launay, mai 2014).L'église Sainte-Anne est contemporaine de l'érection de Tostes en paroisse par l'abbaye de Bonport en 1687 (cliché Armand Launay, mai 2014).

L'église Sainte-Anne est contemporaine de l'érection de Tostes en paroisse par l'abbaye de Bonport en 1687 (cliché Armand Launay, mai 2014).

La ferme de La Corbillière, à La Vallée, est un des plus beaux éléments du patrimoine bâti de Tostes. Son logis semble dater du XVe siècle, avec des ajouts et remaniements de la fin du XIXe siècle. Un étage carré plus un étage de comble. Escalier dans l’œuvre. Référence Mérimée : IA00018024. Il est jouxté par une grange, en ruine, du XVIIe siècle (photo A. Launay, avril 2014).

La ferme de La Corbillière, à La Vallée, est un des plus beaux éléments du patrimoine bâti de Tostes. Son logis semble dater du XVe siècle, avec des ajouts et remaniements de la fin du XIXe siècle. Un étage carré plus un étage de comble. Escalier dans l’œuvre. Référence Mérimée : IA00018024. Il est jouxté par une grange, en ruine, du XVIIe siècle (photo A. Launay, avril 2014).

La Révolution confirme l’autonomie de Tostes

La Révolution émancipa Tostes des moines de Bonport car l’abbaye fut fermée en 1790. Cela posa toutefois la question du maintien de cette commune. Grâce à la mobilisation des habitants, Tostes et ses fermes furent érigées en commune en 1790 à l’exception de la ferme de Blacquetuit qui revint à la commune de Montaure étant donnée, peut-être, sa proximité avec ce bourg (Max Masson, folio 54, tome I). Le hameau de Tostes fût-il érigé en commune s’il n’avait pas auparavant été constitué en paroisse ? On peut en douter quand on considère qu’Ecrosville, un hameau presque aussi peuplé que le bourg de Montaure, a été rattaché à la commune de Montaure. Quelque part, l’intervention de Bonport a laissé des traces dans le découpage administratif local ; d’où cette étrangeté administrative répartissant les maisons de La Vallée – un hameau aussi grand que Tostes – dans trois communes (Tostes, Montaure et La Haye-Malherbe).

Cette étrangeté administrative a été résorbée par la fusion des communes de Tostes et Montaure qui se nomment, depuis le 1er janvier 2017 "Terres de Bord". 

 

Un appréciable patrimoine ancien

Pour une commune peu habitée (412 habitants en 2012 selon l’INSEE), Tostes possède un beau patrimoine architectural parmi lequel se trouve la tour d’un moulin à vent, présumée du XVe siècle, une ferme nommée La Corbillière dont les parties les plus anciennes sont datées du XVe siècle par la conservation régionale des Monuments historiques, plusieurs corps de ferme du XVIIe siècle et une église rurale de la fin du XVIIe siècle.

 

 

Tostes possède un beau patrimoine ancien dont la tour d'un moulin du XVe siècle (propriété privée) (cliché Armand Launay, aout 2013).

Tostes possède un beau patrimoine ancien dont la tour d'un moulin du XVe siècle (propriété privée) (cliché Armand Launay, aout 2013).

Sources

- Andrieux Jules, Cartulaire de l'abbaye royale de Notre-Dame de Bon-Port de l'ordre de Citeaux au diocèse d'Evreux, Evreux, Auguste Hérissey, 1862, 434 pages ;

- Charpillon Louis-Etienne, Caresme Anatole, Dictionnaire historique de toutes les communes du département de l’Eure, Les Andelys, Delcroix, 1868, pages 922 et 923 ;

- Cliquet Dominique, Carte archéologique de la Gaule : l’Eure 27, Paris, ministère de la culture, 1993, 285 pages ;

- Coutil Léon, « Résumé des recherches préhistoriques en Normandie (époque paléolithique) », pages 34 à 142, Collectif, Bulletin de la Société normande d'études préhistoriques, Société normande d'études préhistoriques et historiques, Louviers, imprimerie Eugène Izambert, tome I, année 1893, 1894, 151 pages ;

- Coutil Léon, « Inventaire des menhirs et dolmens de France (département de l’Eure) », pages 36 à 122, Collectif, Bulletin de la Société normande d'études préhistoriques, Société normande d'études préhistoriques et historiques, Louviers, imprimerie Eugène Izambert, tome IV, année 1896, 1897, 222 pages ;

- Coutil Léon, « Ateliers et stations humaines néolithiques du département de l’Eure », pages 123 à 211, Collectif, Bulletin de la Société normande d'études préhistoriques, Société normande d'études préhistoriques et historiques, Louviers, imprimerie Eugène Izambert, tome IV, année 1896, 1897, 222 pages ;

- Delisle Léopold (publié par), « Cartulaire normand de Philippe Auguste, Louis VIII, Saint-Louis et Philippe le Hardi », Mémoire de la Société des antiquaires de Normandie, 6e volume, XVIe volume de la collection, Caen, 1852, 390 pages ;

- Delisle Léopold, Passy Louis (publié par), Mémoires et notes de M. Auguste Le Prévost pour servir à l’histoire du département de l’Eure, tome III, Évreux, Auguste Hérissey, 1864, article « Tostes », page 286 ;

- Deville Étienne, Les Manuscrits de l’ancienne bibliothèque de l’abbaye de Bonport conservés à la bibliothèque nationale et à la bibliothèque de Louviers, fascicule 2, Paris : H. Champion, 1910, 36 pages ;

- Jore Edouard, « La chasse en forêt de Bord avant 1789 », pages 14 à 18, Bulletin de la Société d’études diverses de l’arrondissement de Louviers, tome XVII, années 1923-1924, 134 pages ;

- Le Prévost Auguste, Dictionnaire des anciens noms de lieux du département de l'Eure, Evreux, typographie d’Ancelle fils, 1839, 297 pages, références pages 270 et 271 ;

- Masson Max, Histoire de Tostes par Tostes pour Tostes, 2 tomes, édité par la mairie de Tostes, 1986, 82 et 108 folios ;

- Anonyme, Wikipédia, article Tostes, excellemment alimenté avec sources à l’appui.

 

 

 

A lire aussi...

L'ancienne ferme de Blacquetuit (Montaure)

Aux origines de Montaure et de son nom

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18 décembre 2013 3 18 /12 /décembre /2013 11:45

« … la forêt de Bord n’est rien d’autre que celle du Pont-de-l’Arche. »

 

Eustache-Hyacinthe Langlois, La Croix-Sablier, page 308.

 

 

La forêt de Bord-Louviers est un beau massif de 45 km² situé dans la vallée de la Seine, dans l’Eure. Elle se prête aux loisirs, aux rêveries et aux questions historiques. Cet article dresse un petit panorama de richesses offertes aux curieux…

Le hêtre Tabouel, une des figures tutélaires de la forêt de Bord (cliché Armand Launay, 2011).

Le hêtre Tabouel, une des figures tutélaires de la forêt de Bord (cliché Armand Launay, 2011).

Des origines au Moyen Âge…

Un coup d’œil sur une carte ou une vue satellitaire de la vallée de la Seine montre que la dénivellation a joué un rôle non négligeable dans la préservation de surfaces boisées, lointaines héritières de la grande forêt couvrant l’Europe au néolithique. Si la forêt de Bord n’est plus un espace naturel sauvage, elle constitue néanmoins le poumon vert de la boucle de Louviers où l’Eure et la Seine se rapprochent peu à peu avant leurs fiançailles à Pont-de-l’Arche et leur union à Martot. Elle se trouve à l’extrémité nord-Est du plateau du Neubourg.

 

L’arrivée de l’Homme…

Comme nous l’avons écrit dans un article consacré à Tostes, les traces de l’Homme en forêt de Bord remontent au néolithique. C’est ce que l’on peut lire dans l’ouvrage dirigé par Bernard Bodinier, L’Eure de la préhistoire à nos jours, qui fait état (pages 33 et 40) de poignards du Grand-Pressigny retrouvés en « forêt de Pont-de-l'Arche » et conservés au Musée des Antiquités de Rouen. Il localise aussi à Pont-de-l’Arche (page 41) une épée à lame pistilliforme du bronze final II (page 42) et des pointes de lance d'influence britannique du bronze final III (page 43). On peut cependant penser que l’Homme a commencé à exploiter la forêt auparavant car Léry et la boucle de Seine qui l’entoure était déjà habités dès 5 000 ans avant notre ère.

Léon Coutil écrivit dans « Ateliers et stations humaines néolithiques du département de l’Eure » que « Le Musée d'Elbeuf possède plusieurs belles haches trouvées à la Vallée, près Tôtes, au triage des Routis. Au triage des Treize-Livres, hache plate en silex rosé, trouvée en 1859 (Musée de Louviers) » (page 177).

Dans un autre article de 1893, « Résumé des recherches préhistoriques en Normandie (époque paléolithique) », Léon Coutil a fait état d’une autre découverte : « Dans les champs, à la surface, M. Noury a recueilli une large hache plate taillée à grands éclats des deux côtés ; cette pièce, un peu triangulaire et à patine ocreuse, mesure environ 0m15. On peut la voir au musée d'Elbeuf, ainsi que des lames moustériennes trouvées dans les mêmes conditions, au même endroit » (page 66).

Dans un article intitulé « Inventaire des menhirs et dolmens de France (département de l’Eure) » le même Léon Coutil expose que « sur la limite de la forêt, entre Tostes et Saint-Pierre-lès-Elbeuf, au triage de la Cramponnière, se trouve un grès d'environ un mètre de hauteur, que l'on désigne sous le nom de : Pierre du Gain » (pages 108-109). Ce monument désormais disparu doit vraisemblablement être un mégalithe préceltique attestant la présence de l’Homme, voire sa sédentarisation.

 

Des traces gallo-romaines

La Carte archéologique de la Gaule, éditée par Dominique Cliquet, fait état (page 227) de fouilles réalisées entre 1894 et 1904 par Léon de Vesly et Victor Quesné. Celles-ci eurent lieu à la Butte des Buis, en forêt, près de La Vallée. Elles ont restitué les bases d’un fanum (13 m de côté) à cella carrée (un sanctuaire) de 4,35 m de côté entourée d’une galerie. Les murs de cette dernière étaient recouverts d’une couche de gypse rose et surmontés d’un portique. Plus de 60 monnaies ont été retrouvées sur les lieux allant du début du Ier siècle avant notre ère au IVe siècle : Tibère, Claude, Néron, Marc-Aurèle, Lucille, Dèce, Gallien, Salonine, Postume, Claude II, Tétricus I et II, Probus, Constance Chlore, Maximien Hercule et Daia, Constantin, Licinius, Crispus, Constantin II.

D’autres vestiges sont signalés par la carte d’état-major de l’IGN en forêt de Bord, près du carrefour des Quatre-bancs, entre La Couture et Louviers. La carte IGN les considère comme des restes de villa avec son puits. Nous n’avons pas trouvé de rapport de fouille sur ces vestiges situées aujourd’hui dans le périmètre administratif de Louviers.

 

Les défrichements entre l’Antiquité et le Moyen Âge

Les éléments archéologiques laissent entrevoir un habitat gallo-romain dispersé dans des friches au sein d’une forêt de Bord aux contours différents de ceux que nous lui connaissons depuis le Moyen Âge. Au Moyen Âge, certaines clairières étaient refermées alors que d’autres avaient donné naissance à La Haye-Malherbe, Montaure et Tostes.

 

Bord : un nom mystérieux

C’est Edouard Jore, auteur de « La chasse en forêt de Bord », qui nous fournit (page 14) la plus ancienne référence du nom « Bord » : « il s’agit d’une charte du 11e jour des calendes d’octobre de l’an 1014, par laquelle Richard II, dit « le Bon Duc de Normandie » pour réparer les dommages que son armée avait causés aux possessions de la Cathédrale de Chartres, fait don à cette Basilique notamment de Vraiville entre Louviers et Elbeuf avec la dîme de la chasse dans la forêt appelée Bord ». Wikipédia, sans citer ses sources, donne le mot « Bortis » désignant en latin médiéval la forêt de Bord. Cette même encyclopédie avance que ce mot dériverait du celtique borto « ayant un sens forestier ».

En 1130, le grand rôle de l’Echiquier de Normandie cite notre forêt « … et de 4 lib. 14 sol. de pasnagio foreste de Bort ». » (Léopold Delisle, Mémoires de la Société des antiquaires de Normandie, page 29, membrane 8).

Par ailleurs, Léopold Delisle cite des chartes royales présentes dans le cartulaire de Bonport sous Louis IX. En aout 1256, la forêt qui nous intéresse est nommée « in foresta nostra Bortis » (page 105, charte n° 567). En mars 1256 ou 1257, elle devient « foresta Bordi » (page 107, charte n° 574). En avril 1257, elle est nommée « in foresta silicet de Borz » (page 107, charte n° 578). Notons que les moines de Bonport, habitant à l’orée de la forêt et y étant bien possessionnés, étaient parmi les mieux placés pour connaitre ce massif.

Que ce soit Bort ou Bord, il semble que la dernière lettre reste muette. Nous conservons la forme « Bor » comme nom de la forêt. Si le terme de Bort a été identifié, il est difficile de lui donner un sens précis. Nous avons voulu connaitre l’origine des toponymes lui ressemblant. Ainsi, selon Stéphane Gendron, auteur de L’origine des noms de lieux en France, le toponyme germanique « borde » désignait une cabane, une maisonnette, une métairie. Il serait issu du francique « bort », désignant une planche, qui a donné le latin tardif « borda », cabane (page 146). Cependant, à la page 188, le même auteur avance que Bort-les-Orgues (Corrèze) est construit sur le mot prélatin « borna » signifiant « source », « trou ».

Quant à Ernest Nègre, auteur de Toponymie générale de la France, il cite deux formes anciennes de Bort-les-Orgues : « boort » datée de 944 et « bort » datée de 1315. Selon lui, ce toponyme est à rapprocher des mots gaulois « borduo » qui désigne la corneille et « ritum », le gué. Le « Gué de la corneille » est l’étymologie que l’auteur donne aussi à Bourth, dans l’Eure, écrit « boort » en 1131.

Nous n’avons pas d’éléments probants pour expliquer le sens du nom de la forêt de Bord.

 

Une forêt du pouvoir central

 

Propriété du pouvoir depuis le haut Moyen Âge

Si la forêt de Bord n’est pas explicitement mentionnée dans les archives antérieures au XIe siècle, trois sites qui l’entourent ont fait partie du domaine royal, appelé le fisc. C’est ce que note Lucien Musset (page 23) : « Parmi les fiscs, certains paraissent avoir fait, de toute antiquité, partie du patrimoine du souverain ; ce sont les grands axes de la vallée de la Seine, groupés autour des résidences royales : Arelaunum, en forêt de Brotonne ; Gemmeticum, Jumièges ; Pistae, Pitres ; Veteres Domus qui est sans doute Louviers ; Rotoialum, Le Vaudreuil, ce dernier même remonte peut-être à l’époque gallo-romaine... » L’historien se fonde (page 25) sur la lecture de Grégoire de Tours qui cite la villa royale de Rotoialum en 584. Lucien Musset détaille (page 24) les fiscs et y insère les communes actuelles de Pont-de-l’Arche, Léry, Pinterville et, pour le fisc du Vaudreuil, « un secteur de la forêt de Bord (dans laquelle le fisc de Veteres Domus devait aussi comporter des dépendances). » Enfin, Lucien Musset écrit aussi (page 50) que « Les ducs Normands ont hérité des domaines Carolingiens [avec] régularité ».

 

Une « forêt de Louviers » ?

Autre preuve que la forêt de Bord était une propriété du pouvoir, l’échange réalisé par Richard Cœur de Lion le 16 octobre 1197. Celui-ci donna à l’archevêché de Rouen la forêt de Bord proche de Louviers contre la ville des Andelys où le monarque construisait le Château-Gaillard. Ainsi naquit une « forêt de Louviers ». Le 2 novembre 1789, la forêt de Bord fut incorporée au domaine de l’Etat. La forêt de Louviers fut nationalisée en tant que bien religieux. Ce n’est qu’en 1983 que ces deux domaines furent réunis en une seule entité administrative : la forêt de Bord-Louviers. Preuve ultime que la forêt de Bord était un fief direct du roi, l’installation d’une administration contrôlant ce bien au nom du roi… à Pont-de-l’Arche.

Le siège de la Maitrise des eaux et forêt de Pont-de-l'Arche vu depuis le premier étage du bailliage (cliché Armand Launay, 2013).

Le siège de la Maitrise des eaux et forêt de Pont-de-l'Arche vu depuis le premier étage du bailliage (cliché Armand Launay, 2013).

La maitrise des eaux et forêts

Les forêts comptent parmi les ressources nécessaires au maintien d’un pouvoir. Cependant, les posséder ne suffit pas ; il faut contrôler l’usage qui en est fait. C’est pourquoi, dès que les archives le permettent, on voit apparaitre des gardes en charge de la forêt. Louis-Etienne Charpillon et Anatole Caresme citent une charte de 1327 mentionnant « Jean de Commeny, Jean de Vilaines, Jean de Guinemaut et Gaufroy Le Grieu » comme « gardes en la forêt de Bord ».

Puis nous utilisons les travaux de Pascal Le Berre, auteur de Délinquants et forestiers dans les bois du Roi, qui a retracé la mise en place et la vie d’une administration régissant les eaux et forêts. Police et tribunal, le corps des Eaux et forêts fut mis en place par Philippe IV Le Bel (1291) et surtout par l’ordonnance de Brunoy signée par Philippe VI de Valois en 1346. Ce corps hérita de la compétence judiciaire détenue jusqu’alors par le bailli. Louis-Etienne Charpillon et Anatole Caresme nous apprennent que « Le roi d’Angleterre étant à Pont-de-l’Arche, en 1418, donna l’office de verdier de la forêt de Bord, à Etienne Louvel, et nomma sergents de cette même forêt, Robin Le Tailleur, Jean Aubrée, Thomas Foucault et Simon de Daubeuf. » Le roi d’Angleterre a maintenu l’organisation hiérarchique autour du verdier et de ses adjoints, les sergents, en charge de secteurs particuliers de la forêt.

L’administration se précisa encore. A partir de 1555, les maitrises des eaux et forêts furent créées dans le royaume afin de contrôler, surveiller et juger en première instance des délits liés à l’exploitation des bois, de la chasse et de la pêche. Une maitrise fut créée à Pont-de-l'Arche. Sa juridiction, différente de celle du bailliage, comprenait les forêts de Bord, de Longboël et de Louviers. Elle incluait aussi les bois seigneuriaux et ecclésiastiques, ces propriétaires assurant eux-mêmes le contrôle de leurs propriétés. La maitrise de Pont-de-l’Arche dépendait de la Grande maitrise de Rouen (seconde instance), elle-même dépendante de la Table de marbre du Parlement de Normandie. Au XVIIIe siècle, les forêts de la Grande maitrise de Rouen étaient les plus rémunératrices du royaume. Cependant, Pont-de-l’Arche faisait partie des petites maitrises de la généralité de Rouen. En 1573, les offices forestiers furent institués et on lit qu'en 1613 « Jean Le Tellier, sieur des Hauguettes, était maître particulier aux Eaux et Forêts de Pont-de-l’Arche ; Louis de la Faye était lieutenant » (Louis-Etienne Charpillon et Anatole Caresme).

Pascal Le Berre détaille la profession d’officier des eaux et forêts : « Lors du décès de l’officier, il n’y a que quelques semaines de vacances le temps que la famille lui trouve un successeur et que celui-ci règle les formalités administratives. Les acquéreurs des charges ont quasiment tous moins de trente ans. Cette activité est, le plus souvent, la principale et la seule activité professionnelle de ces hommes. C’est une profession qui détermine non seulement l’individu mais aussi sa famille. L’hérédité est très fréquente. Presque tous sont des avocats, à la base. Leur métier est moins celui de forestier que de juriste. Ils font partie d’une élite locale bien enracinée ».

Les greffiers sont nos secrétaires actuels (tenue des archives et traitement des courriers) mais de luxe. C’est une bonne charge. Un commis accompagne souvent le greffier. Tout en apprenant le travail il accumule un pécule qui lui permettra d’acheter la charge à la mort du titulaire, assurant ainsi la pérennité de l’emploi et de sa qualité.

Les huissiers-audienciers sont censés transmettre les documents issus du greffe. Ils étaient trois à Pont-de-l'Arche avant 1690 et deux après. Ils pallient souvent le manque de gardes. Ce sont des personnages secondaires qui évoluent dans le même univers socioculturel.

Pascal Le Berre détaille un autre personnage : « A la fin du règne de Louis XIV encore, les gardes généraux-collecteurs des amendes de la maîtrise (…), de simples gardes, font plutôt figure d’aventuriers peu scrupuleux. La perception des amendes est leur principal gagne-pain et il leur faut parfois arracher les deniers de haute lutte ». Puis, vers 1750, son profil change. Il est un bourgeois rouennais ou archépontain respecté. La collecte gagne en importance. Les gardes forestiers de la maitrise devinrent plus nombreux : de 7 en 1685 à 17 en 1785. Cela fit suite à une longue période de stagnation des effectifs. Précaires car nommés par le Grand Maitre, les gardes ont souvent comme activité le travail de la terre ou l’élevage et passent pour être parmi les premiers à enfreindre les lois quant aux nombre d’animaux emmenés dans les bois. C’est une fonction très peu populaire qui attire, en conséquence, des personnes très pauvres. Ce travail peu rémunérateur en soi a favorisé la débrouille en défendant un peu moins la cause du roi. Leurs conditions de vie vont de l’aisance à la pauvreté.

Pascal Le Berre a constaté que 4 à 500 amendes étaient données chaque année, en moyenne, dans le ressort de la maitrise. Le montant variait de 4 à 6 livres en moyenne.

 

Répartition des délits dans la forêt de Bord en 1716 et en 1786 (Pascal le Berre)

 17161786
Vol de bois97 %92,8 %
Pâturage illégal3 %7,2 %

Les animaux concernés en 1716 : 562 ; en 1786 : 386.

 

Les gardiens de bétail en 1786 sont de jeunes garçons (50,5 %), de jeunes filles (10,6 %), des domestiques (23 %) et des femmes (3,5 %). Pour l’essentiel, les animaux concernés sont des bovins. La rareté des porcs peut s’expliquer par la règlementation de la glandée. Les propriétaires déclarent leurs bêtes à la Maitrise qui, à l’automne, orchestre la paisson.

 

Répartition des essences faisant l’objet de délit dans la forêt de Bord en 1716 et 1786 (Pascal Le Berre)

Essences17161786
Chêne46,7 %13,6 %
Hêtre29 %38 %
Bouleau14,2 %36,8 %
Tremble6,9 %10,4 %
Autres3,2 %1,2 %

 

L’auteur précise que ces délits reflètent moins un changement de gout qu’une évolution des essences. La délinquance est souvent le fait d’une personne, voire deux. C’est une délinquance familiale. En 1716, elle impliquait 75,6 % d’hommes et 2,7 % de valets et de servantes En 1786, elle concernait 84,1 % d’hommes et 3,9 % de valets et de servantes.

 

 

Paroisses d’origine des auteurs de délits en forêt de Bord en 1716 (Pascal le Berre, page 135)

ParoissesNombre de feux en 1716Foyers délinquants
Romilly7548 (64 %)
Pont-de-l'Arche273151 (55,3 %)
Les Damps6631 (47 %)
La Neuville274112 (41,1 %)
Saint-Cyr-du-Vaudreuil12448 (38,7 %)
Notre-Dame-du-Vaudreuil11644 (37,9 %)
Pont-Saint-Pierre8330 (36,1 %)
Léry20167 (33,3 %)
Incarville4512 (26,6 %)
Criquebeuf14635 (24,5 %)
Martot398 (20,5 %)
Montaure16026 (16,3 %)
Pîtres14823 (15,5 %)
La Haye-Malherbe15620 (12,8 %)
Caudebec40048 (12 %)
Tostes534 (7,5 %)
Saint-Etienne-du-Vauvray604 (6,6 %)
Louviers95718 (1,9 %)


En 1790, dans un contexte de pillage généralisé, l’Assemblée constituante confia les attributions judiciaires des maitrises des Eaux et forêts aux tribunaux de district.

 

La cartographie : un outil du pouvoir

Louis-Etienne Charpillon et Anatole Caresme ont noté que « Vers 1508, le procureur du roi de Pont-de-l’Arche fit dresser une nouvelle carte de la forêt de Bord ». Ce document a, semble-t-il, disparu. Il témoigne de la volonté du pouvoir d’organiser le contrôle et l’exploitation forestière. La Bibliothèque nationale de France a numérisé une partie de ses collections (base Gallica) où figurent à ce jour trois cartes de la forêt de Bord. Nous les reproduisons ci-dessous. Les deux premiers documents semblent dater du XVIIe siècle et sont peu ou prou intitulés « Forêt de Bord de la maîtrise du Pont-de-l'Arche ». Mesurant 39 cm sur 26 cm, ils sont calqués l’un sur l’autre. Le premier constitue une présentation générale des propriétés royales et le second détaille leurs limites et leurs surfaces réparties en six gardes différentes. Il semble assez évident que ces cartes furent dessinées après l’ordonnance de Colbert, datant de 1669, qui constitue un point de départ dans le renouveau de la législation ainsi que dans l’organisation des eaux et forêts.

« Forest de bord de la Maistrise du Pont-de-l'Arche », fin XVIIe siècle (Bibliothèque nationale de France, GED-4526 : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb40722977n).

« Forest de bord de la Maistrise du Pont-de-l'Arche », fin XVIIe siècle (Bibliothèque nationale de France, GED-4526 : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb40722977n).

« Forest de bord de la Maistrise du Pontdelarche », fin XVIIe siècle (Bibliothèque nationale de France, GED-4529 : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb407229780).

« Forest de bord de la Maistrise du Pontdelarche », fin XVIIe siècle (Bibliothèque nationale de France, GED-4529 : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb407229780).

La troisième carte porte le titre de « Plan de la forest du Pont de l'Arche, autrement de Bord... faict à Paris de l'ordonnance de Monsr Le Feron, par Jean Fleury, arpenteur ». Ce document au 1/26 000e est daté de 1674. Il mesure 48 cm sur 67 cm.

« Plan de la forest du Pont de l'Arche, autrement de Bord... faict à Paris de l'ordonnance de Monsr Le Feron, par Jean Fleury, arpenteur » (Bibliothèque nationale de France, GECC-4945(12RES) : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb407682728).

« Plan de la forest du Pont de l'Arche, autrement de Bord... faict à Paris de l'ordonnance de Monsr Le Feron, par Jean Fleury, arpenteur » (Bibliothèque nationale de France, GECC-4945(12RES) : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb407682728).

Nous insérons aussi une reproduction de faible qualité de la carte dressée par Hyacinthe Langlois le 25 juillet 1796 pour son père Gérard. Celui-ci était garde-marteau en la maitrise des eaux et forêts du bailliage de Pont-de-l’Arche. Officier du roi, sa fonction consistait à contrôler les essences à vendre et à s’assurer de la légalité de leur vente. C'est lui qui détenait le marteau avec lequel on marquait les arbres à abattre. On y voit clairement les gardes publiques de Bord et Longboël et les bois privés de Bord : Martot, Bonport et Louviers. Cette carte a été reproduite en noir et blanc dans L’Eure de la préhistoire à nos jours (page 223).

La forêt de Bord par Eustache Hyacinthe Langlois (1796).

La forêt de Bord par Eustache Hyacinthe Langlois (1796).

En conclusion de cette partie, la forêt de Bord est donc pleinement une forêt, c’est-à-dire un domaine relevant de la cour de justice du roi, bois ou non, si l’on reprend le sens du mot bas latin forestis.

 

Les derniers défrichements du Moyen Âge

Le fait que la forêt de Bord ait été une propriété royale a largement protégé ses frontières. Cependant, les monarques n’ont pas possédé l’ensemble des bois et ont conféré des droits à des vassaux ayant défriché. Ainsi dans L’Eure de la préhistoire à nos jours on peut lire (page 122) : « Au début du règne de Saint-Louis (1226-1270), beaucoup [d’hôtes, de colons] furent lotis par le châtelain du Vaudreuil d'une parcelle de la forêt de Bord à défricher. Les défrichements dans cette forêt prirent d'ailleurs une telle extension que le roi dut, en 1246, dédommager les moines cisterciens de Bonport, qui y possédaient des droits ». Ces parcelles sont impossibles à localiser même s’il serait vraisemblable qu’elles désignent l’espace entre Le Vaudreuil et la forêt actuelle. Ce même ouvrage avance (page 130) que « quelques bourgs seulement eurent avoir avec les défrichements, et tardivement, au XIIIe siècle, comme La Haye-Malherbe, en forêt de Bord... » Les moines de Bonport ont aussi, semble-t-il, défriché sans que nous puissions localiser les terres concernées. Il semble donc qu'à partir du XIIIe siècle le massif de Bord ait stabilisé ses frontières. 

 

 

Activités anciennes

 

La coupe du bois

La proximité de la Seine a certainement favorisé le flottage des bois. Ce dernier compte peut-être parmi les raisons de la sauvegarde d’un massif forestier royal en ce lieu en plus d'une dénivellation moins propice à la culture. Naguère, la forêt était au cœur de toute industrie. Son bois fournissait le matériau nécessaire aux outils des artisans, aux maisons, aux véhicules, au chauffage...

Sans être en mesure de présenter ici une étude complète sur la coupe du bois en forêt de Bord, il nous plait de citer des passages d’une étude de Jean Boissière mettant en lumière l’importance de ce massif dans l’approvisionnement de Rouen et surtout de Paris : « Les forêts de la vallée de la Seine entre Paris et Rouen d’après l’enquête de 1714 ». Cette étude se fonde sur le procès verbal d’Hector Bonnet chargé par l’hôtel de Ville de Paris de comprendre pourquoi le bois ne parvenait pas suffisamment dans une période de disette de combustible. Cet homme voyagea de Paris à Rouen du 27 septembre au 18 octobre 1714. Il résida à Pont-de-l'Arche du 10 au 15 octobre. Il nous apprend que la forêt seigneuriale était composée en moyenne et uniquement d'un tiers de futaie, le reste n'étant que des taillis. L'état des forêts était donc médiocre du fait de son intense exploitation. 25 ports fluviaux existaient sur la Seine et ses affluents immédiats dont Les Damps, Pont-de-l'Arche et Bonport. Certains massifs avaient jusqu'à trois débouchés fluviaux ce qui laisse apparaitre l'émiettement du commerce du bois. Le flottage du bois existait sur l'Andellle et sur le cours supérieur de la Seine et de ses affluents. Hector Bonnet nota scrupuleusement les obstacles humains à la livraison du bois : les travailleurs de la voie d'eau qui tentaient d'améliorer leur revenu. L'auteur fait référence à un projet présenté au roi afin de rendre flottable l'Eure jusqu'aux Damps (tome 6, page 23). Voici la reproduction du procès verbal d'Hector Bonnet qui concerne Les Damps et Pont-de-l'Arche et qui cite des ventes encore connues sous les mêmes noms :

« ... nous nous sommes rendus au port appellé Les damps qui est l'embouchure de la rivière d'Eure sur lequel nous avons trouvé quinze milliers de cotterets appartenant a la dame Veuve Bouret provenant de la Vente de Cocaigne forest de Bord appellée communement de pont de l'arche, exploitation de mil sept cent treize, plus trente cinq milliers appartenant au Sr Lemire provenant du Recepage desd. Bois de Cocaigne exploitation de mil sept cent quatorze Et ensuite nous nous sommes rendus au port du pont de l'arche sur lequel nous aurions trouvé le nommé garde dud. port qui nous auroit dit y avoir sur iceluy quatre carterons de Bois de compte appartenant au Sr Carcillier provenant de la Vente Glajoleuse forest de Bord exploitation de 1713 quatre autres carterons de Bois d'andelle provenant de la Vente aud. Sieur, plus trois carterons de Bois d'andelle au Sr Roblasre provenant de l'exploitation de 1713 treize cartrerons de pareille Bois appartenant à lad. Veuve Bouret provenant des Ventes de Mollier et Glajoleuse plus a elle appartenant deux cent vingt milliers de cotterets compris quatre vingt dix mil restent dans celle de Glazoleuse, soixante huit milliers de cotterets appartenant au Sr le Cerf demeurant pres d'Elbeuf provenant de la Vente de Cocagne exploitation de 1714 trente huit autres milliers appartenant aux Srs marie freres provenant de la Vente Maigremont exploitation de 1713 et encore vingt huit milliers de cotterets appartenant au Sr Carcillier provenant de la Vente de la Glajoleuse exploitation de mil sept cent treize..."" (page 9, tome 7).

Enfin, nous aimons à rappeler que les pins sylvestres du rez-de-jardin de la Bibliothèque nationale de France ont été déracinés de la forêt de Bord. Sur 200 arbres prélevés, la moitié ne survit pas au transfert comme l'écrit Marie-Hélène Devillepoix suivant les propos du technicien forestier de Pont-de-l'Arche, Didier Lebogne.

 

Le droit de ramage

Dans « Promenez-vous en forêt » l’Archépontain Jean Mallet retrace, assurément avec des souvenirs d’enfance, une pratique ancestrale consistant à ramasser du menu bois en forêt (page 40) : « L'ouvrier allait souvent se fournir sur place et moyennant un droit dit de « soumission » acquitté au garde, il pouvait aller ramasser du bois mort et faire des fagots pendant un certain temps et dans des parcelles bien désignées. Pendant ce temps là, les « gamins » se battaient à coup de « sapinettes » pour finir par les ramasser dans des gros sacs appelés « pouches » heureux à la pensée de faire « péter » un peu plus tard, dans le poêle en fonte, émaillée ou non. On utilisait la brouette en bois avec parfois deux petites roues en fer sur le devant ou encore, soulevée à l'aide de sangles, afin de pouvoir prendre un plus grand chargement, ce n'était pas une mince affaire de la retenir dans les descentes, le dispositif ne comportant aucun système de freinage. Ce bois avait le privilège de chauffer trois fois, comme me l'avait rapporté naguère un Ancien, avec une pointe d'ironie : en allant le chercher, en le sciant et pour finir en le brûlant bien sûr ! Aujourd'hui, on ne se chauffe plus au bois que pour le plaisir et à la cheminée. »

Cette pratique rappelle le médiéval droit de ramage qui consistait à ramasser le bois mort pour se chauffer ou pour offrir un tuteur à certaines cultures comme celles de la vigne et du lin (André Plaisse, pages 24 et 25).

Un parquet nommé "Vestiges d'enceinte" sur la carte IGN au 1/25 000e.

Un parquet nommé "Vestiges d'enceinte" sur la carte IGN au 1/25 000e.

L’élevage et les parquets

La forêt a longtemps servi à faire paitre le troupeau. Cette pratique ne coutait rien et permettait de réserver de plus larges terres à la culture. Ainsi les prospecteurs de métaux anciens ont retrouvé d'importantes quantités de grelots qui permettaient de retrouver les animaux au son. Ils ont aussi retrouvé nombre de dés à coudre qui occupaient les longues heures des personnes chargées de la surveillance des bêtes. Dans le droit coutumier, le panage autorisait certaines personnes, moyennant une redevance le plus souvent, à faire manger les porcs dans la forêt (André Plaisse, page 20), surtout les glands et les faines. Plus largement, la forêt médiévale a servi de pâturage aux vaches et aux chevaux grâce à ses herbages, ses jeunes pousses, ses landes et bruyères et ses buissons (André Plaisse, page 21).

La carte IGN désigne des retranchements de la forêt de Bord sous le nom de « Vestiges d’enceinte » et même de « Vestiges d’enceinte antique ». Cependant, en 1903 Henri Guibert rédigea un bel article intitulé « Note au sujet de retranchements aux environs de Louviers » qui nous éclaire sur ces aménagements entourés de fossés et de talus. Tout d’abord, il en distingue quatre : celui de la Mare-au-coq dans une enclave du Vaudreuil (67 m sur 60 m avec un fossé de 1,5 m de largeur sur 0,8 de profondeur), celui du Testelet (Tostes), celui du Fort-aux-Anglais (Mesnil-Jourdain) et celui de la Mare-courante (Louviers, près de Montaure). Henri Guibert nous apprend que le retranchement de la Mare-au-coq est appelé « Le parquet » par les professionnels exerçant en forêt. Il rejette la thèse de camps militaires puisque ces retranchements sont situés parfois à mi-pente et donc exposés aux éventuels assaillants.

Plus précisément, Henri Guibert rappelle un ancien droit dont bénéficiaient au Moyen Âge les habitants des communes voisines de la forêt : le droit de pâturage. Des parties de la forêt étaient exclues de ces zones de pâturages (les « deffens ») et nécessitaient la présence de verdiers et de sergents, agents de la maitrise particulière des Eaux et forêt (bailliage de Pont-de-l’Arche) qui pouvaient saisir les animaux et les parquer dans des enclos réalisés à cette intention. On nommait ces agents des « parquiers ». C’est ce qui explique la présence régulière de parquets dans la forêt. Henri Guibert cite le très intéressant Léopold Delisle : « Le parc était plus ordinairement placé aux environs du château. Il paraît qu’on le fermait surtout avec des palissades de pieux. Le parc servait à la chasse, à la pâture et à la garde des bestiaux saisis pour dettes ou pour délits forestiers. S’il n’avait qu’une contenance assez bornée, on employait pour le désigner le diminutif Parquet » (Etudes sur la condition de la classe agricole et l’état de l’agriculture en Normandie au Moyen-Âge, page 347). Nous sommes tentés d’ajouter à la liste des parquets de la forêt de Bord un ancien enclos de la commune des Damps (au pied de la Crute, sur un monticule). Qui plus est, étant donnée la taille des parquets, nous nous demandons s'ils n'ont servi qu'à parquer les animaux paissant dans les défens. Ils auraient bien pu parquer les bêtes durant les nuits par trop incertaines. Vue la répartition des parquets, nous serions tentés d’écrire qu’il en existait un par garde forestière.

Cependant, le Fort-aux-Anglais sort de notre terrain d'étude. Nous sommes plus réservé quant à son origine et son emploi malgré les écrits d'enri Guibert.  

Les carrières

Les promeneurs en forêt de Bord pourront s’étonner des reliefs parfois torturés des sols de la forêt de Bord. Ceux-ci s’expliquent par les nombreuses carrières de craie, de sable, de silex et d’argile qui servaient à nos ancêtres, à la fin du XIXe siècle encore, pour l’agriculture ou la construction. Comme s’en font l’écho les archives départementales (7 M 297), l’administration accordait au nom de l’Etat des concessions à divers particuliers pour un espace et un temps donnés. Ces carrières se présentent à ciel ouvert (par exemple près de la maison forestière de Léry ou, à Pont-de-l’Arche, le chemin de la Borde et le long du chemin des Epinières) mais aussi sous forme de puits comme « le puits du roi » au Testelet (Jean Mallet, « Etude de la forêt », page 31).

 

 

Peurs et légendes et croyances

 

L'agonie du loup

Un nom comme « Le val à loups », vers Louviers en sortant de Pont-de-l’Arche, nous rappelle l’existence pas si lointaine de cet animal qui fit peur et qui alimente encore les imaginaires. Max Masson rapporte (folio 33) les battues organisées par la sous-préfecture de Louviers afin d’éradiquer le loup. Il y en eut en 1816, 1820 et surtout en 1835 où 2 000 hommes furent réquisitionnés en tant que tireurs et rabatteurs. Ils couvrirent 34 communes « sur un arc de cercle passant à Pont de l'Arche, Tostes, La Haye Malherbe, Hondouville, La Chapelle du Bois des Faulx, Ailly, Heudebouville, Venables et aboutissant à la Seine en face de Muids ». Dirigés par des gardes forestiers et des gendarmes, ils fondirent vers la Seine où d’autres chasseurs attendaient les animaux susceptibles de traverser.

Il y eut cependant des rescapés. Ainsi Max Masson note que le 5 septembre 1836 le garde Morlet fils abattit un loup à Tostes. Mais la question n’était pas réglée. Paul Petit témoigne de la survie de l’animal honni dans un ouvrage intitulé Sangliers dans l'arrondissement de Louviers et les vautraits… : « M. le marquis de Montalembert avait eu, en 1861, l'occasion de diriger une battue aux loups dans la forêt de Bord. Une louve, accompagnée d'un grand loup, était venue établir son liteau dans les parages de Criquebeuf ; leur présence se manifesta d'une façon soudaine. Pendant la nuit du 4 au 5 juillet, plusieurs loups attaquèrent le troupeau de M. Micaux, fermier à Blacquetuit, commune de Montaure. Les moutons étaient parqués sur le chemin de Montaure aux Fosses ; vingt-et-un furent étranglés, et le reste du troupeau se trouva disséminé dans la campagne. A cette nouvelle, M. de Montalembert envoya immédiatement ses hommes en forêt pour reconnaitre la demeure des loups ; le mauvais temps, presque continuel, et l'état de la plaine couverte de récoltes rendaient cette opération très difficile ; mais tout portait à croire qu'ils faisaient leur fort dans les sapins de Criquebeuf, près du Rond-de-Bord. Une battue fut ordonnée pour le 25 juillet : rendez-vous au carrefour Sainte-Anne, route de Tostes, à neuf heures du matin. M. le sous-préfet avait prié les maires des communes limitrophes de la forêt de réunir le plus de monde qu'ils pourraient. « Malgré les travaux urgents de la campagne, lisons-nous dans le Publicateur de Louviers du 31 juillet, les populations ont eu à cœur de répondre à cet appel, et les chasseurs se trouvaient en assez grand nombre pour qu'il devint impossible à aucun loup de sortir de l'enceinte sans être vu. « M. Lemaire, sous-inspecteur des forêts, et M. le marquis de Montalembert, lieutenant de louvèterie, avaient pris toutes les dispositions nécessaires pour assurer le silence sur la ligne des tireurs postés par leur soin. « Le héros de la chasse a été M. Béranger, de Saint-Pierre-lès-Elbeuf. Il a tué le premier loup (louveteau). Une demi-heure après, un second est mis en joue par deux tireurs ; l'animal, déviant de sa route, passe à M. Béranger qui le tire : blessé grièvement, il est achevé par le garde forestier Aubry, " M. Boulenger, de Louviers, a atteint un troisième loup qui a disparu, mais a été trouvé mort le lendemain. Un quatrième, que sa forte taille a fait supposer être le père ou la mère, a été tiré et blessé. Enfin, M. Gustave Dufossé, de Saint-Cyr-du-Vaudreuil, en avait tiré un autre en arrivant au rendez-vous ; le croyant mort, il se disposait à aller le relever, mais l'animal, qui s'était rasé probablement, s'est enfui rapidement à son approche. » La question du loup n’était donc toujours pas résolue en 1861 et nous n'avons pas trouvé la date de son extinction dans le domaine de Bord.

 

La Croix-Sablier

La Croix-Sablier est une nouvelle écrite par Eustache-Hyacinthe Langlois, parue en 1835, et qui explique la présence d’un calvaire en pierre « à égale distance », « près de l’ancienne route du Pont-de-l’Arche à Louviers ». Jean Mallet situe cet emplacement au rond Royal, ce qui est très probable puisque l'ancienne et la nouvelle route de Louviers étaient proches à cet endroit comme le montre une version de la carte de Cassini. Ce calvaire portait le nom de Croix-Sablier, « riche négociant du XVIIe siècle » qui fut assassiné au début du siècle par « un jeune homme dont il avait protégé l’enfance » et qui l’aidait dans ses tâches quotidiennes. Lors d’un énième déplacement, « par une journée de juillet », le négociant souhaita se reposer dans la fraicheur d’un sous-bois. Cet isolement fit naitre « de diaboliques pensées » dans l’esprit du jeune homme qui dit à son maitre : « … l’un de nous deux qui tuerait ici l’autre, n‘aurait pas de témoin à redouter. » Monsieur Sablier répondit : « ne vois-tu pas que nous sommes entourés de témoins vivants. Ces témoins, tu les vois dans ces moucherons qui nous importunent, et que le ciel exciterait à appeler sur ta tête la vengeance des lois. » L’argument ne fit pas mouche chez le jeune homme qui profita de l’isolement du sous-bois pour l’abattre son maitre d’un « coup de pistolet » et partir avec une « valise qui regorgeait d’or. » « Pendant qu’une croix expiatoire s’élevait sur le lieu du crime », le jeune homme changea de nom et fit commerce « dans une de nos villes frontières les plus éloignées ». Il se maria avec « une jeune personne bien née, dont les excellentes qualités eussent dû faire son bonheur, s’il était du bonheur pour une âme bourrelée de remords. » En effet, chaque été les moucherons rappelaient au jeune homme son crime, telles des « Euménides », de petites divinités persécutrices de la mythologie grecque. Le jeune homme révéla à sa femme la raison de son angoisse. Puis, il eut des revers commerciaux, s’appauvrit, sombra dans l’alcool, frappa sa femme… Victime de violence féroce, celle-ci révéla le crime de son mari aux voisins : « Misérable, assassine-moi plutôt comme tu assassinas ton maitre ! » Le meurtrier de la forêt de Bord fut « arrêté le lendemain, et bientôt le bourreau [va] écrire, en caractères de sang, la péripétie de cet épouvantable drame. »

 

Le Val Richard

Près de La Plaine de Bonport un espace boisé est nommé Le Val Richard, surtout connu de nos jours pour la zone d’activités qui a repris ce nom. D’aucuns se plaisent à lire ici une trace du passage de Richard Cœur de Lion, parmi lesquels Eustache-Hyacinthe Langlois (La Croix-Sablier, page 309 : « le Vau-Ricard », en normand). Cependant, les noms de lieux ont des origines bien plus pragmatiques. Ainsi Louis-Etienne Charpillon et Anatole Caresme citent une charte datée vers 1230 qui nous apprend que « Raoul de Criquebeuf et Richard du Val, tenaient dans la forêt de Bord, 3 vergées et ¾ de vergée pour 12 s. 9 d. de rente. » Il y a de fortes chances que ce Richard du Val ait marqué de son nom un espace criquebeuvien, bien plus que Richard Cœur de Lion même s’il fut cofondateur de l’abbaye de Bonport en 1190. Le Val Richard ne désignerait donc pas – non plus – Richard Jacquet.

 

Les galeries souterraines

Nous avons consacré un article sur les légendes avançant que le sous-sol de Pont-de-l’Arche était troué de voies de circulation. Ces légendes veulent que des tunnels souterrains aient relié Bonport à Pont-de-l’Arche ; Pont-de-l’Arche à la maison de la Dame-blanche, aux Damps ; Les Damps à l’ancien château du Vaudreuil en passant sous la forêt ; Bonport à Argeronne en passant sous la forêt de Bord… Dans notre étude, nous avons remarqué que des éléments normaux du patrimoine, tels que les caves, suffisaient à alimenter les légendes. Nous avons cependant observé nos limites d’investigation, bloqués par notre incapacité à visiter de prétendues galeries situées derrière des parties murées bien existantes, elles. En forêt, les trous que l’on trouve de-ci de-là pourraient être interprétés comme des effondrements ou des sorties de galeries (près de la mare Planco, du chemin du Renard…). Nous penchons plus vers une explication faisant de ces trous des vestiges de marnières comme celle nommée le « puits du roi » à Tostes.

 

Petit Saint-Ouen de Léry

Voir notre article consacré à ce pèlerinage ancestral lié au bourg de Léry.

Mise en valeur des arbres remarquables de la forêt de Bord, notamment par l'ONF : ici le hêtre du Petit-Saint-Ouen de Léry (2018).

Mise en valeur des arbres remarquables de la forêt de Bord, notamment par l'ONF : ici le hêtre du Petit-Saint-Ouen de Léry (2018).

Sainte Anne faisant lire la Bible à sa fille, la Vierge Marie. Détail d'une statue en pierre peinte de la fin du XVIe siècle, église Notre-Dame-des-arts, Pont-de-l'Arche (cliché Armand Launay, 2011).

Sainte Anne faisant lire la Bible à sa fille, la Vierge Marie. Détail d'une statue en pierre peinte de la fin du XVIe siècle, église Notre-Dame-des-arts, Pont-de-l'Arche (cliché Armand Launay, 2011).

Sainte Anne

Sainte Anne, la mère de la Vierge Marie, occupe une place importante dans la région de Bord. Elle est la patronne de Tostes et de Pont-de-l’Arche. Dans un article intitulé « Pont-de-l’Arche », Jean Mallet écrit que le nom de la fête communale Sainte-Anne « viendrait d'Anne le Blanc du Rollet, gouverneur de la ville, proche d'Henri IV » (page 65). Nous serions étonnés que cette fête, à l’origine pieuse, ait pris le prénom d’un personnage, fût-il célèbre. Nous nous sommes plutôt intéressés au fait que sainte Anne est la patronne des menuisiers et des ébénistes. Le lien avec la forêt serait confirmé par le lieu où la Sainte-Anne était célébrée avant 1861, c’est-à-dire à l’orée de la forêt, sur un terrain appelé Sainte-Anne (aujourd’hui la déchèterie et le Village des artisans de la lisière). Une procession se faisait dans la ville avec une statue en bois de la mère de la Vierge ; statue malheureusement volée dans les années 1970 sans qu'on ait retrouvé de photographie ou de représentation. Le parcours de cette procession passait devant un calvaire plus tardif et aboutissait sur le terrain Sainte-Anne où se tenait l'assemblée du même nom, ancêtre de la fête patronale. Dans un article consacré au paganisme dans la région, nous nous sommes même demandé si cette célébration religieuse avait une origine préchrétienne étant donné qu'un fanum y a été relevé par des prospecteurs à métaux.

À l’issue de cette présentation, nous pensons que l’exploitation forestière a eu une répercussion sur le culte catholique local.

 

Guerre

La Seconde guerre mondiale a laissé des traces dans notre forêt. Des bombardements ou, plus vraisemblablement, des bombardiers se délestant pour faciliter leur retour, ont déformé certains terrains. La forêt compte aussi au moins un avion américain abattu, celui du chemin du Renard aux Damps.

Vue sur la forêt (cliché Armand Launay, 2011).

Vue sur la forêt (cliché Armand Launay, 2011).

Essences et arbres remarquables

La forêt apparait de nos jours sous forme de futaie dressée par la main de l’Homme de sorte que les arbres produisent de grands troncs. La forêt naturelle était bien différente et toutes ses parties ne se ressemblaient pas. C’est ce que nous avons vu plus haut avec Jean Boissière qui rapporte qu’en 1714 seul un tiers de la forêt était en futaie. La toponymie se fait aussi l’écho de ce changement. Ainsi, une des entrées de la Garde-Châtel est encore appelée « porte de la lande ». Entre la Couture de Tostes et Louviers, une route forestière s’appelle les « longues raies », signifiant les haies en normand. Un bois de Tostes allant vers Louviers s’appelle le « bois des Vignes », une essence bien connue à Léry et aussi un peu à Pont-de-l’Arche en 1340 avec la vigne dite de « l’Estourmy » (Cartulaire de Bonport, page 393). Il semble que les épineux soient arrivés d'Alsace à la fin du XVIIIe siècle comme le note Marie-Hélène Devillepoix d'après le témoignage du technicien forestier Didier Leborgne (Pont-de-l'Arche). Ainsi s’expliquent quelques noms comme l’Epine Enguerrand ou les Epinières (sur le plateau de Pont-de-l’Arche) qui désignaient les parties repérables grâce aux essences nouvelles.

Marie-Hélène Devillepoix a aussi noté les principales essences locales que sont les pins, les hêtres, les merisiers et les chênes. Elle a distingué la variété des essences qui fait de la forêt de Bord un massif original à côté des nombreuses hêtraies normandes. Les 16 km² de pins sont situés sur les terrasses alluviales dont la pauvreté des sols, sableux et caillouteux, convient aux conifères. La hêtraie s'épanouit, elle, sur les plateaux limoneux. Cette essence est privilégiée car, si elle « vit moins longtemps que le chêne », elle « croît plus vite » ce qui est bon pour le rendement.

Comme tout massif, la forêt de Bord comprend des arbres remarquables épargnés par l’Office national des forêts. Le chêne Leguay se trouve dans la commune de Montaure, aux Fosses. Il est réputé avoir 350 ans, fait 510 cm de circonférence à 1,3 m du sol. Il est haut de 30 m. Selon Jean Mallet dans « Promenez-vous en forêt », cet arbre porte le nom d'un « ancien inspecteur des Eaux et Forêts de Louviers » de la fin du XIXe siècle (page 26). Il semble qu’il ait raison car les archives départementales conservent un rapport, daté de septembre 1892, signé par M. Leguay, inspecteur des forêts (7 M 297). Autres arbres remarquables localisés sur les cartes IGN, le chêne des Régales (près du chêne Leguay) et le chêne Nicolas (à La Vallée).

 

La chasse à courre en forêt de Bord représentée sur une carte postale.

La chasse à courre en forêt de Bord représentée sur une carte postale.

Tourisme et loisirs

 

La chasse à courre

À la fois emblème et héritage des privilèges nobiliaires, la chasse à courre a continué à être pratiquée en forêt. Jean Mallet, dans « Promenez-vous en forêt », nous apprend qu’elle était mise en « en adjudication tous les 9 ans par les Eaux et Forêts ». Le même auteur, dans « Etude de la forêt », avance que « Les chenils d'où partaient les chasses à courre étaient au nombre de deux : la Vénerie à Pont-de-l’Arche et à Louviers, rue Saint-Hildevert » (page 35). Celle de Pont-de-l’Arche, en haut de la rue Charles-Cacheleux, est particulièrement impressionnante. Ses immenses locaux furent rachetés vers 1908 par Olympe Hériot (1887-1953), un des fils du Commandant Olympe Hériot et neveu d’Auguste Hériot, fondateur des Grands magasins du Louvre. L’Internet nous apprend que ce bourgeois, très en vue dans le Paris des années folles, était passionné de chasse à courre, comme ses parents. Il réunit à Pont-de-l’Arche une meute de 90 chiens et un équipage de 11 chevaux qui chassa le sanglier puis le cerf jusqu’en 1937 dans les forêts normandes. Les chasses qu’il donna étaient très réputées dans le milieu de la vènerie. Une sonnerie de cor de chasse a même reçu pour nom « la Olympe Hériot ». Il reçut le 26 avril 1951 les insignes de Commandeur de la Légion d'Honneur. Par ailleurs, il se lia d’amitié avec Charles Morel, industriel et maire de Pont-de-l’Arche, et c’est assurément pourquoi il fut conseiller municipal en 1930 sur la liste de Charles Morel. C’est à celui-ci qu’il a souhaité vendre La Vènerie, son immense propriété, en 1938. De la chasse à courre, il reste des noms tels que le Chemin des Cavaliers, le rond de France ou le peu républicain – et anachronique – Rond royal. Il reste itou une stèle en hommage à Paul Vigrare, piqueur décédé le 23 décembre 1950 durant une chasse (au début de la route forestière du ravin de la vallée d'Incarville, à Pont-de-l'Arche).

"Royal car", un véhicule à vocation touristique venu déposer des promeneurs en forêt de Bord (1936).

"Royal car", un véhicule à vocation touristique venu déposer des promeneurs en forêt de Bord (1936).

Le développement des loisirs

Si la forêt de Bord a été le terrain des balades familiales et amoureuses depuis longtemps, les années 1930 nous ont laissé les premiers témoignages touristiques telle cette photographie, ci-dessus, d’un autocar en 1936.

La forêt de Bord est aussi le domaine des randonnées pédestres, des sorties en VTT. Ainsi, à côté du GR 222 et 222A, nous proposons à titre d’exemple la « Balade du hêtre Tabouel ».

Les nombreuses mares qui ponctuent le massif de Bord pour l’équilibre de la faune offrent aussi de bons prétextes à la balade. Autre endroit attrayant, le parcours sportif des Damps qui propose aussi des tables de piquenique à proximité.

De très nombreuses voies de circulation coupent le massif de Bord. Ici la route de Tostes (cliché Armand Launay, 2012).

De très nombreuses voies de circulation coupent le massif de Bord. Ici la route de Tostes (cliché Armand Launay, 2012).

Des routes omniprésentes

Napoléon Bonaparte a laissé sa marque dans notre forêt entre Les Damps et Léry où passe la Voie impériale. En fait, ce chemin est tout simplement un tronçon déclassé d’une des voies qu’on appelle depuis les routes nationales. Jean Mallet avance que la route nationale entre Incarville et Pont-de-l’Arche, celle du Val-à-loup, « fut arrêtée par le Conseil du roi en 1780 » (« Promenez-vous en forêt », page 40). C’est tout à fait probable car une version de la carte de Cassini monte cette voie rectiligne à côté d’un chemin menant au Cavé et qui doit être l’ancien chemin de Louviers.

Le massif de Bord est imposant et, de ce fait, largement percé par des voies de communication. Les routes nationales coupent le massif entre Louviers et Elbeuf et Incarville et Pont-de-l’Arche. Depuis 1967, l’autoroute de Normandie sépare le massif hormis deux passages pour animaux, quelques ponts et tunnels. Enfin, le contournement de Pont-de-l’Arche inauguré en 2010 a encore coupé un peu plus cette belle forêt, limitant ainsi les espaces de refuge des espèces animales et les lieux où l’on peut se reposer du bruit des moteurs. Le projet de contournement Est de Rouen et son raccordement à l’autoroute A13 au niveau d’Incarville n’écarte pas totalement le risque de gâcher un peu plus encore le domaine de Bord.

 

 

A lire aussi…

Le désert de la Garde-Châtel

Un texte de Victor Hugo en forêt de Bord

Aux origines de Tostes

Aux origines de Montaure

 

 

 

Sources

- Bodinier Bernard, L'Eure de la préhistoire à nos jours, Saint-Jean-d'Angély, édition Jean-Michel Bordessoules, 2001, 495 pages ;

- Boissière Jean, « Les forêts de la vallée de la Seine entre Paris et Rouen d’après l’enquête de 1714 », Annales historiques du Mantois, Mantes, Centre régional d’études historiques, 1979, tome 6 (pages 3 à 31) et tome 7 (pages 3 à 20) ;

- Charpillon Louis-Etienne, Caresme Anatole, « Pont-de-l’Arche, pages 662 à 674, Dictionnaire historique de toutes les communes du département de l’Eure, Les Andelys, éd. Delcroix, 1868, 960 pages, voir à la fin de l’article sur Pont-de-l’Arche : « Forêt de Bord » ;

- Cliquet Dominique, Carte archéologique de la Gaule : l’Eure 27, Paris, ministère de la culture, 1993, 285 pages ;

- Coutil Léon, « Résumé des recherches préhistoriques en Normandie (époque paléolithique) », pages 34 à 142, Collectif, Bulletin de la Société normande d'études préhistoriques, Société normande d'études préhistoriques et historiques, Louviers, imprimerie Eugène Izambert, tome I, année 1893, 1894, 151 pages ;

- Coutil Léon, « Inventaire des menhirs et dolmens de France (département de l’Eure) », pages 36 à 122, Collectif, Bulletin de la Société normande d'études préhistoriques, Société normande d'études préhistoriques et historiques, Louviers, imprimerie Eugène Izambert, tome IV, année 1896, 1897, 222 pages ;

- Coutil Léon, « Ateliers et stations humaines néolithiques du département de l’Eure », pages 123 à 211, Collectif, Bulletin de la Société normande d'études préhistoriques, Société normande d'études préhistoriques et historiques, Louviers, imprimerie Eugène Izambert, tome IV, année 1896, 1897, 222 pages ;

- Delisle Léopold (publié par), « Cartulaire normand de Philippe Auguste, Louis VIII, Saint-Louis et Philippe le Hardi », Mémoire de la Société des antiquaires de Normandie, 6e volume, XVIe volume de la collection, Caen, 1852, 390 pages ;

- Devillepoix Marie-Hélène, La forêt de Bord, massif du bord de Seine, pages 36 à 37, Pays de Normandie, hors série « Balades et découvertes », 1999 ;

- Gendron Stéphane, L’origine des noms de lieux en France : essai de toponymie, Paris, éditions Errance, 2008, 340 pages ;

- Guibert Henri, « Note au sujet de retranchements aux environs de Louviers », pages 57 à 62, Bulletin de la Société d'études diverses de Louviers, tome VIII, 1903, 120 pages ;

- Jore Edouard, « La chasse en forêt de Bord avant 1789 », pages 14 à 18, Bulletin de la Société d’études diverses de l’arrondissement de Louviers, tome XVII, années 1923-1924, 134 pages ;

- Langlois Eustache-Hyacinthe, « La Croix-Sablier », pages 306 à 312, Revue de Rouen et de la Normandie, tome 6, Rouen, Nicétas Périaux, 1835. Aussi accessible sur le site de la Bibliothèque numérique de Lisieux : http://www.bmlisieux.com/normandie/croix01.htm (consulté le 28 novembre 2013) ;

- Le Berre Pascal, Délinquants et Forestiers dans les bois du Roi, les archives de la maîtrise des eaux et Forêts de Pont-de-l’Arche, de Colbert à la Révolution, mémoire de DEA préparé sous la direction de Serge Chassagne, Rouen, 1992, 199 pages ;

- Mallet Jean, « Promenez-vous en forêt », pages 25 à 31, Collectif, Louviers et sa Région : Gaillon, Le Vaudreuil, Pont-de-l'Arche, guide touristique, Syndicat d'Initiatives de Louviers, 1974, 87 pages ;

- Mallet Jean, « Etude de la forêt », pages 31 à 41, Collectif, Louviers et sa Région : Gaillon, Le Vaudreuil, Pont-de-l'Arche, guide touristique, Syndicat d'Initiatives de Louviers, 1974, 87 pages ;

- Mallet Jean, « Pont-de-l’Arche », pages 65 à 83, Collectif, Louviers et sa Région : Gaillon, Le Vaudreuil, Pont-de-l'Arche, guide touristique, Syndicat d'Initiatives de Louviers, 1974, 87 pages ;

- Musset Lucien, « Note pour servir d’introduction à l’histoire foncière de Normandie : les domaines de l’époque franque et les destinées du régime domanial du IXe au XIe siècle, pages 7 à 97, Collectif, Bulletin de la société des antiquaires de Normandie, tome XLIX, années 1942 à 1945, Caen, L. Jouan et R. Bigot, 1946, 622 pages ;

- Nègre Ernest, Toponymie générale de la France : étymologie de 35 000 noms de lieux, volume I, Formations préceltiques, celtiques, romanes, Genève, Librairie Droz, 1990, 704 pages ;

- Plaisse André, « La forêt normande à la fin du Moyen Âge », pages 17 à 28, Nouvelles de l'Eure n° 47, Evreux, 1993, 72 pages ;

- Office national des forêts, Département de l’Eure, Randonnées en forêt domaniale de Bprd-Louviers, 2 planches ;

- Petit Paul, Sangliers dans l'arrondissement de Louviers et les vautraits. Forêts, louveterie, équipages chasse, Evreux, C. Hérissey 1881, 126 pages.

Armand Launay

Pont-de-l'Arche ma ville

http://pontdelarche.over-blog.com

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22 novembre 2013 5 22 /11 /novembre /2013 19:00
Buste de Philippe Desportes (détail) extrait de la colonne funéraire  disparue - de l'église Notre-Dame de Bonport. Il fut réalisé par Matthieu Jacquet (vers 1545-vers 1611) en 1607 (Musée du Louvre / P. Philibert

Buste de Philippe Desportes (détail) extrait de la colonne funéraire disparue - de l'église Notre-Dame de Bonport. Il fut réalisé par Matthieu Jacquet (vers 1545-vers 1611) en 1607 (Musée du Louvre / P. Philibert

Philippe Desportes est un poète et homme de cour français né à Chartres en 1546 et décédé le 5 octobre 1606 à Notre-Dame de Bonport où il fut abbé depuis 1594. Nous devons à Jacques Lavaud des éléments précis sur la relation de cet homme à Bonport : Lavaud, Jacques, Un poète de cour au temps des derniers Valois : Philippe Desportes (1546-1606).

 

Le poète de cour…

Philippe Desportes fut bon poète mais ne passa pas le tamis des générations qui se suivent. Sa poésie, vouée à flatter les nobles qui le protégeaient, se caractérise par une sobriété tranchant avec le style recherché de Pierre de Ronsard (1524-1585) et des poètes de la Pléiade. Bien que placé entre Ronsard et François de Malherbe (1555-1628), il n’est pas classé parmi les grands de la poésie française et ce sont principalement les travaux de Charles-Augustin Sainte-Beuve et d’Emile Faguet qui firent connaitre Philippe Desportes dans le monde littéraire (Jacques Lavaud, page 128). Influencé par les auteurs italiens, les premiers écrits desportiens montrent le cœur d’un homme attendri par les beautés de la nature, de la femme ainsi que du refus de traditions notamment dans ses Stances du mariage (page 63) :

 

Tout homme qui se trouve en ses laqs asservy,

Doit par mille plaisirs alléger son martyre,

Aimer en tous endroits sans esclaver son cueur…

Je hay plus que la mort ta rigoureuse loy,

Aimant mieux espouser un tombeau qu’une femme.

 

En modérant son propos, Philippe Desportes commença à vivre de son art poétique au sein du salon de Claude Catherine de Clermont, maréchale de Retz. Se faisant connaitre dans les salons, il se fit des amitiés utiles à son art et à ses finances. Ami de Nicolas IV de Neufville, dit Villeroy, d’Anne de Joyeuse – gouverneur de Normandie et mignon d’Henri III – Philippe Desportes, concerné par les affaires d'Etat dès l'avènement d'Henri III (1575), toucha un traitement de secrétaire du roi en 1582 (page 322).

 

… qui profita de l’oreille du roi

Grâce à la faveur d’Henri III, Philippe Desportes acquit le revenu des abbayes de Tiron et Josapha, toutes deux proches de Chartres. Le poète préféré du roi (page 358) était alors abbé de ces établissements grâce au système de la commende convenu en 1510 entre François 1er et le Pape qui autorisait le roi de France à nommer les abbés. Ceux-ci étaient donc désignés pour leur fidélité au roi plus qu’aux Évangiles. Dépensier, notre homme était réputé pour sa cordialité, la qualité de sa table et de ses vins et le nom de ses hôtes, attachés aux arts, parmi lesquels il contribua à promouvoir de jeunes talents. Ceux-ci trouvaient une retraite et un soutien auprès de cet homme qui passait pour un véritable abbé épicurien. Cependant, Philippe Desportes connut vers 1583 une période mystique dont témoignent ses écrits. Il semble cependant que ce nouveau sentiment ait été motivé par le roi Henri III qui, lui, eut une révélation mystique. Philippe Desportes resta quelques temps dans son abbaye. Comme le note Jacques Lavaud (page 318) : Il avait su se faire ermite au bon moment, conciliant avec un remarquable esprit d’à-propos le maintien des bonnes grâces de son souverain et le cumul de gros bénéfices. » En 1587, notre homme était conseiller, notaire et secrétaire du roi.

 

Le Ligueur

Philippe Desportes quitta la Cour et rejoignit la Ligue de défense catholique avant même la mort d’Henri III survenue le 1er aout 1589. Il se réfugia au Havre, ville gouvernée par son ami André de Brancas, seigneur de Villars. Les rebelles l’enjoignirent de tenter la conciliation entre les ligueurs de Rouen (Jean de Saulx, seigneur de Tavannes) et du Havre. Il s’agissait d’épargner Rouen de la reconquête royale.

 

Le repenti récompensé par Henri IV

Philippe Desportes se rallia toutefois à Henri IV et fut son principal diplomate dans la négociation du ralliement des derniers ligueurs en 1594. Il parvint à rallier Villars à la bannière royale contre la promesse du roi de maintenir ses bénéfices. Après sa reddition le 27 mars 1594, Villars conserva le gouvernement de Rouen et celui de Caux ainsi que son titre d’Amiral de France. Il obtint, de plus, 715 430 livres (page 375). Quant à Philippe Desportes, il scella ici la fin de sa vie à l'abbaye de Bonport. En ces temps très troublés, l'abbaye de Bonport s'était retrouvée sans abbé depuis le décès de François Boulliers en 1590. Depuis lors, Le Blanc du Rollet, capitaine de Pont-de-l’Arche, avait pris sous sa coupe cette abbaye – et ses revenus – mais sans l’aval du Pape comme en témoigne une archive de février 1592 (page 358). Dans les conditions de sa reddition, Villars demanda l’abbaye pour le compte de Philippe Desportes. La réponse du roi tarda car Le Blanc du Rollet, un des premiers normands ralliés à Henri IV, souhaitait conserver Bonport. Le roi proposa à notre poète-abbé le bénéfice de l’archevêché de Rouen. Celui-ci refusa et maintint son choix pour Bonport. Le Blanc du Rollet abandonna ses prétentions contre un dédommagement financier du roi (page 376). Il devint de plus grand prévôt de Normandie en 1602.

 

 

Bonport, sa résidence préférée

Après 1594, Philippe Desportes devint Conseiller du roi en ses conseils d’États et privés (page 383). Il était abbé de Tiron, de Josaphat, de Vaux-de-Cernay (Yvelines) et de Bonport. Ayant pris de l’âge, Philippe Desportes garda ses distances avec la vie de cour et resta de plus en plus souvent dans ses résidences favorites qu’étaient Vanves et les abbayes de Josaphat et de Bonport. Jacques Lavaud note (page 406) que « De tous ses bénéfices, celui qui eut la préférence de notre poète, celui auquel il réserva ses soins les plus attentifs et ses séjours les plus fréquents et les plus prolongés fut incontestablement Bonport, l’abbaye qu’il avait si longuement convoitée, qu’il avait préférée au pallium archiépiscopal et qu’il avait eu tant de peine à obtenir, Bonport, enfin, la rançon du retour de Rouen en l’obédience royale. » Il était attaché à Bonport pour le pittoresque du lieu, certes, mais aussi car ici résidait son fils naturel, Philippin, qui avait perdu la raison (page 397). Il y était très présent dans les dernières années de sa vie où il pouvait garder contact avec ses amis rouennais, anciens ligueurs, et son ami poète Jacques Davy du Perron, évêque d’Evreux (page 401). A Bonport, il rédigea une colossale traduction des Psaumes, fruit d’un travail de 20 ans. Il y constitua une des plus belles bibliothèques de son temps. Bien qu’un prieur le secondait dans l’administration des biens abbatiaux, Philippe Desportes s’assurait du fonctionnement de cette abbaye qui rapportait, en 1598, 5 000 livres (page 400, note 2). Philippe Desportes mourut au logis abbatial de Bonport le 5 octobre 1606, à 60 ans, et s’y fit enterrer suivant ses dernières volontés consignées dans son testament (page 527).

Philippe Desportes fut enterré au milieu du coeur de Notre-Dame de Bonport sous une dalle en marbre noir. Elle portait l'inscription : "Cy-gist Philippe Desportes, conseiller du Roi en ses conseils d'état et privé, abbé des abbayes de Josaphat, Thiron, Vaux de Cernay et de N. D. de Ron-Port, qui décéda en la dite abbaye de Ron-Port le vie jour d'Octobre m.dcvi. Priez Dieu pour son âme." Son frère Thibault lui fit élever un obélisque à droite du grand autel (Jules Andrieux, introduction, page 37). Ce monument fut démonté par Alexandre de la Folie, acquéreur de l'abbaye le 2 avril 1791. Jules Andrieux relate ce passage : « Ne sont pas compris dans la vente de ladite maison et établissement, les armoires et boiseries de la sacristie, et l’obelisque étant au côte droit du sanctuaire que l'administration aura délai de six mois pour faire déplacer et transporter." Cet obélisque était sans doute le monument de Philippe Desportes, qui fut transporté au musée des Petits-Augustins. Quelques jours après, les commissaires nommés par l'administration du district de Louviers demandaient : « l'obélisque étant au côté droit du sanctuaire. » M. de la Folie leur répond : « qu'il est démoli pour ne recevoir « aucun choc qui puisse le casser, et qui est prêt à être livré « sous la réserve de rembourser les frais de la dite démolition. » Il semble qu'il ne reste aujourd'hui que le médaillon en bronze dont un extrait est reproduit en tête d'article.  

 

Sources

- Croquette Bernard, « Desportes Philippe (1546-1606) », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 19 novembre 2013. URL : http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/philippe-desportes;

- Lavaud Jacques, Un poète de cour au temps des derniers Valois : Philippe Desportes (1546-1606), Paris, Droz, 1936, 572 pages.

 

Armand Launay

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11 octobre 2013 5 11 /10 /octobre /2013 16:34

L'ancienne ferme de Blacquetuit comprend un ensemble de bâtiments dans un enclos comprenant un logis, une remise, une étable et – surtout – une grange aux dimes. Cet ensemble se trouve près des Fosses de Montaure, derrière le cimetière communal. C'était autrefois une propriété des moines de l'ancienne abbaye de Bonport.

Le logis et la grange dimière sont les bâtiments les plus intéressants d'un point de vue patrimonial. Ils semblent dater du XVe siècle avec quelques éléments antérieurs qui vont attirer notre attention ci-dessous.   

Concernant le logis, son mur gouttereau nord comprend en son milieu une partie en pierres de taille de différentes dimensions et, certainement, de différentes périodes remontant peut-être au XIIIe siècle. Nous établissons cette date à partir de comparaison des appareillages de l'ancienne abbaye de Bonport et des remparts de Pont-de-l'Arche. Dans cette même partie du mur se voient nettement deux voutes (en arc brisé) couronnant une porte murée avec de petits blocs de silex noir. Cette porte jouxte un impressionnant contrefort.

Plus vers l'Ouest, se trouvent deux autres voutes en pierres de taille. Bien plus hautes, elles attestent l'existence d'une autre porte dévolue aux charrettes.

Sur le mur pignon donnant sur la rue (Est), se trouvent deux puissants contreforts irréguliers et, peut-être, quelques vestiges d'une petite ouverture à quelques mètres au-dessus du sol, sous une partie charpentée plus récente. Nous n'avons vu que ces parties du bâtiment. Le reste est composé de blocs de silex noir et d'une partie à pans de bois située sous le toit. Cette partie semble correspondre à la hauteur maximum du bâtiment fabriqué avec des pierres de taille dont témoigne la partie du mur nord. Il semblerait donc que les parties en pierres de taille ne soient pas que de simples reconstructions faites à partir de pierres achetées ailleurs et recomposées en ce lieu. De quoi était faite la charpente auparavant, reposait-elle sur des entraits ?  

Quant à la grange dimière, la pente de ses deux pans est caractéristique du Moyen-âge. Son mur pignon nord constitue l'entrée de ce bâtiment agricole. Cette entrée est couronnée par une voute en pierres de taille (en arc brisé surbaissé). Ses arêtes sont chanfreinées. Une petite ouverture montre qu'un étage offrait un espace de stockage supplémentaire. Tout comme le logis, ce bâtiment a été largement remanié et la plus grande partie du remplissage de ses murs a été refaite avec de petits blocs de silex noir. 

 

Blacquetuit, une terre disputée

Un lieu appelé Tostes apparut en 1255 dans une archive où le pape Alexandre IV autorisa les moines de Bonport à construire un autel dans leur "grange de Tostes". A la demande de Louis Colbert, abbé commendataire de Bonport – et surtout fils du célèbre homme d’État – le hameau de Tostes fut retiré du giron montaurois et érigé en paroisse le 14 janvier 1687. Or, de nombreuses terres agricoles ou boisées de Montaure se retrouvèrent peu à peu dans le terrier de Bonport : Treize Livres, La Corbillère et Blacquetuit… 

L’intérêt de Louis Colbert était d'obtenir une mainmise complète sur la paroisse de Tostes, forte de près de 300 hectares de bois et 300 hectares de terre, et de dimes...

En 1791, l'administration révolutionnaire attribua tout de même à Montaure la ferme de Blacquetuit étant donnée sa proximité avec ce chef-lieu de commune.

 

A lire aussi...

Aux origines de Montaure et de son nom

L'église Sainte-Anne de Tostes

Tostes et son histoire

 

 

La ferme de Blacquetuit en arrivant depuis la route des Fosses de Montaure (cliché Armand Launay, été 2013)

La ferme de Blacquetuit en arrivant depuis la route des Fosses de Montaure (cliché Armand Launay, été 2013)

Le logis de la ferme de Blacquetuit, zoom sur la partie plus ancienne en pierres de taille qui comprend une porte murée et couronnée par deux voutes (cliché Armand Launay, été 2013)

Le logis de la ferme de Blacquetuit, zoom sur la partie plus ancienne en pierres de taille qui comprend une porte murée et couronnée par deux voutes (cliché Armand Launay, été 2013)

Le logis de la ferme de Blacquetuit, vue plus générale où l'on aperçoit, plus à droite, une autre double voute en pierres de taille (cliché Armand Launay, été 2013).

Le logis de la ferme de Blacquetuit, vue plus générale où l'on aperçoit, plus à droite, une autre double voute en pierres de taille (cliché Armand Launay, été 2013).

La grange dimière de la ferme de Blacquetuit, vue mur pignon nord (cliché Armand Launay, été 2013).

La grange dimière de la ferme de Blacquetuit, vue mur pignon nord (cliché Armand Launay, été 2013).

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Mes activités

Armand Launay. Né à Pont-de-l'Arche en 1980, j'ai étudié l'histoire et la sociologie à l'université du Havre (Licence) avant d'obtenir un DUT information-communication qui m'a permis de devenir agent des bibliothèques. J'ai acquis, depuis, un Master des Métiers de l'éducation et de la formation, mention Lettres modernes. Depuis 2002, je mets en valeur le patrimoine et l'histoire de Pont-de-l'Arche à travers :

- des visites commentées de la ville depuis 2004 ;

- des publications, dont fait partie ce blog :

Bibliographie

- 20 numéros de La Fouine magazine (2003-2007) et des articles dans la presse régionale normande : "Conviviale et médiévale, Pont-de-l'Arche vous accueille", Patrimoine normand n° 75 ; "Pont-de-l'Arche, berceau de l'infanterie française ?", Patrimoine normand n° 76 ; "Bonport : l'ancienne abbaye dévoile son histoire", Patrimoine normand n° 79 ; "Chaussures Marco : deux siècles de savoir-plaire normand !", Pays de Normandie n° 75.

- L'Histoire des Damps et des prémices de Pont-de-l'Arche (éditions Charles-Corlet, 2007, 240 pages) ;

- Pont-de-l'Arche (éditions Alan-Sutton, collection "Mémoire en images", 2008, 117 pages) ;

- De 2008 à 2014, j'ai été conseiller municipal délégué à la communication et rédacteur en chef de "Pont-de-l'Arche magazine" ;

- Pont-de-l'Arche, cité de la chaussure : étude sur un patrimoine industriel normand depuis le XVIIIe siècle (mairie de Pont-de-l'Arche, 2009, 52 pages) ;

- Pont-de-l'Arche, un joyau médiéval au cœur de la Normandie : guide touristique et patrimonial (mairie de Pont-de-l'Arche, 2010, 40 pages) ;

- Pont-de-l'Arche 1911 I 2011 : l'évolution urbaine en 62 photographies (mairie de Pont-de-l'Arche, 2010, 32 pages) ;

- Mieux connaitre Pont-de-l'Arche à travers 150 noms de rues et de lieux ! (Autoédité, 2019, 64 pages) ; 

- Déconfiner le regard sur Pont-de-l'Arche et ses alentours (Autoédité avec Frédéric Ménissier, 2021, 64 pages) ;

- Les Trésors de Terres-de-Bord : promenade à Tostes, ses hameaux, Écrosville, La Vallée et Montaure (publié en ligne, 2022) ;

- Les Trésors de Terres-de-Bord : promenade à Tostes, ses hameaux, Écrosville, La Vallée et Montaure (version mise en page du précédent ouvrage, édité par la mairie de Terres-de-Bord, 2023).

Depuis 2014, je suis enseignant à Mayotte.

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