L’exploitation d’un filon d’argile de qualité du Deffend à Ecrosville a occupé les artisans puis entrepreneurs de La Haye-Malherbe et, dans une moindre mesure, de Montaure. C’est ce qu’a mis en relief Françoise Guilluy dans son ouvrage Tuiliers et potiers de l’Eure : La Haye-Malherbe et Montaure.
De la ferme du Deffend à Ecrosville, un important filon d'argile de qualité a donné aux habitants de La Haye-Malherbe et Montaure une activité artisanale et industrielle depuis au moins le XVIe siècle jusqu'à 1955 (carte d'état major IGN 1/25 000e). .
L’origine de l'exploitation de l'argile locale reste indéterminée. Françoise Guilluy cite (pages 68 et 71) les travaux de Joseph Drouet qui avança en 1883, que certains objets en céramique trouvés dans les fouilles de sites gallo-romains à Caudebec-lès-Elbeuf proviendraient de Montaure ou de La Haye-Malherbe. Joseph Drouet a dû être influencé dans son interprétation par le fait, qu’au XIXe siècle, les tuiles de La Haye-Malherbe étaient embarquées sur bateaux au quai aux tuiliers, à Caudebec-lès-Elbeuf. Cependant, il n’a pu fournir de preuves scientifiques sur la nature de l’argile ou sur le travail des poteries attestant l’origine malherboise.
Quelques traces apparaissent, çà-et-là, sur cette activité comme en 1253 où une charte de Bonport mentionne une vente par Robert Tuillier (tegularius) d'une rente de 5 sous à prendre par les moines de Bonport sur une terre près de la léproserie de Montaure (Jules Andrieux, page 202). La profession de tuillier fournit un nom à ce personnage.
Il faut attendre le XVIIe siècle pour lire des références explicites au travail de l’argile à Montaure. En 1673, François Le Cordier de Bigards, marquis de la Londe, rendit aveu au roi de son fief d’Ecrosville : « J’ai des fourneaux à faire pot et brique dont me sont payés les droits coutumiers par ceux qui y travaillent et prennent la terre sur mon fief. » (page 47).
Le plan terrier des « terres et seigneurie de Montaure » de 1763 nomment les longères d’Ecrosville « masures au bout à potiers ». L’actuelle « rue aux Potiers » semble en être un vestige. Ici se trouve un bâtiment industriel du XIXe siècle en brique, moellons et pans de bois, juste derrière le n° 10 de la rue de la Résistance. Nous n’avons pu visiter les lieux et vérifier éventuellement la présence de fours mais ce bâtiment doit être le témoin d’un des deux potiers montaurois cités par Louis-Etienne Charpillon en 1868. Françoise Guilluy cite l’atelier de François Lécuyé (page 61) et précise qu’en 1896 il n’y avait plus de potiers dans la commune.
La rue Aux potiers témoigne de l'existence passée de l'exploitation de l'argile à Ecrosville-Montaure. Quant à ce bâtiment situé dans la rue Aux potiers et derrière le n° 10 de la rue de la Résistance, il pourrait bien avoir accueilli une poterie au XIXe siècle (clichés Armand Launay, été 2013)
Quant à l’activité tuilière, elle apparait dans le plan terrier de la seigneurie de Saint-Saire, datée de 1742 et conservée à la mairie de La Haye-Malherbe. Il mentionne à Montaure un « triège de la thuillerie au Cherre ou Buisson Pelgas », près de la rue à la Boudine. Le nom de « cherre » était aussi donné à la rue de la poste, à La Haye-Malherbe. Peut-être était-ce un nom de famille, disparue depuis, ou un mot du parler local.
Le plan terrier de Montaure, cité ci-dessus, désigne le « triège de la thuillerie au cherre » situé entre le triège des Forrières et le château. Or, ces trièges étaient séparés par « la rue venant de la Haye Malherbe à Montaure et tendant au chemin des forières ». C’est-à-dire précisément l'actuelle rue à la Boudine. La Boudine est une terre meuble que l’on peut boudiner, poteler. Il dût y avoir une activité propre à l’argile ici.
La rue A la boudine, dans le centre-bourg de Montaure, témoigne assurément de l'activité tuilière dans l'ancien "triège de la thuillerie" (cliché Armand Launay, septembre 2013)
Autres traces locales de l’exploitation de l’argile, les tuiles de certains bâtiments, les pavés comme les tomettes d’une partie du chœur de l’église Notre-Dame (cliché Armand Launay, été 2013).
Comment mesurer l’importance de l’exploitation locale de l’argile ? Il faut savoir que, vers 1870, La Haye-Malherbe et Montaure rassemblaient la moitié des poteries de l’Eure. Et pour cause, en 1868, Louis-Etienne Charpillon dénombrait un tuilier à La Haye-Malherbe mais surtout 31 potiers. La terre était puisée aux Puchaux, de « pucher » qui signifie puiser en Normand. Une rue des Tuiliers existe toujours à La Haye-Malherbe. Vers 1870, il existait une tuilerie montauroise, citée par Françoise Guilluy (page 159), dont la trace est perdue en 1891. Peut-être s’agit-il de la même tuilerie que le plan terrier situe aux alentours de la rue à la Boudine.
Françoise Guilluy précise et confirme cette quantité de potiers et tuiliers malherbois : 27 tuiliers-potiers en 1801 (page 131) ; 44 tuiliers en 1825 dont 3 au Mont-Honnier (page 132) ; 14 tuiliers en 1891 ; 9 tuiliers en 1901 (page 133) et 6 tuiliers en 1911. La même auteure reprend (page 122) une délibération du Conseil municipal de La Haye-Malherbe : datée de 1865, elle demande des arrêts plus fréquents à gare car l’industrie locale produit 6 000 tonnes de tuiles, pavés et poteries par an. Elles sont exportées dans les 30 km.
Françoise Guilluy nous apprend la date ultime de toute exploitation de l’argile locale. Il s’agit de 1955 avec la fermeture de la poterie Leroux, près du Deffend.
Sources
- Andrieux Jules, Cartulaire de l'abbaye royale de Notre-Dame de Bon-Port de l'ordre de Citeaux au diocèse d'Evreux, Evreux, Auguste Hérissey, 1862, 434 pages ;
- Guilluy Françoise, Tuiliers et potiers de l’Eure : La Haye-Malherbe et Montaure, Association pour la sauvegarde du patrimoine malherbois, 1995, 192 pages ;
Guilluy Françoise, "Les potiers de Montaure et de La Haye-Malherbe", pages 35 à 41, Collectif, Monuments et sites de l'Eure, Brionne, Amis des monuments et sites de l'Eure, n° 149, décembre 2013, 48 pages.
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