Carte postale des Amis de l'école laïque, association à vocation pédagogique et militante présidée par Emile Chary, militant radical-socialiste, avec la participation active du directeur de l'école des garçons, le militant socialiste SFIO Louis Guérin. Ici, près de 110 enfants de la section de gymnastique photographiés devant le mur de la ferme autrefois située au bout de la cour du groupe scolaire Maxime-Marchand (ferme remplacée par la résidence Lucie-et-Raymond-Aubrac).
Avec nos remerciements à Loïc Lemarchand pour ses informations et la motivation insufflée.
Né au Havre en 1889, Louis Guérin devint directeur de l’école de Pont-de-l’Arche (qui était alors dans la salle Ambroise-Croizat, près de l’église) en 1930. Son arrivée fut saluée par le journal L’Industriel de Louviers. Dans son édition du 11 janvier 1930, il relata le remplacement de M. Hubert, directeur de l’école de garçons, par M. Guérin, précédemment instituteur à Bosc-Roger-en-Roumois. Louis Guérin retrouva donc Pont-de-l'Arche où il était instituteur au moins durant l'année 1912.
Voilà un enseignant qui fit polémique, durant le Front populaire, à cause de ses convictions socialistes avancées (il était membre de la SFIO et de tendance révolutionnaire). Louis Guérin a rejoint une association nommée les Amis de l’école laïque et animée par des militants radicaux-socialistes. Parmi les activités de cette association, il y avait la très populaire fête de la jeunesse, rassemblement annuel de défilés des enfants des écoles publiques.
Louis Guérin se fit très vite mal voir du conseil municipal présidé par le maire conservateur Charles Morel. Ainsi la délibération du 12 juillet 1933 rapporta que le maire était invité à la fête de la jeunesse, dimanche 16 juillet, par M. Guérin, directeur de l’école. Le maire demanda ‒ pour la forme ‒ à ce que le Conseil municipal dans son entier fût invité, contrairement à ce qui fut fait à la fête de 1932. Le maire précisa ensuite au président des Amis de l’école laïque, Émile Chary, qu’il était loin d’être hostile envers l’école laïque (pour preuves la subvention à la caisse des écoles, au prix du 14-Juillet et l’aboutissement prochain du projet de création du groupe scolaire… Ainsi, Louis Guérin fut le premier directeur du groupe scolaire que nous connaissons de nos jours). Ceci pour préparer à une mise en garde : le Conseil municipal « Réprouve les agissements de certains qui, sous le couvert de la fête de la jeunesse, cherchent à faire une propagande de leur politique marxiste. » Les rad-soc, ça passe encore, les socialistes non ! S'il n'était pas nommé, Louis Guérin était clairement visé.
Cela ne refroidit nullement notre homme. Révolutionnaire, il est compté ‒ au moins pour l’année 1935-1936 ‒ parmi les précurseurs de la pédagogie de Célestin Freinet, pédagogie voulant placer la créativité de l’enfant au cœur de la construction des apprentissages. Autogestion, quand tu nous tiens…
La même année, le Conseil municipal parvint à démontrer que Louis Guérin n’enseignait pas que la morale républicaine en classe mais diffusait ses idées socialistes. La délibération du 25 septembre 1935 relata que M. Guérin avait « violé la neutralité scolaire » en montrant une brochure intitulée « Les Faucons rouges ». Pour les élus conservateurs, c’était une documentation “socialiste à tendance communiste”, ce qui est vrai dans la mesure où cette revue prônait la révolution complète du système et, par conséquent, la formation dès à présent les cadres du prochain pouvoir socialiste. Une pétition de parents d’élèves fut initiée, signée puis envoyée au ministère. M. Guérin reconnut avoir diffusé les idées socialistes incriminées. Preuve à l’appui, le Conseil municipal vota une motion de “déplacement” de M. Guérin dans une autre école et vota un “blâme les instituteurs qui se livrent dans l’exercice de leurs fonctions à une propagande néfaste contre la Famille et contre la Patrie.” On apprécie la politesse du pluriel employé et, mêmement, que le mot travail n’ait pas ‒ déjà ‒ été utilisé avant la “famille” et la “patrie”.
Militant convaincu, en 1937 Louis Guérin était secrétaire du Comité des loisirs. Le 1er-mai, à l’occasion de la Fête du printemps organisée par les Amis de l’école laïque, M. Maze, secrétaire du comité national des loisirs exposa les buts de ce comité… “Les loisirs ne doivent pas être le privilège d’une élite, mais être distribués à tous. (...) Le machinisme, qui tend de plus en plus à remplacer l’ouvrier, ne doit pas servir à occasionner du chômage, mais à procurer des loisirs à l’ouvrier. (...) Des organisations de loisirs existent dans la plupart des pays étrangers. Il a fallu attendre l’avènement d’un gouvernement de Front populaire pour en créer en France.” Puis M. Degouey, directeur du tourisme aux chemins de fer de l’État indiqua les facilités offertes par les “billets Léo Lagrange” (billets de fin de semaine, billets de famille…). Les adhésions à ce comité furent enregistrées par M. Guérin. Puis des films furent projetés, dont un sur le familistère de Godin...
Dans la délibération du 27 octobre 1938, les élus communaux, présidés par Raoul Sergent, reprochèrent à M. Guérin de se livrer « à des attaques contre la religion, méconnaissant ainsi les principes fondamentaux de neutralité de l’école laïque. » Ils relayaient ainsi la plainte que Maurice Desdouits, curé de la paroisse, avait adressée au préfet. En 1938, toujours, on retrouve Louis Guérin en tant que secrétaire du Bureau de la Ligue des droits de l’Homme de Pont-de-l’Arche (délibération du 5 février 1938).
Puis nous perdons trace de ce personnage qui campe admirablement ‒ à l’échelle de notre bon Pont-de-l’Arche ‒ les débats passionnés et les mutations sociales, voire symboliques, qui ont refaçonné la France dans les années 1930. Loïc Lemarchand nous apprend que Louis Guérin fut instituteur de la proche commune de Canappeville de 1923 à 1927 et qu’il décéda en 1963 à Sotteville-lès-Rouen.
Reproduction d'une photographie éditée suite à la Fête du printemps de 1937 organisée par les Amis de l'école laïque de Pont-de-l'Arche. Endoctrinement politique ou démonstration, par l'exemple, de la force créatrice et pédagogique ? Le débat était déjà vif en ce temps à ce sujet...
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