Nos recherches sur l’histoire de Pont-de-l’Arche et des Damps nous ont donné le plaisir de faire la connaissance de nombreux anciens de Pont-de-l’Arche et des Damps. Parmi eux, nous avons discuté à plusieurs reprises avec Jacques Duretz, surtout en 2010. Collectionneur de cartes postales sur Pont-de-l’Arche et copain de mon père ‒ ancien facteur des Damps ‒ la porte était grande ouverte et les discussions n’en finissaient pas autour de l’histoire, principalement. Dans une ambiance familiale, rue du Val des Damps, avec sa femme et son fils, Thierry, nous coulions du temps et des verres bien agréables...
Jacques, d’un âge bien mûr et peinant à arquer, avait le rire fort et l’humour bien taquin. Un des sujets qui faisaient le mieux voir en lui la flamme de l’homme passionné ‒ celle du jeune homme ‒ était un des anciens métiers de son père Marceau Duretz : réparateur de péniches au chantier naval de Limaie, commune d’Igoville.
Ce chantier était situé dans l’entrée de l’ancienne écluse de Limaie, celle qui avait été bâtie sur ordre de Napoléon et inaugurée en 1813 avant de tomber en désuétude avec la chute de l’ancien pont de bois en 1856. Une entreprise avait bâti un immense local au-dessus d’une partie de l’écluse ; local permettant la réparation des péniches dans d’une période où la navigation fluviale était dense entre Paris et Le Havre.
Jacques était fier de m’apprendre qu’il était né en 1928 dans une des maisonnettes du quai de Verdun (n° 3 ou 5). Ces maisonnettes furent construites vers 1900 à en voir le type de briques et leur assemblage et d’après ce que montrent les cartes postales des années 1910. Jacques m’apprit que ces maisonnettes furent bâties pour servir de logements aux employés Sénécaux. Les maisons de la zone du Fort (Limaie, à l’endroit de la station de lavage des voitures) avaient aussi été bâties pour les employés de Sénécaux.
Il semble que Sénécaux désigne le nom du fondateur de l’entreprise de réparation de péniches. Jacques avança que les directeurs de Sénécaux furent Louis Lossignol puis Monsieur Serre, dernier directeur. M. Lossignol habitait la grande demeure au-dessus des maisonnettes ouvrières (la maison de feu le docteur Fernand Attal). Celle-ci furent donc bâties juste à côté de sa propriété. Elles sont une propriété de la Ville de Pont-de-l’Arche depuis 2009 où le projet était de mettre en valeur les remparts.
Jacques se rappelait avoir entendu que trois péniches avaient été coulées en face des chantiers Sénécaux pour rassembler les iles et séparer l’Eure de la Seine. Ceci dans le cadre des travaux de canalisation de la Seine et de prolongement du cours de l’Eure des Damps jusqu’à Martot.
Souvenir de guerre, “le pont de bois construit pour les Allemands lors de l’hiver 1940 a été fait avec des péniches des chantiers Sénécaux. Le charbon que certaines péniches portaient a été déversé devant le port des Damps. Les Dampsois ont dragué les berges pendant quelques temps pour le récupérer, l’utiliser ou le revendre…” et Jacques de me montrer, à l’appui de ses dires, un de ces charbons de bois qu’il me donna.
Puis, grande fierté chez mon interlocuteur, Marceau Duretz “et des employés de chez Sénécaux coulèrent des péniches Sénécaux pour ralentir la fuite des Allemands”. Marceau “fit partie du Conseil d’administration mis en place par la Résistance” en lieu et place de l’ancienne municipalité de Raoul Sergent.
Un document retrouvé sur le Net, une attestation de remise de somme contre la vente d’un camion, nous apprend qu’en 1956 le chantier Sénécaux était possédé par une entreprise parisienne : la Société générale de transports (SGT) ; un nom qui fleure bon la batellerie ! Ce document rappelle que la société Sénécaux avait pour raison sociale “Sénécaux, Patin et Delquigny”, c’est-à-dire exactement ce que l’avers d’une photographie de Jacques nous avait appris. Comme quoi, quand la passion est là, la mémoire ne flanche pas. Jacques, qui habitait juste en face des chantiers, de l'autre côté de la Seine, nous a quittés en 2013 avec, peu après lui, sa femme et son fils.
Nous l’avions pris en photographie sur le marché de Pont-de-l’Arche un matin de beau soleil ; un beau soleil qui me revient à l’esprit quand je songe à eux et à beaucoup d’autres...
Carte postale des années 1960 montrant les péniches devant le bâtiment principal du chantier Sénécaux (démoli depuis).
Les maisonnettes du quai de Verdu où naquit Jacques Duretz en 1928. Elles servirent de logements pour les ouvriers de Sénécaux (clichés Armand Launay, 2006).
Carte postale des années 1910 attestant de l'existence des maisonnettes qui nous intéressent ici, quai de Verdun.
Maisons de Limaie, zone du Fort, entièrement rasées à la Libération à cause de dommages de guerre. Elles servirent aussi de logements aux ouvriers de Sénécaux selon Jacques Duretz.
Vestiges des bâtiments mineurs du chantier. Salut Edouard, Jean-Pierre et Jacques ! (clichés Armand Launay, 2010).
Document de 1956 où l'on apprend que le chantier Sénécaux a été racheté par la Société générale de transports, siégeant à Paris.
Jacques Duretz durant ses emplettes au marché de Pont-de-l'Arche : le jeune homme en bas à gauche, regardant l'objectif (cliché Armand Launay, 2010).
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