Il occupe beaucoup de cartes postales anciennes et occupait un important espace du centre-ville de Pont-de-l’Arche occupé de nos jours par le Crédit agricole, dans la rue Alphonse-Samain. Nous avons souhaité en savoir plus sur cet ancien hôtel un peu mystérieux...
L'hôtel de Normandie a fait l'objet de nombreuses éditions de cartes postales illustrées que l'on retrouve aisément de nos jours. Il les commercialisa assurément lui-même.
L’hôtel le plus soigné de la ville ?
L’hôtel de Normandie a, semble-t-il, été l’établissement le plus soigné de la ville. Il est très documenté par les cartes postales illustrées. Son nom indique que les tenanciers de cet hôtel voulait en faire une étape à dimension régionale entre Paris et Rouen. C’était le cas du temps où il fallait une bonne journée pour gagner la capitale normande depuis Paris. C’était toujours le cas dans la première moitié du vingtième siècle où de longues heures de route étaient nécessaires pour réaliser le trajet ou aller au Havre, ou sur la côte fleurie. Le nom exprime donc la volonté d’accueillir des Parisiens ou autres personnes extérieures à la Normandie. Ce nom témoigne aussi d’une époque où, la France s’unifiant culturellement et commercialement, des habitants ont ressenti l’envie de valoriser leurs particularités, leurs pays ou provinces, leurs folklores.
Cet hôtel était bien situé le long de la route principale entre Paris et Rouen et, plus précisément, au bord de la Seine, lieu de pêche, de navigation, de loisirs pour les classes aisées.
Nous construisons une bonne partie de notre étude sur la comparaison entre le plan cadastral de 1834 (archives départementales de l'Eure) et un détail d'une photographie aérienne de la toute fin des années 1950.
Un édifice datant approximativement de 1880 ?
L'édifice en brique de l’hôtel de Normandie doit dater des années 1880. La France connaissait alors une période de prospérité depuis 1860 où les auberges d’antan ont laissé place à des établissements plus conformes aux exigences hygiéniques et hédoniques. C’est ce que semble prouver l’usage de la brique pour deux des quatre corps de bâtiments composant l’édifice de l’hôtel.
Nous avons comparé trois documents ici :
Tout d'abord, le détail d’une photographie aérienne de la fin des années 1950 illustrant une carte postale. Puis, nous avons observé le plan cadastral de 1834. Une première observation permet de comprendre que les corps de bâtiments ne sont plus les mêmes, sauf exceptions partielles. Enfin, nous avons consulté un dessin de 1873 réalisé par Paul Langlois qui montre que les bâtiments nouveaux n'existaient pas encore. En effet, Paul Langlois représenta la maison natale de son grand-père Hyacinthe Langlois. Sur la droite du dessin réalisé depuis la rue Abbaye-sans-toile se voit une maison à pans de bois datant vraisemblablement du XVIIe siècle. Deux grandes ouvertures, au deuxième niveau, montrent que ce bâtiment était peut-être déjà destiné à l'accueil des voyageurs.
Dessin de Paul Langlois, daté de 1873, où l'on voit la maison natale de son grand-père, Hyacinthe Langlois du côté de la rue Abbaye-sans-toile. Sur la droite, se voit un bâtiment qui préexista à l'hôtel de Normandie en brique que nous retrouvons à partir des années 1880.
Le corps d’hôtel en brique
La réception de l’hôtel et les chambres se trouvaient dans deux corps de bâtiments différents. C’est ce que montre la photographie aérienne notamment par les ruptures entre les lignes de toit et, aussi, la différence entre les encadrements en pierre des portes et fenêtres du corps faisant l’encoignure et l’exclusivité de la brique dans le corps plus haut dans la rue Alphonse-Samain. Nous sommes ici dans une période de transition architecturale. La brique prédomine mais la pierre est toujours vue comme matériau noble. Elle sert à orner les parties notables du corps de bâtiment. Puis, on apprend à disposer la brique de manière à ornementer les façades. Les deux corps qui nous intéressent ici sont couverts d’un toit à la mansarde, technique prisée dans les maisons de ville à la fin du XIXe siècle. Un passage existe dans le corps signalé comme “garage” (voir la carte postale plus haut), ceci afin de gagner la cour intérieure et les écuries. Il semble que l’hôtel de Normandie occupât d’abord uniquement le corps faisant l’angle entre la rue Alphonse-Samain et le quai de Verdun. Il dût s’agrandir par l’acquisition d’un deuxième corps plus haut dans la rue et constituer ainsi un bâtiment plus imposant.
L'hôtel de Normandie géré par M. Gonnord, papier à en-tête datant des années 1890 retrouvé dans les archives de la mairie de Pont-de-l'Arche. Il servit de brouillon pour réfléchir à des concessions du cimetière. Nous avons recadré la représentation dessinée de l'hôtel.
L’adjonction en bois : la salle de restaurant
Un des attraits de l’hôtel de Normandie était sa salle de restaurant, très lumineuse grâce à de nombreuses baies. Celles-ci étaient rendues possibles par l’architecture légère en bois. L’analyse des photographies montre que cette adjonction, apparue à une date que nous ignorons, était assise sur un mur fait de chainages en brique et de remplissage en moellon calcaire scié. Il semble que ce mur soit issu d’un remaniement datant approximativement de 1860 et qui reprend les limites d’un précédent corps. Deux portes au rez-de-chaussée donnaient accès à ce qui était une réserve, donnant peut-être accès à une cave. La façade de l’hôtel vante sa “terrasse”. Celle-ci devait se trouver du côté de la cour intérieure. On peut rêver aujourd’hui à la belle vue que devaient offrir ces baies sur les berges de Seine. On peut imaginer aussi les concerts et les danses donnés ici les weekends et jours de fête.
La salle du restaurant de l'hôtel dans une adjonction plus récente que le corps principal de l'hôtel (copie d'une carte postale illustrée).
Les écuries
La photographie des années 1950 montre un corps de bâtiment qui daterait bien, partiellement, d’avant la période de remaniement de cet ensemble urbain. Il se trouve du côté de la rue Abbaye-sans-toile. Il est marqué du nombre 261 sur le plan cadastral. Il présente un haut mur fait de chainages en brique et de remplissage composé de moellon calcaire scié et de pierres de taille, assurément récupérées de l’ancien rempart. Au rez-de-chaussée, une large porte donne sur la rue qui semble indiquer l’utilisation de ce corps comme réserve, notamment de foin. Peut-être que cette porte donnait aussi accès à une cave. Quant au deuxième niveau, il comporte une petite porte donnant sur le vide au-dessus de la rue et une série de petites ouvertures assurant la respiration, au figuré, du bâtiment et, au propre, des chevaux. Sa partie haute est faite de pans de bois. Ce corps semble avoir été remanié au milieu du XIXe siècle. Ce qui nous fait penser cela est l’espacement entre les pans de bois et, surtout, la faible pente des pans du toit. Les ouvriers ont repris les matériaux les moins chers mais assemblés selon une technique de leur temps. Ce choix a dû être motivé par le fait que ce corps de bâtiment servait de réserve, d’écurie et non d’habitation humaine. Ce corps a, semble-t-il été agrandi comme l’indique la rupture de ligne entre la partie basse du mur et la partie à pans de bois.
Cette copie de carte postale illustrée offre une vue sur la rue de l'Abbaye-sans-toile et permet d'analyser les matériaux et l'architecture des écuries de l'hôtel de Normandie.
De quoi était fait l’intérieur ?
Louis Müller a laissé un témoignage de l’intérieur de cet hôtel, plus précisément la salle du restaurant, dans son Guide du promeneur autour de Rouen. Publié à Rouen en 1890, il traite de Pont-de-l’Arche et de l’ancienne abbaye de Bonport aux pages 126 à 140. À la page 134, il écrivit : "En quittant le pont, on voit à gauche un hôtel bien connu des artistes normands et parisiens qui viennent en villégiature dans les environs : l’hôtel de la Normandie. Le propriétaire, M. Gonnord, a eu l’heureuse pensée de garder de leur séjour un souvenir durable. Il a multiplié dans la salle à manger les placards en les faisant étroits et hauts. Vous êtes certainement anxieux de savoir quel rapport ces fouilles dans les murailles peuvent offrir avec l’art. Eh bien ! Le placard n’est qu’un prétexte à panneaux. Chacun des deux battants qui les ferment est divisé en trois compartiments, dont l’intermédiaire, au rebours des deux autres, est plus large que l’autre. Sur chacun d’eux, un peintre, selon son inspiration, a brossé ici une scène champêtre, là un portrait, là une allégorie, là un coin de Pont-de-l’Arche. Certains de ces panneaux, signés Joubert, Renault, Hédou, Jourdeuil, de Vergèse, Baillet, sont de charmants tableaux, pleins de reliefs et de coloris, et surprennent agréablement les convives, peu habitués à de pareils régals dans un hôtel de bourgade rurale ".
On retrouve deux cartes postales illustrées de ces estampes. C’est assurément l’hôtel de Normandie lui-même qui les fit éditer et qui les vendait.
Reproduction d'estampes d'artistes décorant les placards de la salle de restaurant. Elles ont été reproduites sur des cartes postales illustrées. Peut-être attestent-elles d'une activité hôtelière au début du XIXe siècle déjà où le vieux pont était encore debout ainsi que les remparts, dont la poterne de la Petite-chaussée.
Une place dans la sociabilité locale ?
Cet hôtel a joué un rôle dans la sociabilité archépontaine comme en témoignent les articles du journal L’Industriel de Louviers. Nous citons, à titre d’exemples, la tenue des réunions de l’Association républicaine du canton (ARC) regroupant des républicains de gauche, des radicaux, voire des radicaux-socialistes, très présents parmi les commerçants du centre-ville. Le 11 mars 1914 témoigne aussi d’un banquet, à “l’hôtel Meyer”, précédant la tenue du Conseil de révision en mairie (alors au bailliage). S’y tenaient aussi, des représentations cinématographiques. Par exemple, le “Cinéma Gaumont” était venu en octobre 1913 pour projeter deux films dans “la salle des fêtes de l’hôtel de Normandie”. Il projeta notamment “Par l’amour”.
Copie d'une partie de l'article de L'Industriel de Louviers qui traite du conseil de révision dont le banquet se tint à l'hôtel de Normandie, alors tenu par M. Meyer. La photographie semble montrer des jeunes hommes concernés par le conseil de révision (collection de Catherine Didelon).
L’hôtel de Normandie rasé par le Crédit agricole.
Cet hôtel ne disparut pas à cause des combats de la Seconde guerre mondiale, on songe surtout au dynamitage et aux bombardements du pont situé immédiatement à côté. On voit toujours l’hôtel de Normandie sur des éditions de cartes postales des années 1950 et 1960. Il a cependant perdu de son utilité et de son aura à mesure que les transports routiers et les moyens de locomotion ont gagné en efficacité. Citons, dans notre ville, l’ouverture en 1955 du nouveau pont qui a permis de réaliser la déviation nord-sud de Pont-de-l’Arche.
Nous ignorons dans quelles conditions cet établissement fut vendu. Mais l’acheteur visait surtout l’imposante emprise foncière, pour le centre-ville, des quatre corps de l’hôtel. Tous furent rasés vers 1965 afin de construire un édifice contemporain bâti pour servir d’agence bancaire sous l’enseigne du Crédit agricole. Cette agence fut inaugurée en 1985. L’ampleur de cet aménagement augura l’arrivée d’agences bancaires dans le centre-ville. Cependant aucune ne rivalisa en taille et ne bouleversa autant l’urbanisme existant.
Sur cette photographie aérienne se voit la toute récente piscine municipale inaugurée en 1967. Sur la gauche se voient nettement les fondations et quelques cases de garage de ce qui sera l'agence du Crédit agricole.
Cette opération eut lieu au début de la deuxième mandature de Roland Levillain, maire de droite, promoteur immobilier, appuyé par les commerçants du centre-ville. L’édifice du Crédit agricole fait référence à l’architecture médiévale par des pans de bois en trompe-l’œil et par des pentes aux fortes déclivités rappelant les toitures se jouxtant dans le désordre d’un intense tissu urbain médiéval. Mais l’édifice rompt avec l’architecture traditionnelle : larges baies, toit plat à certains endroits, rampe d’accès... et se fond mal dans la vue générale depuis le pont sur le vieux Pont-de-l’Arche.
Des Archépontains ont témoigné des travaux. Ils ont été frappés par les toupies de ciment nécessaires au comblement d’une ancienne cave. Cette cave aurait ressemblé à celle de la Salle d’Armes, ce qui serait l’indicatif d’une origine médiévale. Où était-elle précisément ? Nous ne le savons pas. Ces témoignages sont-ils délirants ? Pas du tout quand on connait l’existence d’une cave dont l’entrée est visible à contrehaut dans la rue Abbaye-sans-toile et dont le vaisseau se situe sous une maison de la rue Alphonse-Samain.
L'actuelle agence du Crédit agricole (clichés Armand Launay, juillet 2019).
Vue générale sur Pont-de-l'Arche depuis le pont (cliché Armand Launay, juin 2006) où l'agence du Crédit agricole jure par la différence de ses volumes, ses espaces perdus par fantaisie et ses lignes ne régnant volontairement pas avec celles des édifices du quartier.
Enseigne du Crédit agricole reprenant son logotype, au premier plan. Au second plan, une lucarne en oeil-de-boeuf avec bel encadrement ouvragé en plomb d'une maison voisine (cliché Armand Launay, avril 2016).
En guise de conclusion, nous avons jalonné de dates ‒ sans grande précision ‒ les activités et l’occupation des lieux d’une partie du centre-ville de Pont-de-l’Arche. Après la démolition des remparts de la ville et donc de l’entrée fortifiée protégeant l’entrée du pont, il semble qu’une auberge ait prospéré. Vers 1880, les anciennes maisons à pans de bois ont été remplacées par des édifices en brique, le plus souvent, hormis des corps servant de réserves. L’hôtel de Normandie s’est agrandi, semble-t-il, au point d’occuper tout l’espace entre la rue Alphonse-Samain et la rue de l’Abbaye-sans-toile. Il a été l’établissement hôtelier le plus notable de la ville durant plusieurs décennies. Or, il a été victime de la révolution des transports ‒ routes et moyens de locomotion compris. Il a perdu une grande partie de sa clientèle et ferma ses portes vers 1965. Il a été acheté, démoli, et remplacé par une agence bancaire, activité très en vogue, depuis, dans le centre-ville qui en regorge. Quant à l’offre hôtelière plus globale, nous lui consacrons un article ici.
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