Ouh l’arnaque ! Derrière un titre pseudo universitaire et sérieux, se trouve une liste d’hôtels peu connus, peu renseignés, où l’auteur se contente de photographies et d’informations éparses. “Oui, mais on fait faute de mieux” s’est défendu l’accusé qui a promis de compléter l’article dès que ce sera possible. Commençons la balade avant de louer notre chambre... ou l’auteur !
L'hôtel de la Tour, photographie de 2010 des tenanciers et du personnel sur le degré de l'établissement (photographie fournie par M. Naudin).).
Les auberges d’Ancien Régime
Dans son mémoire de maitrise soutenu en 1992, Bénédicte Delaune (Pont-de-l’Arche, population, pouvoir municipaux et société à la fin du XVIIIe siècle et pendant la Révolution) nota que l’activité hôtelière comprenait 8 aubergistes et 2 cabaretiers dans les capitations de 1788 (un impôt). Cela faisait donc une dizaine d’établissements et nous ignorons combien de personnes y travaillaient. Cela représentait 10 personnes sur 48 payant la capitation au titre du commerce, soit un cinquième de ce secteur. À comparer aux 102 capitations payées au titre de l’artisanat qui occupait beaucoup de boutiques du centre-ville. Si nous ne sommes pas trop mauvais en calcul, cela faisait une auberge pour 11 boutiques. Les auberges étaient donc proportionnellement nombreuses dans cette ville. C’était somme toute assez compréhensible étant donné que Pont-de-l’Arche était une étape routière entre Paris et Rouen (et fortifiée) grâce à son pont enjambant la Seine et une étape fluviale sur la Seine avec une nécessité de monter les bateaux sous le pont.
L’hôtel de la poste
Les cartes postales des années 1950 montrent encore “l’hôtel de la poste”, dans la rue de Paris. Cette rue porte désormais le nom de “Président-Roosevelt”. La poste a changé d’emplacement. Cet établissement est connu des Archépontains sous le nom de “Bar de l’arche”. Cela montre que cet établissement était orphelin d’un nom précis depuis le départ de la poste en 1950. On l’a donc nommé “Arche” en référence au nom de la ville pour lui donner une authenticité, un caractère normand derrière ses pans de bois. Ce bar est devenu un restaurant sous le nom d’“Au fil de l’Eure” de 2009 à 2013. Depuis, il est demeuré fermé. Les cartes postales, revenons-y, montrent que l’hôtel de la poste faisait aussi bar et restaurant. Son emplacement était idéal, du côté de l’entrée de Paris. Il nous semble que ce soit le dernier hôtel a avoir été actif dans une demeure à pans de bois du centre-ville, c’est-à-dire dans ce que l’on appelait, jadis, une auberge. Les autres hôtels actifs dans les années 1950 exerçaient dans des édifices en brique du XIXe siècle.
Au lion d’or ?
Nous n’avons aucune information sur ce qui eût été une auberge ; seulement une supposition à partir du nom : la cour du Lion d’or. Ce nom n’a pas de sens. Quel lion ? Pourquoi en or ? La cour existait jusque dans les années 1950. On en voit toujours un passage plus haut dans la rue, au-delà d’un petit parking. Des maisons à pans de bois étaient alignées jusqu’à la place Hyacinthe-Langlois. Nous pensons que le nom “au lion d’or” est un jeu sur l’homophonie avec “au lit on dort”. Ce nom serait assez cohérent pour une auberge. Mais où eût été cette auberge ? Nous l’ignorons.
Le panneau sculpté
Une autre auberge existait, semble-t-il, sur la place du marché, la place centrale du Pont-de-l’Arche médiéval. On peut en retrouver l’existence grâce à un beau panneau de bois sculpté évoquant les voyageurs et les festivités. Il devait servir d’enseigne. Avec notre ami Frédéric Ménissier nous lui avons consacré une étude, à lire ici.
L’auberge où pend la tête noire, devenue ensuite hôtel
C’est un nom bien étrange qui témoigne d’un temps où les hommes se passaient de dénomination commerciale précise pour désigner une activité de service. Nous avons retrouvé une faible copie d'un dessin représentant cette auberge. Elle est issue du site Internet du musée de Poitiers. Dans cette ville il existe une rue de la Tête noire et c'est sûrement ce qui a induit une personne en erreur en donnant ce dessin au musée de la ville. Nous avons tout d'abord pensé, étant donné le dessin daté du 9 septembre 1864 et signé par un dénommé "Bayne", que cette auberge se trouvait dans la rue Jean-Prieur, plus précisément dans la maison à avant-solier (deuxième niveau en large encorbellement au-dessus de la voie). C’est ce que montrerait la présence de la tête noire, sur une enseigne débordant bien de l’édifice. Le dessin mentionne bien le nom de “hôtel de la tête noire” le long d’un bandeau qui couronne le portique.
Mais Jacqueline Nalet, Archépontaine qui réalise des recherches sur l'histoire de sa ville, nous a mis sur une autre voie qui s'avère plus juste. Une auberge de la Tête noire est citée dans un document de 1761, malheureusement non sourcé, qui mentionne la "grande rue de la Geôle", c'est-à-dire la prison de l'ancien bailliage et donc l'actuelle rue Julien-Blin.
"Une maison à deux corps devant et derrière assise au Pont de l'Arche en la rue grande rue de la Geole proche de la Teste noire que j'ai acquise de feu Guillaume du Cros mon père par contrat passé au tabellionnage du Pont de l'Arche... par maitre Louis Heurtematte, avocat tabellion jour de décembre 1698."
Or, le plan cadastral représente une maison à avant-solier en ce lieu, à l'entrée de la place Hyacinthe-Langlois.
Sur cet extrait du plan cadastral se voit une maison à avant-solier (parcelle 133) qui empiète sur la rue à la jonction entre la rue Julien-Blin et la place Hyacinthe-Langlois. Il est très probable que ce soit l'emplacement de l'auberge de la Tête noire.
Les hôtels du XIXe siècle à aujourd’hui (2019)...
Au Grand Saint-Éloi
Le restaurant-hôtel au Grand Saint-Éloi a déjà fait l’objet d’un article, suite à la demande de son avant dernier propriétaire, Didier Joffres. Cet établissement nous est connu grâce aux cartes postales des années 1910. Il était devenu café-restaurant puis un restaurant traditionnel, de qualité. Il a cependant fermé ses portes en 2012 avant d’être remplacé par une restauration rapide turque dénommée Ankara.
L’hôtel de Normandie
Cet établissement, sûrement issu, d’une auberge d’Ancien Régime jouxtant le pont de la ville, s’est développé en grand hôtel vers 1850. C’est ce que nous retraçons dans un article où l’on mesure qu’il s’agissait-là du haut de gamme de l’offre hôtelière archépontaine. Salle de restaurant vaste et lumineuse, écuries puis garage, salle de billard, café... Il a néanmoins fermé ses portes vers 1965 victime, notamment, de la déviation de la route Paris-Rouen en dehors du centre-ville avec l’inauguration, en 1955, du nouveau pont.
L'hôtel de Normandie fut le plus grand établissement de la ville, ici sur une carte postale des années 1910.
L’hôtel de la carpe
Situé face à l’hôtel de Normandie, à l’entrée du pont et donc vers la route de Rouen, cet établissement était moins grand et plus modeste que son voisin d’en face. Son nom semble l’indiquer : il s’agit d’un bar-hôtel, lieu de rendez-vous des pêcheurs de la ville et de la région. En effet, les pêcheurs venaient de Rouen, voire de la région parisienne, pour s’adonner à leur loisir dans les eaux de la Seine, puis de l’Eure en face de Pont-de-l’Arche. C’est ce que prouve notamment l’édition de multiples cartes postales traitant du thème de la pêche.
Une association locale de pêche porte aussi et toujours ce nom. Avec la création d’une piscine municipale en 1967, cet établissement fut rebaptisé “le bar de la Piscine”, traduisant le fait que sa clientèle s’était géographiquement restreinte. Même après la fermeture de la piscine en 1996, les Archépontains ont connu cet établissement sous le nom de “bar de la piscine”, faisant de plus en plus sourire au fil des ans. L’hôtel s’est transformé en locations au mois.
En 2007, le bar a été rebaptisé “Kafaleón” et a proposé des concerts, renouant avec une tradition disparue de jouer de la musique dans la ville. Puis, en 2014 (?), ce bar est devenu “Le Tassili”, avec possibilité de restauration. Cela témoigne de la prise d’importance de l’immigration dans l’animation du centre-ville dans les années 2010. Il en est de même pour l’ancien hôtel-restaurant “au Grand-Saint-Éloi” remplacé par une restauration turque dénommée Ankara.
L'hôtel de la Carpe sur une photographie des années 1970. A noter, l'effacement du mot "hôtel" sur l'enseigne. Sur le deuxième document, le même lieu photographié en juillet 2019 (cliché Armand Launay).
L’hôtel-restaurant “le Sainte-Marie”
Moins connu et moins bien placé était l’hôtel-restaurant le Sainte-Marie. Il se trouvait immédiatement après l’entrée Est de la ville, vers Les Damps et, surtout durant l’Ancien Régime, Le Vaudreuil ; c’est-à-dire la route de Paris. C’était une entrée moins importante que celle du sud vers Louviers. On retrouve cet établissement dans les cartes postales des années 1910 où il ressemble surtout à un débit de boissons. Il devait son nom, semble-t-il, au fait que la rue Sainte-marie aboutissait sur la porte ouvrant le rempart. Cette porte porta peut-être même le nom de Sainte-Marie. L’établissement qui nous intéresse comporte une niche dans laquelle une statuette de Sainte-Marie trône. L’objet en lui-même date du XXe siècle et ne présente pas d’intérêt patrimonial. Il a en revanche le mérite de rappeler l’utilisation récurrente des images pieuses dans les rues et des villes et les chemins de campagne. Cet usage s’est plutôt perdu dans la ville avec la déchristianisation qui a touché et touche toujours la France. Jusque dans les années 2010, le Sainte-Marie proposait un service de bar, restaurant le midi et chambres à louer au mois. Il a été renommé le “Marisa” en 2009. Il a fermé ses portes vers 2013.
La statuette de la Vierge à l'Enfant, représentation de Sainte-Marie, dans une niche de l'établissement dénommé Sainte-Marie (cliché Armand Launay, juillet 2015).
Hôtel du Midi / L’Estaminet
Cet établissement en brique a remplacé l’ancien bastion qui barrait la porte de Paris. Cette porte perçait le rempart. Le bastion était avancé vers le sud et a laissé vacant l’espace dénommé depuis “la place Aristide-Briand”. L’édifice a été construit comme la mode le voulait, au XIXe siècle, autour des places : en arc de cercle. Cela ne saute pas aux yeux car les dimensions de l’édifice sont plus modestes que des immeubles haussmaniens de la Capitale.
Cet hôtel a peut-être remplacé une auberge d’Ancien Régime. En effet, cette entrée était importante. Jusqu’après le bastion commençait la route de Paris. C’est là que se situaient les postes et ses écuries. À ce propos l’écurie de l’hôtel du Midi se voit sur les cartes postales anciennes, de l’autre côté de la rue. Elle semble avoir été bâtie au début du XIXe siècle avec des chainages en brique et du moellon calcaire en remplissage. Elle ressemble en cela beaucoup à certains corps de bâtiments au début de la route de Louviers, rue Charles-Cacheleux, côté gauche.
Quant à l’appellation d’”hôtel du Midi”, elle s’explique car il s’agissait bien de la porte sud de la ville, bien ensoleillée quand les nuages ne font pas obstacle. C’est vers 1905 que l’hôtel a été rebaptisé “Faisan doré” qui sonne comme une revendication de bonne table traditionnelle. C’est sous ce nom que l’on retrouve cet établissement sur les cartes postales des années 1960 où une adjonction au rez-de-chaussée apparait, notamment dotée de larges baies.
Cet établissement a ensuite a cessé de proposer des chambres et s’est concentré sur son restaurant et son café-bar. Il a pris le nom d’Estaminet qui témoigne du souhait de proposer des boissons, voire des jeux comme dans le Nord de la France. Quel comble d’être passé d’un nom citant le Midi à un nom venu du nord !
Des clients, puis des tenanciers, famille Saint-Pierre, et le personnel posant devant l'hôtel du Midi vers 1900 (photographies de la famille Duretz).
L’hôtel d’Elbeuf
Signe des temps qui ont changé, un hôtel s’est implanté dans le petit faubourg situé, par définition, en dehors du centre-ville intramuros (c’est-à-dire dans les remparts, les ”murs”). Le bar-hôtel de la route d’Elbeuf, devenue rue Général-de-Gaulle, s’est tout simplement appelé hôtel d’Elbeuf. Ses derniers propriétaires se nommaient Réboli. Il a fermé ses portes dans les années 2000 et est devenu une maison d’habitation.
L'hôtel d'Elbeuf dans une carte postale des années 1920. Notez la pompe à essence devant la terrasse. .
L’Hôtel de l’écluse à Limaie
Cet établissement n’était certes pas dans le Pont-de-l’Arche intramuros, mais il est tentant de voir dans Limaie un faubourg de la ville. Ce faubourg fut attribué à la paroisse d’Igoville, durant l’Ancien Régime puis à la commune du même nom en 1790. Il est tentant aussi de laisser quelques lignes sur l’existence de cet établissement. On la retrouve sur des photographies anciennes. Près de l’ancien canal, on imagine déjà les dimanche après-midis d’accordéon et de danse arrosés de vin. C’est l’auberge du Pressoir qui reprit quelques-unes de ses fonctions, du moins dans la restauration.
L’hôtel de la tour, défenseur d’une tradition archépontaine !
L’hôtel de la tour est le dernier hôtel subsistant à Pont-de-l’Arche. Idéalement situé au quai-Foch, en face du camping et des berges de l’Eure, des iles de Seine, il sort un peu de la ville et se tourne vers la verdure, la nature. Il démontre d’un changement de mentalité, l’hôtel n’accueille pas des voyageurs contraints, mais des touristes choisissant autant que possible la qualité du cadre, notamment naturel, reposant. L’ouverture de cet hôtel semble dater des années 1970 sans que nous puissions apporter de précision. Nous publions ci-dessous des extraits d’un article que nous avions rédigé pour Pont-de-l’Arche magazine n° 7 de l’été 2010 :
“Agréablement situé entre les bords de l'Eure et les remparts du XIIIe siècle, l'hôtel de la Tour est le seul établissement hôtelier de la ville. Tenue par Chantal et Joël Naudin, il propose 18 chambres équipées de tout le confort attendu d’un trois-étoiles.
Originaires de Paris, les Naudin sont tombés sous le charme de l’hôtel et de la ville lorsqu’ils se sont lancés dans la profession, c’était il y a 5 ans. « J’étais technicien motoriste, nous apprend Joël, et je me suis dit, lors d’un déplacement, que tenir un hôtel serait motivant pour poursuivre ma carrière. Ma femme aussi souhaitait évoluer et depuis nous ne regrettons rien. Nous avons le plaisir du contact ». C’est ce qui permet aux Naudin d’être disponibles 24h sur 24h, notamment, grâce au renfort de leurs trois employées, Martine et Sophie Aubel et Mathilde Cheval.
La clientèle ? Elle est principalement composée de professionnels et d’étrangers. Le tourisme représente 20% des clients en période estivale. « Les touristes étrangers, les Anglais principalement, se recommandent notre hôtel grâce au bouche à oreille. C’est une reconnaissance qui nous va droit au cœur. » A deux minutes des restaurants du centre ville, gageons que Pont-de-l’Arche saura leur plaire !
En attendant, bravo à Chantal et Joël Naudin qui prennent une part active à faire de Pont-de-l’Arche une ville accueillante…
Hôtel de la tour / 41, quai Foch / 33 (0)2 35 23 00 99.
http://pagesperso-orange.fr/hotel-de-la-tour (réservation en ligne possible)”
Autrement, l’offre hôtelière est désormais concentrée autour des grands axes, principalement autoroutiers. Nous songeons au parc des Saules à Val-de-Reuil. L’offre est concentrée aussi dans quelques mains : celles du groupe Accor. La recherche du profit capitaliste a bien fonctionné dans l’hôtellerie qui a dépossédé le centre-ville d’une de ses activités professionnelles propices à l’animation, à la sociabilité. C’est ce que nous avions étudié dans un article dévolu au rapport entre l’économie et le contact humain.
Des hôtels d’un autre genre ?
Dormir à Pont-de-l’Arche est aussi possible sous d’autres formes. Cela se fait dans le terrain de camping municipal, ouvert durant six mois par an et dans les “Chambres de la Borde” situées dans le chemin de La Borde, vers Les Damps. Elles sont tenues par Alexis et Yvette Magnen depuis 2013.
Par extension, le mot hôtel désigne aussi les grandes demeures particulières, c’est-à-dire à usage privé. Nous en avons étudié certaines à Pont-de-l’Arche telles que le manoir de la Folie-Vallet, le château de l’Accueil de loisirs, l’hôtel Alexandre Delafleurière (la mairie), le manoir de Manon…
Conclusion
Certaines auberges d’Ancien Régime semblent avoir subsisté grâce à la construction d‘établissements modernes, en brique, aux entrées des villes (Normandie, Midi et Sainte-Marie). Les autres ont périclité.
Ces établissements modernes, à qui on a plutôt donné le noms d’hôtels et non plus d’auberges, ont peu à peu fermé leurs portes au fur-et-à-mesure que les transports se sont techniquement améliorés et ont rendu vaines les étapes de voyage. Le coup fatal semble avoir été porté par la déviation nord-sud de la route Paris-Rouen avec le nouveau pont de 1955.
Des hôtels ont abandonné leur activité de mise à disposition de chambres et se sont spécialisés sur leur restaurant et le débit de boissons (Grand-Saint-Éloi, l’Estaminet, hôtel de la Carpe…). Cela a permis à quelques établissements de subsister.
L’Hôtel de la Tour propose, seul, une offre hôtelière locale ce qui entre en cohérence avec la beauté patrimoniale de la ville et son cadre naturel. Cela rentre aussi en cohérence avec les projets de la mairie et, depuis quelques années, de l’intercommunalité qui misent sur le développement touristique de la région.