Carte postale des années 1910 montrant une vue générale de Léry et sa plaine alluviale depuis les hauteurs de la Voie-blanche (Archives départementales de l'Eure : 8 Fi 362-3).
Sur l’Eure, dans la partie nord de la plaine du Vaudreuil, à deux kilomètres du confluent avec la Seine, se trouve Léry. Ce nom est un mystère. Au-delà des formes latinisées, “Lereti” en 1021 et “Liretum” en 1077, un radical en “Ler” renverrait vers un hydronyme, selon Albert Dauzat et Charles Rostaing. C’est ce qu’ils affirment pour la Risle dont on a gardé les noms des communes de la Vieille-Lyre et la Neuve-Lyre. Mystère donc. Nous aurions affaire à un nom prégaulois, ce qui irait avec la présence d’un dolmen, aujourd’hui disparu, aux Vignettes.
Quel beau site ! Depuis la hauteur de la Crute (75 m) entre Les Damps et Léry, un coteau descend doucement vers Incarville, le long de l’orée de la forêt de Bord. En contrebas s’égrenaient, le long de l’Eure, des villages depuis regroupés sous le nom de Léry : la Ruelle-Polet, Léry, La Ruelle-Goujon, Les Vallées et, à mi-pente, La Voie-blanche. On peut aisément retracer les multiples activités paysannes qui occupaient immémorialement quelques familles : en forêt, la glandée des porcs ; sur le coteau plus sec de la Crute, la divagation des caprins ; l’exploitation de carrières comme on en voit toujours le relief en haut de la Voie-blanche ; la vigne à mi-pente ; la culture autour des hameaux ; l’élevage au bord de l’Eure et dans les iles ; la pêche et le commerce sur le petit port proche de l’église Saint-Ouen et de l’ancienne église Saint-Patrice (début du XIIe siècle). Le tout à l’abri des crues qui recouvraient régulièrement la plaine du Vaudreuil.
Ce sont surtout des ecclésiastiques qui se rendirent maitres des lieux au Moyen Âge. Vers 1077, Guillaume le Conquérant dota l’abbaye aux hommes et l’abbaye aux femmes, chez lui à Caen, de terres et de deux moulins, à construire : celui de l’Offrand et du moulin du roi. Ils subsistèrent jusqu’au début du XXe siècle où le moulin du roi fut reconverti en usine de pâte à papier. Elle accueille aujourd’hui la compagnie théâtrale Beau geste.
C’est l’abbaye Saint-Ouen de Rouen qui fut la mieux dotée. Vers 1018, Richard II dota cette immense abbaye de terres à Léry et lui confia la tutelle de la paroisse qui prit son nom. L’église Saint-Ouen en témoigne toujours par son nom et son architecture d’époque, bâtie entre 1130 et 1160. Classée Monument historique en 1911, elle fait partie des rares églises romanes locales. Sa beauté provient de la blancheur calcaire et l’harmonie de ses lignes pures regroupées en forme de croix latine autour d’une tour-clocher carrée. La décoration romane est riche : fenêtres en plein cintre, modillons sculptés sous le rebord du toit, portail… Même la charpente de son clocher, en flèche élancée du XVIe siècle, entre en harmonie avec l’édifice. À noter aussi, une croix hosannière du XVIe siècle, restaurée et installée devant l’église en 1875, et classée Monument historique en 1927.
Léry a aussi attiré les moines de l’abbaye de Bonport. Depuis 1195 et un don de Richard Cœur de Lion, les moines bonportois ont acquis un clos et de très nombreuses pièces de vignes. On voit encore le “manoir du clos de Bonport” au n° 3 de la rue Jules-Ferry. Il conserve du XIVe siècle, semble-t-il, des voutes en tiers point et une belle alternance d’assises de silex noir et de pierre calcaire qui rappellent le moulin de la Couture de Tostes et le manoir de Blaquetuit, à Montaure. Deux magnifiques fenêtres à meneaux de la Renaissance ajourent ce bel édifice qui accueille des chambres d’hôtes.
Léry a connu de nombreuses cultures. Celle du pavot, de la gaude pour la teinture jaune. On cultiva le tabac, avec Le Vaudreuil et Les Damps, ce que le blason contemporain rappelle par une feuille de tabac. On cultiva aussi le chardon dont on récupérait les crochets pour faire des brosses fermes. Elles servaient aux cardeurs des usines textiles qui épaississaient très légèrement les tissus en les brossant.
Léry a connu ‒ sûrement plus encore que la moyenne des communes ‒ une révolution après la Seconde guerre mondiale : celle de l’immobilier. Léry a été rolivalisé, c’est-à-dire dévalisé par la création de Val-de-Reuil qui prit 601 hectares lérysiens et apporta une vaste population (13 000 habitants) comparée au petit village normand (2 000 habitants). Un nouveau quartier fut adjoint à Léry, le quartier Candide. Léry est partiellement devenu rolivalois. Dans la même logique, afin de construire des villes nouvelles et surtout d’agrandir celles existant, d’énormes carrières de sable ont vidé la plaine de Léry-Poses. Des étangs ont remplacé le traditionnel paysage agricole et ont laissé place à la Base de loisirs de Léry-Poses, en 1972, qui a diffusé le nom de Léry dans maints esprits. Un monde a basculé qui évoluait déjà vite, comme le notèrent les ethnologues Claude Macherel et Jacques Le Querrec, en 1974, dans Léry, village normand. Un croquis ethnologique. Comme s’ils étaient conscients qu’une page se tournait ; ils ont voulu inviter leurs lecteurs à la relire afin d’en mémoriser la richesse. De même, des photographies de Jean Pottier ont alors été commandées pour immortaliser cette période que l’on savait bousculée.
Aujourd’hui les Lérysiens ont à cœur de maintenir une sociabilité à échelle communale, qu’elle soit associative, municipale ou gravitant autour de ses petits commerces. L’une d’entre elles, étudiée par les ethnologues, est celle du Petit-Saint-Ouen. Il s’agit d’un culte catholique aux réminiscences païennes qui réunit des paroissiens sur les hauteurs de Léry au printemps.
Cartes postales et photographies issues de la collection de Joëlle David que nous remercions vivement.
commenter cet article …