Martot, commune euroise de 531 habitants en 2018, offre des paysages variés depuis le bord de Seine, à 4 mètres d’altitude, jusqu’à l’orée de la forêt de Bord, sur le plateau du Neubourg, à La Vallée de la Corbillière et ses 126 mètres de hauteur. Une pittoresque route y conduit, sur le plat de la plaine alluviale, en passant par le hameau de Martot, le domaine du château, Martot à proprement parler puis près du manoir des Fiefs-Mancels et enfin, par la côte forestière vers La Vallée. Cette route date vraisemblablement des grands aménagements routiers du Second empire. Ici, à l’orée du bois, se trouve le manoir des Fiefs-Mancels, à l’entrée du Val-Asselin montant, en pente douce, vers Tostes. Un chemin offrait ici une voie aux gens du Vaudreuil allant à Rouen par les pentes douces du Ravin d’Incarville et du Val-Asselin, traversant Tostes. Le Val-Asselin offrait aussi une voie vers La Vallée et le plateau du Neubourg. Autre chemin, non négligeable, celui du Becquet entre Pont-de-l’Arche et Saint-Pierre-lès-Elbeuf. Celui-ci longeait l’orée actuelle de la forêt et semble avoir réuni des fermes-hameaux disparus à Saint-Martin de Maresdans, Gaubourg, Le Catelier et Saint-Nicolas (visible sur la carte de Cassini du XVIIIe siècle).
Martot est un village-rue constitué de deux hameaux séparés par le vide relatif du parc du château. Ce vide est occupé depuis partiellement par la route entre Pont-de-l’Arche et Elbeuf. Il est possible que le hameau de Martot, plus près de l’eau, soit plus récent et qu’il ait été érigé quand les eaux de Seine ont décru et ce afin de constituer un petit port, des maisons de pêcheurs, voire de passeurs. En effet, les courbes de niveau de la carte topographique montrent que le cœur de village se situe à plus de 10 mètres d’altitude, comme Criquebeuf, alors que les terres plus proches de la Seine se trouvent à moins de 10 mètres, comme Quatre-âge. Il est probable en effet qu’avec les défrichements du néolithique, c’est-à-dire la période où débuta la culture et la sédentarisation, les eaux de Seine se soient chargées d’alluvions qui ont comblé partiellement les bras morts, voire les bras secondaires du fleuve.
Détails du plan cadastral de la commune montrant Martot (Archives de l'Eure. Section B. Cote 3PL/736/3) et le hameau de Martot (Section A : cote 3PL/736/2).
Comparaison de l'utilisation des sols à Martot et Criquebeuf-sur-Seine grâce à deux captures d'écran du site Géoportail : l'une de la vue de 2018 et l'autre de la vue des années 1950. Carrières et remembrements des parcelles ont largement défiguré le paysage.
Une partie des terres martotaises est proche du niveau de l'eau, surtout avant les travaux des années 1930. C'est ce qui démontre cette carte postale illustrant la crue de 1910 (Archives de l'Eure. Cote 8 Fi 394-10).
Gaulois, Gallo-romains et Francs anciens
Le sol martotais est riche en matériel archéologique. En 1920, Léon Coutil publia un article intitulé “Les cinq cimetières gaulois de l'embouchure de l'Eure et de l'Andelle dans la Seine, près de Pont-de-l'Arche” dans le Bulletin de la Société préhistorique française. Il cita le “Fort d’Orléans”, que nous ne localisons pas, où trois bracelets de 9 centimètres de diamètre “ornés de grosses perles accolées avec un gros fermoir” furent mis au jour. Déposés au musée de Louviers, l’auteur estime qu’ils datent de 500 ans avant Jésus-Christ, au minimum.
En 1871, dans le tome II du Bulletin de la Commission des antiquités de la Seine-Maritime, Jude Gosselin publia, sous la houlette de l’abbé Cochet, un article sur les fouilles de “villas romaines” en forêt de Bord, réalisées en 1870 semble-t-il près de la mare Blondel, à la limite entre Martot et La Haye-Malherbe. À partir de la page 53, il localisa ces découvertes sur la Butte des vieilles maisons, à l’ouest de La Vallée et le long de l’ancienne route d’Elbeuf, à Louviers (la Sente aux moines). L’auteur fit état d’une belle construction, de 7 à 8 pièces chauffées par hypocauste, avec appareillage en silex, des peintures vives sur les bases de murs, un dallage en pierre calcaire... Des carreaux en terre cuite et cent piliers servant à l’hypocauste furent aussi découverts. L’abbé Cochet précisa dans le même document, page 126, que les vestiges d’os taillés laissent entendre qu’un atelier d’osserie gallo-romain existait en ce lieu. À la page 208, on apprend que les fouilles ont révélé deux fondations d’édifices scrupuleusement dessinées par l’agent-voyer du canton d’Elbeuf : M. Taillefesse. Outre les os taillés, des morceaux de vitres, des pots en terre et verre et divers objets ont été découverts et donnés au musée départemental de Seine-Maritime [sic].
Près du Camp Méquin de Tostes, mais dans la forêt de Bord à Martot, se trouvent aussi des vestiges, semble-t-il gallo-romains. Victor Quesné et Léon Vesly les mentionnent, de manière très imprécise, dans le Bulletin archéologique du Comité des travaux historiques et scientifiques de 1892, page XLVIII, où ils évoquent 15 tertres analogues à ceux fouillés aux Vieilles maisons en 1870 mais sans qu’ils aient été fouillés. Ils en déduisirent qu’une station romaine existait en ce lieu sur deux kilomètres. Après tout, ce rebord du plateau devait être propice à des activités paysannes variées. Il semble que ces villas aient été peu à peu délaissées et que la constitution de la forêt royale, au Moyen Âge, les ait condamnées à laisser place au bois.
Martot, un nom frappant ?
Le toponyme Martot est singulier, si l’on excepte un lieu-dit à Montpouillan, dans le Lot-et-Garonne. Il semble acquis que ce nom est norrois, c’est-à-dire scandinave. L’hypothèse habituelle avance que “mar” désignerait la mare (il est aussi son étymon) et tot viendrait de “topt”, désignant une ferme, une habitation. Martot fait partie d’un espace de colonisation scandinave dense, comme l’attestent les nombreux noms de lieux purement norrois de la proche région : Elbeuf, Caudebec, Criquebeuf, Marbeuf… Mais cette étymologie nous laisse dubitatif : le mot mare est un suffixe dans la quasi-intégralité des noms de lieux, sauf à Martot et, non loin, Marbeuf. De plus, pourquoi n’y aurait-il pas plus de mares et donc de toponymes en mare, surtout en Normandie ? Le radical “mar” ne serait-il pas une déformation du nom d’un homme ? En effet, selon certaines sources “mar” signifierait “célèbre”. Peut-être qu’un homme était à la fois seigneur à Martot et à Marbeuf ? Et pourquoi pas ? À Marbeuf se trouvait un prieuré qui dépendait de l’abbaye du Bec comme, justement, un important fief de Martot. Un ancien seigneur a-t-il cédé ses terres à cette abbaye ?
L’abbaye du Bec-Hellouin et les Fiefs-Mancels
MM. Charpillon et Caresme nous apprennent, dans l’article consacré à Martot de leur imposant Dictionnaire historique de toutes les communes de l’Eure, tome II, que des Martotais firent des dons à l’abbaye du Bec-Hellouin : “Vers 1060, Ascelin, fils de Roger, donna au Bec, avec l’agrément de Hugues du Martot son suzerain, ce qu’il avait sur Martot.” Le nom d’Ascelin pourrait bien avoir été donné par la population au Val-Asselin qui descend depuis Tostes aux Fiefs-Mancels. On apprend aussi, dans le Dictionnaire historique, qu’au XIIe siècle les moines avaient un manoir à Martot, sûrement celui des Fiefs-Mancels. Il leur fut donné par Hugues de Montfort au XIe siècle. Est-ce le même “Hugues de Martot” ? Il est probable que la parcelle dénommée Le Catelier, dans la commune de Criquebeuf-sur-Seine, ait conservé l’ancien nom de ce manoir. En effet, un catelier désigne un châtelet en normand. Puis, cet espace a sûrement pris le nom du lieu auquel il donnait accès : le Catelier, tout comme un proche espace criquebeuvien s’appelle toujours les Fiefs-Mancels, nom du manoir situé à Martot. La base Mérimée recensant une partie du patrimoine français mentionne une chapelle Saint-Nicolas, propriété du Bec, bâtie peut-être au XIe siècle et qui fut rasée au XIXe siècle. C’est assurément le site Saint-Nicolas répertorié sur la carte de Cassini, donc proche de la paroisse de Saint-Pierre-lès-Elbeuf. Les moines du Bec possédaient aussi des droits de navigation depuis Pont-de-l’Arche. Qu’y faisaient-ils transiter ? La réponse se trouve, en partie, dans une charte de 1264 par laquelle Nicolas Tronches vendit au cellérier du Bec une maison dans cette paroisse de Martot. Ils y conservaient des biens, notamment des vins provenant d’Ile-de-France, sûrement avant de les acheminer, à moindre taxe, par le Roumois, vers leur abbaye. La toponymie martotaise se fait encore sûrement l’écho de ce temps par l’expression de “Clos du Bec”, sur les berges de la Seine. Il semble que les moines avaient vendu tous leurs biens de ce lieu au XVIe siècle, d’après MM. Charpillon et Caresme. Les auteurs ne font état, à partir de ce siècle, que de deux fiefs tenus par des nobles “prenant à la fois le titre de seigneur de Martot”. Les sièges de ces domaines sont donc les Fiefs-Mancels et le château du centre-village.
Le Clos du Bec, sur le rivage, est un nom du cadastre qui témoigne de l'ancienne présence des moines de l'abbaye du Bec-Hellouin à Martot (Archives de l'Eure. Section A : cote 3PL/736/2).
Le château
Il s’agit d’un édifice de style classique, symétrique, construit en 1734 pour Nicolas Alexandre Lucas, seigneur de Boucourt. Il remplace assurément un précédent édifice sur lequel nous ne savons rien. Il comporte un étage carré et un étage de comble. Il est couvert d’un toit à longs pans brisés (mansardes) couvert d’ardoise. Le matériau utilisé est le calcaire, couvert d’un revêtement qui lisse les murs blancs. Deux ailes antérieures encadrent le corps principal. L’entrée de celui-ci est couronnée par un fronton avec quelques courbes évoquant le baroque et contrastant avec les lignes droites du reste de l’édifice. Le château fut ensuite la propriété du marquis de Poutrincourt avant d’être acheté en 1835 par Alexandre Grandin de l'Éprevier qui fit bâtir, en sus, un élégant petit théâtre dans le parc, afin de servir d’auditorium. Après guerre, le château servit de pensionnat pour la Caisse d’allocations familiales de Paris puis, à partir de 1977, il accueillit un hôpital pour personnes âgées et, à partir de 1999, il servit de siège à l’intercommunalité Seine-Bord, intégrée en 2013 dans l’agglomération Seine-Eure qui se sert du château comme lieu de réception et salle de location.
Le château de Martot, côté sud, sur une carte postale illustrée des années 1950. Cette beauté classique demandait alors une restauration.
Les églises
L’église paroisse est dédiée à Saint-Aignan. Tout un espace de la commune, au sud du centre-village, porte ce nom. Il doit s’agir de terres qui appartinssent à la paroisse, longtemps patronnée par les moines du Bec. Elle fut construite en “1857 pour monsieur Grandin de l'Éprevier, afin de remplacer l'ancienne église paroissiale, devenue chapelle du château”, nous apprend la fiche Mérimée du Ministère de la culture. On retrouve, en effet, dans le parc du château, non loin de la route, une chapelle baroque du XVIIe siècle, semble-t-il. L’église Saint-Aignan dédommage donc les habitants de la privatisation de l’église ancestrale qu’ils n’avaient pas souhaitée, par Alexandre Grandin de l'Éprevier qui était aussi maire de la commune. Elle est bâtie avec des matériaux de son temps : le calcaire en remplissage et la brique en chainage. Elle se compose d’un vaisseau allongé, d’une toiture à longs pans couronnée, au niveau de la façade est par un clocher en flèche polygonale, le tout couvert d’ardoise. L’édifice brille par la blancheur du calcaire et le contraste avec la sombreur de l’ardoise. Il est élégant bien que le transept et le chœur rompent un peu l’harmonie d’ensemble du fait de leurs dimensions plus réduites que celles de la nef. L’église n’est pas classée par le conservatoire régional des Monuments historiques. Le clou du patrimoine de Martot est une peinture à l'huile, sur bois, datant de 1604. Elle représente la Résurrection du Christ et fut inscrite au titre d’objet le 4 février 2003.
L’histoire contemporaine de Martot a été étudiée par Jean-Paul Combes, adjoint au maire, dans un ouvrage intitulé Histoire de la commune de Martot avec pour sous titre, très indicatif, “à partir des décisions et évènements relatés dans les délibérations du Conseil municipal, arrêtés du maire et courriers de 1790 à 2018.” L’auteur a complété ses travaux en publiant aussi Reproduction des récits de M. Deboos Maurice, conseiller municipal de 1945 à 1959 et maire de 1959 à 1983. Ces ouvrages ont été publiés sur le site de la mairie martot.fr qui est l’un des sites Internet les plus riches en histoire parmi les communes de la région. On appréciera donc la volonté de partage de l’auteur et son souci de diffusion gratuite de la culture.
Nous terminerons notre brève étude en renvoyant les lecteurs vers un de nos articles expliquant pourquoi le confluent de l’Eure et de la Seine a été reporté à Saint-Pierre-lès-Elbeuf, dans les années 1930, et a nécessité la construction d’un barrage à Martot. Il s’intitule : “La Seine du fleuve sauvage au chenal commercial : regard d’ensemble sur la région de Pont-de-l’Arche de la Révolution à nos jours”.
Martot nous invite à la balade et nous serons épuisés avant que les richesses et mystères de cette commune ne le soient !
Armand Launay
Pont-de-l'Arche ma ville