Le site Internet du musée Charles-Léandre, à Condé-sur-Noireau, offre des repères biographiques sur Jacques Deshaies (1941-2005). Ce musée avait en effet accueilli une exposition en 2018 avec pour commissaires Anne et Laurence Deshaies, filles de l’artiste. Cet homme, peintre normand, y fut qualifié d’”humaniste” et d’”amoureux de la nature.”
Comme le rapporte le site du musée, Jacques Deshaies décrivit ainsi, en 1999, sa perspective artistique, voire existentielle : “Mon trait personnel, je l’appelle le champ de la terre. La terre domine partout, dans toutes mes toiles et j’essaie en vieillissant de « m’éclaircir », de retrouver cette matière-origine. Si parfois je me suis égaré dans ma lumière intérieure, j’ai toujours eu besoin de me ressourcer à la grande dame nature.”
Il est vrai qu’en parcourant ce que l’Internet offre à voir de son œuvre, la terre ‒ en tant que couleur marron ‒ domine à côté du orange et du noir. Cet artiste laissa aux Damps sa première fresque murale. Elle se trouvait dans la résidence Les Vauges, à côté ‒ c’est un hasard ‒ du chemin des haies. Cette fresque de 15 de long et 3 mètres de haut fut réalisée en 1970. Une photographie, confiée par Anne Deshaies ‒ que nous remercions ‒ montre Jacques Deshaies en train de poser un instant durant la composition de son œuvre et ce alors que la maison (au n° 20) n’était pas encore couverte. Cet espace était alors en pleine mutation : des prés où broutaient jusqu’à récemment des moutons, notamment gardés par mes oncles Jean et Gilbert, sortait la résidence Les Vauges, quartier d’Habitations à loyer modéré bâties par la SECOMILE. Cet HLM se voulait en rupture avec les pratiques architecturales et rompait quoi qu’il en soit avec leur traditionnelle utilisation rurale. Les maisons étaient dotées de toits plats goudronnés, comme dans les pays chauds, et en forme de L avec, d’un côté, les pièces à vivre et, de l’autre, les espaces de repos. Les plans étaient pensés par l’architecte français Le Corbusier. En vertu sûrement de la loi de 1951 disposant qu’un pourcent des dépenses de construction publique devaient être dévolues à l’art, Jacques Deshaies fut choisi pour apporter une touche artistique, un art de rue en l’occurrence.
Jacques Deshaies posant durant la création de la fresque des Damps (1970). Avec nos remerciements à Anne, sa fille.
Nous ne savons si c’est pleinement volontaire mais celui-ci semble avoir voulu remettre de la verdure dans un espace bétonné, aux formes rectilignes et à la couleur blanche dominante. De gauche à droite, la fresque s’intègre dans le blanc gagnant de la résidence puis apparaissent des oiseaux, puis des branches, un feuillage marron, des troncs noirs qui s’épaississent et, enfin, la profondeur sombre d’un sous-bois. Le contraste est réalisé. On retrouve le style de Jacques Deshaies, un fauvisme fait de grands traits qui dépeignent moins les contours objectifs que les mouvements subjectifs. Abstrait mais pas trop. L’artiste n’a pas cadré les arbres dans leur entier mais plutôt leurs frondaisons, attirant notre regard vers ce qui n’apparait pas pleinement : le ciel et sa blancheur ; le sous-bois et ses mystères.
Cette fresque, véritable fenêtre sur la nature, n’a pas été du gout de tout le monde et, après la vente d’une partie des maisons de la résidence, un propriétaire l’a recouverte d’enduit au tout début de ce siècle, me semble-t-il. Si l'œuvre recouverte ne se voulait pas une copie réaliste de la nature, elle manifestait néanmoins l’envie de ne pas rompre avec elle. Aujourd’hui, le caractère minéral et les formes géométriques sont rois. Le souvenir de cette fresque était presque entièrement révolu. Je remercie Anne Deshaies de m’avoir aidé à retrouver les contours d’un de mes souvenirs dans cette résidence où vit mon père.
Trois photographies montrant des étapes de travail pendant la création de la fresque des Damps (1970). Avec nos remerciements à Anne, la fille de Jacques Deshaies.