Les carnages ?
A. Doinel rapporte [1] que les habitants de Pont-de-l’Arche étaient surnommés les « Carnages » à la fin du XIXe siècle. Prononcez Carnâges avec un dernier « a » gras. Derrière ce mot, tout comme celui de Pontdelarchiais, l’on sent la connotation populaire revendiquée par les milieux les plus modestes. Ce sobriquet serait issu de l’expression le « quart nage » [2]. En effet, quand Pont-de-l’Arche avait un pont fortifié, son franchissement était soumis à un impôt. Dans une note (page 59) de Diaire ou journal du voyage du chancelier Séguier en Normandie [3] Amable Floquet rapporte que « Au mois de mai 1616, ceux qui gardaient le château du Pont-de-l’Arche se permettaient des exactions sur les marchandises dont étaient chargés les navires qui passaient par là. Plus tard, l’abbé de « Bois-Robert, ayant découvert au cardinal que Saint-Georges, gouverneur du Pont-de-l’Arche, prenoit tant sur chaque bateau qui remontoit, et qu’on appeloit ces bateaux des cardinaux, Saint-Georges fut chassé. » Amable Floquet rapporte aussi que les Etats de Normandie, réunis à Rouen le 26 novembre 1643, remontrèrent au roi que « La garnison du Pont-de-l’Arche est un impost sur le vin » et qu’il faudrait faire « défenses aux soldats de rien prendre ausdicts basteaux » et en faire « respondre le capitaine du chasteau » qui était toujours Jean de Lonlay, seigneur de Saint-Georges. Le même Amable Floquet clôt ainsi la note : « Le 11 mars 1649 (pendant les troubles de la Fronde), le Parlement supprima, comme illégal, le droit de cinq sous par courbe de chevaux hallants bateaux entre Elbeuf et le Pont-de-l’Arche. » Selon la tradition orale, le sobriquet des Archépontains – les Carnages – viendrait de cet épisode où Pont-de-l’Arche était un pays où les quarts (de vin) nagent ; les marchands devant lâcher une partie de leur marchandise dans l’eau, à destination des soldats.
Mais pourquoi désigner toute la population par une sorte d’insulte qui touche les gardes ? Peut-être y a-t-il un rapport avec les dizaines, voire centaines de personnes qui halaient les bateaux sous le pont et qui ont peut-être exigé parfois de quoi étancher leur soif ? Cette ancienne insulte est depuis longtemps devenue un clin d’œil amical au passé des Archépontains.
Pontdelarchiais ?
Spontanément les habitants de la ville se sont appelés les « Pondelarchiais » ce qui, à défaut de bien sonner à l’oreille, est tout à fait logique. Certains d’entre eux ont même donné ce nom de « Pontdelarchiais » au dialecte normand mâtiné d’argot qui était parlé ici jusqu’à la Seconde guerre mondiale. Ce nom n’a jamais été officiellement donné aux habitants de la ville. Jusqu'à plus ample informé, personne n'a osé coucher cette forme par écrit.
Archipontains puis Archépontains
Quand en 1900 Eugène Ferrand adressa un bilan de son mandat aux Archépontains [4], il l'intitula Six ans de mairie : aux habitants de la Ville de Pont-de-l’Arche et n'écrivit jamais Archépontains. Au début du XXe siècle apparait dans le langage oral l'expression Archépontine, écrite dans le journal L'Elbeuvien du 12 septembre 1917. On peut lire le féminin de la forme orale "Archépontin". Cependant cette gentilé ne fut pas fixée officiellement.
On trouve « Archi-pontain » dans le journal L'Industriel de Louviers en 1934 [5] et encore « Archipontain » dans le premier bulletin municipal en 1965 [6]. C'est cette forme qui prédomine alors comme en témoigne le nom de la société créée en 1970 pour gérer la maison de retraite Les Pins : L'Association archipontaine des équipes féminines". C'est sous ce nom qu'elle demeure en 2013.
Cependant, l'oralité lui a préféré la forme Archépontaine qui est enregistrée dans le marbre de l'administration depuis les années 1980 et de l'Internet depuis peu.
A l'heure de l'Europe, il ne lui manque plus qu'une forme anglo-saxonne par laquelle certains - dont je suis - pourraient dire crânement : I'm a native archepontan !
Notes
[1] Doinel A., Notice historique sur Alizay, 1880, Paris : Le livre d’histoire-Lorisse, 2004, 72 pages.
[2] Patin Jean-Pierre "Au pays des Carnages", Pont-de-l’Arche [bulletin municipal] n° 28, février 1996, Pont-de-l’Arche : mairie de Pont-de-l’Arche, 28 pages, voir la page 24.
[3] Floquet Amable, Diaire ou journal du voyage du chancelier Séguier en Normandie après la sédition des nu-pieds (1639-1640) et documents relatifs à ce voyage et à la sédition, Rouen, E. Frère, 1842, 448 pages.
[4] Ferrand Eugène, Six ans de mairie : aux habitants de la Ville de Pont-de-l’Arche, [1900], 15 pages. Bibliothèque administrative de la Ville de Paris : Br. 14781.
[5] L'Industriel de Louviers, "L'inauguration du groupe scolaire à Pont-de-l'Arche fut une belle manifestation de concorde", 1er décembre 1934
[6] Pont-de-l’Arche : revue cantonale, mairie de Pont-de-l'Arche, 1965, 28 pages.
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