Photographie du barrage de Martot sur une carte postale des années 1910. Ce barrage barrait alors la Seine avec, au premier plan, un premier bras et, au second plan, un second bras côté nord vers la Requête de Saint-Aubin-lès-Elbeuf.
Le barrage de Martot qui nous intéresse n’est pas le petit ouvrage qui maintenait le niveau de l’Eure jusqu'en 2017 où il a été remplacé par une passe. Il s'agit de son ancêtre, barrant la Seine, qui fut détruit en octobre 1938 avec les écluses de la Requête (commune de Saint-Aubin-lès-Elbeuf) à la suite d’importants travaux. Entamés en 1934, ces aménagements avaient pour objectif de faciliter la navigation entre Paris et Le Havre. Mais pour détruire le barrage, il fallait annuler la dénivellation du fleuve, d’où les dragages de la Seine depuis le barrage de Poses. Le lit de la Seine était alors aussi profond en amont qu’en aval du barrage de Martot, le rendant parfaitement inutile.
Il est intéressant de parcourir les témoignages de nos aïeux sur leurs activités, surtout lorsqu’ils sont à la fois passionnés et soucieux de leur parler quotidien. Or, Armand Billard fut le dernier pêcheur professionnel de la région de Rouen. Jusqu’à la fin des années 1970, il pêchait, comme ses ancêtres, depuis le port de Grand-Couronne. Il est auteur de plusieurs ouvrages sur la culture et les mœurs populaires, comportant souvent des passages rédigés en normand comme Simples narrées d’un Normand, (éditions Charles-Corlet) et Flux et reflux de la Seine normande, dont est extrait le texte suivant :
"La pêque à la puchette [1] s’faisait sous le l’grand barrage de Martot (…) avant que cet ouvrage sèye supprimé et que le bief seit reporté à eune vingtaine de km plus haut, à Poses ; y a toujou eun barrage à Martot (…), eun petit ; ch’est l’Eure qui se jette là. (…) la puchette des professionnels qui besognaient là en était eune grande, du genre havenet, avec eune très long manche en bois. Cha s’utilisait surtout pou certains peissons d’montée : saumons, aloses, fintes, caluyots. Fallait aver eun coutumier coup d’main pou fondrer [2] cha dans l’iau, espérer [3] (…) eune minute ou deux, pis sitôt senti douguer (…) l’peisson, r’lever la puchette. J’vos parle de la pêque à la puchette que j’ai ma-même connue sous l’barrage de Martot ; mais on puchait étou parfois au long de certaines berges de par en haut (au d’sus de Rouen), quand les fintes et caluyots, qui montaient généralement des premiers jours de mai à fin juin, v’naient y battre (frapper l’eau de leur queue en surface) à la saison de leurs amours. On pêquait à la puchette étou ailleurs autfeis, avant que la Seine ne sèye tant creusée. Men père, qu’était né en mars 1868, m’avait aussi dit que jadis on puchait aux caluyots au long de Croisset (en aval de Rouen), près du pavillon de Flaubert."
______
Billard Armand, Flux et reflux de la Seine normande, Condé-sur-Noireau : C. Corlet, 1989, 84 p.
[1] Epuisette, en normand.
[2] Enfoncer profondément (note de l’auteur).
[3] Attendre.
Armand Launay
Pont-de-l'Arche ma ville