La Tour de Crosne désigne un des vestiges les mieux conservés de l’enceinte médiévale de Pont-de-l’Arche. Dans une étude complète, nous avons mis en lumière l’action de Philippe Auguste qui fit de Pont-de-l’Arche sa principale résidence normande. Il la dota ainsi d’un système défensif composé du fort de Limaie et des fortifications de ville. Il dota aussi Pont-de-l’Arche d’une prévôté, embryon de bailliage.
La Tour de Crosne par un jour d'été 2010 (cliché A. Launay)
Une base du XIIIe siècle de Philippe Auguste
La partie basse de la Tour de Crosne date de Philippe Auguste. Elle est identifiable par son moellon calcaire de moyen appareil encore percé d’une meurtrière. On retrouve ce même moellon dans presque tous les vestiges d’enceinte de la ville. L’intérieur de la tour possède encore des consoles marquant le départ d’une croisée d’ogives aujourd’hui disparue.
Une élévation du XIXe siècle signée de Subtil de Lanterie
La partie haute de la Tour de Crosne est faite en petit appareil calcaire avec quelques lits de silex noir. Elle est percée de larges baies en tiers-point. Ses créneaux sont en béton du XIXe siècle.
Sur certaines cartes postales anciennes la tour de Crosne est nommée « tour de M. l’abbé de Lanterie ». Il s’agit d’Henri Désiré de Subtil de Lanterie (1840-1925) dont le nom a été donné à une rue archépontaine en mémoire d’une action humaniste. Ce diacre, chanoine honoraire à partir de 1911, est le fils de Marie-Auguste de Subtil de Lanterie (1789-1875) et d’Amandine des Pommare [sic] (1813-1890). Marie-Auguste de Subtil de Lanterie fut capitaine au régiment des chasseurs de la Côte-d'Or et chevalier de l'ordre royal de la Légion d'honneur. Il s’établit à Pont-de-l’Arche dans la rue de la « porte de Crosne » et devint un des plus grands propriétaires de la ville. Une ordonnance du roi lui permit « d'ajouter à son nom celui de Lanterie » le 3 mars 1825. Si nous n’avons pas la date précise de sa construction, les lithographies montrent que la tour de Crosne a été rehaussée avant 1854 par Marie-Auguste de Subtil de Lanterie. Sa veuve fit don du vicariat, rue Blin, à la ville de Pont-de-l’Arche le 25 aout 1876. Les de Lanterie eurent deux enfants : Marie Mathilde et Henri Désiré. Ce dernier hérita la propriété de son père et y habita lorsqu’il était à Pont-de-l’Arche. Sensibilisé à la vieille pierre, Henri Désiré, devenu homme d’église, dut se trouver à l’aise auprès d’Emile Chevallier, vicaire, et de Pierre Octave Philippe, curé-doyen de la paroisse qui œuvrèrent pour la restauration de l’église.
La tombe de Marie-Auguste de Subtil de Lanterie dans le cimetière communal
(photo Armand Launay, 2010).
L’élément "Crosne"
Le Moyen âge archépontain ne connaissait qu’une porte Saint-Jean et une rue Saint-Jean. Le nom de Louis Thiroux de Crosne d’Arconville fut initialement donné par la municipalité de Pont-de-l’Arche le 20 avril 1782 à la porte de Crosne. A ce titre il est le premier homme à avoir bénéficié officiellement d’un nom de rue dans notre ville, nom qui fut étendu, dans le langage courant, au boulevard - aujourd'hui rue Henry-Prieur, puis à la tour le jouxtant. Mais qui était Louis de Crosne ?
Louis Thiroux de Crosne d’Arconville
Il naquit en 1736 à Paris dans la famille Thiroux qui posséda des terres dans la paroisse de Crosne (Essonne). Intendant de la généralité de Rouen de 1768 à 1787, il fit appliquer certaines ordonnances royales traitant d’urbanisme. Il fit ainsi dresser les plans des boulevards de Rouen avant de combler les fossés médiévaux. Il en fit de même dans d’autres villes haut-normandes et donna son accord à la municipalité de Pont-de-l’Arche d’utiliser le déblai de la corvée pour aplanir la place des Champs (délibération du 16 septembre 1779). Il donna une suite favorable à la demande formulée par le conte de Pons, gouverneur de Pont-de-l’Arche, de faire démolir le château de Limaie (1782). La somme récupérée de la vente des pierres permit d’ouvrir deux portes de chaque côté de la ville, comme le souhaitaient les habitants. En hommage, la municipalité décida de donner le nom de Crosne à la porte Saint-Jean et de Pons à la porte de Léry (rue Jean-Prieur) (délibération du 20 avril 1782). Pont-de-l’Arche connut alors ses premiers boulevards autour des remparts et les fossés de la ville furent partiellement comblés.
Egalement reconnaissantes, d’autres villes honorèrent notre homme et c’est ainsi qu’il existe une rue de Rouen et un boulevard de Crosne à Louviers. Thiroux d’Arconville fut aussi le dernier intendant général de police de Paris à partir du 31 juillet 1785. C’est en qualité de maitre des requêtes qu’il révisa l’arrêté rendu par le Parlement de Toulouse dans le cadre de l’affaire Calas où Voltaire prit la défense de cette famille protestante victime de l’arbitraire qui prévaut en l’absence d’une Constitution et en présence d’une religion d’État. A la Révolution, Louis Thiroux émigra avant de revenir à Paris. Cette fuite acheva de rendre suspect l’ancien officier du roi en charge de la police durant les émeutes de 1789 où le peuple parisien prit la Bastille afin de s’armer contre les troupes royales qui se massaient autour de la capitale. Louis Thiroux fut guillotiné le 28 avril 1794. Une rue de Paris porta un temps le nom de cet homme avant d’être intégrée à la rue Caumartin. Les élus de la ville de Crosne ont souhaité honorer sa mémoire en donnant le nom de Thiroux d’Arconville à une rue menant au « Parc de Crosne ».
Buste de Louis Thiroux de Crosne, Augustin Pajou, 1788 (source Wikipédia).
Sources
Délibérations du Conseil municipal
Registres d'état civil
Armand Launay
Pont-de-l'Arche ma ville