La guerre de Cent ans fut une longue succession de batailles entrecoupées de pauses qui opposèrent divers clans français et la monarchie anglaise. L’enjeu de ces conflits fut le trône de France et la maitrise de vastes territoires qui ont, par la suite, formé notre pays. Les premiers combats commencèrent en 1339 suite aux velléités d’Edouard III, roi d’Angleterre, sur le trône de France. En 1346, celui-ci se lança dans une chevauchée armée du Cotentin à Paris, puis de Paris à Calais. Ce fut un échec, notamment devant Pont-de-l'Arche qu’il voulait prendre de surprise. Néanmoins, les terres continentales étaient déchirées entre diverses luttes d’influences et d’alliances plus ou moins trahies. Pour compliquer le tout, la famille royale se déchira : le roi Charles VI étant sujet à des crises de démence, il régnait une certaine vacance du pouvoir français. Son fils Charles VII, encore très jeune, n’était que le Dauphin du roi. Une vendetta opposa les Armagnacs, proches de Charles VII, aux Bourguignons, c'est-à-dire les proches du duc de Bourgogne autour de Jean sans Peur, oncle du Dauphin. Profitant de cette division, Henri V d’Angleterre débarqua en aout 1417 dans l’estuaire de la Touques. Il conquit toute la Normandie, dont l’actuel département de l’Eure, d’avril 1418 à décembre 1419.
"Comment le pont de l’arche fut prins", peinture, fol. 138v, in Martial d'Auvergne, Vigiles de Charles VII, France, 1484, manuscrit, parchemin, II-266 feuillets. Bibliothèque nationale de France, département des manuscrits (division occidentale), Français 5054. cf. aussi http://gallica.bnf.fr. Jusqu'à plus ample informé, c'est la plus ancienne évocation de pont à Pont-de-l'Arche, l'évènement datant de 1449.
Prise de possession en 1418 par Henri V
Après s’être rendu maitre de Louviers, Henri V, roi d’Angleterre, arriva à Pont-de-l’Arche le 29 juin 1418 avec 10 000 hommes. Tenant déjà Harfleur, il voulait maitriser la Seine en aval de Rouen, avant de s’attaquer à cette ville. Il fit camper ses troupes entre la forêt et Pont-de-l’Arche et établit ses quartiers dans l’abbaye de Bonport. Jean Malet, seigneur de Graville et capitaine de la garnison de Pont-de-l'Arche, resta fidèle au Dauphin Charles VII en refusant de donner les clés de la ville. Henri V devait encore encercler la ville et faire battre en retraite plus de 2 000 combattants français, venus en renfort, qui attendaient les Anglais de l’autre côté du fleuve (fournissant ainsi un ravitaillement à la ville). Le 4 juillet, le duc de Cornouailles franchit alors la Seine avec huit bateaux, soit une soixantaine de combattants et quelques canons, et gagna une petite ile d’où il put tirer sur les Français. Impressionnés, ceux-ci se dispersèrent. Mil anglais traversèrent le fleuve, suivis le lendemain (5 juillet) par le duc de Clarence et 4 000 soldats ; la ville et le château de Pont-de-l’Arche étaient alors assiégés des deux côtés de la Seine.
Jean Malet tint ses positions et envoya plusieurs messages à ses soutiens. Les Rouennais, malgré une alliance signée le 5 juin 1418, n’intervinrent pas [1]... Jean sans Peur, tenant Pontoise et Chartres, interdit tout envoi de secours en Normandie et ce, de la part du gouvernement – armagnac – de Paris… Quelques escarmouches se produisirent encore devant le château de la rive droite. Isolé, Jean de Graville dut se résigner et signa un acte de reddition le 19 juillet, précisant que lui, Pierre de Rouville (son second) et mille de leurs hommes pouvaient partir libres sous la protection du roi d’Angleterre (jusqu’au 25 de ce mois). Les Anglais s’emparèrent alors de Pont-de-l’Arche, perçant ainsi les défenses bourguignonnes, et se rabattirent sur Rouen.
Jean de Graville eut le mérite de rester fidèle à Charles VII : isolé, il s’opposa à la fois aux Anglais et à Jean sans Peur, qui s’appuyait sur la bourgeoisie commerçante de Paris et qui vivait du trafic de la Seine et de ses affluents. On peut d’ailleurs pressentir une collusion financière entre celui-ci et le roi d’Angleterre. Quoi qu’il en soit, Charles VII remercia Jean de Graville en lui assignant 200 livres par mois (pour lui-même et pour 150 hommes) et en le nommant grand maitre des arbalétriers. Charles VII pouvait d’autant plus gratifier le capitaine de Pont-de-l'Arche que, si tous les sujets étaient restés aussi fidèles que Jean de Graville, Henri V d’Angleterre n’aurait pu se proclamer roi de France, suite au traité de Troyes (1420) [2].
Quel rôle pour le Pont-de-l’Arche anglais ?
Quel était le rôle stratégique de Pont-de-l'Arche ? Le contrôle des vivres nous semble intéressant car si les Anglais comptaient assiéger Rouen, mieux valait pour eux contrôler les vivres qui pouvaient être acheminées par notre cité, soit par voie de Seine, soit par la rive droite de ce fleuve. Or Pont-de-l’Arche contrôlait à la fois le passage sur la Seine (par le montage des bateaux sous son pont) et au dessus de celle-ci. D’ailleurs, une fois Pont-de-l’Arche tombé, Rouen ne tarda pas. Les taxes perçues ne devaient pas non plus être dédaignées. Mais, plus généralement, la maitrise de la Seine était essentielle aux déplacements d’une armée, de son matériel et de son approvisionnement [3]. En 1420, Thomas Holgill devint pourvoyeur des provisions de plusieurs places fluviales en Normandie [4]et notamment de Pont-de-l’Arche. Il assura aussi le ravitaillement des troupes anglaises de Paris. C’est ainsi que le 20 février 1420 le nouveau capitaine de Pont-de-l’Arche, Jean Falstof, fut chargé d’acheminer de Rouen à la Bastille de Paris un convoi fluvial de froment et d’orge. Il avait aussi pour mission de surveiller les navires suspectés de transporter des provisions pour les Français et, au besoin, de les réquisitionner ou les détruire. Car le danger était toujours présent, les Français de Charles VII contre attaquèrent, notamment à Verneuil en 1424.
Mais qui dit contrôle fluvial, dit présence et contrôle de troupes armées : Jean Beauchamp, autre capitaine, et ses troupes furent passés en revue en 1425 par les commissaires du roi d’Angleterre. Cette même année, le 8 octobre, une ordonnance contre les soldats qui avaient déserté leurs corps fut adressée au chevalier Jean Kigley, bailli de Rouen, et à Guillaume Crafford, lieutenant du même bailli et capitaine de Pont-de-l’Arche. Quelle était l’ampleur de la garnison ? Elle allait de 20 à 110 hommes (surtout vers les dernières années) durant la période anglaise. L’année 1429 est représentative : 10 hommes d’armes et 30 archers à cheval, 10 hommes d’armes et 30 archers à pied. Les troupes à cheval parcouraient la région dans un petit périmètre, les autres étaient en permanence dans le fort et pouvaient aussi s’atteler à des réparations comme celles du pont en 1435.
Les capitaines de la garnison anglaise de Pont-de-l’Arche de 1419 à 1447 [5]
1419 : Amauri le Coq, " capitaine du pont " ;
1421 : Maurice Bron [= Brown ?], " capitaine de la ville et du château pour le roi d’Angleterre " ;
1429-1432 : Robert de Willoughby, " capitaine du Pont-de-l’Arche" ;
1422 : Thomas Maitreson, " capitaine de la ville et du château " ;
1422-1429 : Jean de Beauchamp, " capitaine de Pont-de-l’Arche " ;
1433 : Jehan Talbot ;
1434 : le comte d’Arundell, " capitaine de la ville et du château " ;
1435-1437 : Robert de Willoughby, " capitaine du Pont-de-l’Arche" ;
1440-1443 : le cardinal de Luxembourg, " capitaine de Pont-de-l’Arche " ;
1443 […] : Adam Hilton, " capitaine de Pont-de-l’Arche " ;
1446-1447 […] : le duc d’York, " gouverneur de France et de Normandie, capitaine de Pont-de-l’Arche " et Thomas Mulso, lieutenant ;
1448 : Fauquemberg.
La Libération de Pont-de-l’Arche en 1449 par Charles VII
L’importance stratégique de Pont-de-l'Arche se sentit aussi en matière diplomatique. Outre les Etats de Normandie qui s’y tinrent en 1432, 1437, 1438 et 1439, la ville accueillit des conférences entre Anglais et Français. Cependant le vent tourna, les Français s’étaient ressaisis, notamment en 1435où les Armagnacs firent la paix avec les Bourguignons. En 1441, Evreux fut libéré. La garnison anglaise de Pont-de-l'Arche fut renforcée et confiée parfois à des personnalités de premier plan comme le duc d’York, par exemple. Le 30 novembre 1440, Henri V réunit à Pont-de-l’Arche une assemblée des notables de la ville et des environs pour faire cesser les actes de résistance et l’avancée des troupes françaises qui s’étaient momentanément emparées de Louviers. En 1444, les places de Verneuil, Vernon, Château Gaillard et Pont-Audemer furent à leur tour libérées.
Le roi de France, Charles VII, eut l’intention de reprendre Rouen en 1449 : il concentra ses forces sur Louviers et Pont-de-l'Arche en vue, très certainement, de faciliter le passage des troupes, du matériel et des futures vivres. Et, contrairement à l’arrivée des Anglais à Pont-de-l'Arche, les Français voulurent reconquérir la ville non par la force mais par la ruse, d’après les chroniqueurs du Moyen Age. Un marchand de Louviers, qui passait habituellement par Pont-de-l'Arche pour aller vendre ses denrées à Rouen, prit une place cardinale dans une stratégie un peu spéciale. Alors que le marchand devrait obtenir des gardes l’ouverture de la porte, quelques Français à pied resteraient cachés près de l’entrée du château de Limaie, sur la rive droite en face du pont, et attendraient la première occasion pour s’engouffrer dans les fortifications. Pendant ce temps, quelque 4 à 500 cavaliers patientaient à l’orée de la forêt, rive gauche. Alors, le 13 mai 1449, selon les propos de Léon de Duranville ;
Le marchand, traversant le Pont-de-l'Arche, suivant son habitude, réclame du portier l’ouverture de la porte pour le lendemain de très bonne heure, et ce, sous promesse de récompense. […] au point du jour, il frappe pour éveiller le portier. Celui-ci conçoit d’abord quelques inquiétudes, en voyant deux hommes sortir de l’hôtellerie ; mais il se sécurise sur l’assurance à lui donnée que ce sont deux habitants de Louviers. Toute prime mérite son salaire ; le marchand laisse tomber à terre quelques pièces de monnaie, et, profitant de la posture du portier… il le tue. Le bruit alarme ceux qui sont dans le château, et l’un d’eux, descendant en chemise, s’efforce de lever le pont-levis. Il y avait deux ponts-levis, l’un par lequel on accédait au boulevard, et qui se trouvait au pouvoir des assaillants, et l’autre, dont le soulèvement pouvait encore sauver la place. Le marchand s’élance, et met à mort ce second adversaire. […] Il restait encore une seconde entreprise ; ce fut l’affaire d’un clin d’œil que de passer le pont et d’arriver à la porte de la ville. Le sommeil régnait encore, un seul anglais défendit longtemps et courageusement cette porte. Les autres soldats de l’Angleterre furent tous prisonniers, et notamment le seigneur de Fauquemberg [qui] venait d’arriver durant la nuit. […] La place étant au pouvoir des Français de Brézé [6], ils ouvrirent une des portes qui donnaient vers la forêt ; alors, le bailli d’Evreux et le seigneur de Magny… entrèrent dans la place… Cet événement coûta la vie à huit ou dix anglais.
La chute de Pont-de-l'Arche éveilla la fureur du duc de Sommerset, gouverneur de Rouen, car la route de sa ville était ouverte au roi de France. Elle tomba peu de temps après, en 1450 (ainsi que la Normandie continentale) aux mains du roi de France. En 1475, cessaient les attaques anglaises et donc la guerre de Cent ans. Mais, cependant, les monarques anglais ont depuis lors conservé le titre de… roi de France…
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Notes
[1] A moins qu’ils eussent envoyé les soldats dont nous parlions ci-dessus qui, très rapidement, se sont enfuis, comme si la défense de Pont-de-l'Arche leur importait peu…
[2] Ce qui fut approuvé par le Parlement et l’Université de Paris…
[3] Henri V protégea en priorité la Normandie et Paris et rendit sûr l’axe de la Seine en s’emparant de Sens, Montereau, Melun, Dreux (en 1421).
[4] dont Rouen, Château Gaillard, Vernon et les Goulets.
[5] Delabos Christian, annexe IV.
[6] Pierre de Brézé (sénéchal d’Anjou, de Poitou et de Normandie, capitaine de Louviers), Robert de Flocques (bailli d’Evreux, maréchal de Normandie, propriétaire de la seigneurie d’Orcher, près d’Harfleur), Jacques de Clermont, Guillaume de Bigars…
Sources
Bodinier Bernard (dir.), L’Eure de la préhistoire à nos jours, Saint-Jean-d’Angély : éd. J.-M. Bordessoules, 2001, 495 pages ;
Charpillon Louis-Etienne, Caresme Anatole, Dictionnaire historique de toutes les communes du département de l’Eure, Les Andelys : éd. Delcroix, 1868, 960 pages ;
Delabos Christian, La Seine et les opérations militaires à la fin du Moyen Age, mémoire de maitrise soutenu à Rouen sous la direction d’Alain Sadourny en 1991, 248 pages ;
Demurger Alain, Temps de crises, temps d’espoirs : XIVe-XVe siècle, Paris : Le Seuil, collection points histoire,1990, 380 pages ;
Duranville Léon de, Essai archéologique et historique sur la ville du Pont-de-l’Arche et sur l’abbaye Notre-Dame-de-Bonport, auto produit, 1856, 231 pages.
Armand Launay
Pont-de-l'Arche ma ville
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