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22 novembre 2020 7 22 /11 /novembre /2020 07:56
Histoire de Montaure : petit survol...

 

On a pu dire que Montaure signifie “la montagne de l’or”... Belle image s’il en est mais on peine à y trouver l’or, même grâce aux couleurs des blés de la belle saison. La montagne quant à elle, peut s’expliquer mieux. S’il ne s’agit pas d’une montagne alpine, une montoire en ancien français est une montée. Or, le cœur de Montaure, autour de l’église, est situé au-dessus de la ravine de la Glacière. Cette ravine nait entre La Haye-Malherbe (centre) et l’ancien hameau du Mont-Honnier. Encore un mont qui n’est qu’une côte ! Cette ravine a permis l’exploitation d’une belle terre d’argile. En 1868, la moitié des potiers de l’Eure travaillaient à La Haye-Malherbe et, un peu aussi, à Montaure. Ceci explique la “rue à la Boudine”, terre que l’on boudine facilement et une “rue aux Potiers” à Écrosville. 

Plus que l’or, Montaure serait volontiers la montagne arborée. En effet, du haut de ses 135 m se trouvent deux grandes propriétés plantées de grands arbres se voyant alentour. Ces propriétés témoignent de la puissance des Stigand. L’un d’entre eux, Odon Stigand, a été le sénéchal de Guillaume le Conquérant, c’est-à-dire son bras droit plutôt en charge des questions de justice. Il possédait à Montaure un fort au-dessus de la ravine, fort aujourd’hui disparu, à l’endroit du somptueux château de Montaure (propriété privée). Estimé à la première partie du XVIIe siècle, il semble qu’il ait été bâti pour François Le Camus (1671-1743) qui fut administrateur de la Manufacture royale de draps de Louviers, fondée par Colbert. Le domaine du château comprend aussi un pressoir classé Monument historique en 1990. À visiter dès la fin des travaux ! 

L’autre propriété est celle du prieuré. En 1063 Odon Stigand donna l’église et ses terres à la grande abbaye Saint-Ouen de Rouen. Celle-ci y établit un prieuré avec quelques moines. Il reste de ce prieuré, fermé en 1663, de beaux bâtiments vraisemblablement du XVIIe siècle et un enclos inscrits aux Monuments historiques en 1997, tout comme l’église Notre-Dame. L’église est le plus beau legs historique de Montaure. Certaines de ses parties ont 1000 ans ! Avec son clocher-carré, Notre-Dame fait partie des plus belles églises romanes de la région. Son intérieur n’est pas en reste avec, surtout, la magnifique statue dorée de la Vierge à l’Enfant Jésus, classée monument historique au titre d’objet en 1912. Pour parachever un des plus pittoresques tableaux de la région, la place Jean-Baptiste-Charcot est ornée d’une croix hosannière inscrite aux Monuments historiques en 1954 ainsi que de deux margelles de puits anciens. 

Ces puits témoignent de la présence d’une nappe phréatique qui a fidélisé les hommes en ce beau lieu. L’église Notre-Dame est bâtie sur une source : la fontaine Saint-Eustache, dans la crypte. Son eau était réputée pour soigner la danse de Saint-Guy, ancien nom de pathologies épileptiques.  

Montaure, village aux dimensions modestes, était le centre de maints hameaux parmi lesquels Écrosville, peut-être plus peuplé mais dépourvu d’église, La Vallée, Blacquetuit, Les Fosses. Avant 1687, Montaure comprenait aussi Tostes, La Corbillière, le moulin de la Couture, La Cramponnière et les Treize-livres ; ceci avant que l’abbé de Bonport, Louis, fils du grand Colbert, n’obtienne la création de la paroisse de Tostes

Puis les voies de communication ont quelque peu isolé le cœur historique de Montaure. Ainsi la voie La Haye-Malherbe-Pont-de-l’Arche a fait du quartier Saint-Blaise, ancienne léproserie, un carrefour aujourd’hui fréquenté pour sa célèbre boulangerie. 

Citons enfin la Garde-Châtel, ancien couvent de carmes déchaussés construit à partir de 1660 aux confins d’Écrosville afin que des hommes y trouvent le “désert” propice au recueillement. Il reste de cet établissement un impressionnant mur d’enceinte dans la forêt et quelques murs de bâtiments agricoles. Une demeure à l’architecture classique le remplace depuis le XIXe siècle. 

Quel est le mieux pour profiter de ces beautés ? Les randonnées, avec piquenique dans le sac, aux beaux jours revenus ? Certainement ! La fête de la Libération de Montaure et sa célèbre foire-à-tout, fin aout, celle qui fut honorée par un écrit de Philippe Delerm ? Assurément !

 

Cartes postales issues de la collection de Pascal Leloup que nous remercions.
Cartes postales issues de la collection de Pascal Leloup que nous remercions.
Cartes postales issues de la collection de Pascal Leloup que nous remercions.
Cartes postales issues de la collection de Pascal Leloup que nous remercions.

Cartes postales issues de la collection de Pascal Leloup que nous remercions.

Armand Launay

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22 novembre 2020 7 22 /11 /novembre /2020 07:50
Vue générale depuis la falaise est sur une carte postale des années 1910 conservée aux Archives départementales de l'Eure (10 NUM 3612).

Vue générale depuis la falaise est sur une carte postale des années 1910 conservée aux Archives départementales de l'Eure (10 NUM 3612).

 

Le riche patrimoine d’Acquigny est bien mis en valeur et protégé. On le parcourt avec un évident fil conducteur : l’eau. 

Un ru tailla le Val Noël qui sépare un éperon du plateau de Madrie. Sur cet éperon, appelé Cambremont, une enceinte préhistorique, classée Monument historique en 1945, a été identifiée par Léon Coutil. Avec l’allée couverte de Pinterville elle atteste l’occupation humaine depuis le Néolithique récent du Bassin parisien, c’est-à-dire entre 2000 et 3000 avant Jésus-Christ. La défense d’Acquigny se mesure aussi par le “château Robert”, daté du XIIe siècle, au même lieu mais en ruine et, probablement, un camp romain dans le bois de Mesnil-Jourdain. Acquigny a, semble-t-il, été un verrou défensif de l’entrée du méandre de Louviers. 

La présence humaine a été continue comme le reflète son nom romain : Acinius iacum, le domaine d’Acinius, surnom désignant la baie (le fruit). Un propriétaire chauve, rougeaud ou rondouillard a peut-être été affublé de ce sobriquet comme Cicéron fut dénommé d’après son crâne chauve rappelant le “pois chiche” (“cicero”). 

Acquigny est le lieu où confluent l’Eure et l’Iton. Le premier confluent était naturel, à l’est des Planches, et fut remplacé par la base de loisirs nautiques. Le second confluent se lit sur la carte de Cassini, au XVIIIe siècle. Il se trouve à Acquigny même et est alimenté par un bras de l’Iton remontant artificiellement vers le nord, peut-être dans un ancien bras de l’Eure, jusqu’au château d’Acquigny en arrosant le moulin-Potel. Ceci explique peut-être partiellement le culte voué à saint Mauxe (abréviation et prononciation normande de Max) et saint Vénérand depuis le haut Moyen Âge. Au-delà d’un type de légende commun ‒ où des saints donnent leur vie pour démontrer leur foi dans une vie après la mort ‒ nous notons que les deux confluents sont dévolus au culte des saints martyrs. Une chapelle Saint-Mauxe, vestige du prieuré, se trouve près du confluent aval. Un clos Saint-Mauxe se trouve au confluent amont, à la limite de la paroisse d’Heudreville. Saint-Mauxe semble informer des limites d’une propriété foncière ancienne autour de ce lieu de passage. 

Acquigny a été colonisée par les Vikings, comme en atteste la toponymie : “Le Hom” désignant une ile en norrois, “La Londe” désignant un bois, “Becdal” au nord de la commune désignant semble-t-il le champ de la rivière. Un imposant manoir du XVIIe siècle, classé Monument historique en 1978, se trouve en ce lieu. De cette implantation sont issus les barons du duché normand. Un Roger Ier de Tosny, propriétaire à Conches, donna ici en 1035 des terres à l’abbaye de Conches pour y fonder le prieuré Saint-Mauxe. À n’en pas douter, le confluent nécessita une présence humaine pour s’assurer du respect des droits de passage. Après tout, l’Iton donne accès à Évreux puis Conches par la route et l’Eure donne accès à Chartres, d’un côté, et à la Seine de l’autre côté.

 

Vestiges du château-Robert d'Acquigny par Frédéric Ménissier en avril 2021.
Vestiges du château-Robert d'Acquigny par Frédéric Ménissier en avril 2021. Vestiges du château-Robert d'Acquigny par Frédéric Ménissier en avril 2021. Vestiges du château-Robert d'Acquigny par Frédéric Ménissier en avril 2021.

Vestiges du château-Robert d'Acquigny par Frédéric Ménissier en avril 2021.

Vue sur la rive droite de l'Eure, à Acquigny, en janvier 2021 par le regard de Frédéric Ménissier, que nous remercions.

Vue sur la rive droite de l'Eure, à Acquigny, en janvier 2021 par le regard de Frédéric Ménissier, que nous remercions.

Il n’est donc pas étonnant que l’église et le château seigneurial fussent bâtis entre l’Eure et l’Iton, quelque peu protégés. Un temps possédé par les contes de Laval, le château actuel, classé Monument historique en 1946, fut édifié à partir de 1557 par Anne de Laval. Cette veuve de Louis de Silly, était cousine du roi de France et première dame d’honneur de Catherine de Médicis. Par bonheur, Acquigny est toujours rehaussée par ce château et son parc, sertis par les rivières. C’est même le château qui ‒ fait assez rare pour une commune de cette taille ‒ est plus notable que l’église paroissiale. Celle-ci, placée sous le patronage de Sainte-Cécile, a pourtant ‒ et à juste titre ‒ été classée Monument historique en 1975 et 2001. Elle est fortement marquée par sa rénovation du XVIIIe siècle ; rénovation due au président d’Acquigny : Pierre-Robert Le Roux d’Esneval, qui dirigeait une des chambres du parlement de Normandie. Le plus original dans la région, à défaut d’être plus ancien, est le fronton de la façade refait vers 1780 par l’architecte Charles Thibault ; un fronton qui évoque bien plus un temple classique que l’art roman ou gothique commun dans nos églises locales. 

Le long d’une ancienne voie qui servait sûrement à éviter les eaux de crue, c’est presque un second Acquigny qui s’est développé depuis quelques siècles le long de la route de Louviers, allant vers Évreux. Ce quartier contourne le cœur historique de la commune, préfigurant la voie rapide actuelle et traduisant le fait que le passage s’est détourné de l’eau. 

Enfin, la force de l’eau a alimenté les moulins, notamment pour battre la monnaie royale au XVIIe siècle. Une proto-industrialisation s’est développée au début du XIXe siècle. On voit encore les moulins à foulon puis les usines le long de l’Eure sur les différentes illustrations du XXe siècle. Avec les anciennes carrières, le long des falaises vers Pinterville, toute une histoire industrielle se lit qui a animé et fait vivre le peuple acquignicien.

 

Ajout d'avril 2021 : Les amateurs d'histoire pourront consulter sur Gallica l'œuvre intégrale de Pierre-François Lebeurier intitulée Notice historique sur la commune d'Acquigny avant 1790 et éditée en 1862.

 

Les illustrations ci-après sont issues de la Plateforme ouverte du patrimoine mise à disposition par le Ministère de la culture. 

Histoire d'Acquigny : petit survol...
Histoire d'Acquigny : petit survol...

Armand Launay

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24 octobre 2020 6 24 /10 /octobre /2020 15:24
Extrait d'un plan des Archives départementales de Seine-Maritime (coté : 12Fi532) et intitulé "Paroisse d'Ymare, plans des bois de l'abbaye de Saint-Ouen."

Extrait d'un plan des Archives départementales de Seine-Maritime (coté : 12Fi532) et intitulé "Paroisse d'Ymare, plans des bois de l'abbaye de Saint-Ouen."

 

Le cœur d’Ymare, près de sa mairie, est un parc qui nous invite à la promenade. 

D’un côté, côté bois, l’on y retrouve les feuillus qui habillent avec pudeur les courbes des monts et des vallées. C’est ainsi qu’on entre à Ymare, par la route des Authieux, depuis un ancien méandre de Seine fossilisé et culminant tout de même à 75 mètres d’altitude, en moyenne, entre Igoville et Le Port-Saint-Ouen. 

De l’autre côté, côté champs, Ymare s’ouvre sur le plateau de Boos, ses champs ouverts et sa ruralité toujours vivante, voire odoriférante. Les sentiers sont ici riches qui nous offrent des sensations variées. La ferme de Bel-évent, exposée au vent, se trouve dans une partie du village d’antan, celui du hameau de la Forge et ses vergers en direction de Quèvreville-la-Poterie. On entend dans ces noms l’âpre et patiente exploitation des richesses du sol qui par ses minéraux de la forge qui par l’argile des poteries. 

C’est cette argile qui a sûrement servi à la construction des bâtiments constituant le “Clos de la ferme”, au cœur d’Ymare. Ancienne propriété noble dont le château a disparu dans les années 1970, le Clos comporte un four à pain du XIXe siècle récemment restauré et, surtout, un ensemble patrimonial essentiellement du XVIIIe siècle, en partie en brique de pays : vaste logis, colombier, écuries, mur d’enceinte... ainsi qu’un très bel alignement d’arbres au sud de la propriété donnant vers les champs ouverts des hauteurs d’Alizay. Au loin se profilent les hauteurs de Vironvay. 

Face à cette propriété aristocratique, qui appartint peut-être un temps au poète de renommée nationale Pierre de Marbeuf (1596-1645), se trouve une allée d’arbres conduisant à la charmante et modeste église rurale Saint-Aubin du XVIIe siècle. L’édifice est très bas et dépasse à peine des champs, vue du nord, malgré sa flèche de charpente pointue et couverte d’ardoise. Un socle de calvaire du XVIe siècle et des gravures sur certaines pierres de façade complètent ce beau tableau notamment immortalisé par Yves Ducourtioux. 

La mare d’Ymare est proche, mare fondatrice de son nom, semble-t-il, puisqu’Ymare serait d’origine scandinave et signifierait la “mare de Le blanc ou Le fort.” Ce propriétaire dut choisir ce domaine pour la proximité d’une source, visiblement près de l’église et qui devait alimenter jadis la mare centrale du village. Une petite rivière devait couler le long de la Grand rue et creuser un petit vallon vers Les Authieux, puis vers le Pré-cantui et Igoville. 

C’est là, côté bois, que se trouve le second – ou premier – hameau d’Ymare, où des longères à pans de bois cohabitent près du calvaire datant de 1791. Ce hameau se trouve en direction des anciens terrains communaux, aujourd’hui lotis de riches demeures, qui étaient des terres dévolues aux plus pauvres personnes qui pouvaient y laisser paitre leurs animaux et récupérer du bois mort avant 1789. Des marnières ont aussi créé un relief torturé, en ce lieu, pour alimenter les champs avoisinants. Au milieu de ces champs d’ailleurs, se trouve un “dolmen”, encore appelé “Tombe du druide”. Des érudits y ont vu un mégalithe christianisé puisqu’une croix est gravée sur une pierre. Un culte lui était rendu avant guerre car on lui prêtait des vertus curatives. Il s’agit, semble-t-il, d’un reste de table de prière d’une ancienne croix de chemin

Mais que de patrimoine naturel et historique dans une commune que l’on connait souvent assez peu ou, alors, par l’implantation de l’entreprise de télécommunication Thales et son énigmatique boule blanche, non loin de l’aéroport de Boos.

 

Cartes postales des années 1910 : l'église Saint-Aubin d'Ymare vue depuis sa belle allée d'arbres et une scène de la vie paysanne.
Cartes postales des années 1910 : l'église Saint-Aubin d'Ymare vue depuis sa belle allée d'arbres et une scène de la vie paysanne.

Cartes postales des années 1910 : l'église Saint-Aubin d'Ymare vue depuis sa belle allée d'arbres et une scène de la vie paysanne.

Vues ymaroises par un beau jour d'été : le mur du Clos de la ferme et la mare centrale (clichés d'Armand Launay, aout 2020).
Vues ymaroises par un beau jour d'été : le mur du Clos de la ferme et la mare centrale (clichés d'Armand Launay, aout 2020).

Vues ymaroises par un beau jour d'été : le mur du Clos de la ferme et la mare centrale (clichés d'Armand Launay, aout 2020).

Vues ymaroises par une belle éclaircie de mai 2021 et à travers le regard de Frédéric Ménissier.
Vues ymaroises par une belle éclaircie de mai 2021 et à travers le regard de Frédéric Ménissier.

Vues ymaroises par une belle éclaircie de mai 2021 et à travers le regard de Frédéric Ménissier.

Armand Launay

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11 octobre 2020 7 11 /10 /octobre /2020 16:10
Vue sur le moulin de Beauregard (cliché de Frédéric Ménissier, septembre 2020).

Vue sur le moulin de Beauregard (cliché de Frédéric Ménissier, septembre 2020).

 

Esseulé dans la morne plaine entre La Haye-Malherbe et Crasville, l’ancien moulin de Beauregard fait partie du paysage quotidien, semble-t-il souvent gris. Mais lorsqu’on a la bonne idée de s’en approcher, le relief se fait autour de lui et l’on prend plaisir à le découvrir ainsi que son environnement…  

Pour nous mettre en appétit, nous avons consulté les photographies ensoleillées de notre ami non moins lumineux Frédéric Ménissier. Ses images sont celles de l’été septembral où le moulin apparait entre le bleu du ciel, les ors des champs et les vertes lisières des chemins. Le ruban goudronné, montant vers Crasville, attire le regard vers la tour gris-clair et blanc du moulin, entourée de son bouquet d’arbres. On croirait voir une tour défensive. 

 

Autres vues sur le moulin de Beauregard (clichés de Frédéric Ménissier, septembre 2020).Autres vues sur le moulin de Beauregard (clichés de Frédéric Ménissier, septembre 2020).

Autres vues sur le moulin de Beauregard (clichés de Frédéric Ménissier, septembre 2020).

 

L’autre document est le court-métrage d’Éric Levigneron pris depuis un drone. Dans la lumière du matin, à la belle saison, les images de ce professionnel passionné nous emmènent tout autour de la silhouette de la tour moulinière et exposent la variété des matériaux utilisés. 

 

 

Un bel édifice médiéval

Bâti sur une petite motte, il s’agit d’un moulin à tour cylindrique. Cette tour est, plus précisément, télescopique, c’est-à-dire que le diamètre des niveaux se réduisent à mesure qu’on s’éloigne du sol. Le corps principal de l’ancien moulin est composé de trois niveaux du plus large au plus resserré, donc. Deux larmiers séparent les niveaux. Le rez-de-sol est évasé et ouvert par deux portes dans un axe sud-est nord-ouest. Celles-ci sont couronnées par deux arcs. Le plus ample est vouté en tiers point, à la mode gothique. Le plus petit, au-dessus de la porte, est surbaissé. Y eut-il deux portes en bois protégeant chacune des entrées de ce lieu si important dans l’alimentation de nos ancêtres ? C’est peut-être cette protection contre le vol qui expliquerait l’aspect défensif, et donc militaire, du moulin. 

Les deux premiers niveaux sont composés d’une élégante alternance de lits de pierre de taille calcaire et de petits moellons carrés de silex clair de pays. 

Le troisième niveau est bâti avec les mêmes matériaux mais leur alternance se fait à la manière d’un damier ou presque car une ligne de pierre de taille interrompt l’harmonie. 

La tour est couronnée par un garde-corps en brique. Celui-ci fut réalisé après 1868, date à laquelle le moulin fonctionnait toujours selon MM. Charpillon et Caresme, et 1900 où les cartes postales illustrées apparaissent dans les archives. Entre temps, la toiture et les pales, sûrement déjà érodées, ont été démolies. Quant au garde-corps, un propriétaire aura pensé à la sécurité des visiteurs, aimant à admirer ici le paysage alentour, et aux chevaliers désobéissants libérant une princesse imaginaire entre deux parties de billes ou de soin des animaux. 

En décalage par rapport aux niveaux visibles depuis l’extérieur, des trous de solives trahissent les anciens planchers intérieurs. Quelques meurtrières percent les murs, sûrement pour aérer le grain, et offrent un caractère très médiéval à l’édifice entier. 

 

Voici un cliché du moulin de Beauregard datant vraisemblablement du 11 octobre 1950 (on lit cette date, à l’envers, en haut à droite du document). On le retrouve dans la Plateforme ouverte du patrimoine (POP), proposée par le Ministère de la culture (sous la notice APMH00115036). L’original est conservé à la Médiathèque de l'architecture et du patrimoine. Il est signé de Gabriel Bretocq (1873-1961), membre de la Société française d'archéologie, historien, curé de Ménesqueville et de Rosay-sur-Lieure dans l'Eure. Il fut nommé chanoine honoraire de la cathédrale d'Évreux en 1955 et était membre de l’Association des monuments et sites de l’Eure. Il réalisa aussi des reportages photographiques au Liban, en Syrie, en Palestine et en Égypte.

Voici un cliché du moulin de Beauregard datant vraisemblablement du 11 octobre 1950 (on lit cette date, à l’envers, en haut à droite du document). On le retrouve dans la Plateforme ouverte du patrimoine (POP), proposée par le Ministère de la culture (sous la notice APMH00115036). L’original est conservé à la Médiathèque de l'architecture et du patrimoine. Il est signé de Gabriel Bretocq (1873-1961), membre de la Société française d'archéologie, historien, curé de Ménesqueville et de Rosay-sur-Lieure dans l'Eure. Il fut nommé chanoine honoraire de la cathédrale d'Évreux en 1955 et était membre de l’Association des monuments et sites de l’Eure. Il réalisa aussi des reportages photographiques au Liban, en Syrie, en Palestine et en Égypte.

 

Un édifice du XVe siècle ?

Très proche géographiquement et architecturalement du moulin de la Couture, à Tostes, nous avançons volontiers que la moitié du XVe siècle est la date probable de construction de cet édifice. 

C’est dans ce sens qu’est aussi allé l’expert de la conservation régionale des Monuments historiques, auteur d’une notice (IA00019331) disponible en ligne par la Plateforme ouverte du patrimoine (POP). La notice rappelle que cette propriété privée n’est protégée ni par un classement ni par une inscription sur l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques. Elle est simplement réputée “à signaler”. La notice nous informe que le moulin est référencé sous les parcelles cadastrales “1964 ZA 86” et “87”. Il aurait été cité dès 1246 mais aurait été rasé dans le même siècle. Le moulin actuel daterait, quant à lui, du XVe siècle mais avec un point d’interrogation.

Cependant, les assises de notre moulin font penser à celles d'une tour d'angle de l'enceinte de l'abbaye de Bonport, réalisée toutefois avec du silex blanc. Une analyse dendrochronologique, c'est-à-dire portant sur l'ancienneté du bois, réalisée par Jean-Baptiste Vincent en 2016 nous apprend que cette tour date du milieu du XIIIe siècle. Jean-Baptiste Vincent expose ainsi que "cette datation dendrochronologique affine la typo-chronologie des constructions employant un appareillage mixte calcaire et silex, phénomène souvent daté au plus tôt du XIVe s., mais qui dans ce contexte apparaîtrait dès le milieu du XIIIe s. C’est ainsi les problématiques sur les politiques architecturales monastiques et les techniques de construction du Moyen Âge qui trouveront une réponse grâce à cette confirmation dendrochronologique."

Elles se rapprochent aussi de la technique utilisée pour le moulin d’Hauville (construit en 1258 par les moines de Jumièges et détruit en 1400 selon l'association du moulin) et le proche moulin de La Couture, à Tostes. 

 

Cartes postales illustrées des années 1910 (Archives départementales de l'Eure). Cartes postales illustrées des années 1910 (Archives départementales de l'Eure).

Cartes postales illustrées des années 1910 (Archives départementales de l'Eure).

 

Le moulin de Beauregard ou de Heurtevent ?

L’ancien moulin est appelé “moulin de La Haye-Malherbe” ou “moulin de Beauregard”, du nom du lieu-dit. Il est vrai que la vue est belle depuis cet endroit : l’on y mire les hauteurs de la vallée de Seine notamment au-dessus de Rouen. La légende locale narre que le moulin tient son nom de la vue, depuis sa hauteur, sur 33 clochers des villages alentour. Il est souvent difficile de déterminer si un nom de lieu (toponyme) a permis de nommer un homme (patronyme, pas homonyme;), ou si c’est l’inverse. Mais il semble qu’ici le Beauregard désigne bel et bien la vue notable et non un ancien notable en vue.  

La carte toponymique de l’Institut géographique national (IGN) nous informe, par l’accès au site Géoportail, que Beauregard culmine à 160 mètres. Cette altitude doit s’apprécier en la comparant à son environnement : le plateau du Neubourg s’élève généralement entre 140 et 160 mètres. Il s’agit donc d’un point culminant du plateau et, surtout, d’une hauteur qui se détache de l’éperon de Montaure et Tostes, entre 140 à 125 mètres d’altitude ; éperon qui termine vers le nord-est le plateau neubourgeois. Le moulin devait se trouver, au Moyen Âge, dans un couloir d’air venu d’ouest renforcé par une culture à champs ouverts et non enclose de haies abondantes comme, assurément, à La Haye-Malherbe. L’élévation au-dessus de La Haye-Malherbe doit sûrement offrir une belle exposition aux vents du nord. Cette lecture des vents peut être complétée par le rappel de l’existence de la “ferme de Heurtevent”. Ce nom est clair, ce qui est assez rare en toponymie : ce lieu était connu pour son exposition au vent. Nous émettons cependant l’hypothèse selon laquelle la ferme a pris l’ancien nom du moulin de Beauregard. Peut-être fut-il connu, un temps, sous le nom de moulin de Heurtevent ?  

 

Carte topographique de l'Institut géographique national (capture d'écran de Géoportail le 11 octobre 2020) qui sert d'appui aux commentaires ci-dessous.

Carte topographique de l'Institut géographique national (capture d'écran de Géoportail le 11 octobre 2020) qui sert d'appui aux commentaires ci-dessous.

 

Au carrefour de quatre, voire cinq, paroisses ? 

Un peu à l’est de la ferme de Heurtevent passait un chemin, depuis disparu, et qui reliait semble-t-il Surtauville à Montaure. La carte IGN actuelle montre encore des portions de ce chemin immédiatement au nord de Beauregard et son moulin, au sud de La Haye-Malherbe et à travers un espace appelé La Boulangère à l’ouest d’Écrosville (sûrement le nom donné à une terre meuble, presque pétrissable comme de la pâte à pain). Le chemin devait ensuite, mais ce n’est qu’une déduction, se prolonger vers le château de Montaure et la rue Maurice-Emmanuel, celle de l’église et des Fosses.

Le moulin de Beauregard était donc situé à un carrefour entre quatre paroisses : Crasville, Surtauville, Vraiville et La Haye-Malherbe. Mais de nombreux exploitants de Montaure-Écrosville devaient recourir aux services du moulin de Beauregard. Les limites des communes, créées en 1790, reprennent peu ou prou ces délimitations. C’est tout de même à La Haye-Malherbe qu’a été rattaché le moulin de Beauregard comme pour signifier que c’était la plus imposante des quatre communes, à défaut d’être la plus proche. 

Si l’on mesure l’accessibilité de ce moulin aux livraisons de céréales de Crasville et Surtauville, la côte le séparant de La Haye-Malherbe, Montaure et Écrosville laisse plus songeur. Il est plausible qu’une partie des céréales montauroises allassent au moulin de la Couture, propriété des moines de Bon port, à Tostes. De même, pour une partie des récoltes vraivillaises au moulin à l’ouest de cette paroisse. Idem pour Crasville avec le moulin sis à son sud, comme le montre la carte de Cassini de la fin du XVIIIe siècle. 

Enfin, il est probable que les terres de Beauregard fussent moins propices à la culture au Moyen Âge. En effet, un champ malherbois se nomme aujourd’hui “La Caprie”. On y lit ici la référence nette aux caprins, c’est-à-dire aux chèvres aimant à paitre les herbes sèches des espaces pentus.  

 

Pour conclure…

Le moulin de Beauregard est un très bel édifice médiéval du rebord du plateau du Neubourg. Si une comparaison avec une tour de Bonport étudiée par dendrochronologique est juste, ce moulin date du XIIIe siècle. Son corps principal est encore bien conservé et témoigne de la vitalité des campagnes d’alors, animées de cultivateurs et leurs familles vivant de la production locale. Le moulin est situé dans un espace central entre quatre, voire cinq paroisses : Crasville, Surtauville, Vraiville, La Haye-Malherbe et Montaure-Écrosville. Il s’en est fallu de peu qu’il appartînt à la commune de Surtauville et qui se nommât Heurtevent. Il reste à en découvrir les noms des propriétaires qui se sont succédé afin de mieux comprendre l'intérêt de ce moulin. Ce sont des plaisirs à venir...

 

Source

-  Vincent, Jean-Baptiste, « Pont-de-l’Arche – Abbaye de Bonport : tour d’enceinte », ADLFI. Archéologie de la France - Informations [En ligne], Haute-Normandie, mis en ligne le 18 février 2016, consulté le 19 janvier 2020. URL : http://journals.openedition.org/adlfi/16653.    

 

À lire aussi…

Tostes et le moulin de la Couture

L’histoire de La Haye-Malherbe : petit survol…

L’histoire de La Haye-Malherbe selon MM. Charpillon et Caresme

L’histoire de Crasville

 

Armand Launay

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9 octobre 2020 5 09 /10 /octobre /2020 10:18
Carte postale issue des fonds des Archives départementales de l'Eure.

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Flipou est une petite commune de 330 habitants perchée dans le Vexin près de la Côte-des-deux-amants. Flipou, le nom a des sonorités rigolotes et demeure bien énigmatique d’un point de vie toponymique (le nom de lieu). L’étymologie (l’origine du mot) qui laisse le plus rêveur est celle de MM. Charpillon et Caresme, dans le Dictionnaire historique de toutes les communes de l’Eure (1879) : Fageti podium, “la colline des hêtres”. L’on se plait à voir ici un hypothétique ancien nom de la Côte-des-deux-amants, mais elle se trouve tout de même à quelques kilomètres de là. Est-ce une étymologie crédible ? Nous en doutons car on aussi un Phipou en rase campagne du plateau du Neubourg. Or, Phipou fut une des formes du nom de Flipou. Le mystère demeure...

Cartes postales issues des fonds des Archives départementales de l'Eure.
Cartes postales issues des fonds des Archives départementales de l'Eure. Cartes postales issues des fonds des Archives départementales de l'Eure.
Cartes postales issues des fonds des Archives départementales de l'Eure.

Cartes postales issues des fonds des Archives départementales de l'Eure.

Les cartes postales de 1900, issues des collections des Archives de l’Eure, montrent une commune peu peuplée mais attrayante. Les cartes sont éditées par des cafés-épiceries de Fleury-sur-Andelle et Pont-Saint-Pierre, preuve que quelques touristes, quelques visiteurs venaient à Flipou d’où ils envoyaient leurs nouvelles par cartes interposées. On y voit l’église Saint-Vaast, construite en 1852 sur les bases de l’ancien édifice dont il ne reste que le relativement haut clocher carré remontant à la fin du XVIIe siècle. 

Vues actuelles de l'église Saint-Vaast par Armand Launay en juillet 2021.
Vues actuelles de l'église Saint-Vaast par Armand Launay en juillet 2021.Vues actuelles de l'église Saint-Vaast par Armand Launay en juillet 2021.
Vues actuelles de l'église Saint-Vaast par Armand Launay en juillet 2021.

Vues actuelles de l'église Saint-Vaast par Armand Launay en juillet 2021.

L’ancienne paroisse d’Orgeville a été rattachée à la commune de Flipou. On en voit encore son ancienne église, en ruine et la croix monumentale datée du XIIe siècle. Ceci à quelques mètres de l’excellente ferme des Peupliers et ses savoureux produits laitiers. 

Vestiges de l'église d'Orgeville (photographies d'Armand Launay, juillet 2021).
Vestiges de l'église d'Orgeville (photographies d'Armand Launay, juillet 2021).Vestiges de l'église d'Orgeville (photographies d'Armand Launay, juillet 2021).

Vestiges de l'église d'Orgeville (photographies d'Armand Launay, juillet 2021).

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9 octobre 2020 5 09 /10 /octobre /2020 10:14
Carte postale issue des fonds des Archives départementales de l'Eure.

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Village-rue du bord de Seine, Criquebeuf semble désigner tout d’abord le centre-village, sa mairie et son église Notre-Dame, que nous avons étudiée dans un précédent article. C’est ici que la sociabilité paroissiale et communale se sont constituées grâce aux écoles et aux commerces qui perdurent. 

Mais Criquebeuf désigne, à l’origine, un chapelet de hameaux et son centre-bourg. Le premier des hameaux, à l’est, est La plaine de Bonport, anciennement Saint-Martin-de-Maresdans, puis Gaubourg, Criquebeuf et Quatre-âge. Ces hameaux, groupes de fermes familiales, ont été réunis au fil des décennies par l’urbanisme galopant et grignotant les maraichages. Il convient de parcourir ces hameaux à pied afin de les sentir pleinement. Ils présentent une harmonie commune : celles de petites maisons en moellon calcaire de pays, toutes reliées à la Seine grâce des venelles parallèles. Les surprises sont au rendez-vous : la maison Riquier, ancien siège de la vicomté de l’eau présente une magnifique galerie à pans de bois à son second étage. Ce bâtiment du XVIe siècle a été classé Monument historique en 1932. Ces activités fluviales se lisaient encore dans les cartes postales du début du XXe siècle où l’on voit un gué et un bac nécessaires à la traversée du fleuve et à l‘exploitation des iles. Face à l’église, retrouvez quelques pierres, sculptées de lettres gothiques ou d’un feuillage, issues de l’ancienne abbaye de Bonport tout comme les stalles du chœur de Notre-Dame.

C’est sûrement un des grands attraits de cette charmante commune que de conserver ses airs ruraux, voire naturels, au milieu des villes et des routes très fréquentées.  

 

Cartes postales issues des fonds des Archives départementales de l'Eure.
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9 octobre 2020 5 09 /10 /octobre /2020 10:06
Cartes postales de La Haye-Malherbe issues des fonds des Archives départementales de l'Eure ou d'une collection privée.
Cartes postales de La Haye-Malherbe issues des fonds des Archives départementales de l'Eure ou d'une collection privée.Cartes postales de La Haye-Malherbe issues des fonds des Archives départementales de l'Eure ou d'une collection privée.
Cartes postales de La Haye-Malherbe issues des fonds des Archives départementales de l'Eure ou d'une collection privée.Cartes postales de La Haye-Malherbe issues des fonds des Archives départementales de l'Eure ou d'une collection privée.Cartes postales de La Haye-Malherbe issues des fonds des Archives départementales de l'Eure ou d'une collection privée.

Cartes postales de La Haye-Malherbe issues des fonds des Archives départementales de l'Eure ou d'une collection privée.

 

Nom champêtre s’il en est, La Haye-Malherbe évoque la végétation et les haies qui caractérisent la Normandie. Pourtant le terme de haie fait déjà controverse : certains y voient un bois, une lisière de forêt, une haie fortifiée (plessée)... Il semble que la haie ait désigné une belle propriété entourée d’arbres à la manière des clos-masures du pays de Caux. Cette propriété fut possédée par une famille Malherbe dont on retrouve le nom de Ranulf Malherbe dans une charte de 1206. 

C’est de cette période qu’émerge la paroisse Saint-Nicolas et son église dont il ne reste rien. L’église actuelle présente d’impressionnants contreforts et des baies du XVIe siècle. L’édifice fait l’objet d’une rénovation légère appelant aux dons sur le site de la Fondation du patrimoine

La Haye-Malherbe est aussi une commune qui regroupe Le Camp des ventes, dans un vallon descendant vers Saint-Pierre-lès-Elbeuf, une partie de La Vallée et des hameaux depuis regroupés dans le centre-bourg : Le Mont-Honnier, Le Carbonnier, Les Hoguettes. Car La Haye-Malherbe constitue une sorte de point central : la place derrière l’église rappelle l’existence d’un marché local et ancestral qui perdure. Les commerces rouvrent autour de la place. L’INSEE, dans le cadre de ses enquêtes statistiques, traite même d’”unité urbaine” autour de La Haye-Malherbe regroupant Terres de Bord et Vraiville. Il est vrai qu’un petit pôle d’activité vit ici qui ne demande qu’à être soutenu et sollicité. 

La Haye-Malherbe rompt la monotonie des champs ouverts du plateau du Neubourg. La Haye ici prend tout son sens : quelques haies perdurent, des vallons boisés y démarrent leur course vers Montaure ou les hauts d’Elbeuf. D’ailleurs le relief malherbois est aussi plissé par endroits par l’exploitation passée d’un bon filon d’argile. Depuis au moins le XVe siècle et jusqu’à la Seconde guerre mondiale, des tuiliers et potiers extrayaient et exploitaient l’argile. Ils étaient 31 professionnels en 1868. 

Le patrimoine malherbois, que l’on parcourt volontiers par ses chemins de randonnée, est composé d’un four à pain et d’une magnifique maison médiévale, anciennement couverte de chaume, dans la route de Louviers. N’oublions pas le très élégant Château d’Argeronne, bâti entre 1650 et 1655 par Louis Berryer, membre de la noblesse normande et qui occupa des fonctions d'État. Ce château se loue ‒ et se visite parfois ‒ dans son écrin forestier. La Haye-Malherbe, c’est aussi la figure tutélaire du moulin de Beauregard qui occupe l’un des points culminants de la commune, point depuis lequel on voit les hauts de Rouen d’ailleurs. Il reste de ce moulin la tour télescopique sur lits de pierre de taille calcaire et de silex blanc. Il date au moins du XVe siècle.      

 

Le moulin de Beauregard, sur les hauteurs, est un des patrimoines bâtis les plus notables de La Haye-Malherbe (clichés de Frédéric Ménissier, septembre 2020).
Le moulin de Beauregard, sur les hauteurs, est un des patrimoines bâtis les plus notables de La Haye-Malherbe (clichés de Frédéric Ménissier, septembre 2020).

Le moulin de Beauregard, sur les hauteurs, est un des patrimoines bâtis les plus notables de La Haye-Malherbe (clichés de Frédéric Ménissier, septembre 2020).

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9 octobre 2020 5 09 /10 /octobre /2020 09:53
Balade à Poses, sur la passerelle du barrage en avril 2013 (clichés d'Armand Launay).
Balade à Poses, sur la passerelle du barrage en avril 2013 (clichés d'Armand Launay).

Balade à Poses, sur la passerelle du barrage en avril 2013 (clichés d'Armand Launay).

 

Si l’intérêt touristique et promenadier de Poses n’est plus à faire, le long de la Seine, des ruelles et du barrage, il est bon d’y voyager dans le temps afin de voir combien évoluent vite les modes de vie et donc, quelque part, les paysages.

Déjà son église Saint-Quentin des XVe et XVIe siècles, au chœur et au transept gothiques, est intrigante si loin des maisons. Elle témoigne d’un temps où Poses n’était pas que ce village-rue peuplé de mariniers aux maisonnettes blotties et réparties au gré des venelles. Poses a aussi été un ensemble de hameaux situés hors des eaux des crues, notamment dans la plaine vers Léry, parmi lesquels se trouvait, naguère, un moulin depuis recouvert par les eaux des étangs ayant remplacé les carrières de sable. La vigne a même été entretenue et exploitée dans cette plaine comme en témoignent les lieux-dits comme “le clos des vignes” vers Tournedos.  

Qui sait qu’ici sont distinguées la haute Seine, celle de Paris et des berges aussi basses que végétales, de la basse Seine soumise aux marées ? La basse Seine fut transformée en chenal entre le milieu du XIXe siècle et les années 1930, ceci afin de rendre plus aisée la navigation. Ainsi Poses est le point cardinal où la Seine perd le plus de son altitude. C’est ce qui explique la présence des écluses d’Amfreville-sous-les-Monts afin d’aider les péniches à passer la cataracte.

Avant l’inauguration, en 1887, du barrage et des écluses, Poses était déjà une pause dans la pénible navigation des mariniers. Déjà en ce lieu la Seine perdait une altitude suffisamment importante pour baisser le tirant d’eau et rendre périlleuse la remontée, comme la descente, des bateaux. Des heures de guidage et montage des bateaux étaient nécessaires selon le poids des embarcations. Cela nécessitait des équipes de professionnels sur place et des aubergistes pour loger les transporteurs et leurs clients les commerçants, eux qui surveillaient le déplacement de leurs marchandises vers Paris ou vers la mer. Il parait que les bateaux étaient posés sur des iles, appelées les “poses”, en attendant la marée haute et donc les manœuvres des hommes. Ce serait là l’origine du nom de Poses au pluriel assez singulier.  

Ces activités batelières se lisent encore nettement sur les cartes postales des années 1910, notamment disponibles sur le site des Archives de l’Eure. Elles animent aujourd’hui encore le musée flottant de la batellerie : un prétexte supplémentaire pour aller se balader à Poses et savourer un patrimoine bâti serti dans un agréable écrin naturel. 

 

Cartes postales de Poses des fonds des Archives départementales de l'Eure.
Cartes postales de Poses des fonds des Archives départementales de l'Eure.
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9 octobre 2020 5 09 /10 /octobre /2020 07:24
L'église Notre-Dame de Pîtres est le joyau patrimonial de la commune avec un mur-chevet et des parties du mur sud de la nef datant du Xe siècle, un clocher-carré roman (remanié au XIIIe siècle) et une baie romane en plein cintre sur le mur nord de la nef (cliché d'Armand Launay, aout 2019)..

L'église Notre-Dame de Pîtres est le joyau patrimonial de la commune avec un mur-chevet et des parties du mur sud de la nef datant du Xe siècle, un clocher-carré roman (remanié au XIIIe siècle) et une baie romane en plein cintre sur le mur nord de la nef (cliché d'Armand Launay, aout 2019)..

 

Sur une petite élévation de la plaine alluviale de Seine, entre 10 et 15 mètres d’altitude, se trouve le village de Pîtres, protégé des crues. Pîtres se trouvait ainsi sur l’ancienne rive droite de l’Andelle, à proximité de son confluent avec la Seine. Un petit port andelien a ainsi animé le bourg durant des siècles, à commencer par le transit du “bois d’Andelle”, c’est-à-dire les futs flottant sur l’eau.  

Les voies terrestres dessinent un carrefour central. Ici se croisent, d’une part, la voie reliant Poses, lieu de franchissement de la Seine, et le plateau de Quèvreville vers Rouen, notamment par la Vallée-Galantine et, d’autre part, la voie reliant la vallée de l’Andelle à Pont-de-l’Arche. Pîtres était la jonction entre le pays d’Andelle, le pays de Seine et le Vexin normand au-dessus de la côte des Deux-amants. 

Il n’est pas étonnant que ce carrefour ait fourni aux archéologues un important matériel préhistorique, gaulois, gallo-romain, médiéval et même scandinave, ce qui est rare en Normandie malgré la colonisation viking. Comme Romilly-sur-Andelle, Pîtres est un toponyme roman. Il semble signifier les “moulins”. S’il existe aujourd’hui une rue des moulins, vers l’ile Sainte-Hélène, on peut s’étonner que le terme de “moulins” ait suffit à caractériser, déjà au VIIIe siècle, ce lieu. Les moulins à eau étaient-ils si rares entre leur création du IVe siècle et leur multiplication au Xe siècle ? 

De ces temps gallo-romains, sont restés des vestiges de thermes, derrière l’église, et de deux théâtres. L’un était situé au carrefour de la Bourgerue et de la rue de la Bise. L’autre était près de la Pierre-Saint-Martin, plus au sud, au-delà du terrain de football. Léon Coutil affirma en 1901 que les pierres de ces édifices gallo-romains avaient été réemployées dans les murs et maisons du centre-village. 

Une villa royale dût s’établir dans ces lointains vestiges de Rome car Pîtres était un fief royal. Charles le Chauve y fit assembler plusieurs fois les grands de son royaume dans différents plaids (assemblées), notamment pour y légiférer sur la monnaie et décider de la construction des fortifications de Pont-de-l’Arche (862-879) contre les incursions scandinaves. En 905 un édit montre un fonctionnement normal de la villa royale, quelques années avant la création de la Normandie. Au XIIe siècle, lointain souvenir de cette présence royale, Marie de France dans son poème des Deux-amants traita d’un “roi des Pistriens”. Elle qui travaillait pour les rois normanno-anglais en fit nécessairement un roi français arbitraire et nuisible à sa propre fille. C’est lui qui força, dans la légende, l’amant de sa fille à la porter dans ses bras jusqu’en haut de la côte des Deux-amants. Celui-ci en mourut de fatigue et la fille du roi en périt de chagrin, selon cette histoire inspirée de la légende de Pyrame et Thisbé, d’Ovide.

La paroisse de Pîtres allait jusqu’à Igoville et l’on a traité de “val de Pîtres” pour désigner la région, un titre dont s’est emparée l’association d’histoire de la commune qui publie depuis des années d’intéressants articles. Aujourd’hui encore, plusieurs hameaux constituent la commune : La Vallée-Galantine du nom d’une famille noble, le Nouveau-Pîtres, Le Port-de-Poses, le Taillis et la rue du Bosc, anciens hameaux devenus quartiers... Cela témoigne d’un habitat épars dont les vestiges archéologiques se font l’écho. 

Enfin, ce qui exprime le mieux l’ancrage dans le passé de Pîtres est l’église Notre-Dame et ses parties romanes. Ce temple, où les assemblées de Charles le Chauve sont censées s’être tenues, possède toujours un mur du XIe siècle (le chevet) et des maçonneries de la même époque dans le mur sud de la nef. Sa tour-clocher carrée, malgré des remaniements du XIIIe siècle, est toujours ornée d’éléments romans : un décor de bandes lombardes le long de la corniche, ses baies jumelées surmontées d’un oculus. Mil ans plus tard, il fait partie des derniers clochers carrés romans de la région et donne à la paroisse sa figure tutélaire sur fond de côte des Deux-amants. Ce charmant bourg est à visiter, sans oublier d’y prendre un café au Marigny...

 

A lire aussi, sur ce blog, l'historique de Pîtres par MM. Charpillon et Caresme.

Cartes postales issues des collections des Archives départementales de l'Eure. Une capture d'écran de la carte d'état-major accessible sur le site Géoportail.
Cartes postales issues des collections des Archives départementales de l'Eure. Une capture d'écran de la carte d'état-major accessible sur le site Géoportail.
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29 septembre 2020 2 29 /09 /septembre /2020 13:43
Démarrage de l'application mobile devant un bananier de Mayotte : les gens ont de ces idées (cliché d'Armand Launay, septembre 2020)...

Démarrage de l'application mobile devant un bananier de Mayotte : les gens ont de ces idées (cliché d'Armand Launay, septembre 2020)...

 

L’Office de tourisme Seine-Eure a édité en 2019 une brochure de 40 pages associée à une application numérique intitulée : “À la découverte de Pont-de-l’Arche. Les histoires du Maître du pont.” Celle-ci se veut un circuit fléché et animé devant guider les visiteurs dans le patrimoine et l’histoire de la ville. Ce circuit a été mis à la disposition du public à partir de juin 2020 avec une publicité dans les médias et les abribus de l’agglomération. L’application est disponible dans Google play où vous chercherez le fournisseur “Seine Eure s’imagine”. 

Quelques élus de Démocratie archépontaine, groupe d’opposition au Conseil municipal actuel, ont eu la bonne idée de juger cette visite cette semaine et, à travers elle surtout, de viser l’action de la municipalité lors des dernières journées du patrimoine. Leur reproche peut se résumer à la difficulté, voire l’impossibilité, de suivre les repères matériels du circuit de découverte en ville. Ils affirment que les élus de la majorité auraient dû accompagner, ou faire accompagner, les visiteurs dans ce dédale d’un genre nouveau.

En effet, nous nous posions aussi la question depuis juillet dernier où, durant la Sainte-Anne qui a à peine eu lieu pour cause de prévention du Covid-19, nous avions réalisé la visite avec notre fille de 11 ans et notre père... un peu plus âgé : alors, que vaut ce circuit ?  

 

Notre fine équipe durant la recherche (cliché d'Armand Launay, juillet 2020).

Notre fine équipe durant la recherche (cliché d'Armand Launay, juillet 2020).

 

Un travail professionnel

À notre connaissance, c’est principalement Estelle Maillet, ingénieure d’études, qui a conçu le circuit et le texte pour le compte de l’entreprise “Médiéval-AFDP”, spécialisée dans l’étude et la mise en valeur du patrimoine, surtout médiéval. 

Il s’agit d’une découverte de la ville par les propos de Gervald, personnage fictif, maitre du pont de la ville. Il assure une fonction attribuée par le roi, c’est-à-dire la charge du guidage et du montage des bateaux sous le pont. En effet, le passage des bateaux était périlleux et nécessitait des haleurs et une personne pour organiser leur travail. Par un jeu de piste, le visiteur trouve des indices en quête de Gervald et découvre diverses facettes de l’histoire de la ville, des éléments du patrimoine… pas uniquement médiévaux. 

Les dessins ont été réalisés par Kévin Bazot et David Herbreteau. Le graphisme a été réalisé par “L'Ours en Plus”, dont on apprécie les jeux de mots. Ceux-ci ont travaillé sur la base de documents anciens excellemment mis au gout du jour et plutôt bien réinterprétés. Les “sources documentaires principales”, voire uniques, sont “Armand Launay, blog pontdelarche.over-blog.com” et “Pierre Molkhou”, sans titre d’ouvrage cependant, et les “Archives départementales de l’Eure”... bien qu’en fait on ne retrouve presque rien issu de ces archives dans le carnet de voyage du circuit, c’est-à-dire le document imprimé qui accompagne l’application mobile. Les photographies sont d’André Roques, de l’Office de Tourisme Seine-Eure, de Guillaume Duprey et de istock.

La recherche historique semble suffisante bien que n'apportant aucune nouvelle information, le graphisme est excellent, que ce soit sur le papier ou dans l’application téléphonique. Nous ne savons combien il en a couté* à l’Office de tourisme mais les deux années de travail ont été sérieuses et ont abouti à un beau résultat. 

 

Une initiative réussie pour les adolescents

L’application mobile et le support imprimé, le carnet de voyage, sont adaptés aux adolescents et aux habitués de la manipulation d’écrans. L’écran a un pouvoir captivant qui invite le visiteur à poursuivre sa quête. Celle-ci est agrémentée de quelques jeux qui en modifient le rythme. L’application mobile est un outil efficace pour sensibiliser un public à un sujet sûrement nouveau pour lui : l’histoire et le patrimoine d’une commune. Elle intéresse aussi par son aspect ludique et pédagogique. 

 

Une aura pour la commune

La commune de Pont-de-l’Arche bénéficie désormais d’une offre nouvelle et encore assez rare : le circuit renforcé par l’application mobile. Cela constitue un beau document et une belle animation. Les amateurs de nouveautés apprécieront, un temps du moins... car c’est là le cout de la néophilie, l’amour de la nouveauté. Une communication a été assurée sur l’histoire de la ville, ce qui est très rare. C’est même la première fois, à ce stade-là, que l’histoire de Pont-de-l’Arche a été promue à Louviers, Val-de-Reuil et la région. La commune aura aussi, et enfin, ouvert sous conditions le portail donnant accès à l’arrière de l’église, sur les remparts.  

 

Durant la recherche, place Hyacinthe-Langlois (cliché d'Armand Launay, juillet 2020).

Durant la recherche, place Hyacinthe-Langlois (cliché d'Armand Launay, juillet 2020).

 

Support ou gadget ? 

Recourir à l’écran est riche, mais une visite de ville dure longtemps. Or, l’écran nous maintient dans une activité principale, obsédante : le clic, le visionnage d’images et une certaine lecture rapide d’une série de textes assez brefs. 

Le suivi de ce circuit numérique, avec son support imprimé, nous détourne relativement de la flânerie, de l’observation pure des ruelles et du paysage. Parfois même, on se retrouve perturbé par la manœuvre d’un automobiliste, un piéton souhaitant passer sur un trottoir étroit. Plus dommage encore, en matière patrimoniale : on se retrouve souvent dans la lecture de connaissances historiques et non dans l’interprétation des données du terrain : que nous apprend telle pierre ? Quel est ce type architectural ? Pourquoi cette voie est-elle dans ce sens ? Le patrimoine est presque un prétexte à entrer dans l’histoire, alors que des morceaux d’histoire devraient éclairer le patrimoine que l’on perçoit. C’est particulièrement criant à l’endroit de Notre-Dame-des-arts : on en vient à chercher des nombres parmi les bancs en bois alors qu’on survole ce qui fait la beauté des lieux : le recueillement, l’observation attentive des détails comme les angelots du maitre-autel, les ex-votos, les signatures des vitraux, les sculptures des fonts-baptismaux, la lumière filtrée et colorée par les vitraux... 

Certes, le jugement esthétique et le sentiment sont le propre de chaque visiteur et le circuit ne prétend pas les gâcher. Mais, de fait, le visiteur scrupuleux est happé par la direction imprimée par la visite et les énigmes à percer. En caricaturant un peu, on cherche la signalétique du circuit au lieu d’observer le paysage. Le temps passant, le visiteur se retrouve pressé de trouver l’étape suivante : il court un peu plus qu’il ne le devrait. Certaines personnes, comme les élus de Démocratie archépontaine, trouvent que le circuit est mal matérialisé dans les rues, malgré une signalétique régulière. En effet, des clous métalliques au sol, à l’effigie de Gervald, sont parfois difficilement identifiables malgré l’aide du plan dans le carnet de voyage imprimé. Nous avons été contacté par Facebook pour aider en direct des visiteurs en peine. Nous même, avec notre fille, nous avons dû chercher à deux reprises assez longtemps les clous. Les personnes n’utilisant que l’application mobile doivent peiner à trouver tous les clous. Or, sans les indices lisibles sur les clous métalliques, on ne peut poursuivre les étapes de l’application mobile...  

L’application mobile est-elle donc le support idoine ou un gadget qui détourne d’une visite personnelle et interrogative ? 

 

Des oublis et des erreurs

À la perfection nul n’est tenu et il n’est pas besoin d’être parfait pour être bon. Ces propos ne visent donc pas à ternir les auteurs du circuit mais à en évaluer objectivement les limites. Il est dommage que le circuit oublie l’ancienne abbaye de Bonport, dans la commune de Pont-de-l’Arche. Celle-ci aurait dû au moins faire l’objet d’une invitation à la visite. La colonne de Bonport présente dans la cour du Cerf offrait pourtant cette transition, d’autant plus qu’une page du carnet de voyage est laissée à une improbable rédaction que le visiteur pourrait faire... s’il le voulait. De même, le panneau sculpté de la place Hyacinthe-Langlois, la maison du gouverneur, la maison à avant-solier, les réclames des façades du XIXe siècle, les voutes de l’escalier du pont, le remplacement d’un bras de Seine par le cours de l’Eure en 1935… d’importants éléments du patrimoine bâti et naturel manquent.  

Bien que ne se voulant pas une somme d’histoire et de patrimoine, avec des liens systématiques et cohérents, le texte est ponctué d’erreurs. La plus étonnante est la mention de l’armée allemande en 1946 (sur l’application téléphonique, lue en juillet 2020). D’autres erreurs viennent d’interprétations hâtives comme l’affirmation que Henri Désiré de Subtil de Lanterie, homme d’église et propriétaire de la tour de Crosne, se trouverait sur le cliché d’une carte postale de 1910 où un voit un homme, plutôt jeune, en costume de ville ; sûrement un ami du photographe. Des lectures trop rapides font écrire que ce n’est qu’en 1772 que Pont-de-l’Arche est devenu le siège du bailliage alors que la ville accueillait un bailliage secondaire de Rouen depuis le milieu du XVIIe siècle. Les auteurs se sont emmêlés les pinceaux : ce pauvre Gervald est réputé victime de la peste noire (1346-1353) alors qu’il est aussi réputé être maitre du pont depuis 1415. Mieux vaut-il commencer par mourir afin d’être bien conscient de la chance de vivre ? Ces oublis et erreurs ne ternissent pas le travail d’ensemble, mais une relecture supplémentaire eût été nécessaire. 

 

Les clous à l'effigie de Gervald, une signalétique pas toujours facile à repérer (cliché d'Armand Launay, juillet)

Les clous à l'effigie de Gervald, une signalétique pas toujours facile à repérer (cliché d'Armand Launay, juillet)

 

Faire à la fois plus simple et plus ambitieux en matière de culture et de tourisme

Malgré ce circuit, on est encore ‒ à mon sens ‒ orphelins d’une vraie visite fléchée. Ce sont quelques panneaux résistants, bien placés, qui permettent aux gens de se balader assez librement dans la ville et de découvrir, par hasard, l’existence d’un tel parcours. De petits dépliants peuvent les compléter sous forme imprimée dans les commerces, les services publics, ou sous format pdf sur le site Internet de l’Office de tourisme ou de la Ville. C’est sûrement moins couteux mais plus adapté aux différentes pratiques des visiteurs. Le circuit des Damps, le “parcours de découverte Philippe”, du nom de notre regretté ami Philippe Wastiaux, en constitue un bon exemple de sobriété et d’efficacité, bien que les textes puissent être augmentés. Plusieurs visites archépontaines sont à proposer : l’église Notre-Dame mérite une bonne heure pour les amateurs de patrimoine religieux. Les jeunes et les marcheurs peuvent faire un large tour de la ville avec une dose d’histoire et de patrimoine architectural et naturel. Deux visites patrimoniales peuvent être proposées : une pour les personnes à mobilité réduite ou fatiguée ; une seconde plus longue pour le public en pleine possession de ses moyens et aimant à déambuler. Le circuit à la recherche de Gervald constitue une bonne chasse au trésor avec ses énigmes et ses jeux. Mais il enferme de nouveau les jeunes dans la pratique de l’écran quand nous devrions, au contraire, les faire respirer, les faire réfléchir. De plus, ce circuit n’assouvit pas ‒ toujours selon nous ‒ le désir de connaissance adulte. Le gadget jette une lumière sur le patrimoine, pour les gens qui la voient peu, mais il éblouit et détourne le regard d’une vision plus lente, plus fine, plus personnelle du monde qui nous entoure. Par exemple, en quoi une Vierge à l’Enfant Jésus du XIIIe siècle constitue un objet rare et précieux dans l’église ? Il s’agit aussi d’initier et former le public à une lecture plus amoureuse, plus connaisseuse de la beauté et du sens.  

Enfin, le carnet de voyage termine par une belle invitation qui honore les auteurs : “Je tire une leçon de mon aventure : La vie ne vaut d’être vécue que si on la partage avec les autres !” Au-delà de l’évidente condition humaine ‒ “l’homme est un animal social”, écrivait Aristote ‒ ce partage doit être provoqué. C’est sûrement ainsi que les visites de ville gagnent à être réalisées en présence d’un guide qui échange selon sa sensibilité et selon les désirs du public. Les membres de l’opposition ont donc raison d’inviter la municipalité à ne pas oublier cette dimension cardinale.

 

Mon père, personnage sociable, préférant la discussion avec des touristes que la consultation d'écrans (cliché d'Armand Launay, juillet 2020).

Mon père, personnage sociable, préférant la discussion avec des touristes que la consultation d'écrans (cliché d'Armand Launay, juillet 2020).

L’impression personnelle d’être dépossédé

Je remercie Estelle Maillet pour sa courtoisie et son amabilité. Elle m’a questionné sur des illustrations anciennes de la ville, que j’ai fournies, et leur interprétation afin de les améliorer voire de reconstituer le paysage tel qu’il fut. Elle m’a demandé quelques sources bibliographiques. Elle a aussi veillé à ce que mon nom figure dans les remerciements. J’ai, à ce titre, œuvré à la réalisation de certaines parties de ce circuit.

Grâce à Estelle Maillet, j’ai moins l’impression d’avoir été dépossédé de mes travaux puisque j’ai été associé et cité. Mais, si l’histoire de Pont-de-l’Arche ne m’appartient pas, mes ouvrages et mes articles sont ma propriété intellectuelle. La majorité des anecdotes et des interprétations sur les faits, les monuments, proviennent de mes écrits disponibles sur ce blog ou dans des opuscules. L’écriture du carnet de voyage n’est pas de moi et l’on a ainsi évité le plagiat mais quand je lis les souvenirs du fantôme Gervald, j’ai l’impression qu’il a louché sur ma copie. Il a dû sembler impossible de m’associer à la réalisation des textes à moins de me rémunérer, ce qui n’entrait pas le calcul de rentabilité. Des illustrations de mon ouvrage sur Pont-de-l’Arche, cité de la chaussure ont même été reproduites sans en citer la source. Si je n’en suis pas l’auteur, il est toujours honnête de sourcer les informations données. Les noms des auteurs des illustrations anciennes ont été systématiquement délaissés et oubliés. C'est étonnant. Les banques d’images Freepik et Adobestock étant citées dans l’ours (les crédits) du carnet de voyage, il doit donc être possible de citer des noms et de respecter les droits d'auteurs. Ceux-ci ne sont pas que pécuniers mais moraux, aussi.  

Gervald, nom imaginaire du maitre du pont représenté sur le vitrail du montage, œuvre de Martin Vérel datée de 1605 (cliché d'Armand Launay, juillet).

Gervald, nom imaginaire du maitre du pont représenté sur le vitrail du montage, œuvre de Martin Vérel datée de 1605 (cliché d'Armand Launay, juillet).

 

Pour conclure

En somme, ce parcours a le grand mérite d’exister. Je ne sais combien les professionnels ont facturé à l’Office de tourisme* mais ceux-ci ont bien travaillé. J’espère que le cout n’a pas été faramineux. Le kit étant vendu 7 € l’unité et imprimé à 1 000 exemplaires, 7 000 € correspondent peut-être au prix coutant des seuls objets mis à disposition. Le cout total doit être bien plus lourd*. 

Il est dommage que, malgré cet investissement, la ville ne bénéficie toujours pas de panneaux touristiques réguliers formant un circuit à l’image de celui des Damps. Le circuit gervaldien devrait être complété par d’autres circuits, plus classiques, moins couteux*, mais adaptés à différents publics. Cela permettrait sûrement une meilleure répartition des crédits entre les communes de l’agglomération. Nombre de communes mériteraient leurs circuits, ce que nous aimerions réaliser même partiellement et bénévolement. 

Enfin, et comme le laissent entendre les élus de Démocratie archépontaine, ce circuit numérique ne doit pas être un paravent qui masque la disparition d’une offre culturelle et touristique. Des animations, des expositions, des conférences, des visites guidées et commentées doivent perdurer afin de former le public au jugement esthétique et afin de lui donner des expériences sensibles riches. Après tout ‒ et c’est un grand défaut ‒ l’écran n’est pas directement propice au contact humain. Il pallie la solitude et l’ignorance mais il pâlit les relations humaines et l’interrogation individuelle. 

 

* Nous avons appris par les membres de l'opposition au conseil municipal que le cout total de l'opération est de 100 000 € (cent-mil euros). Addenda du 14 octobre 2020.

 

Armand Launay

Pont-de-l'Arche ma ville

http://pontdelarche.over-blog.com

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Mes activités

Armand Launay. Né à Pont-de-l'Arche en 1980, j'ai étudié l'histoire et la sociologie à l'université du Havre (Licence) avant d'obtenir un DUT information-communication qui m'a permis de devenir agent des bibliothèques. J'ai acquis, depuis, un Master des Métiers de l'éducation et de la formation, mention Lettres modernes. Depuis 2002, je mets en valeur le patrimoine et l'histoire de Pont-de-l'Arche à travers :

- des visites commentées de la ville depuis 2004 ;

- des publications, dont fait partie ce blog :

Bibliographie

- 20 numéros de La Fouine magazine (2003-2007) et des articles dans la presse régionale normande : "Conviviale et médiévale, Pont-de-l'Arche vous accueille", Patrimoine normand n° 75 ; "Pont-de-l'Arche, berceau de l'infanterie française ?", Patrimoine normand n° 76 ; "Bonport : l'ancienne abbaye dévoile son histoire", Patrimoine normand n° 79 ; "Chaussures Marco : deux siècles de savoir-plaire normand !", Pays de Normandie n° 75.

- L'Histoire des Damps et des prémices de Pont-de-l'Arche (éditions Charles-Corlet, 2007, 240 pages) ;

- Pont-de-l'Arche (éditions Alan-Sutton, collection "Mémoire en images", 2008, 117 pages) ;

- De 2008 à 2014, j'ai été conseiller municipal délégué à la communication et rédacteur en chef de "Pont-de-l'Arche magazine" ;

- Pont-de-l'Arche, cité de la chaussure : étude sur un patrimoine industriel normand depuis le XVIIIe siècle (mairie de Pont-de-l'Arche, 2009, 52 pages) ;

- Pont-de-l'Arche, un joyau médiéval au cœur de la Normandie : guide touristique et patrimonial (mairie de Pont-de-l'Arche, 2010, 40 pages) ;

- Pont-de-l'Arche 1911 I 2011 : l'évolution urbaine en 62 photographies (mairie de Pont-de-l'Arche, 2010, 32 pages) ;

- Mieux connaitre Pont-de-l'Arche à travers 150 noms de rues et de lieux ! (Autoédité, 2019, 64 pages) ; 

- Déconfiner le regard sur Pont-de-l'Arche et ses alentours (Autoédité avec Frédéric Ménissier, 2021, 64 pages) ;

- Les Trésors de Terres-de-Bord : promenade à Tostes, ses hameaux, Écrosville, La Vallée et Montaure (publié en ligne, 2022) ;

- Les Trésors de Terres-de-Bord : promenade à Tostes, ses hameaux, Écrosville, La Vallée et Montaure (version mise en page du précédent ouvrage, édité par la mairie de Terres-de-Bord, 2023).

Depuis 2014, je suis enseignant à Mayotte.

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