Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
4 septembre 2021 6 04 /09 /septembre /2021 10:39

Pour beaucoup, Igoville est une simple étape sur la route départementale 6015, une voie vers Rouen. Pour les 1 742 Igovillais, en 2018, leur commune est aussi ‒ et plutôt ‒ un agréable lieu de résidence, avec maints services et située, en effet grâce à la route, près des bassins d’emploi de Rouen, de Val-de-Reuil, voire de Paris. Nous proposons ici une balade afin de ne pas passer à côté de cette charmante localité, ses paysages et quelques éléments de sa riche histoire.

Igoville près Pont-de-l'Arche. Vue générale. Carte postale des années 1910 conservée aux Archives de l'Eure sous la cote 8 Fi 345-1 et consultable en ligne.

Igoville près Pont-de-l'Arche. Vue générale. Carte postale des années 1910 conservée aux Archives de l'Eure sous la cote 8 Fi 345-1 et consultable en ligne.

Nomades du fond de vallée

Avec Alizay, Igoville recouvre un des plus riches espaces archéologiquement étudiés ces dernières décennies dans la partie nord-ouest de la France, ceci grâce à la vigilance du Service archéologique de la DRAC et aux multiples exploitations de sablières fournissant l’explosion immobilière depuis la Seconde guerre. En effet, en 2007 et 2008, des fouilles préventives furent entreprises le long de la Seine près du hameau appelé Le Fort et principalement dans le territoire alizéen. Nous ne distinguerons pas, ici, dans quelle commune les découvertes ont été réalisées car cela n’aurait guère de sens. Un article très précis a été publié par Bruno Aubry (et alii) : “Une occupation du Tardiglaciaire Alizay-Igoville (Eure)” dans une publication faisant suite aux Journées archéologiques de Haute-Normandie. Harfleur, 23-25 avril 2010. L’INRAP (Institut national de recherches archéologiques préventives), a ainsi pu étudier en profondeur les lieux entre 2011 et 2013 et ce avant l’exploitation d’une nouvelle sablière. Les archéologues ont ainsi mis au jour des traces d’occupation humaine dans le fond de la vallée depuis le paléolithique, c’est-à-dire la dernière glaciation (il y a 12 000 ans). Ils ont montré une utilisation humaine régulière des lieux, qui se présentaient alors sous forme de chenaux peu profonds, où les hommes pêchaient et chassaient du petit gibier, notamment grâce à deux passages à gué entre les iles. Des trous de poteaux ont montré que des constructions étaient occupées dès que les eaux le permettaient. De très nombreuses découvertes, inédites dans l’ouest de la France et sur une aussi longue période, font des fouilles d’Alizay et Igoville une référence en matière de datation et d’identification de vestiges. Les auteurs de l’article cité notent que les preuves de la présence humaine se sont raréfiées à partir de l’âge du fer (vers - 800 ans avant notre ère). Nous pensons que la relative disparition des traces humaines en ce lieu s’explique par l’ensablement et l’envasement dus aux alluvions plus nombreuses. En effet, avec la révolution de l’agriculture, à partir de laquelle on définit le Néolithique, les terres déboisées des plateaux durent rapidement s’éroder et encombrer le fond de la vallée de la Seine. Les chenaux peu profonds et variés durent devenir des marécages puis être convertis en terres cultivables à mesure qu’ils s’asséchèrent une grande partie de l’année. C’est ce que l’on peut observer sur une carte topographique actuelle où l’on voit un ancien bras de Seine partant du Manoir et longeant sûrement Alizay, Igoville puis Sotteville. Désormais asséché dans ces communes, il ne subsiste qu’à Freneuse. Il est possible d’imaginer un premier chenal de Seine près du centre actuel d’Igoville dont le Nigard, espace marécageux existant encore au début du XXe siècle, semble constituer le dernier vestige. 

Tombes médiévales mises au jour au pied du rempart de Limaie durant la campagne de fouilles de 2011 à 2013 photographie de l'INRAP).

Tombes médiévales mises au jour au pied du rempart de Limaie durant la campagne de fouilles de 2011 à 2013 photographie de l'INRAP).

 

Une sédentarisation dans la vallée et, surtout, le long du coteau

Un rapport de diagnostic établi sous la direction de Miguel Biard et intitulé Rue de Lyons, Le Bout de la ville, Igoville (Eure) a été édité par l’INRAP en 2017. Le site fouillé semble situé près des écoles. Le scientifique fait état d’un diagnostic portant sur 11 000 m². La fouille “a livré une petite concentration de silex taillés. Découverts à une profondeur de 1,50 m dans un contexte stratigraphique alluvial, des tessons centimétriques de céramique orientent l'attribution chronologique vers le Néolithique.” Le Néolithique précède l’âge du bronze, c’est-à-dire avant 2200 ans avant notre ère d’après le site de l’INRAP. Autre diagnostic, celui présenté dans le rapport de Charles Lourdeau édité par l’INRAP en 2021 et intitulé Route de Paris, Impasse Bellevue, Igoville, (Eure). Au pied du coteau, un peu en surplomb du rondpoint, les archéologues ont mis au jour des vestiges datant vraisemblablement de 900 à 700 ans avant notre ère car leur ancienneté est estimée de “la toute fin de l’âge du Bronze (Ha B2-B3) ou du tout début de la période hallstattienne (Ha C)”. “Neuf fosses de grande dimension et quelques trous de poteaux” ont été identifiés plutôt au sud du chantier. Charles Lourdeau précise l’intérêt de la céramique retrouvée afin de “compléter la vision de l’occupation de ce secteur au cours de la Protohistoire ancienne et également de développer les corpus encore restreints sur ces périodes en basse vallée de Seine normande.” 

Quant au fond de la vallée, il a été exploité de longue date, comme nous l’avons vu, mais semble être devenu moins propice à l’habitat, même provisoire. C’est ce que semble montrer, à moins de trois kilomètres de là, le chantier de la zone industrielle du Clos-pré, à Alizay conduit par Cyril Marcigny. Mené d’avril à novembre 2017, il fait l’objet d’un rapport succinct sur le site Internet de l’INRAP sous le nom de Des traces de pas millénaires en Normandie. Les découvertes s’étalent du Néolithique ancien (début du Ve millénaire) au tout début du premier âge du Fer (vers 800 avant notre ère). Les archéologues tentent de retracer trois phases pendant lesquelles abondent les découvertes : la première, située autour de 2100 à 1900 avant notre ère, présente un ou deux bâtiments bâtis sur une légère motte au milieu de chenaux. Des palissades, des quais, des ponts et des passages à gué ont été mis au jour ainsi que des activités de combustion, “des aires de débitage de silex et de traitement des céréales. Au-delà de la zone habitée, la vallée est utilisée pour le pacage des animaux.” La seconde période, sur près de 1000 ans, est celle d’un vide humain après, semble-t-il, un combat comme l’indiquerait la présence de balles de frondes parmi des traces de pas. Puis, les scientifiques notent une nouvelle habitation entre 900 et 800. Cette habitation préfigure-t-elle les petites fermes du fond de vallée telles qu’on en voit au Moyen Âge à La Maison rouge (Alizay), Limaie (Igoville) et à Houlgate (Sotteville-sous-le-val) ? 

Il est possible que les hommes habitassent le fond de la vallée à la bonne saison et qu’ils remontassent au pied du coteau lors des hautes eaux. On mesure que la sédentarisation des hommes s’est faite au pied des monts mais n’a pas rompu, loin de là, le lien des habitants au fleuve, ses eaux potables et poissonneuses et ses iles propices au pâturage.

Igoville dans un extrait de la carte topographique de l'IGN et accessible sur le site Géoportail. On peut localiser ici les lieux-dits cités dans notre texte et mesurer l'isoplèthe (la courbe de niveau) des 10 mètres d'altitude au-delà desquels, plutôt à l'abri des crues, les habitations se sont concentrées au fil des siècles.

Igoville dans un extrait de la carte topographique de l'IGN et accessible sur le site Géoportail. On peut localiser ici les lieux-dits cités dans notre texte et mesurer l'isoplèthe (la courbe de niveau) des 10 mètres d'altitude au-delà desquels, plutôt à l'abri des crues, les habitations se sont concentrées au fil des siècles.

Des vestiges gallo-romains et francs

Une ambitieuse thèse a été soutenue quant à la présence gauloise à Igoville. En effet, un certain M. Ragon affirma, lors de la séance du 16 avril 1874 de la Société des antiquaires de l’ouest, que le toponyme Igoville dérivait du mot gaulois “Ingrande”, signifiant “la limite” et que l’on pouvait le rattacher au toponyme Uggade. C’est ce qu’il expose dans un article intitulé “Note sur l’emplacement d’Uggade, station sur la voie romaine de Paris à Rouen par Évreux et détermination du sens qu’il faut attacher à ce nom d’Uggade” paru dans le tome XIV des Bulletins de la Société des Antiquaires de l'ouest en 1877. La ville d’Uggade a depuis été rattachée au site de Caudebec-lès-Elbeuf où les vestiges gallo-romains sont légion, si l’on ose dire ainsi, comme l’expose avec clarté Frédéric Kliesch dans un article disponible en ligne et intitulé "L'antique Uggade (Caudebec-lès-Elbeuf, Seine-Maritime) et sa périphérie".  

La commune d’Igoville bénéficie d’un autre rapport de diagnostic archéologique. Il s’agit de celui d’Érik Gallouin et de Villa Valentina intitulé Les Sablons, Igoville, (Eure) et édité par l’INRAP en 2014. Dans ce qui est aujourd’hui la rue des Sablons, là où la société Marceau investissement fit construire un lotissement, les archéologues ont mis au jour “un dépôt monétaire très certainement éparpillé lors des labours successifs des terres. Il est constitué de plus d'une centaine de pièces de monnaies gallo-romaines…” mélangées avec de la céramique. On peut donc raisonnablement penser qu’une villa, sans v majuscule, existait en ce lieu. Il faut imaginer la villa comme la demeure principale d’un domaine agricole avec, assurément, des bâtiments annexes en bois et torchis pour l’exploitation des lieux et l’habitation de familles de paysans. 

Enfin, si le fait n’est pas rare dans la région, on peut signaler la découverte de plusieurs tombes franques dans l’emprise foncière igovillaise. C’est ce qu’on retrouve sous la plume de Dominique Cliquet dans le tome eurois de la Carte archéologique de la Gaule ; pré-inventaire archéologique publié sous la responsabilité de Michel Provost. Édité en 1993, la page 221 de cet ouvrage fait état de découvertes réalisées par Dominique Halbout-Bertin en 1990, aux Beaux-sites, soit : “deux sarcophages mérovingiens monolithiques, en calcaire tendre. La réutilisation semble attestée par la présence de deux squelettes dans chaque sarcophage.” Du mobilier a été trouvé : deux poinçons en fer et une imitation de monnaie de Tétricus. Il est aussi écrit que “Sur le versant nord de la vallée de la Seine, M. Brialy signale, en 1969, la présence d’ossements, de fragments d’un sarcophage en plâtre et de tessons de céramique mérovingienne.” De plus et enfin, la page citée mentionne l’infatigable Léon Coutil qui trouva au Camp-blanc des sarcophages formés de blocs de moellons ou de silex. Nous en déduisons que le territoire d’Igoville devait être parsemé de fermes régulièrement exploitées, notamment à La Pelaisière (le quartier près et au-dessus de la station-essence) et le vallon montant vers Les Authieux et Ymare, beau lieu s’il en est qui offre une douce transition entre le plateau de Boos et Rouen, d’un côté, et Pont-de-l’Arche et la voie vers Évreux, de l’autre côté. On imagine ici des vignes, dans ces toujours visibles terrasses, comme en témoigne la mémoire locale qui appelait "les vignes" un espace près du chemin de Devise à la limite avec Alizay. On imagine aussi la pratique du pâturage dans un sorte de petit bocage comme le montre toujours un peu le paysage autour de la ferme de La Folie et du Pré-Cantui. 

Extrait de "Chasteau du Pont de l'Arche" par Jacques Gomboust, extrait de l'ouvrage du cartographe Matthäus Merian (vers 1593-1650) intitulé Topographiae Galliae et publié en 1657.

Extrait de "Chasteau du Pont de l'Arche" par Jacques Gomboust, extrait de l'ouvrage du cartographe Matthäus Merian (vers 1593-1650) intitulé Topographiae Galliae et publié en 1657.

 

Étape fortifiée sur la Seine et faubourg de Pont-de-l’Arche

Plus haut dans cet article, nous avons vu, çà et là, que la plaine alluviale fut peu à peu abandonnée par l’habitat des hommes. Au Moyen Âge, on retrouve à peine et semble-t-il une ferme de Houlgate à Sotteville-sous-le-val et la Maison-rouge à Alizay, avec un bac vers Les Damps. Sur son territoire paroissial Igoville avait aussi son exception, de taille, avec la naissance du fort de Limaie. Nous développons cela dans un article intitulé Le fort de Limaie : un châtelet sur la Seine à Pont-de-l’Arche sur notre blog. Ici nous nous contentons de résumer ce fait qui a compté dans l’histoire de France. Charles II le Chauve réunit les grands de son royaume afin d’ériger un imposant système défensif sur la Seine et ce dans la finalité de barrer la voie, ou au moins ralentir, les envahisseurs scandinaves attaquant Paris et les grandes villes du royaume. C’était en 862, date où le roi fit venir ses barons dans le palais de son domaine de Pîtres. La finalité était de faire construire un pont avec un fort de chaque côté de la Seine. Étant donné les moyens techniques d’alors, ce pont ne put être érigé plus en aval. C’est donc un peu en aval de Pîtres, protégeant les confluents de l’Eure (voie vers Chartres) et de l’Andelle (voie vers Beauvais), qu’un ouvrage fortifié fut bâti entre 862 et 879. De lui, naquit la ville fortifiée du pont de l’arche, l’arche désignant, semble-t-il, la forteresse de l’autre côté du pont : le fort de Limaie qui fait partie de l'histoire igovillaise. Si cet ensemble n’a pas empêché les hommes du nord de devenir maitres de la Normandie, il a constitué un lieu de franchissement et de contrôle de toute cette partie sud de Rouen. Une ferme se trouvait en ces lieux qui est aujourd’hui partiellement occupée par l’Auberge du pressoir, restaurant qui propose une cuisine française de qualité.

A la fin du XVIIIe où a été réalisée la carte de Cassini (voici ici un extrait de Géoportail), Igoville apparait comme un village unique avec son clocher paroissial. Il est difficile d'imaginer qu'autrefois se trouvaient des fermes-hameaux éparses avant que n'émerge un chef-lieu central.

A la fin du XVIIIe où a été réalisée la carte de Cassini (voici ici un extrait de Géoportail), Igoville apparait comme un village unique avec son clocher paroissial. Il est difficile d'imaginer qu'autrefois se trouvaient des fermes-hameaux éparses avant que n'émerge un chef-lieu central.

L’émergence d’une paroisse dans un chef-lieu nommé Igoville

Nous l’avons montré, malgré d’immenses lacunes : l’habitat était mouvant, épars, mais continu à Igoville (comme partout ailleurs). L’émergence d’une paroisse et d’un chef-lieu autour de son église est une étape importante et éclairante de l’histoire locale. Selon Louis-Étienne Charpillon et Anatole  Caresme, auteurs du Dictionnaire historique de toutes les communes de l’Eure, dont le tome II est paru en 1879 : “La paroisse dédiée à saint Pierre a été formée au moyen d’un démembrement de celle de Pîtres.” Il s’agit d‘une supposition car Pîtres formait un vicus, un bourg gallo-romain, qui constitua ensuite une partie du domaine royal avant la naissance de la Normandie en 911. Le pont de Pont-de-l’Arche a été dénommé “pont de Pîtres” car il se trouvait sur le domaine royal. Cela indique sûrement que les hameaux d’Igoville et d’Alizay étaient réunis à la paroisse de Pîtres. 

L’implantation normande a, semble-t-il, modifié la donne. Le nom d’Igoville signifie le “domaine de Wigaut”. Wigaut est un nom d’origine norroise, autrement dit viking, et provient assurément d’un homme qui rendit service à Rollon ou à un de ses successeurs. Il fut gratifié d’un domaine agricole afin d’assurer sa subsistance ainsi que des revenus. Son nom est resté dans les mémoires et a été donné au fief principal, sûrement près de l’actuelle église Saint-Pierre. Un manoir seigneurial exista sans que nous ne puissions le localiser. 

Les amoureux de toponymie apprécieront de savoir, grâce à François de Beaurepaire à la page 130 de son précieux ouvrage intitulé Les Noms des communes et anciennes paroisses de l'Eure, que le nom d’Igoville est attesté sous la forme Vigovilla vers 1240, puis sous la forme actuelle dès 1340. La page Wikipédia d’Igoville note qu’on a affaire ici à une déformation courante en Normandie où les v et w initiaux s’évanouissent dans leur usage oral comme dans Incarville, Illeville et Ymare, par exemple. C’est ce qu’il advint pour Ingouville, quartier de l’abbé Cochet désormais inclus dans l’agglomération du Havre, et qui constitue le toponyme le plus proche d’Igoville. Igoville serait donc, parmi les noms de lieux, un hapax, c’est-à-dire qu’il n’apparait qu’une seule fois. Par ailleurs, nous nous demandons si l’ancien saint patron de Pont-de-l’Arche, Saint-Vigor, évêque de Bayeux, ne serait pas un jeu de mots avec la sonorité de Witgaut, seigneur local.

Revenons à la localisation du centre-bourg d’Igoville. L’emplacement du centre-village d’Igoville peut expliquer en partie la plus grande densité humaine parmi les hameaux locaux. Nous sommes ici au début de la partie insubmersible de la vallée mais proches des chenaux et donc des ressources de la Seine. De plus, nous sommes à l’entrée de la vallée, rue de la Ravine, montant vers Les Authieux, Gouy et surtout Rouen. Cette vallée doit son origine, outre le ravinement des eaux, à un ancien méandre de Seine fossilisé que nous abordons dans un de nos articles consacrés à Sotteville-sous-le-val. L’église Saint-Pierre se trouve à un carrefour, sous la ravine issue de “La vallée”, c’est son nom cadastral, et près du chemin longeant le coteau entre Pîtres et Freneuse, notamment. Qui plus est, nous soulignons un lien, sans savoir s’il a pleinement un sens, entre le nom de Saint-Pierre et l’entrée vers la vallée. En effet, saint Pierre est le guide de la religion chrétienne, fondateur de l’Église en tant qu’institution et autorité. Il est aussi celui qui détient les clés de l’entrée du Paradis. Or, Igoville a été un lieu de passage et un domaine ecclésiastique.

Igoville, dans la vallée de la Seine, se trouve au débouché d'un vallon rendant plus aisé l'accès au plateau de Boos, par Ymare, et offrant un raccourci entre Pont-de-l'Arche et Rouen (photographies d'Armand Launay, 2014).
Igoville, dans la vallée de la Seine, se trouve au débouché d'un vallon rendant plus aisé l'accès au plateau de Boos, par Ymare, et offrant un raccourci entre Pont-de-l'Arche et Rouen (photographies d'Armand Launay, 2014).

Igoville, dans la vallée de la Seine, se trouve au débouché d'un vallon rendant plus aisé l'accès au plateau de Boos, par Ymare, et offrant un raccourci entre Pont-de-l'Arche et Rouen (photographies d'Armand Launay, 2014).

La paroisse dans la mouvance de l'archevêché de Rouen

L’archiviste Charles de Robillard fit paraitre, en 1868, L’inventaire sommaire des archives départementales antérieures à 1790. Ce document est depuis numérisé et accessible en ligne. Dans la série des documents ecclésiastiques (série G, n° 1 à 1566), l’archiviste note que la paroisse d’Igoville, comme celle d’Alizay, dépendait de l’archevêché de Rouen. Il y est question, au XVIIIe siècle, de la présentation à la cure, c’est-à-dire de la nomination du curé : “Présentations à la cure de Saint-Pierre d'Igoville par les grands trésoriers de la cathédrale de Rouen : Claude Champagne de Séricourt, Jean-Baptiste de La Rue, docteur en Sorbonne. – Présentés : Jean Dujardin, curé d'Appeville ; – Antoine d'Ormesnil, Charles-Augustin Grenier.” L’archevêché percevait donc des droits sur la dime paroissiale. En 1748, “à Saint-Pierre d’Igoville, quinze corps de bâtiment [furent] consumés par le feu le 16 février (...) ; sept familles [furent] réduites à la mendicité.” Cette mention doit préciser que ces familles furent exemptées de dime pour cette année-là. Il y est aussi question, en 1747, de la “bénédiction par M. Esmangard, vicaire général de Mgr de Saulx-Tavannes, d'une chapelle au manoir de Claude-François Esmangard, à Igoville.” Il s’agit du château qui abrite aujourd’hui la mairie sur laquelle nous revenons ci-dessous.  

Du même travail de Charles de Robillard, mais dans le tome IV paru en 1887 et consacré aux liasses n° 4821 à 6220 de la série G, nous apprenons que Jean Dujardin, curé d’Igoville, ne percevait que le tiers de la dime, le reste revenant au trésorier de la cathédrale de Rouen. Le curé ne recevait aucune aide pour venir en aide aux pauvres de la paroisse en 1728. Un certain François Vallet était curé vers 1750.

Nous nous étonnons d’un lien, peut-être fortuit, dans ce patronage igovillais. En 862, Charles le Chauve confia la responsabilité du chantier du Pont-de-l’Arche à l’archevêque de Rouen, son bras droit, appelé Hincmar. Il passe aussi pour avoir doté cette grande abbaye, sûrement en dédommagement des dégâts subis lors des invasions scandinaves. Or, les paroisses d’Igoville et Alizay se trouvaient dans la mouvance de l’archevêché de Rouen au Moyen Âge. Est-ce là un hasard ou le résultat d’une attribution de revenus par le roi Charles le Chauve ? Toujours est-il que la chapelle Saint-Étienne, dans le château de Limaie, était une dépendance de la paroisse d’Igoville, selon MM. Charpillon et Caresme (dans leur article portant sur Pont-de-l’Arche). C’est donc par continuité géographique et administrative que ce faubourg de Pont-de-l’Arche, Le Fort, a été inclus dans la commune d’Igoville à la Révolution.  

L'église abbatiale Saint-Ouen de Rouen sur un beau cliché trouvé sur Wikipédia. Une partie de la richesse de cette abbaye provint des terres igovillaises.

L'église abbatiale Saint-Ouen de Rouen sur un beau cliché trouvé sur Wikipédia. Une partie de la richesse de cette abbaye provint des terres igovillaises.

L’abbaye Saint-Ouen de Rouen

L’abbaye Saint-Ouen de Rouen était l’un des plus grands établissements religieux de la Normandie orientale et ce depuis le temps des ducs. L’on peut toujours admirer l’église Saint-Ouen, ses jardins devenus publics et une partie de ses locaux conventuels qui accueillent l’hôtel de Ville. Les moines de Saint-Ouen possédaient énormément de terres sur le plateau de Boos et la presqu’ile de Freneuse. Igoville n’était pas en reste. Nous apprenons, dans la somme de MM. Charpillon et Caresme, que “Le 17 juillet 1198, Richard Cœur de Lion étant au château Gaillard, donne aux moines de Saint-Ouen, le village de Poses, en échange de Limaie, près Pont-de-l’Arche, l’étang de Martainville et la dîme des moulins de Rouen.” C’est une preuve indirecte de la présence des moines audoniens (adjectif de Saint-Ouen), avant 1198 et au moins à Limaie, dans la paroisse igovillaise. 

De cette propriété de Limaie, il semble que les moines aient conservé des droits sur un des trois moulins du pont de Pont-de-l’Arche. C’est ce que confirme le Répertoire numérique des archives départementales antérieures à 1790 rédigé par l’archiviste P. Le Cacheux. Consultable en ligne, le tome IV portant sur la série H, fait état des droits de l’abbaye Saint-Ouen de Rouen. La liasse 14 H 1191 porte sur la banalité du moulin. En 1407, la baronnie de Saint-Ouen obligea les “habitants d'Igoville à la corvée de charriage pour le moulin”. D’autres liasses rapportent des sentences de la baronnie de Saint-Ouen obligeant diverses personnes à la banalité du moulin, c’est-à-dire à payer une redevance même sans utiliser ses services. Une archive du 25 novembre 1493 montre que Jean Bitot, contre 2 sous et 6 deniers de redevance par acre, est autorisé à exploiter “une pièce de terre à Igoville, nommée le Val Varsolle, d’une autre pièce de terre au lieu dit le Brequentuit et d’un petit jardin à Igoville.” Par ailleurs, le Brequentuit est l’ancienne forme du Pré-Cantui de nos jours. La fiche Wikipédia d’Igoville cite, d’après cette même archive, “les essars de Brescantuit”. Faut-il y lire une étymologie norroise ? D’aucuns l’ont affirmé mais nous en doutons à la lecture de Un censier normand du XIIIe siècle : le Livre des jurés de Saint-Ouen de Rouen. Édité sous la direction d'Henri Dubois en 2001, il fait état des tous les droits de l’abbaye sur les terres et les gens redevables de céréales, taxes et services en nature entre 1262 et 1317. Les auteurs ont relevé 49 domaines audoniens essentiellement en Normandie. Dans chacun d’eux, des jurés devaient faire la somme des terres, des hommes et des redevances. De la page 138 à 144, il est question d’Ygoville, avec un y, ce qui en fait un des plus grands domaines. Les domaines sont cités, certains évoquent encore le caractère aquatique de cette partie de la vallée : le veet (gué), le port d’Ygoville, la noë (prairie inondable), les mares d’Ygoville, Langue dune… Quant au Pré-Cantui, il apparait sous la forme de Brequentel (page 144) et est cité à côté de la vente de Ricart le Bret. L’origine norroise n’est pas établie. Quoi qu’il en soit, l’abbaye Saint-Ouen était le plus grand seigneur possessionné dans la paroisse igovillaise. Un de ses plus grands domaines est devenu emblématique de la commune actuelle : le château-mairie.   

Le château-mairie d'Igoville selon un travail du dessinateur et éditeur de cartes postales Yves Ducourtioux.

Le château-mairie d'Igoville selon un travail du dessinateur et éditeur de cartes postales Yves Ducourtioux.

La place de la mairie en 2011 selon un cliché d'Armand Launay.

La place de la mairie en 2011 selon un cliché d'Armand Launay.

Le château-mairie, autrefois propriété de Saint-Ouen

La série H des archives de Seine-Maritime, citée ci-dessus, comporte la liasse 14 H 402. Celle-ci montre, dans une archive du 6 mai 1625, le père de l’abbaye Saint-Ouen agissant en seigneur d’une terre sur laquelle il autorise Louis de la Faye à construire un colombier “à charge de payer chaque année deux douzaines de pigeonneaux à la recette de Quièvreville et une douzaine au Trésor.” Quévreville était, en effet, le siège d’une des quatre baronnies audoniennes dans la région de Boos, une baronnie étant une sorte de chef-lieu sur plusieurs paroisses durant l’Ancien Régime. Puis, Jean, Jacques, Nicolas, David et Pierre de la Faye sont cités jusqu’en 1691. Sur cette terre se trouvait donc une demeure seigneuriale, assurément entourée d’une exploitation agricole. Il s’agit de la propriété où se trouve le château d’Igoville, aujourd’hui siège de la mairie, et le vaste parc alentour. Si le colombier a disparu après 1928 où nous retrouvons de dernières photographies le montrant, un beau et vaste manoir y fut érigé peu avant 1747. Nous lui avons consacré un article où nous reprenons quelques éléments de cette étude en citant ses différents propriétaires. Le fait le plus manquant est l’année 1990 où les élus, autour du maire Gérard Saillot, achetèrent le “château”, en piteux état, pour y aménager des logements et surtout la mairie, puis la bibliothèque… Il impose aujourd’hui à la place centrale une harmonie classique et donne à la municipalité igovillaise une aura étonnante par rapport à la taille de la commune. Celle-ci s’en sert dans son logotype qui reprend le château comme élément central. En effet, ce genre de communes, encore récemment rurales, possèdent généralement une école-mairie en brique de la fin du XIXe siècle. Celle d’Igoville se trouve dans le centre, près de l’église, et date de 1884. Une salle de classe lui fut adjointe dans la rue de la Ravine où se trouve aujourd’hui le Mini-réseau, voie ferrée miniature animée par une association de cheminots retraités. 

 

Photographies du colombier du "château d'Igoville" prises en 1928 par Marcel Maillard (1899-1977). Elles sont conservées à la Bibliothèque municipale du Havre et disponibles sur Gallica, partie numérique de la Bibliothèque nationale de France. Photographies du colombier du "château d'Igoville" prises en 1928 par Marcel Maillard (1899-1977). Elles sont conservées à la Bibliothèque municipale du Havre et disponibles sur Gallica, partie numérique de la Bibliothèque nationale de France.

Photographies du colombier du "château d'Igoville" prises en 1928 par Marcel Maillard (1899-1977). Elles sont conservées à la Bibliothèque municipale du Havre et disponibles sur Gallica, partie numérique de la Bibliothèque nationale de France.

En face de la mairie se trouve le Monument aux morts. Peint dans un bleu qui fut criard au début de ce siècle, il fait idéalement face à la maison commune. Sur son riche site qui répertorie par la photographie les Monuments aux morts, Serge Philippe Lecourt nous apprend qu’il s’agit d’un “modèle de série réalisé par le sculpteur Étienne Camus (1867-1955)” et créé dans la “fonderie Edmond Guichard” avant d’être “inauguré en 1921”.

Le poilu du Monument aux morts d'Igoville (photographie d'Armand Launay, 2006).

Le poilu du Monument aux morts d'Igoville (photographie d'Armand Launay, 2006).

La mystérieuse maladrerie

Près des Sablons, le long de la RD 79 à cheval entre Igoville et Sotteville-sous-le-val, se trouve une propriété appelée La Maladrerie. Un édifice datant de la première moitié du XVIIIe siècle s’y trouve entouré d’un mur en moellon calcaire. Ce mystérieux enclos est-il le vestige d’un ancien asile pour malades ? 

La page 97 de l’ouvrage de Pierre Langlois, édité en 1851 sous le titre de Histoire du prieuré du Mont-aux-malades-lès-Rouen, nous apporte des éléments intéressants. En 1289, le prieuré du Mont-aux-Malades, dans les hauteurs de Rouen, donna en échange à Laurent le Chambellan un fief de haubert entre Sotteville et Igoville appelé le “Fief aux malades.” Laurent le Chambellan, seigneur de Gouy, était doté d’une charge royale, panetier, qui consistait à fournir le pain à la table de son seigneur. Cela lui valait des droits sur certains moulins et sur la circulation des grains sur la Seine vers Rouen, comme nous l’avons abordé dans un article consacré à Gouy. Il fonda un hôpital, au Port-Saint-Ouen, appelé la Madeleine que nous abordons dans notre article sur Les Authieux-sur-le-Port-Saint-Ouen. Ce fut donc en tant que seigneur local et, semble-t-il bon chrétien soucieux de son prochain, qu’il se trouva lié au prieuré des hauteurs de Rouen qui a partiellement donné son nom à la commune de Mont-Saint-Aignan. La maladrerie igovillaise désigne donc le manoir du fief du prieuré dénommé Mont-aux-malades et non un asile pour lépreux ou autres personnes infortunées. MM. Charpillon et Caresme relatent, dans un article que nous avons reproduit sur ce blog, que ce fief fut vendu “le 27 mai 1621 à Jean Le Cornu, esc., seigneur de Bimorel, conseiller au Parlement de Rouen et commissionnaire aux requêtes du palais. Laurent Le Cornu, deuxième fils de Jean, sieur d’Igoville, trésorier de France à Rouen, donna tant à l’hôpital qu’à l’Hôtel-dieu et à d’autres maisons pieuses, plus de 100,000 écus, en sorte qu’il est regardé à Rouen comme le père des pauvres ; il vendit le fief aux Malades à Barthélemy Boivin, sieur de Bonnetot, conseiller aux comptes.” Nous voyons qu’il s’agissait d’un fief noble au même titre que les autres et que certains nobles continuaient à pratiquer la charité. 

Joseph Mallord William Turner, artiste anglais, visita la Normandie. Ici, sur les hauteurs d'Igoville, il a immortalisé cette vue plongeante où la visibilité sur Igoville et sa région est faible. La poussière de la voiture, les blanches lumières d'une radieuse journée font perdre en qualités documentaires ce qu'elles apportent en impression, en sensation. On s'imagine, harassés, prendre un temps de repos à l'ombre des deux arbres, avec ces voyageurs, près de la borne qui marque une étape du chemin entre Rouen et Paris. L'impressionnisme était là avant ses promoteurs officiels. Cette œuvre a, semble-t-il, été réalisée en 1833. On y lit tout de même la ligne droite vers le clocher d'Igoville puis le pont de Pont-de-l'Arche et la brèche, en forêt, par où file la voie.

Joseph Mallord William Turner, artiste anglais, visita la Normandie. Ici, sur les hauteurs d'Igoville, il a immortalisé cette vue plongeante où la visibilité sur Igoville et sa région est faible. La poussière de la voiture, les blanches lumières d'une radieuse journée font perdre en qualités documentaires ce qu'elles apportent en impression, en sensation. On s'imagine, harassés, prendre un temps de repos à l'ombre des deux arbres, avec ces voyageurs, près de la borne qui marque une étape du chemin entre Rouen et Paris. L'impressionnisme était là avant ses promoteurs officiels. Cette œuvre a, semble-t-il, été réalisée en 1833. On y lit tout de même la ligne droite vers le clocher d'Igoville puis le pont de Pont-de-l'Arche et la brèche, en forêt, par où file la voie.

La question de la voie royale : chronique de ses métamorphoses

Les auteurs s’intéressant au réseau de voies gauloises et, surtout, gallo-romaines, citent souvent la voie entre les villes de Caudebec-lès-Elbeuf, alors appelée Uggade, et de Radepont, alors dénommé Ritumagus. Il s’agirait d’une voie secondaire et bien mâlin serait celui qui établirait, avec certitude donc, le lieu de franchissement de la Seine. Sont pourtant cités, passim, Martot, Criquebeuf ou Bonport. Avec ironie, nous pourrions étendre la liste des actuelles communes riveraines en citant, Les Damps puis Poses… Ce qui semble plus certain est l’ouverture du fort de Limaie sur la voie en direction du Manoir puis vers l’Andelle. Cette ouverture vers le nord-est démontre que, après la réalisation du pont de Pont-de-l’Arche après 862, la majorité du franchissement de la Seine a dû se faire entre Pont-de-l’Arche et Igoville, les autres trajets se faisant toujours par des bacs disposés régulièrement le long de l’iau, nom populaire de la Seine. 

La voie partant de Pont-de-l’Arche vers Rouen est plus difficile à dater. Elle revêtit pourtant un enjeu dans la maitrise de la région qu’il serait dommage de taire. Pont-de-l’Arche constitua un nouveau franchissement de la Seine entre la voie du Vexin et celle de la rive gauche de la Seine par la forêt du Rouvray. À trois lieues de Rouen, la place-forte de Pont-de-l’Arche et celle de Limaie, à Igoville, faisaient partie de la première enceinte vers Rouen et ne devaient en aucun cas devenir une base arrière pour une armée ennemie ou des ligues rebelles. C’est ainsi qu’une voie semble avoir été créée dans le fond de la vallée, au nord immédiat du fort de Limaie et ce sur une série d’arches. Les arches actuelles se lisent toujours dans le paysage et nous leur avons consacré une étude où nous les datons, dans leur architecture, des années 1840. Ce sont les arches du Diguet, mot qui évoque toujours la digue, c’est-à-dire la levée de terre rendant la voie insubmersible. 

Il serait tentant de voir dans cette digue un vestige de fortifications complémentaires à celles de Charles le Chauve à Pont-de-l’Arche, fortifications permettant de faire obstacle à des pilotes souhaitant contourner le pont et le fort de Limaie et ce par des chenaux non encore comblés, surtout en temps de crues. 

Quoi qu’il en soit, et de manière plus certaine, cette voie sur digue était nécessaire pour assurer la continuité de la desserte sur ce qui est devenu une voie royale reliant Paris au Havre en passant par Rouen. Il était inconcevable que la desserte postale fût interrompue lors de crues entre la poste de Pont-de-l’Arche (à la cour du Cerf) et celle des Authieux. La voie contournait alors Igoville en passant au nord de la rue de Lyons, près de la station-essence, au nord de l’actuelle école et gagnait ensuite les hauts de l’église Saint-Pierre, la rue du Huit-Mai-1945, avant de gravir la côte des Authieux. La tentative d’évitement de toute zone inondable est nette et l’on peut même voir, dans la belle ligne droite entre Igoville et Alizay, la jonction entre ces arches insubmersibles et le pied du coteau sec en tout temps.

Cet extrait de la carte de Trudaine, datée de 1759, symbolise les digues qui nous intéressent entre Limaie et Igoville.

Cet extrait de la carte de Trudaine, datée de 1759, symbolise les digues qui nous intéressent entre Limaie et Igoville.

La voie sur digue entre Limaie et Igoville démontre l'intérêt majeur de la voie royale qui ne devait pas être coupée, même pas fortes crues. Les arches actuelles sont assez récentes puisqu'elles datent des années 1840. (cliché d'Armand Launay, 2006).

La voie sur digue entre Limaie et Igoville démontre l'intérêt majeur de la voie royale qui ne devait pas être coupée, même pas fortes crues. Les arches actuelles sont assez récentes puisqu'elles datent des années 1840. (cliché d'Armand Launay, 2006).

Igoville était naguère une étape de la voie Paris-Le Havre, juste avant Rouen. C’est ce dont témoigne une belle toile, déjà impressionniste, de William Turner, artiste anglais voyageant vers Paris. C’est ce dont témoigne, itou, une scène du film Les Grandes vacances, film de Jean Giraud daté de 1967, avec Louis de Funès dans le rôle principal. Sur la route du Havre, un personnage se fait prendre en stop devant un bar appelé Le Tonneau, dans la rue du Huit-Mai-1945, près du bar actuel : Le Sublim’s. C’est ce que l’on retrouve sur une page du site lieuxtournage.fr.

La rue du Huit-Mai-1945 dans le film Les Grandes vacances, tourné en 1967 (capture d'écran d'une page du site lieuxtournage.fr).

La rue du Huit-Mai-1945 dans le film Les Grandes vacances, tourné en 1967 (capture d'écran d'une page du site lieuxtournage.fr).

Entre temps, à la fin du XIXe siècle semble-t-il, Igoville bénéficia ou subit un deuxième contournement. La route nationale 6015 délaissa la rude côte des Authieux et prit une courbe dans l’actuelle rue de Rouen. Une carte postale des années 1910 témoigne de ce changement qui traite sobrement de “l’ancienne côte”. Cette voie se dirige depuis vers le nord en direction de Gouy par une pente, plus longue mais plus douce que celle des Authieux (la rue des Canadiens). C’est ce que l’on voit par une photographie aérienne des années 1950. Peu après, une voie de shunt permit de contourner le centre-village par une entaille dans le coteau calcaire entre la station-essence et le carrefour reliant le centre-bourg à la nouvelle route de Rouen. Cette entaille permet de voir des failles dans la roche calcaire qui témoignent d’anciennes exploitations de carrières. 

Comparaison de deux cartes postales, l'une des années 1910, et l'autre vraisemblablement des années 1950. Cette comparaison fait clairement apparaitre la désaffection de la route des Authieux, ancienne voie royale, au profit de la route de Rouen. On mesure aussi que le Monument aux morts de la commune a été déplacé.aquelle
Comparaison de deux cartes postales, l'une des années 1910, et l'autre vraisemblablement des années 1950. Cette comparaison fait clairement apparaitre la désaffection de la route des Authieux, ancienne voie royale, au profit de la route de Rouen. On mesure aussi que le Monument aux morts de la commune a été déplacé.aquelle

Comparaison de deux cartes postales, l'une des années 1910, et l'autre vraisemblablement des années 1950. Cette comparaison fait clairement apparaitre la désaffection de la route des Authieux, ancienne voie royale, au profit de la route de Rouen. On mesure aussi que le Monument aux morts de la commune a été déplacé.aquelle

Entre route et résidence

Un autre contournement, bien qu’indirect, existe depuis 1967 et l’ouverture de l’autoroute A13 dite de Normandie. Il n’a pas ôté le caractère routier d’une partie de la commune : le long de la route départementale 6015. Cette voie est de plus en plus empruntée, voire encombrée, ce qui a permis le développement d’une zone d’activités autour du véhicule (stations-essence, garages), de l’alimentation (l’hypermarché U) et de petits commerces qui ont fui le centre-village devenu purement résidentiel à mesure que la circulation en était détournée. La gare de Pont-de-l’Arche-Alizay a perdu une partie de son activité au profit de la route. Sa voie ferrée coupe toujours la commune d’Igoville entre, d’un côté, les habitations et, de l’autre côté, une plaine alluviale ponctuée d’étangs issus des sablières. Le hameau de Limaie a conservé lui aussi ce côté commercial, voire industriel, avec une zone d’activités comprenant notamment des carrières de sables et gravats. C’est aussi en ce lieu que se trouvèrent la première usine électrique de Pont-de-l’Arche, des écluses, un chantier naval et où la faïencerie Lambert produit toujours de l’artisanat de qualité. 

Citons aussi, près de la gare de Pont-de-l’Arche-Alizay les locaux de l’ancienne usine de chaussures de Charles puis Jacques Morel. Extension de cette industrie principalement localisée à Pont-de-l’Arche, il est très probable que l’usine Morel fut installée ici pour profiter d’une main-d'œuvre locale utilisant le train matin et soir par la gare contigüe, ou presque. Aujourd’hui, les locaux de l’usine Morel sont utilisés par Intervet où sont réalisés des produits pharmaceutiques à usage vétérinaire. Avec quelques autres usines, le secteur industriel apporte toujours un emploi local non négligeable. ​​​​​​​

Deux cartes postales des années 1910 vers et à Limaie, appelé zone du Fort aujourd'hui, et une photographie montrant l'Auberge du pressoir, restaurant de qualité en activité de nos jours (cliché d'Armand Launay, 2011).
Deux cartes postales des années 1910 vers et à Limaie, appelé zone du Fort aujourd'hui, et une photographie montrant l'Auberge du pressoir, restaurant de qualité en activité de nos jours (cliché d'Armand Launay, 2011). Deux cartes postales des années 1910 vers et à Limaie, appelé zone du Fort aujourd'hui, et une photographie montrant l'Auberge du pressoir, restaurant de qualité en activité de nos jours (cliché d'Armand Launay, 2011).

Deux cartes postales des années 1910 vers et à Limaie, appelé zone du Fort aujourd'hui, et une photographie montrant l'Auberge du pressoir, restaurant de qualité en activité de nos jours (cliché d'Armand Launay, 2011).

L'église Saint-Pierre sur une carte postale des années 1910.

L'église Saint-Pierre sur une carte postale des années 1910.

Saint-Pierre, l’église d’Igoville

L’église paroissiale Saint-Pierre se trouve dans la discrétion des ruelles du centre-bourg, c’est-à-dire un peu cachée ‒ et éloignée surtout ‒ du passage des contemporains. Bien que peu ancienne, elle a le charme des églises rurales de la région avec son petit clocher en flèche de charpente couvert d’essentes en ardoise, sa nef à deux pans et son moellon calcaire. Les voutes de ses baies témoignent de restaurations du XVIIIe comme le montre un millésime de 1790 et du XIXe siècle, ce que l’on voit à l’emploi de la brique, comme pour la sacristie (1881) et le porche du pignon est. Le chœur est un peu plus bas que la nef et est percé par une porte des morts, murée, par laquelle on accompagnait la dépouille du défunt après l’office funèbre.

Vues de 2014 sur l'église Saint-Pierre d'Igoville et son calvaire (photographies d'Armand Launa).
Vues de 2014 sur l'église Saint-Pierre d'Igoville et son calvaire (photographies d'Armand Launa).
Vues de 2014 sur l'église Saint-Pierre d'Igoville et son calvaire (photographies d'Armand Launa).

Vues de 2014 sur l'église Saint-Pierre d'Igoville et son calvaire (photographies d'Armand Launa).

Un calvaire dont le socle date du XVIe siècle constitue, avec des parties de muret, le dernier vestige de l’enclos paroissial où se trouvait le cimetière avant sa translation, rue de Porrentruy. Quel est le lien entre Porrentruy, commune du Jura suisse, et Igoville ? L’église donne un premier indice. En effet, et comme le rapporte la Plateforme ouverte du patrimoine (POP), proposée par le Ministère de la culture, l’église est enrichie d’un vitrail du maitre-verrier François Décorchemont, originaire de Conches-en-Ouche. Datant de 1992, il montre, comme le décrit la notice du ministère, “au premier plan, le Christ et saint Pierre se [faisant] face. Ils sont suivis des autres apôtres. Décor de palmiers. En arrière-plan, l'église de Porrentruy, en Suisse.” Le vitrail porte le texte suivant : “Offert par la paroisse de Porrentruy — 1948 — Tu es le Christ — Le fils du Dieu vivant.” Un blason de la ville de Porrentruy figure également comportant un sanglier. Quant au lien avec Igoville, au-delà de la religion, c’est un article de Paris-Normandie du mercredi 16 janvier 2008 qui nous renseigne. Plus précisément, un enfant du pays passionné d’histoire, Claude Bourgeaux, a mené son enquête. À la Libération, le maire d’Igoville, Henry Boillot, se servit de ses origines suisses pour demander de l’aide. Au-delà de colis et de dons pécuniaires, les habitants de Porrentruy ont proposé d’accueillir des enfants de familles nécessiteuses. C’est ainsi que 24 élèves igovillais séjounèrent un mois en Suisse en 1947 accompagnés par le maire et l’instituteur communal Léon Mautor. Les paroissiens de Porrentruy dotèrent l’église d’un vitrail qui, assurément, avait subi les combats. En remerciement, les édiles baptisèrent une artère de la commune du nom de Porrentruy, en présence d’élus de la municipalité jurassienne. 

Photographie du vitrail du maitre-verrier François Décorchemont offert par des habitants de Porrentruy, en Suisse, à la paroisse d'Igoville (base POP).

Photographie du vitrail du maitre-verrier François Décorchemont offert par des habitants de Porrentruy, en Suisse, à la paroisse d'Igoville (base POP).

 

Les combats de 1940

Proche d’un point de franchissement de la Seine, des forces armées se sont concentrées sur Igoville qui subit des dommages collatéraux. Nous avons consacré un article à ce qu’on a appelé le combat de Pont-de-l’Arche où les forces françaises du capitaine François Huet et quelques éléments britanniques opposèrent une belle résistance, les 8 et 9 juin 1940, aux panzers d’Erwin Rommel. Ce combat rendit plus difficile encore l’exode des civils, notamment rouennais. On déplore des décès parmi les troupes anglaise et française, au sein de laquelle des Sénégalais dont un nom de rue a été donné à Igoville. Le passage de la Seine a encore ralenti et endurci les combats à la Libération où l’on déplore à Igoville le décès de soldats canadiens, près du château de la Sahatte. C’est ce qui explique que la côte des Authieux ait été rebaptisée rue des Canadiens. 

 

Comparaison entre deux vues aériennes (vers 1950 et vers 2018, extraites du site Géoportail) qui montre l'urbanisation de la vallée de la Seine et donc l'accroissement du nombre des sablières afin de fournir une partie du matériau de construction.
Comparaison entre deux vues aériennes (vers 1950 et vers 2018, extraites du site Géoportail) qui montre l'urbanisation de la vallée de la Seine et donc l'accroissement du nombre des sablières afin de fournir une partie du matériau de construction.

Comparaison entre deux vues aériennes (vers 1950 et vers 2018, extraites du site Géoportail) qui montre l'urbanisation de la vallée de la Seine et donc l'accroissement du nombre des sablières afin de fournir une partie du matériau de construction.

Armand Launay

Pont-de-l'Arche ma ville

http://pontdelarche.over-blog.com

Bando 13x9 (1)

Partager cet article
Repost0
10 janvier 2021 7 10 /01 /janvier /2021 08:59
Carte postale des années 1910 (Archives départementales de l'Eure).

Carte postale des années 1910 (Archives départementales de l'Eure).

 

Jolie commune de 1500 habitants, Alizay est un village-rue qui peuple le pied d’un coteau abrupt de la vallée de la Seine. Ses maisons de modeste dimension témoignent de sa récente vocation essentiellement rurale. Faites de moellon calcaire extraits du coteau, elles sont aussi souvent bâties avec des pans de bois et sont entourées de petites cours, les potagers de nos anciens. 

Les curieux gagneront à parcourir les chemins piétons situés entre les dernières maisons et le coteau. On y lit toujours les charmes de la campagne, ses vergers, ses prés, ses lisières des bois et les perspectives sur le clocher Saint-Germain et la vallée, notamment la côte des Deux-amants. Ici, au pied d’un vallon assez abrupt, se trouve l’Alizay ancien. On peut imaginer qu’en ce lieu l’eau, descendant du plateau de Boos par le vallon du Solitaire, abondait et rendait possible l’implantation permanente des hommes. Ce n’est pas pour rien que la station de pompage actuelle est située non loin de cet espace. L’abbé Cochet a découvert vers 1870 des vestiges allant de la période gauloise (La Tène ancienne) aux temps gallo-romains près de Rouville, au champ de la Gritte, dans le prolongement du Manoir. Parmi les objets retrouvés figurent des céramiques, ce qui n’est guère étonnant. En effet, un des hameaux alizéens situé un peu plus au nord de la Gritte, et dénommé la Briquèterie, atteste l’exploitation d’un bon filon d’argile. 

 

Les fouilles archéologiques menées par l'INRAP à Alizay et Igoville constituent la référence la plus vaste d'étude de l'occupation du fond de vallée de la Seine par l'homme et sur une période allant de la dernière glaciation (- 10 000 ans) au Moyen-Âge (photographies aimablement prêtées par l'INRAP en 2011).
Les fouilles archéologiques menées par l'INRAP à Alizay et Igoville constituent la référence la plus vaste d'étude de l'occupation du fond de vallée de la Seine par l'homme et sur une période allant de la dernière glaciation (- 10 000 ans) au Moyen-Âge (photographies aimablement prêtées par l'INRAP en 2011).

Les fouilles archéologiques menées par l'INRAP à Alizay et Igoville constituent la référence la plus vaste d'étude de l'occupation du fond de vallée de la Seine par l'homme et sur une période allant de la dernière glaciation (- 10 000 ans) au Moyen-Âge (photographies aimablement prêtées par l'INRAP en 2011).

 

Un village fluvial ? 

On peut se figurer qu’ici, près de Saint-Germain et de la Gritte, étaient les rives de la Seine par l’un de ses bras, au moins, et jusqu’au haut Moyen Âge. En effet, un bras existe toujours le long du coteau nord à Freneuse. L’observation des courbes de niveau, sur la carte topographique, montre qu’un bras partait du Manoir et courait vers Alizay avant, assurément, de poursuivre son cours le long d’Igoville, Sotteville et Freneuse. Alizay a sûrement vécu de la pêche et du transport fluvial. C’est ce qu’attestent, au moins pour le Moyen Âge, la culture du chanvre au bord de la Seine et le petit port de la Maison rouge en face des Damps. 

Plus récemment, en 2011, un immense chantier de fouilles a vu le jour le long de la Seine à Alizay et Igoville. L’INRAP, avant l’ouverture de vastes carrières de sable, a pu retracer l’utilisation humaine de l’ancienne vallée de Seine depuis la dernière glaciation (il y a 12 000 ans) au Moyen Âge. Dans des chenaux depuis asséchés, l’homme a utilisé les ressources du fleuve et chassé le petit gibier. Des habitats réguliers, dès que les eaux le permettaient, montrent l’intérêt domestique de ce fond de  vallée. De très nombreuses découvertes, inédites dans l’ouest de la France et sur une aussi longue période, font d’Alizay une référence pour dater et identifier d’autres découvertes archéologiques. Une autre campagne de fouilles, réalisée en 2017, eut lieu à Alizay. Très riche, nous la résumons dans notre article dévolu à Igoville.

On mesure que la sédentarisation des hommes s’est faite au pied des monts mais n’a pas rompu, loin de là, le lien des habitants au fleuve dont les eaux, rappelons-le, étaient potables. 

 

La mairie d'Alizay, ici en cours d'agrandissement, occupe un ancien manoir situé au fief de la Motte. En effet, une motte féodale se trouve toujours un peu à l'est de cette belle demeure, à droite de ce cliché. C'est là le cœur du fief originel d'Alizay, fief qui fut concurrencé et dépassé par celui de Rouville au Moyen-Âge et surtout durant l'Ancien-Régime (photographie d'Armand Launay, 2011).

La mairie d'Alizay, ici en cours d'agrandissement, occupe un ancien manoir situé au fief de la Motte. En effet, une motte féodale se trouve toujours un peu à l'est de cette belle demeure, à droite de ce cliché. C'est là le cœur du fief originel d'Alizay, fief qui fut concurrencé et dépassé par celui de Rouville au Moyen-Âge et surtout durant l'Ancien-Régime (photographie d'Armand Launay, 2011).

 

Un ou deux fiefs seigneuriaux ?

Il existe une continuité d’habitat, semble-t-il, avec la découverte de deux cercueils en plâtre contenant des scramasaxes et vases de l’époque franque (Riquier, 1862). C’est à relier aux mêmes découvertes faites à Igoville au Camp blanc et aux Beaux sites. Au Moyen Âge, Alizay n’apparait tout d’abord pas comme fief mais comme partie du domaine appelé “val de Pîtres”. Ce domaine fut la propriété des rois francs. C’est en ce lieu que Charles II, dit le chauve, fit réunir plusieurs assemblées des grands de son royaume, notamment en 862 pour construire le château fortifié de Pont-de-l’Arche face aux Vikings et pour légiférer en matière de monnaie. Ces assemblées, appelées plaids, eurent lieu dans le palais du roi mais l’on ne sait où cette demeure se trouvait exactement.  

Alizay faisait partie de ce domaine qui dût ensuite être la propriété de Rollon et des ducs de Normandie. D’aucuns pensent que le château de Rouville trouve-là son étymologie : Rollonis villa, le domaine de Rollon. L’ancien palais du roi serait ainsi localisé, au moins en théorie. Le domaine qui nous intéresse fut ensuite la propriété d’importantes familles normandes, issues de la colonisation scandinave. Au XIe siècle, c’est Roger Ier de Tosny, un des plus grands seigneurs de la Normandie, qui en était le maitre. Celui-ci, nous apprend Auguste Le Prévost, en constitua le douaire de sa fille, Adeliza (née vers 1030 et décédée en 1069). Le douaire étant un héritage de la femme en cas de décès de son époux : c’est donc une femme qui était seigneure du lieu. De là à imaginer qu’Alizay est une déformation d’Adeliza, c’est une hypothèse jusqu’alors non formulée. Elle n’est pas délirante étant donné que la première apparition du nom d’Alizay, dans les archives, est de 1180, ce qui est tardif. Adeliza apporta son domaine à son mari, Guillaume Fils Osbern. Le Val de Pîtres revint en partie aux Tosny en 1119 et resta en leur possession jusqu'à la victoire de Philippe Auguste reprenant en main la Normandie en 1204. Mais déjà Alizay était possédée par un seigneur Français. En effet, en 1200, Albéric III, comte de Dammartin, en France, est le premier seigneur connu de ce fief. Peu avant 1200, Renaud, fils d’Albéric et comte de Boulogne, réunit la chapelle de Rouville, qu’il avait fondée, à la cure de Saint-Germain. Plus tard, en 1216, Mathilde, fille de Renaud, se maria à Philippe Hurepel, fils de Philippe Auguste lui-même. Le roi voulait gagner la fidélité des comtes de Boulogne face aux prétentions des Flandres.  

Ce fief d’Alizay semble être celui de la Motte, c’est-à-dire le cœur d’Alizay, près de l’église Saint-Germain. La Motte désigne de nos jours le monticule de terre au nord-est de la mairie alizéenne. Le siège de la mairie est d’ailleurs une belle résidence, agrandie récemment, elle-même héritière d’un château médiéval. L’église Saint-Germain semble témoigner de l’importance de ce fief en ce temps. Quelques vestiges datent du XIIe siècle dans le mur sud du chœur. Même son beau clocher carré semble inspiré des volumes des clochers romans, alors que celui-ci date du XVIe siècle et bénéficie, depuis le 17 avril 1926, d’un classement aux Monuments historiques. Par ailleurs, 5 œuvres sont classées aux Monuments historiques au titre d’objets dans l’église. C’est Mathilde qui, en 1258, donna la cure de cette église à l’archevêque de Rouen. 

 

Façade sud, clocher et transept, côté sud-est, de l'église Saint-Germain d'Alizay. Photographie d'Emmanuel-Louis MAS (1891-1979) datant de 1939 et accessible sur la base POP du Ministère de la culture (notice APMH0195926).

Façade sud, clocher et transept, côté sud-est, de l'église Saint-Germain d'Alizay. Photographie d'Emmanuel-Louis MAS (1891-1979) datant de 1939 et accessible sur la base POP du Ministère de la culture (notice APMH0195926).

 

Alizay ou Rouville ?

Le centre de gravité d’Alizay a basculé vers Rouville. En 1351, le seigneur de Rouville réclama la cure de Saint-Germain. Il semble que cette partie de la commune lui ait échappée et qu’il ait établi ses quartiers dans le château de Rouville. Un jugement arbitral, datant de 1358, donna raison à l’archevêque mais deux chapelles furent confiées au seigneur de Rouville : Saint-Antoine et Saint-Pierre. Ce château fut ensuite la propriété des Gougeul puis des Hallé qui furent les principaux propriétaires d’Alizay et de grandes familles nobles de Normandie. L’ancien château seigneurial est tombé en ruine. Il en reste des bâtiments agricoles et un colombier. Ce n’est qu’en 1882 que le château actuel fut bâti par l’architecte rouennais Loisel. Mais cet édifice subit un incendie en 1949. Outre ses dimensions, il maintient en ce lieu une atmosphère d’Ancien Régime. Il est pourtant devenu une propriété du département de l’Eure en 2012 lors du sauvetage de la papèterie alors appelée Mreal et devenue depuis Double A. C’est au titre des dommages de guerre, qu’en 1951 une industrie allemande fut installée en ce lieu, le château de Rouville étant à vendre. La Sica, son premier nom,  a été rachetée plusieurs fois depuis. C’est l’un des principaux employeurs de la région. Elle a fédéré nombres d’ouvriers communistes qui ont porté à la mairie d’Alizay des maires collectivistes. 

 

L'implantation en 1951 de la SICA, usine produisant de la pâte à papier, a ancré Alizay dans la période industrielle. Maints ouvriers ont composé la population alizéenne qui ont porté au conseil municipal des élus communistes qui ont l'envie et les moyens et développer les services publics. Ici ont peut apprécier deux photographies de Jean Pottier datant de mars 1971. On y voit le parc à bois et une vue générale sur l'ancêtre de ce qu'on appelle de nos jours Double A (base POP du Ministère de la culture).L'implantation en 1951 de la SICA, usine produisant de la pâte à papier, a ancré Alizay dans la période industrielle. Maints ouvriers ont composé la population alizéenne qui ont porté au conseil municipal des élus communistes qui ont l'envie et les moyens et développer les services publics. Ici ont peut apprécier deux photographies de Jean Pottier datant de mars 1971. On y voit le parc à bois et une vue générale sur l'ancêtre de ce qu'on appelle de nos jours Double A (base POP du Ministère de la culture).

L'implantation en 1951 de la SICA, usine produisant de la pâte à papier, a ancré Alizay dans la période industrielle. Maints ouvriers ont composé la population alizéenne qui ont porté au conseil municipal des élus communistes qui ont l'envie et les moyens et développer les services publics. Ici ont peut apprécier deux photographies de Jean Pottier datant de mars 1971. On y voit le parc à bois et une vue générale sur l'ancêtre de ce qu'on appelle de nos jours Double A (base POP du Ministère de la culture).

 

Alizay, petit village normand, est devenu un centre bourg aux nombreux services publics. Il est doté depuis 1840 d’une station de train et risque de subir le passage d’une autoroute contournant Rouen par l’est. 

 

Armand Launay

Pont-de-l'Arche ma ville

http://pontdelarche.over-blog.com

Bando 13x9 (1)

 

Partager cet article
Repost0
14 décembre 2020 1 14 /12 /décembre /2020 14:43
Vue aérienne du Manoir sur une carte postale des années 1950.

Vue aérienne du Manoir sur une carte postale des années 1950.

 

À première vue, Le Manoir est une commune récente et marquée par le XXe siècle. C’est ce que montre l’exploitation de carrières de sable qui encerclent la commune, à Pîtres, Alizay et, naguère de l’autre côté de la Seine, la plaine de Léry. Celles-ci sont nécessaires au boom immobilier qui touche la vallée de la Seine depuis 1945. Ainsi, la commune du Manoir, qui n’est pas en reste, est passée de 514 habitants en 1954... à 1 278 en 2017.

 

Comparaison de deux vues aériennes des années 1950 et 2020 issues de captures d'écran du site Géoportail.  Comparaison de deux vues aériennes des années 1950 et 2020 issues de captures d'écran du site Géoportail.

Comparaison de deux vues aériennes des années 1950 et 2020 issues de captures d'écran du site Géoportail.

 

En plus de quelques immeubles de la reconstruction, les rues rectilignes du Manoir donnent accès à des maisons plutôt humbles et souvent ouvrières. En effet, juste à côté, à Pîtres, se trouve “Manoir industries”. Cette imposante fonderie s’est installée en 1914. Elle fut créée dans les Ardennes et s’installa à Pompey, près de Nancy. C’est sous ce nom, Pompey, qu’on a longtemps appelé cette usine. On peut imaginer que les dirigeants de cette entreprise ont souhaité mettre à l’abri de la guerre contre l’empire allemand une partie de leur production. Une immigration ardennaise et lorraine a alors touché la commune. 

 

Carte postale des années 1910.

Carte postale des années 1910.


L’église aussi évoque le XXe siècle et pour cause : sur la Seine le pont de la voie ferrée Paris-Rouen a attiré les raids aériens des Alliés durant la Seconde guerre mondiale. C’est ainsi que le pont et les quartiers avoisinants ont été détruits à la bombe. L’ancienne église Saint-Martin, datée de 1519, a laissé place à sa petite sœur, érigée de 1951 à 1952. Celle-ci est signée de l’architecte normand Pierre Dupont (1911-1983). Elle bénéficie du label “Patrimoine du XXe siècle”. Créé par le Ministère de la culture, ce label se veut une conservation préventive. L’église en béton a un chevet circulaire et un clocher de plan carré indépendant du corps de bâtiment. Une impressionnante verrière côté ouest, signée du maitre verrier Jean Barillet (1912-1997), constitue l’élément le plus notable.

Carte postale de l'église Saint-Martin, démolie par les bombardements précédant la Libération. Photographie montrant une bombe non explosée et une partie du pont ferroviaire démoli (collection privée).. Carte postale de l'église Saint-Martin, démolie par les bombardements précédant la Libération. Photographie montrant une bombe non explosée et une partie du pont ferroviaire démoli (collection privée)..

Carte postale de l'église Saint-Martin, démolie par les bombardements précédant la Libération. Photographie montrant une bombe non explosée et une partie du pont ferroviaire démoli (collection privée)..

Photographie de l'église du Manoir actuelle (cliché d'Armand Launay, aout 2020) et vue sur le vitrail de Jean Barillet (photographie de la Fondation du patrimoine). Photographie de l'église du Manoir actuelle (cliché d'Armand Launay, aout 2020) et vue sur le vitrail de Jean Barillet (photographie de la Fondation du patrimoine).

Photographie de l'église du Manoir actuelle (cliché d'Armand Launay, aout 2020) et vue sur le vitrail de Jean Barillet (photographie de la Fondation du patrimoine).

 

Le Manoir aurait-il donc perdu trace de tout patrimoine ancien ? 

Outre quelques maisons à calcaire scié du XIXe siècle, une balade le long de la Seine démontre le contraire. En effet, Le Manoir fut un petit port de Seine, entre 10 et 12 m d’altitude, c’est-à-dire insubmersible en cas de crue. D’ailleurs, la commune se prolonge du côté gauche de la Seine où deux iles ‒ la Grande ile et l’ile du Motillon ‒ ont été rattachées à la rive par les travaux de chenalisation du fleuve durant les années 1930. Le Manoir était situé sur le chemin de halage et devait nécessiter l’arrêt des voyageurs dans des auberges, surtout entre le pont de Pont-de-l’Arche et le pertuis de Poses, deux obstacles dans le transport fluvial. Or ‒ nous y venons ‒ le long de ce chemin de halage se trouve le manoir des Hautes-Loges. 

 

Les Hautes-Loges ou l’origine du nom du Manoir ?

On estime que ce manoir date du XIVe étant donné ses dimensions caractéristiques du Moyen Âge (peu de profondeur, forte élévation, toit très pentu), ses imposantes pierres de taille et son millésime ‒ 1352 ‒ au niveau du cadran solaire. Ce manoir bénéficia d’une imposante restauration vraisemblablement au XVIe siècle vu la fenêtre à meneaux et sa corniche sculptée. La façade sud, visible depuis la berge, repose sur une alternance de lits de moellon calcaire et de lits de silex sombre. L’appareillage est plus riche encore à l’endroit du cadran solaire et sous l’appui d’une baie où la brique de pays s’ajoute esthétiquement aux matériaux précités.

Est-ce ce manoir qui a donné son nom à la paroisse ?

C’est probable étant donné que ce fut un fief noble et notable. On sait, grâce à MM. Charpillon et Caresme, que le comte Raoul d’Ivry donna à l’abbaye Saint-Ouen de Rouen le patronage de l’église Saint-Martin d’”Al Maneir” en 1011 ainsi que sa plaine, ses terres cultivables et incultes, ses porcs et ses poissons.

Il reste néanmoins à établir le lien entre les Hautes-Loges et ce Maneir de 1011. En effet, on peut aussi penser que le Manoir a désigné le château de Rouville, situé aujourd’hui à Alizay. Outre l’étymologie, Radulf villae, qui peut référer à Raoul (d’Ivry), ce château était situé le long d’un bras de Seine depuis asséché. C’est ce que montrent les courbes de niveau. La berge du Manoir se poursuivait jusqu’à ce château.  

 

Le manoir des Hautes-Loges sur des cartes postales des années 1910.Le manoir des Hautes-Loges sur des cartes postales des années 1910.

Le manoir des Hautes-Loges sur des cartes postales des années 1910.

Le manoir des Hautes-Loges vu depuis un drone (cliché de Frédéric Ménissier, décembre 2020).

Le manoir des Hautes-Loges vu depuis un drone (cliché de Frédéric Ménissier, décembre 2020).

 

Outre ces fiefs nobles, il existait vers les hauts le fief de l’Essart où se trouve aujourd’hui la ferme du même nom et son beau corps de ferme à pans de bois. Il fut possédé au XVIIe siècle par les Hallé, aussi seigneurs de Rouville et du Manoir. Cette ferme ancre toujours Le Manoir dans l’activité agricole, comme ce fut naguère sa vocation première. À noter aussi et enfin, son coteau boisé montant vers Ymare par une belle ravine, chemin d’antan, et son sapin, ses ifs, ses buis et ses massifs d'arbustes dans le cimetière. Ce dernier site a été classé en 1929 au titre d’espace végétal. 

 

Voyez aussi, sur blog, quelques cartes postales anciennes du Manoir en cliquant ici et l'historique du Manoir par MM. Charpillon et Caresme.

 

Armand Launay

Pont-de-l'Arche ma ville

http://pontdelarche.over-blog.com

Bando 13x9 (1)

 

Partager cet article
Repost0
24 octobre 2020 6 24 /10 /octobre /2020 15:24
Extrait d'un plan des Archives départementales de Seine-Maritime (coté : 12Fi532) et intitulé "Paroisse d'Ymare, plans des bois de l'abbaye de Saint-Ouen."

Extrait d'un plan des Archives départementales de Seine-Maritime (coté : 12Fi532) et intitulé "Paroisse d'Ymare, plans des bois de l'abbaye de Saint-Ouen."

 

Le cœur d’Ymare, près de sa mairie, est un parc qui nous invite à la promenade. 

D’un côté, côté bois, l’on y retrouve les feuillus qui habillent avec pudeur les courbes des monts et des vallées. C’est ainsi qu’on entre à Ymare, par la route des Authieux, depuis un ancien méandre de Seine fossilisé et culminant tout de même à 75 mètres d’altitude, en moyenne, entre Igoville et Le Port-Saint-Ouen. 

De l’autre côté, côté champs, Ymare s’ouvre sur le plateau de Boos, ses champs ouverts et sa ruralité toujours vivante, voire odoriférante. Les sentiers sont ici riches qui nous offrent des sensations variées. La ferme de Bel-évent, exposée au vent, se trouve dans une partie du village d’antan, celui du hameau de la Forge et ses vergers en direction de Quèvreville-la-Poterie. On entend dans ces noms l’âpre et patiente exploitation des richesses du sol qui par ses minéraux de la forge qui par l’argile des poteries. 

C’est cette argile qui a sûrement servi à la construction des bâtiments constituant le “Clos de la ferme”, au cœur d’Ymare. Ancienne propriété noble dont le château a disparu dans les années 1970, le Clos comporte un four à pain du XIXe siècle récemment restauré et, surtout, un ensemble patrimonial essentiellement du XVIIIe siècle, en partie en brique de pays : vaste logis, colombier, écuries, mur d’enceinte... ainsi qu’un très bel alignement d’arbres au sud de la propriété donnant vers les champs ouverts des hauteurs d’Alizay. Au loin se profilent les hauteurs de Vironvay. 

Face à cette propriété aristocratique, qui appartint peut-être un temps au poète de renommée nationale Pierre de Marbeuf (1596-1645), se trouve une allée d’arbres conduisant à la charmante et modeste église rurale Saint-Aubin du XVIIe siècle. L’édifice est très bas et dépasse à peine des champs, vue du nord, malgré sa flèche de charpente pointue et couverte d’ardoise. Un socle de calvaire du XVIe siècle et des gravures sur certaines pierres de façade complètent ce beau tableau notamment immortalisé par Yves Ducourtioux. 

La mare d’Ymare est proche, mare fondatrice de son nom, semble-t-il, puisqu’Ymare serait d’origine scandinave et signifierait la “mare de Le blanc ou Le fort.” Ce propriétaire dut choisir ce domaine pour la proximité d’une source, visiblement près de l’église et qui devait alimenter jadis la mare centrale du village. Une petite rivière devait couler le long de la Grand rue et creuser un petit vallon vers Les Authieux, puis vers le Pré-cantui et Igoville. 

C’est là, côté bois, que se trouve le second – ou premier – hameau d’Ymare, où des longères à pans de bois cohabitent près du calvaire datant de 1791. Ce hameau se trouve en direction des anciens terrains communaux, aujourd’hui lotis de riches demeures, qui étaient des terres dévolues aux plus pauvres personnes qui pouvaient y laisser paitre leurs animaux et récupérer du bois mort avant 1789. Des marnières ont aussi créé un relief torturé, en ce lieu, pour alimenter les champs avoisinants. Au milieu de ces champs d’ailleurs, se trouve un “dolmen”, encore appelé “Tombe du druide”. Des érudits y ont vu un mégalithe christianisé puisqu’une croix est gravée sur une pierre. Un culte lui était rendu avant guerre car on lui prêtait des vertus curatives. Il s’agit, semble-t-il, d’un reste de table de prière d’une ancienne croix de chemin

Mais que de patrimoine naturel et historique dans une commune que l’on connait souvent assez peu ou, alors, par l’implantation de l’entreprise de télécommunication Thales et son énigmatique boule blanche, non loin de l’aéroport de Boos.

 

Cartes postales des années 1910 : l'église Saint-Aubin d'Ymare vue depuis sa belle allée d'arbres et une scène de la vie paysanne.
Cartes postales des années 1910 : l'église Saint-Aubin d'Ymare vue depuis sa belle allée d'arbres et une scène de la vie paysanne.

Cartes postales des années 1910 : l'église Saint-Aubin d'Ymare vue depuis sa belle allée d'arbres et une scène de la vie paysanne.

Vues ymaroises par un beau jour d'été : le mur du Clos de la ferme et la mare centrale (clichés d'Armand Launay, aout 2020).
Vues ymaroises par un beau jour d'été : le mur du Clos de la ferme et la mare centrale (clichés d'Armand Launay, aout 2020).

Vues ymaroises par un beau jour d'été : le mur du Clos de la ferme et la mare centrale (clichés d'Armand Launay, aout 2020).

Vues ymaroises par une belle éclaircie de mai 2021 et à travers le regard de Frédéric Ménissier.
Vues ymaroises par une belle éclaircie de mai 2021 et à travers le regard de Frédéric Ménissier.

Vues ymaroises par une belle éclaircie de mai 2021 et à travers le regard de Frédéric Ménissier.

Armand Launay

Pont-de-l'Arche ma ville

http://pontdelarche.over-blog.com

Bando 13x9 (1)

Partager cet article
Repost0
13 septembre 2020 7 13 /09 /septembre /2020 14:18

 

Sotteville-sous-le-val est une charmante commune, blottie au pied du coteau de la presqu’ile de Freneuse, qui mérite qu’on s’y balade par le corps comme par l’esprit. 

Sotteville désigne, à l’origine, quelques habitations regroupées autour de l’église Saint-Baudile. On traitait de paroisse Saint-Baudile-de-Sotteville.   

En face de l’église, le long de la route reliant Igoville à Freneuse (la rue du village), se voient d’étranges colonnes. Deux sont entièrement dégagées et une troisième se trouve à moitié engagée dans un bâtiment d’habitation. Elles sont couronnées de chapiteaux sculptés comme dans des églises. D’où viennent-elles ? 

 

Photographie de la maison aux colonnes accessible sur le site POP, la plateforme ouverte du patrimoine, proposée par le Ministère de la culture. Datant de 1939 et pris par Emmanuel-Louis Mas il montre l’édifice d'origine, disparu depuis, et ses trois colonnes restées comme orphelines au milieu du village..

Photographie de la maison aux colonnes accessible sur le site POP, la plateforme ouverte du patrimoine, proposée par le Ministère de la culture. Datant de 1939 et pris par Emmanuel-Louis Mas il montre l’édifice d'origine, disparu depuis, et ses trois colonnes restées comme orphelines au milieu du village..

Les colonnes en question devant l'église Saint-Baudile (cliché d'Armand Launay, juin 2012).

Les colonnes en question devant l'église Saint-Baudile (cliché d'Armand Launay, juin 2012).

 

Une photographie de cette maison, que nous appelons la maison aux colonnes, est accessible sur le site POP, la plateforme ouverte du patrimoine, proposée par le Ministère de la culture. Sous la cote MH0170031 et datant de 1939, un cliché d’Emmanuel-Louis Mas (1891-1979) reproduit ci-dessous montre l’édifice. On le retrouve dans la notice APMH00170031. 

Dans une certaine confusion la notice annonce le XIVe siècle pour dater on ne sait trop quoi. À l’évidence, ce siècle se rapproche plus de la création des colonnes (début du XIIIe siècle) que de la maison qui a été bâtie à la toute fin du XVIIIe siècle ou au début du XIXe siècle. Était-elle faite en pans de bois ? Nous l’ignorons. Toutefois elle complétait un beau bâtiment, peut-être du XVIIe siècle, à l’Est bâti sur des lits de silex, avec des moellons calcaires en remplissage et des chainages en pierres de taille. Celui-ci a peut-être été couvert de chaume à en croire ses pignons surélevés par rapport à la ligne du toit. Côté sud, une de ses pierres de chainage porte la lettre “M” en caractère gothique entourée d’une couronne, semble-t-il et d’un symbole que nous ne savons pas interpréter (une dédicace en hommage à un abbé décédé ?). Quant au bâtiment disparu, avait-il une vocation agricole ? C’est possible à en juger par l’espace entre deux des colonnes qui devaient laisser place à l’entrée d’une charrette, au moins à bras. Quant à l’étage, ses fenêtres laissent deviner qu’il était habité. Quoi qu’il en soit, en 1939, ce bâtiment semblait déjà à l’abandon qui était recouvert de croutes de réclames. 

 

Maison, toujours debout, qui se trouve dans le prolongement de la maison aux colonnes disparue. Une colonne la soutient en partie et une pierre de chainage porte la lettre "M" qui semble provenir de l'ancienne abbaye de Bonport (clichés d'Armand Launay, février 2014).
Maison, toujours debout, qui se trouve dans le prolongement de la maison aux colonnes disparue. Une colonne la soutient en partie et une pierre de chainage porte la lettre "M" qui semble provenir de l'ancienne abbaye de Bonport (clichés d'Armand Launay, février 2014).

Maison, toujours debout, qui se trouve dans le prolongement de la maison aux colonnes disparue. Une colonne la soutient en partie et une pierre de chainage porte la lettre "M" qui semble provenir de l'ancienne abbaye de Bonport (clichés d'Armand Launay, février 2014).

 

Ces colonnes, les connaisseurs le voient, sont cisterciennes. Ce sont les parties supérieures, les chapiteaux qui l’indiquent. Ceux-ci sont sculptés de manière à représenter des fleurs d’eau, c’est-à-dire des roseaux, que l’on appelait des cisteaux en ancien français. C’est en effet dans un lieu dit Cisteaux, puis Cîteaux, que l’ordre cistercien fut fondé par Robert de Molesme en 1098. Beau clin-d’œil, donc. 

 

Émile Chevallier, homme d’église attaché à la paroisse de Pont-de-l’Arche, publia deux ouvrages sur l’ancienne abbaye de Bonport, située dans la même paroisse. Il s’agit d’un guide et d’un ouvrage plus approfondi intitulé Notre-Dame de Bonport : étude archéologique sur une abbaye normande de l'ordre de Cîteaux, et publié en 1904 par Firmin-Didot.

À la page 13, l’abbé Chevallier nous apprend que l’abbaye de Bonport, qui fut nationalisée comme tous les biens ecclésiastiques par les députés de la Révolution en 1790, fut vendue le 2 avril 1791 à Jacques Joseph Alexandre de la Fleurière et, surtout, Alexandre de la Folie qui exploita les lieux. Outre l’exploitation agricole, celui-ci vendit des matériaux de l’abbaye. Il commença par les quatre cloches de Notre-Dame de Bonport, l’église abbatiale, qui partirent à la fonderie de Romilly-sur-Andelle dès juillet 1791. Le 22 février 1792, une chapelle était détruite ainsi que, déjà, une partie de l’abside de Notre-Dame. L’ancienne abbaye était devenue partiellement une carrière de pierres destinées aux constructions des habitants de la région. Vers 1820 la carrière était toujours exploitée semble-t-il (page 14).

 

Photographies prises dans l'enceinte de l'ancienne abbaye de Bonport. L'une montre la base des colonnes de Notre-Dame, vendues entre la fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe siècle. L'autre montre les vestiges de faisceaux de colonnes engagés dans le mur du dortoir et donc non démontables pour être vendus (clichés d'Armand Launay, juin 2010 pour les bases de colonnes, aout 2016 pour les vestiges accolés au dortoir).
Photographies prises dans l'enceinte de l'ancienne abbaye de Bonport. L'une montre la base des colonnes de Notre-Dame, vendues entre la fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe siècle. L'autre montre les vestiges de faisceaux de colonnes engagés dans le mur du dortoir et donc non démontables pour être vendus (clichés d'Armand Launay, juin 2010 pour les bases de colonnes, aout 2016 pour les vestiges accolés au dortoir).

Photographies prises dans l'enceinte de l'ancienne abbaye de Bonport. L'une montre la base des colonnes de Notre-Dame, vendues entre la fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe siècle. L'autre montre les vestiges de faisceaux de colonnes engagés dans le mur du dortoir et donc non démontables pour être vendus (clichés d'Armand Launay, juin 2010 pour les bases de colonnes, aout 2016 pour les vestiges accolés au dortoir).

 

Émile Chevallier cite ensuite, (page 15) des pierres encore identifiables en 1904 dans la région : il s’agit de pierres sculptées, celles de l’église Notre-Dame. Il expose qu’il en existe à Criquebeuf, Pont-de-l’Arche, Alizay, Pont-Saint-Pierre et Sotteville-sous-le-val dans deux propriétés. 

La maison aux colonnes semble donc avoir été relevée notamment grâce à trois colonnes rachetées par un particulier à Alexandre de la Folie. Elles ont vraisemblablement servi de soutènement à une sablière portant les solives du second niveau. Ce bâtiment, disparu depuis, date donc par déduction de la toute fin du XVIIIe siècle ou des deux premières décennies du XIXe siècle. Peut-être que ces colonnes ont transité par voie de Seine car, après tout, l’ancienne abbaye bonportaise se situe presqu’en face de Sotteville. Quoi qu’il en soit, ces colonnes à chapiteaux, et la pierre avec un “M” indiquent que certaines demeures sottevillaises ont été restaurées avec des pierres de réemploi issues de Bonport. Ce constat est renforcée par la présence dans deux autres propriétés du centre-village d’autres colonnes bonportaises. Elles servent de piliers à deux portails. 

 

Nous publions ci-dessous différentes photographies de ces colonnes bonportaises réemployées dans les villes et villages de la région. 

 

 

Armand Launay

Pont-de-l'Arche ma ville

http://pontdelarche.over-blog.com

Bando 13x9 (1)

 

Autres colonnes de Bonport servant de piliers de portails dans le coeur de village de Sotteville (clichés d'Armand Launay, aout 2004 et février 2014).
Autres colonnes de Bonport servant de piliers de portails dans le coeur de village de Sotteville (clichés d'Armand Launay, aout 2004 et février 2014).
Autres colonnes de Bonport servant de piliers de portails dans le coeur de village de Sotteville (clichés d'Armand Launay, aout 2004 et février 2014).

Autres colonnes de Bonport servant de piliers de portails dans le coeur de village de Sotteville (clichés d'Armand Launay, aout 2004 et février 2014).

Colonne de Bonport servant de soutènement au local accueillant de nos jours le bar central de Tourville-la-rivière (cliché d'Armand Launay, juillet 2019).

Colonne de Bonport servant de soutènement au local accueillant de nos jours le bar central de Tourville-la-rivière (cliché d'Armand Launay, juillet 2019).

Colonne et pierres sculptées de Bonport situées dans la commune de Criquebeuf-sur-Seine (clichés d'Armand Launay, avril 2010).
Colonne et pierres sculptées de Bonport situées dans la commune de Criquebeuf-sur-Seine (clichés d'Armand Launay, avril 2010).
Colonne et pierres sculptées de Bonport situées dans la commune de Criquebeuf-sur-Seine (clichés d'Armand Launay, avril 2010).

Colonne et pierres sculptées de Bonport situées dans la commune de Criquebeuf-sur-Seine (clichés d'Armand Launay, avril 2010).

Colonne de Bonport servant de soutènement dans la cour du Cerf à Pont-de-l'Arche (cliché d'Armand Launay, mai 2008).

Colonne de Bonport servant de soutènement dans la cour du Cerf à Pont-de-l'Arche (cliché d'Armand Launay, mai 2008).

Colonnes de Bonport servant de piliers de portail dans la rue principale d'Alizay (cliché d'Armand Launay, mars 2011).

Colonnes de Bonport servant de piliers de portail dans la rue principale d'Alizay (cliché d'Armand Launay, mars 2011).

Partager cet article
Repost0
6 septembre 2020 7 06 /09 /septembre /2020 13:23
La Croix de Rouville, ses vestiges du moins, par une belle journée d'aout 2020 (cliché d'Armand Launay).

La Croix de Rouville, ses vestiges du moins, par une belle journée d'aout 2020 (cliché d'Armand Launay).

 

Il suscite l’interrogation, quelque part entre Ymare et les hauteurs d’Alizay, cet ancien monument aux formes dolméniques qu’on appelle la Tombe du druide. Il est réputé propice à la santé et porte, gravée, une croix liturgique. Est-ce un vestige préceltique comme l’affirme sa fiche de la base Mérimée, recensant le patrimoine français, ou bien une tombe chrétienne ?   

 

La Tombe du druide dans la littérature... 

Jusqu’à plus ample informé, c’est l’abbé Jean Benoit Désiré Cochet, érudit havrais, qui a le premier écrit sur le monument qui nous intéresse. En 1871, il publia la notice que nous reproduisons ci-dessous. Ymare y semble posséder comme meilleur élément patrimonial une “table de pierre posée sur deux autres”. L’auteur ni ne la nomme ni ne la date. Il la situe à la limite d’Ymare et... de Pîtres, ce qui est partiellement erroné. En bon pâtre, meneur d’âmes, il accorde une importance aux croyances populaires affirmant que le fait de passer sous la table de pierre guérit de la fièvre et de la morsure des chiens enragés. Il suppose que cette table a remplacé un ancien monument, sans plus de précision. 

Quelle est cette “Tombe du druide” à Ymare ? Dolmen ou calvaire ?

 

Nous ne savons s’il y a un lien de cause à effet mais, 8 ans plus tard, les abbés Joseph Bunel et Albert Tougard mirent leurs pas dans ceux de l’abbé Cochet. Les auteurs de la Géographie du département de la Seine-inférieure inclurent dans le patrimoine d’Ymare cette “table de pierre” située près d’un carrefour. En 1879, ce monument était désormais une curiosité ymaroise. Les auteurs entérinèrent l’hypothèse de l’abbé Cochet qui ne demandait qu’à être formulée : ce monument témoigne de temps plus anciens. S’ils n’osèrent écrire que cette table de pierre était druidique, ce sont les rites populaires autour de la guérison de la fièvre et de la rage qui, selon eux, provenaient de “superstitions gauloises ou druidiques”. On appréciera la distinction, byzantine, entre ces adjectifs.   

 

Huit ans plus tard, de nouveau, c’est l’érudit normand Léon Coutil qui reprit la recherche et osa une interprétation allant dans le sens des abbés Bunel et Tougard mais en plus précis. Dans le Bulletin de la Société normande d'études préhistoriques, publié en 1897, Léon Coutil accorda une page de texte et un dessin à “La croix de Rouville ou Croix d’Ymare”. Lui donnant enfin son vrai nom, La Croix de Rouville, il se trompa toutefois en affirmant que ce monument était au carrefour de quatre communes dont Pîtres, comme le fit l’abbé Cochet. Il avança, de plus, que cette table de pierre était un dolmen christianisé. Ceci à cause de sa forme générale, son matériau et sa croix gravée, vraisemblablement plus récente. Mesurant tout de même la petitesse du dolmen, il affirma que ses pierres avaient été “aplanies et amincies”. C’est une interprétation qui lui permit d’ajouter un monument supplémentaire à son recensement des menhirs et dolmens de Seine-Maritime. L’érudit ne s’intéressa pas aux légendes populaires mais seulement à l’objet et ses dimensions. Voici la copie des texte et dessin de Léon Coutil. 

 

Illustrations de l'article de Léon Coutil ci-dessus avec, en sus, des exemples de mégalithes christianisés, selon lui, dans la région. Nous pouvons douter de cette affirmation et penser qu'il s'agit, pour certains, de calvaires originaux avec table de prière, voire autel pour les Rogations ou autres processions.
Illustrations de l'article de Léon Coutil ci-dessus avec, en sus, des exemples de mégalithes christianisés, selon lui, dans la région. Nous pouvons douter de cette affirmation et penser qu'il s'agit, pour certains, de calvaires originaux avec table de prière, voire autel pour les Rogations ou autres processions.
Illustrations de l'article de Léon Coutil ci-dessus avec, en sus, des exemples de mégalithes christianisés, selon lui, dans la région. Nous pouvons douter de cette affirmation et penser qu'il s'agit, pour certains, de calvaires originaux avec table de prière, voire autel pour les Rogations ou autres processions.

Illustrations de l'article de Léon Coutil ci-dessus avec, en sus, des exemples de mégalithes christianisés, selon lui, dans la région. Nous pouvons douter de cette affirmation et penser qu'il s'agit, pour certains, de calvaires originaux avec table de prière, voire autel pour les Rogations ou autres processions.

Puis, au Vingtième et Vingt-et-unième siècles on retrouve dans la littérature régionale, qu’elle soit imprimée ou sur le Net, des articles qui reprennent les mêmes interprétations que ci-dessus sans les critiquer et en se cachant derrière le mystère afin de ne pas avoir à en proposer une étude rationnelle.  

Nous citons pour l’exemple cet article du Petit Manchot, La Croix d’Ymare, qui a le mérite de mettre en valeur ce monument et ses légendes. Il cite Léon de Vesly qui est l’auteur de la meilleure étude parue sur la Croix d’Ymare et que nous aborderons plus bas. Le Petit Manchot cite une autre légende attachée à la Croix d’Ymare : celle avançant que celui qui touche cette pierre est assuré de mourir dans son pays natal. Mais l’auteur du blog n’exploite pas la matière de l’article de Léon de Vesly. D’ailleurs, il cite l’article de Léon Coutil alors qu’il s’inspire et cite celui de Léon de Vesly. Le Petit Manchot n’a pas pris le sujet à bras-le-corps. 

 

Léon de Vesly avait pourtant bien écrit et pensé au sujet de la Croix de Rouville et mérite d’être lu. Son article, intitulé “Légendes, superstitions et vieilles coutumes”, a été publié en 1895 dans le Bulletin de la Société libre d'émulation du commerce et de l'industrie de la Seine-Inférieure. On le lit grâce à la numérisation proposée par Gallica (voir notre bibliographie). 

Illustration de Léon de Vesly issu de son article traité ci-dessus et référencé dans la bibliographie.

Illustration de Léon de Vesly issu de son article traité ci-dessus et référencé dans la bibliographie.

 

Léon de Vesly narra une anecdote d’ouvriers des chemins de fer ayant déposé la table au sol et peinant à la remettre sur les autres pierres, ceci après un pari bien arrosé. C’est un bien curieux mégalithe... portatif, que voilà. Il narra surtout son témoignage sur la vivacité d’une croyance et pratique ymaroise et alentour : toucher la pierre offrirait de finir ses jours au pays. Or, il vit écrits dans la neige tombée sur la table de pierre les noms de deux navires de guerre français affectés dans la colonie de Madagascar. Des soldats ou les membres de leur famille les avaient sûrement écrits en ce lieu dans l’espoir que la vie soit plus forte que la mort. Le passage est à lire directement dans le texte de Léon de Vesly. 

L’auteur écrit avoir cru un temps que la Croix de Rouville était un dolmen. Il l’a même fait figurer sur une carte des dolmens du département. Mais il est revenu de cette croyance qu’il dit avoir hérité de savants “qui ne sont même pas venus dans les lieux”. On apprécie la ruade. L’auteur affirma que ce monument est une “table de justice”, là où les seigneurs de Rouville, du nom du fief sis à Alizay, rendaient leur jugement en cas de litige. L’auteur nous apprend aussi que ce monument était appelé “la grosse pierre” par les Ymarois et que des érudits avaient émis l’hypothèse qu’il constituait un vestige de thermes antiques… 

 

Les différentes interprétations quant à la fonction de ce monument nous laissaient sceptiques depuis longtemps et nous rejoignons les propos de Léon de Vesly. Cet auteur use d’humour lorsqu’il ironise sur la croyance selon laquelle la Croix de Rouville guérit aussi les rhumatismes lombaires si le souffrant passe sous la table… Quelle scène en effet que de faire cette gymnastique dans cet état de santé… Mais l’auteur n’a pas creusé plus loin son analyse rationnelle et nous a laissé sur notre faim de connaissance. Nous avons adopté une autre méthode pour mieux connaitre cette “grosse pierre”, ou ces trois pierres : la visualisation de cartes disponibles sur le site Géoportail.

 

Que nous apprennent les cartes actuelles et anciennes ?

Nous avons consulté les plans cadastraux de la commune mais ceux-ci sont rongés à l’endroit qui nous intéresse. Les parcellaires d’Ancien Régime disponibles sur le site des Archives départementales ne montrent pas cet espace. 

 

La carte IGN actuelle montre que La Croix de Rouville désigne, de nos jours, un champ situé sur la commune d’Alizay. Le monument qui nous intéresse est appelé “Tombe du druide”. Il est rehaussé par le symbole indiquant les dolmens. On voit, au nord-ouest, un début de chemin du village dénommé “Croix de Rouville” et qui finit rapidement en impasse.

 

Carte IGN actuelle de l'espace qui nous intéresse (capture d'écran du site Géoportail).

Carte IGN actuelle de l'espace qui nous intéresse (capture d'écran du site Géoportail).

 

La vue aérienne des années 1950-1960 montre un espace de champs ouverts qui permet de retrouver les limites communales que l’on voit dans la carte IGN actuelle. On voit aussi quelques arbres épars et même un alignement d’arbres le long du chemin de la Croix de Rouville. La “grosse pierre” se confond avec eux. Il semble qu’il y ait un arbre derrière elle, vers l’ouest. La trace d’un ancien chemin allant de l’impasse de la Croix de Rouville en direction de la vallée Galantine, et donc de Pîtres, se lit ça-et-là par une teinte parfois plus sombre parfois plus claire à travers les champs.

 

Vue aérienne des années 1950-1960 de l'espace de la Croix de Rouville (capture d'écran du site Géoportail).

Vue aérienne des années 1950-1960 de l'espace de la Croix de Rouville (capture d'écran du site Géoportail).

 

Puis, la carte d’état major de 1866 montre un petit carré au sud du chemin de la Croix de Rouville représentant assurément ladite Croix ou, tout du moins, ce qu'il en restait. Il n’était question ni de tombe ni de dolmen. C'est à partir de ce point notable du territoire que l'altitude fut prise et rapportée : 134 m. Notons qu'en ce temps la délimitation entre Alizay et Ymare était encore nette et que le monument qui nous intéresse était ymarois.

 

La Croix de Rouville sur la carte d'état major en 1866 (capture d'écran du site Géoportail).

La Croix de Rouville sur la carte d'état major en 1866 (capture d'écran du site Géoportail).

Enfin, la carte de Cassini, datant de 1780 environ, atteste l’existence d’une “Croix d’Ymare” au sud du village symbolisée par un rond au-dessus du “m” du mot “Imare”. Il rend d’ailleurs moins lisible le nom de la paroisse qui apparait comme “Limares”. Nous avons eu des doutes car les noms des lieux se tassent sur ce précieux document. Néanmoins, un symbole de village est dénommé Quévreville. Un autre est dénommé la Poterie entre Quévreville et Ymare. Il ne s'agit donc pas d'une Croix d'Ymare qui aurait désigné le précédent calvaire du rondpoint du château-d'eau. Le nom de Croix d'Ymare, par élimination, ne peut désigner que ce rond qui jouxte le "m" d'Ymare.

Extrait de la carte de Cassini (vers 1780) sur Ymare et sa proche région (capture d'écran du site Géoportail).

Extrait de la carte de Cassini (vers 1780) sur Ymare et sa proche région (capture d'écran du site Géoportail).

Était-ce une croix de carrefour ? 

À la lecture des documents cartographiques, nous trouvons que ce monument a plusieurs caractéristiques des croix de carrefour, c’est-à-dire des calvaires que l’on trouve nombreux au bord des routes, surtout celles des régions toujours attachées au catholicisme. 

Outre le rappel de la foi et ses valeurs morales, ces croix servent à orienter les voyageurs. C’est ainsi qu’on la retrouve nettement indiquée dans la carte de Cassini. Ces croix annonçaient aussi souvent la limite de paroisses. On peut ainsi citer le calvaire d’Ymare, redressé en 1791 à l’ouest de la paroisse et l’emplacement du calvaire près de la pharmacie de Quévreville-la-poterie. Celle de Rouville était à la limite entre les paroisses d’Ymare et d’Alizay dont faisait partie la proche ferme du Solitaire. Or, les terres de la paroisse d’Alizay sont devenues au Moyen Âge la propriété des seigneurs de Rouville, du nom du château situé près de l’usine Double A de nos jours. Cette mainmise seigneuriale sur les terres alizéennes se lit dans l’article “Alizay” écrit par Louis-Étienne Charpillon et l’abbé Anatole Caresme dans leur imposant Dictionnaire des communes de l’Eure. Les seigneurs de Rouville ont dû prendre possession de la ferme du Solitaire, comme le prouvent les noms de lieux : le Bois de Rouville et la Croix de Rouville. La croix en question se trouve à la limite intérieure de la paroisse d’Ymare. Elle n’a peut-être pas été la propriété des Rouville mais elle se trouvait en direction des terres rouvillaises. Ce sont les habitants d’Ymare, proches et nombreux, qui ont dû forger ce toponyme. 

Quoi qu’il en soit, ces délimitations d’Ancien Régime ont servi de trame à la constitution des territoires communaux en 1790. 

 

Un calvaire presque déchristianisé ? 

Ce qui était auparavant dénommé croix est devenu, dans les consciences, une tombe ou un mégalithe. Nous pensons que cela est dû à la déchristianisation. Celle-ci peut se lire dans l’érosion de monuments religieux et leur manque d’entretien. Une croix en bois ici n’a peut-être pas été remplacée d’autant plus que le chemin a été de moins en moins fréquenté. Puis, la Révolution française a connu un mouvement antireligieux où des calvaires ont été démolis comme celui de Pont-de-l’Arche par exemple. Les délibérations du conseil municipal ymarois contiennent peut-être la réponse. 

La Croix de Rouville a cependant survécu par ses trois pierres, contrairement à d’autres croix qui ont pleinement disparu comme la “croix Maurice” aux Damps. S’il est difficile d’imaginer quelle forme avait le calvaire, il est possible d’affirmer que ces pierres n’en sont que des restes. Il suffit de les voir pour réaliser que les rebords de la table sont cassés, que celle-ci est déséquilibrée et que les deux assises sont somme toute petites même si je ne les porterais pas, même après un pari bien arrosé. On est loin d’un mégalithe ou, tout simplement, d’un portail en pierre dont la région est, ou était, coutumière comme le montre notre illustration portant sur une propriété de Montaure. De même, Léon Coutil a dessiné des autels qui, adjoints à un calvaire, montrent que ce type d’édifice existait même sous des formes assez peu dégrossies. 

Avions-nous ici affaire à un calvaire original, avec un autel-table devant une croix, propice à la prière agenouillée ? Était-ce une croix-reposoir comme la croix de La Villeneuve-les-Convers, notamment, qu’on peut voir sur le net grâce au cliché d’un certain Michel Foucher ? La table servait-elle, non à poser des cercueils, comme ont servi certaines tables-reposoirs, mais d’autel à office lors des Rogations, ces prières collectives prononcées trois jours avant l’Ascension et ce dans l’espoir d’avoir de belles récoltes ? La table servait-elle de pause lors de processions et de pose de la statue du saint vénéré localement ?

Nous ne pouvons rien prouver. Il serait intéressant de trouver des autels ruraux ou des preuves de leur existence passée. L’origine de noms de communes, principalement normandes, laisserait alors entendre qu’ils ont existé. Nous songeons aux Authieux dont la thèse étymologique principale est les “autels”. 

Ces pierres sont-elles plus simplement des restes de paliers formant une assise pyramidale couronnées d’une croix de bois ? Nous ne pouvons pas plus le prouver. 

Ce trilithe, c’est-à-dire ces trois pierres, avec une croix liturgique gravée sur sa table, semble être une recomposition de fortune visant à prolonger la présence chrétienne en ce carrefour déclassé. Les calvaires entretenus en priorité ont, selon toute vraisemblance, été ceux des axes amenés à être les plus empruntés. Or, les croyances populaires associées à ce calvaire montrent qu’ici les rituels ont été plus nombreux qu’ailleurs, autrefois. Cette survivance des croyances, avec le besoin de délimitation spatiale, a sûrement contribué à sauver ce vestige de calvaire. 

 

Ces piliers de portail de la rue des Forrières, à Montaure, montrent que des mégalithes ("grandes pierres", en grec de salon) plus imposants que ceux de la Croix d'Ymare ont pu être utilisés par nos ancêtres bien après la préhistoire (cliché d'Armand Launay en mai 2013).

Ces piliers de portail de la rue des Forrières, à Montaure, montrent que des mégalithes ("grandes pierres", en grec de salon) plus imposants que ceux de la Croix d'Ymare ont pu être utilisés par nos ancêtres bien après la préhistoire (cliché d'Armand Launay en mai 2013).

 

Conclusion

La Croix de Rouville fut un calvaire de carrefour. On a oublié jusqu’à son nom et sa fonction, y compris les hommes de foi du XIXe siècle en quête d’exotisme. Les trois pierres actuelles, connues sous le nom de “Tombe du druide”, sont des vestiges d’un monde révolu : celui de chemins de campagne nombreux et variés ; de petits champs familiaux ; de haies et de bouquets d’arbres épars… Elles évoquent un monde parcouru quotidiennement par une foule de voyageurs de Poses et Pîtres à Boos et Rouen mais aussi, peut-être surtout, de cultivateurs et d’éleveurs de la paroisse. Ici le calvaire d’Ymare servait de repère aux passants et de support autant que de rappel aux prières catholiques. On peut imaginer les cultivateurs priant ici un instant pour l’Angélus. Il reste de ces prières des légendes assez récentes, c’est-à-dire de la fin du XIXe siècle, évoquant l’espoir de guérison et de vie bonne ressenti par nos ancêtres. C’est à peine si nous les comprenons aujourd’hui, nous qui cherchons des dolmens, des résurgences païennes à tous les carrefours, ou presque. Si l’on cherche des mégalithes, notre contrée n’en manque pas. Si l’on regrette la disparition de ces croyances catholiques populaires à l’endroit de la Croix de Rouville, il suffit d’aller dans les églises où s’expriment les vœux de ceux qu’on appelle les petites gens ; vœux adressés au divin par sainte Rita, Saint Expédit, la Vierge Marie...

Quel fut ce calvaire précisément ? Nous ne pouvons que conjecturer un autel-table ou un piédestal à paliers. Les trois pierres actuelles sont-elles des fragments d’un ancien dolmen ou, plus largement, d’une allée couverte ? Peut-être mais dans quel lieu furent ces mégalithes ? Rien n’indique qu’il y ait eu une telle construction. Rien ne l’exclut non plus mais ces trois restes de pierre n’attestent rien et ne prennent sens que dans la délimitation foncière médiévale entre les paroisses d’Ymare et d’Alizay. 

Nous avons donc étudié un espace tellement changé que le fil permettant d’en comprendre son usage a été rompu. L’avons-nous rattaché ? 


 

Orientations bibliographiques

- Bunel et Tougard, Géographie du département de la Seine-inférieure, 1879, voir la page 130, consulté sur Google livres le 3 septembre 2020 ;

- Léon Coutil, “Inventaire des menhirs et dolmens du département de la Seine-Inférieure”, voir la page 124 et après, in Bulletin de la Société normande d'études préhistoriques, publié en 1897. Consulté sur Gallica le 3 septembre 2020, ark:/12148/bpt6k54417513 ;

- Léon de Vesly, “Légendes, superstitions et vieilles coutumes”, Bulletin de la Société libre d'émulation du commerce et de l'industrie de la Seine-Inférieure, voir les pages 100 à 106, publié en 1895. Consulté sur Gallica le 3 septembre 2020, ark:/12148/bpt6k5725972c/f104.image.r=Ymare.

 

Armand Launay

Pont-de-l'Arche ma ville

http://pontdelarche.over-blog.com

Bando 13x9 (1)

 

Partager cet article
Repost0
10 juin 2019 1 10 /06 /juin /2019 08:58

 

À tonton Miguel;)

 

Avec nos remerciements à Édouard Capron, vigneron normand qui a instillé en nous l’idée et la motivation de créer cet article. Remerciements itou à notre ami Laurent Ridel, historien de la Normandie, pour les pistes bibliographiques. Remerciements enfin au blanc Entre-deux-mers qui a su m’encourager dans les parties les plus ardues de la rédaction.


 

À première vue, la présence de la vigne en Normandie étonne ou fait sourire étant donné le manque de soleil légendaire de notre contrée. Pourtant, on connait tous une vigne vierge sur la façade d’une maison d’un ami ; on se souvient avoir lu quelques lignes sur la vigne en Angleterre ; mieux, quand on consulte une carte, on mesure que la Champagne viticole n’est pas située plus au sud que notre bonne Normandie. Ce n’est donc pas l’existence de quelques pieds de vigne qui est étonnante en Normandie, mais l’idée de la cultiver sous forme de vignobles. Est-il approprié de parler de vignobles de la région de Pont-de-l’Arche ou est-ce une exagération, voire une illusion ?

 

Le vignoble renait depuis mars 2016 où Édouard Capron a planté 3000 pieds à Freneuse. Ici sur la photographie de Paris Normandie (document 1) se voient deux vendangeurs en action en septembre 2018. Les autres documents (clichés d'Armand Launay) montrent le domaine Saint-Expédit et son propriétaire.
Le vignoble renait depuis mars 2016 où Édouard Capron a planté 3000 pieds à Freneuse. Ici sur la photographie de Paris Normandie (document 1) se voient deux vendangeurs en action en septembre 2018. Les autres documents (clichés d'Armand Launay) montrent le domaine Saint-Expédit et son propriétaire.
Le vignoble renait depuis mars 2016 où Édouard Capron a planté 3000 pieds à Freneuse. Ici sur la photographie de Paris Normandie (document 1) se voient deux vendangeurs en action en septembre 2018. Les autres documents (clichés d'Armand Launay) montrent le domaine Saint-Expédit et son propriétaire.
Le vignoble renait depuis mars 2016 où Édouard Capron a planté 3000 pieds à Freneuse. Ici sur la photographie de Paris Normandie (document 1) se voient deux vendangeurs en action en septembre 2018. Les autres documents (clichés d'Armand Launay) montrent le domaine Saint-Expédit et son propriétaire.

Le vignoble renait depuis mars 2016 où Édouard Capron a planté 3000 pieds à Freneuse. Ici sur la photographie de Paris Normandie (document 1) se voient deux vendangeurs en action en septembre 2018. Les autres documents (clichés d'Armand Launay) montrent le domaine Saint-Expédit et son propriétaire.

Apéritif

Dans un article passionné l’abbé Cochet exposa, en 1866, que “La vigne prit heureusement racine dans les Gaules, car l’historien de Julien l’Apostat nous dit qu’à Lutèce on recueillait de meilleurs vins qu’ailleurs parce que, ajoutait-il, les hivers y sont plus doux que dans le reste du pays.” Il s’agit donc du IVe siècle de notre ère. Il y a tout lieu de penser que le vin lutétien était meilleur que les autres vins de la vallée de Seine et donc de la région de Rouen, le Vexin, et au-delà vers l’estuaire de la Seine. Puis, l’abbé Cochet établit un lien entre les sources textuelles religieuses et la culture de la vigne durant le haut Moyen Âge dans la vallée de la Seine. Il traite de l’importance des abbayes de Fontenelle, Jumièges et de Rouen en matière de plantation et de culture de la vigne. Pierre Brunet est plus précis qui trouve une première mention écrite de la présence de la vigne à Lisieux en 584 (page 185). Les religieux étaient, semble-il, très actifs en matière de viticulture en tant que propriétaires et consommateurs. Nous retrouvons cet intérêt pour la vigne dans notre région, à Léry, au XIe siècle...

 

1.1. Un premier verre : le vignoble de Léry, les religieux de Caen, puis de Bonport.

Charpillon et Caresme ont cité un acte approximant 1077 par lequel Guillaume le Conquérant donna “aux moines de Saint-Étienne de Caen quatre arpents et demi de vigne à Léry, et trois aux religieux de la Trinité.” Le duc leur permit aussi de créer deux moulins sur “la rivière d’Eure à la condition de laisser librement passer les poissons et les bateaux”. Un lien est fait entre la vigne et les moulins. Ceux-ci devaient assurément servir ‒ entre autres fonctions ‒ à écraser le raisin. Notons que deux moulins étaient toujours visibles sur le plan cadastral de 1834, signé par Le Fébure et Charpentier : l’un était sur la rive gauche de l’Eure, près de l’église Saint-Ouen et l’autre était appelé l’Aufrand, plus en amont sur la rive droite, vers l’actuelle prison des Vignettes.    

Puis, cette présence des moines et moniales caennais nous échappe. Seuls demeurent, à notre connaissance, les moines de l’abbaye Saint-Ouen de Rouen. Richard II, nous apprennent Charpillon et Caresme, leur avait donné l’église de Léry vers 1018. Entre 1130 et 1160 ils firent bâtir des parties ‒ toujours visibles ‒ de l’église actuelle. Ils conservèrent leurs droits à Léry, notamment la dime, jusqu’à la Révolution.

Un édifice témoigne aussi de la présence de religieux à Léry : l’église Saint-Patrice, le long de l’Eure, au n° 10 de la rue des Émotelles. Elle présente une entrée voutée en tiers point ce qui la rattache plutôt au style gothique et la daterait du XIIe siècle. En 1260, elle jouxtait le “cimetière Saint-Patrice” (Jules Andrieux, page 255). A-t-elle servi de lieu de culte pendant que les moines de Saint-Ouen faisaient construire l’église paroissiale ? Est-ce un vestige de la présence des moines et moniales de Caen ou, déjà, le signe de la prise de possession par les moines de Bonport du “clos de Léry” donné en 1189 par le roi d’Angleterre et duc de Normandie Richard Cœur-de-Lion ?

Les deux moulins de Léry sont mentionnés dans la même charte de 1077 par laquelle Guillaume le Conquérant dota en vignobles les moines de l'abbaye aux moines et les moniales de l'abbaye aux dames, de Caen donc. Il semble donc que les moulins servissent, en partie, à écraser le raisin d'une ample viticulture locale. Ici, sur une carte postale des années 1910, le moulin situé près du pont de l'église Saint-Ouen.

Les deux moulins de Léry sont mentionnés dans la même charte de 1077 par laquelle Guillaume le Conquérant dota en vignobles les moines de l'abbaye aux moines et les moniales de l'abbaye aux dames, de Caen donc. Il semble donc que les moulins servissent, en partie, à écraser le raisin d'une ample viticulture locale. Ici, sur une carte postale des années 1910, le moulin situé près du pont de l'église Saint-Ouen.

 

1.2. Le vignoble lérysien dans le cartulaire de Bonport

Le cartulaire désigne l’ensemble des chartes possédées par les moines d’une abbaye afin de défendre leur droit à la propriété ou à des redevances. Le cartulaire de Bonport, abbaye construite à Pont-de-l’Arche à partir de 1190, a été minutieusement étudié et compilé par Jules Andrieux. Nous avons sélectionné les passages les plus instructifs en lien avec le vignoble que nous avons compilés dans un article accessible ici. Mais que retenir de tout cela ?

En 1198, Richard Cœur-de-Lion, confirma sa donation aux moines bonportois et, notamment : “totum closum de Lere cum suis pertinentiis, et omnes vineas et vina que habebamus in Valle-Rodolii.” Les moines étaient donc fieffés à Léry, notamment de vignes et vignobles proches du Vaudreuil. Mais cela ne leur suffit pas.  

De 1190 à 1296, les moines bonportois acquirent ‒ environ ‒ 14 parcelles de vignes à Léry, 7 rentes sur des vignes lérysiennes et 8 parcelles de vignes dans 8 autres lieux distincts les uns les autres. Notons qu’à sa fondation l’abbaye de Bonport acquit trois parcelles en France conformément au souhait de Philippe II, roi de France, cofondateur de cette abbaye avec Richard Cœur-de-Lion. Léry apparait donc comme le lieu du vignoble bonportois par excellence. Nous apprenons que le vignoble servait notamment à l’hospice devant accueillir les pauvres à l’abbaye de Bonport, d’où la précision, en 1248, de la vente par Guillaume le Duc d’une pièce de vigne “au gardien de l'hospice des pauvres”. Une autre vigne est dite “sacriste”. Elle était donc réputée servir au sacriste, celui qui prépare l’office religieux et donc le vin de messe. Cela semble suggérer que le reste du produit des vignes allait à la consommation des moines, voire à la vente. Il nous est malheureusement impossible d’apprécier la superficie des vignes, les actes ne donnant pas cette précision. Ils évoquent, simplement, des “pièces” de terre. Cependant, les surfaces devaient être considérables car elles semblent couvrir une large partie du territoire paroissial.  

 

 

L'abbaye de Bonport était enclose. Une porte en permettait le ravitaillement depuis la berge de Seine. On peut imaginer les tonneaux de vin arrivant ici en vue de sa consommation par les moines, notamment dans le réfectoire, et par les personnes accueillies dans l'hospice, situé presque au-dessus de la cave (clichés Armand Launay, avril 2011).
L'abbaye de Bonport était enclose. Une porte en permettait le ravitaillement depuis la berge de Seine. On peut imaginer les tonneaux de vin arrivant ici en vue de sa consommation par les moines, notamment dans le réfectoire, et par les personnes accueillies dans l'hospice, situé presque au-dessus de la cave (clichés Armand Launay, avril 2011).

L'abbaye de Bonport était enclose. Une porte en permettait le ravitaillement depuis la berge de Seine. On peut imaginer les tonneaux de vin arrivant ici en vue de sa consommation par les moines, notamment dans le réfectoire, et par les personnes accueillies dans l'hospice, situé presque au-dessus de la cave (clichés Armand Launay, avril 2011).

 

Où était situé le vignoble lérysien ?

Le terme de “Vignettes”, petites vignes, est aujourd’hui connu qui désigne la prison de Val-de-Reuil, construite sur des terres de Léry (cédées en 1972 à la naissante commune de Val-de-Reuil). Le plan cadastral de 1834 montre le terme de “Vignettes”. Il se trouve sur la rive droite de l’Eure, du côté de l’Offrand. C’est un diminutif suggérant que les vignes étaient moins nombreuses de ce côté-ci. Elles étaient cependant suffisamment notables pour servir de toponyme. Le diminutif permettait de les distinguer des autres vignes lérisiennes. Celles-ci sont localisables dans le plan cadastral où l’on trouve la mention de “rue des vignes Potou” vers le Torché, ancien hameau existant déjà dans les chartes du XIIIe siècle, c’est-à-dire vers l’actuel Val-de-Reuil. Potou sonne comme le surnom d’une personne, si ce n’est pas son réel nom de famille.   

Un nom d’espace nous intéresse : “Le Camp l’abbé” qui signifie, en dialecte local, le champ de l’abbaye. L’abbaye est celle de Bonport, à n’en pas douter. Le nom d’abbé pour désigner un lieu semble déjà utilisé en 1291 dans une charte de vente par Guillaume Langleis d’une pièce de vignes aux moines de Bonport.

Les chartes bonportoises mentionnent rarement les lieux des vignobles mais le nom des propriétaires. Cependant, des vignes sont situées expressément en 1280 près de “Albe vie” qui se traduit du latin des chartes par “Voie blanche”, espace bien connu des hauts de Léry et, dans le français courant, par Aubevoye que l’on retrouve à côté de Gaillon. Un autre lieu est cité en 1288 : “queminum domini regis”, c’est-à-dire le “quemin le roy”, soit le chemin royal : la voie principale. C’est la voie de Rouen à Mantes que l’on retrouve sur le plan cadastral. D’autres noms nous intéressent : le Mont Béjout, qui indique une hauteur ; et Esmaiart, Esmeart, Maiart, qui nous fait songer ‒ même très lointainement ‒ aux mystérieux noms de “Grand-Neuf-Mare” et “Petit-Neuf-Mare” sur les hauts de Léry, là où il n’y a pas de mares. D’autres noms encore sont explicites : la rive de l’Eure, la garenne, le “nemus domini regis” c’est-à-dire la forêt du roi…   

Il ressort de ce paragraphe que de nombreux vignobles se trouvaient partout autour de Léry, surtout sur les pentes douces entre la voie principale et la Voie blanche. Mais nous nous étonnons de la présence de vignobles sur la rive droite de l’Eure et la plaine inondable...   

 

1.3. Les vignobles de la rive droite de l’Eure, dans la plaine inondable ?

Un autre nom de lieu de Léry, noté sur plan cadastral, intéresse notre étude : “le chemin des vignes de Léry à Poses”. Existait-il d’autres vignobles de ce côté-ci ? C’est ce que semble exprimer ce nom ou le mot “vignes” sonne comme un synonyme, dans l’usage local, de vignobles. Ce n’est pas qu’un nom de voie, le plan cadastral montre que c’est le nom d’un espace. Cela signifie donc qu’un vignoble occupait ce lieu.

Mais le fond de la vallée était-il favorable à cette culture ? C’est étonnant car il est connu que la vigne ne supporte pas l’excès d’eau. Or le fond de la vallée est submersible en cas de crues décennales et, à fortiori, centennales. Un indice nous est encore fourni par la toponymie : les différents espaces nommés “Les sablons”. Le fond de la vallée est composé de dépôt d’alluvions sablonneux. Ils attirent d’ailleurs les cimentiers qui l’exploitent depuis les années 1970. Les plaies béantes de leurs carrières ont été mis en eau afin d’être reconvertis en base de loisirs nautique : celle de Léry-Poses.

Édouard Capron, vigneron dont nous exposons le travail plus bas dans cette étude, nous a confirmé que “Les sols sablonneux sont propices à la culture : Les vignobles avec un sol sableux ont presque toujours une maturité précoce. Ce qui n’est pas un maigre avantage chez nous. Ils permettent un bon drainage des sols et évitent certaines maladies qui ne peuvent se développer. De plus le sable se réchauffe vite sous les rayons du soleil et diffuse cette chaleur en dessous de la surface. Ils le sont un peu moins (à mon gout) sur l’aspect qualitatif mais c’est une autre histoire. Ce type de sol donnera des vins légers et peu colorés mais parfois avec une grande finesse. Si la pluviométrie est suffisante (ce qui je pense était le cas), ce type de sol peut produire de grands vins rouges et blancs.” Nous buvons ses paroles.

Il fallait donc prévoir des années sans récoltes, après les crues, voire un remplacement des vignes. Ce qui devait nécessiter d’en posséder du côté insubmersible de la rive. Autrement, il est possible d’imaginer que les vignes fussent plantées sur des motillons, c’est-à-dire des ilôts légèrement plus élevés que le reste du fond de la vallée. Nous pensons que le raisin du chemin des vignes et des vignettes devaient être pressés au moulin de l’Offrand. L’Eure devait servir à acheminer le vin vers ses propriétaires et ses clients. C’est ce expliquerait le don de Guillaume le Conquérant qui confia le vignoble de part et d’autre de l’Eure, à Léry, pour deux grandes abbayes caennaises. C’est peut-être ce qui expliquerait, en partie, l’impressionnante place de la viticulture à Léry.  

Mais la culture du vignoble était-elle propre à Léry ou était-elle pratiquée ailleurs dans la région ?

 

Détail du cadastre de Léry où se voient la partie de plaine nommée "Les Vignettes", actuellement occupée par la prison, et l'ancien moulin de l'Aufrand, sur la rive droite de l'Eure. Il dût servir à presser le raisin lors des vendanges estivales (crédit : Archives départementales de l'Eure).

Détail du cadastre de Léry où se voient la partie de plaine nommée "Les Vignettes", actuellement occupée par la prison, et l'ancien moulin de l'Aufrand, sur la rive droite de l'Eure. Il dût servir à presser le raisin lors des vendanges estivales (crédit : Archives départementales de l'Eure).

 

2. Un troisième et même un quatrième verre : le vignoble était-il répandu dans les coteaux de la région de Pont-de-l’Arche ?

Ayant repéré un “chemin des vignes” entre Léry et Poses, nous avons laissé notre regard se promener sur les plans cadastraux, les vues satellitaires et les cartes toponymiques. Des indices de la présence de la vigne durant l’Ancien Régime sont visibles dans de nombreux villages que nous énumérons par village ci-dessous. Nous ajoutons les sources écrites médiévales et renaissantes dont nous disposons.

 

Poses

Le plan cadastral de Poses de 1834, signé par Le Fébure et Longlet, section de l’église, montre un dénommé “clos des vignes” proche d’un espace baptisé “Les sablons”. Cet espace était donc plutôt sec. Le clos des vignes est limitrophe de la commune de Tournedos. Une forme carrée se voit assez aisément sur le plan qui nous permet, sûrement, de retracer ce “clos”, c’est-à-dire un espace enclos. Il est situé au nord de l’ancien moulin à vent, ce qui devait être pratique pour écraser le raisin. Il n’est pas très éloigné de l’église de Poses, à l’ouest du clos.

 

Détail du cadastre de Poses (Archives départementales de l'Eure) où l'on voit apparaitre le "clos des vignes" à côté des "Sablons" et non loin de l'église.

Détail du cadastre de Poses (Archives départementales de l'Eure) où l'on voit apparaitre le "clos des vignes" à côté des "Sablons" et non loin de l'église.

 

Tournedos-sur-Seine

“Un clos de la vigne”, comme à Poses ou presque, apparait sur le plan cadastral de Tournedos, signé en 1834 par Le Fébure et Gondevin, à l’ouest de Pampou. Il est situé près d’un espace nommé “Les Pérelles”, pré formé de petites pierres et donc plutôt sec.

 

 

Le clos de la vigne de Tournedos, sur la gauche, limitrophe de Portejoie, au-dessus de Pampou (détail du plan cadastral, archives départementales de l'Eure).

Le clos de la vigne de Tournedos, sur la gauche, limitrophe de Portejoie, au-dessus de Pampou (détail du plan cadastral, archives départementales de l'Eure).

Connelles

Situé dans le creux d’un vallon, sur les berges de la Seine, entre deux coteaux crayeux du plateau du Vexin, Connelles concentre des paysages variés. Le plan cadastral de 1834, signé par Le Fébure et Gondouin, désigne un espace sous le nom de “La vigne Madame”, au nord de la partie la plus orientale du village (le long de la route de Daubeuf). Cet espace est un peu élevé et tourné vers le sud. Un autre toponyme nous intéresse : “Les vignes Servant” situé plus au nord, bien exposé au soleil, à contremont de la route longeant la Seine entre Amfreville et Connelles. Ces toponymes démontrent que les vignes permettaient de localiser des espaces. Elles n’étaient donc pas omniprésentes mais suffisamment nombreuses pour qu’il faille les singulariser. Servant sonne comme un nom de famille et Madame comme un sobriquet ou la marque de respect, peut-être, pour une noble propriétaire.

 

Le plan cadastral de Connelles (Archives départementales de l'Eure) montre "La vigne Madame", presque au centre ici, et "Les Vignes Servant" tout en haut à droite.

Le plan cadastral de Connelles (Archives départementales de l'Eure) montre "La vigne Madame", presque au centre ici, et "Les Vignes Servant" tout en haut à droite.

Le Mesnil-d’Andé

Le plan topographique du Mesnil-d’Andé montre une “rue des vignes” dans la partie haute du hameau.  Le plan cadastral de 1823, signé par Hautier et Roger, mentionne “les grandes vignes” à contremont du hameau. Cela indique qu’elles étaient impressionnantes pour leurs contemporains. De même, cela indique l’existence d’autres vignes, moins nombreuses, par différence avec ces “grandes” vignes.  

 

Saint-Pierre-du-Vauvray

De nos jours, les côtes de Seine de Saint-Pierre et de Vironvay font penser aux régions viticoles, les vignes en moins. Léopold Delisle mentionna, page 427, la présence de vignes à Saint-Pierre-du-Vauvray en 1333. Jules Andrieux fait état, page 405, de la propriété des moines de Bonport en 1340 : “en la ville du Vauvray, en la viconte du Pont de l’Arche, un hostel, vignes, terres labourables, prés, rentes en deniers, corvées, oyseaulx et autres redevances.

 

Le Vaudreuil

Jules Andrieux fait état, comme nous l’avons vu plus haut, de la confirmation en 1198 des dons consentis par Richard Cœur-de-Lion aux moines de Bonport et, notamment : “totum closum de Lere cum suis pertinentiis, et omnes vineas et vina que habebamus in Valle Rodolii.” Le clos de Léry ne se confondait pas avec les vignobles et le vin du Vaudreuil mais y était suffisamment lié pour être traité avec. Les vignobles du Vaudreuil devaient donc se trouver dans la plaine du Val-de-Reuil actuel et le long du coteau de la forêt de Bord.

Jules Andrieux expose, page 290, un acte par lequel Raoul le Meteer vendit aux religieux de Bonport 9 deniers de rente à prendre sur sa vigne de Landemare (en décembre 1274) située à Notre-Dame-du-Vaudreuil (“Beate Marie de Valle Rodolii”).

Jules Andrieux, toujours, fait état, page 405, de la propriété des moines de Bonport en 1340 : “en la ville de Vaudreul et viconte du Pont de l’Arche, ung hostel nomme Landemare, et ung moulin, vignes, prés, terres labourables.” Pierre Brunet écrivit qu’autour du Vaudreuil le vignoble disparut dès le XVIIIe siècle.

Les hauteurs de Pont-de-l'Arche, sur la route de Tostes, se seraient bien prêtées au vignobles durant le Moyen Âge, mais nous ne pouvons pas le prouver (cliché Armand Launay, mai 2013).

Les hauteurs de Pont-de-l'Arche, sur la route de Tostes, se seraient bien prêtées au vignobles durant le Moyen Âge, mais nous ne pouvons pas le prouver (cliché Armand Launay, mai 2013).

 

Pont-de-l’Arche

Léopold Delisle écrivit (page 427) que “Dans le compte des vins du roi pour 1227, Pont-de-l’Arche figure pour 88 muids 11 setiers et demi. Ces 88 muids concernent la production de toute l’élection (circonscription administrative). En effet, si un muid équivalait à 274 litres comme au XIXe siècle, cela eût représenté 24 112 litres soient 241 hectolitres. C’est bien au-delà de la production d’une seule paroisse.  

Jules Andrieux reproduisit (page 165) une charte bonportoise, datée de mai 1247, par laquelle Guillaume Helluin de Limaie vendit à Jean Durand une pièce de terre à Pont-de-l'Arche : “et hoc presenti scripto confirmavi, Johanni Durant, de Ponte-Arche, unam peciam terre ad campos, cultibilem, sitam videlicet in parrochia Sancti Vigoris Pontis-Arche, inter terram Roberti Le Conteor, ex una parte, et vineam Gaufridi Estordi, ex altera…” Le terrain vendu se trouvait à côté de la vigne de Geffroy Estordi. On entend presque "estourdi", étourdi, ce qui ne serait pas étonnant si le vigneron consommait une partie de sa production.

Dans le même cartulaire, une charte de confirmation, datée de 1340, rappelait les nombreux droits bonportois sur les habitants de la ville, parmi lesquels (page 396) : “xxx soulz que doit Guy Benoit, pour la vigne Estourmy en la dicte parroisse, du don dudict maistre Guillaume…” Bien que les terres les plus sèches de la ville soient celles de la route de Tostes, en pente, nous ne pouvons pas situer le vignoble Estordi ou Estourmy ; nom de famille qui n’apparait plus, à notre connaissance, dans l’histoire plus récente de la ville. Ce nom est difficile à lire et traduire. Il n’a pas dû rester plus longtemps usité. Cela doit prouver que le vignoble de Pont-de-l’Arche a été abandonné avant la fin du Moyen Âge.

 

Tostes

Près de la mairie se dessinent les premières pentes du ravin de la vallée d’Incarville. Celles-ci se creusent en un vallon qui s’approfondit à mesure qu’il se rapproche de la vallée de l’Eure. Avant d’entrer dans la forêt de Bord, au creux de ce vallon, on aperçoit un bois, sur la droite, en direction de l’ancien moulin à vent : c’est le “bois des vignes”. Bien que nous n’ayons pas de preuve textuelle, il semble que les moines de Bonport soient à l’origine de ces vignes. En effet, ils étaient propriétaires d’une très grande partie de Tostes au point d’avoir érigé les hameaux de Tostes en paroisse en 1687. Ils possédaient le moulin à vent proche des vignes qui nous intéressent. Ils étaient représentés localement dans la ferme de Bonport, où se trouvait une grange aux dimes, à côté de l’église paroissiale Sainte-Anne, en haut du ravin de la vallée d’Incarville. Ce nom apparait sur le plan cadastral de 1834 signé par Le Fébure et Lefebvre.  

 

 

Le vignoble du Domaine Saint-Expédit, à Freneuse, lors de son premier hiver entre 2016 et 2017 (clichés d'Edouard Capron)..
Le vignoble du Domaine Saint-Expédit, à Freneuse, lors de son premier hiver entre 2016 et 2017 (clichés d'Edouard Capron)..

Le vignoble du Domaine Saint-Expédit, à Freneuse, lors de son premier hiver entre 2016 et 2017 (clichés d'Edouard Capron)..

 

Oissel et Freneuse

Léopold Delisle exposa (page 427) qu’“Au XIIIe et au XIVe siècle, le territoire d’Oissel renfermait des vignobles assez considérables”.

L’abbé Cochet cita ces deux communes faisant partie depuis 1790 de la Seine-Maritime : “On le voit, les bords de la Seine étaient riches en vignobles, et si nous remontons un moment le fleuve, nous verrons les vins d’Oissel et de Freneuse mentionnés dans les anciens tarifs des droits d’entrée de la ville de Rouen. Noël de la Morinière, qui a bu du vin d’Oissel en 1791, assure qu’il était encore potable (16). Mais celui de Freneuse était regardé comme le meilleur ; il est question de ce vin dans un ancien cahier de remontrances faites, vers la fin du dernier siècle, sur la liberté des foires de Rouen.”

 

Alizay

Une carte toponymique d’Alizay montre une “rue du clos des vignes”, située en contrebas du coteau. La lecture du plan cadastral de 1834, signé par Le Fébure et Drouet, montre un espace sobrement nommé “les vignes”. Il est situé derrière le château (qui accueille aujourd’hui la mairie) et, peut-être surtout, l’église ; tant le vignoble était précieux aux membres de clergé.

 

 

Igoville

Reportez-vous à la légende de la photographie ci-dessous.

Quant à Igoville, ses douces pentes vers le Pré-Cantuit et son ensoleillement en ferait un lieu de viticulture idéal. La mémoire locale rappelle qu'un espace était appelé "les vignes" près du chemin de Devise, à la limite avec Alizay. Il existe aussi, à Igoville, un lieu appelé “Grand clos” qui peut désigner bien des activités (clichés Armand Launay, avril 2014).
Quant à Igoville, ses douces pentes vers le Pré-Cantuit et son ensoleillement en ferait un lieu de viticulture idéal. La mémoire locale rappelle qu'un espace était appelé "les vignes" près du chemin de Devise, à la limite avec Alizay. Il existe aussi, à Igoville, un lieu appelé “Grand clos” qui peut désigner bien des activités (clichés Armand Launay, avril 2014).

Quant à Igoville, ses douces pentes vers le Pré-Cantuit et son ensoleillement en ferait un lieu de viticulture idéal. La mémoire locale rappelle qu'un espace était appelé "les vignes" près du chemin de Devise, à la limite avec Alizay. Il existe aussi, à Igoville, un lieu appelé “Grand clos” qui peut désigner bien des activités (clichés Armand Launay, avril 2014).

 

Pîtres

MM. Charpillon et Caresme citent, dans leur article sur cette commune, un " Roger de Beaumont donna, vers 1070, à la Madeleine de Rouen, entre autres biens la terre de Pistres, pour fournir le pain et le vin du Saint-Sacrifice de la Messe." 

 

Pont-Saint-Pierre

Il existe à Pont-Saint-Pierre une route dite de “la vigne” qui passe au-dessus de l’ancienne abbaye de Fontaine-Guérard. Le plan cadastral de 1836, signé par Le Fébure et Legrain, montre qu’un lieu-dit se nommait “La vigne”. On la voit dans Section A dite “du Cardonnet et de Fontaine-Guérard”, sur la 7e des 8 feuilles.

 

Amfreville-sous-les-Monts

Le vignoble a été largement cultivé dans cette commune jusque très récemment, au point que nous nous en servons pour bâtir une partie de notre troisième partie sur l’évolution du vignoble du XVIIe siècle au début du XXe siècle.

Précisions ici, néanmoins, que la présence du vignoble a été accrue à Amfreville grâce à la présence du prieuré des Deux-amants. Les moines deuxamantins cultivaient directement leur vignoble sur les pentes de la côte devant leur monastère et étaient propriétaires des grandes fermes de la paroisse, qui cultivaient aussi partiellement le vignoble. Le vignoble des Deux-amants, joli nom, est visible sur une gravure ancienne, que nous reproduisons à côté de ce paragraphe, et sur une carte postale des années 1910 où elle semble toujours s’épanouir.  

 

Voici la plus ancienne gravure, connue, du prieuré des Deux-amants. Elle date d'entre 1685 et 1722. On y voir nettement son vignoble cultivé en carrés sur les pentes hautes de la côte.

Voici la plus ancienne gravure, connue, du prieuré des Deux-amants. Elle date d'entre 1685 et 1722. On y voir nettement son vignoble cultivé en carrés sur les pentes hautes de la côte.

 

Pour conclure ce rapide inventaire que constitue cette deuxième partie : bien que de nombreux espaces plantés de vignes n’apparaissent pas sur les plans cadastraux, nous avons localisé de nombreux toponymes en rapport avec la viticulture. Le vignoble concernait au moins un village sur deux de la région de Pont-de-l’Arche. Sans surprise il s’agit des villages aux pentes bien exposées au soleil. Il s’agit aussi de villages situés au fond de la vallée, ce qui est plus surprenant.

 

3. Un dernier verre pour la route, hips ! Le vignoble local entre essor et déclin du XVIIIe siècle au XXe siècle.

3.1. Le déclin du vignoble normand hormis celui de l’Eure.

Les auteurs sur le vignoble normand lèvent tous leur verre à l’âge d’or du vin régional, qu’ils situent avant le “petit âge glaciaire”. Celui-ci dura de 1350 à 1855. L’abbé Cochet livre une information précieuse sur la date des vendanges : “Au XIIIe siècle, Eudes Rigaud, archevêque de Rouen, faisant la visite de son diocèse, vint au prieuré de Saint-Aubin, près Gournay, le 9 septembre 1267 ; il y trouva treize religieuses, dont trois étaient pour l’heure aux vendanges (27). On voit ici à quel moment se faisait la récolte. En 1842, année très chaude, nous avons vu publier le ban de vendanges à Orléans, le 19 septembre seulement, tandis que, chez nous, il y a 600 ans, on le publiait dix jours plus tôt. Il s’ensuit de là, qu’au XIIIe siècle, sur les bords de l’Epte et de la Bresle, le raisin mûrissait plus vite qu’il ne mûrit au XIXe, sur les bords de la Loire.” Les variations du climat ne sont donc pas une vue de l’esprit.

Le petit âge glaciaire ne signifie cependant pas que la vigne disparut, loin de loin. Elle régressa pour plusieurs raisons. Tout d’abord, les importations s’accrurent depuis des régions plus méridionales, aux vins plus fins, et ce à mesure que grandirent le royaume Plantagenêt puis le royaume de France. Puis, le climat rendit plus couteux l’entretien de la vigne et en fit baisser la quantité et la qualité. C’est ce qui explique la raréfaction de la viticulture d’ouest en Est : exit la vigne de l’Avranchin (Manche) à la fin du Moyen Âge, puis celle du Perche (Orne) au XVIe siècle, celle d’Argences (Calvados) au XVIIe siècle et, enfin, celle de Rouen (Seine-Maritime) au XVIIe siècle. Qui plus est, une source concurrente de sucre fut de plus en plus privilégiée : la pomme avec laquelle on fait le cidre et le Calvados.

Pour l’heure, au XVIIe siècle, le vignoble de l’Eure se maintenait. Il se développa même un temps durant.

 

 

Le vignoble de la région de Pont-de-l'Arche se développa encore à la fin de l'Ancien régime et perdura jusqu'au début du XXe siècle, bien qu'ayant été supplanté par les pommeraies. Ici une carte postale des années 1910 montre le vignoble des Deux-amants au premier plan d'une belle perspective sur la vallée.

Le vignoble de la région de Pont-de-l'Arche se développa encore à la fin de l'Ancien régime et perdura jusqu'au début du XXe siècle, bien qu'ayant été supplanté par les pommeraies. Ici une carte postale des années 1910 montre le vignoble des Deux-amants au premier plan d'une belle perspective sur la vallée.

 

3.2. Le vignoble eurois : vignoble en progression aux XVIIe et XVIIe  siècles.

Pierre Brunet nota (page 188) qu’un arrêt du Parlement de Paris du 14 aout 1577 eut un effet positif sur la production euroise des vallées de l’Eure et de l’Iton, de la rive gauche de la Seine entre Vernon et Gaillon et la vallée inférieure de l’Epte. Cet arrêt interdit “aux marchands de vin de la ville de Paris d’acheter leur vin en deçà d’une ligne passant par Chartres, Mantes, Meulan, Clermont-en-Beauvaisie, Senlis, Meaux, Moret et Pithiviers.” Elle s’appelait “la règle des 20 lieues” et avait pour finalité de faire vivre les cabarets qui, seuls, pouvaient s’approvisionner sur place. Pierre Brunet écrit (page 189) que cet arrêt a renforcé la commande de vins en Normandie, le long des voies navigables. Il fait état de “mentions de “grands vignobles” dans les textes du début du XVIIe pour les élections (circonscriptions administratives) des Andelys et de Pont-de-l’Arche. “La descente partielle des vignes vers les plus basses pentes et la substitution des rouges médiocres aux blancs plus vins découlent de cette opportunité.” Ce vignoble normand alors en vogue concerna largement celui de Longueville, entre Vernon et Gaillon. Celui-ci était tellement réputé qu’on le disait “vin français”. Cependant un édit de 1776 sur la libre circulation des vins annula ces restrictions et accentua le recul déjà amorcé du vignoble local.

 

3.3. Le déclin du vignoble eurois au XIXe et XXe siècles.

Dans une monographie sur Amfreville-sous-les-monts, André Pilet consacra un chapitre intitulé : “La vigne dans notre commune”, de la page 49 à 52.

Il observa que la plus ancienne gravure connue du prieuré des Deux-amants présentait un vignoble. L’original de cette gravure date d’entre 1685 et 1722. On y voit de larges espaces pentus consacrés au vignoble sur la partie haute de la côte des Deux-amants. En ce temps, on n’utilisait pas de tuteurs qui créent les alignements si caractéristiques, aujourd’hui, des vignobles. On voit néanmoins se dessiner des carrés de culture, assurément pour le passage des charrettes ; les vendangeurs devant se faufiler à travers les plants pour récolter le maximum de fruits.

André Pilet consulta et commenta un document daté de 1760 et intitulé "rôle des vingtièmes, paroisse d'Amfreville sur les monts". Les vingtièmes étaient un impôt foncier sur les cultures. Sur les 18 personnes citées, 12 déclarèrent des vignes. Selon l’auteur les vignobles totalisaient un hectare, soit 10 000 m². C’est impressionnant pour nous aujourd’hui. C’était déjà en baisse, écrit l’auteur, pour nos ancêtres qui avaient subi de durs hivers. André Pilet donne ensuite des statistiques départementales : en l’An IX, 34 238 hectolitres de vin furent produits contre 18 530 hectolitres en 1837. La production de cidre était alors de 879 000 hectolitres, 47 fois plus que le vin. Le phylloxéra toucha aussi le vignoble eurois. D’autres informations éclairent les causes du déclin du vignoble : “En 1898, il y avait dans l'Eure, 24 pépiniéristes produisant de la vigne.” En 1913 il en restait 4. L’abandon de la recherche et de la sélection des variétés de vignes les plus résistantes, productives et, en un mot, adaptées à notre région a sonné le glas de la production. Malgré cela, en 1916, une production locale est toujours déclarée aux autorités : “10 hectolitres de vin à Daubeuf-Vatteville, 8 à Pressagny l'Orgueilleux. Fleury sur Andelle déclare 2,5 hectolitres en bouteilles (...). Par contre 140 hectolitres de cidre sont mentionnés. Amfreville-sous-les-Monts déclare 6 hectolitres de vin récolté, et donc pas encore bu, ainsi que 189 hectolitres de cidre.”

Le vignoble n’a donc pas disparu d’un coup. Son maintien ou son abandon a fait l’objet de choix délibérés de la part des cultivateurs qui étudiaient sa rentabilité parmi d’autres productions. Il a aussi, semble-t-il, été préféré un temps durant aux boissons nouvelles. C’est ce que nota Charles de Beaurepaire, dans L’état des campagnes normandes. À la page 90, il écrivit qu’il existait dans les trois siècles précédant la Révolution une boisson dominante et quasi-exclusive selon les pays de Normandie : cervoise, vin ou cidre… Dans le bocage et ses vergers le cidre dominait. À Eu et Aumale, comme la Picardie et le Nord, les habitants restaient fidèles à la cervoise de nos ancêtres. Aux Andelys, Louviers, Vernon, Pont-de-l’Arche, Breteuil et Évreux, la consommation de vin résistait. C’est cette habitude qui a dû maintenir quelques décennies encore la production locale à des fins de consommation directe. À Rouen, la cervoise dominait mais en laissant une large place aux deux autres boissons.  

 

Conclusion

La vigne n’a pas été qu’une simple plante présente le long des murs des vieilles demeures. On peut raisonnablement parler de vignobles de la région de Pont-de-l’Arche.

Le vignoble a concerné durant le Moyen Âge et l’Ancien Régime au moins une paroisse sur deux. Le vin servait beaucoup à l’exercice du culte religieux. On peut citer l’ancienne abbaye de Bonport et sa domination sur le vignoble de Léry. Citons aussi le prieuré des Deux-amants et son vignoble d’Amfreville.

Un temps durant, le vin de notre région a alimenté Paris malgré le durcissement du climat. Ce fut le temps des vignobles dans les basses pentes et le fond sablonneux de la vallée, plantée de cépages blancs. Puis, les vignerons locaux ont choisi de se reconvertir, décennie après décennie, vers de plus lucratives activités : les arbres fruitiers, au premier rang desquels la pomme à cidre. Les importations se sont aussi accrues, rendant accessible le vin des régions du sud, puis de l’étranger. Il faut donc imaginer que durant l’Ancien régime notre contrée ne se présentait pas encore sous l’image d’Épinal d’une Normandie uniquement faite de pommeraies mais aussi de vignobles.  

 

 

À quand le digestif ?

La vigne a toujours vécu en Normandie mais la viticulture renait depuis trois décennies. Le climat semble changer et devenir plus propice à une production plus large et meilleure. Ainsi, la viticulture renait. Citons Gérard Samson et les Arpents du soleil à Saint-Pierre-sur-Dives, près de Lisieux, Ludovic Messiers au Havre et à Étretat, Camille Ravinet à Giverny, un collectif de micro-producteurs à Gaillon... Surtout, en ce qui concerne les coteaux qui nous intéressent, citons l’initiative à Freneuse d’Édouard Capron qui a planté 3000 pieds de vigne en mars 2016 et qui espère faire gouter au public le fruit de ses efforts en juillet 2019. Il a nommé son vignoble : domaine Saint-Expédit, du nom d’un des saints de la paroisse. Cela rappelle l’importance des moines dans la viticulture. Cela évoque aussi la difficulté de l’initiative puisque Saint-Expédit est le saint des causes désespérées. Un site Internet existe pour en savoir plus : http://domaine-saint-expedit.fr

 

À vot’ santé !

 

Page d'accueil du site Internet du Domaine Saint-Expédit, d'Edouard Capron, qui fait revivre le vignoble local.

Page d'accueil du site Internet du Domaine Saint-Expédit, d'Edouard Capron, qui fait revivre le vignoble local.

 

Sources

- Archives départementales de l’Eure, les : les plans cadastraux et les cartes postales en ligne sur www.archives.eure.fr ;

- Beaurepaire, Charles de, Notes et documents concernant l'état des campagnes de la Haute Normandie dans les derniers temps du Moyen âge, 1865, 790 pages. Consultable sur Google livres ;

- Brunet, Pierre, “Un vignoble défunt : la Normandie”, in Collectif, Des vignobles et des vins à travers le monde : hommage à Alain Huetz de Lemps, voir les pages 183 à 191, presses universitaires de Bordeaux, 1996 ; Disponible, par passages, dans Google livres ;

- Cochet, Jean-Benoît-Désiré, abbé, Culture de la vigne en Normandie, 1844, accessible sur le site de la bibliothèque municipale de Lisieux : http://www.bmlisieux.com/normandie/cochet01.htm ;

- Charpillon, Louis-Étienne, Caresme, Anatole, Dictionnaire historique de toutes les communes du département de l’Eure, 1868, 960 pages, tome II, voir les pages 398-399 reproduites sur notre blog ici ;

- Delisle, Léopold, Études sur la condition de la classe agricole et l'état de l'agriculture en Normandie au moyen-âge, in Société libre d'agriculture, sciences, arts et belles-lettres de l'Eure, 1903. Accessible sur Gallica ;

- Pilet, André, Terre des Deux-Amants. Amfreville-sous-les-monts : son histoire, des silex taillés à l’ordinateur, éditions Bertout, Luneray, 1996, 179 pages.  ;

- Ridel, Laurent, “Une culture oubliée : les vignobles de Normandie”,

http://www.histoire-normandie.fr/une-culture-oubliee-les-vignobles-de-normandie

- Viel, Jean-Claude, “On buvait sec dans les monastères”, sur le site Vins de Normandie : histoire et actualités.

 

 

Armand Launay

Pont-de-l'Arche ma ville

http://pontdelarche.over-blog.com

Bando 13x9 (1)

 

Partager cet article
Repost0