Durant la Première Guerre mondiale, un camp britannique prit place entre les remparts de Pont-de-l’Arche et la rue des Peupliers, aux Damps. Celui-ci fut investi par le Royal Flying Corps créé en 1912 et devenu Royal Air Force en 1918. Il a laissé de nos jours le nom de « le Camp » à un quartier dampsois.
Avec mes remerciements à Peter Ainsworth
Un insigne du Génie britannique retrouvé par un prospecteur de métaux aux Damps (photo A. Launay, 2013).
Réparer les moteurs d’avions
Le site de Pont-de-l’Arche – Les Damps fut choisi pour sa relative proximité du front mais à l’abri du danger allemand tout de même (encore que). L’armée britannique avait besoin d’une usine de réparation pour les moteurs de ses avions. Elle eut la chance que les fils de Georges Prieur construisaient une vaste usine de chaussures aux Damps et ne l’occupaient pas encore. L’armée loua l’usine, finit sa construction et y installa les ateliers de réparation des moteurs. Une fois réparés, les moteurs étaient chargés sur la Seine et partaient vers Rouen avant de rejoindre le front. Quant au quartier général, il fut établi dans le Vieux manoir, rue Jean-Prieur, actuel Manoir de Manon.
Femmes travaillant à la chaine de réparation des moteurs d’avions dans l’usine des Fils de Georges Prieur, Les Damps, 1919. Engine Repair Shops, RAF. The QMAAC working in machine shop. Pont-de-l'Arche. Olive Edis ; IWM photographer of the women’s services in France 1919, part of "First world war official collection" (photographs) Made by: Edis, Olive 1919. http://www.iwm.org.uk/collections/item/object/205244004
Un membre du QMAAC (Corps d’armée auxiliaire de la Reine Marie) faisant une soudure à l’acétylène dans l’atelier de réparation des moteurs d’avion de la Royal air force de Pont-de-l’Arche, en 1919. A member of Queen Mary's Army Auxiliary Corps (QMAAC) acetylene welding at a Royal Air Force engine repair shop at Pont de l'Arche, France, in 1919. Olive Edis ; IWM photographer of the women’s services in France 1919, part of "First world war official collection" (photographs) Made by : Edis, Olive 1919 http://www.iwm.org.uk/collections/item/object/205196042
Un camp imposant
En 1918, ce sont près de 5 000 hommes, dont 500 auxiliaires féminins, qui travaillaient dans ce camp, surtout dans l’usine des fils de Georges Prieur. Des baraquements provisoires furent bâtis tout autour pour les loger et pour accueillir leurs loisirs : cantine, salles de bains, salles de réunions, salles de danse, salons de thé et même des chapelles protestantes, les soldats catholiques étant accueillis dans la chapelle Saint-Pierre et dans les stalles de Notre-Dame-des-arts. Des prisonniers de guerre allemands avaient aussi droit à une chapelle.
Quant à l'usine, elle permit de mettre au point 4 moteurs par semaines en 1915, puis 120 moteurs par semaine en 1917.
Après guerre, ces baraquements ont servi à des familles, notamment des ouvriers de chez Marco, durant quelques dizaines d’années avant d’être rasés un à un. Aujourd’hui, il n’en reste que les quelques commerces des Dardanelles et quelques plaques de béton qui ont servi de fondation.
Le Camp, nom d'une partie de la commune des Damps directement issu du camp aux Anglais, auquel elle doit son nom.
Image extraite de l'ouvrage de Aidan J. William, page 13, qui montre le camp depuis le croisement de l'avenue de la forêt de Bord et de la rue des Peupliers. On aperçoit les baraquements en bois ainsi que les rails permettant de déplacer les objets lourds.
Image extraite de l'ouvrage de Aidan J. William, page 14, montrant le Val des Damps (Pont-de-l'Arche est au fond). Au premier plan des baraquements en bois sont en construction.
Image extraite de l'ouvrage de Aidan J. William, page 20. Cette partie du camp est composée de baraquements Nissen, du nom de l'ingénieur Peter Norman Nissen qui les conçut. Au-delà des deux rangées de baraquements Nissen se devine un passage : c'est celui de l'avenue de la forêt de Bord. De l'autre côté de la route, se devinent les bâtiments de l'usine des fils de Georges Prieur, devenus usine de réparation de moteurs d'avions de l'armée britannique.
Un lieu de repos et de loisirs
Outre les techniciens du Royal flying corps, le camp des Damps a accueilli des troupes revenant du front. Celles-ci bénéficiaient de loisirs variés.
Les soldats britanniques se retrouvaient dans les bistrots de Pont-de-l’Arche. Pour l’anecdote, c’était la première fois que les gens de la région virent des hommes en « jupe » en la présence d’Ecossais. L’ancienne salle des fêtes de Pont-de-l’Arche, construite par l’armée britannique, servait elle aussi de lieu de festivité aux troupes et à la population locale comme l’écrivit un journaliste dans L’Industriel de Louviers du 20 janvier 1917 :
Pont-de-l’Arche. – Cinéma-concert. Dimanche 14 janvier à 6h et ½, le Royal Flying Corps anglais de Pont-de-l’Arche offrait à ses soldats une soirée récréative de cinéma dans le camp d’aviation. Un orchestre symphonique a charmé l’auditoire ; plusieurs morceaux du répertoire ont été alors fort applaudis, parmi lesquels : les airs irlandais et diverses mélodies anglaises. Le lundi soir, le commandant et les officiers avaient convié par invitation grand nombre de personnes de Pont-de-l’Arche qui ont eu le plaisir d’admirer la fameuse film anglaise : La bataille de la Somme où tous nos Tommies rivalisaient d’entrain et de bravoure. Ces deux soirées récréatives… se sont terminées aux accents de La Marseillaise et du God Save the King.
Les Britanniques nous ont fait découvrir le football, notamment, et ont entretenu cette passion chez nous durant la Grande guerre. L’Industriel de Louviers du 10 aout 1918 le rapporte : Pont-de-l’Arche - Fête sportive. Lundi, les officiers R.F.C. ont organisé la fête annuelle des sports. La fête composée de jeux de toutes sortes fut très réussie malgré la pluie qui ne cessa qu’à de rares intervalles. Le soir un concert dans la grande salle du cinéma fut très apprécié et se termina par l’hymne national anglais.
Outre les relations sportives, la présence des troupes britanniques a permis de tisser des liens avec la population locale. L’Elbeuvien du 7 février 1917 informa que : Les prairies […] ayant été ces temps derniers inondées par la crue de la Seine sont actuellement gelées et de nombreuses personnes s’y livrent au sport du patinage. Un soldat du Royal Flying Corps a été victime ces derniers jours d’un accident. Après une chute malheureuse, il a été relevé dans un état qui a nécessité son transport immédiat dans un hôpital de Rouen.
L’article du 1er juin 1918 relate un moment tragique mais d’une grande beauté :
Dans notre numéro du 11 mai, nous avons relaté qu’une jeune fille de Pont-de-l’Arche […] était tombée dans un puits profond de trente mètres. Le père, désespéré, fit immédiatement appel à la bonne volonté de quelques soldats anglais, qui se trouvaient en promenade, et immédiatement sans aucune hésitation ceux-ci entreprirent les moyens de sauvetage. Etant donné le mauvais état de ce vieux puits abandonné, ce sauvetage fut opéré dans des conditions particulièrement difficiles et dangereuses pour les sauveteurs ; il faut signaler le courage du soldat P. Carnwall… qui s’offrit spontanément pour descendre dans le puits avec de très élémentaires instruments de fortune et, sans souci pour sa vie, après un séjour prolongé au fond du puits, dans l’eau glaciale et après diverses tentatives réussit à ramener le corps de la noyée. Il ne put à son tour être retiré que très difficilement. Il risquait d’être écrasé par la margelle branlante du vieux puits, et d’être noyé par la rupture de la corde qui s’est produite à un moment. Vraiment ce brave mériterait bien une distinction honorifique de la part de l’administration militaire britannique.
D’autres articles, encore, sont riches d’enseignement tels que celui du 12 septembre 1917 qui nous apprend que la population archépontine [sic], et des communes avoisinantes, privée de médecin, est actuellement soignée par un Major anglais, très dévoué à ses malades à toute heure et souvent gratuitement. Ce Major est titulaire de plusieurs décorations gagnées dans sa longue carrière militaire.
Les liens qui unissaient les Normands et les Britanniques furent riches. Les Tommies ont apporté maints services à nos ancêtres – beaucoup d’hommes étant retenus au front – et que ceux-ci leur ont réservé un accueil appréciable, d’autant plus que leur présence était une source de profit supplémentaire. Si le camp britannique pas eu d'importance stratégique, il a néanmoins engendré des liens restés gravés dans les mémoires. C'est ce qu'expriment et promettent deux lettres adressées par des gradés britanniques à Maurice Delamare. Extraits :
- courrier envoyé par le colonel G. B. Hynes, commandant du camp de la Royal air force, à Maurice Delamare, le 30 novembre 1918 : "Rien ne pourrait dépasser la bonté, l'hospitalité avec lesquelles on a reçu l'Armée Britannique partout en France, et le concours et l'accueil données par vous, Mon Cher Maire, et les habitants de la Ville de Pont de l'Arche ont été des plus frappants."
- courrier envoyé par un commandant - non nommé - de l'Engine repair shops de la Royal air force le 22 septembre 1919 :
"Monsieur le Maire,
Le Dépôt de l'Aviation Britannique à Pont de l'Arche étant arrivé au terme de ses travaux, je voudrais profiter de cette occasion, avant le départ final, de vous remercier personnellement, cher Monsieur le Maire ainsi que les Autorités Civiles de la Ville de Pont de l'Arche, au nom des Autorités Militaires Britanniques, en mon nom et en celui des Officiers, Sous-Officiers et soldats de ce Dépôt, pour la courtoisie, la bienveillance et l'aide qui nous ont toujours été témoignés depuis la formation de ce Dépôt en Novembre 1914.
Parlant au nom du personnel, je tiens à vous assurer que nous garderons toujours un excellent souvenir de notre séjour parmi vous, ainsi que de votre belle patrie. J'espère que les excellentes relations et la bonne amitié qui ont toujours existé durant ces quelques années resserreront encore davantage, à l'avenir, les liens qui unissent les grandes nations : la France et l'Angleterre..."
En guise de conclusion, de cette époque sont restés, un temps durant, certains soldats anglais qui se sont mariés avec des Dampsoises et Archépontaines. C'est le cas de William Delauney, Alfred Turvey et Sidney Warren. Inversement, Harry Ainsworth partit vivre en Angleterre avec une native de la contrée : Madeleine Duparc.
Sont restées aussi de cette époque quelques plaques de bétons passim dans ce quartier. Un nom de rue fait perdurer le souvenir de la Grande guerre, mais pour les personnes averties seulement : la rue des Dardanelles, du nom de la tristement célèbre bataille où les Anglais et les Français se battirent côte à côte contre les troupes ottomanes. Il reste aussi les bâtiments des petits commerces en face de la rue des Dardanelles. Même l'usine de chaussures a été démolie ces dernières années.
Femmes se faisant brosser les cheveux au salon de coiffure QMAAC (Corps d’armée auxiliaire de la Reine Marie) réputé être un salon régulier de l’enseigne « Bond street » (Pont-de-l’Arche, 1919). Girls having their hair brushed in the hairdressers' shop for the QMAAC [Queen Mary's Army Auxiliary Corps] at Pont de l'Arche which enjoyed the reputation of being a regular Bond Street establishment. Olive Edis ; IWM photographer of the women’s services in France 1919, part of "First world war official collection" (photographs) Made by : Edis, Olive 1919. www.iwm.org.uk/collections/search?query=pont+de+l%27arche&submit=&items_per_page=10
Sources
- L’Elbeuvien ;
- L’Industriel de Louviers ;
- Chantepie Roland, Pont-de-l’Arche à travers les âges, manuscrit b, 2e partie, De la Révolution à nos jours (1944), pages 437 à 443 ;
- Fell LFR, "The engine repair shops - Pont de l'Arche", Journal of the royal aeronautical society, janvier 1966 ;
- Aidan J. Williams, Royal flying corps / Royal air force engine repair shops, France, 1914-1918, chez l'auteur, 2017, 114 pages. Accessible sur Google livres ;
- Archives municipales de Pont-de-l'Arche : 5 H 9.
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