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17 août 2018 5 17 /08 /août /2018 14:00

 

“Je vous écris une longue lettre parce que je n’ai pas le temps de vous en écrire une courte.”

Blaise PASCAL

 

Sortie de l'usine de Paul Nion (à gauche) dans les années 1930 et sortie de l'usine Marco en 2008 durant la campagne des élections municipales (cliché Armand Launay).Sortie de l'usine de Paul Nion (à gauche) dans les années 1930 et sortie de l'usine Marco en 2008 durant la campagne des élections municipales (cliché Armand Launay).

Sortie de l'usine de Paul Nion (à gauche) dans les années 1930 et sortie de l'usine Marco en 2008 durant la campagne des élections municipales (cliché Armand Launay).

 

Quel contraste entre une sortie des usines en 1950 et en 2018 ! En 1950 les piétons empêchaient la maigre circulation automobile alors qu’aujourd’hui les quelques ouvriers doivent être protégés des voitures par des peintures au sol, un ralentisseur et une signalisation...

En effet, les activités économiques évoluent vite et nous les prenons ici comme simple prisme permettant d’interroger les rapports des habitants entre eux et avec leur environnement direct (nature, espace). Cet article a pour finalité de dresser un tableau général des activités et des rapports induits par les activités économiques et ce depuis la naissance de la ville en 862 jusqu’à nos jours. Il s’agit de caractériser des périodes afin de se repérer mentalement. Malgré la longueur de cet article, il n’est pas question de faire une analyse profonde et exhaustive de chaque activité. Pour approfondir, nous nous permettrons de renvoyer vers nos études traitant déjà d’économie et de vie locales (le drap, la chaussure, la halle, les loisirs…).

Nous traitons ici d’économie que nous définissons comme la gestion des biens domestiques (une propriété). Par extension, l’économie désigne la gestion des biens par un groupe humain, c’est-à-dire plusieurs familles travaillant et pratiquant des échanges. Nous bornons ici notre analyse aux limites de la commune actuelle de Pont-de-l’Arche. Quant à la sociabilité, elle désigne la capacité d'un individu ou d'un groupe d'individus à évoluer en société et à s’adapter à de nouveaux réseaux sociaux. Par extension, elle désigne le caractère des relations entre personnes au sein d'un groupe choisi selon son âge, sa culture, sa répartition géographique, son genre…).

Notre sujet pose un problème central : est-il possible de déterminer le ou les moteurs d’une économie archépontaine, selon les époques, et d’en déduire l’impact sur la sociabilité ?

Pour cela nous allons proposer comme hypothèse que l’on peut définir trois périodes : la première court de la fin du IXe siècle au milieu du XIXe siècle où Pont-de-l’Arche s’activa suite à la décision du roi d’y établir et maintenir un pouvoir militaire et administratif. La deuxième période court du début du XIXe siècle aux années 1950 où la ville connut un essor industriel grâce à la commercialisation du chausson puis de la chaussure. La troisième période court toujours (mais que fait la police ?) où les industries se raréfient et les pouvoirs publics prennent de l’importance en tentant de pallier les délocalisations d’entreprises et la déstabilisation de la sociabilité.

 

Marque de la présence royale, le bailliage (bâtiment de 1780), ici derrière les remparts en 2006 (cliché Armand Launay).

Marque de la présence royale, le bailliage (bâtiment de 1780), ici derrière les remparts en 2006 (cliché Armand Launay).

1. 862-1856 : la cité du roi, pôle militaire et administratif.

1.1. La ville fortifiée du roi : pôle militaire et administratif régional.

Avant la naissance de Pont-de-l’Arche en 862 existaient quelques fermes éparses, blotties dans les vallons en eau. Le paysage devait ressembler à un bocage près de la Seine et la forêt devait être percées de petites clairières exploitées comme nous l’avons étudié à la recherche de Saint-Martin de Maresdans. En 862 Charles le Chauve décida de bâtir un pont sur la Seine afin d’empêcher ou, plus modestement, de ralentir les pirates normands ; ceci afin de préparer la défense de grandes villes du royaume franc tels que Beauvais, Paris, Chartres. Le pont fut bâti à Pont-de-l’Arche, alors appelé Les Damps. Deux forts protégeaient ses entrées. L’un devint le fort de Limaie qui resta jusqu’en 1782 un châtelet avec garnison. L’autre devint la ville fortifiée qui nous intéresse sur la rive gauche de la Seine.

La suite de l’histoire est connue : les Normands vainquirent. En 911 le roi fit de Rollon un duc censé soumettre et pacifier la Normandie tout en reconnaissant le pouvoir royal. Dans la réalité, la Normandie échappa au contrôle royal jusqu’en 1204. Fait rare, Richard Cœur de Lion, roi d’Angleterre et et duc de Normandie, et où Philippe II Auguste, s’entendirent en 1189 pour bâtir une abbaye en signe de paix avant de partir tous deux en croisade. Cette abbaye fut bâtie à Pont-de-l’Arche : il s’agit de Notre-Dame de Bonport. En 1204, Philippe Auguste chassa Jean sans Terre et fit de Pont-de-l’Arche sa principale résidence normande. En effet, cette ville était doublement fortifiée ‒ donc sûre ‒ et assez proche de Rouen et de son peuple suspect aux yeux du roi. C’est ainsi que Philippe Auguste fit rehausser les fortifications de la ville et de Limaie et y maintint une garnison ainsi qu’un gouverneur chargé de police intérieur sur la région d’Elbeuf à Louviers. Le roi y structura une vicomté. Celle-ci devint un bailliage secondaire de Rouen (une sorte de sous-préfecture) regroupant le tribunal d’instance, l’élection (les impôts), le grenier à sel et les eaux et forêts.

 

1.2. Une exploitation accrue des richesses locales.

Il résulte de ce choix royal que la démographie de Pont-de-l’Arche crut, d’une part grâce à une garnison et d’autre part grâce à plusieurs dizaines de familles nobles ‒ plus aisées ‒ ainsi que leurs serviteurs. La démographie de Pont-de-l’Arche est rapidement devenue plus importante que celle des villages avoisinants. Pont-de-l’Arche était le lieu d’exploitation de richesses naturelles.

Les pêcheurs y étaient nombreux qui ont bâti, bien plus tard à la Renaissance, de petites maisons à pans de bois sous le rempart le long de la Seine. Certains pêchaient avec des nasses et des filets disposés entre les piles du pont.

Outre les cultures vivrières sous forme de jardins potagers et de vergers autour de la ville, quelques fermes existaient aux abords de la ville. Citons la ferme de la Borde (celle qui borde la forêt), celle du Bon-air et celle des moines et frères converts de Bonport et, sûrement, celle située à la porte Saint-Jean, c’est-à-dire en face de la porte de Crosne. De l’élevage n’est pas à exclure, surtout en forêt de Bord (vaches, cochons), afin d’alimenter les particuliers et les bouchers de la ville offrant une viande plus variée que celle des poulaillers des basses-cours en ville (seulement interdits au début du XVIe siècle). En forêt aussi, les Archépontains trouvaient quelques fruits ainsi que le bois mort afin de se chauffer et de cuire leurs aliments. Les biens communaux devaient aussi se trouver en forêt sans que nous n’ayons pu les localiser expressément.

La roche calcaire et siliceuse a permis d’ouvrir des carrières, notamment une située près de l’actuelle rue de l’Abbaye-sans-toile, comme le cite une charte publiée par Léopold Delisle. Une simple inspection du coteau de Seine, à Pont-de-l’Arche, démontre que la roche a été exploitée. C’est ce que montre la pente rude ‒ mais brève ‒ entre l’ancienne abbaye de Bonport et l’ancien fossé de la tour de Crosne, au pied de laquelle se trouvait un chaufournier (près de la “sente des Plâtriers”, tiens donc !). Le plan cadastral désigne aussi l'espace à l'Est de Pont-de-l'Arche sous le nom de "la carrière". La rue Henry-Prieur se nommait "chemin de la Carrière". C’est aussi ce que montre le coteau vers Les Damps, autre lieu ou la roche a été largement exploitée à ciel ouvert et, plus encore, par des galeries souterraines courant vers la forêt. Dans la forêt se trouvent aussi des dépressions de terrain témoignant de l’exploitation de la roche, notamment près du coude du chemin de la Borde. Après tout, quoi de plus normal autour d’une ville fortifiée et d’une abbaye cistercienne ?

Une activité portuaire a existé, de part et d’autre de l’ancien pont : en aval sur la Petite-chaussée (actuel nom de rue) et le départ du quai Foch et en amont sur le quai de la grande chaussée, actuel quai de Verdun. Cet espace était chaussé ‒ chose notable car rare ‒ de manière à stabiliser les berges et à faire transiter plus aisément charrettes et marchandises venues des berges avoisinantes. Des mariniers y exerçaient ainsi que des pêcheurs amenant dans la ville des poissons et des marchands apportant des denrées lourdes telles que des tonneaux de saumures et de vin, par exemple. Le grenier à sel devait être fourni par la même voie. Il semble même que la cave de l’hôtel-Dieu fût reliée à la Petite-chaussée par un souterrain encore visible dans les années 1980 au fond de la Salle d’Armes. Quelques grumes de la forêt de Bord ont transité par les quais archépontains. Ceux-ci sont attestés par des archives et nous n’en citerons ici qu’une, déjà analysée dans notre article sur la forêt de Bord (voir “Activités anciennes ‒ La coupe du bois”). Cette archive nous est fournie par l’historien Jean Boissière dans un article intitulé « Les forêts de la vallée de la Seine entre Paris et Rouen d’après l’enquête de 1714 » (Les Annales du Mantois, 1979). Cette étude se fonde sur le procès verbal d’Hector Bonnet chargé par l’hôtel de Ville de Paris de comprendre pourquoi le bois ne parvenait pas en quantité suffisante dans une période de disette de combustible. Cet homme voyagea de Paris à Rouen du 27 septembre au 18 octobre 1714. Il résida à Pont-de-l'Arche du 10 au 15 octobre. Il cita la “vente de Cocaigne”, c’est-à-dire la Cocagne, espace boisé au-dessus de la ferme de la Borde ainsi que le “port du pont de l'arche sur lequel nous aurions trouvé le nommé garde dud. port”. Dans ce port se trouve du bois provenant de la forêt de Louviers (près de la mare Glaïoleuse) et de la vallée de l’Andelle. Hector Bonnet cite aussi les ports de Bonport et des Damps. Les ventes et transports réalisés en ce lieu se produisaient donc sous le contrôle direct des agents des Eaux et forêts sis au bailliage de la ville. Où se trouvaient les ports archépontains ? Celui de Bonport devait se situer en contrebas de Saint-Martin de Maresdans, c’est-à-dire, de nos jours, La Plaine-de-Bonport, comme nous l’avons déjà étudié. Quant à celui dit de Pont-de-l’Arche, nous le verrions en contrebas du Val des Damps, entre la Cocagne et la Seine.

Cette célèbre vue sur le pont aux moulins de Pont-de-l’Arche est une lithographie de Charpentier réalisée d'après le dessin de Félix Benoist. Elle fut éditée dans un magnifique ouvrage :   La Normandie illustrée : monuments, sites et costumes.../ dessinés d'après nature par Félix Benoist et lithographiés par les premiers artistes de Paris, les costumes dessinés et lithographiés par François-Hippolyte Lalaisse,... ; texte par M. Raymond Bordeaux et Amélie Bosquet, sous la direction de M. André Pottier,... pour la Haute-Normandie…, Nantes : Charpentier père, fils et Cie, 1852, 2 volumes. On y voit un moulin, les filets et casiers de pêcheurs, un marinier et le quai de la Petite-chaussée.

Cette célèbre vue sur le pont aux moulins de Pont-de-l’Arche est une lithographie de Charpentier réalisée d'après le dessin de Félix Benoist. Elle fut éditée dans un magnifique ouvrage : La Normandie illustrée : monuments, sites et costumes.../ dessinés d'après nature par Félix Benoist et lithographiés par les premiers artistes de Paris, les costumes dessinés et lithographiés par François-Hippolyte Lalaisse,... ; texte par M. Raymond Bordeaux et Amélie Bosquet, sous la direction de M. André Pottier,... pour la Haute-Normandie…, Nantes : Charpentier père, fils et Cie, 1852, 2 volumes. On y voit un moulin, les filets et casiers de pêcheurs, un marinier et le quai de la Petite-chaussée.

Le pont de la ville était doté de trois moulins, au moins à partir de 1020, qui ont écrasé la céréale et, un temps seulement, ont battu monnaie. Les moulins n’étaient pas rares dans la région, mais ceux de notre cité ont nécessairement attiré dans la ville une population agricole nombreuse alentour, surtout à côté de la halle locale. Les droits perçus par leurs propriétaires ont été une source de revenu supplémentaire pour quelques privilégiés.

La production archépontaine ne suffit pas à nourrir la hausse démographique. Il fallut importer dans la cité des aliments et autres produits en plus grand nombre ; d’où la création de la halle et du marché dominical. Cette création ne dut poser aucun problème puisqu’elle était la prérogative du roi et Pont-de-l’Arche était une cité royale. Si nous n’avons pas retrouvé de documents attestant l’existence de la halle, il est possible de déduire qu’elle existait au début du XIIIe siècle grâce à son emplacement comme nous l’avons étudié dans un article y consacré. Avec son marché et sa halle, la cité archépontaine est devenue un pôle local en matière d’échanges. La halle permettait de pacifier les échanges en se mettant d’accord sur les poids et mesures et offrait au pouvoir un moyen de contrôle sur la vente de produits en même temps que des taxes diverses.

Il est indubitable que le marché ait favorisé l’implantation de commerces permanents aux abords de la place du marché et de la halle, les fournisseurs y venant tous les dimanches, y ayant des contacts mais ratant les nombreux acheteurs passant dans la ville le reste de la semaine.

 

1.3. Une cité-étape régionale.

Le pont désiré par le roi et ses successeurs formait un barrage artificiel sur la Seine entre les pertuis de Poses et de Saint-Aubin-les-Elbeuf. Ce barrage donna de l’importance au bourg. En effet, le pont perturbait le passage de l’eau de Seine et créait une cataracte d’un demi-mètre. C’était suffisant pour nécessiter un effort humain afin de faire monter les bateaux d’amont en aval. Il s’agit du montage dont témoigne un vitrail de 1605 dans l’église Notre-Dame-des-arts. Un maitre de pont et ses aides étaient nommés officiellement par le roi afin de s’assurer de la réussite technique du montage (ni le pont ni les bateaux né devaient être endommagés) et de percevoir les taxes. Des monteurs (haleurs spécialisés dans le montage) travaillaient auprès de bateaux à faible tirant d’eau du côté de la ville ; d’autres, plus nombreux, œuvraient du côté du fort de Limaie au service de bateaux à plus fort tirant d’eau. Plusieurs centaines de personnes, et quelques courbes de chevaux, étaient nécessaires pour les plus grands bateaux. Ce secteur d’activité offrait donc du travail à plusieurs dizaines de personnes, jusqu’à 200. C’étaient des métiers journaliers, faiblement rémunérés. Le revenu du montage revenait à l’entretien de la garnison de Limaie et à l’entretien de l’église paroissiale.

Pont-de-l'Arche, à la fois barrage et passage sur la Seine, était une importante cité-étape entre Paris et Rouen. Ici la vue de Claude Chastillon à des fins de présentation militaire (XVIIIe siècle).

Pont-de-l'Arche, à la fois barrage et passage sur la Seine, était une importante cité-étape entre Paris et Rouen. Ici la vue de Claude Chastillon à des fins de présentation militaire (XVIIIe siècle).

 

Pont-de-l’Arche était aussi le lieu d’étape de la malle-poste et de multiples voyageurs terrestres. Bien que la route du Vexin (Pontoise-Rouen) présentât moins d’obstacles, tels que le franchissement de la Seine, le chemin entre Paris et Rouen était très usité qui traversait Vernon et Pont-de-l’Arche. De nombreux voyageurs s’arrêtaient à Pont-de-l’Arche afin de bénéficier, dans une ville protégée par un couvre-feu, de la restauration, de l’hôtellerie, des écuries, des fêtes, des lieux de prière, des artisans notamment les cordonniers… Comme nous l’avons vu plus haut, le pont de la ville formait un obstacle sur la Seine. Les voyageurs et les haleurs tirant les bateaux le long des berges dans le sens aval-amont faisaient étape quand la nuit les fixait sur place ou quand le maitre de pont avait décidé de reporter au lendemain le montage. Sauf ceux qui dormaient dans les bateaux, les autres devaient recourir aux auberges de la ville. Nous avons eu l’occasion de traiter l’une d’entre elles, sur la place Hyacinthe-Langlois ; celle du panneau sculpté.  

Pont-de-l’Arche était au milieu d’un carrefour routier et fluvial. Il n’est pas étonnant qu’une partie des Archépontains travaillaient au service des voyageurs. De même, ces voyageurs renforçaient la “clientèle” des artisans et commerçants locaux non spécialisés dans l’accueil des voyageurs.

 

La composition professionnelle de la société archépontaine vers 1789

 

Bénédicte Delaune, licenciée ès Lettres, soutint en 1992 un excellent mémoire de maitrise et ce sous la direction de Claude Mazauric. Il s’intitule : Pont-de-l’Arche, population, pouvoirs municipaux et société de la fin du XVIIIe siècle et pendant la Révolution.

L’étudiante a analysé l’état civil et les documents suivants : la capitation de 1788, la contribution foncière de 1791, la liste des patentes de l’an VI (1797-1798) et la liste des votants de l’an IX (1800-1801). Elle en a déduit (page 81) que l’artisanat et le commerce étaient le “noyau de la société archépontaine” avec 39 % des capitations payées en 1788 et 47 % des votants de l’an IX. Parmi les artisans, le secteur du cuir (surtout les cordonniers), puis du bois (surtout les sabotiers et les menuisiers) dominaient. On se perdrait ensuite dans une débauche de phrases en quête de détails. Nous préférons reproduire le tableau II du mémoire de Bénédicte Delaune qui donne le meilleur aperçu de la nature et de la répartition des métiers en 1788.    

 

 

 

 Tableau II du mémoire de Bénédicte Delaune qui donne un aperçu de la nature et de la répartition des métiers en 1788.
 Tableau II du mémoire de Bénédicte Delaune qui donne un aperçu de la nature et de la répartition des métiers en 1788.

Tableau II du mémoire de Bénédicte Delaune qui donne un aperçu de la nature et de la répartition des métiers en 1788.

Il résulte de cette première partie que la ville de Pont-de-l’Arche est devenue un pôle local de services artisanaux et commerciaux de manière à satisfaire une population en partie composée de nobles et de militaires présents par décision royale. De là, une halle et un marché ont attiré nombre de producteurs et de consommateurs dans la ville. Le pont barrant la Seine et reliant les rives du fleuve, la ville était un lieu de passage nécessaire et une étape pour les voyageurs devant se reposer ; de quoi renforcer l’offre de services. Ceci laisse imaginer que le centre-ville regorgeait d’activités et d’échanges entre habitants et ce dans un espace réduit à l’intérieur des fortifications. Nous pouvons imaginer des conditions de vie frugales pour la majeure partie de la population pour qui la solidarité était nécessaire à la fourniture du minimum vital.

 

2. 1856-1955 : fort déclin avant que Pont-de-l’Arche devienne un pôle industriel français de la chaussure.

2.1. La perte des privilèges royaux et l’abandon de la ville par l’État.

Durant la Renaissance, les fortifications archépontaines perdirent leur intérêt. Elles ne servirent plus à lutter contre l’ennemi extérieur comme lors de la Guerre de Cent-ans. Elles tombèrent même entre les mains de nobles frondeurs en 1650 (le duc de Longueville). En 1782, suite à la demande de la municipalité, l’intendant de Normandie Louis Thiroux de Crosne autorisa la démolition du fort de Limaie et le démantèlement des fortifications de la ville. Les fossés furent en partie comblés et des boulevards plantés de tilleuls furent créés. Nous ne voyons pas d’impact notable sur l’économie de la ville hormis le départ de quelques hommes de garnison.

L’Assemblée nationale constituante fit perdre à Pont-de-l’Arche beaucoup de son importance administrative. En effet, en 1790, dans le cadre de la réforme instituant les communes et les départements, les députés réorganisèrent la carte juridique et militaire. Le bailliage de Pont-de-l’Arche ferma avec ses quatre tribunaux. La ville avait déjà perdu, à une date qui nous échappe, son gouvernement, c’est-à-dire la direction militaire. Ce sont les villes d’Elbeuf et, surtout, de Louviers qui accueillirent ces prérogatives. La ville perdit donc une large partie de sa classe aisée.  

En 1813 Napoléon inaugura une écluse qui améliora la navigation fluviale mais qui ôta du travail au maitre de pont, ses aides et surtout les dizaines de journaliers qui vivaient du montage. Ceci était volontaire car, durant les famines de la période révolutionnaire, des Archépontains avaient saisi du grain destiné à pacifier les parisiens qui faisaient pression sur le cours de la Révolution à Paris. Pour assoir son pouvoir Napoléon a écarté le danger de rébellion des monteurs. La motorisation et la chute du pont de bois en 1856 achevèrent d’ôter tout rôle d’étape fluviale à la ville en engendrant la fin de l’écluse. En 1840, le nouveau chemin de fer entre Paris et Rouen fit de Pont-de-l’Arche une halte secondaire du réseau mais rapprocha notre cité des grandes villes (Paris était à 4:00). L’ouverture de la ligne Pont-de-l’Arche-Gisors (1868) n’accrut pas considérablement l’importance de la ville mais surtout du trafic de la gare de Pont-de-l’Arche-Alizay. En 1857, la halle fut démolie : son cout n’était semble-t-il plus compensé par les gains réalisés auprès des exposants venus de la région pour y vendre leurs produits.

La ville de Pont-de-l’Arche connaissait donc une période particulièrement pauvre et où sa population était tentée par un exode : 1639 personnes y résidaient en 1793 alors qu’il n’en restait que 1483 en 1831 (Wikipédia).

La couture du chausson de lisière dans les ruelles archépontaines par Ernest Baillet (1886, archives de l'Eure). Ici une chaussonnière sur le degré d'une maison de la rue Abbaye-sans-toile.

La couture du chausson de lisière dans les ruelles archépontaines par Ernest Baillet (1886, archives de l'Eure). Ici une chaussonnière sur le degré d'une maison de la rue Abbaye-sans-toile.

 

2.2. La commercialisation du chausson ou l’arrivée du capitalisme

Comme nous l’avons retracé dans notre ouvrage : Pont-de-l’Arche, cité de la chaussure, notre cité est entrée dans l’ère du capitalisme par un savoir-faire local : le chausson. Les cordonniers étaient très nombreux dans la ville (25 pour 1700 habitants en 1788), sûrement en lien avec l’usure des souliers quand le montage des bateaux existait encore. Un commerçant de Saint-Pierre-du-Vauvray, Jean-Baptiste Labelle (1775-1839), commença à vendre des chaussons de lisière. Il s’agissait d’une semelle de cuir cousue sous un tressage de bouts de tissus. Ces derniers étaient des chutes issues de la découpe des bords des draps ; ceci afin que les lisières des draps soient bien droites avant ourlet. Vendant très bien ce produit dans les marchés de Normandie, Jean-Baptiste Labelle vint s’approvisionner à Pont-de-l’Arche qui commença à exporter le fruit d’un savoir-faire local. Il créa sa première société en 1820 avec son associé Roussel. Des dizaines d’Archépontains devinrent chaussonniers et en 1833 un cordonnier de notre cité, Antoine Ouin, créa à son tour son entreprise. C’est l’ancêtre de la société Marco qui œuvre toujours. Les premiers ateliers naquirent vers 1840 autour de premières divisions du travail : des ouvriers tressaient les draps, d’autres les cousaient sur les semelles en cuir. Le salariat commença alors à toucher en masse les travailleurs. À la fin du XIXe siècle, la ville de Pont-de-l’Arche comptait une vingtaine de manufactures et des centaines de travailleurs. Les chaussons de Pont-de-l’Arche, produits par millions chaque année, étaient nationalement réputés et vendus au-delà de l’Europe.

La ville connut alors une augmentation démographique (1815 personnes en 1851) avant une nouvelle décrue (1618 personnes en 1876), peut-être due à la pauvreté et à l’essor industriel plus fort dans les proches villes voisines. En effet, le travail du chausson laissa les Archépontains dans une pauvreté crasse, dénoncée par l’écrivain Octave Mirbeau. Celle-ci engendra la naissance d’un mouvement social et de premières grèves ouvrières. Au début du XXe siècle, la mécanisation engendra une nouvelle étape : celle de l’industrie de la chaussure.

 

Quelques ouvriers posant à l'entrée de l'usine Ouin (ancêtre de Marco) vers 1910. Crédit : Bruno Daniel, avec tous nos remerciements !

Quelques ouvriers posant à l'entrée de l'usine Ouin (ancêtre de Marco) vers 1910. Crédit : Bruno Daniel, avec tous nos remerciements !

2.3. Pont-de-l’Arche : un des pôles français de l’industrie de la chaussure.

Avec la division des tâches et la mécanisation, la production capitaliste crut encore afin de dégager des profits plus grands. Les manufactures devinrent des usines, citons celles d’Henry Prieur (route de Tostes), Paul Nion (place Langlois), Ouin (route du Vaudreuil), Morel (route de Louviers), qui employaient dans les années 1930 plusieurs centaines de travailleurs chacune. À côté d’elles œuvraient plusieurs dizaines de petites et moyennes industries, à caractère familial. Le bassin d’emploi de Pont-de-l’Arche atteignait alors les 2000 postes et les travailleurs ‒ hommes, femmes et enfants ‒ venaient quotidiennement en train depuis la vallée de l’Andelle, la banlieue sud de Rouen et en car du plateau du Neubourg. La cité Archépontaine était un pôle industriel régional de second ordre mais un des principaux centres de production de chaussures de France (avec Romans-sur-Drôme, Cholet, Fougères, Nancy…).

Pont-de-l’Arche connut une hausse de sa population (1921 personnes en 1911) puis un maintien jusqu’à la Seconde guerre mondiale (1913 personnes en 1936).

La ville était marquée par une rupture entre, d’un côté, quelques familles aisées, patronales ou notables, habitant de grandes demeures autour de la ville et, d’un autre côté, des centaines de familles issues du peuple archépontain et d’un début d’immigration massive, tout d’abord depuis d’autres régions de France puis, après 1918, de Belgique, Pays-Bas, Grèce… Entre les deux se situait une classe moyenne composée d’artisans, de commerçants, de petits patrons et quelques rentiers. La vie politique locale s’est bipolarisée (gauche/droite) avec l’émergence d’une lutte républicaine puis socialiste au sens digne du terme. Longtemps bastion républicain radical de gauche avec Maurice Delamare puis Pierre Mendès-France, Pont-de-l’Arche n’a vu son courant communiste émerger qu’après la Seconde guerre mondiale avec pour maires André Benet et Roger Leroux. Son centre ville commerçant, autrefois radical, a peu à peu basculé vers le courant conservateur et parvenait au pouvoir (Roland Levillain) quand la gauche socialiste et communiste se divisait. La ville connut un courant syndical fort qui retentit surtout en 1932.  

À l’issue de cette deuxième partie, nous avons vu qu’un savoir-faire local, mêlant draperie et cuir, est devenu un produit commercial : le chausson. Quelques familles se sont enrichies par la logique et la pratique capitaliste et ont employé une partie des habitants de la ville et de la proche région, ce qui a évité un exode de population. Les travailleurs se sont retrouvés solidaires dans un mode de production et dans des conditions de vie précaires. Les Archépontains sont restés ‒ dans l’ensemble ‒ pauvres et lotis dans les maisons à pans de bois de la cité médiévale et quelques nouveaux quartiers ouvriers bâtis aux alentours immédiats de la ville (rue Henry-Prieur, rue Olivier-des-Bordeaux, rue Abbé-de-Lanterie). Ces logements furent bâtis à l’initiative de patrons paternalistes puis de sociétés d’habitations à bon marché, ancêtres des HLM. Une classe ouvrière s’est constituée, cliente du commerce du centre-ville. Elle a fait vivre une forte sociabilité autour d’une culture commune, comme en témoigne la pratique, révolue, du parler local et des sobriquets. Cette solidarité était nécessaire car difficilement évitable ‒ à moins de quitter la ville ‒ mais aussi par intérêt général. La ville a ainsi exporté un savoir-faire et une production. Elle s’est spécialisée et a prospéré dans la mesure où de fortes inégalités ont perduré entre une minorité et le reste de la population.

A Pont-de-l'Arche, le groupe Luneau conçoit, fabrique et distribue des machines optiques médicales, notamment de la marque Briot (crédit photographique : Luneau technology operation).

A Pont-de-l'Arche, le groupe Luneau conçoit, fabrique et distribue des machines optiques médicales, notamment de la marque Briot (crédit photographique : Luneau technology operation).

 

3. La cité résidentielle et son noyau de services dans le centre ancien.

3.1. Concentration capitaliste, diversification industrielle puis délocalisations.

La logique capitaliste étant de dégager du profit, ce dernier se perd quand plusieurs entreprises atteignent la même taille et une organisation aussi efficace. C’est ce qui a frappé l’industrie archépontaine. Beaucoup d’entreprises ont fermé entre 1945 et 1970, laissant Marco seule “boite à chaussures” de la cité. Mais les locaux industriels archépontains ont été repris quelques années par des sociétés sans rapport avec la chaussure : Jeanbin (imprimerie), Briot (outillage de miroiterie, toujours active), Ouest-isol (produits isolants), Chesebrough-Pond’s (coton-tiges), Société normande de conditionnement (appelée "Jauneau")... Dans le même temps, se sont installées dans la proche région des industries plus grandes encore : la SICA (1954, pâte à papier), la régie Renault (1958, voitures automobiles). Celles-ci ont offert de bien meilleurs salaires que ceux de l’industrie de la chaussure et ont attiré beaucoup d’Archépontains, précipitant ainsi la chute d’entreprises locales par la perte d’ouvriers qualifiés.

Le centre-ville est resté dynamique, grâce aux ouvriers de la ville consommant ici et grâce au marché du dimanche. Pont-de-l’Arche était un chef-lieu de canton d’un point de vue administratif mais aussi par sa concentration de services. Les commerçants étaient nombreux à vivre dans le centre-ville, lui apportant une sociabilité réelle. Dans les années 1960, ils se fédérèrent dans une entente : L’Union commerciale, industrielle et artisanale (UCIA). Celle-ci créa les premières animations et le premier terrain de camping de la ville ‒ toujours existant ‒ songeant au développement du tourisme et à ses retombées sur la consommation.

Les fermetures d’usines des années 1960 et 1970 n’ont pas déstabilisé le pays puisqu’elles ont été remplacées par d’autres industries, y compris étrangères. Mais, à partir des années 1980, le chômage de masse est apparu. En effet, les délocalisations d’entreprises dans d’autres pays se sont amplifiées et la région a commencé à se désindustrialiser. La finalité est de produire plus de produits et à moindre cout en exploitant des travailleurs non protégés et moins chers à rémunérer car ils sont dans l’incapacité de se défendre d’un point de vue matériel et juridique. Des locaux archépontains sont restés vides longtemps qui sont devenus des verrues urbaines (l’usine Nion, devenue depuis L’Espace Jacques-Henri Lartigue). Un nouveau stade de concentration capitaliste a été franchi. Même les grandes entreprises de la chaussure ont cessé leur activité. L’usine Marco subsiste mais en passant de 320 travailleurs vers 1970 à seulement 60 en 2014 et avec une moitié de la production délocalisée en Tunisie depuis les années 1980. Au niveau mondial, la chaussure s’est fabriquée un temps en France, puis Italie, en Chine et aujourd’hui aussi en Éthiopie.

Désormais la production locale est faible ‒ voire inexistante dans de nombreux domaines ‒ et les importations augmentent énormément. Les réseaux de transports sont adaptés à grands couts pour les permettre et les faciliter. La voirie de notre ville en témoigne où le centre-ville est délaissé. Ainsi, le nouveau pont inauguré en 1955 par Pierre Mendès-France a-t-il été construit en dehors de la ville. Certes, la ville a toujours constitué un obstacle sur les voies mais elle revêt désormais un faible intérêt en retour pour des voyageurs parcourant des centaines de kilomètres par jour. Les aubergistes ont laissé place à un seul hôtel dans la ville (l’hôtel de la Tour). L’offre hôtelière est désormais essentiellement à Val-de-Reuil, près de l’autoroute, et pour le compte d’un grand groupe hôtelier (Accor). Les débits de boisson et restaurants se sont raréfiés dans la ville (à lire, notre étude sur l'offre hôtelière à Pont-de-l'Arche). Pis, la circulation est devenue un souci pour les riverains tant elle s’est accrue. Un contournement Est-ouest, au sud de la ville, a été inauguré en 2010 qui réduit le passage dans le centre-ville. Il complète ainsi le contournement nord-sud de 1955 avec le nouveau pont. La ville a perdu sa fonction de pôle ou d’étape. Les réseaux de transports passent à côté d’elle.

 

Sur ces détails de cartes de Pont-de-l'Arche de 1950 et de 2018 (Géoportail) on mesure à quel point le tissu urbain a gagné la majeure partie des terres disponibles entre l'Eure et la forêt. Sur ces détails de cartes de Pont-de-l'Arche de 1950 et de 2018 (Géoportail) on mesure à quel point le tissu urbain a gagné la majeure partie des terres disponibles entre l'Eure et la forêt.

Sur ces détails de cartes de Pont-de-l'Arche de 1950 et de 2018 (Géoportail) on mesure à quel point le tissu urbain a gagné la majeure partie des terres disponibles entre l'Eure et la forêt.

3.2. Consommation de masse, keynésianisme et spéculation.

La concentration capitaliste, qui a imposé les délocalisations, joue sur les économies d’échelle. Il faut fabriquer  et vendre plus de produits afin de réduire proportionnellement les couts de fabrication (en exploitant l’homme et en baissant la qualité des produits) et de transports (par l’énergie pétrolière). Cela permet de baisser le prix de vente et donc d’accroitre les marges grâce à une clientèle plus nombreuse. C’est ce qui explique pourquoi les boutiques ont gagné en surface. Déjà dans les années 1960 un supermarché apparut sur la place Hyacinthe-Langlois (Super Buna). L’ancien Coop (coopérateur de Normandie), épicerie variée de la rue de Paris ‒ un temps tenue par Roger Bonnet ‒ s’est agrandi le long de la rue Général-de-Gaulle dans un ancien local industriel. Les magasins se spécialisèrent et accrurent le débit de leurs ventes. Finies les petites crèmeries-débit de boissons familiales. Cette concentration capitaliste s’est déroulée partout où l’espace était disponible. Un centre-ville s’est retrouvé disqualifié pour accueillir les hypermarchés de la taille de ceux d’Igoville (Leclerc), de Caudebec puis Saint-Pierre-lès-Elbeuf (Leclerc), Val-de-Reuil (Mammouth)… Aujourd’hui, Pont-de-l’Arche est entouré d’au moins 15 hypermarchés dans un rayon de 12 kilomètres. Les hypermarchés ne sont plus seulement généralistes mais spécialistes (meubles, jouets, décorations, bricolage, travaux, vêtements…). Or, les économies que les clients réalisent en allant dans les hypermarchés, ils les laissent ‒ tout ou partie ‒ dans l’achat de voitures qui de luxe deviennent nécessité quand toute la ville les emploie en causant, par là-même, la fermeture des services de proximité. Les hypermarchés sont conçus pour la voiture et par le camion d’importation. Il n’est pas étonnant que le réseau soit devenu si dense autour des villes. Même la Seine a connu ce schéma : de fleuve naturel elle a été canalisée et les écluses ont été réduites au nombre minimum afin de libérer la navigation. Les anciens mariniers, haleurs, monteurs et même réparateurs du chantier naval d’Igoville (chantier Sénécaux, de 1900 aux années 1960) ont disparu et la Seine passe devant la ville sans rien lui apporter du point de vue de l’activité. Idem pour la gare, autrefois très fréquentée, elle a été délaissée au profit de la voiture individuelle (années 1970) et rares sont désormais les trains qui s’y arrêtent. Pourtant, la circulation ferroviaire n’a pas décru.

Le contournement inauguré en 2010 libère la ville du flot de voitures et camions qui font partie du mode de fonctionnement économique actuel. Mais il contribue à vider un peu plus le centre-ville et à faire de Pont-de-l'Arche une cité-dortoir, une périphérie de Rouen, Val-de-Reuil, voire de Paris (cliché Armand Launay, 2013).

Le contournement inauguré en 2010 libère la ville du flot de voitures et camions qui font partie du mode de fonctionnement économique actuel. Mais il contribue à vider un peu plus le centre-ville et à faire de Pont-de-l'Arche une cité-dortoir, une périphérie de Rouen, Val-de-Reuil, voire de Paris (cliché Armand Launay, 2013).

 

Mais ces immenses réseaux de transport servent aussi à mieux mettre en concurrence les travailleurs et à les exploiter. Ainsi, les travailleurs doivent déménager pour obtenir un emploi. Maints Archépontains ont quitté leur région et leur sociabilité d’origine pour bénéficier d’un emploi ailleurs, parfois très loin (cet article est rédigé à 9000 kilomètres de Pont-de-l’Arche). Inversement, une immigration massive, issue désormais de tous les continents, vient fournir un contingent de travailleurs souvent plus exploitables. Les routes ont donc été goudronnées après 1945, les routes nationales cèdent peu à peu la place à un réseau autoroutier. C’est en 1970 que Pont-de-l’Arche s’est retrouvé à une heure de route seulement de Paris par la construction du tronçon Les Essarts-Heudebouville de l’autoroute de Normandie. Le contournement sud de la ville, inauguré en 2010, a pour fonction de relier des parties d’autoroute afin d’éviter un péage supplémentaire. Il libère aussi la ville du trafic routier mais la vide encore d’une part de sa clientèle. Aujourd’hui, il est question de construire une nouvelle autoroute afin de contourner par l’Ouest l’agglomération de Rouen et ce en longeant le Val-de-Reuil, Léry et en coupant de nouveau la Seine au niveau du Manoir.

Le capitalisme a aussi été contraint de changer un peu. Après des études et des luttes socialistes, après constatation de la logique perverse de la course au profit à court terme (crise de 1929, déclenchement des guerres), le capitalisme a intégré, par la force, une dose de keynésianisme. Cette doctrine de l’économiste britannique John Maynard Keynes (1883-1946) pose que l’État doit réguler le capitalisme et imposer une dose de démocratie dans le fonctionnement autocratique (le pouvoir d’un seul) de l’entreprise. Keynes a montré qu’il était bénéfique de réguler l’économie et d’augmenter les dépenses publiques pour relancer la commande, donc la production, donc l’emploi et, ainsi, la prospérité. Depuis les années 1930 ‒ à l’initiative notamment de député de Louviers, Pierre Mendès-France, devenu ministre ‒ la France est entrée en partie dans le keynésianisme. En augmentant les salaires, en officialisant la mutualisation de certaines caisses (sécurité sociale, retraite...), les travailleurs ont accédé à un meilleur niveau de vie. C’est ce qu’on appelle l’État providence, l’État qui intervient au nom des citoyens qui se protègent des aléas de la vie. Pour cela, l’État réutilise largement les outils monétaires du capitalisme. Les travailleurs deviennent donc de plus grands consommateurs à défaut, peut-être, d’en être de meilleurs.

Cette logique a renforcé la consommation de masse et la logique capitaliste s’est renforcée. Une partie des opposants au capitalisme sont devenus, presque malgré eux, les chantres d’une consommation de masse appelée “pouvoir d’achat”, “accès aux services” et qui passe pour sociale. Or, le keynésianisme s’est retrouvé noyé dans une nouvelle phase de dérégulation du capitalisme dans les années 1980. La population est sommée, depuis, de travailler plus pour gagner plus et... consommer plus ; tout cela en croyant que ses intérêts sont ceux du grand capital.

 

Les services publics pallient les défauts du mode de fonctionnement capitaliste et lui donnent, peut-être, un visage humain avant la prochaine crise (cliché Armand Launay, 2014).

Les services publics pallient les défauts du mode de fonctionnement capitaliste et lui donnent, peut-être, un visage humain avant la prochaine crise (cliché Armand Launay, 2014).

 

Le secteur de l’immobilier illustre cela qui a fait l’objet d’un développement capitaliste. Suscitant le désir des gens d’habiter dans des logements agréables, vastes, avec chambres individuelles, places de parking… des entreprises se sont développées autour de la vente de terrains, de construction et de vente de biens immobiliers. D’un centre-ville médiéval ramassé derrière ses remparts, la ville s’est étalée sur la majeure partie des terres cultivables tout en abandonnant la culture vivrière par les potagers et autres vergers. Seule une exploitation agricole perdure sur quelques terres archépontaines et, surtout, criquebeuviennes (Jean-Marie Delimbeuf, abbaye de Bonport, avec en sus une activité de production de machines d’exploitation agricole et forestière). Les petites maisons qui accueillaient encore de grandes familles dans les années 1960 ont été délaissées par de grandes maisons accueillant en moyenne 4 personnes aujourd’hui. Cette marchandisation des sols et de la construction a fait doubler la population archépontaine : de 2025 personnes en 1946, la population était de 4223 personnes en 2015. Ce doublement n’est pas dû à une activité intense des Archépontains autour du lit conjugal mais bien plutôt à l’attraction de populations nouvelles, cherchant un cadre de vie agréable et doté de services publics variés proches de leurs lieux de travail à Rouen, ou Val-de-Reuil... Les maisons sont, le plus souvent, isolées au milieu d’une propriété et donc moins propice au contact. Elles constituent de petits châteaux où leurs résidents peuvent avoir ‒ pour certains ‒ la sensation de s’autosuffire dans les loisirs fournis par les appareils tels que la télévision et l’ordinateur. Pour payer ces belles demeures, les foyers consacrent un budget de plus en plus lourd à l’immobilier, que ce soit à l’achat ou à la location. Les sols se faisant rares, ils n’en deviennent que plus précieux donc plus chers. Les foyers s’endettent car les banques font recette sur les prêts, tout comme elles le font sur les États qui commandent beaucoup aux grands groupes (infrastructures, routes…). Les habitants ayant été formés à l’esprit capitaliste, nombre d’entre eux spéculent sur la valeur des biens et les mettent en location afin de courir au profit, faisant ainsi monter plus encore les loyers. Il n’est pas étonnant que les agences bancaires soient devenues nombreuses dans le centre-ville commerçant où les logements vides sont de plus en plus nombreux.

Cette très forte demande immobilière explique aussi pourquoi l’exploitation des carrières s’est répandue dans la vallée de la Seine. Pour ne citer que les communes jouxtant Pont-de-l’Arche, les sablières ont déformé le paysage à l’orée de la forêt à Martot et Criquebeuf, le fond de vallée à Igoville, Alizay et Martot et la vallée de l’Eure à Val-de-Reuil, Léry et Poses où des lacs de loisirs ont rempli et remplacé les anciens lieux d’extraction des sables et graviers.

 

 

Pour satisfaire le secteur de la construction immobilière, en pleine explosion depuis 1945, la ville de Pont-de-l'Arche est encerclée de carrières de sables et graviers (cliché Armand Launay, 2006).

Pour satisfaire le secteur de la construction immobilière, en pleine explosion depuis 1945, la ville de Pont-de-l'Arche est encerclée de carrières de sables et graviers (cliché Armand Launay, 2006).

 

3.3. Un quartier périphérique à animer.

La course aveugle vers le profit, qui caractérise la logique capitaliste de libération du désir, pose de nombreux problèmes concrets et moraux. Les luttes républicaines et ouvrières l’ont démontré. Elles conduisent les victimes, quand elles sont conscientes, à exiger que les autorités publiques obtiennent de nouvelles prérogatives pour réguler et, si possible, équilibrer les rapports sociaux afin d’espérer améliorer l’intérêt général.

Pont-de-l’Arche fut un pôle militaire, administratif puis industriel. La ville a été dépossédée de ses atouts. Elle est aujourd’hui essentiellement à côté des flux. Elle est le lieu de quelques industries, devenues rares, voire précaires. Son centre-ville commerçant et artisan perd de son attractivité. Pont-de-l’Arche constitue un quartier périphérique où les travailleurs veulent se reposer en fuyant le fonctionnement du monde qu’ils contribuent à faire vivre. La ville est un quartier de Val-de-Reuil, de Rouen et, moindrement, de Paris. Certains traitent de cité-dortoir.  

La commune et la Communauté d’agglomération Seine-Eure (CASE, fondée en 1997) sont en charge de nombreuses demandes. Le développement économique en revient à la CASE qui promeut le territoire et favorise l’implantation d’industries et de services à l’échelle de l’agglomération. À ce titre, un village d’artisans, baptisé “la lisière” a été implanté à Pont-de-l’Arche en 2014 le long du contournement sud. La CASE a entériné le fait que le centre-ville n’existe économiquement plus selon cette logique. À destination des employés, la commune et certains services d’État, ou délégataires, accompagnent la population vers le retour à l’emploi. Concernant les commerces et artisans, près de 60 sur toute la ville, la commune a ‒ le plus souvent ‒ repris les animations autrefois assurées par l’Union commerciale. La commune propose ainsi des animations de Noël, une communication et un soutien au tourisme par le biais du terrain de camping municipal et autres activités. Elle propose aussi une participation à la Journée nationale du commerce de proximité, des repas en plein air animés de concerts dansants l’été (les Nocturnes du vendredi), des expositions d’arts plastiques, une commande directe pour la cérémonie des vœux...  

Les élus doivent aussi se mobiliser afin de sauvegarder au mieux l’industrie locale. C’est ce qu’a démontré la volonté de l’entreprise Mreal de fermer définitivement sa papèterie d’Alizay ; ceci afin de raréfier la production et donc de vendre plus chers ses produits par une entente avec ses “concurrents” ayant chacun fermé un site de production. Il a fallu une mobilisation sans relâche des employés, par le biais des syndicats et avec l’aide d’élus et de collectivités, afin que la papèterie puisse continuer à exister mais en devenant, en 2013, une propriété du groupe thaïllandais Double A. Ceci ne garantit en rien les décisions à venir de cette entreprise pour qui Alizay (150 employés) n’est qu’un point sur la carte.

 

 

La commune et des organismes d’Habitations à loyers modérés (HLM) tentent de loger les personnes exclues du marché économique ou mal incluses. La commune tente de respecter la loi relative aux Solidarités et au renouvellement urbains (SRU, adoptée en 2000) qui dispose qu’au moins 20 % des logements doivent être dévolus à l’habitat solidaire. La population semble donc mise à mal par la spéculation immobilière. Mais le nouveau type d’habitat ‒ et le fait de rassembler des populations venues de différents horizons ‒ semble poser des problèmes de sociabilité : la commune est tenue d’offrir des services palliant ces lacunes et rapprochant les gens dans un concept nouveau appelé la “cohésion sociale”.

La mise en concurrence et le besoin de formation à des emplois plus techniques conduit les parents à désirer un système scolaire performant et donc à développer les infrastructures. Les parents étant pris par un emploi, le plus souvent hors de Pont-de-l’Arche, la commune se voit chargée d’occuper les jeunes par une crèche, un relai des assistantes maternelles, un service parentalité, puis un accueil périscolaire le matin, le midi et le soir, une cantine, un accueil de loisirs, un espace pour les adolescents et les jeunes adultes. Une politique de jeunesse a ainsi émergé depuis les années 1970.

En matière de lien social, toujours, la commune se doit de plus en plus de produire les occasions où les gens peuvent se rencontrer, faire connaissance. Cela allait naguère de soi car les gens se fréquentaient nécessairement en tant que voisins, membres de familles locales, passants dans les rues du quotidien, clients des mêmes commerces, membres des mêmes associations (fanfare, majorettes, paroisse, partis, clubs sportifs) et collègues dans les entreprises de la ville. Depuis les années 1950 la sociabilité, largement par le biais des loisirs, fait l’objet d’un projet politique de plus en plus fort. La municipalité doit proposer une salle des fêtes (1954), une piscine (pendant quelques années), et mettre des infrastructures, souvent sportives, à la disposition des habitants par le biais des associations. Elle propose un agenda culturel et soutient techniquement et financièrement les associations, notamment par la mise à disposition de locaux communaux.  

 

En ce qui concerne les vieilles personnes, la commune et divers organismes publics doivent intervenir pour pallier le manque de présence de familles et l’accroissement de la durée de vie nécessitant une vigilance et des soins médicaux. Ainsi l’Établissement hospitalier pour personnes âgées dépendantes (l’EHPAD Julien-Blin) est devenu l’un des grands employeurs de la ville (plus de 50 personnes, même si cela ne suffit pas à l’augmentation des exigences de soins). La commune a pris en charge la résidence pour personnes âgées “Les Pins” en 2016 et propose des moments de sociabilité dont certains sont appelés “intergénérationnels”.

Autre aspect non négligeable des actions à entreprendre : l’environnement. Puisque la majeure partie des terres sont désormais construites, les espèces se font rares, l’écosystème est perturbé et la pollution omniprésente. L’action publique travaille à la qualité des eaux, des berges, de l’air, de l’entretien des espèces végétales naturelles, de la circulation des animaux malgré le contournement et l’autoroute, en forêt de Bord. En effet, la forêt de Bord est aussi exploitée avec visée de rendement. Ses parcelles sont taillées en quatre, ses essences choisies aux fins de commercialisation par l’Office national des forêts.  

Les espaces libres sont devenus rares. Cependant, la commune continue à bétonner selon une logique de production effrénée. Il s’agit désormais de construire dans les “dents creuses”, de densifier l’habitat, de “reconstruire la ville sur la ville”. La commune ressemble, depuis les 1950, à un promoteur immobilier qui voit le nombre d’habitants comme une recette fiscale, un rendement. Quand les habitants souhaitent conserver un espace non bâti, cela peut faire l’objet d’une lutte comme autour d’un lot de la Pommeraie ; lutte qui a participé de la chute du maire Paulette Lecureux en 2001.  

Il s’ensuit une prise d’importance de l’action et de l’emploi publics. Elle se manifeste dans la structure de l’emploi ; la commune étant devenue le plus grand employeur de Pont-de-l’Arche avec près de 90 personnes salariées en 2018. Ceci sans compter les agents publics des différentes administrations d’État, du département, de la CASE qui interviennent sur le territoire communal.  

 

Image industrielle dans la froidure de l'hiver 2011. Ici les toits de l'usine Marco depuis les bureaux de la mairie (cliché Armand Launay).

Image industrielle dans la froidure de l'hiver 2011. Ici les toits de l'usine Marco depuis les bureaux de la mairie (cliché Armand Launay).

Conclusion

Nous nous posions comme problème central : est-il possible de déterminer le ou les moteurs d’une économie archépontaine, selon les époques, et d’en déduire l’impact sur la sociabilité ?

Après cette étude, qui commence à ressembler à un plan de mémoire de Master, nous sommes tentés de répondre par l’affirmative.

Nous avons découpé l’histoire de Pont-de-l’Arche en trois périodes. La première regroupe le Moyen âge et l’Ancien régime. D’un point de vue patrimonial, c’est le Pont-de-l’Arche intramuros qui témoigne aujourd’hui encore, partiellement, de ce que fut la cité du roi. Le centre-ville fourmillait d’activités de services pour les familles nobles, officiant pour le roi, ainsi que pour la garnison de la ville et de Limaie. Un marché et une halle attiraient les producteurs et les acheteurs de la région. Les voyageurs trouvaient dans cette étape sur la voie Paris-Rouen et dans ce point de passage sur la Seine, un ensemble de services de restauration, hôtellerie, cordonnerie… La population se voyait contrainte de produire et importer de quoi assurer le fonctionnement de cette place forte du roi. Elle y était pleinement occupée même si elle demeurait généralement pauvre.

La deuxième période concerne la révolution industrielle et le développement d’un savoir-faire local : le chausson, puis la chaussure. C’est le Pont-de-l’Arche intramuros ainsi que celui des faubourgs qui en témoignent. Des centaines d’Archépontains se sont retrouvés salariés et ouvriers. Leurs conditions de vie sont restées frugales, voire misérables. Leurs intérêts se sont rejoints dans la revendication de droit sociaux et de meilleures conditions de vie. Ce peuple a habité dans les petites maisons médiévales et les quelques logements ouvriers des faubourgs. Il a fait vivre le commerce et la sociabilité du centre-ville.  

La troisième période concerne l’après-guerre et le franchissement d’une nouvelle étape de concentration capitaliste des moyens de production. C’est le Pont-de-l’Arche des nouveaux quartiers et des aménagements publics. La sociabilité a explosé afin de se conformer aux investissements capitalistes. Les entreprises de chaussures ont fermé leurs portes, hormis Marco. D’autres industries vont et viennent, sans garantie de rester à moyen terme. Une partie de la population a quitté les lieux pour trouver meilleur emploi. Une large partie de la population est venue s’installer récemment dans les nouveaux quartiers issus de la spéculation foncière et immobilière. Désormais, une très large partie des habitants ne travaillent pas dans la ville et fréquentent un réseau routier aussi immense que l’argent qu’il engloutit dans sa construction et son entretien. Ces habitants résident dans des quartiers peu propices au lieu social, hormis le voisinage immédiat. Les pouvoirs publics sont sommés de pallier le manque de sociabilité par une offre de loisirs, de formation, de culture. Ils sont sommés de donner une place professionnelle aux habitants ou, à défaut, un toit, une subsistance.   

La ville a largement perdu son rôle central en matière d’échanges. Les habitants échangent surtout en dehors de la ville. Le centre-ville se vide de sa substance, bien qu’il résiste mieux que dans beaucoup d’autres cités. Ce n’est pas une question de rentabilité qui nous intéresse mais bien plutôt de rôle social, d’habitude au contact qui manque à nombre d’habitants. Il semble que les habitants aient beaucoup perdu en qualité de vie à cause des choix économiques d’une minorité. Nous avons même l’impression d’une aliénation des consciences tant ce mode de vie semble normal, ou acceptable, pour de nombreuses personnes isolées dans leurs maisons et qui ne fréquentent ni les rues ni les associations sauf, peut-être, pour les loisirs de leurs enfants.    

Sans en faire une revendication, c’est le paradigme marxien qui nous a le plus aidé dans l’analyse de l’économie locale. En effet, sans trop y réfléchir on pourrait se leurrer en croyant que la pensée de Karl Marx valait pour une période révolue depuis le début de la désindustrialisation. Or, sa pensée, celle du Capital en particulier, est plus d’actualité que jamais : les bras locaux ne sont plus guère nécessaires car il en existe de plus exploitables ailleurs. Il semble que ce soit le keynésianisme, c’est-à-dire grossièrement le pouvoir d’achat donné par l’État ‒ dit providence ‒ aux habitants, qui rende intéressants les habitants et la région aux yeux des investisseurs capitalistes. Mais l’argent continuera-t-il à couler ? Qui plus est, cette vision très monétaire des choses donne l’illusion, à grands renforts de transferts de sommes, que chacun peut vivre satisfait sans contact réel avec autrui et sans devoirs envers lui. C’est une vision aveuglée par la course à l’argent et aux plaisirs à court terme. Les rapports humains doivent être soignés et les consciences doivent réaliser combien notre système économique nous coute cher en bienêtre.

 

Armand Launay

Pont-de-l'Arche ma ville

http://pontdelarche.over-blog.com

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16 janvier 2016 6 16 /01 /janvier /2016 19:05
Carte postale des Amis de l'école laïque, association à vocation pédagogique et militante présidée par Emile Chary, militant radical-socialiste, avec la participation active du directeur de l'école des garçons, le militant socialiste SFIO Louis Guérin. Ici, près de 110 enfants de la section de gymnastique photographiés devant le mur de la ferme autrefois située au bout de la cour du groupe scolaire Maxime-Marchand (ferme remplacée par la résidence Lucie-et-Raymond-Aubrac).

Carte postale des Amis de l'école laïque, association à vocation pédagogique et militante présidée par Emile Chary, militant radical-socialiste, avec la participation active du directeur de l'école des garçons, le militant socialiste SFIO Louis Guérin. Ici, près de 110 enfants de la section de gymnastique photographiés devant le mur de la ferme autrefois située au bout de la cour du groupe scolaire Maxime-Marchand (ferme remplacée par la résidence Lucie-et-Raymond-Aubrac).

 

Avec nos remerciements à Loïc Lemarchand pour ses informations et la motivation insufflée.

 

 

Né au Havre en 1889, Louis Guérin devint directeur de l’école de Pont-de-l’Arche (qui était alors dans la salle Ambroise-Croizat, près de l’église) en 1930. Son arrivée fut saluée par le journal L’Industriel de Louviers. Dans son édition du 11 janvier 1930, il relata le remplacement de M. Hubert, directeur de l’école de garçons, par M. Guérin, précédemment instituteur à Bosc-Roger-en-Roumois. Louis Guérin retrouva donc Pont-de-l'Arche où il était instituteur au moins durant l'année 1912.

 

Voilà un enseignant qui fit polémique, durant le Front populaire, à cause de ses convictions socialistes avancées (il était membre de la SFIO et de tendance révolutionnaire). Louis Guérin a rejoint une association nommée les Amis de l’école laïque et animée par des militants radicaux-socialistes. Parmi les activités de cette association, il y avait la très populaire fête de la jeunesse, rassemblement annuel de défilés des enfants des écoles publiques.  

Louis Guérin se fit très vite mal voir du conseil municipal présidé par le maire conservateur Charles Morel. Ainsi la délibération du 12 juillet 1933 rapporta que le maire était invité à la fête de la jeunesse, dimanche 16 juillet, par M. Guérin, directeur de l’école. Le maire demanda ‒ pour la forme ‒ à ce que le Conseil municipal dans son entier fût invité, contrairement à ce qui fut fait à la fête de 1932. Le maire précisa ensuite au président des Amis de l’école laïque, Émile Chary, qu’il était loin d’être hostile envers l’école laïque (pour preuves la subvention à la caisse des écoles, au prix du 14-Juillet et l’aboutissement prochain du projet de création du groupe scolaire… Ainsi, Louis Guérin fut le premier directeur du groupe scolaire que nous connaissons de nos jours). Ceci pour préparer à une mise en garde : le Conseil municipal « Réprouve les agissements de certains qui, sous le couvert de la fête de la jeunesse, cherchent à faire une propagande de leur politique marxiste. » Les rad-soc, ça passe encore, les socialistes non ! S'il n'était pas nommé, Louis Guérin était clairement visé.

Cela ne refroidit nullement notre homme. Révolutionnaire, il est compté ‒ au moins pour l’année 1935-1936 ‒ parmi les précurseurs de la pédagogie de Célestin Freinet, pédagogie voulant placer la créativité de l’enfant au cœur de la construction des apprentissages. Autogestion, quand tu nous tiens…  

La même année, le Conseil municipal parvint à démontrer que Louis Guérin n’enseignait pas que la morale républicaine en classe mais diffusait ses idées socialistes. La délibération du 25 septembre 1935 relata que M. Guérin avait « violé la neutralité scolaire » en montrant une brochure intitulée « Les Faucons rouges ». Pour les élus conservateurs, c’était une documentation “socialiste à tendance communiste”, ce qui est vrai dans la mesure où cette revue prônait la révolution complète du système et, par conséquent, la formation dès à présent les cadres du prochain pouvoir socialiste. Une pétition de parents d’élèves fut initiée, signée puis envoyée au ministère. M. Guérin reconnut avoir diffusé les idées socialistes incriminées. Preuve à l’appui, le Conseil municipal vota une motion de “déplacement” de M. Guérin dans une autre école et vota un “blâme les instituteurs qui se livrent dans l’exercice de leurs fonctions à une propagande néfaste contre la Famille et contre la Patrie.” On apprécie la politesse du pluriel employé et, mêmement, que le mot travail n’ait pas ‒ déjà ‒ été utilisé avant la “famille” et la “patrie”.  

Militant convaincu, en 1937 Louis Guérin était secrétaire du Comité des loisirs. Le 1er-mai, à l’occasion de la Fête du printemps organisée par les Amis de l’école laïque, M. Maze, secrétaire du comité national des loisirs exposa les buts de ce comité… “Les loisirs ne doivent pas être le privilège d’une élite, mais être distribués à tous. (...) Le machinisme, qui tend de plus en plus à remplacer l’ouvrier, ne doit pas servir à occasionner du chômage, mais à procurer des loisirs à l’ouvrier. (...) Des organisations de loisirs existent dans la plupart des pays étrangers. Il a fallu attendre l’avènement d’un gouvernement de Front populaire pour en créer en France.” Puis M. Degouey, directeur du tourisme aux chemins de fer de l’État indiqua les facilités offertes par les “billets Léo Lagrange” (billets de fin de semaine, billets de famille…). Les adhésions à ce comité furent enregistrées par M. Guérin. Puis des films furent projetés, dont un sur le familistère de Godin...  

Dans la délibération du 27 octobre 1938, les élus communaux, présidés par Raoul Sergent, reprochèrent à M. Guérin de se livrer « à des attaques contre la religion, méconnaissant ainsi les principes fondamentaux de neutralité de l’école laïque. » Ils relayaient ainsi la plainte que Maurice Desdouits, curé de la paroisse, avait adressée au préfet. En 1938, toujours, on retrouve Louis Guérin en tant que secrétaire du Bureau de la Ligue des droits de l’Homme de Pont-de-l’Arche (délibération du 5 février 1938).

Puis nous perdons trace de ce personnage qui campe admirablement ‒ à l’échelle de notre bon Pont-de-l’Arche ‒ les débats passionnés et les mutations sociales, voire symboliques, qui ont refaçonné la France dans les années 1930. Loïc Lemarchand nous apprend que Louis Guérin fut instituteur de la proche commune de Canappeville de 1923 à 1927 et qu’il décéda en 1963 à Sotteville-lès-Rouen.

Reproduction d'une photographie éditée suite à la Fête du printemps de 1937 organisée par les Amis de l'école laïque de Pont-de-l'Arche. Endoctrinement politique ou démonstration, par l'exemple, de la force créatrice et pédagogique ? Le débat était déjà vif en ce temps à ce sujet...

Reproduction d'une photographie éditée suite à la Fête du printemps de 1937 organisée par les Amis de l'école laïque de Pont-de-l'Arche. Endoctrinement politique ou démonstration, par l'exemple, de la force créatrice et pédagogique ? Le débat était déjà vif en ce temps à ce sujet...

Armand Launay

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15 octobre 2013 2 15 /10 /octobre /2013 15:36
L'école-mairie de Montaure a perdu son école et donc la cour de récréation protégée par un portail. Elle a, en revanche, gagné une fenêtre au rez-de-jardin (clichés contemporains Armand Launay, aout 2013).L'école-mairie de Montaure a perdu son école et donc la cour de récréation protégée par un portail. Elle a, en revanche, gagné une fenêtre au rez-de-jardin (clichés contemporains Armand Launay, aout 2013).
L'école-mairie de Montaure a perdu son école et donc la cour de récréation protégée par un portail. Elle a, en revanche, gagné une fenêtre au rez-de-jardin (clichés contemporains Armand Launay, aout 2013).L'école-mairie de Montaure a perdu son école et donc la cour de récréation protégée par un portail. Elle a, en revanche, gagné une fenêtre au rez-de-jardin (clichés contemporains Armand Launay, aout 2013).

L'école-mairie de Montaure a perdu son école et donc la cour de récréation protégée par un portail. Elle a, en revanche, gagné une fenêtre au rez-de-jardin (clichés contemporains Armand Launay, aout 2013).

Avec une construction datée de 1874, l’école-mairie montre une commune de Montaure légèrement en avance sur l’arrivée du républicanisme. En effet, ce n’est qu’en 1875 que la France a été définie comme une république (l’amendement Wallon) et en 1879 qu’un président authentiquement républicain fut élu en la personne de Jules Grévy. Or, le programme républicain s’accompagnait de l’établissement de l’école publique gratuite et obligatoire, sous le ministère de Jules Ferry, et la construction de mairies.

Ceci démontre l’attachement des Montaurois à la république. Dans notre circonscription, Montaure était même le plus grand fief radical avec Les Damps. Le mémoire de Françoise Chapon sur Pierre Mendès France montre qu’en 1936 seules Les Damps et Montaure dépassaient les 60 % de voix en faveur de la gauche radicale de Pierre Mendès France (48 % de moyenne cantonale). Cet attachement républicain se lisait encore en 1959 où André Martin, maire radical-socialiste de Montaure, fut élu conseiller général après un premier tour où il rassembla 37,5 % des voix (contre 33,5 % des voix au communiste Vigor). Il poursuivit la politique de son prédécesseur Pierre Mendès France. 

 

Sources

Bodinier Bernard, « L’enracinement local de Pierre Mendès France », page 93, Franche Dominique, Yves Léonard, Pierre Mendès France et la démocratie locale : Actes du colloque du conseil général de l’Eure, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2004, 224 pages ;

Chapron Françoise, « Etude d’une circonscription radicale originale sous la IIIe République : Pierre Mendès France à Louviers (1930-1939) », Mémoire de maitrise en histoire contemporaine, 1981, 149 pages ;

Collectif, La Dépêche, n° du 15 juillet 1959.

 

A lire aussi... 

La biographie d'André Martin dans notre article consacré à la Résistance

Deux plaques inaugurales furent posées sur l'école-mairie. Une d'entre elle existe toujours qui porte le nom du Sous-préfet Jules Develle (cliché Armand Launay, octobre 2013).

Deux plaques inaugurales furent posées sur l'école-mairie. Une d'entre elle existe toujours qui porte le nom du Sous-préfet Jules Develle (cliché Armand Launay, octobre 2013).

Armand Launay

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28 février 2013 4 28 /02 /février /2013 22:03

Article publié dans Pont-de-l'Arche magazine n° 10 (hiver 2010) avec nos remerciements à Jean-Jacques Morel. 

 

Charles Morel est né à Pont-de-l'Arche le 15 mai 1882 et décédé à son domicile de la Vènerie (rue Charles-Cacheleux) le 15 novembre 1967 à 85 ans. Il repose aux côtés de son épouse et de ses fils dans le caveau familial au cimetière communal.

Fils d'Edouard Désiré Gustave Morel (1848-1896) et de Marie Désirée Lefebvre, il devint orphelin à 14 ans. Il quitta alors Pont-de-l’Arche pour faire un tour de France au cours duquel il apprit le travail de la chaussure de A à Z : ouvrier, contremaitre puis chef de fabrication à Bordeaux puis Paris. Il revint au pays et épousa Léontine Orélie Julienne le 5 novembre 1906 à Saint-Pierre-lès-Elbeuf. De cette union, il eut deux fils : Jacques (1909-1970) et Raymond (1915-2003). 

 

Charles-Morel.JPG

 

L'industriel

Le 15 mai 1911, Charles Morel créa sa première usine (41, rue de Caudebec) à Elbeuf. Il fut activement secondé par son épouse et l’entreprise sut se positionner sur le marché. En 1922, il monta l'usine d'Igoville, (rue de l'Andelle, près de Super U) puis, en 1929, l'usine de Pont-de-l'Arche (rue Charles-Cacheleux, remplacée par la résidence Les Marquises). Il devint l'un des principaux employeurs de la région.

Son fils Jacques dirigea l'usine d'Igoville spécialisée dans la fabrication de chaussures pour homme et son fils, Raymond, dirigea l'usine de Pont-de-l'Arche spécialisée dans la fabrication de chaussures pour dames. En 1964, ces deux usines réunirent leurs activités sur le site de Pont-de-l'Arche qui fut alors agrandi. Cependant, cette usine fut confrontée à la hausse de ses couts de production en 1968. Elle ferma ses portes à la fin de l’année.

A lire : Pont-de-l'Arche, cité de la chaussure. 

 

Le maire

Charles Morel était un homme de contact. Fort de son relationnel et de son expérience, il s'investit pleinement dans la vie de la commune. Il exerça plusieurs mandats de maire : de 1930 à 1935 et de 1935 à juillet 1936 où il démissionna, laissant le siège à son bras droit Raoul Sergent, par ailleurs Conseiller général. Charles Morel fut aussi maire du 30 octobre 1947 au 8 mai 1953. Puis il fut conseiller municipal du 14 mai 1953 au 20 mars 1959. Durant son premier mandat, il porta l’étiquette de l’Union républicaine démocratique (URD), formation de droite qui le mettait en lien direct avec Maurice Hervey, vice-président du Sénat et élu local. Son premier mandat fut marqué par le déblocage du projet de construction d’un groupe scolaire. Le groupe scolaire (actuellement Maxime-Marchand) fut inauguré le 25 novembre 1934 en présence du ministre de l'Education nationale, André Mallarmé qui remercia Charles Morel de son investissement personnel. En 1950, il ouvrit le dossier de création d'une nouvelle salle des fêtes en raison du percement de la déviation menant au nouveau pont

 

Un homme investi

Charles Morel fut fondateur de l'Union sportive d'Igoville et de la société des Trompes de chasse de Pont-de-l'Arche. Il présida aussi la fanfare municipale. Il entretint de bonnes relations avec Pierre Mendès France.

Il fut l'ami d'Olympe Hériot avec qui il pratiqua longtemps la chasse à courre. Grand bourgeois, Olympe Hériot avait fait bâtir en 1905 un ensemble d'édifices baptisé la Vènerie. Sur la route de Louviers, à l'orée du bois, il vint ainsi souvent à Pont-de-l’Arche pour pratiquer la chasse à courre. Lorsqu'il quitta la ville, il souhaita que la Vènerie soit reprise par son ami Charles Morel, qui accepta. Ce dernier y entretint une écurie de chevaux de courses ; des trotteurs qu'il emmenait lui-même et qu'il faisait courir sur les hippodromes normands. Il existait en forêt de Bord une piste spécialement aménagée où il entrainait ses chevaux. Cette ligne parallèle à la route de Cobourg s'appelle aujourd'hui l'allée des Cavaliers.

 

Charles-Morel-et-Olympe-Heriot.JPG

Charles Morel et Olympe Hériot devant l'église Sainte-Anne de Tostes.

 

Charles et Léontine Morel fêtèrent leurs noces d'or en l'église Notre-Dame-des-arts le 5 novembre 1956. Cette église bénéficia de l’attention de Léontine Morel qui demeure la marraine de la 3e cloche, baptisée Léontine, et fondue dans l’atelier Peeters à Villedieu-les-Poêles. Elle fut apportée à Pont-de-l’Arche par un camion de l'usine Morel et fut inaugurée le 4 avril 1943 en présence du maréchal Philippe Pétain.

Charles Morel fut nommé Chevalier de la Légion d'honneur et Officier de palmes académiques. 

 

Sources

Archives de la famille Morel

Registre des délibérations du Conseil municipal

 

 

A lire aussi... 

Les maires de Pont-de-l'Arche

 

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27 février 2013 3 27 /02 /février /2013 17:17

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1958 : naissance à Pont-de-l’Arche de « Cours complémentaires » après le CM2 suite au travail de l’inspecteur d’académie, M. Brulfert. Il sollicita M. Dalle, professeur de français, pour donner des cours dans le groupe scolaire Maxime-Marchand. Les Cours complémentaires furent transformés, par un décret de 1959, en Collège d’enseignement général (CEG). Son directeur est Marceau Lavallée, par ailleurs conseiller municipal. 

1966 : Lors du Conseil municipal du 16 février, les élus ont écouté le maire, Roland Levillain, rapportant la lettre de l’Inspecteur d’académie portant sur le remplacement du Collège d’enseignement général (CEG) par le Collège d’enseignement secondaire (CES).

1966 : Lors du Conseil municipal extraordinaire du 20 avril, les élus acceptent la construction d’un CES, selon la demande du Préfet, « en construction industrialisée ». L’Etat est maitre d’ouvrage. La commune paiera sa part. Le terrain choisi est situé entre la rue Maurice-Delamare et le tout nouveau Lotissement de la forêt.

1967 : construction des bâtiments par la Ville de Pont-de-l'Arche dont le maire est Roland Levillain.

1969 : nationalisation des collèges.

1978 : création du Syndicat intercommunal du secteur scolaire du CES de Pont-de-l'Arche pour mieux concerter les communes quant à l'entretien des locaux. Il est présidé par Jean-Pierre Binay, adjoint au maire de Pont-de-l'Arche.  

1983 : le Syndicat intercommunal du collège permet la création du self du collège.  

1983 : La loi du 22 juillet transfère la gestion et la propriété des collèges aux Conseils généraux.  

1986 : inauguration du gymnase du collège suite à l'implication de Paulette Lecureux, présidente du Syndicat intercommunal du collège et adjointe au maire de Pont-de-l'Arche. 

1987 : le 10 octobre, le collège est officiellement nommé Hyacinthe Langlois en présence du maire Roger Leroux et la principale Chantal Leroy. L'idée de donner ce nom revient à Anita Patin et Simone Sauteur

 

Bulletin-municipal-inauguration-college-Langlois-1-.JPG

Le maire, Roger Leroux, et la principale, Chantal Leroy, lors de l'inauguration devant l'ancien bâtiment de l'administration. Le menhir couché est un clin d'oeil à Hyacinthe Langlois, dont la tombe, située dans le cimetière monumental de Rouen, est ornée d'un menhir.   

 

1995-1997 : le collège est rénové. Le bâtiment de l’administration, faisant front à la rue Kennedy, est rasé. Une aile est construite rassemblant les deux bâtiments de cours et l’administration est intégrée dans une extension. Un bâtiment d’accueil est créé.  

2012 : les terrains du collège sont officiellement cédés par la Ville de Pont-de-l’Arche au Département, réparant un oubli de longue date…

2020 : Le stade Jacques-Havet, face au collège, est démoli pour le compte de la Ville de Pont-de-l'Arche. Celle-ci va céder ce terrain au Département afin qu'il y construise le futur collège, bâti pour durer, à partir de 2021. Les locaux du collège actuel seront rasés et son espace cédé à la Ville de Pont-de-l'Arche qui projette d'y bâtir un quartier d'habitation.  

 

Sources

Le Trait d’union, bulletin d’informations municipales

Registres des délibérations du Conseil municipal

 

Armand Launay

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23 février 2013 6 23 /02 /février /2013 22:50

Donner un nom de personne à une rue démontre l’envie de disputer à l’oubli les mérites d’un individu estimé. Mais la mémoire doit s’entretenir car le nom de « rue Blin », par exemple, n’évoque plus dans les esprits qui fut Julien Blin, ancien maire et bienfaiteur de Pont-de-l’Arche.

 

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La rue Julien-Blin en 2012 (photo Armand Launay)

 

Julien Robert Alexandre Blin naquit le 1er octobre 1738 et mourut le 29 novembre 1826. Nous n’avons pas trouvé de lien généalogique avec la famille Blin d’Elbeuf. Il était ingénieur des ponts et chaussées, Pont-de-l’Arche étant un point stratégique sur la Seine.

 

Nommé maire en période de crise

Avec le retour de la monarchie, l’Etat, par le biais de la Préfecture de l’Eure, nomma Julien Blin à la fonction de premier magistrat de Pont-de-l’Arche, ce qu’il assuma jusqu’à sa mort. Son mandat est caractérisé par un assainissement des comptes de la ville. Déficitaires en 1815, les comptes étaient excédentaires en 1826 notamment grâce aux réclamations systématiques de sommes indument payées par la Ville à la Préfecture ou, tout simplement, dues par la Préfecture.

 

Un bienfaiteur durant son mandat

Julien Blin fit don de nombreux biens immobiliers (et les rentes sur ces biens) qui donnèrent à la ville quelques moyens d’action dans une période noire. En effet, après les guerres, la perte des tribunaux royaux en 1790, la fin du montage des bateaux en 1813… et avant l’arrivée de l’industrie du chausson, Pont-de-l’Arche était très pauvre. Il semble que Julien Blin ait acquis ses biens en les achetant à des particuliers s’étant enrichis durant la Révolution. En effet, ses propriétés sont souvent d’anciens biens religieux réquisitionnées par l’Etat à la Révolution avant d’être revendus comme biens nationaux.

Lorsqu’il fit démolir partiellement les remparts de sa propriété (très certainement l’actuel presbytère), il finança aussi l’abaissement des remparts derrière l’église, une bonne chose en ce temps. Le Conseil municipal lui fit part de ses remerciements.

Le 2 mai 1816. Julien Blin donna les bases de la première école de la ville. En 1818, il fit construire de nouveaux locaux au-dessus de la salle d’Armes afin de servir de logements pour l’instituteur et les deux sœurs enseignant aux filles.

Lors du conseil municipal du 5 février 1822, il fit don à la commune de trois maisons, dont l’actuel presbytère, contre la promesse du Conseil de payer le logement du vicaire, en plus de son traitement annuel, mais aussi de célébrer une messe basse mensuelle en son honneur. Le curé devait aussi être logé dans cette demeure.

 

Bienfaiteur à l’origine de l’hôpital local

Le 25 aout 1827, le Conseil municipal rapporta les termes du don testamentaire de Julien Blin. Sans descendance, il donna à la commune des biens immobiliers estimés à 236 450 francs (les recettes de la ville étant de 6 000 francs cette année-là). Ces biens comprenaient l’ancien couvent des pénitents à condition qu’il serve d’hôpital destiné à l’accueil des « indigents malades et inférieurs », de la ville et de bonne moralité.

Julien Blin offrit aussi quatre maisons rue de la Municipalité, où il mourut, et qui porte aujourd’hui son nom ; trois petites maisons rue de Crosne et place de l’église ; diverses terres cultivables aux Damps, Léry, la Haye-Malherbe. Ces dernières terres devant fournir de quoi financer en partie le Bureau de bienfaisance de la commune, en charge du fonctionnement de l’hôpital.

Les élus écrivirent que ce « legs fait honneur aux sentiments généreux de M. Blin pour la ville où il a voulu finir ses jours [et] sera un très grand secours pour cette même ville, à raison de la quantité d’indigents malades et infirmes qui s’y trouvent, et du peu de ressources qu’elle possède pour y subvenir. »

 

DSCF3408.JPG

Une des parties anciennes de l'EHPAD (ex-hôpital local)

fondé grâce aux dons de Julien Blin (photo Armand Launay, 2010). 

 

L’hommage de la Ville

En 1830, les élus votèrent l’érection d’une « pierre tumulaire » sur la tombe de Julien Blin, dans le cimetière communal. En 1865, sous la présidence de Jean-Baptiste Delaporte, les élus décidèrent de donner le nom de « Blin » à la rue de la Municipalité, ancienne rue de la Geôle, ancienne rue Royale). Il entérina en fait l’usage populaire qui nommait la rue du nom du notable qu’était Julien Blin. Dans sa délibération, ce même Conseil ne retint de cet homme que son legs testamentaire, passant sous silence – ou ignorant – l’ensemble des ses actes et surtout son attention pour la Ville. La mémoire doit s’entretenir.

 

Monument Blin 1

La stèle érigée par la Ville dans le cimetière communal en 1830

en hommage à Julien Blin (photo Armand Launay, 2012)

 

Sources

Délibérations du Conseil municipal

 

 

A lire aussi... 

Les maires de Pont-de-l'Arche

 

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6 novembre 2012 2 06 /11 /novembre /2012 22:50

Jean Kerbrat, né en 1939 à Mayenne et décédé le 15 novembre 2013, fut propriétaire du bailliage de 1969 à 1976. La grandeur des lieux permit à ce sculpteur de renom d’installer son atelier et de préparer l’exposition au musée du Havre (1970), des œuvres comme l'hommage à Fernand Léger (aujourd’hui dans le collège du même nom au Petit-Quevilly), les sculptures monumentales de Creil (1972-1976)... Quant au bailliage, il en assura l’entretien, notamment en remplaçant des clés de pierre, en curant le puits pour l’écoulement des eaux diluviennes. Il conserva les graffitis de la cour intérieure et des murs des prisons. La présence de cet artiste attira à Pont-de-l’Arche le graveur Jacques Ramondot (1928-1999), le peintre Robert Savary (1920-2000)[1], le sculpteur René Leleu (1911-1984), l’universitaire et écrivain René Etiemble (1909-2002). Si, malheureusement, Jean Kerbrat dut quitter notre ville pour des raisons familiales, il laissa trois empreintes dans la ville.

 

 

Au bailliage : l’hommage à Antoine Bourdelle

 

Autour de l’entrée du prétoire, se trouve une sculpture qui s’étend sur tout le premier niveau du mur pignon. Sur une forme de grillage céramique, Jean Kerbrat sculpta dans du plâtre quatre allégories marchant sur le soubassement en pierre de taille et épousant admirablement les rares espaces entre la porte et deux ouvertures : architecture, danse, musique et sculpture. Il s’agit d’un hommage à Antoine Bourdelle (1861-1929), incontournable sculpteur versé dans les œuvres monumentales. L’œuvre de Jean Kerbrat au bailliage démontre qu’il souhaitait y vivre longtemps, si ce n’est toute sa vie.

Bailliage

 

 

A l’école maternelle Les Lutins : 14 ardoises sculptées

 

Les 14 ardoises qui décorent l’agrandissement de l’école maternelle sont de Jean Kerbrat. Cet agrandissement date de 1984 où Roger Leroux, maire, inaugura la troisième classe et la salle d’activités. Si l’on retrouve l’univers des personnages, souvent graves et robustes, de l’œuvre de Jean Kerbrat de cette époque, les thèmes traités y sont plus légers qu’ailleurs.  Comme l’écrit l’artiste lui-même, dans une commande « l’œuvre doit impliquer tous les publics ». Jean Kerbrat s’est donc conformé aux attentes de l’Atelier des deux anges, cabinet d’architectes de Val-de-Reuil qui avait la maitrise d’œuvre des travaux pour le compte de la Ville de Pont-de-l’Arche. Parmi les thèmes, l’on retrouve la musique « chanson dolente de l’accordéoniste », la danse « la noce à Gonesse », la poésie « Elégie aux grands arbres du Morvan », la fantaisie « La grenouille bleu » (sic), le cheminement « puisqu’il faut partir toujours »…

 

Les Lutins

 

Ardoise

 

A la salle des fêtes : ciment et éclats d’ardoises

La salle des fêtes de Pont-de-l’Arche a été inaugurée en 1954 par le maire Alix Duchemin. Lors de sa réhabilitation en 1987, le maitre d’œuvre l’Atelier des deux anges (Val-de-Reuil) a fait poser une décoration toute contemporaine pour le compte de la Ville de Pont-de-l’Arche représentée par son maire Roger Leroux. Ainsi, l’entrée située dans la rue Maurice-Delamare est ornée de quatre rectangles de ciment encadrant la porte principale et ses deux ouvertures de part et d’autre. Ces rectangles présentent des couches de ciment sur lesquelles ont été projetées des gouttes de ciment et un demi carré d’ardoise. Quelque part, on peut voir dans les projections de ciment une expression de la créativité. Quant aux ardoises cassées en deux, elles peuvent symboliser ce qui est séparé, à l’extérieur de la salle des fêtes qui est le lieu de réunion par excellence.

 

Salle des fêtes

 

Détail salle des fêtes


Plus d’infos sur www.kerbratjean.fr 

 

 

 

[1]Qui réalisa en 1976 une lithographie de l’église vue du pont dont on trouve une copie à l’accueil de la mairie. 

Armand Launay

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11 octobre 2012 4 11 /10 /octobre /2012 19:36

Un article de L’Industriel de Louviers du 1er décembre 1934 immortalisa l'inauguration du groupe scolaire de Pont-de-l'Arche qui eut lieu le 25 novembre. Le journaliste du journal conservateur mit en valeur des hommes politiques de droite. Pierre Mendès France et les hommes de gauche sont quelque peu effacés, sans plus, ce qui correspond à la volonté de Pierre-Etienne Flandin, président du Conseil des ministres, de faire une trêve des partis face aux périls fascistes et soviétique. C’est ce qui explique le titre de l’article mettant l’accent sur la concorde. Le Front populaire de 1936 dut les ravir !

Pour Pont-de-l’Arche, le projet d’agrandir ou de bâtir une nouvelle école était d’autant plus important qu’il remontait à 1905. Voyons donc ce grand moment de la vie archépontaine, quant le groupe scolaire ne s’appelait pas encore Maxime-Marchand

 

 

 

Inauguration de l'école de PDA (L'Industriel de Louviers d 

 

 

L’inauguration du groupe scolaire

à Pont-de-l’Arche fut une belle manifestation de concorde

 

L’inauguration du groupe scolaire de Pont-de-l’Arche a été l’occasion d’une fête magnifique, dans un élan de concorde qui ne se manifesta jamais avec plus d’allégresse.

La présence d’un ministre éminent, du nouveau Préfet de l’Eure qui partout où il passe rassemble toutes les sympathies et de tous les parlementaires entourant leur vénéré doyen, aurait suffi à donner à cette cérémonie toute sa signification et tout son éclat.

L’empressement de la population à accueillir les autorités à suivre le programme pourtant très simple de cette journée, témoigna à la fois de sa satisfaction de voir réalisé un projet si longtemps attendu et de manifester aussi à ceux qui en furent les artisans toute sa reconnaissance. Il prouve aussi que tout ici-bas s’apaise et s’oublie, quand chacun y met de sa bonne volonté et que les uns et les autres comprennent que tous les habitants d’une même ville ont plaisir et profit à s’unir, dans les jours fastes et néfastes pour partager les mêmes joies et supporter ensemble les mêmes épreuves.

Pas une note discordante n’est venue troubler, tout au long de cette journée, cette harmonie. Dans les nombreux discours qui furent prononcés, tous les orateurs et M. Mallarmé, ministre de l’Éducation Nationale[1], en particulier et avec plus d’autorité, convièrent leurs auditeurs à cette union bienfaisante qui est la condition du redressement d’une situation pleine d’écueils.

Le succès de cette journée, dont l’organisation fut de tous points parfaite, prouve ce que peut faire une municipalité et un conseil inspirés du seul souci des intérêts matériels et moraux de ses administrés. La municipalité de Pont-de-l’Arche, sans s’arrêter aux difficultés et aux critiques, a su prendre une initiative depuis longtemps attendue et la réaliser dans le minimum de temps avec le minimum de sacrifices financiers.

Elle a doté la ville d’un groupe scolaire qui répond à toutes les exigences de confort et dont par surcroît un architecte de talent, a su faire une véritable oeuvre d’art bien appropriée à son cadre.

 

Le groupe scolaire

La jolie ville de Pont-de-l’Arche avait des écoles qui n’étaient pas dignes d’elle. La municipalité présidée par Charles Morel[2], comprenant qu’il était aussi vain de chercher à les améliorer que de discuter sans jamais aboutir, sur la construction d’un nouvel édifice résolut de passer à l’action. Un projet présenté par M. Laquerrière, architecte, dont maintes réalisations heureuses[3], ont dans la région imposé la réputation et le talent, fut accepté.

Le 5 novembre 1933, M. Philip, Sous-Préfet des Andelys, posait la première pierre. Le 25 Novembre 1934, M. Mallarmé ministre de l’Instruction Publique[4]l’inaugurait. Cette cérémonie eut pu avoir lieu plus tôt [...] C’est une des conséquences de cette instabilité ministérielle[5], par ailleurs si regrettable.

Dimanche donc, le groupe scolaire recevait la visite officielle du Ministre des Autorités et de l’énorme assistance qui les accompagnait.

Tous furent unanimes à louer la très artistique originalité de l’ensemble. Ce groupe, en effet, ne présente pas l’aspect de l’école conçue sur le plan classique. C’est un très bel ensemble d’art normand.

À l’entrée de chaque côté d’une petite cour d’honneur s’élèvent de coquets pavillons qui seront les logements du directeur et de la directrice des écoles.

Face à l’entrée s’ouvre une vaste salle qui servira de préau où les enfants seront à l’abri des intempéries, sans être privés d’air puisque, à volonté, peuvent se lever des rideaux de fer de chaque côté.

Peut-être même, la municipalité songe-t-elle aux possibilités de l’aménager pour en faire une très belle salle où se pourront donner les fêtes scolaires. Deux bureaux vitrés permettent aux instituteurs de surveiller tout à leur aise, les ébats des enfants. Derrière, de chaque côté, sont installés les lavabos, avec eau courante, qui permettront aux enfants de se soumettre aux règles élémentaires de l'hygiène, pour passer de la récréation au travail. Dans le prolongement, séparés par un intervalle suffisant, pour que les cours des professeurs ne se gênent réciproquement pas, s’alignent les classes auxquelles donnent accès un long couloir. L’air, la lumière peuvent y pénétrer à flots. Les classes sont assez vastes pour que les enfants n’y soient jamais entassés. De chaque côté, de grandes cours, qu’encadreront des arbres dont les frondaisons donneront à l’ensemble un caractère champêtre et aux enfants, dans les journées trop chaudes une ombre bienfaisante.

On ne pouvait mieux  répondre aux soucis de l’hygiène, du bien-être et de l’esthétique, créer, enfin, un ensemble susceptible de donner à l’école un aspect, une ambiance plus attrayants.

 

La réception du ministre.

M. Mallarmé, ancien ministre des PTT[6]du gouvernement Doumergue[7]devait précédemment inaugurer ce groupe scolaire. Devenu ministre de l’Éducation Nationale du gouvernement Flandin[8], il fut sollicité par tous les parlementaires de l’Eure, de tenir sa promesse. Il y consentit avec bonne grâce. Il avait tous les titres pour cette mission, il la remplit avec une simplicité et une distinction pleins de bonne grâce, qui lui conquit tout de suite, la déférente sympathie des Archi-Pontains venus en foule entourer les autorités invitées à la recevoir à la Mairie[9].

Il fut accueilli par M. Chiraux, le nouveau Préfet de l’Eure, ses collaborateurs, M. Morel, maire de Pont-de-l’Arche, de ses adjoints etc.

Un peloton de gendarmerie sous les ordres de l’adjudant Petit, remplaçant le lieutenant Lombard, rendait les honneurs. La musique du 39e d’Infanterie sous la direction du capitaine Pommier exécuta une vibrante " Marseillaise ". Dans le cabinet du maire fut officiellement entérinée la délibération suivante : L’An mil neuf cent 34, le 25 Novembre, à 11 heures, M. Mallarmé, Ministre de l’Éducation Nationale, assisté de M. Chiraux, Préfet de l’Eure, de M. Philip, Sous-Préfet des Andelys, de M. Charles Morel, Maire de Pont-de-l’Arche, de M. Raoul Sergent, premier adjoint, conseiller général de l’Eure[10], de M. Henri Girard, deuxième adjoint. En présence de M. le président Maurice Hervey[11], sénateur de l’Eure, M. Abel Lefebvre, M. Neuville, sénateurs de l’Eure, M. Briquet[12], député de l’Eure, président du conseil général, Mendès-France [pas de M.], Alexandre Duval, Chauvin, députés de l’Eure, Lebret, député de la Seine-Inférieure, Inspecteur d’Académie Charlet, inspecteur primaire Girault, chef de la 2e Division de la Préfecture, M. Buisson chef de la 3Division, MM. Ferrandier A., Lefebvre M., Hacot Jules, Lefebvre Louis, Callerot, Partie E., Vidal, Prunier, Lemaire Gaston, Forfait, Lenoir, conseillers municipaux, MM. Rousseau, conseiller général, Thorel, Maire de Louviers, P. Josse, Maire de Perruel, G. Delamarre, conseillers généraux ; MM. Régnier, Président du Conseil d’Arrondissement, MM. Laquerrière et Raymond, architectes, Kerrand, juge au Tribunal Civil de Louviers, Noclercq, Procureur de la République, Mallet, premier suppléant au juge de paix, les Institutrices publiques et MM. les instituteurs publics de la ville, M. Ambroise, président de la Société des Amis de l’École Laïque[13], M. l’abbé Desdouits, curé doyen de Pont-de-l’Arche[14], a inauguré le groupe scolaire de la ville de Pont-de-l’Arche. Le cortège se forma précédé des drapeaux de la 2110e section des Vétérans porté par M. Delamare, accompagné de M. Louis Lefebvre, trésorier et des Anciens Combattants, porté par M. Niaux, accompagné de M. Albert Sauvé. Entraîné par la musique du 39e et la musique de Pont-de-l’Arche, le défilé gagna route de Paris le groupe scolaire entre deux haies profondes de curieux. Les rues de la ville étaient joliment décorées, aux abords des routes s’élevaient de coquets arcs de triomphes avec des banderoles portant ces mots : " Honneurs au Ministre " – " Honneur au Préfet " – " Honneur aux Musiciens ".

 

L’inauguration

M. Mallarmé procéda à la rituelle ouverture de l’édifice en coupant le ruban tricolore qui barra symboliquement l’entrée et le cortège pénétra dans le vaste préau, où les enfants groupés sous la surveillance de leurs maîtres, accueillirent le ministre et les autorités par l’exécution très nuancée d’un chœur bien choisi.

Un compliment fut très bien récité par un jeune élève et des gerbes de fleurs furent remises au Ministre et au Préfet.

Charles Morel, Maire, souhaita alors la bienvenue à M. Mallarmé en ces termes :

 

Discours de M. Morel, maire.

Monsieur le Ministre,

Je suis heureux et fier de recevoir aujourd’hui un représentant du Gouvernement de la République. Je vous remercie, M. le Ministre, de nous faire l’honneur de présider la cérémonie d’inauguration de notre groupe scolaire.

En mon nom, au nom de la municipalité et au nom de la ville de Pont-de-l’Arche, je vous prie de vouloir bien agréer nos souhaits de bienvenue.

À M. le Préfet, à M. le Sous-Préfet, à MM. les Sénateurs, à MM. les Députés, à MM. les Inspecteurs de l’Enseignement primaire qui ont tenus par leur présence à rehausser l’éclat de notre fête, nous souhaitons aussi la plus cordiale bienvenue.

Monsieur le Ministre,

L’un des premiers soucis de la municipalité, que j’ai l’honneur de présider, a été de procurer à nos enfants l’air pur, la lumière, le gai soleil et l’espace dont ils ont besoin pour se développer normalement pendant leur scolarité.

Je tiens à souligner que nous avons pensé aussi au bien-être de leurs dévoués maîtres et maîtresses. Tous ces bienfaits, ainsi que le confort moderne, nos enfants vont les trouver dans ces locaux que, grâce au bienveillant concours de M. le Ministre de l’Éducation Nationale, de M. le Préfet, de MM. les Parlementaires, d’anonymes même, nous avons pu édifier en très peu de temps.

À vous, M. le Ministre de l’Éducation Nationale, à vous M. le Préfet, à M. le Sous-Préfet, à vous MM. les Parlementaires, un bien cordial merci.

Tous nos compliments à M. Laquerrière, architecte qui, dans un site agréable, a su, avec un goût parfait, ériger ce groupe scolaire que vous admirez.

Merci aussi à MM. les entrepreneurs et à leurs ouvriers qui se sont acquittés consciencieusement de leur tâche.

Je n’aurai garde d’oublier mes dévoués collaborateurs du Conseil municipal qui ne m’ont jamais marchandé leur concours dans l’accomplissement de cette oeuvre.

Mes Chers Enfants,

Vous êtes bien jeunes, cependant je suis certain que vous appréciez déjà ce qui a été fait dans l’intérêt de votre santé et pour rendre votre séjour à l’école plus attrayant.

Je suis certain aussi que vous saurez en témoigner votre reconnaissance par votre exactitude et votre assiduité, par votre amour du travail, par votre bonne conduite en tous lieux, votre respect et votre amour envers vos chers parents, par votre docilité envers vos maîtres et maîtresses qui se dévouent pour développer votre intelligence et pour former votre coeur.

Aimez-les, écoutez-les, profitez de leurs leçons car ils remplissent une noble tâche qui consiste à faire de vous de bons Français et de bonnes Françaises aimant leur famille, leur petite patrie, Pont-de-l’Arche, et par dessus tout notre pays " La France ".

Dans le préau absolument comble l’assistance applaudit chaleureusement le sympathique maire qui avait si heureusement traduit ses sentiments.

 

Discours de M. le Dr Briquet, président du Conseil Général

Au nom du Conseil Général, M. le Dr Briquet souhaite la bienvenue à M. Mallarmé. C’est un grand honneur pour le fils d’une institutrice et d’un modeste professeur de Lycée de recevoir le grand maître de l’Université dont il rappelle la carrière politique brillante et ses divers passages dans les conseils du gouvernement.

M. Mallarmé devait, en raison de ses origines et de sa culture, parvenir à la haute charge qu’il occupe. Petit fils de l’adjoint au maire de Strasbourg, fils d’un avocat qui s’expatria d’Alsace après 1870, il parvint à l’agrégation après des études brillantes et fut professeur à Alger qu’il devait ensuite présenter à la Chambre.

Remarqué par ses interventions, il occupa diverses fonctions dans plusieurs commissions importantes et y affirma des qualités qui dénotent bien de ses origines[15].

Devenu ministre de l’Instruction publique il sut, en répondant mardi aux questions posées préciser ses intentions qui sont de nature à donner toute satisfaction.

La nécessité de faire des économies, des restrictions, n’a entraîné pour l’Instruction publique que les décisions strictement indispensables, relativement aux suppressions de postes, aux réductions des subventions. M. Mallarmé a promis de les répartir pour que les constructions ne soient pas interrompues et que l’attribution des bourses soit assurée aux plus méritants.

Il a décidé aussi de faire régner l’ordre dans la grande administration qu’il dirige, sachant faire la distinction qui s’impose entre la grande majorité du personnel enseignant fidèle à son devoir et quelques égarés. S’il applique des règlements à ceux qui seraient coupables, c’est avec le souci d’empêcher le discrédit de ceux qui ne le sont pas et de protéger l’école publique.

En terminant, le Président du Conseil Général se dit heureux de recevoir un ministre du gouvernement de trêve, décidé à défendre l’ordre, le calme, et pour cette œuvre de salubrité, de moralité, il l’assure du dévouement du Conseil Général et de la confiance des populations de notre beau département.

D’unanimes applaudissements soulignent les paroles de M. Briquet.

 

Discours de M. Mallarmé, ministre de l’Instruction publique

Dans un langage aussi simple que châtié, M. Mallarmé a prononcé un discours qui fit une profonde impression.

Il remercie les précédents orateurs de leurs souhaits et de leurs éloges et il félicité la municipalité de son initiative et de sa réalisation. Il sait ce qui a été fait à Pont-de-l’Arche et estime que M. le Maire a été trop modeste sur les mérites de la Municipalité quand, dans une période de crise, une municipalité a pu élever un bel immeuble, comme celui-ci, répondant à toutes les exigences du confort et de l’hygiène, elle mérite les plus chaleureuses félicitations.

Ce n’est plus l’école d’autrefois, sans charmes et sans agrément, mais une belle maison normande remarquable par sa beauté et l’ingéniosité de ses plans. Mais ce n’est point seulement l’immeuble qu’il faut considérer.

S’adressant aux enfants M. le Ministre poursuit ainsi :

" Vous mes chers enfants, vous allez passer-là une série d’années où vous recevrez les éléments de l’instruction, de l’éducation nécessaires pour faire votre chemin dans la vie. L’école sera un symbole, vous y aurez lié des amitiés sur lesquelles vous aimerez à reporter vos souvenirs plus tard. Je sais qu’on peut vous confier à vos maîtres en toute sécurité intellectuelle et morale. La presque unanimité du personnel enseignant est digne de notre confiance. Vous en recevrez de bons conseils et de bons exemples.

Il faut dissiper les légendes. Il y a dans le personnel des individualités égarées, mais nous avons le devoir de protéger ceux qui travaillent pour leur rendre hommage.

Je suis persuadé que dans cette maison les maîtres seront dignes de leurs fonctions au point de vue social et moral, sachant préparer l’avenir du pays, soucieux de leurs devoirs et de leur responsabilité. Il est deux termes inséparables : Patrie et République. Certains se prétendent plus républicains que les autres parce qu’ils répudient l’idée de Patrie[16]. Les vrais patriotes au contraire furent toujours à l’heure du danger, les vrais Républicains et la République ne peut exister si l’on ne sait associer la défense Nationale, l’amour de la Patrie et l’Idéal républicain.

C’est ce que nous demandons aux instituteurs d’inculquer aux enfants, ils auront aussi bien servi leur pays et la République. "

D’interminables applaudissements saluent l’orateur.

On commence la visite des écoles qui se termine par un vin d’honneur. Les autorités vont ensuite s’incliner devant le monument aux morts et y déposer des gerbes de fleurs.

Et le cortège gagne les Établissements Morel[17], où va être servi le banquet.

 

Le banquet

Dans une vaste salle artistement décorée et fleurie, et ce qui est plus appréciable en cette saison, bien chauffée, les convives prennent place suivant un protocole bien réglé. M. Mallarmé ministre de l’Instruction Publique préside entouré de M. Chiraux, Préfet de l’Eure, M. Charles Morel, maire, MM. Hervey, Abel Lefebvre, Neuville, sénateurs, Join-Lambert, Duval, Briquet, Chauvin, Mendès[18], députés. Madame Morel, M. de Fouquières, M. Sergent, conseiller général, premier adjoint, M. Philip, Sous-Préfet des Andelys, M. le Chef de cabinet de la Préfecture, MM. Josse, Rousseau, Delamare, conseillers généraux, MM. Régnier, Président du conseil d’arrondissement, Langlois, Moreau, conseillers d’arrondissement, Noclercq, Procureur de la République, Kerrand, juge au Tribunal de Louviers, MM. Diné, Ingénieur en chef du service vicinal, M. Guillemont, ingénieur des Ponts-et-Chaussées, Tardy, ingénieur du service vicinal, MM. Buisson, Girault, chefs de division à la Préfecture, MM. Prémillieux, maire des Damps[19], Hache, maire de Léry, Armand, maire du Vaudreuil, Frétigny, maire d’Alizay, Cousin, adjoint à Poses, M. l’Abbé Desdouits, curé doyen, MM. Callerot, A. Ferrandier[20], M. Lefebvre, Partie, Prunier, Vidal, Lemaître, G., A. Huet, conseillers municipaux, M. Lerebours[21], notaire, Dr Hardy, MM. Leduc, Maltet, Blard, Lièvre, Desloges, Duchemin, Saint-Gilles, Dugard, Martin, Hacot, Lecomte ; Ambroise; Tardy Bernard, Rivette, etc. Mmes Demare, reveceuse des Postes, Prémillieux, Guérin[22], Blondel, directrice d’École, Dugard, Tanguy, Tardy[23].

Somptueusement reçus par M. Morel, ils furent traités avec M. Lemaire de l’Hôtel d’Elbeuf, avec le souci de maintenir sa vieille réputation malgré la surprise d’un nombre de couverts supérieur aux prévisions. Le menu abondant et délectable était arrosé de vins de bons crus et très correctement servis. L’ambiance de cordialité qui marqua les débuts de cette journée ne pouvait que s’amplifier.

Au champagne, M. Chiraux, Préfet de l’Eure s’acquitta éloquemment des obligations de sa charge, pour saluer M. le Ministre.

Aux sentiments de déférente sympathie, aux souhaits de bienvenue qui lui furent exprimés le matin, M. le Préfet, vint joindre les siens au nom du département.

M. Mallarmé, par l’accueil qu’il reçut a certainement eu l’impression qu’il se trouvait au milieu de braves gens, de populations laborieuses représentées par des hommes de coeur, d’ordre et de dévouement.

Les Normands ont fait tout leur devoir pendant la dernière guerre au champ d’honneur. À l’arrière ils ont généreusement reçu les réfugiés et travaillé pour que la France vive.

L’heure des difficultés venues, ils sont restés calmes et confiants, en ceux qui avaient la Charge de les résoudre et ils font aujourd’hui confiance au Président Flandin auquel M. Chiraux prie M. Mallarmé de transmettre l’hommage de leur respectueux attachement.

De cette visite du Ministre de l’Éducation Nationale, le département de l’Eure lui gardera un souvenir reconnaissant et M. le Préfet poursuit ainsi :

" S’il y a entre nous des différences de sentiments de croyances, nous savons nous unir autour de la France et de la République, la Patrie nous rassemble car nous savons que si nous voulons qu’elle recueille les fruits de sa victoire, nous devons être unis de cœur et de volonté. Et il termine par le toast rituel au Président de la République.

M. Morel, maire, qui, tout au long de cette journée, s’est acquitté de tous ses devoirs avec délicatesse et correction à l’égard de tous ses hôtes prend ensuite la parole pour remercier tous les convives et tous ceux qui ont contribué au succès de cette belle fête. Il lève son verre à M. le Ministre, aux autorités, à tous les convives en souhaitant qu’ils gardent un souvenir durable de cette manifestation qui s’est déroulée dans la plus parfaite union.

 

M. Raoul Sergent, premier adjoint, conseiller général, présente les excuses de plusieurs invités et prononce la discours suivant :

Monsieur le Ministre,

Malgré de lourdes occupations inhérentes à vos hautes fonctions ministérielles, vous avez bien voulu accepter de présider l’inauguration du modeste groupe scolaire de notre ville, désirant marquer que, grandes villes et villages, sont également l’objet de la sollicitude du Gouvernement.

Au nom des élus cantonaux, j’ai M. le Ministre, le très grand honneur de vous saluer et de vos remercier. C’est également un très grand honneur pour la ville de Pont-de-l’Arche, de recevoir pour la première fois un représentant du Gouvernement de la République. Honneur dont je suis certain, tous les habitants garderont un inaltérable souvenir.

M. le Préfet,

M. le Sous-Préfet,

M. l’Inspecteur d’Académie,

MM. les Parlementaires,

M. l’Inspecteur Primaire,

Mesdames, Messieurs,

Mon premier devoir en prenant la parole est de saluer les hautes personnalités politiques et administratives qui nous ont fait l’honneur d’assister à notre fête.

Tout d’abord, M. le Préfet Normand d’adoption dont les qualités administratives nous sont bien connues. M. le Sous-Préfet qui posait il y a un an la première pierre de l’édifice.

Messieurs les Inspecteurs de l’enseignement, les Parlementaires et en particulier M. le Président Hervey, qui se trouvant à notre porte fut souvent mis à contribution.

Je n’aurais garde d’oublier M. André de Fouquières qui a fait de notre contrée sa deuxième patrie d’adoption et qui nous a été d’un précieux concours dans la réussite de notre entreprise.

Leur présence et la vôtre, Mesdames, Messieurs, est une preuve de l’importance et de la grandeur de cette cérémonie.

Mes doubles fonctions de conseiller général et d’adjoint au Maire, ne me permettent point de faire ressortir comme il conviendrait l’œuvre accomplie par la municipalité que préside avec tant d’autorité et de sagesse, M. Charles Morel.

Mais il est tout de même de mon devoir, sans vaine gloriole, de relater l’effort accompli.

Dès 1908, c’est-à-dire il y a plus d’un quart de siècle, il était déjà question au sein du Conseil municipal de l’état lamentable des locaux scolaires.

Des projets assez divergents étaient présentés. Certains, partisans de la construction de nouveaux locaux, d’autres de la transformation des locaux actuels.

La guerre survient, cette guerre qui ne se contente pas de tuer la vie humaine, mais qui tâche dans toutes les mesures de ses affreux moyens, d’arrêter la vie intellectuelle, matérielle [...]

L’instruction, nécessité impérieuse pour un pays n’est-elle pas en effet intimement liée à nos institutions démocratiques, puisque sous le régime républicain, ce sont les citoyens eux-mêmes qui sont appelés par les représentants qu’ils élisent à gouverner et à faire les lois. Il est donc de première nécessité que ces citoyens soient instruits et éclairés.

La République a donc voulu qu’il n’y eut plus en France un Français qui ne sache lire, c’est pourquoi elle a décrété que l’école fut pour la jeune génération une sorte de berceau de l’égalité.

C’est pourquoi elle l’a rendue gratuite afin que tous les enfants s’y coudoient au même titre sans distinction de naissance ou de fortune et qu’ils s’habituent à s’y connaître, à s’aimer. Elle a voulu que l’école soit en quelque sorte un atelier de science et de raison.

N’est-il pas en effet, juste que l’enfant s’il a le mérite de l’intelligence puisse accéder aux plus hauts sommets. N’est-il pas juste également que le suffrage universel puisse aller chercher dans toutes les classes de la Société l’élu qui lui convient.

C’est une grande joie pour les habitants d’avoir enfin des écoles convenables, pour faire la première éducation des enfants.

Ce bâtiment attestera que nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir pour donner aux enfants des locaux où ils auront plaisir à travailler.

Des maîtres zélés ayant eu au cœur le sentiment élevé de leurs devoirs professionnels sauront donner à ces enfants avec les connaissances pratiques utiles à la vie de cette haute conception morale, cette conscience des hommes et des choses qui font les Sociétés et les peuples dignes et grands.

Ils leur apprendront l’amour de la famille, l’amour de la Patrie, l’amour de la République. Ils contribueront à cette grande œuvre de l’enseignement populaire à laquelle nous portons tous un intérêt passionné parce que nous sommes persuadés que l’avenir du pays en dépend.

En rendant l’école saine et agréable nous le faisons ainsi davantage et nous accomplissons ainsi un l’un des plus grands devoirs qui incombent à de bons patriotes et à de sincères républicains.

Vive la France !

Vive la République !

 

M. Mendès, prend la parole au nom des députés, pour remercier M. le Ministre d’avoir répondu avec bienveillance à l’invitation qui lui avait été faite par tous les représentants du département qui se sont retrouvés pour lui souhaiter une cordiale bienvenue.

Il rend hommage à la municipalité de Pont-de-l’Arche, qui a su réaliser le projet de construction du groupe scolaire en conciliant le confort et l’esthétique et félicite M. le Maire et ses collaborateurs qui ont fait aboutir une décision de principe prise en 1911. Il joint ses remerciements à tous ceux qui ont contribué à l’éclat de cette fête.

M. le sénateur Hervey, associe les membres de la Haute Assemblée aux remerciements adressés à M. le Ministre et se réjouit s’assister au rayonnement de la plus réconfortante fraternité.

Se croyant peu qualifié – bien à tort du reste – pour parler de l’école, il a voulu s’en référer à des auteurs plus compétents et il cite des passages connus de lettres ou de discours de Guizot, Jules Ferry et Barthou. Il se plaît à constater qu’un homme qui fut la gloire de la monarchie et deux autres qui furent celles de la République, à cinquante et cent ans de distance, donnent les mêmes conseils aboutissent aux mêmes conclusions fixant ainsi la vraie doctrine.

Si elle avait toujours été suivie, on ferait disparaître certains griefs. Et avec maints exemples puisés dans l’histoire de la région, avec une rare érudition, M. le sénateur Hervey montre combien il est facile de cultiver l’amour de la petite patrie, base de la grande si l’on enseigne bien aux enfants ce qui rattache le lieu de leur naissance à la France. L’instituteur trouverait des sujets de leçons utiles.

Si dans l’étude du passé, on trouve une raison d’aimer mieux son pays, on comprend davantage les raisons de la protéger contre l’oppression, se préparer contre la guerre, c’est vouloir l’empêcher, la repousser.

Quand on arrive au soir de la vie, une seule joie reste c’est de voir ses enfants partager les mêmes sentiments.

 

Discours de M. le Ministre

M. Mallarmé clôt la série des discours. Il remercie M. Morel, en sa double qualité de maire et de propriétaire. " Grâce à l’ingénieuse installation de cette salle, dit-il, nous avons mieux senti le sentiment de cordialité de cette réunion.

Je veux aussi vous féliciter, vous êtes M. le maire la vivante incarnation de ce que peut être un pays démocratique. Parti de rien vous êtes arrivé par votre travail, votre ténacité, à vous créer une situation sociale enviée. Mais ne craignez pas les envieux. Continuez votre œuvre, elle ne mérite que des admirateurs.

M. Mallarmé remercie M. le Préfet, MM. les Parlementaires et les habitants de leur invitation et de leur accueil. Ce sont de vrais Normands qui ont gardé les vertus de leurs ancêtres : l’audace, le goût du travail, le sentiment de la famille, la prudence et la sagesse. Il regrette de n’avoir pu prendre avec eux qu’un contact passager. Il espère qu’il se renouvellera en d’autres occasions.

Examinant ensuite la situation présente il signale la crise grave à laquelle le gouvernement doit faire face : Crise extérieure certaine, sur laquelle il ne veut pas insister ; crise intérieur, surtout pour les agriculteurs dont il connaît toutes les difficultés.

Mais dans un grand pays démocratique comme le nôtre, le seul moyen de résoudre les difficultés c’est l’Union entre les citoyens. Autour de ces tables, il y a des divergences d’opinion – elles honorent le pays – mais à l’heure actuelle elles doivent faire place à un accord[24]. Il rend hommage aux représentants du département et particulièrement à M. Abel Lefebvre et à M. Maurice Hervey qui de toutes façons s’est sacrifié pour sa patrie.

Mais cette union ne doit pas être passagère, il faudrait qu’elle soit permanente pour assurer notre sécurité extérieure, notre bien-être intérieur il ne suffit pas d’une trêve de façade, mais de la trêve dans les esprits et dans les cœurs ; M. Mallarmé aurait souhaité que M. Morel n’ait point, par des scrupules de discrétion qui l’honorent, renoncé à associer des ouvriers à cette fête[25]. Il aurait été heureux de leur dire combien il appréciait ce qu’ils avaient fait pour concourir à son succès.

Après avoir donné ses conseils aux enfants il les laisse avec confiance aux mains de leurs maîtres et il lève son verre à l’école laïque et républicaine.

Je ne voudrais pas qu’on voit dans cette expression une tendance politique. L’école laïque et républicaine a droit à notre respect et à notre confiance, à la condition qu’elle laisse à chacun le soin de sa conscience. L’école doit développer la morale et non la discorde. Je suis persuadé que les maîtres suivront ces directives et que l’École de Pont-de-l’Arche sera un lieu de réconfort, de joie et de développement moral.

Tous les orateurs avaient été longuement applaudis, un ban fut battu en l’honneur de M. le Ministre.

 

Remise de distinctions

La cérémonie n’était point terminée, M. le Ministre, prenant à nouveau la parole, déclara que pour reconnaître les mérites de M. Morel, il eut été heureux de lui apporter la croix de chevalier de la Légion d’Honneur[26]. N’en ayant plus à sa disposition, il lui promit de le faire figurer au tableau de la prochaine promotion.

Cette nouvelle est chaudement applaudie.

M. Mallarmé remet ensuite le diplôme d’officier d’académie aux collaborateurs dévoués du maire, M. Raoul Sergent, M. Girard, adjoints et M. Laquerrière architecte à Elbeuf, auxquels les convives témoignent leurs vives sympathies.

La rosette de l’Instruction publique est ensuite remise aux applaudissements de tous à Mme Guyot, ancienne institutrice et M. Gondard, d’Évreux, M. Guillermaux, de Saint-Marthe, Legendre de Poses, pour services rendues aux oeuvres post-scolaires, M. Pesqueux, de Saint-Georges-du-Vièvre, pour services rendus à l’art musical.

 

À l’Hospice[27]

Le Ministre et les autorités, en quittant les Établissements Morel se rendirent à l’Hospice où ils furent reçus par M. Ouin, président de la commission administrative et le Dr Hardy. Il visite l’établissement hospitalier dont il se plut à reconnaître la parfaite tenue puis devant le personnel il remit à la sœur Saint-André, supérieure, la médaille d’argent de l’Assistance publique.

À cette distinction qui récompense si justement de longs et dévoués services tous les habitants de Pont-de-l’Arche applaudiront.

Dans l’après-midi, la musique du 39e avait donné un concert très apprécié et très applaudi.

Le soir les arcs de triomphe s’illuminaient et on remarquait particulièrement le merveilleux effet des illuminations du monument aux morts auquel elles donnèrent un saisissant relief.

Un bal enfin, terminait dans la joie populaire cette belle fête. Tous se réjouirent que pas une ombre ne vint assombrir l’éclat de son succès et rendirent hommage pour sa parfaite organisation à ceux qui en furent les actifs artisans et reçurent la récompense méritée de leur dévouement.

Une quête faite au banquet par Mme Morel[28]pour la caisse des Écoles produisit 616 fr. 70. »

 

[1]André-Victor Mallarmé (1877-1956). Ministre du 8 novembre 1934 au 31 mai 1935. Une biographie sommaire du personnage se trouve dans le corps de texte (intervention du Dr Briquet).

[2]Maire de Pont-de-l’Arche pendant 15 ans (de 1930 à 1936 et de 1947 à 1953). Industriel de la chaussure, il possédait trois usines en 1934 dont une à Pont-de-l’Arche.  

[3]La maison notariale de Pont-de-l’Arche, par exemple, place Aristide-Briand.

[4]On lit encore le flottement dans l’appellation de cette fonction entre Instruction publique, forme ancienne, et Éducation nationale. Le nom d’Éducation nationale fut officialisé quand Jean Zay, député radical-socialiste d’Orléans, occupait ce ministère dans le gouvernement de Front populaire (5 juin 1936-21 juin 1937). 

[5]Cette instabilité ministérielle a d’ailleurs stigmatisé, dans les esprits, le régime parlementaire de la IIIe et de la IV République, régimes qui firent face à de grandes crises, qui en résolurent, mais qui succombèrent à d'autres (occupation, guerre d'Algérie). André-Victor Mallarmé faisait partie du huitième gouvernement depuis l’entrée en fonction du président de la République, Albert Lebrun…  le 10 mai 1932.

[6]De mars à décembre 1930.

[7]Gaston Doumergue, président de la République du 13 juin 1924 au 13 juin 1931.

[8]Pierre-Étienne Flandin (1889-1958). Président du Conseil des ministres du 11 novembre 1934 au 30 mai 1935.

[9]Qui se trouvait au bailliage jusqu’en 1968.

[10]Élu en 1931 face au candidat de la gauche républicaine : Louis Prémillieux, maire radical-socialiste des Damps. 

[11]Maurice Hervey (1855-1936). Conseiller général de Pont-de-l’Arche de 1901 à 1913. Sénateur de 1912 à sa mort, il fut vice-président du Sénat de 1925 à 1928.

[12]Membre du Parti républicain radical et radical-socialiste.

[13]Les statuts de cette association furent déposés en préfecture le 18 septembre 1896 par Eugène Ferrand, maire de la ville.

[14]Maurice Desdouits, curé de la paroisse de Pont-de-l’Arche de 1933 à 1945. Auteur de notes très instructives sur l’histoire de la ville. 

[15]Étrange compliment pour un homme issu d’un milieu modeste et qui réussit grâce à son travail et à la reconnaissance du régime républicain.

[16]À titre d’exemple, même au sein du parti radical, parti attaché à la France, le député Pierre Cot, s’exprimait ainsi : Nous rejetons le dogme de la souveraineté nationale parce que, jadis, ce dogme garantissait notre indépendance et il n’est plus, dans le monde moderne, qu’une survivance dangereuse (Le rajeunissement de la politique, p. 168). C’est au sein même du parti radical que se situait la ligne de partage entre les personnes plus attachées aux doctrines nationales, voire nationalistes, et celles qui restaient plutôt attachées à l’universalisme de la forme républicaine du gouvernement (excluant bien entendu l’internationalisme communiste). Cela explique pourquoi M. Briquet, tout radical qu’il soit, justifie les choix de M. Mallarmé alors que M. Mendès France ne les cautionne pas. Cette question de la priorité nationale ou sociale marquait nettement le clivage entre la droite et la gauche.

[17]L’usine de Charles Morel était située sur la route de Louviers. Cet homme se lança dans la fabrication de chaussons et de chaussures dès 1909 où il ouvrit sa première usine à Elbeuf. Il en ouvrit une deuxième à Igoville, en 1919, puis une troisième en 1929, à Pont-de-l’Arche. Ses fils prirent sa suite avant la fermeture définitive en 1968.

[18]Dénigrement très fréquent de nombreux journalistes de droite qui retiraient la moitié du nom de M. Mendès France. Ces journalistes estimaient que M. Mendès France ne devait pas porter ce nom car il avait une ascendance israélite. C’est ainsi qu’essayait de se venger la droite xénophobe et antisémite.  

[19]Louis Prémillieux, maire radical-socialiste des Damps de 1931 à 1935.

[20]Anthime Ferrandier, ancien maire, dont le nom a été donné à une rue.

[21]Qui fut membre de la Société d’études diverses de Louviers et sa région.

[22]Qui est compté parmi les précurseurs de la célèbre pédagogie de Célestin Freinet. C’est ainsi qu’on retrouve son nom dans les archives déposées au Centre International de Recherches sur l’Anarchisme, à Marseille, pour les années 1935-1936. Cet audacieux enseignement Freinet, un intérêt du moins, contredit donc tout à fait les " certitudes " du ministre qui faisaient des professeurs archépontains des promoteurs du patriotisme (http://www.freinet.org). M. Guérin eut de sérieux ennuis avec les élus conservateurs de Pont-de-l’Arche en raison de ses convictions politiques dont il eut le malheur de parler aux enfants en classe.

[23]Qui occupa ensuite la fonction de directrice de l’école des filles.

[24]Les positions du ministre reprennent fidèlement l’orientation prise par le Président du Conseil des ministres : celui-ci œuvrait pour une réforme des institutions alliée à une politique de trêve des partis. Attaché à la paix, tout en étant déterminé à défendre la France contre la menace hitlérienne, Pierre-Étienne Flandin mena avec son ministre des Affaires étrangères, Pierre Laval, une politique de rapprochement avec l’Italie et l’URSS et de resserrement des liens franco-britanniques.

[25]En effet, selon l’adjoint au maire, futur maire, " tous les enfants [se] coudoient [à l’école] sans distinction de naissance ou de fortune [afin] qu’ils s’habituent à s’y connaitre, à s’aimer. " Les enfants sont tous égaux, quoiqu’il existait à Pont-de-l’Arche – comme partout ailleurs – des écoles privées.

[26]Qu’il eut effectivement ainsi que la médaille du mérite et la médaille d’or du travail.

[27]À l’emplacement de l’EHPAD actuel de Pont-de-l’Arche, cet hospice en est l’ancêtre. Les bâtiments furent conçus par M. Marie, agent voyer de la commune, et l’hôpital fut inauguré en décembre 1900 par Eugène Ferrand, maire. 

[28]Qui quêtait aussi régulièrement pour la paroisse. 

 

Armand Launay

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11 octobre 2012 4 11 /10 /octobre /2012 16:16

Les écoles de filles et de garçons étant devenues trop petites, le Conseil municipal de Pont-de-l'Arche étudia dès 1905 la possibilité de construire un groupe scolaire neuf... 29 ans avant son inauguration en 1934.

 

Ecole Max Machand 1

 

En 1877, l’école de filles accueillait jusqu’à 80 enfants dans une de ses 3 salles de cours (pour un total de près de 120 enfants). Le maximum autorisé par la loi étant de 40 enfants, la Préfecture imposa aux sœurs de ne plus accepter tous les enfants de 4 à 7 ans. Or, il n’y avait pas de salle d’asile, l’ancêtre de la maternelle, à Pont-de-l’Arche. Les garçons étaient 150 dans 3 classes au début du XXe siècle.

 

1905, naissance du projet

Sensibilisés par une étude d’Étienne-Alexandre Sorel, médecin et conseiller municipal, les élus ont souhaité mettre fin aux problèmes d’insalubrité des locaux et au manque cruel de place dans les salles de classe. C’est ainsi que naquit, en 1905, le projet de construire un groupe scolaire neuf en dehors du centre médiéval où régulièrement des enfants mouraient des épidémies de scarlatine, rougeole… 

En 1908, le maire, Maurice Delamare, chargea la commission des écoles de démarcher les entrepreneurs afin de créer une école neuve à Pont-de-l’Arche, pour les garçons et les filles. La municipalité choisit le terrain où est l’actuel groupe scolaire ; l’acte d’achat est signé en décembre 1912. Mais les devis de l’architecte rouennais Bourienne sont jugés trop onéreux (63 600 francs). Des plans sont cependant dressés : trois classes de garçons et trois de filles, chacune de 50 élèves, sont prévues dans un bâtiment en rez-de-chaussée situé le long de la rue. S’y ajoutent préaux, cours et toilettes distincts pour les enfants des deux sexes. Les instituteurs devaient être logés sur place, alors qu’on avait prévu d’installer les institutrices dans l’ancienne école de filles. Le cout global, accepté par le conseil, était évalué à plus de 80 000 francs. La Première Guerre mondiale éclata avant que le financement ne soit trouvé et reporta le projet d’école.

Ce n’est qu’en 1931, grâce à l’intervention de personnes influentes que le Conseil municipal put travailler efficacement à la construction d’un groupe scolaire neuf, le futur groupe Maxime-Marchand. 

 

1933, première pierre du futur groupe scolaire baptisé Maxime-Marchand en 1987

La première pierre fut posée le 5 novembre 1933, dans la rue Maurice-Delamare, et l’inauguration eut lieu le 25 novembre 1934 sous la présidence du maire, Charles Morel, accompagné du ministre de l’Instruction publique, André Mallarmé, et de très nombreuses personnalités politiques du département. Politique, le mot est lâché. Le financement d’un tel projet n’aurait pas été possible si les élus locaux n’avaient pas reçu l’appui de personnalités gouvernementales. Charles Morel, industriel de la chaussure, pouvait compter sur le sénateur Maurice Hervey, ancien vice-président du Sénat. Qui plus est, André de Fouquières, chef du protocole de l’Élysée, possédait une résidence secondaire aux Damps (route de l’Eure). Ce diplomate utilisa son carnet d’adresses en faveur du projet, ce qui explique l’inscription de son nom sur une des deux plaques commémoratives de l’école, alors qu’il n’exerçait aucun mandat. 

Ainsi ce n’est qu’en 1933-1934 que sortit de terre un grand édifice en style néo-normand, fruit du travail des architectes elbeuviens L. et R. Laquerrière, aussi auteurs de la maison notariale de Pont-de-l’Arche et divers édifices. C’était la première fois, hormis la gendarmerie, qu’un édifice public était construit en dehors de l’enceinte médiévale. 

 

Description architecturale et agrandissements

Le gros œuvre de ce groupe scolaire est composé de béton. Des pierres de parement ont été apposées sur les façades pour donner une esthétique normande au bâtiment. Le toit à quatre versants est recouvert de tuiles plates de pays et possède de larges lucarnes. La façade, outre la pierre de taille, présente des pans de bois en trompe-l’œil réalisés grâce à l’application d’une peinture sur quelques incisions sur ciment qui imitent les nervures du bois. Un arc en plein cintre surmonte la porte d’entrée. Sa présence est étonnante car il n’entre pas dans l’architecture traditionnelle locale que souhaitaient imiter les architectes Laquerrière. Face à l’entrée s’ouvre une vaste salle qui enveloppe le bureau de direction, deux salles de classe et, enfin, le préau protégeant les enfants des intempéries.

L’édifice a été conçu pour être confortable et esthétique à la fois. Deux maisons situées de part et d’autre de la cour d’entrée servaient de logements pour le directeur de l’école des garçons et la directrice de l’école de filles. C'est en 1963 que la séparation entre les garçons et les filles, la gémination, fut abolie. Il s’agissait d’équilibrer les effectifs mais aussi de répondre à l’évolution des mentalités pour qui cette division ne se justifiait plus sur le plan pédagogique. 

Deux belles plaques en marbre commémorent l’inauguration du groupe solaire.

Ecole Max Machand 3Ecole Max Machand 2

 

L’agrandissement du groupe scolaire est prévu dès 1951 pour remplacer les deux classes (une de garçons et une de filles) installées provisoirement dans un ancien bâtiment scolaire incommode, malsain et trop petit. De plus, l’école de filles accueillait une classe enfantine qui recevait les enfants de cinq ans, au nombre de 47. Derrière le premier bâtiment, les deux ailes séparées sont prolongées en 1957 et en 1962, dans le même matériau, alignant chacune quatre salles de classe le long d’un couloir. En 1994, une salle d'activité est créée dans le préeau central. Les vitres sont omniprésentes afin d’apporter le plus de lumière naturelle et les classes sont assez vastes pour que les enfants ne s’y entassent plus comme dans les anciennes écoles communales. 

 

Les préfabriqués, qui avaient servi de classes pour des élèves de primaire mais aussi les premiers collégiens, ont depuis disparu. Une salle de classe a été bâtie il y a quelques années entre les deux ailes du groupe scolaire afin d’accueillir, notamment, des enfants de l’école maternelle jusqu’à la construction d’une classe adaptée aux plus petits dans les locaux de l'école maternelle

 

Armand Launay

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11 octobre 2012 4 11 /10 /octobre /2012 15:47

S’il existait des professeurs à Pont-de-l’Arche depuis le Moyen Âge, il a fallu attendre la fin du XVIIIe siècle pour que l’enseignement concerne de près ou de loin tous les garçons de la commune. Organisés par le diocèse et la municipalité, les premiers cours dont nous avons retrouvé la trace ont été donnés à partir de 1781 dans l’église du couvent Saint-Antoine (fermé en 1738). Situés à l'angle des rues Fichet et Jean-Prieur, les murs de ce couvent ont entièrement disparu.

Nous perdons trace de cette école par la suite. À partir de 1792, l’État commence à donner des directives plus précises pour inciter les communes à organiser une école. Celles-ci tentaient de fournir un local, elles rétribuaient le professeur et lui payaient toute ou partie de son logement. En 1803, une enquête révèle la présence de deux instituteurs et, à partir de 1818, on trouve également une sœur de la Providence qui donnait des cours aux filles de la commune. Elle bénéficiait, elle aussi, de l’aide municipale.

 

Croizat-Beauregard.JPG

 

La salle Ambroise-Croizat : première école dès 1818

En 1818, Julien Blin reconstruit l’ancien Hôtel-Dieu, vendu comme bien national en 1793, dont il ne reste que la Salle d'Armes. Il loge dans les nouveaux locaux l'instituteur et deux soeurs avant de le donner au Bureau de bienfaisance. Outre les logements, le bâtiment est aménagé en maison d’école. À la mort de l’instituteur, en 1832, le conseil municipal demande une école mutuelle qui permettrait de recevoir beaucoup plus d’enfants. 

Après le vote de la loi Guizot sur l’instruction publique (28 juin 1833), la commune de Pont-de-l’Arche, unie pour l’instruction aux communes voisines d’Igoville et des Damps, décide de réaménager le bâtiment, que le Bureau de bienfaisance accepte de céder à la commune, pour y accueillir tout à la fois les garçons et les filles. Les premiers élèves furent accueillis dans le logement du professeur avant les travaux de 1835 qui permirent l’ouverture de salles de classe adaptées à l’enseignement collectif, la création de deux cours derrière le bâtiment et un exhaussement de celui-ci pour loger les enseignants au-dessus des classes. Les garçons, dans l’actuelle salle Ambroise-Croizat, sont confiés à un instituteur (sans doute un Frère) et les filles, dans la salle devenue Beauregard, à deux sœurs de la Providence. Les enseignants sont logés à l’étage, alors mansardé. Ils bénéficient de la générosité de Mlle de Montalent qui offre une rente mensuelle de 1 800 francs pour subvenir à leurs besoins.

 

Vers 1860 : nouveau bâtiment pour l'école de filles 

Les locaux de la salle Ambroise-Croizat devinrent vite vétustes. En 1858, l’école de filles, qui accueillait 60 filles dans une salle de 6,25 m sur 5,5 m, était déclarée « insalubre ». Pour pallier ce problème, la mairie acquiert un logement plus grand à l’encoignure de la place Maréchal-Leclerc et de la rue du Petit Salut (au n° 9). La cour intérieure servit de cour de récréation et le parvis de l’église de champ d’exercice. Du coup, les garçons, enseignés maintenant par deux ou trois Frères de la Doctrine chrétienne, se retrouvèrent seuls dans l’ancien Hôtel-Dieu qui est réaménagé, en 1860, en particulier le premier étage, avec infirmerie, cuisine, réfectoire, parloir et oratoire.

 

Ecole de filles

 

Laïcisation de l'enseignement

Malgré un Conseil municipal plutôt conservateur, la laïcisation des écoles se fit très rapidement à Pont-de-l’Arche. En 1883, les Frères de l’école des garçons durent démissionner suite aux ordres de leur hiérarchie qui ne supportait pas les récentes réformes de Jules Ferry en matière de laïcisation des programmes scolaires. M. Grambert devint ainsi le premier instituteur laïc de la commune. L’école des filles se laïcisa en 1901 grâce à la nomination d’une nouvelle institutrice, Juliette Fortier. La même année 1901, une école religieuse est ouverte dans notre ville, l’école Saint-Charles, qui divisa par deux les effectifs de l’école publique.

 

Salles Ambroise-Croizat et Beauregard : description du bâtiment 

Érigé en 1818 par Julien Blin, et largement rénové à la fin du XIXe siècle, ce bâtiment est réalisé avec du matériau de pays, c’est-à-dire de petits moellons calcaires en remplissage. Quant au chainage, il est réalisé avec de la brique rouge locale car la production de ce matériau était devenue courante dans la région et les constructeurs avaient confiance en ce matériau pour réaliser la structure des bâtiments. C’est ainsi que les arêtes des murs et le haut des pignons sont réalisés en brique. Mais ce matériau a aussi servi de décoration comme on peut le voir aux jambages des fenêtres mais aussi aux bandeaux entre les étages. Quant au toit, il est composé de deux longs pans couverts de tuiles plates. Il porte les sirènes de la ville.

 Extension-Beauregard-1.JPG

L’arrière de la salle Beauregard présente aussi un intérêt architectural. En 1896, M. Revert, le nouveau directeur de l’école, demanda au conseil municipal de réaliser des aménagements afin d’agrandir les logements des enseignants. Ainsi Hubert Marie, architecte et agent voyer de la commune, proposa la création d’un escalier donnant sur la partie nord du bâtiment (sente de Beauregard). L’objectif était d’installer les logements des autres professeurs un peu plus loin que celui du directeur. Les travaux furent réalisés en 1897 comme en témoigne un millésime, situé du côté de la cour intérieure, qui cite Eugène Ferrand, maire de la ville.

 

Extension-Beauregard-2.JPG

Cet agrandissement témoigne d’un gout architectural prononcé. Le toit en pavillon, couvert d’ardoises, possède une très forte pente qui confère à ce bâtiment carré un aspect néogothique. Cette impression est renforcée par les meurtrières mais aussi l’accolade située au-dessus du linteau de la porte. Les linteaux situés au dessus des ouvertures imitent les nervures des décorations gothiques – sans la souplesse de leurs courbes – et intègrent des décors trilobés. L’angle des murs consiste en une chaine de refends réalisée en brique rouge. Quant au remplissage, il est composé au rez-de-chaussée d’une alternance de lignes de briques claires et de silex de pays. Le premier étage présente, quant à lui, un damier de ces mêmes matériaux. Quelques ancres viennent parachever ce riche appareillage de matériaux.

 

C’est en 1978 que le Conseil municipal présidé par Roger Leroux baptisa une salle du nom d’Ambroise Croizat (ministre communiste du travail de 1945 à 1947) et ce suite à la proposition de Gilbert Bonnetier, adjoint au maire et secrétaire de la section locale des mutilés du travail. Quant à la salle Beauregard, elle doit son nom à la proximité de la sente qui la jouxte.

Un escalier situé à droite de l’entrée de la salle Ambroise-Croizat permet de descendre vers la salle d’Armes qui était la cave de l’ancien Hôtel-Dieu.

Cette école servit uniquement de logements aux enseignants à partir de 1934 lorsque le groupe scolaire Maxime-Marchand fut ouvertDans l’après guerre, l’ancienne école de garçons accueillit aussi l’école ménagère agricole qui prodiguait une formation jusqu’au CAP. Puis elle servit de petite salle polyvalente.

 

Quant à l’ancienne école de filles, elle servit de logement aux institutrices avant d’accueillir la caserne de pompiers, après guerre, et d’être vendue à un particulier.

 

Sources

Registres de délibérations du Conseil municipal 

 

Armand Launay

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  • : Pont de l'Arche et sa région histoire, patrimoine et tourisme
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Mes activités

Armand Launay. Né à Pont-de-l'Arche en 1980, j'ai étudié l'histoire et la sociologie à l'université du Havre (Licence) avant d'obtenir un DUT information-communication qui m'a permis de devenir agent des bibliothèques. J'ai acquis, depuis, un Master des Métiers de l'éducation et de la formation, mention Lettres modernes. Depuis 2002, je mets en valeur le patrimoine et l'histoire de Pont-de-l'Arche à travers :

- des visites commentées de la ville depuis 2004 ;

- des publications, dont fait partie ce blog :

Bibliographie

- 20 numéros de La Fouine magazine (2003-2007) et des articles dans la presse régionale normande : "Conviviale et médiévale, Pont-de-l'Arche vous accueille", Patrimoine normand n° 75 ; "Pont-de-l'Arche, berceau de l'infanterie française ?", Patrimoine normand n° 76 ; "Bonport : l'ancienne abbaye dévoile son histoire", Patrimoine normand n° 79 ; "Chaussures Marco : deux siècles de savoir-plaire normand !", Pays de Normandie n° 75.

- L'Histoire des Damps et des prémices de Pont-de-l'Arche (éditions Charles-Corlet, 2007, 240 pages) ;

- Pont-de-l'Arche (éditions Alan-Sutton, collection "Mémoire en images", 2008, 117 pages) ;

- De 2008 à 2014, j'ai été conseiller municipal délégué à la communication et rédacteur en chef de "Pont-de-l'Arche magazine" ;

- Pont-de-l'Arche, cité de la chaussure : étude sur un patrimoine industriel normand depuis le XVIIIe siècle (mairie de Pont-de-l'Arche, 2009, 52 pages) ;

- Pont-de-l'Arche, un joyau médiéval au cœur de la Normandie : guide touristique et patrimonial (mairie de Pont-de-l'Arche, 2010, 40 pages) ;

- Pont-de-l'Arche 1911 I 2011 : l'évolution urbaine en 62 photographies (mairie de Pont-de-l'Arche, 2010, 32 pages) ;

- Mieux connaitre Pont-de-l'Arche à travers 150 noms de rues et de lieux ! (Autoédité, 2019, 64 pages) ; 

- Déconfiner le regard sur Pont-de-l'Arche et ses alentours (Autoédité avec Frédéric Ménissier, 2021, 64 pages) ;

- Les Trésors de Terres-de-Bord : promenade à Tostes, ses hameaux, Écrosville, La Vallée et Montaure (publié en ligne, 2022) ;

- Les Trésors de Terres-de-Bord : promenade à Tostes, ses hameaux, Écrosville, La Vallée et Montaure (version mise en page du précédent ouvrage, édité par la mairie de Terres-de-Bord, 2023).

Depuis 2014, je suis enseignant à Mayotte.

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