Comparaison entre la carte d'état major des années 1840 et la carte topographique contemporaines (captures d'écrans du site Géoportail, consulté le 2 février de l'an de grâce 2021).
Pinterville se trouve aujourd’hui dans le prolongement de Louviers, tel un de ses quartiers, le long de beaux coteaux dirigeant le regard vers Pacy-sur-Eure. En ce sens, Pinterville est la porte d’entrée vers les charmants villages de pierre qui s’égrènent le long de la rivière d’Eure. Se promener dans les rues pintervillaises permet de mesurer combien nous avons affaire à un paisible village de la vallée. Il ne lui manque que le vignoble que l’on imagine aisément sur ses doux coteaux.
Avec seulement 752 habitants en 2018, notre commune est augmentée d’un hameau, Le Hamelet, que l’on voit sur la carte d’état major de 1840. Il est depuis largement devenu le nom d’un quartier et collège de Louviers, hormis une résidence pavillonnaire située dans le territoire pintervillais.
Il existait aussi, sur les lointaines hauteurs exposées au vent, le Moulin Lequeux, sur le plateau vers Vironvay. On le voit encore sur la carte de 1840 qui démontre, s’il le fallait, l’importance de la culture céréalière sur les hauts. Dans la vallée, au moins un autre moulin devait être exploité sur l’Eure.
Extrait de la carte de Cassini (de la fin du XVIIIe siècle) où se voit très nettement la ferme appelée Le Parc (capture d'écran du site Géoportail, consulté le 2 février 2021).
Pinterville est aussi constituée par Le Parc de la Garenne, dénommée “ferme de Pinterville” sur la carte de Cassini de la fin du XVIIIe siècle. Un château, sur lequel nous n’avons pas d’information, l’accompagne de nos jours, non loin de la Croix du Buis-Morieux (XVIIe siècle). Plus au sud de cette ferme, se trouve l’étonnante vallée de la porte blanche, couleur de la craie qui y affleure. Mystérieuse et tortueuse, entre Acquigny et Heudebouville, elle est cachée par un beau couvert forestier. Elle dût être en eau naguère et donc propice à l’installation humaine comme en témoigne l’allée couverte… découverte en 1942 et classée Monument historique trois ans plus tard. Cette allée couverte était le tombeau collectif d’une trentaine de personnes. Sa présence témoigne de l’implantation d’une communauté, c’est-à-dire d’un processus de sédentarisation. Cette allée couverte est classée dans la civilisation Seine-Oise-Marne et datée dans une fourchette allant de 3 400 à 2 700 ans avant Jésus-Christ. Avec l’enceinte préhistorique de Cambremont, à Acquigny, elle témoigne d’un peuplement précoce mais aussi d’une riche exploitation de ces lieux qui tranche avec la relative désertification, depuis le XIXe siècle, de ces espaces intermédiaires entre vallée et plateaux.
L’étymologie de Pinterville est incertaine. Elle évoque néanmoins le domaine d’un seigneur au nom d’origine franque. Selon MM. Charpillon et Caresme, cette paroisse fait partie du domaine royal à partir, au moins, de Philippe Auguste. Malgré des changements de propriétaires, on retrouve quelques principales familles fieffées en ce lieu. En 1248, Guillaume d’Aubergenville, seigneur, avait des droits sur le bois pour refaire son manoir et son port. En 1260, c’est le célèbre Eudes Rigaud, zélé archevêque de Rouen, qui acheta le fief de Pinterville. En 1601, un archevêque vendit son bien à Gabriel Le Page, receveur de la cour des aides (un impôt d’alors).
Le château de l’économiste Pierre de Boisguilbert
C'est en 1677 que l’écrivain et économiste normand Pierre Le Pesant de Boisguilbert (1646-1714) lia sa vie à Pinterville en se mariant avec Suzanne Le Page, descendante de Gabriel Le Page. Pierre de Boisguilbert compte parmi les grands précurseurs de la science économique. En effet, ses études sur la justice sociale se firent à travers le prisme de la fiscalité et des échanges marchands. De Boisguilbert souhaitait assoir une meilleure égalité devant l'impôt à hauteur de 10 % des revenus, devant aider les plus pauvres à consommer et donc à accroitre la production. Il établit, le premier, une théorie des échanges marchands et promut une certaine liberté du commerce.
C’est en 1680 qu’il fit bâtir le corps principal du château, qui existe de nos jours au sud du village, dans un pur style classique français, aussi symétrique qu'harmonieux. Situé dans un parc arboré caressé par le cours de l’Eure, le château fut construit avec de la brique, en chainage, et du moellon calcaire en remplissage. Il remplaça un ancien manoir du XIIIe siècle, peut-être celui de Guillaume d’Aubergenville. Au XVIIIe siècle, les descendants de De Boisguilbert érigèrent les galeries, les pavillons d'angle et les ailes. Le pavillon central fut rehaussé en 1840. Ce château fut acquis par Jean-Luc et Édith de Feuardent en 1997 qui œuvrent depuis à sa restauration et son rayonnement. En 2015, le domaine fut classé Monument historique.
Carte postale des années 1910 représentant le château de De Boisguilbert et vue actuelle de Frédéric Ménissier (janvier 2021).
L’église de la Sainte-Trinité
L’église est plus proche de l’Eure que le cœur du village. Cela témoigne assurément des activités anciennes de Pinterville autour de son port et du franchissement de l’Eure vers la rive gauche. L’église est située à la limite des zones inondables. Placée sous le patronage de la Sainte-Trinité, elle est constituée d’un vaisseau rectangulaire protégé de deux pans de toit couverts de tuile plate et d’un petit clocher couvert d’ardoise. L’essentiel de ce bâtiment date du XVIe siècle comme en témoignent les régulières ouvertures gothiques perçant des murs en belle pierre de taille calcaire. Une tourelle menant au clocher rompt l’harmonie générale mais présente la beauté de ses pans de bois. La sacristie fut construite au XVIIIe siècle. Le mobilier, particulièrement riche, retient l’attention quand on entre dans la Sainte-Trinité qui fut classée Monument historique en 1927. Ce mobilier est décrit dans la base POP du Ministère de la culture et comprend plusieurs dizaines d’objets classés ou inscrits sur la liste supplémentaire des Monuments historiques. Un presbytère de la moitié du XVIIIe siècle enrichit le tout qui fut inscrit Monument historique en 1975.
Les immenses Charpillon et Caresme
Deux monuments ‒ intellectuels ‒ de l’Eure sont attachés à la commune de Pinterville : MM. Charpillon et Caresme, auteurs, avec l’aide de Stéphane de Merval, du Dictionnaire historique de toutes les communes du département de l'Eure ‒ histoire, géographie, statistique. Cette somme de connaissances fut rédigée par le bourguignon Louis-Étienne Charpillon (1817-1894), juge de paix à Gisors. Inspirée des travaux Louis-Léon Gadebled (1840) et d'Auguste Le Prévost (1864), elle fut publiée en deux volumes en 1868 et 1879 et bénéficia d’une préface du célèbre écrivain Alexandre Dumas, ami de Louis-Étienne Charpillon.
Sans qu’on en sache précisément la cause Louis-Étienne Charpillon s’installa à Pinterville où il s’associa à son curé, le lovérien Anatole Caresme (1815-1876), qui lui apporta la richesse de ses notes (accumulées durant près de 30 années de lecture des archives) ainsi qu’une solide connaissance de l’administration religieuse et civile de l’Ancien Régime. Il est resté connu sous le nom d’abbé Caresme, comme en témoigne une rue de Louviers.
La paroisse du père Laval
Un autre curé, déjà cité par MM. Charpillon et Caresme, a honoré la paroisse de Pinterville : il s’agit du père Désiré Laval. Ce docteur en médecine s’est fait aimer pour son dévouement à la santé des Mauriciens de 1847 à 1849. En héritier de Saint-Luc, il a curé les corps et les âmes. Il participa à l’évangélisation de cette ile de l’Océan indien, ancienne colonie française, où l’on pratique toujours avec ferveur le catholicisme et où le père Laval y est honoré. La présence d’une communauté mauricienne, en France, a impulsé et animé un pèlerinage annuel, début septembre, à Pinterville pour honorer, par sa paroisse d’origine, le père Laval. Cet homme a été béatifié en 1979 par le pape Jean-Paul II.
Quelle riche histoire pintervillaise que nous ne faisons qu’entrevoir !
Armand Launay
Pont-de-l'Arche ma ville
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