La Haye-le-comte, hameau de Louviers et commune à part entière, d'après un détail d'une vue panoramique et printanière de Frédéric Ménissier, que nous remercions, en avril 2021.
Carte postale des années 1910 (Archives départementales de l'Eure, en ligne).
La Haye-le-comte est un village de 135 habitants situé dans la continuité des quartiers sud de Louviers. Si la majeure partie de ses maisons se trouvent à Louviers, quelques bâtisses à pans de bois, brique et moellon calcaire évoquent la campagne autour de deux ou trois rues bel et bien situées dans la commune de La Haye-le-comte. Alors La Haye-le-comte est la fois le nom d’une commune et d’un quartier de Louviers.
Extrait du tableau d'assemblage du plan cadastral de la commune (Archives départementales de l'Eure, en ligne).
Un lieu de transition paysagère.
Le paysage de la Haye-le-comte est une boucle témoignant d’un méandre fossile de l'Eure. Cette boucle entame le plateau du Neubourg par de sévères pentes comme l’exprime excellemment la “côte de Crève-cœur”. Au milieu de cette boucle se trouve la “côte de la Justice”, évoquant par la dureté des lois la raideur de sa pente culminant à 72 m, à moins que ce ne soit une référence à un éventuel gibet installé ici pour supplicier des gens, selon la fiche Mérimée du Ministère de la culture. La Haye-le-comte est à la fois dans la vallée agricole, vers 35 m d’altitude, et sur le plateau du Neubourg avec La Neuville, un de ses hameaux, à proximité de Surville. Ainsi des bois et des vallons, dont celui au nom étonnant et mystérieux de Trifondouille, font partie de la richesse de la commune, qu’elle soit naturelle ou lexicale. C’est ce beau cadre que viennent chercher les résidents des quelques nouvelles rues pavillonnaires longeant les voies d’antan.
Carte d'état-major consultée sur le site Géoportail.
Le château des comtes de Meulan
C’est avec surprise que La Haye-le-comte est devenue une commune, à la Révolution, car elle était peu peuplée ‒ 46 habitants en 1800 ‒ et semblait se résumer à une propriété seigneuriale, près de la ferme des Herbages. Pour preuve, sa petite mairie semble être une annexe du château seigneurial.
Exprimant sûrement la conquête de la Normandie par le roi de France, en 1204, c’est le Français Roger, comte de Meulan, qui fit construire le château de “Hayam comitis” dans la paroisse de Louviers. Peut-être devait-il être l’œil du roi, se méfiant des Normands, sur la ville de Louviers ? Si nous ne savons rien de ce château, nous pouvons affirmer que le nom de la paroisse vient de celui-ci : la haie du comte de Meulan, que ce soit Roger et ses descendants. La haie peut désigner un clos défensif constitué de végétaux denses et de fossés. Nous savons aussi que ce château était situé à côté de la ferme des Herbages. Après les comtes de Meulan, au XIVe siècle, les seigneurs de La Haye ont été les Le Métayer. Vers 1647, Anne Le Métayer fit construire une demeure, remaniée au XIXe siècle, ainsi qu’un pigeonnier vraisemblablement daté, lui aussi, du XVIIe siècle.
Le château de La Haye-le-comte derrière et à côté de beaux éléments architecturaux agricoles (photographie de Frédéric Ménissier, avril 2021).
Cartes postales des années 1910 (Archives départementales de l'Eure, en ligne).
La difficile église de La Haye
Après la construction du château par Roger, son fils Amaury fit ériger une petite église en 1225 devant sa propriété. Sa charge fut conférée aux chanoines réguliers de prémontrés d’Abbécourt, à Orgeval, dans les Yvelines. Richard de Saint-Léger, évêque d'Évreux, la consacra en 1226 du nom de Notre-Dame. En 1330, une chapelle dédiée à Saint-Thibault fut construite à côté de l’église, séparée ou unie par un mur mitoyen. En 1645, l’église était en ruine. François de Péricard, évêque d’Évreux, insista pour qu’elle soit restaurée principalement par le seigneur Le Métayer, puis le prieur Jean Blondeau. Le 6 juin 1645 le même évêque la consacra à Notre-Dame et Saint-Thibault. Elle fut érigée en cure et les prémontrés partirent.
Carte postale des années 1910 (Archives départementales de l'Eure, en ligne).
Devenue ruine dans une paroisse peu peuplée, l’église disparut et, à la Révolution pas plus qu’en 1905, La Haye-le-comte n’avait d’église. Ce n’est qu’en 1922 qu’une chapelle fut bâtie. C’est Émile et Léonie Auger qui achetèrent les terres et firent construire l’édifice pour remercier le Ciel de la survie de leur fils Jean durant la Première Guerre mondiale. Depuis, le culte catholique reprit et, le 24 avril 2015, la chapelle fut donnée à la commune par les héritiers Auger. La mairie a entrepris des travaux notamment avec l’atelier Cursus et la Fondation du patrimoine grâce à laquelle nous avons eu ces dernières informations et une photographie. Un appel aux dons est ouvert sur le site de l’association. Du patrimoine ancien, il reste une statue de la Vierge à l’Enfant Jésus du XIIe siècle, un buste reliquaire de Saint-Thibaut offert, semble-t-il, au XVIIe siècle par François de Péricard et une vasque calcaire des fonts baptismaux du XVIe siècle.
Notre-Dame de La Haye-le-comte. Photographie issue du site de la Fondation du patrimoine.
Longtemps dépeuplée, la Raye l’conte, comme on disait en parler normand, semble retrouver une vitalité qui lui va bien !
L'article qui suit date de 2013. Depuis décembre 2023 nous avons élaboré une monographie sur ce massif forestier. Pour accéder à ce travail, il suffit de cliquer sur l'image ci-dessous. Bonne lecture !
« … la forêt de Bord n’est rien d’autre que celle du Pont-de-l’Arche. »
Eustache-Hyacinthe Langlois, La Croix-Sablier, page 308.
La forêt de Bord-Louviers est un beau massif de 45 km² situé dans la vallée de la Seine, dans l’Eure. Elle se prête aux loisirs, aux rêveries et aux questions historiques. Cet article dresse un petit panorama de richesses offertes aux curieux…
Le hêtre Tabouel, une des figures tutélaires de la forêt de Bord (cliché Armand Launay, 2011).
Des origines au Moyen Âge…
Un coup d’œil sur une carte ou une vue satellitaire de la vallée de la Seine montre que la dénivellation a joué un rôle non négligeable dans la préservation de surfaces boisées, lointaines héritières de la grande forêt couvrant l’Europe au néolithique. Si la forêt de Bord n’est plus un espace naturel sauvage, elle constitue néanmoins le poumon vert de la boucle de Louviers où l’Eure et la Seine se rapprochent peu à peu avant leurs fiançailles à Pont-de-l’Arche et leur union à Martot. Elle se trouve à l’extrémité nord-Est du plateau du Neubourg.
L’arrivée de l’Homme…
Comme nous l’avons écrit dans un article consacré à Tostes, les traces de l’Homme en forêt de Bord remontent au néolithique. C’est ce que l’on peut lire dans l’ouvrage dirigé par Bernard Bodinier, L’Eure de la préhistoire à nos jours, qui fait état (pages 33 et 40) de poignards du Grand-Pressigny retrouvés en « forêt de Pont-de-l'Arche » et conservés au Musée des Antiquités de Rouen. Il localise aussi à Pont-de-l’Arche (page 41) une épée à lame pistilliforme du bronze final II (page 42) et des pointes de lance d'influence britannique du bronze final III (page 43). On peut cependant penser que l’Homme a commencé à exploiter la forêt auparavant car Léry et la boucle de Seine qui l’entoure était déjà habités dès 5 000 ans avant notre ère.
Léon Coutil écrivit dans « Ateliers et stations humaines néolithiques du département de l’Eure » que « Le Musée d'Elbeuf possède plusieurs belles haches trouvées à la Vallée, près Tôtes, au triage des Routis. Au triage des Treize-Livres, hache plate en silex rosé, trouvée en 1859 (Musée de Louviers) » (page 177).
Dans un autre article de 1893, « Résumé des recherches préhistoriques en Normandie (époque paléolithique) », Léon Coutil a fait état d’une autre découverte : « Dans les champs, à la surface, M. Noury a recueilli une large hache plate taillée à grands éclats des deux côtés ; cette pièce, un peu triangulaire et à patine ocreuse, mesure environ 0m15. On peut la voir au musée d'Elbeuf, ainsi que des lames moustériennes trouvées dans les mêmes conditions, au même endroit » (page 66).
Dans un article intitulé « Inventaire des menhirs et dolmens de France (département de l’Eure) » le même Léon Coutil expose que « sur la limite de la forêt, entre Tostes et Saint-Pierre-lès-Elbeuf, au triage de la Cramponnière, se trouve un grès d'environ un mètre de hauteur, que l'on désigne sous le nom de : Pierre du Gain » (pages 108-109). Ce monument désormais disparu doit vraisemblablement être un mégalithe préceltique attestant la présence de l’Homme, voire sa sédentarisation.
Des traces gallo-romaines
La Carte archéologique de la Gaule, éditée par Dominique Cliquet, fait état (page 227) de fouilles réalisées entre 1894 et 1904 par Léon de Vesly et Victor Quesné. Celles-ci eurent lieu à la Butte des Buis, en forêt, près de La Vallée. Elles ont restitué les bases d’un fanum (13 m de côté) à cella carrée (un sanctuaire) de 4,35 m de côté entourée d’une galerie. Les murs de cette dernière étaient recouverts d’une couche de gypse rose et surmontés d’un portique. Plus de 60 monnaies ont été retrouvées sur les lieux allant du début du Ier siècle avant notre ère au IVe siècle : Tibère, Claude, Néron, Marc-Aurèle, Lucille, Dèce, Gallien, Salonine, Postume, Claude II, Tétricus I et II, Probus, Constance Chlore, Maximien Hercule et Daia, Constantin, Licinius, Crispus, Constantin II.
D’autres vestiges sont signalés par la carte d’état-major de l’IGN en forêt de Bord, près du carrefour des Quatre-bancs, entre La Couture et Louviers. La carte IGN les considère comme des restes de villa avec son puits. Nous n’avons pas trouvé de rapport de fouille sur ces vestiges situées aujourd’hui dans le périmètre administratif de Louviers.
Les défrichements entre l’Antiquité et le Moyen Âge
Les éléments archéologiques laissent entrevoir un habitat gallo-romain dispersé dans des friches au sein d’une forêt de Bord aux contours différents de ceux que nous lui connaissons depuis le Moyen Âge. Au Moyen Âge, certaines clairières étaient refermées alors que d’autres avaient donné naissance à La Haye-Malherbe, Montaure et Tostes.
Bord : un nom mystérieux
C’est Edouard Jore, auteur de « La chasse en forêt de Bord », qui nous fournit (page 14) la plus ancienne référence du nom « Bord » : « il s’agit d’une charte du 11e jour des calendes d’octobre de l’an 1014, par laquelle Richard II, dit « le Bon Duc de Normandie » pour réparer les dommages que son armée avait causés aux possessions de la Cathédrale de Chartres, fait don à cette Basilique notamment de Vraiville entre Louviers et Elbeuf avec la dîme de la chasse dans la forêt appelée Bord ». Wikipédia, sans citer ses sources, donne le mot « Bortis » désignant en latin médiéval la forêt de Bord. Cette même encyclopédie avance que ce mot dériverait du celtique borto « ayant un sens forestier ».
En 1130, le grand rôle de l’Echiquier de Normandie cite notre forêt « … et de 4 lib. 14 sol. de pasnagio foreste de Bort ». » (Léopold Delisle, Mémoires de la Société des antiquaires de Normandie, page 29, membrane 8).
Par ailleurs, Léopold Delisle cite des chartes royales présentes dans le cartulaire de Bonport sous Louis IX. En aout 1256, la forêt qui nous intéresse est nommée « in foresta nostra Bortis » (page 105, charte n° 567). En mars 1256 ou 1257, elle devient « foresta Bordi » (page 107, charte n° 574). En avril 1257, elle est nommée « in foresta silicet de Borz » (page 107, charte n° 578). Notons que les moines de Bonport, habitant à l’orée de la forêt et y étant bien possessionnés, étaient parmi les mieux placés pour connaitre ce massif.
Que ce soit Bort ou Bord, il semble que la dernière lettre reste muette. Nous conservons la forme « Bor » comme nom de la forêt. Si le terme de Bort a été identifié, il est difficile de lui donner un sens précis. Nous avons voulu connaitre l’origine des toponymes lui ressemblant. Ainsi, selon Stéphane Gendron, auteur de L’origine des noms de lieux en France, le toponyme germanique « borde » désignait une cabane, une maisonnette, une métairie. Il serait issu du francique « bort », désignant une planche, qui a donné le latin tardif « borda », cabane (page 146). Cependant, à la page 188, le même auteur avance que Bort-les-Orgues (Corrèze) est construit sur le mot prélatin « borna » signifiant « source », « trou ».
Quant à Ernest Nègre, auteur de Toponymie générale de la France, il cite deux formes anciennes de Bort-les-Orgues : « boort » datée de 944 et « bort » datée de 1315. Selon lui, ce toponyme est à rapprocher des mots gaulois « borduo » qui désigne la corneille et « ritum », le gué. Le « Gué de la corneille » est l’étymologie que l’auteur donne aussi à Bourth, dans l’Eure, écrit « boort » en 1131.
Nous n’avons pas d’éléments probants pour expliquer le sens du nom de la forêt de Bord.
Une forêt du pouvoir central
Propriété du pouvoir depuis le haut Moyen Âge
Si la forêt de Bord n’est pas explicitement mentionnée dans les archives antérieures au XIe siècle, trois sites qui l’entourent ont fait partie du domaine royal, appelé le fisc. C’est ce que note Lucien Musset (page 23) : « Parmi les fiscs, certains paraissent avoir fait, de toute antiquité, partie du patrimoine du souverain ; ce sont les grands axes de la vallée de la Seine, groupés autour des résidences royales : Arelaunum, en forêt de Brotonne ; Gemmeticum, Jumièges ; Pistae, Pitres ; Veteres Domus qui est sans doute Louviers ; Rotoialum, Le Vaudreuil, ce dernier même remonte peut-être à l’époque gallo-romaine... » L’historien se fonde (page 25) sur la lecture de Grégoire de Tours qui cite la villa royale de Rotoialum en 584. Lucien Musset détaille (page 24) les fiscs et y insère les communes actuelles de Pont-de-l’Arche, Léry, Pinterville et, pour le fisc du Vaudreuil, « un secteur de la forêt de Bord (dans laquelle le fisc de Veteres Domus devait aussi comporter des dépendances). » Enfin, Lucien Musset écrit aussi (page 50) que « Les ducs Normands ont hérité des domaines Carolingiens [avec] régularité ».
Une « forêt de Louviers » ?
Autre preuve que la forêt de Bord était une propriété du pouvoir, l’échange réalisé par Richard Cœur de Lion le 16 octobre 1197. Celui-ci donna à l’archevêché de Rouen la forêt de Bord proche de Louviers contre la ville des Andelys où le monarque construisait le Château-Gaillard. Ainsi naquit une « forêt de Louviers ». Le 2 novembre 1789, la forêt de Bord fut incorporée au domaine de l’Etat. La forêt de Louviers fut nationalisée en tant que bien religieux. Ce n’est qu’en 1983 que ces deux domaines furent réunis en une seule entité administrative : la forêt de Bord-Louviers. Preuve ultime que la forêt de Bord était un fief direct du roi, l’installation d’une administration contrôlant ce bien au nom du roi… à Pont-de-l’Arche.
Le siège de la Maitrise des eaux et forêt de Pont-de-l'Arche vu depuis le premier étage du bailliage (cliché Armand Launay, 2013).
La maitrise des eaux et forêts
Les forêts comptent parmi les ressources nécessaires au maintien d’un pouvoir. Cependant, les posséder ne suffit pas ; il faut contrôler l’usage qui en est fait. C’est pourquoi, dès que les archives le permettent, on voit apparaitre des gardes en charge de la forêt. Louis-Etienne Charpillon et Anatole Caresme citent une charte de 1327 mentionnant « Jean de Commeny, Jean de Vilaines, Jean de Guinemaut et Gaufroy Le Grieu » comme « gardes en la forêt de Bord ».
Puis nous utilisons les travaux de Pascal Le Berre, auteur de Délinquants et forestiers dans les bois du Roi, qui a retracé la mise en place et la vie d’une administration régissant les eaux et forêts. Police et tribunal, le corps des Eaux et forêts fut mis en place par Philippe IV Le Bel (1291) et surtout par l’ordonnance de Brunoy signée par Philippe VI de Valois en 1346. Ce corps hérita de la compétence judiciaire détenue jusqu’alors par le bailli. Louis-Etienne Charpillon et Anatole Caresme nous apprennent que « Le roi d’Angleterre étant à Pont-de-l’Arche, en 1418, donna l’office de verdier de la forêt de Bord, à Etienne Louvel, et nomma sergents de cette même forêt, Robin Le Tailleur, Jean Aubrée, Thomas Foucault et Simon de Daubeuf. » Le roi d’Angleterre a maintenu l’organisation hiérarchique autour du verdier et de ses adjoints, les sergents, en charge de secteurs particuliers de la forêt.
L’administration se précisa encore. A partir de 1555, les maitrises des eaux et forêts furent créées dans le royaume afin de contrôler, surveiller et juger en première instance des délits liés à l’exploitation des bois, de la chasse et de la pêche. Une maitrise fut créée à Pont-de-l'Arche. Sa juridiction, différente de celle du bailliage, comprenait les forêts de Bord, de Longboël et de Louviers. Elle incluait aussi les bois seigneuriaux et ecclésiastiques, ces propriétaires assurant eux-mêmes le contrôle de leurs propriétés. La maitrise de Pont-de-l’Arche dépendait de la Grande maitrise de Rouen (seconde instance), elle-même dépendante de la Table de marbre du Parlement de Normandie. Au XVIIIe siècle, les forêts de la Grande maitrise de Rouen étaient les plus rémunératrices du royaume. Cependant, Pont-de-l’Arche faisait partie des petites maitrises de la généralité de Rouen. En 1573, les offices forestiers furent institués et on lit qu'en 1613 « Jean Le Tellier, sieur des Hauguettes, était maître particulier aux Eaux et Forêts de Pont-de-l’Arche ; Louis de la Faye était lieutenant » (Louis-Etienne Charpillon et Anatole Caresme).
Pascal Le Berre détaille la profession d’officier des eaux et forêts : « Lors du décès de l’officier, il n’y a que quelques semaines de vacances le temps que la famille lui trouve un successeur et que celui-ci règle les formalités administratives. Les acquéreurs des charges ont quasiment tous moins de trente ans. Cette activité est, le plus souvent, la principale et la seule activité professionnelle de ces hommes. C’est une profession qui détermine non seulement l’individu mais aussi sa famille. L’hérédité est très fréquente. Presque tous sont des avocats, à la base. Leur métier est moins celui de forestier que de juriste. Ils font partie d’une élite locale bien enracinée ».
Les greffiers sont nos secrétaires actuels (tenue des archives et traitement des courriers) mais de luxe. C’est une bonne charge. Un commis accompagne souvent le greffier. Tout en apprenant le travail il accumule un pécule qui lui permettra d’acheter la charge à la mort du titulaire, assurant ainsi la pérennité de l’emploi et de sa qualité.
Les huissiers-audienciers sont censés transmettre les documents issus du greffe. Ils étaient trois à Pont-de-l'Arche avant 1690 et deux après. Ils pallient souvent le manque de gardes. Ce sont des personnages secondaires qui évoluent dans le même univers socioculturel.
Pascal Le Berre détaille un autre personnage : « A la fin du règne de Louis XIV encore, les gardes généraux-collecteurs des amendes de la maîtrise (…), de simples gardes, font plutôt figure d’aventuriers peu scrupuleux. La perception des amendes est leur principal gagne-pain et il leur faut parfois arracher les deniers de haute lutte ». Puis, vers 1750, son profil change. Il est un bourgeois rouennais ou archépontain respecté. La collecte gagne en importance. Les gardes forestiers de la maitrise devinrent plus nombreux : de 7 en 1685 à 17 en 1785. Cela fit suite à une longue période de stagnation des effectifs. Précaires car nommés par le Grand Maitre, les gardes ont souvent comme activité le travail de la terre ou l’élevage et passent pour être parmi les premiers à enfreindre les lois quant aux nombre d’animaux emmenés dans les bois. C’est une fonction très peu populaire qui attire, en conséquence, des personnes très pauvres. Ce travail peu rémunérateur en soi a favorisé la débrouille en défendant un peu moins la cause du roi. Leurs conditions de vie vont de l’aisance à la pauvreté.
Pascal Le Berre a constaté que 4 à 500 amendes étaient données chaque année, en moyenne, dans le ressort de la maitrise. Le montant variait de 4 à 6 livres en moyenne.
Répartition des délits dans la forêt de Bord en 1716 et en 1786 (Pascal le Berre)
1716
1786
Vol de bois
97 %
92,8 %
Pâturage illégal
3 %
7,2 %
Les animaux concernés en 1716 : 562 ; en 1786 : 386.
Les gardiens de bétail en 1786 sont de jeunes garçons (50,5 %), de jeunes filles (10,6 %), des domestiques (23 %) et des femmes (3,5 %). Pour l’essentiel, les animaux concernés sont des bovins. La rareté des porcs peut s’expliquer par la règlementation de la glandée. Les propriétaires déclarent leurs bêtes à la Maitrise qui, à l’automne, orchestre la paisson.
Répartition des essences faisant l’objet de délit dans la forêt de Bord en 1716 et 1786 (Pascal Le Berre)
Essences
1716
1786
Chêne
46,7 %
13,6 %
Hêtre
29 %
38 %
Bouleau
14,2 %
36,8 %
Tremble
6,9 %
10,4 %
Autres
3,2 %
1,2 %
L’auteur précise que ces délits reflètent moins un changement de gout qu’une évolution des essences. La délinquance est souvent le fait d’une personne, voire deux. C’est une délinquance familiale. En 1716, elle impliquait 75,6 % d’hommes et 2,7 % de valets et de servantes En 1786, elle concernait 84,1 % d’hommes et 3,9 % de valets et de servantes.
Paroisses d’origine des auteurs de délits en forêt de Bord en 1716 (Pascal le Berre, page 135)
Paroisses
Nombre de feux en 1716
Foyers délinquants
Romilly
75
48 (64 %)
Pont-de-l'Arche
273
151 (55,3 %)
Les Damps
66
31 (47 %)
La Neuville
274
112 (41,1 %)
Saint-Cyr-du-Vaudreuil
124
48 (38,7 %)
Notre-Dame-du-Vaudreuil
116
44 (37,9 %)
Pont-Saint-Pierre
83
30 (36,1 %)
Léry
201
67 (33,3 %)
Incarville
45
12 (26,6 %)
Criquebeuf
146
35 (24,5 %)
Martot
39
8 (20,5 %)
Montaure
160
26 (16,3 %)
Pîtres
148
23 (15,5 %)
La Haye-Malherbe
156
20 (12,8 %)
Caudebec
400
48 (12 %)
Tostes
53
4 (7,5 %)
Saint-Etienne-du-Vauvray
60
4 (6,6 %)
Louviers
957
18 (1,9 %)
En 1790, dans un contexte de pillage généralisé, l’Assemblée constituante confia les attributions judiciaires des maitrises des Eaux et forêts aux tribunaux de district.
La cartographie : un outil du pouvoir
Louis-Etienne Charpillon et Anatole Caresme ont noté que « Vers 1508, le procureur du roi de Pont-de-l’Arche fit dresser une nouvelle carte de la forêt de Bord ». Ce document a, semble-t-il, disparu. Il témoigne de la volonté du pouvoir d’organiser le contrôle et l’exploitation forestière. La Bibliothèque nationale de France a numérisé une partie de ses collections (base Gallica) où figurent à ce jour trois cartes de la forêt de Bord. Nous les reproduisons ci-dessous. Les deux premiers documents semblent dater du XVIIe siècle et sont peu ou prou intitulés « Forêt de Bord de la maîtrise du Pont-de-l'Arche ». Mesurant 39 cm sur 26 cm, ils sont calqués l’un sur l’autre. Le premier constitue une présentation générale des propriétés royales et le second détaille leurs limites et leurs surfaces réparties en six gardes différentes. Il semble assez évident que ces cartes furent dessinées après l’ordonnance de Colbert, datant de 1669, qui constitue un point de départ dans le renouveau de la législation ainsi que dans l’organisation des eaux et forêts.
« Forest de bord de la Maistrise du Pont-de-l'Arche », fin XVIIe siècle (Bibliothèque nationale de France, GED-4526 : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb40722977n).
« Forest de bord de la Maistrise du Pontdelarche », fin XVIIe siècle (Bibliothèque nationale de France, GED-4529 : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb407229780).
La troisième carte porte le titre de« Plan de la forest du Pont de l'Arche, autrement de Bord... faict à Paris de l'ordonnance de Monsr Le Feron, par Jean Fleury, arpenteur ». Ce document au 1/26 000e est daté de 1674. Il mesure 48 cm sur 67 cm.
« Plan de la forest du Pont de l'Arche, autrement de Bord... faict à Paris de l'ordonnance de Monsr Le Feron, par Jean Fleury, arpenteur » (Bibliothèque nationale de France, GECC-4945(12RES) : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb407682728).
Nous insérons aussi une reproduction de faible qualité de la carte dressée par Hyacinthe Langlois le 25 juillet 1796 pour son père Gérard. Celui-ci était garde-marteau en la maitrise des eaux et forêts du bailliage de Pont-de-l’Arche. Officier du roi, sa fonction consistait à contrôler les essences à vendre et à s’assurer de la légalité de leur vente. C'est lui qui détenait le marteau avec lequel on marquait les arbres à abattre. On y voit clairement les gardes publiques de Bord et Longboël et les bois privés de Bord : Martot, Bonport et Louviers. Cette carte a été reproduite en noir et blanc dans L’Eure de la préhistoire à nos jours (page 223).
La forêt de Bord par Eustache Hyacinthe Langlois (1796).
En conclusion de cette partie, la forêt de Bord est donc pleinement une forêt, c’est-à-dire un domaine relevant de la cour de justice du roi, bois ou non, si l’on reprend le sens du mot bas latin forestis.
Les derniers défrichements du Moyen Âge
Le fait que la forêt de Bord ait été une propriété royale a largement protégé ses frontières. Cependant, les monarques n’ont pas possédé l’ensemble des bois et ont conféré des droits à des vassaux ayant défriché. Ainsi dans L’Eure de la préhistoire à nos jours on peut lire (page 122) : « Au début du règne de Saint-Louis (1226-1270), beaucoup [d’hôtes, de colons] furent lotis par le châtelain du Vaudreuil d'une parcelle de la forêt de Bord à défricher. Les défrichements dans cette forêt prirent d'ailleurs une telle extension que le roi dut, en 1246, dédommager les moines cisterciens de Bonport, qui y possédaient des droits ». Ces parcelles sont impossibles à localiser même s’il serait vraisemblable qu’elles désignent l’espace entre Le Vaudreuil et la forêt actuelle. Ce même ouvrage avance (page 130) que « quelques bourgs seulement eurent avoir avec les défrichements, et tardivement, au XIIIe siècle, comme La Haye-Malherbe, en forêt de Bord... » Les moines de Bonport ont aussi, semble-t-il, défriché sans que nous puissions localiser les terres concernées. Il semble donc qu'à partir du XIIIe siècle le massif de Bord ait stabilisé ses frontières.
Activités anciennes
La coupe du bois
La proximité de la Seine a certainement favorisé le flottage des bois. Ce dernier compte peut-être parmi les raisons de la sauvegarde d’un massif forestier royal en ce lieu en plus d'une dénivellation moins propice à la culture. Naguère, la forêt était au cœur de toute industrie. Son bois fournissait le matériau nécessaire aux outils des artisans, aux maisons, aux véhicules, au chauffage...
Sans être en mesure de présenter ici une étude complète sur la coupe du bois en forêt de Bord, il nous plait de citer des passages d’une étude de Jean Boissière mettant en lumière l’importance de ce massif dans l’approvisionnement de Rouen et surtout de Paris : « Les forêts de la vallée de la Seine entre Paris et Rouen d’après l’enquête de 1714 ». Cette étude se fonde sur le procès verbal d’Hector Bonnet chargé par l’hôtel de Ville de Paris de comprendre pourquoi le bois ne parvenait pas suffisamment dans une période de disette de combustible. Cet homme voyagea de Paris à Rouen du 27 septembre au 18 octobre 1714. Il résida à Pont-de-l'Arche du 10 au 15 octobre. Il nous apprend que la forêt seigneuriale était composée en moyenne et uniquement d'un tiers de futaie, le reste n'étant que des taillis. L'état des forêts était donc médiocre du fait de son intense exploitation. 25 ports fluviaux existaient sur la Seine et ses affluents immédiats dont Les Damps, Pont-de-l'Arche et Bonport. Certains massifs avaient jusqu'à trois débouchés fluviaux ce qui laisse apparaitre l'émiettement du commerce du bois. Le flottage du bois existait sur l'Andellle et sur le cours supérieur de la Seine et de ses affluents. Hector Bonnet nota scrupuleusement les obstacles humains à la livraison du bois : les travailleurs de la voie d'eau qui tentaient d'améliorer leur revenu. L'auteur fait référence à un projet présenté au roi afin de rendre flottable l'Eure jusqu'aux Damps (tome 6, page 23). Voici la reproduction du procès verbal d'Hector Bonnet qui concerne Les Damps et Pont-de-l'Arche et qui cite des ventes encore connues sous les mêmes noms :
« ... nous nous sommes rendus au port appellé Les damps qui est l'embouchure de la rivière d'Eure sur lequel nous avons trouvé quinze milliers de cotterets appartenant a la dame Veuve Bouret provenant de la Vente de Cocaigne forest de Bord appellée communement de pont de l'arche, exploitation de mil sept cent treize, plus trente cinq milliers appartenant au Sr Lemire provenant du Recepage desd. Bois de Cocaigne exploitation de mil sept cent quatorze Et ensuite nous nous sommes rendus au port du pont de l'arche sur lequel nous aurions trouvé le nommé garde dud. port qui nous auroit dit y avoir sur iceluy quatre carterons de Bois de compte appartenant au Sr Carcillier provenant de la Vente Glajoleuse forest de Bord exploitation de 1713 quatre autres carterons de Bois d'andelle provenant de la Vente aud. Sieur, plus trois carterons de Bois d'andelle au Sr Roblasre provenant de l'exploitation de 1713 treize cartrerons de pareille Bois appartenant à lad. Veuve Bouret provenant des Ventes de Mollier et Glajoleuse plus a elle appartenant deux cent vingt milliers de cotterets compris quatre vingt dix mil restent dans celle de Glazoleuse, soixante huit milliers de cotterets appartenant au Sr le Cerf demeurant pres d'Elbeuf provenant de la Vente de Cocagne exploitation de 1714 trente huit autres milliers appartenant aux Srs marie freres provenant de la Vente Maigremont exploitation de 1713 et encore vingt huit milliers de cotterets appartenant au Sr Carcillier provenant de la Vente de la Glajoleuse exploitation de mil sept cent treize..."" (page 9, tome 7).
Enfin, nous aimons à rappeler que les pins sylvestres du rez-de-jardin de la Bibliothèque nationale de France ont été déracinés de la forêt de Bord. Sur 200 arbres prélevés, la moitié ne survit pas au transfert comme l'écrit Marie-Hélène Devillepoix suivant les propos du technicien forestier de Pont-de-l'Arche, Didier Lebogne.
Le droit de ramage
Dans « Promenez-vous en forêt » l’Archépontain Jean Mallet retrace, assurément avec des souvenirs d’enfance, une pratique ancestrale consistant à ramasser du menu bois en forêt (page 40) : « L'ouvrier allait souvent se fournir sur place et moyennant un droit dit de « soumission » acquitté au garde, il pouvait aller ramasser du bois mort et faire des fagots pendant un certain temps et dans des parcelles bien désignées. Pendant ce temps là, les « gamins » se battaient à coup de « sapinettes » pour finir par les ramasser dans des gros sacs appelés « pouches » heureux à la pensée de faire « péter » un peu plus tard, dans le poêle en fonte, émaillée ou non. On utilisait la brouette en bois avec parfois deux petites roues en fer sur le devant ou encore, soulevée à l'aide de sangles, afin de pouvoir prendre un plus grand chargement, ce n'était pas une mince affaire de la retenir dans les descentes, le dispositif ne comportant aucun système de freinage. Ce bois avait le privilège de chauffer trois fois, comme me l'avait rapporté naguère un Ancien, avec une pointe d'ironie : en allant le chercher, en le sciant et pour finir en le brûlant bien sûr ! Aujourd'hui, on ne se chauffe plus au bois que pour le plaisir et à la cheminée. »
Cette pratique rappelle le médiéval droit de ramage qui consistait à ramasser le bois mort pour se chauffer ou pour offrir un tuteur à certaines cultures comme celles de la vigne et du lin (André Plaisse, pages 24 et 25).
Un parquet nommé "Vestiges d'enceinte" sur la carte IGN au 1/25 000e.
L’élevage et les parquets
La forêt a longtemps servi à faire paitre le troupeau. Cette pratique ne coutait rien et permettait de réserver de plus larges terres à la culture. Ainsi les prospecteurs de métaux anciens ont retrouvé d'importantes quantités de grelots qui permettaient de retrouver les animaux au son. Ils ont aussi retrouvé nombre de dés à coudre qui occupaient les longues heures des personnes chargées de la surveillance des bêtes. Dans le droit coutumier, le panage autorisait certaines personnes, moyennant une redevance le plus souvent, à faire manger les porcs dans la forêt (André Plaisse, page 20), surtout les glands et les faines. Plus largement, la forêt médiévale a servi de pâturage aux vaches et aux chevaux grâce à ses herbages, ses jeunes pousses, ses landes et bruyères et ses buissons (André Plaisse, page 21).
La carte IGN désigne des retranchements de la forêt de Bord sous le nom de « Vestiges d’enceinte » et même de « Vestiges d’enceinte antique ». Cependant, en 1903 Henri Guibert rédigea un bel article intitulé « Note au sujet de retranchements aux environs de Louviers » qui nous éclaire sur ces aménagements entourés de fossés et de talus. Tout d’abord, il en distingue quatre : celui de la Mare-au-coq dans une enclave du Vaudreuil (67 m sur 60 m avec un fossé de 1,5 m de largeur sur 0,8 de profondeur), celui du Testelet (Tostes), celui du Fort-aux-Anglais (Mesnil-Jourdain) et celui de la Mare-courante (Louviers, près de Montaure). Henri Guibert nous apprend que le retranchement de la Mare-au-coq est appelé « Le parquet » par les professionnels exerçant en forêt. Il rejette la thèse de camps militaires puisque ces retranchements sont situés parfois à mi-pente et donc exposés aux éventuels assaillants.
Plus précisément, Henri Guibert rappelle un ancien droit dont bénéficiaient au Moyen Âge les habitants des communes voisines de la forêt : le droit de pâturage. Des parties de la forêt étaient exclues de ces zones de pâturages (les « deffens ») et nécessitaient la présence de verdiers et de sergents, agents de la maitrise particulière des Eaux et forêt (bailliage de Pont-de-l’Arche) qui pouvaient saisir les animaux et les parquer dans des enclos réalisés à cette intention. On nommait ces agents des « parquiers ». C’est ce qui explique la présence régulière de parquets dans la forêt. Henri Guibert cite le très intéressant Léopold Delisle : « Le parc était plus ordinairement placé aux environs du château. Il paraît qu’on le fermait surtout avec des palissades de pieux. Le parc servait à la chasse, à la pâture et à la garde des bestiaux saisis pour dettes ou pour délits forestiers. S’il n’avait qu’une contenance assez bornée, on employait pour le désigner le diminutif Parquet » (Etudes sur la condition de la classe agricole et l’état de l’agriculture en Normandie au Moyen-Âge, page 347). Nous sommes tentés d’ajouter à la liste des parquets de la forêt de Bord un ancien enclos de la commune des Damps (au pied de la Crute, sur un monticule). Qui plus est, étant donnée la taille des parquets, nous nous demandons s'ils n'ont servi qu'à parquer les animaux paissant dans les défens. Ils auraient bien pu parquer les bêtes durant les nuits par trop incertaines. Vue la répartition des parquets, nous serions tentés d’écrire qu’il en existait un par garde forestière.
Cependant, le Fort-aux-Anglais sort de notre terrain d'étude. Nous sommes plus réservé quant à son origine et son emploi malgré les écrits d'enri Guibert.
Les carrières
Les promeneurs en forêt de Bord pourront s’étonner des reliefs parfois torturés des sols de la forêt de Bord. Ceux-ci s’expliquent par les nombreuses carrières de craie, de sable, de silex et d’argile qui servaient à nos ancêtres, à la fin du XIXe siècle encore, pour l’agriculture ou la construction. Comme s’en font l’écho les archives départementales (7 M 297), l’administration accordait au nom de l’Etat des concessions à divers particuliers pour un espace et un temps donnés. Ces carrières se présentent à ciel ouvert (par exemple près de la maison forestière de Léry ou, à Pont-de-l’Arche, le chemin de la Borde et le long du chemin des Epinières) mais aussi sous forme de puits comme « le puits du roi » au Testelet (Jean Mallet, « Etude de la forêt », page 31).
Peurs et légendes et croyances
L'agonie du loup
Un nom comme « Le val à loups », vers Louviers en sortant de Pont-de-l’Arche, nous rappelle l’existence pas si lointaine de cet animal qui fit peur et qui alimente encore les imaginaires. Max Masson rapporte (folio 33) les battues organisées par la sous-préfecture de Louviers afin d’éradiquer le loup. Il y en eut en 1816, 1820 et surtout en 1835 où 2 000 hommes furent réquisitionnés en tant que tireurs et rabatteurs. Ils couvrirent 34 communes « sur un arc de cercle passant à Pont de l'Arche, Tostes, La Haye Malherbe, Hondouville, La Chapelle du Bois des Faulx, Ailly, Heudebouville, Venables et aboutissant à la Seine en face de Muids ». Dirigés par des gardes forestiers et des gendarmes, ils fondirent vers la Seine où d’autres chasseurs attendaient les animaux susceptibles de traverser.
Il y eut cependant des rescapés. Ainsi Max Masson note que le 5 septembre 1836 le garde Morlet fils abattit un loup à Tostes. Mais la question n’était pas réglée. Paul Petit témoigne de la survie de l’animal honni dans un ouvrage intitulé Sangliers dans l'arrondissement de Louviers et les vautraits… : « M. le marquis de Montalembert avait eu, en 1861, l'occasion de diriger une battue aux loups dans la forêt de Bord. Une louve, accompagnée d'un grand loup, était venue établir son liteau dans les parages de Criquebeuf ; leur présence se manifesta d'une façon soudaine. Pendant la nuit du 4 au 5 juillet, plusieurs loups attaquèrent le troupeau de M. Micaux, fermier à Blacquetuit, commune de Montaure. Les moutons étaient parqués sur le chemin de Montaure aux Fosses ; vingt-et-un furent étranglés, et le reste du troupeau se trouva disséminé dans la campagne. A cette nouvelle, M. de Montalembert envoya immédiatement ses hommes en forêt pour reconnaitre la demeure des loups ; le mauvais temps, presque continuel, et l'état de la plaine couverte de récoltes rendaient cette opération très difficile ; mais tout portait à croire qu'ils faisaient leur fort dans les sapins de Criquebeuf, près du Rond-de-Bord. Une battue fut ordonnée pour le 25 juillet : rendez-vous au carrefour Sainte-Anne, route de Tostes, à neuf heures du matin. M. le sous-préfet avait prié les maires des communes limitrophes de la forêt de réunir le plus de monde qu'ils pourraient. « Malgré les travaux urgents de la campagne, lisons-nous dans le Publicateur de Louviers du 31 juillet, les populations ont eu à cœur de répondre à cet appel, et les chasseurs se trouvaient en assez grand nombre pour qu'il devint impossible à aucun loup de sortir de l'enceinte sans être vu. « M. Lemaire, sous-inspecteur des forêts, et M. le marquis de Montalembert, lieutenant de louvèterie, avaient pris toutes les dispositions nécessaires pour assurer le silence sur la ligne des tireurs postés par leur soin. « Le héros de la chasse a été M. Béranger, de Saint-Pierre-lès-Elbeuf. Il a tué le premier loup (louveteau). Une demi-heure après, un second est mis en joue par deux tireurs ; l'animal, déviant de sa route, passe à M. Béranger qui le tire : blessé grièvement, il est achevé par le garde forestier Aubry, " M. Boulenger, de Louviers, a atteint un troisième loup qui a disparu, mais a été trouvé mort le lendemain. Un quatrième, que sa forte taille a fait supposer être le père ou la mère, a été tiré et blessé. Enfin, M. Gustave Dufossé, de Saint-Cyr-du-Vaudreuil, en avait tiré un autre en arrivant au rendez-vous ; le croyant mort, il se disposait à aller le relever, mais l'animal, qui s'était rasé probablement, s'est enfui rapidement à son approche. » La question du loup n’était donc toujours pas résolue en 1861 et nous n'avons pas trouvé la date de son extinction dans le domaine de Bord.
La Croix-Sablier
La Croix-Sablier est une nouvelle écrite par Eustache-Hyacinthe Langlois, parue en 1835, et qui explique la présence d’un calvaire en pierre « à égale distance », « près de l’ancienne route du Pont-de-l’Arche à Louviers ». Jean Mallet situe cet emplacement au rond Royal, ce qui est très probable puisque l'ancienne et la nouvelle route de Louviers étaient proches à cet endroit comme le montre une version de la carte de Cassini. Ce calvaire portait le nom de Croix-Sablier, « riche négociant du XVIIe siècle » qui fut assassiné au début du siècle par « un jeune homme dont il avait protégé l’enfance » et qui l’aidait dans ses tâches quotidiennes. Lors d’un énième déplacement, « par une journée de juillet », le négociant souhaita se reposer dans la fraicheur d’un sous-bois. Cet isolement fit naitre « de diaboliques pensées » dans l’esprit du jeune homme qui dit à son maitre : « … l’un de nous deux qui tuerait ici l’autre, n‘aurait pas de témoin à redouter. » Monsieur Sablier répondit : « ne vois-tu pas que nous sommes entourés de témoins vivants. Ces témoins, tu les vois dans ces moucherons qui nous importunent, et que le ciel exciterait à appeler sur ta tête la vengeance des lois. » L’argument ne fit pas mouche chez le jeune homme qui profita de l’isolement du sous-bois pour l’abattre son maitre d’un « coup de pistolet » et partir avec une « valise qui regorgeait d’or. » « Pendant qu’une croix expiatoire s’élevait sur le lieu du crime », le jeune homme changea de nom et fit commerce « dans une de nos villes frontières les plus éloignées ». Il se maria avec « une jeune personne bien née, dont les excellentes qualités eussent dû faire son bonheur, s’il était du bonheur pour une âme bourrelée de remords. » En effet, chaque été les moucherons rappelaient au jeune homme son crime, telles des « Euménides », de petites divinités persécutrices de la mythologie grecque. Le jeune homme révéla à sa femme la raison de son angoisse. Puis, il eut des revers commerciaux, s’appauvrit, sombra dans l’alcool, frappa sa femme… Victime de violence féroce, celle-ci révéla le crime de son mari aux voisins : « Misérable, assassine-moi plutôt comme tu assassinas ton maitre ! » Le meurtrier de la forêt de Bord fut « arrêté le lendemain, et bientôt le bourreau [va] écrire, en caractères de sang, la péripétie de cet épouvantable drame. »
Le Val Richard
Près de La Plaine de Bonport un espace boisé est nommé Le Val Richard, surtout connu de nos jours pour la zone d’activités qui a repris ce nom. D’aucuns se plaisent à lire ici une trace du passage de Richard Cœur de Lion, parmi lesquels Eustache-Hyacinthe Langlois (La Croix-Sablier, page 309 : « le Vau-Ricard », en normand). Cependant, les noms de lieux ont des origines bien plus pragmatiques. Ainsi Louis-Etienne Charpillon et Anatole Caresme citent une charte datée vers 1230 qui nous apprend que « Raoul de Criquebeuf et Richard du Val, tenaient dans la forêt de Bord, 3 vergées et ¾ de vergée pour 12 s. 9 d. de rente. » Il y a de fortes chances que ce Richard du Val ait marqué de son nom un espace criquebeuvien, bien plus que Richard Cœur de Lion même s’il fut cofondateur de l’abbaye de Bonport en 1190. Le Val Richard ne désignerait donc pas – non plus – Richard Jacquet.
Les galeries souterraines
Nous avons consacré un article sur les légendes avançant que le sous-sol de Pont-de-l’Arche était troué de voies de circulation. Ces légendes veulent que des tunnels souterrains aient relié Bonport à Pont-de-l’Arche ; Pont-de-l’Arche à la maison de la Dame-blanche, aux Damps ; Les Damps à l’ancien château du Vaudreuil en passant sous la forêt ; Bonport à Argeronne en passant sous la forêt de Bord… Dans notre étude, nous avons remarqué que des éléments normaux du patrimoine, tels que les caves, suffisaient à alimenter les légendes. Nous avons cependant observé nos limites d’investigation, bloqués par notre incapacité à visiter de prétendues galeries situées derrière des parties murées bien existantes, elles. En forêt, les trous que l’on trouve de-ci de-là pourraient être interprétés comme des effondrements ou des sorties de galeries (près de la mare Planco, du chemin du Renard…). Nous penchons plus vers une explication faisant de ces trous des vestiges de marnières comme celle nommée le « puits du roi » à Tostes.
Petit Saint-Ouen de Léry
Voir notre article consacré à ce pèlerinage ancestral lié au bourg de Léry.
Mise en valeur des arbres remarquables de la forêt de Bord, notamment par l'ONF : ici le hêtre du Petit-Saint-Ouen de Léry (2018).
Sainte Anne faisant lire la Bible à sa fille, la Vierge Marie. Détail d'une statue en pierre peinte de la fin du XVIe siècle, église Notre-Dame-des-arts, Pont-de-l'Arche (cliché Armand Launay, 2011).
Sainte Anne
Sainte Anne, la mère de la Vierge Marie, occupe une place importante dans la région de Bord. Elle est la patronne de Tostes et de Pont-de-l’Arche. Dans un article intitulé « Pont-de-l’Arche », Jean Mallet écrit que le nom de la fête communale Sainte-Anne « viendrait d'Anne le Blanc du Rollet, gouverneur de la ville, proche d'Henri IV » (page 65). Nous serions étonnés que cette fête, à l’origine pieuse, ait pris le prénom d’un personnage, fût-il célèbre. Nous nous sommes plutôt intéressés au fait que sainte Anne est la patronne des menuisiers et des ébénistes. Le lien avec la forêt serait confirmé par le lieu où la Sainte-Anne était célébrée avant 1861, c’est-à-dire à l’orée de la forêt, sur un terrain appelé Sainte-Anne (aujourd’hui la déchèterie et le Village des artisans de la lisière). Une procession se faisait dans la ville avec une statue en bois de la mère de la Vierge ; statue malheureusement volée dans les années 1970 sans qu'on ait retrouvé de photographie ou de représentation. Le parcours de cette procession passait devant un calvaire plus tardif et aboutissait sur le terrain Sainte-Anne où se tenait l'assemblée du même nom, ancêtre de la fête patronale. Dans un article consacré au paganisme dans la région, nous nous sommes même demandé si cette célébration religieuse avait une origine préchrétienne étant donné qu'un fanum y a été relevé par des prospecteurs à métaux.
À l’issue de cette présentation, nous pensons que l’exploitation forestière a eu une répercussion sur le culte catholique local.
Guerre
La Seconde guerre mondiale a laissé des traces dans notre forêt. Des bombardements ou, plus vraisemblablement, des bombardiers se délestant pour faciliter leur retour, ont déformé certains terrains. La forêt compte aussi au moins un avion américain abattu, celui du chemin du Renard aux Damps.
Vue sur la forêt (cliché Armand Launay, 2011).
Essences et arbres remarquables
La forêt apparait de nos jours sous forme de futaie dressée par la main de l’Homme de sorte que les arbres produisent de grands troncs. La forêt naturelle était bien différente et toutes ses parties ne se ressemblaient pas. C’est ce que nous avons vu plus haut avec Jean Boissière qui rapporte qu’en 1714 seul un tiers de la forêt était en futaie. La toponymie se fait aussi l’écho de ce changement. Ainsi, une des entrées de la Garde-Châtel est encore appelée « porte de la lande ». Entre la Couture de Tostes et Louviers, une route forestière s’appelle les « longues raies », signifiant les haies en normand. Un bois de Tostes allant vers Louviers s’appelle le « bois des Vignes », une essence bien connue à Léry et aussi un peu à Pont-de-l’Arche en 1340 avec la vigne dite de « l’Estourmy » (Cartulaire de Bonport, page 393). Il semble que les épineux soient arrivés d'Alsace à la fin du XVIIIe siècle comme le note Marie-Hélène Devillepoix d'après le témoignage du technicien forestier Didier Leborgne (Pont-de-l'Arche). Ainsi s’expliquent quelques noms comme l’Epine Enguerrand ou les Epinières (sur le plateau de Pont-de-l’Arche) qui désignaient les parties repérables grâce aux essences nouvelles.
Marie-Hélène Devillepoix a aussi noté les principales essences locales que sont les pins, les hêtres, les merisiers et les chênes. Elle a distingué la variété des essences qui fait de la forêt de Bord un massif original à côté des nombreuses hêtraies normandes. Les 16 km² de pins sont situés sur les terrasses alluviales dont la pauvreté des sols, sableux et caillouteux, convient aux conifères. La hêtraie s'épanouit, elle, sur les plateaux limoneux. Cette essence est privilégiée car, si elle « vit moins longtemps que le chêne », elle « croît plus vite » ce qui est bon pour le rendement.
Comme tout massif, la forêt de Bord comprend des arbres remarquables épargnés par l’Office national des forêts. Le chêne Leguay se trouve dans la commune de Montaure, aux Fosses. Il est réputé avoir 350 ans, fait 510 cm de circonférence à 1,3 m du sol. Il est haut de 30 m. Selon Jean Mallet dans « Promenez-vous en forêt », cet arbre porte le nom d'un « ancien inspecteur des Eaux et Forêts de Louviers » de la fin du XIXe siècle (page 26). Il semble qu’il ait raison car les archives départementales conservent un rapport, daté de septembre 1892, signé par M. Leguay, inspecteur des forêts (7 M 297). Autres arbres remarquables localisés sur les cartes IGN, le chêne des Régales (près du chêne Leguay) et le chêne Nicolas (à La Vallée).
La chasse à courre en forêt de Bord représentée sur une carte postale.
Tourisme et loisirs
La chasse à courre
À la fois emblème et héritage des privilèges nobiliaires, la chasse à courre a continué à être pratiquée en forêt. Jean Mallet, dans « Promenez-vous en forêt », nous apprend qu’elle était mise en « en adjudication tous les 9 ans par les Eaux et Forêts ». Le même auteur, dans « Etude de la forêt », avance que « Les chenils d'où partaient les chasses à courre étaient au nombre de deux : la Vénerie à Pont-de-l’Arche et à Louviers, rue Saint-Hildevert » (page 35). Celle de Pont-de-l’Arche, en haut de la rue Charles-Cacheleux, est particulièrement impressionnante. Ses immenses locaux furent rachetés vers 1908 par Olympe Hériot (1887-1953), un des fils du Commandant Olympe Hériot et neveu d’Auguste Hériot, fondateur des Grands magasins du Louvre. L’Internet nous apprend que ce bourgeois, très en vue dans le Paris des années folles, était passionné de chasse à courre, comme ses parents. Il réunit à Pont-de-l’Arche une meute de 90 chiens et un équipage de 11 chevaux qui chassa le sanglier puis le cerf jusqu’en 1937 dans les forêts normandes. Les chasses qu’il donna étaient très réputées dans le milieu de la vènerie. Une sonnerie de cor de chasse a même reçu pour nom « la Olympe Hériot ». Il reçut le 26 avril 1951 les insignes de Commandeur de la Légion d'Honneur. Par ailleurs, il se lia d’amitié avec Charles Morel, industriel et maire de Pont-de-l’Arche, et c’est assurément pourquoi il fut conseiller municipal en 1930 sur la liste de Charles Morel. C’est à celui-ci qu’il a souhaité vendre La Vènerie, son immense propriété, en 1938. De la chasse à courre, il reste des noms tels que le Chemin des Cavaliers, le rond de France ou le peu républicain – et anachronique – Rond royal. Il reste itou une stèle en hommage à Paul Vigrare, piqueur décédé le 23 décembre 1950 durant une chasse (au début de la route forestière du ravin de la vallée d'Incarville, à Pont-de-l'Arche).
"Royal car", un véhicule à vocation touristique venu déposer des promeneurs en forêt de Bord (1936).
Le développement des loisirs
Si la forêt de Bord a été le terrain des balades familiales et amoureuses depuis longtemps, les années 1930 nous ont laissé les premiers témoignages touristiques telle cette photographie, ci-dessus, d’un autocar en 1936.
La forêt de Bord est aussi le domaine des randonnées pédestres, des sorties en VTT. Ainsi, à côté du GR 222 et 222A, nous proposons à titre d’exemple la « Balade du hêtre Tabouel ».
Les nombreuses mares qui ponctuent le massif de Bord pour l’équilibre de la faune offrent aussi de bons prétextes à la balade. Autre endroit attrayant, le parcours sportif des Damps qui propose aussi des tables de piquenique à proximité.
De très nombreuses voies de circulation coupent le massif de Bord. Ici la route de Tostes (cliché Armand Launay, 2012).
Des routes omniprésentes
Napoléon Bonaparte a laissé sa marque dans notre forêt entre Les Damps et Léry où passe la Voie impériale. En fait, ce chemin est tout simplement un tronçon déclassé d’une des voies qu’on appelle depuis les routes nationales. Jean Mallet avance que la route nationale entre Incarville et Pont-de-l’Arche, celle du Val-à-loup, « fut arrêtée par le Conseil du roi en 1780 » (« Promenez-vous en forêt », page 40). C’est tout à fait probable car une version de la carte de Cassini monte cette voie rectiligne à côté d’un chemin menant au Cavé et qui doit être l’ancien chemin de Louviers.
Le massif de Bord est imposant et, de ce fait, largement percé par des voies de communication. Les routes nationales coupent le massif entre Louviers et Elbeuf et Incarville et Pont-de-l’Arche. Depuis 1967, l’autoroute de Normandie sépare le massif hormis deux passages pour animaux, quelques ponts et tunnels. Enfin, le contournement de Pont-de-l’Arche inauguré en 2010 a encore coupé un peu plus cette belle forêt, limitant ainsi les espaces de refuge des espèces animales et les lieux où l’on peut se reposer du bruit des moteurs. Le projet de contournement Est de Rouen et son raccordement à l’autoroute A13 au niveau d’Incarville n’écarte pas totalement le risque de gâcher un peu plus encore le domaine de Bord.
- Bodinier Bernard, L'Eure de la préhistoire à nos jours, Saint-Jean-d'Angély, édition Jean-Michel Bordessoules, 2001, 495 pages ;
- Boissière Jean, « Les forêts de la vallée de la Seine entre Paris et Rouen d’après l’enquête de 1714 », Annales historiques du Mantois, Mantes, Centre régional d’études historiques, 1979, tome 6 (pages 3 à 31) et tome 7 (pages 3 à 20) ;
- Charpillon Louis-Etienne, Caresme Anatole, « Pont-de-l’Arche, pages 662 à 674, Dictionnaire historique de toutes les communes du département de l’Eure, Les Andelys, éd. Delcroix, 1868, 960 pages, voir à la fin de l’article sur Pont-de-l’Arche : « Forêt de Bord » ;
- Cliquet Dominique, Carte archéologique de la Gaule : l’Eure 27, Paris, ministère de la culture, 1993, 285 pages ;
- Coutil Léon, « Résumé des recherches préhistoriques en Normandie (époque paléolithique) », pages 34 à 142, Collectif, Bulletin de la Société normande d'études préhistoriques, Société normande d'études préhistoriques et historiques, Louviers, imprimerie Eugène Izambert, tome I, année 1893, 1894, 151 pages ;
- Coutil Léon, « Inventaire des menhirs et dolmens de France (département de l’Eure) », pages 36 à 122, Collectif, Bulletin de la Société normande d'études préhistoriques, Société normande d'études préhistoriques et historiques, Louviers, imprimerie Eugène Izambert, tome IV, année 1896, 1897, 222 pages ;
- Coutil Léon, « Ateliers et stations humaines néolithiques du département de l’Eure », pages 123 à 211, Collectif, Bulletin de la Société normande d'études préhistoriques, Société normande d'études préhistoriques et historiques, Louviers, imprimerie Eugène Izambert, tome IV, année 1896, 1897, 222 pages ;
- Delisle Léopold (publié par), « Cartulaire normand de Philippe Auguste, Louis VIII, Saint-Louis et Philippe le Hardi », Mémoire de la Société des antiquaires de Normandie, 6e volume, XVIe volume de la collection, Caen, 1852, 390 pages ;
- Devillepoix Marie-Hélène, La forêt de Bord, massif du bord de Seine, pages 36 à 37, Pays de Normandie, hors série « Balades et découvertes », 1999 ;
- Gendron Stéphane, L’origine des noms de lieux en France : essai de toponymie, Paris, éditions Errance, 2008, 340 pages ;
- Guibert Henri, « Note au sujet de retranchements aux environs de Louviers », pages 57 à 62, Bulletin de la Société d'études diverses de Louviers, tome VIII, 1903, 120 pages ;
- Jore Edouard, « La chasse en forêt de Bord avant 1789 », pages 14 à 18, Bulletin de la Société d’études diverses de l’arrondissement de Louviers, tome XVII, années 1923-1924, 134 pages ;
- Langlois Eustache-Hyacinthe, « La Croix-Sablier », pages 306 à 312, Revue de Rouen et de la Normandie, tome 6, Rouen, Nicétas Périaux, 1835. Aussi accessible sur le site de la Bibliothèque numérique de Lisieux : http://www.bmlisieux.com/normandie/croix01.htm (consulté le 28 novembre 2013) ;
- Le Berre Pascal, Délinquants et Forestiers dans les bois du Roi, les archives de la maîtrise des eaux et Forêts de Pont-de-l’Arche, de Colbert à la Révolution, mémoire de DEA préparé sous la direction de Serge Chassagne, Rouen, 1992, 199 pages ;
- Mallet Jean, « Promenez-vous en forêt », pages 25 à 31, Collectif, Louviers et sa Région : Gaillon, Le Vaudreuil, Pont-de-l'Arche, guide touristique, Syndicat d'Initiatives de Louviers, 1974, 87 pages ;
- Mallet Jean, « Etude de la forêt », pages 31 à 41, Collectif, Louviers et sa Région : Gaillon, Le Vaudreuil, Pont-de-l'Arche, guide touristique, Syndicat d'Initiatives de Louviers, 1974, 87 pages ;
- Mallet Jean, « Pont-de-l’Arche », pages 65 à 83, Collectif, Louviers et sa Région : Gaillon, Le Vaudreuil, Pont-de-l'Arche, guide touristique, Syndicat d'Initiatives de Louviers, 1974, 87 pages ;
- Musset Lucien, « Note pour servir d’introduction à l’histoire foncière de Normandie : les domaines de l’époque franque et les destinées du régime domanial du IXe au XIe siècle, pages 7 à 97, Collectif, Bulletin de la société des antiquaires de Normandie, tome XLIX, années 1942 à 1945, Caen, L. Jouan et R. Bigot, 1946, 622 pages ;
- Nègre Ernest, Toponymie générale de la France : étymologie de 35 000 noms de lieux, volume I, Formations préceltiques, celtiques, romanes, Genève, Librairie Droz, 1990, 704 pages ;
- Plaisse André, « La forêt normande à la fin du Moyen Âge », pages 17 à 28, Nouvelles de l'Eure n° 47, Evreux, 1993, 72 pages ;
- Office national des forêts, Département de l’Eure, Randonnées en forêt domaniale de Bprd-Louviers, 2 planches ;
- Petit Paul, Sangliers dans l'arrondissement de Louviers et les vautraits. Forêts, louveterie, équipages chasse, Evreux, C. Hérissey 1881, 126 pages.
Pont-de-l'Arche accueille l'un des trois leaders mondiaux de l'optique médicale : Luneau technology operation. Ceci est dû au rachat en 2010 de la société Briot qui s'installa à Pont-de-l'Arche en 1983 après un passage à Elbeuf et, surtout, une création à Louviers. C'est ce que nous retraçons dans cet article en plus d'une présentation des activités contemporaines de Luneau.
A Pont-de-l'Arche, le groupe Luneau conçoit, fabrique et distribue des machines optiques médicales, notamment de la marque Briot (crédit photographique : Luneau technology operation).
De Joseph Briot à Luneau technology operation
En 1936, le lovérien d’adoption Joseph Briot monta une meuleuse semi-automatique qu’il appela « L’universelle ». Elle permettait de dégrossir les verres de lunettes à partir de gabarits et ce avant une finition manuelle. C’est la première machine – connue – capable de ce genre de travail.
Comme sa femme Jeanne Hasquenoph, Joseph Briot était originaire d’une région réputé pour son horlogerie : la Franche-Comté. Lui naquit le 3 février 1888 à Auxelles-Haut (Territoire de Belfort). Elle naquit le 28 aout 1888 à Auxelles-bas. Ils eurent d’abord un fils, Maxime, né en 1910, qui fut horloger puis mécanicien. Puis, il semble que la famille Briot se soit installée dans l’Eure car en 1913 leur deuxième enfant, Suzanne, naquit à « la Guéroult » ce qui doit être La Guéroulde. Leur troisième enfant, Madeleine, naquit à Acquigny en 1919 avant que la famille Briot ne s’établisse à Louviers en 1921 ou 1922.
Les Briot ouvrirent une boutique d’horlogerie au n° 58 de la rue Grande (rue Foch). Puis ils s'installèrent dans la rue du Matrey au n° 15 ou 21. A partir de 1942 au moins, Joseph Briot était « opticien » ou « marchand lunetier ». Le 25 avril 1944, il fut autorisé à joindre à ses fabrications de machines celle de lunetterie.
Après son décès à Louviers le 26 aout 1960, sa boutique fut reprise par un magasin d'optique peut-être en lieu et place d'Optic 2000 de nos jours. On lit ici le glissement de Joseph Briot de l’horlogerie vers l’optique. Cependant, on ne perçoit pas bien l’émergence du concepteur de machines à tailler des verres. Maxime Briot, le fils ainé, nous fournit un élément lui qui était réputé horloger et qui devint mécanicien. C’est peut-être lui qui dirigea un atelier de fabrication de machines dans un autre lieu et sous la houlette paternelle.
Quoi qu’il en soit, Joseph Briot mit au point "L’universelle" ce qui lui permit de fonder une entreprise qui prospéra et qui misa sur l’innovation technique. En 1946, elle comptait 20 salariés. Après le décès de son fondateur l’entreprise passa en 1961 entre les mains de Robert Asselin. Cet ingénieur électromécanicien délocalisa Briot à Elbeuf. Briot-Asselin continua à innover et s’internationalisa. En 1971, Briot créa une meuleuse automatique (la B2000). En 1976, la R2000 était en mesure de reproduire automatiquement une paire de lunettes. En 1980, la société fut reprise par le Belge Jacky Buchmann, fabricant de verres optiques.
En 1983, à la recherche de locaux industriels plus grands, Briot-Buchmann s’installa à Pont-de-l’Arche à la place de Cheesborough pond’s. Les nouveaux locaux, bâtis au XIXe siècle pour l’usine de chaussures d’Henry Prieur, permettent depuis le développement de l’entreprise dans la rue Roger-Bonnet. En 1987, le palpage des lunettes fut aussi automatisé. En 1996, la Accura rassembla dans une machine toutes les opérations nécessaires à la prise de forme d’une monture, le centrage, le blocage et le meulage de son verre. En 2002, Briot acheta Weco optik, entreprise allemande fondée en 1914. En 2010, Briot fut acquise par le groupe Luneau technology operations qui conserve depuis cette marque.
Sources
- Archives municipales de Louviers, avec nos remerciements à Mme Lamy et MM. Bodinier et Lombard ;
- Devaux Simone, Rachline Michel, Le meulage du verre, une technique au service de la vision, Paris, Vilo, 2003, 95 pages.
"L'universelle", première meuleuse semi-automatique de l'histoire. Elle fut conçu par Joseph Briot en 1936 à Louviers.
Briot et Luneau technology operations aujourd'hui
Qui sait que les vastes locaux en brique de la rue Roger-Bonnet sont occupés par un des trois leaders mondiaux de l’optique médicale : Luneau technology operations ?
Cette société conçoit, fabrique et distribue des machines usinant les verres optiques et des appareils capables de réaliser un diagnostic visuel. En clair, elle destine ses produits aux opticiens et aux ophtalmologues. Quand nous commandons nos lunettes, l’opticien doit tailler les verres afin qu’ils se montent parfaitement dans la monture. Luneau crée la machine qui reconnait les dimensions de la monture, mesure les lentilles et, enfin, taille les verres. Chez l’ophtalmologue, quand vous posez le menton sur l’appareil déterminant les caractéristiques des verres correcteurs que vous devez porter, il y a des chances que ce soit un appareil de chez Luneau et, plus précisément, de la société israélienne Visionix qui a acheté Luneau en 2003.
Auparavant, Luneau était une société française fondée en 1928. Elle renforça sa stature mondiale en 2010 en achetant au Belge Buchmann optical holding (BOH) la société Briot international basée à Pont-de-l’Arche (voir notre historique). Aujourd’hui, le site de Pont-de-l’Arche regroupe 105 des 395 salariés de Luneau et produit les marques Briot et Weco, une entreprise allemande datant de 1914 et achetée par Briot.
Le site de Pont-de-l’Arche accueille un bureau d’étude de 20 personnes qui fait de Luneau un groupe très innovant représentant aujourd’hui près de 30 % du marché mondial des opticiens. A titre d’exemple, en 2012 la gamme de machines « Alta – Briot » a été élue produit de l’année par les opticiens français participant au concours du magazine Inform’optique. Le gros du site archépontain est composé de la chaine de montage où les professionnels assemblent entre 800 à 900 pièces par machine. Ces pièces étant fournies par près de 150 fournisseurs, principalement Français. Car c’est une fierté, chez Luneau, de pouvoir estampiller ses produits du label « Origine France garantie » décernée par l’association ProFrance.
A Pont-de-l’Arche aussi se trouvent les responsables des ventes aux filiales du groupe Luneau et aux 70 distributeurs répartis sur le globe. Le groupe Luneau a une forte activité internationale : près de 80 % de la production est exportée vers les filiales de Luneau en Europe et en Amérique du nord. Face à ses deux principaux concurrents – le Français Essilor et le japonais Nidek – Luneau cherche à accélérer son développement dans les zones de forte croissance économique. A ce titre, Luneau vient d’acheter une société de distribution aux Etats-Unis et de signer un partenariat avec une société leader sur le marché de l’optique chinois, où la lunette se démocratise.
Merci à Jean-Jacques Videcoq, directeur général adjoint, et à Patricia Peley, responsable de communication.
Si l’industrie du drap a marqué l’histoire de Louviers, d’Elbeuf et de Rouen, Pont-de-l’Arche a aussi participé à la production textile en Normandie. Nous avons consulté les travaux d’Alain Becchia, auteur de la thèse La Draperie d’Elbeuf, que nous avons enrichis avec d’autres sources historiques afin de faire un état des lieux de nos connaissances dans ce domaine.
Des tisseurs (L'Encyclopédiede Diderot et d'Alembert)
Une première tentative d’implantation en 1680
L’industrie drapière était en plein essor quand, en 1680, M. Chéron (officier du bailliage de Pont-de-l’Arche) et M. Le Bailly (du Vaudreuil) demandèrent aux autorités le droit d’ouvrir une manufacture de draps à Pont-de-l'Arche. Malgré le poids d’un officier du roi, leur demande fut refusée. Ces messieurs ne furent cependant pas pris au dépourvu car M. Chéron avait des intérêts dans une manufacture de Louviers[1]. Dès cette époque, les projets concernant Pont-de-l'Arche provenaient de personnes établies dans le milieu manufacturier et politique. Il ne pouvait en être autrement car le libéralisme économique n’était pas près de faire surface – il fallu attendre Turgot sous le règne de Louis XVI[2] – et chaque création de boutique ou de manufacture était soumise à l’autorisation du roi et des corporations[3]. Ils fixaient les prix de vente, les salaires et donnaient le droit ou non d’exercer ce métier. Qui plus est, la majeure partie des draps fabriqués était destinée à l’État, conférant à celui-ci un grand pouvoir sur la production.
1690-1712, une manufacture elbeuvienne s’implante
En 1690, une manufacture de drap obtint l’autorisation de s’implanter à Pont-de-l’Arche. L’habile travail de pression revint à deux fabricants elbeuviens, M. Delarue et M. Bourdon, qui associèrent leurs finances et leurs réseaux de relations pour accroitre leur production de draps de fine qualité, comme en Hollande et en Angleterre. Ces hommes installèrent, dès le début, 24 métiers à tisser et construisirent peu après deux relais dans des villages voisins[4]. Où se trouvait la manufacture de draps dans Pont-de-l’Arche ? Nous n’avons aucun document pour le préciser. Néanmoins, nous nous interrogeons sur une maison à pans de bois de la rue Julien-Blin (entre l’hôpital et l’encoignure de la rue du Président-Roosevelt). En effet, cette maison possède un toit débordant au-dessus de la rue. Ce type d’encorbellement servit, dans la rue Eau-de-Robec à Rouen, mais aussi à Louviers, à sécher les toiles en les suspendant à l’abri des intempéries. Cette maison serait-elle le seul témoin d’une rue occupée, un temps et pour partie, au travail du drap ?
Tout au fond, sur la maison à pans de bois colorés, un toit déborde au-dessus de la rue sans raison apparente. Peut-être séchait-on ici des draps comme on le faisait avec le type d'architecture à Rouen, par exemple, dans la rue Eau-de-Robec.
La manufacture de Pont-de-l’Arche misait sur un travail de qualité. Ses propriétaires avaient fait venir de la main d’œuvre qualifiée de Hollande comme le note l’Intendant de Normandie en 1698 : Au Pontdelarche, six mestiers de draps très fins façon d’Angleterre dont les sillages sont conduits par des silleurs et des silleuses d’Hollande[5]. D’après les chiffres avancés par ce même intendant, M. Vaubourg de la Boudonnaye, nous avons dressé un tableau rassemblant les lieux de travail du drap en Normandie ; le total des métiers de chaque site ; le nombre de personnes employées ainsi que les pourcentages de ces données.
Répartition des métiers à tisser et des personnes employées dans le textile en Haute-Normandie en 1698
nombre
de métiers
métiers (en %)
personnes occupées
personnes occupées
(en %)
La Bouille
23
2 %
?
?
Louviers
60
5 %
1 900
10 %
Darnétal
102
8 %
3 000
15 %
Rouen
398
30 %
3 500
18 %
Orival
8
1 %
?
?
Elbeuf
370
28 %
8 500
44 %
Pont-de-l'Arche
6
1 %
?
?
Gournay
40
3 %
500
3 %
Bolbec
300
23 %
2 000
10 %
Totaux
1 309
100 %
19 400
100 %
Pont-de-l'Arche était un site de production secondaire avec seulement 6 métiers soit 1 % de ces machines à tisser. Cependant, nous notons que l’Intendant déclara 6 métiers dans la ville alors qu’Alain Becchia s’est fondé sur des documents qui en avancent 24. Les 18 métiers manquants étaient-ils implantés dans d’autres villages ? Avaient-ils été arrêtés depuis 1690 ? Combien de personnes travaillaient à Pont-de-l’Arche ? Avec seulement 6 métiers, Pont-de-l'Arche représentait le 10e des métiers de Louviers qui occupaient 1 900 personnes. Si les métiers de Pont-de-l’Arche occupaient le 10e des tisseurs de Louviers cela représenterait tout de même près de 190 personnes ! Mais Pont-de-l’Arche était spécialisé dans le drap de haute qualité. Il devait produire en petite quantité avec moins de main-d’œuvre ce qui expliquerait les silences de l’Intendant sur les travailleurs de Pont-de-l’Arche et de La Bouille et Orival. Si nous reprenons les chiffres de Rouen, où il y avait 8 à 9 personnes pour un métier, Pont-de-l’Arche aurait occupé moins de 70 personnes.
Cet essor archépontain ne dura pas. En 1712, M. Delarue et M. Bourdon durent demander le renouvèlement de leurs privilèges. Mais, le vent qui fut favorable à leurs voiles en 1690 avait tourné : les corporations d’Elbeuf, Orival et Louviers, avaient obtenu des autorités le non renouvèlement des privilèges d’exploitation de la manufacture archépontaine. Voulant néanmoins ménager les deux entrepreneurs elbeuviens, un arrêt du 29 mars 1715 permit à Jacques et Thomas Bourdon frères, le déménagement de leur production aux Andelys ainsi que le dédommagement d’une partie des sommes investies. La concurrence locale était désormais amoindrie et la main d’œuvre plus abondante pour Elbeuf et Louviers.
Un métier à tisser (L'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert)
Après 1715, Louviers et Elbeuf étouffent les projets archépontains
En 1715, un procès engagé par la corporation d’Elbeuf parvint à empêcher l’implantation d’une nouvelle manufacture à Pont-de-l’Arche[6]. En 1755, le cas se présenta de nouveau, à la différence près que – bel élan de solidarité – la corporation de Louviers prêta main forte[7]. Dans cette même période, il y aurait peut-être eu une manufacture de cotonnades à Pont-de-l'Arche suite au travail de John Holker, ancien manufacturier de Manchester réfugié en France où il fut nommé inspecteur général des manufactures[8]. Ensuite, le travail textile se réduisit dans notre ville à une manufacture de couvertures de coton pluchées et non pluchées fondée en 1754 par M. Davoust et autorisée le 30 juillet par arrêt du Conseil. Cet établissement se maintint au moins trois ans mais n’a guère laissé de traces[9]. Enfin, une dernière tentative d’implantation a été enregistrée dans les archives. Il s’agit d’un certain M. Chevalier, d’Elbeuf, qui interrogea les autorités en 1790 pour fonder à Pont-de-l’Arche une manufacture de draps. Cette demande fut vaine[10]. Enfin, si aucune fabrique de drap n’existait à Pont-de-l’Arche en 1788, le textile occupait 37 personnes, comme le nota Bénédicte Delaune dans un mémoire de maitrise. Elle écrivit que « Le secteur textile apparaît assez faible à côté de villages comme Elbeuf et Louviers, grands centres manufacturiers. En fait, les principaux sont des cardeurs, cordiers, tailleurs ou basestaniers. Quelques marchands drapiers ou de toileries subsistent en l’an VI [1797-1798]. Ils disparaissent en l’an IX [1800-1801].[11] »
Le textile apparait encore dans l'histoire de la ville dans les déclarations faites en 1817 à l'occasion d'un recensement cantonal qui dénombra 60 broches chez Noël Postel, 360 chezDésiré Brunel et 164 chezConstant Brubel. Il dénombra aussi240 broches, "soit deux métiers", chez Nicaise Vigor (Igoville) et d'autres broches à Martot, Saint-Pierre-de-Liéroult, Le Vaudreuil…En 1820, Pierre Louis Hédouin possédait 3 métiers à Pont-de-l'Arche où se trouvait aussi et Noël Potel, filateur en coton, propriétaire de 240 broches. Pour finir, en 1834, Alexandre Lequeux, "maître filateur", déclara 10 métiers soit 1 200 broches et Pierre Louis Hédouin, "filateur de coton", deux métiers à filer soit 250 broches[12].
Bilan
Un rapide survol de la situation du textile à Pont-de-l’Arche montre que la croissance de cette industrie aurait pu toucher notre cité si le commerce avait été libre. De peur de perdre une main d’œuvre qualifiée, les corporations de Louviers et Elbeuf ont fait pression sur les autorités royales pour écraser la concurrence locale. Ce comportement, aux antipodes des intérêts des ouvriers, a laissé le champ libre au développement de l’industrie du chausson à partir des années 1830. En effet, les Archépontains, sans industrie, se sont engouffrés dans cette activité située à mi-chemin entre la cordonnerie et le textile. Une partie non négligeable des très nombreux cordonniers de la ville (23 en 1788) ont cousu des semelles de cuir sur les chaussons tressés avec des chutes de drap d’Elbeuf par des dizaines puis des centaines de chaussonniers… C’était le cas d’Antoine Ouin qui constitua officiellement la première société de chaussons de Pont-de-l’Arche en 1833, lui qui était cordonnier dans la droite lignée de ses ancêtres. La Société nouvelle Chaussures Marco est aujourd’hui sa digne héritière…
Sources
Becchia Alain, La draperie d’Elbeuf (des origines à 1870), Rouen, Publications de l’université de Rouen, 2000, 869 pages ;
Delaune Bénédicte, Pont-de-l’Arche, population, pouvoirs municipaux et société à la fin du XVIIIe siècle et pendant la Révolution, mémoire de maitrise dirigé par Claude Mazauric, université de Rouen, 1992, 130 pages ;
Launay Armand, Pont-de-l’Arche, cité de la chaussure : étude sur un patrimoine industriel normand depuis le XVIIIe siècle, mairie de Pont-de-l’Arche, 2009, 52 pages ;
Lepage Albert, « Essai historique sur le commerce et l’industrie au Pont-de-l'Arche depuis sa fondation jusqu’à nos jours suivi d’une notice sur le chausson de lisière », 1911, in Bulletin de la Société d’études diverses de l’arrondissement de Louviers, tome XIII ;
Vaubourg [l. delaBourdonnaye] Mémoire de la généralité de Rouen, 1698, 86 folio, 244 x 183 cm, relié. Bibliothèque municipale du Havre : Mss 525.
[1]Becchia Alain, La draperie d’Elbeuf…, page 58 (n 232).
[2] On consultera avec intérêt la biographie écrite par Jean-Pierre Poirier : Turgot, laissez-faire et progrès social, Paris, Perrin, 1999, 459 pages.
[3]Associations institutionnelles de propriétaires de boutiques d’un même secteur d’activité dans une ville (les boulangers de Rouen, les cordonniers de Pont-de-l'Arche…).
Dans une lettre adressée à son épouse depuis Les Andelys, Victor Hugo rapporte une anecdote que voici…
Le 12 septembre 1837
Hier, entre Louviers et Pont-de-l’Arche, vers midi, j’ai rencontré sur la route une famille de pauvres musiciens ambulants qui marchait au grand soleil. Il y avait le père, la mère et six enfants, tous en haillons. Il suivaient le plus possible la lisière d’ombre que font les arbres. Chacun avait son fardeau. Le père, homme d’une cinquantaine d’années, portait un cor en bandoulière et une grande contrebasse sous son bras ; la mère avait un gros paquet de bagages ; le fils aîné, d’environ quinze à seize ans, était tout caparaçonné de hautbois, de trompettes et d’ophicléides[1]; deux autres garçons plus jeunes, de douze à treize ans, s’étaient fait une charge d’instruments de musique et d’instruments de cuisines où les casseroles résonnaient à l’unisson des cymbales : puis venait une fille de huit ans, avec un porte-manteau aussi long qu’elle sur le dos ; puis un petit garçon de six ans affublé d’un havresac de soldat ; puis enfin une toute petite fille de quatre à cinq ans, en guenilles comme les autres, marchand aussi sur cette longue route en suivant bravement avec son petit pas le grand pas du père. Celle là ne portait rien. Je me trompe. Sur l’affreux chapeau déformé qui couvrait son joli visage rose, elle portait – c’est là ce qui m’a le plus ému – un petit panache composé de liserons, de coquelicots et de marguerites, qui dansait joyeusement sur sa tête.
J’ai longtemps suivi du regard ce chapeau hideux surmonté de ce panache éclatant, charmante fleur de gaîté qui avait trouvé moyen de s’épanouir sur cette misère. De toutes les choses nécessaires à cette pauvre famille, la plus nécessaire, c’est à la petite bégayant à peine que la Providence l’avait confiée. Les autres portaient le pain, l’enfance portait la joie. Dieu est grand.
Commentaire
On ne présente évidemment pas Victor Hugo mais lorsque l’on connait l’engagement politique qui fit en grande partie son renom, on peut s’étonner de cette description des gens du peuple. Ce tableau de misère n’est ni compatissant ni révolté : la chose que retient Victor Hugo n’est pas le pain qui manque mais le panache que porte l’insouciante enfant. Cette vision s’entend… si l’on n’a pas de problème pour se nourrir, comme l’auteur… Si le panache passe pour la chose la plus utile et émouvante à ses yeux, c’est bien parce que le jeune Hugo refuse de voir la misère et qu’il se réfugie dans ce qui lui ravit l’âme.
Il est intéressant de lire ce panache comme une métaphore de la société de privilèges que constituait la monarchie. Ce panache est d’autant plus visible qu’il est rare et qu’il pousse sur la misère la plus la plus crasse. Les privilégiés, en règle générale, quoique, préféraient voir ce panache quitte à en oublier l’injustice qu’il coiffait. C’est encore le cas de Victor Hugo, royaliste désireux de plus de libéralisme et attentif à la misère, même si elle le révolte pas encore. Ouvert à l’évolution des mentalités il fut de plus en plus acquis à la cause sociale et devint le héraut de la justice sociale en se rapprochant des républicains avancés et des prémices socialistes [2].
Quelques années plus tard, le Dieu avec lequel Victor Hugo termine ce passage ne couronnait plus la richesse – même par un beau panache – mais bien plutôt la pauvreté, qui est le parti à la fois du prophète chrétien et des réformistes.
Source
Collectif, Voyage en Normandie, Urrugne : Pimientos, 2001, page 43.
Notes
[1] Sorte de tuba, grand cuivre à vent muni de clés qui fut autrefois utilisé dans les marches militaires principalement.
[2] Victor Hugo ne rompit officiellement avec la droite qu’en octobre 1849, alors qu’il exerçait les fonctions de député de la Seconde république. Cette rupture était consumée car le député refusait une trop grande présence de l’Église dans les affaires publiques (notamment avec la loi Falloux) ainsi que le dédain avec lequel la droite bonapartiste et royaliste laissait souffrir la partie la plus humble de la Nation. Victor Hugo rejoignit les députés qui se déclaraient Montagnards – et donc révolutionnaires – et appela le peuple aux armes lors du coup d’État de Napoléon III cependant qu’il s’opposait à la peine de mort et à la violence gratuite.
Annuaire des cinq départements de la Normandie, publié par l’Association normande et les Assises de Caumont, 1951-1952, Caen, 1953, p. 23-24.
A. Lefebvre, Instituteur Honoraire (1949)
II. – LES CAVES ET SOUTERRAINS DE LOUVIERS
Dans son livre si captivant sur lesManantsduRoy, Jean de La Varende nous rappelle que, dans son pays d’Ouche, il y avait jadis plus de routes sous terre que dessus, que tous les châteaux-forts de cette région frontière, entre la Haute et Basse-Normandie étaient reliés entr’eux par des souterrains, et que des " cartes noires " en avaient même été dressées vers la fin de l’Ancien-Régime et avaient utilement servi aux bandes des chouans dans leurs luttes désespérées contre les armées républicaines. Et à ce propos il nous raconte l’histoire d’un chien des Jonquerets de Livet qui tomba dans une marnière abandonnée et qui fut retrouvé trois jours plus tard dans une autre marnière, près de Landeperente, à une bonne lieue de là.
Ne pourrait-on pas en dire autant de toutes les villes fortifiées d’autrefois ? À Louviers même, n’a-t-on pas retrouvé un certain nombre de ces souterrains destinés, soit à emmagasiner des provisions, des armes et du matériel de guerre, soit à s’échapper facilement loin de la ville en cas de siège ? Ne serait-il pas intéressant de pouvoir établir le plan souterrain de notre bonne ville si souvent attaquée au cours des Guerres de Cent Ans et de la Sainte-Ligue ? Feu l’abbé Delamare en a déjà dressé une liste dans son ouvrage si intéressant sur lesRuesdeLouviers.
1° En 1859, on a découvert un souterrain dont l’entrée était située en arrière du maître-autel de Notre-Dame et qui se dirigeait vers le château de Saint-Hilaire et le couvent de Sainte-Barbe.
2° Un autre couloir s’en va sous la Rue Tatin, vers l’ancienne citadelle, peut-être. C’est celui qui a été remis à jour en 1948.
3° Une excavation produite rue des Pompiers, en 1888, a montré un souterrain qui se trouve sous la Mairie actuelle (ancien couvent de Saint-Louis).
4° Sous le théâtre, on en a retrouvé un autre, qui se dirige vers l’ancienne Porte de Rouen.
5° En 1894, un affaissement de terrains a révélé le superbe souterrain qui passe sous le Marché aux Œufs, en face le n° 11, dans le voisinage de l’ancienne Maison des Templiers.
6° Enfin, le fameux souterrain du Puits-Crosnier, qui a son ouverture dans le Bois du Défends près du cimetière, se dirigeant vers la Citadelle et le châtel des archevêques, et permettait aux combattants de s’échapper facilement en cas de grand danger. Suivant la tradition locale une branche de ce souterrain aurait son issue dans l’église Saint-Germain. C’est dans ce puits Crosnier que fut jeté, comme à la voirie, le corps du curé de Mesnil-Jourdain, Mathurin Picard, très compromis dans le célèbre procès des Possédées de Louviers, en 1647.
Signalons, à notre tour, qu’au n° 22 de la rue Dupont de l’Eure existe une cave rendue visible par le bombardement de 1940, et dont la voûte descend d’une marche en même temps que l’escalier qui y conduit. Elle ressemble à celles que nous avons visitées il y a une soixantaine d’années, aux abbayes du Bec-Hellouin et de Jumièges.
Le Châtel du Manoir des Archevêques de Rouen, détruit en 1435, ne fut jamais réédifié. C’est sur son emplacement que fut construit le pâté de maisons compris entre la rue du Châtel et la rue aux Mouches (rue Bertinot actuelle). De ce quartier il ne reste malheureusement plus rien depuis le bombardement de 1940, sauf les caves à deux étages d’une solidité à toute épreuve, dont les voûtes en plein cintre étaient soutenues par des arceaux en pierre. Dans quelques-unes de ces cuves, on descendait par un escalier à vis également en pierre.
À Rouen même, toutes les maisons situées sur le côté méridional de la rue aux Ours, sont bâties sur un très long souterrain faisant communiquer la cathédrale avec la tour Saint-André. De solides grilles en fer délimitent les parties servant de caves à chaque habitation.
Ne serait-il pas utile, pour notre ville de Louviers, de dresser un plan de tous ces anciens souterrains, ainsi que de ceux à découvrir au cours des travaux de la Reconstruction ?
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Pont de l'Arche et sa région histoire, patrimoine et tourisme
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Bienvenue sur ce blog perso consacré à Pont-de-l'Arche et sa région (Normandie, Eure). Contactez-moi afin d'étudier ensemble, plus avant, l'histoire et donc de progresser vers la connaissance. Bonne lecture !
armand.launay@gmail.com
Armand Launay. Né à Pont-de-l'Arche en 1980, j'ai étudié l'histoire et la sociologie à l'université du Havre (Licence) avant d'obtenir un DUT information-communication qui m'a permis de devenir agent des bibliothèques. J'ai acquis, depuis, un Master des Métiers de l'éducation et de la formation, mention Lettres modernes. Depuis 2002, je mets en valeur le patrimoine et l'histoire de Pont-de-l'Arche à travers :
- 20 numéros de La Fouine magazine (2003-2007) et des articles dans la presse régionale normande : "Conviviale et médiévale, Pont-de-l'Arche vous accueille", Patrimoine normand n° 75 ; "Pont-de-l'Arche, berceau de l'infanterie française ?", Patrimoine normand n° 76 ; "Bonport : l'ancienne abbaye dévoile son histoire", Patrimoine normand n° 79 ; "Chaussures Marco : deux siècles de savoir-plaire normand !", Pays de Normandie n° 75.