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21 février 2013 4 21 /02 /février /2013 22:51

Nommée rue de « l’Abreuvoir » jusqu’au début du XXe siècle, Albert Lepage a écrit en 1898 que ce nom était une déformation du nom du couvent « Saint-Antoine » qui exista de 1635 à 1738 (1).

L'auteur a écrit que les sœurs ne pouvaient porter de toile d’où le nom d’abbaye sans toile.

Cependant, une charte de 1284 reproduite par Léopold Delisle (2) nomme cette ruelle la Basse sentele, c’est-à-dire la « petite sente du bas ». C’est un peu comme la Petite-chaussée, ruelle sœur, mais avec une précision sur l’altitude. Ces deux ruelles répondaient au besoin d’accéder aux berges de la Seine (eau, rinçage, pêche…) par le biais de portes car le bas de la rue principale de la ville (Alphonse Samain, de nos jours) était uniquement occupé par… le pont ! Ces poternes sont visibles, de part et d’autre du pont, dans les gravures anciennes représentant la ville.

Mais, quel est le lien entre Basse sentele et Abbaye-sans-toile ? La langue normande parlée il y a un siècle encore. Les Archépontains parlaient de rue d'la basse sontèle. Or, un Francophone – qui savait que le son français [oi] donne [ei] en Normand – a écrit ce nom en prenant le son [tèle] pour l’équivalent français de toile…  

 

P1170293.JPG

La rue Abbaye-sans-toile depuis le foyer de jeunes travailleurs (2010). 

 

 

(1) Lepage Albert, « Essai historique sur le prieuré de Saint-Antoine du Pont-de-l’Arche vulgairement désigné sous le nom d’Abbaye sans toile », in Bulletins de la Société d’études diverses de l’arrondissement de Louviers, t. V, année 1898, 439 pages, voir les pages 25-28 (ch. 1er), t. IX, année 1905, 76 p., voir les pages 48-67 (ch. 2-6e).

(2) Delisle Léopold (publié par), "Cartulaire normand de Philippe Auguste, Louis VIII, Saint-Louis et Philippe le Hardi", Mémoire de la société des Antiquaires de Normandie, 2e série, 6e volume, XVIe volume de la collection, Paris, 1852, 390 pages. Page 269 : charte n° 1038 (novembre 1284) : « … in parrochia Pontis Archie, ex dono decani Lexoviensis, una domus sita juxta cimiterium Pontis Archie ; item, ex venditione sororum Nicholai de Sahurs, super quamdam pecia terre sita in vicecomitatu Pontis Archie, in loco qui dicitur la Basse Sentele, quindecim solidi annui redditus ; item, ex dono magistri Roberti Lathomi de Pontis Archie una carreria ad lapides capiendum, sita juxta peciam terre venditam per sorores predicit Nicholai de Sahurs ; item, in vicecomitatu Pontis Archie, in feodo Almaurici Recuchon, una acra terre ; item, ex venditione Guilhelmi Flote, apud Lereium, novem solidi redditus ; item, ex dono Thomas de Valle, apud Pontis Archie, quator solidi redditus… ex dono Lucie de Lymeio juxta Pontis Archie, duo solidi redditus… »

 

Armand Launay

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5 décembre 2011 1 05 /12 /décembre /2011 14:16

L’Eure prend sa source dans le Perche à l’étang Rumieu (Eure-et-Loir). Depuis les travaux d’aménagement de la Seine en voie d’eau (1934), cette rivière a gagné plus de 10 kilomètres et se jette dans la Seine à Saint-Pierre-lès-Elbeuf. Autrefois, après 215 kilomètres elle se jetait dans la Seine aux Damps, au bout de la pointe de la Garenne (petit pont actuel).

 

Les Damps (7)

L'Eure aux Damps, un cadre idéal pour les balades en famille...

 

La première mention écrite de l'Eure date de 885. Elle se trouve dans les annales du monastère de Saint-Bertin sous la plume d'Hincmar, l’évêque de Reims, qui écrivit que les Normands avaient laissé leurs navires aux Damps sur les berges de l’Eure, dite Authura. 

Nous rapprochons ce mot d’atura, un mot préceltique signifiant « la source » que l'on retrouve dans de nombreux dictionnaires étymologiques. Ce nom a aussi donné Adour dans le sud de la France.  

Mais comment Authura aurait-il pu donner Eure ? 

Entre 1160 et 1170, Robert Wace nomme notre rivière dans le Roman de Rou :

« Rainault li parla a li : dessus l’ewe d’Eure

A Normanz l'envéia, ki sout la tenéure,

Manda lor k'il sace de son entreteneure »... 

Ces rimes démontrent qu’on ne disait pas « Eure » mais éure ou ure… Comme le faisait Voltaire vers 1722 qui faisait rimer dans les chants VIII et IX de La Henriade le mot Eure avec nature et structure. Vers 1907 encore, Le Dictionnaire du patois normand en usage à Louviers et dans les environs de Lucien Barbe nous apprend que nos ancêtres disaient la rivière d’Ure ou la dure

De Authura on a dû adoucir la dentale et prononcer Adura. Le "a" final a dû disparaître en même temps que le français s’est façonné, donnant Adour. Enfin, comme nombre de sons "ou" qui donnèrent un "u' dans les langues d'oïl, on dût prononcer L’Adure.

De là, étant impossible de différencier à l’oreille L’Adure de La Dure, le nom de la rivière a été raccourci  en rivière Dure, la rivière d’Ure puis, bientôt, l'"éure" ou l'"ure".

La dernière étape a été la transformation du son "u" ou "éu" en "e". L'orthographe "Eure", attestée au XVIIIe, a dû jouer un rôle important en laissant planer un doute sur la réelle prononciation. Prenons l'exemple de "gageure". Beaucoup de nos contemporains prononcent "gajeure" alors que la prononciation est "gajure". Les rectifications recommandées par l'Académie française depuis 1990 lèvent le doute en orthographiant désormais ce mot "gageüre", l'accent étant porté sur le "u". Trop tard pour l'Eure... 

Pour revenir à notre rivière, la prononciation locale "ure" a dû être concurrencée puis marginalisée par la prononciation "Eure" issue du français académique utilisé à l'oral par de nouveaux arrivants et à l'écrit par l'administration. Ensuite, la version "Ure" a dû être assimilée au parler normand local avec lequel elle a disparu puisque l'on a longtemps considéré, à tort, que les parlers locaux n'étaient qu'une déformation du français.  

 

Sources 
- Barbe L., Dictionnaire du Patois Normand en usage à Louviers et environs, Saint-Aubin-lès-Elbeuf, Page de Garde,1998, première édition en 1907, 127 pages ;

- Pluquet Frédéric, Le Roman de Rou et des Ducs de Normandie, volume 1, Rouen, Edouard Frère Editeurs, 1827, 414 pages.

 

Armand Launay

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  • : Pont de l'Arche et sa région histoire, patrimoine et tourisme
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Mes activités

Armand Launay. Né à Pont-de-l'Arche en 1980, j'ai étudié l'histoire et la sociologie à l'université du Havre (Licence) avant d'obtenir un DUT information-communication qui m'a permis de devenir agent des bibliothèques. J'ai acquis, depuis, un Master des Métiers de l'éducation et de la formation, mention Lettres modernes. Depuis 2002, je mets en valeur le patrimoine et l'histoire de Pont-de-l'Arche à travers :

- des visites commentées de la ville depuis 2004 ;

- des publications, dont fait partie ce blog :

Bibliographie

- 20 numéros de La Fouine magazine (2003-2007) et des articles dans la presse régionale normande : "Conviviale et médiévale, Pont-de-l'Arche vous accueille", Patrimoine normand n° 75 ; "Pont-de-l'Arche, berceau de l'infanterie française ?", Patrimoine normand n° 76 ; "Bonport : l'ancienne abbaye dévoile son histoire", Patrimoine normand n° 79 ; "Chaussures Marco : deux siècles de savoir-plaire normand !", Pays de Normandie n° 75.

- L'Histoire des Damps et des prémices de Pont-de-l'Arche (éditions Charles-Corlet, 2007, 240 pages) ;

- Pont-de-l'Arche (éditions Alan-Sutton, collection "Mémoire en images", 2008, 117 pages) ;

- De 2008 à 2014, j'ai été conseiller municipal délégué à la communication et rédacteur en chef de "Pont-de-l'Arche magazine" ;

- Pont-de-l'Arche, cité de la chaussure : étude sur un patrimoine industriel normand depuis le XVIIIe siècle (mairie de Pont-de-l'Arche, 2009, 52 pages) ;

- Pont-de-l'Arche, un joyau médiéval au cœur de la Normandie : guide touristique et patrimonial (mairie de Pont-de-l'Arche, 2010, 40 pages) ;

- Pont-de-l'Arche 1911 I 2011 : l'évolution urbaine en 62 photographies (mairie de Pont-de-l'Arche, 2010, 32 pages) ;

- Mieux connaitre Pont-de-l'Arche à travers 150 noms de rues et de lieux ! (Autoédité, 2019, 64 pages) ; 

- Déconfiner le regard sur Pont-de-l'Arche et ses alentours (Autoédité avec Frédéric Ménissier, 2021, 64 pages) ;

- Les Trésors de Terres-de-Bord : promenade à Tostes, ses hameaux, Écrosville, La Vallée et Montaure (publié en ligne, 2022) ;

- Les Trésors de Terres-de-Bord : promenade à Tostes, ses hameaux, Écrosville, La Vallée et Montaure (version mise en page du précédent ouvrage, édité par la mairie de Terres-de-Bord, 2023).

Depuis 2014, je suis enseignant à Mayotte.

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