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8 mars 2013 5 08 /03 /mars /2013 14:35

 

Dans l’église Notre-Dame-des-arts, le visiteur remarque les stalles grâce aux 12 lions qui les ornent et à leur disposition – en double rangées – autour du chœur. Le connaisseur peut s’étonner de voir ce type de mobilier dans une église paroissiale et il aura raison car elles viennent de l’abbatiale Notre-Dame de Bonport…

 

Stalles 1

Vue d’ensemble des 46 stalles de Notre-Dame-des-arts depuis la chaire (photo A. Launay, novembre 2012).

 

Définition des stalles (Wikipédia)

« Les stalles sont les rangées de sièges, liés les uns aux autres et alignés le long des murs du chœur des cathédrales ou églises collégiales et abbatiales, divisant les moines ou chanoines en deux groupes pour le chant (ou la récitation) alternative des psaumes de l’office divin. Ils ont la caractéristique de permettre deux positions : ou bien ‘assise’ ou bien (si le siège est relevé) debout, avec appui sur une ‘miséricorde’. »

 

Stalles 2

Les stalles sont une série de sièges stéréotypés dont on remarque ici la finesse des sculptures des séparateurs (photo A. Launay, novembre 2012).

 

Stalles 3

La miséricorde de la stalle de gauche est relevée. Elle permet ainsi à la personne de faire supporter son poids sur le meuble, et non sur ses jambes, tout en se tenant debout selon le rituel. La voix est libérée pour le chant. A remarquer, les accoudoirs en forme de spatules permettent de reposer les bras et donc de tenir aisément un livre (photo A. Launay, novembre 2012).     

 

Description des meubles

Au nombre de 46, les stalles de Pont-de-l’Arche ont été taillées dans du chêne, vraisemblablement à la fin du XVIIe siècle comme le laisse entrevoir le décor de feuilles d’acanthe. Elles sont disposées en deux rangées le long du nord, de l’ouest et du sud du chœur. L’entrée se fait par la nef, à l’ouest donc, qui dessine ainsi 4 formes en « L » autour du chœur. A chaque angle en retour d’équerre, à chaque extrémité, un lion couronne les stalles. Ils sont au nombre de 12 et constituent ce que nous aimons appeler le « chœur de lions ». Elles devinrent une propriété de la commune en 1905 et furent classées Monuments historiques le 28 décembre 1910.

 

Un héritage de la Révolution

Après la suppression des ordres monastiques par l’Assemblée constituante, le 13 février 1790, l’abbaye de Bonport et ses dépendances devinrent des biens nationaux Les 6 derniers moines partirent quelques mois après. Le 2 avril 1791, les bâtiments et les territoires de Bonport furent adjugés, contre 161 600 livres, à Alexandre Delafolie et Jacques Joseph Alexandre de la Fleurière. Cependant, l’adjudication excluait le mobilier de l’ancienne abbaye, celui-ci restant la propriété de l’Eglise. Ces biens furent partagés entre quelques églises locales selon l’arbitrage des administrateurs du district de Louviers. Saint-Vigor de Pont-de-l’Arche, devenue Notre-Dame-des-arts en 1896, acquit 46 des stalles du chœur et un chapier, aujourd’hui dans la sacristie. Emile Chevallier ajouta parmi ces acquisitions un « petit meuble de la seconde moitié du XVIe siècle » et un autel dont il retrouva la trace en 1812 dans les registres de  fabrique. Celui-ci fut placé dans le bas-côté nord, comme le confirme la toile de la Glorification du rosaire de la Vierge qui représente des moines cisterciens, portant la coule blanche et le scapulaire noir. Nous sommes aussi tentés d’y ajouter, parmi les biens venus de Bonport, la « balustre en fer qui sépare l’avant-chœur de la nef » citée par Emile Chevallier et qui délimite aussi le chœur des bas-côtés. Quant aux stalles, elles confèrent au chœur une intimité qu’il n’avait pas en l’absence de transept. Uni à la nef, le chœur en constitue quelque part le simple prolongement jusqu’à l’abside inachevée. L’acquisition des stalles est donc heureux pour l’église de Pont-de-l’Arche.

 

Stalles 4

Voici deux des six stalles de Bonport qui se sont retrouvées dans le chœur de l’église paroissiale Notre-Dame de Criquebeuf. A remarquer, au second plan, les autres stalles sculptées dans les mêmes proportions sans toutefois tenter d’imiter la richesse des décorations des stalles de Bonport (photo A. Launay, novembre 2012).

 

Les stalles de Notre-Dame de Bonport

Les stalles de Bonport étaient au nombre de 56. Six d’entre elles partirent dans l’église de Criquebeuf, quatre autres partirent à Saint-Cyr-la-campagne. Grâce à Émile Chevallier, nous pouvons imaginer ces 56 stalles dans le chœur de Notre-Dame de Bonport : « Les boiseries qui formaient le dossier des stalles restèrent à Bonport bien qu’elles eussent été exemptées de la vente (…). Des fragments de ces boiseries se voient encore notamment dans la bibliothèque, la galerie du premier étage et les deux pièces aménagées dans le parloir des moines. » [1]

 

Stalles 5

Les boiseries de la bibliothèque de Bonport sont partiellement issues des dossiers des stalles. Elles permettent de reconstituer un peu le décor du chœur de Notre-Dame de Bonport (photo A. Launay, 2010).

 

Stalles 6

Détail d’un pilastre cannelé issu des dossiers des stalles. Aujourd’hui dans la bibliothèque de Bonport, il est couronné d’un chapiteau ionien et d’un entablement à modillons (photo A. Launay, 2010). 

 

Emile Chevallier précise que, « grâce à ces témoins, la restitution du dossier des stalles n’offre aucune difficulté. Il était divisé par des pilastres en panneaux rectangulaires, mesurant environ deux mètres de hauteur. L’espacement des pilastres (1 m 31) correspondait exactement (…) à la largeur de deux stalles. Dans la partie supérieure des panneaux, une moulure en demi-cercle, formant une sorte d’encadrement, surmontait un médaillon circulaire encadré de jolies feuilles d’acanthe et de fleurs variées. L’entablement, haut de 0 m 40, était conçu dans le même style. La frise était coupée régulièrement, de distance en distance, par de fortes consoles répondant aux pilastres du dossier. » [2]

 

Stalles 7

Cette photographie du chœur de l’église abbatiale de Pontigny fournit un exemple d’ordonnancement de stalles et de leurs dossiers. Le chœur de Notre-Dame de Bonport, plus petit, dut ressembler fort à celui-ci (photo des frères Neurdein (avant 1905), base Mistral, ministère de la Culture).

 

Qui est le commanditaire des stalles ?

Datant de la seconde moitié du XVIIe siècle, il est tentant de consulter la liste des abbés de Bonport de ce siècle pour retrouver le commanditaire des stalles, œuvres non signées. L’entreprise est hasardeuse bien que des pistes puissent être ouvertes sur Henri de Bourbon, abbé de 1606 à 1668, qui fut aussi ambassadeur de France en Angleterre, le pays des trois lions normands. Mais l’on peut aussi conjecturer sur Jean Casimir, roi de Pologne et abbé de Bonport, qui compte des lions sur ses armoiries. On pourrait aussi conjecturer sur Henri III de Bourbon, comte de Clermont et sur son frère Louis-Henri de Bourbon. Nommés abbés respectivement à trois ans et à deux ans, Auguste Le prévôt précise que leur passage a donné lieu à « des travaux importants » [3]. Est-ce à dire que la part habituellement ponctionnée par les abbés commendataires a servi à l’entretien des lieux ? Assurément, alors les stalles ont très bien pu être commandées par un prieur. On le lit, il nous est impossible d’attribuer les stalles à tel ou tel abbé, ou prieur. 

 

La symbolique des lions

 

Stalles 8

Un des 12 lions ornant les stalles de Notre-Dame-des-arts (photo A. Launay, 2011). 

 

Douze lions couchés ornent chaque extrémité et retour d’angle des quatre meubles en « L ». Ils sont un plausible clin d’œil à Richard Cœur de Lion, roi d’Angleterre et duc de Normandie, fondateur de l’abbaye de Bonport en 1190. En effet, les lions du principal fondateur n’étaient pas oubliés à la Renaissance puisqu’ils figurent sur les armes de l’abbaye au côté de celles du roi de France, cofondateur de l’abbaye. C’est ce que nous apprend le Matrologe de la confrérie de l’Assomption de Gisors, document rédigé du XVe au XVIIIe siècle [4], qui reproduit les armes de l’abbaye juste avant le nom de Noël Maulduit, abbé de Bonport en 1537. Ces armes sont reproduites ci-dessous. Elles présentent les lions de Richard II, symbole des ducs de Normandie et des rois d’Angleterre, les lys de Philippe II et des rois de France et, enfin, la nativité du Christ, le bon port du fils de Dieu parmi les hommes, selon notre théorie.

 

Stalles 9

Les armes de l’abbaye de Bonport. Au premier, d’azur semé de fleurs de lys d’or. Au second, de gueules, à trois léopards d’or, l’un sur l’autre. Extrait du Matrologe de la confrérie de l’Assomption de Gisors, 1537 (AD27).  

 

Les lions des stalles n’ont pas été sculptés dans l’ignorance de Richard Cœur de Lion. Cependant, il est difficile d’avancer que cet hommage soit la justification première de ce symbole. En effet, on retrouve des lions dans bien d’autres églises et ces symboles trouvent leur origine dans les idéaux de communautés religieuses. C’est ce qu’atteste la fonction pratique des stalles qui accompagnaient les moines dans leurs nombreuses et longues messes. La miséricorde abaissée était propice au recueillement. Une fois relevée, elle permettait aux moines de se tenir debout, libérant la voix, mais en se reposant sur la miséricorde, dont le nom trouve ici tout son sens. Les accoudoirs de part et d’autre rendaient plus facile la tenue du missel.

 

Stalles 10

La référence à Richard Cœur de Lion ne peut être la motivation principale des moines qui ont décidé de se consacrer à leur religion. La présence de lions ornant les stalles dans d’autres églises, ici à Saint-Riquier (80), nous orientent vers d’autres pistes pour interpréter la signification de ce symbole… (photo d’Alain Devisme, avec son aimable autorisation, juillet 2010).

 

Remarquons que les lions sont aussi nombreux que les apôtres tournés vers le Christ. Pour les chrétiens, le Christ est le plus puissant personnage que la Terre ait porté. Il est normal que le lion, roi des animaux, puisse symboliser le Christ et la puissance de la foi. L’origine de la référence se trouve dans la Genèse où la tribu du patriarche Juda a pour emblème le lion. Il incarne l’autorité toute puissante sur la Terre, ce qui doit expliquer pourquoi 8 lions des stalles posent la patte droite sur une boule symbolisant la Terre. L’Apocalypse selon saint Jean précise, parlant du Christ (chapitre 5, verset 5) : « voici le lion de la tribu de Juda, le rejeton de David, il a le pouvoir d’ouvrir le livre et ses sept sceaux »… Les sept sceaux représentent une partie de l’histoire des hommes. Il s’agit d’une référence au Jugement dernier où le Christ reviendra et jugera les actes de chacun. C’est peut-être ce qui explique pourquoi 4 lions des stalles, côté nef, posent la patte droite sur un livre. Ce chiffre 4 se rapporte aussi au nombre des Evangiles. Le lion, depuis l’Antiquité, est un symbole de la sagesse et de la justice. C’est ainsi qu’il a orné les trônes de souverains partout dans le monde. Sa présence dans une église doit rappeler la force de la foi pour combattre le péché et gagner le Paradis.

 

Stalles 11

« La vision de saint Jean à Patmos », d’après Les Très riches heures du duc de Berry. Parmi les têtes couronnées du royaume des cieux, siégeant dans de belles stalles, Jésus Christ annonce à Jean la fin du monde précédant le Jugement dernier. Le lion est un des symboles de Jésus Christ. Dans l’Apocalypse, saint Jean le désigne sous le nom de lion de la tribu de Juda et lui attribue le rôle de juge souverain des âmes (musée Condé, Chantilly, ms. 65, f.17, par Wikipédia).   

 

 

Notes

[1] Chevallier Emile, Guide à l’abbaye de Bonport, page 13.

[2] Chevallier Emile, Notre-Dame de Bonport, étude archéologique sur une abbaye de l’ordre de Cîteaux, page 92.

[3] Delisle Léopold, Passy Louis, Mémoires et notes de M. Auguste Le Prévôt…, page 591.

[4] Archives départementales de l'Eure (G2120).

 

 

Orientations documentaires

Chevallier Emile, Guide à l’abbaye de Bonport, Pont-de-l’Arche, imprimerie Claude frères, 1906, 92 pages ;

Chevallier Emile, Notre-Dame de Bonport, étude archéologique sur une abbaye de l’ordre de Cîteaux, Mesnil-sur-l’Estrée : Firmin-Didot, 1904, 120 pages ;

Collectif, Matrologe de la confrérie de l’Assomption de Gisors, Archives départementales de l'Eure (G2120), non paginé ;

Delisle Léopold, Passy Louis, Mémoires et notes de M. Auguste Le Prévôt pour servir à l’histoire du département de l’Eure, tome II, 1re partie, Evreux : Auguste Hérissey, 1864, 632 pages. Pont-de-l’Arche et Bonport : pages 572-593.

 

 

Stalles 12

Le fait que le lion pose la patte gauche sur la boule, représentant la Terre, démontre que nous avons ici affaire à un faux grotesque.

 

Armand Launay

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Quelques vues pour le plaisir des yeux clichés (Armand Launay, janvier 2014).
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21 février 2013 4 21 /02 /février /2013 22:29

Dans le bas-côté sud de l’église Notre-Dame-des-arts (Pont-de-l’Arche) se trouve un beau retable.

P1160420.JPG

En son centre, se trouve une toile du XVIIe siècle : La Descente de la Croix. Cet ensemble a été classé Monument historique au titre d’objet le 26 aout 1976.

Sous le retable est situé un tombeau d’autel portant un tabernacle. Sur ce tombeau, on voit clairement deux clés croisées. Elles sont l'emblème de saint Pierre, détenteur des clés du Paradis. Autre emblème présent, la tiare papale aux trois couronnes, surmontée d'un lac d'amour et non d'une croix, et une croix de patriarche. 

Sachant que l’église Saint-Pierre des Damps, devenue propriété de la paroisse de Pont-de-l’Arche, a été détruite par cette même paroisse, nous pensons avoir affaire à un vestige de l’église disparue et depuis remplacée par la chapelle Saint-Pierre.

Avec le retable du bas-côté nord, issu de Bonport, nous aurions ici l’origine du deuxième retable latéral de Notre-Dame-des-arts.  

 

P1100282

Détail du tombeau d'autel où l'on retrouve des emblèmes de saint Pierre (les clés croisées et la tiare papale), certainement les indicatifs de l'origine du retable : l'ancienne église Saint-Pierre des Damps.  

 

 

Armand Launay

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15 février 2013 5 15 /02 /février /2013 20:12

Dans le bas-côté nord de l’église Notre-Dame-des-arts (Pont-de-l’Arche) se trouve un retable, belle œuvre de menuiserie datée du XVIIe siècle et classée Monument historique au titre d’objet le 28 aout 1976. A noter aussi, le tombeau d'autel et le tabernacle situés devant le retable.  

En son centre, le retable porte une toile d’origine, « La glorification du rosaire ». Sous le rosaire de la Vierge, elle présente des moines cisterciens, reconnaissables à leur coule blanche et le scapulaire noir. Parmi une assemblée de fidèles écoutant leur office, se trouvent les monarques anglais et français (en bas à droite).

On pourrait se demander la raison de leur représentation dans une église paroissiale ? C’est Emile Chevallier, dans son ouvrage Guide à l’abbaye de Bonport, qui nous en fournit la réponse, page 13*. Suite à la lecture des registres du Conseil de fabrique, il apprit qu’un retable de Bonport avait été acquis par la paroisse de Pont-de-l’Arche en 1812 : « Celui-ci fut placé dans le bas-côté nord, comme le confirme la toile du rosaire de la Vierge qui représente des moines cisterciens, portant la coule blanche et le scapulaire noir ».

La présence des moines et des monarques français et anglais n’est donc pas étonnante sachant que l’ancienne abbaye de Bonport fut fondée par Richard Cœur de Lion et Philippe Auguste…

 

A lire aussi...

Le retable du bas-côté sud

       

 

* Chevalier Emile, Guide à l’abbaye de Bonport, Pont-de-l’Arche, imprimerie Claude frères, 1906, 92 pages.

 

P1090493

 

P1090508.JPG

 

A lire aussi...

Les stalles de Bonport...

L’église Notre-Dame-des-arts...

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17 janvier 2013 4 17 /01 /janvier /2013 22:56

Diis manibus

 

 

« Qu’importe par quelle sagesse chacun accède au vrai.

Il est impossible qu’un seul chemin mène à un mystère aussi sublime. »

Quintus Aurelius Symmachus, dit Symmaque, Relatio, III, 10

 

 

Le paganisme regroupe un ensemble de cultes polythéistes pratiqués par les païens, c’est-à-dire les fidèles aux dieux locaux, par différence aux fidèles de cultes extérieurs, principalement les chrétiens qui ont supplanté, interdit, le paganisme. Le choix de ce sujet pour la localité de Pont-de-l’Arche tient plus de la motivation personnelle que de la recherche historique tant les données scientifiques manquent ; ceci exprime donc la partie la plus religieuse, peut-être, de nos valeurs spirituelles. Il nous a néanmoins paru intéressant d’interroger l’histoire locale en reliant des éléments à priori disparates et, quoi qu’il en soit, méconnus. Quant au choix des Damps, il s’impose de lui-même puisque Pont-de-l’Arche a émergé au IXe siècle sur le territoire de cette paroisse plus ancienne.

 

Hetre-Tabouel.JPG

Le paganisme vénère les forces naturelles et leurs manifestations les plus éclatantes. Ici le hêtre Tabouel, sur les hauteurs de Pont-de-l'Arche, peut faire figure d'idole tutélaire du haut de ses 350 ans de vitalité.  

 

 

L’allée couverte des Vauges, première trace de spiritualité

La plus ancienne trace locale de spiritualité a été identifiée par la découverte d’une allée couverte aux Damps, rue des Merisiers. Nous avons rendu compte de cette découverte à la page 36 de notre ouvrage L’Histoire des Damps et des prémices de Pont-de-l’Arche (voir sources). Cette allée couverte a été identifiée par des particuliers lors de la construction des fondations de leur maison au début des années 2000. Sans intervention d’archéologues, une quinzaine de squelettes a été mis au jour entre de vastes pierres de près de 4 mètres de long. Ces pierres rectangulaires formaient une allée d’une dizaine de mètres de longueur et tournée vers l’Est. Les habitants se sont renseignés auprès d'archéologues qui ont identifié des têtes de haches et une hache pendeloque enpierre verte du Jura, objet que l’on mettait au cou des morts. Nous pouvons raisonnablement avancer qu’il s’agit de vestiges d’une allée couverte, type de tombeau collectif du Néolithique final (vers 2300 avant notre ère) courant la région de Val-de-Reuil.

Les allées couvertes étaient composées de deux séries parallèles de menhirs couverts d’autres pierres, on parle alors de cairns, ou de terre, ce qu’on appelle les tumulus. Le tout formait une grotte artificielle protégeant les dépouilles. Les découvertes archéologiques ont parfois mis au jour l’ouverture ronde perçant une pierre condamnant l’entrée. Grâce à cette ouverture taillée, un rayon de soleil touchait le fond de l’allée couverte au solstice d’été. Cette attention toute particulière montre la fonction spirituelle d’un tel édifice. En effet, le soleil est un symbole de renaissance après les ténèbres, la mort. Il démontre que nos ancêtres espéraient une renaissance après la mort. Il était donc crucial que les dépouillent soient touchées par la lumière au matin de la plus longue des journées. C’est pourquoi les allées couvertes étaient orientées, c’est-à-dire tournées vers l’orient. En ce sens, l’orientation des églises chrétiennes est une survivance de cette pratique rituelle. Il en est de même pour les calvaires, comme nous l’avons expliqué dans notre article consacré au cimetière de Pont-de-l’Arche.

Parlant du culte chrétien, nous nous sommes aussi interrogé sur la chapelle Saint-Pierre des Damps et son curieux emplacement.

 

La chapelle Saint-Pierre des Damps héritière d’un temple païen ?

L’allée couverte décrite ci-dessus trahit l’existence d’habitations. En effet, le néolithique est caractérisé par la sédentarisation des hommes qui ont besoin d’entretenir les cultures. La présence humaine aux Vauges rejoint ainsi les nombreuses découvertes archéologiques de Tournedos, Léry et Poses qui attestent une implantation humaine importante et durable autour de ce méandre de Seine. Le vallon des Vauges était, lui aussi, propice à l’implantation humaine. La proche forêt permettait l’élevage, la chasse et l’approvisionnement en bois. Le rebord du coteau, outre l’élevage itou, était propice aux cultures. En bas du vallon, les eaux de la Seine et son proche confluent avec l’Eure étaient propices à la pêche et au transport. Les iles offraient des enclos naturels à certains animaux d’élevage. La forme même du vallon laisse entrevoir que de petits cours d’eau y coulaient paisiblement.

L’éloignement de la chapelle Saint-Pierre du centre historique des Damps, en face de la place du village, nous a étonné. Située en bas du vallon des Vauges, cette chapelle a été bâtie par les fidèles dampsois en 1856 en lieu et place de l’ancienne église paroissiale Saint-Pierre. Cette église fut rattachée à la paroisse Saint-Vigor de Pont-de-l’Arche vers 1780 et démolie par le conseil de fabrique de Pont-de-l’Arche. Depuis le Moyen-Âge, l’église des Damps était mentionnée sous le vocable de Saint-Pierre et rien ne laisse entendre qu’elle ait changé d’emplacement depuis. Selon nous, l’emplacement de Saint-Pierre des Damps indique que le vallon des Vauges rassemblait la majeure partie des habitations à une période reculée. Partant, nous pensons que l’église des Damps, comme tant d’autres, a remplacé un lieu de culte païen situé à proximité directe des habitations d’alors. Pour mémoire, la christianisation eut lieu en Normandie du IVe au VIe siècle.

Par ailleurs, une étude de Georges Dumézil sur le culte de saint Pierre nous conforterait dans la thèse du temple païen. Saint Pierre était le patron des pêcheurs et des agriculteurs. Plus précisément, il était le patron de l’orge car cette céréale monte en épi durant la dernière semaine du mois de juin (entre la saint Jean et la saint Pierre). Alors, pour un village qui a vécu à la fois de la pêche et de l’agriculture, ce patron n’est pas tout à fait étonnant, surtout si l’on considère la position de son ancienne église, entre fleuve et terres agricoles. Georges Dumézil note que saint Pierre, saint de l’économie rurale, a très souvent remplacé un dieu de la fertilité. Si le temple païen des Vauges a bel et bien existé, à quelles divinités celtes puis latines, telle Cérès la déesse de l’agriculture, était-il voué ? La rêverie est permise…  

 

Chapelle-Saint-Pierre-2003.JPG

La chapelle Saint-Pierre durant une de nos visites commentées en 2003 : un édifice remplaçant une église qui, elle-même, pourrait bien avoir remplacé un lieu de culte païen autour de l'ancien hameau des Vauges. A noter, les outils de compagnons sur la pierre devant le public ; outils décrits dans un article consacré aux Amis réunis.   

 

Les établissements gallo-romains des Damps

Une fouille de sauvetage a été réalisée en 1980, aux Damps, sous le court de tennis du Chemin-des-haies (voir Dominique Halbout, sources). Ces fouilles ont mis au jour des bâtiments annexes d’une villa gallo-romaine détruite au bulldozeur. Une cave maçonnée avec soupirail métallique ont été retrouvés parmi du mobilier attestant une présence humaine depuis au moins la fin du 1er siècle jusqu’au IIIe siècle.

Dans notre ouvrage L’Histoire des Damps… nous avons aussi fait état des découvertes archéologiques suivantes : le trésor monétaire près de la maison de la Dame-blanche et de thermes au Vert-Buisson (tous deux dans la rue des Carrières) (page 46). Cependant, c’est à Jean Mathière (voir sources) que nous devons la seule référence au paganisme gallo-romain lui qui cite, page 241, la découverte en 1858 de « statuettes dont une de Vénus » déesse de la beauté et de l’amour.

 

Le fanum de Pont-de-l’Arche

Parmi nos sources non scientifiques, il y a les témoignages des propriétaires de détecteurs à métaux. Si l’inventaire de leurs découvertes est très approximatif, ils apportent de précieux éléments échappant de toute façon aux fouilles scientifiques. L’un d’entre eux m’a ainsi indiqué la présence d’un fanum – un temple rural – près du clos des Cerisiers, sur la route de Tostes. Celui-ci se trouvait à la jonction entre une voie allant vers Caudebec-lès-Elbeuf et Le Vaudreuil et une autre voie allant vers Pont-de-l’Arche et Tostes. Ce petit temple a peut-être fait partie d’une villa établie sur les premiers contreforts du plateau du Neubourg, à l’orée de la forêt.

Peut-être était-il dédié à Faunus, un dieu protecteur des troupeaux contre les loups, d’où son second nom : Lupercus. Ceci ne serait pas délirant étant donnés les nombreux dés à coudre de cette époque retrouvés en forêt de Bord et qui attestent la présence de gardiens de troupeaux dans la forêt ; gardiens qui s’occupaient en cousant… Peut-être que ce fanum honorait Sylvain, dieu de la forêt, notamment pour l’usage des fidèles redoutant la traversée de la forêt.

On peut aussi penser que ce temple était le sanctuaire des dieux tutélaires des habitations situées en contrebas, au futur Pont-de-l’Arche. En ce sens, peut-on établir un lien avec le culte de sainte Anne, patronne de Pont-de-l’Arche depuis le Moyen-Âge ? En effet, le chemin de la Procession, près duquel ont été retrouvés les restes du fanum, doit tenir son nom de la procession qui avait lieu dans le cadre de l’assemblée Sainte-Anne, ancêtre de la fête communale, qui avait lieu à l’orée de la forêt…  

 

Un établissement gallo-romain sur La Plaine de Bonport ?

Léon Coutil écrivit que : « Un peu plus loin, à l’extrémité du village de Criquebeuf, en extrayant du sable et des alluvions caillouteuses, on découvrit en 1888 des vases gallo-romains avec des débris d’incinérations dont nous avons vu deux exemplaires ». Qui plus est, les protecteurs équipés de détecteurs à métaux ont mis au jour de nombreuses monnaies et un pied de statue dans cette zone et, plus précisément, dans le val qui se situe en contrebas du hameau appelé La Plaine de Bonport vers Criquebeuf-sur-Seine. Il semble que ce lieu ait été habité de longue date avant d’être peu à peu déserté.

C’est ce qu’écrivirent en 1898 V. Quesné et Léon de Vesly (voir sources) qui se sont intéressés au village gaulois du Catelier, vraisemblablement appelé Gaubourg « par les envahisseurs du Ve siècle, qui paraissent avoir abandonné la hauteur pour s'établir sur les bords de la Seine en un lieu appelé Maresdans. Il ne reste aujourd'hui de cette station célèbre mentionnée par Guillaume de Jumièges, qu'un tertre couvert de bois : la chapelle, dans laquelle ont été baptisés quelques vieux villageois a disparu et l'image de saint Martin, patron de cette paroisse, a été remplacée dans l'église de Criquebeuf où nous l'avions souvent contemplée. — Quelques pierres et des traces de mortiers qui roulent à la surface des champs, voilà tout ce qui reste de Saint-Martin-de-Maresdans ! »

Cette chapelle a entièrement disparu dans le bois au sud de La Plaine de Bonport et à l’Est du Val-Richard. Seul Maredans [sic] est nommé dans le cadastre de Criquebeuf. Quoi qu’il en soit, ce lieu de culte chrétien a semble-t-il concerné un village. Il est placé sous un vocable ancien, Saint-Martin, et a maintenu le nom de Maresdans, qui signifie « mare des Damps ». Ce nom est donc antérieur à la fondation de Pont-de-l’Arche autour de l’entrée sud du pont bâti entre 862 et 873 par Charles le Chauve. De là à penser qu’un temple païen a été remplacé par une chapelle dédiée à saint Martin, il n’y a qu’un pas que nous serions tenté de franchir, une fois de plus. 

 

Des rituels païens christianisés

Si le catholicisme est héritier du christianisme importé du Proche-Orient, il est né parmi les rites païens de l’Empire romain. A ce titre, bien des pratiques locales ont survécu en étant christianisées.

La statuaire des églises

La riche statuaire accompagnant le culte des saints est un héritage des innombrables statues de dieux, d’empereurs, ou de grands personnages publics de l’Empire romain. Les divinités d’alors, et parmi elles les âmes des morts, étaient des voies plurielles permettant de s’approcher du divin. A ce titre, le recours massif du catholicisme aux statues représentant les saints, Jésus ou Dieu-le-Père n’est pas sans rappeler la Rome antique d’autant plus que les statues étaient interdites par le judaïsme, terreau du christianisme : « Tu ne te feras point d'idole, ni une image quelconque de ce qui est en haut dans le ciel, ou en bas sur la terre, ou dans les eaux au-dessous de la terre. » (Exode, chapitre 20, verset 3). Le drapé des personnages, d’un point de vue esthétique, et le rappel de la vie des saints, contribuent à faire de l’Antiquité une sorte d’âge d’or où le christianisme a vaincu le paganisme. Cependant, le Moyen-Âge, tout chrétien qu’il fut, n’a vraisemblablement pas dépassé cette époque rêvée. Quelque part, le paganisme était un ennemi tellement important que la victoire contre celui-ci semble constituer la principale réussite du christianisme.

Sainte Marie de Bonport

Léon de Duranville, citant Hyacinthe Langlois (Recueil de quelques sites et monuments de l'ancienne France, 1817) nous renseigne sur un pèlerinage qui avait lieu au bord de l’Eure, en face de la porte de la Vierge donnant accès à l’ancienne abbaye de Bonport : « C’était là que, le 23 juin, veille de la solennité de Saint-Jean-Baptiste, se rassemblait annuellement de toutes parts, dit encore Langlois « une multitude de femmes qui, au premier coup de l’Angelus de midi sonnant au monastère, plongeaient simultanément dans la Seine leurs petits enfants nus. Beaucoup d’adultes des deux sexes se soumettaient eux-mêmes à cette cérémonie pieusement gymnastique, qu’ils considéraient comme le préservatif et la cure de certaines maladies. […] Qui pourrait affirmer que ces coutumes si pleines d’originalité ne sont pas venues de l’époque païenne, qui divinisa les arbres et l’eau ? » (pages 216-217). En 1856, Léon de Duranville précisa que « Ce pèlerinage superstitieux n’est pas encore abandonné à Bonport, malgré la disparition du groupe. On l’a transporté dans l’église du Pont-de-l’Arche… » (page 218). Le « groupe » cité est la statue de Marie et, sur ses genoux, du Christ mort qui ornait la porte de la Vierge à Bonport. Ce groupe enpierre du XVIe siècle, classée Monument historique en 1977, se trouve sur le premier pilier du bas-côté nord de l'église Notre-Dame-des-arts.  

 

Bonport-2012.JPG

Des pratiques païennes ont longtemps survécu sous la forme d'un pèlerinage en face de Bonport, dans les eaux de la Seine. Elles consistaient à donner de la vigueur aux enfants.  

 

Le Hêtre Saint-Ouen de Léry

Bien qu’en dehors de notre aire d’étude, nous aimons à citer le culte de la fertilité célébré sous des airs catholiques à Léry, dans la forêt de Bord, la forêt de Pont-de-l’Arche. Voir notre article. 

 

Le baroque ou le souffle (gréco)-romain

L’arrivée du protestantisme au XVIe siècle a largement concurrencé le catholicisme. Il l'a même remplacé dans des royaumes entiers. Le protestantisme se veut universel et missionnaire, des synonymes des valeurs de l’Eglise qui se dit catholique et apostolique. Symboliquement, l’Eglise a renforcé un point qui ne pouvait lui être contesté : sa romanité. L’église catholique, apostolique et romaine a été fondée dans la capitale de l’Empire romain par saint Pierre.

La lutte contre l’expansion du protestantisme, la Contreréforme, s’est notamment traduite par une imagerie puisant dans les canons artistiques de l’antiquité gréco-romaine. Un nouveau style a émergé, le baroque, qui a remis au gout du jour l’ornementation de la Rome antique. Au premier chef, les colonnes et les frontons des temples. C’est ce qu’on l’on retrouve au chœur de l’église Saint-Vigor, devenue Notre-Dame-des-arts en 1896. Le maitre-autel érigé vers 1630-1640 se présente comme une entrée de temple païen… au chœur du sanctuaire chrétien.

L’histoire est ironique car saint Vigor, évêque de Bayeux, s’était fait connaitre en partie pour la lutte contre le paganisme et les colonnes païennes auront survécu à ce personnage notamment pour laisser place à Notre-Dame des arts, sorte de mère des Muses. Après tout, le Pape n’est-il pas le Souverain pontife ? C’est-à-dire le successeur des Grands pontifes romains, responsables de l’entretien du pont sacré et de la bonne pratique des rituels païens. Parmi ces pontifes, citons Symmaque qui  nous a fourni la citation du début de cet article…  

 

Photo 092Le maitre-autel de l'église Notre-Dame-des-arts (vers 1630-1640) : une oeuvre baroque issue de la Contreréforme et qui puise dans les canons de l'antiquité gréco-romaine et, notamment, ses temples dédiés aux dieux pluriels.      

 

Orientations documentaires

- Dumézil Georges, « Deux petits dieux scandinaves : Byggvir et Beyla, VI, Pekka, Pekko et Saint-Pierre », p. 76, in Mythes et dieux de la Scandinavie ancienne, collection bibliothèque des sciences humaines, Paris : Gallimard, 2000, 373 pages ;

- Duranville Léon Levaillant de, Essai archéologique et historique sur la ville du Pont-de-l’Arche et sur l’abbaye Notre-Dame-de-Bonport, autoproduit, 1856, 231 pages ;

- Halbout Dominique, « Note sur la fouille de sauvetage menée aux Damps (Eure) en juin, juillet, août 1978 », Bulletin du Centre de Recherches Archéologiques de Haute-Normandie n° 5, janvier-février 1979, page 10 ;

- Launay Armand, L’Histoire des Damps et des prémices de Pont-de-l’Arche, Condé-sur-Noireau : Charles-Corlet, 2007, 240 pages, voir les chapitres « Les premières traces des hommes entre Léry et Criquebeuf-sur-Seine depuis la Gaule romaine », pages 35 à 41, et « L’occupation du site des Damps de la Gaule romaine à la période germanique : le poids local d’un village fluvial », pages 42 à 50 ;

- Mathière Jean, La Civitas des Aulerci Eburovices à l’époque Gallo-romaine, Evreux, Librairie A. Drouhet, 1925, 355 pages ;

- Quesné V., de Vesly Léon, « Nouvelles recherches sur Le Catelier de Criquebeuf-sur-Seine (Eure) », in Bulletin archéologique du Comité des travaux historiques et scientifiques, année 1898, Paris : imprimerie nationale, 1898.

 

                                                                                      

Armand Launay

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10 octobre 2012 3 10 /10 /octobre /2012 16:44

Après les lois Jules Ferry rendant la scolarité obligatoire et laïque, les religieux qui enseignaient à Pont-de-l’Arche ont quitté la ville et ce malgré la déception les élus locaux qui recrutèrent alors des enseignants laïcs.

Conscientes qu’elles avaient abandonné l’instruction religieuse des enfants de Pont-de-l’Arche, les autorités catholiques créèrent une école pour filles en 1901. Tenue par les sœurs de la Providence de Rouen, cette école se maintint jusqu’en 1971, avant de servir de dispensaire puis de salle paroissiale. Située au numéro 3 de la rue de Crosne, elle ne comprenait que deux salles de classe. Au numéro 1 se trouvait l’école maternelle (une salle) qui accueillit ensuite les logements des sœurs du dispensaire et, de nos jours, le diacre. Ces biens sont la propriété du diocèse d'Evreux. 

L’école Saint-Charles fut construite en brique entre 1900 et 1901. Bâti de plain-pied et sur un sous-sol, cet édifice rectangulaire est protégé par un toit à deux versants recouvert d’ardoises. Les deux salles de classes étaient accessibles chacune par des portes situées aux extrémités des longues façades. Les deux portes situées côté rue servaient d’entrée le matin. Les deux portes situées côté cour donnaient accès à la cour de recréation et son préau (aujourd’hui disparu).

 

Ecole Saint-Charles

L'école Saint-Charles, côté cour, en 2010.

 

On peut encore apprécier aujourd’hui la décoration soignée de ce bâtiment malgré un crépi en ciment assez récent (côté cour). Sous le toit, des modillons en brique blanche décorent la corniche. Les deux façades longues présentent chacune quatre fenêtres dont les linteaux sont agréablement constitués d’un entremêlement de briques rouges et blanches. Des chaines de refend font une légère saillie vers l’extérieur et quelques encres en acier ponctuent les façades. Des pierres de taille renforcent la décoration. Certaines sont situées aux extrémités des linteaux des fenêtres mais surtout aux linteaux des portes ainsi qu’aux ouvertures qui les couronnent. Ces ouvertures présentent des jambages en pierre qui évoquent les colonnes classiques. Quant aux frontons, ils forment un curieux mélange entre les chapiteaux classiques et les nervures gothiques en forme de pointe. Un relief trilobé renforce l’aspect gothique de la décoration ce qui n’est pas étonnant pour une propriété diocésaine. Le silex, enfin, est lui aussi présent mais uniquement sur le mur-bahut situé au-dessus de l’entrée de la cave (côté cour). 

 

Ecole-Saint-Charles-2.JPGEcole Saint-Charles, détail de la façade côté rue.  

Saint-Charles : ancienne école de filles à Pont-de-l'Arche (privée)

Armand Launay

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28 septembre 2012 5 28 /09 /septembre /2012 19:17

Dans quelques jours, le calvaire situé à l’encoignure du chemin de la Procession et de la rue Charles-Cacheleux prendra 137 ans.

 

Calvaire (chemin de la Procession)

Le calvaire de la Procession en 2009 (photo A. Launay)

 

Il fut érigé à l’entrée sud de la ville, au-dessus d’elle, le 17 octobre 1875 grâce aux donations de M. et Mme Quenneville et sur leur propriété.

La même année, le 30 janvier, l’Assemblée nationale votait l’amendement Wallon qui, en définissant le mode d’élection du président par les députés et les sénateurs, donnait officiellement le nom de république au régime politique français. 86 ans après la Révolution et 83 ans après la Première République, les républicains prenaient définitivement le pouvoir aux royalistes, parmi lesquels étaient les catholiques. Ces derniers rallièrent peu à peu la république après l’encyclique papale Au milieu des sollicitudes écrite en 1892.  

Or, en 1919 Etienne-Alexandre Sorel écrivit dans son ouvrage Pont-de-l’Arche durant la Révolution qu’ « un nouveau calvaire a été érigé en réparation de l’outrage fait à l’ancien » (page 92).

L’ancien calvaire, poursuit l’auteur, a été brulé et démoli le 28 novembre 1793 suite à un vote unanime du Conseil municipal présidé par Jacques Joseph Alexandre. Les élus voulurent détruire eux-mêmes ce calvaire situé entre la place Aristide-Briand et le haut du boulevard de la Marne, à l'angle du garage Renault*. Cependant, ils furent devancés par les soldats de l’armée révolutionnaire stationnant dans la ville. C’est certainement sous leur contrainte que les élus votèrent cette profanation.   

En effet, quand le Conseil municipal évoqua la démolition d’un calvaire menaçant ruine, le 10 juillet 1791, un écriteau fut posé peu après sur le monument : « On fera feu sur quiconque enlèvera ou fera enlever le Calvaire de sa place ». Emus, les élus votèrent la réparation du calvaire qui eut lieu le 18 juillet. La France n’était pas encore gagnée par le courant de déchristianisation qui a accompagné le pouvoir républicain.

Dans un climat apaisé, le calvaire présente aujourd’hui l’image du Christ crucifié en métal moulé, porté par une croix de bois plantée dans un socle calcaire. Celui-ci porte l’inscription « Aimez-vous les uns les autres à dit Jésus ». La réconciliation a même été forcée en 1905 où les biens paroissiaux sont devenus bien communaux. Depuis lors, l'église Notre-Dame-des-arts et le calvaire qui nous intéressent sont des propriétés communales.

En 1992, ce calvaire fut restauré par la Ville de Pont-de-l'Arche représentée par son maire, Paulette Lecureux... 200 ans après l'instauration de la Première République.

 

P1080387.JPG La dernière restauration du calvaire de la Procession eut lieu en 1992. Elle fut assurée par son propriétaire... la Ville de Pont-de-l'Arche dont le premier magistrat était Paulette Lecureux. 

 

Depuis, un plaisantin a effacé le « j » laissant ainsi apparaitre Esus, le nom d’une divinité celte qu’on apaisait - d’après les Scolies de Berne - en suspendant un homme à un arbre. Une autre tradition que le christianisme n'a pas révolue !

 

 

 

* d'après observation des cartes postales éditées vers 1910 et qui montrent clairement une haute borne en pierre blanche. Ce calvaire est localisé sur un plan daté de 1773.  

 

A lire aussi...

Le lotissement de la Forêt

Armand Launay

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6 septembre 2012 4 06 /09 /septembre /2012 09:53

Article paru dans Pont-de-l’Arche magazine n° 4 (automne 2009), page 19, et écrit par nos soins. 

 

L’orgue de l’église Notre-Dame-des-arts est un des joyaux du patrimoine de Pont-de-l'Arche. Il est protégé par le ministère de la Culture en tant que Monument historique.

Construit entre 1608 et 1614 par Jean Oury sous la conduite de Crépin Carlier, organiste né à Laon et alors installé à Rouen, il doit sa survie à l’attention des générations qui se sont succédé. Aujourd’hui, plus d’un orgue sur deux est muet faute d’entretien. Pire, certains orgues sont cassés par négligence. C’est pourquoi la municipalité a souhaité nommer un conservateur officiel de l’orgue afin de veiller sur lui. Le choix s’est tout naturellement porté sur Michel Lepont, aux manettes depuis 1984…

 

DSC03219

 

Avec poésie, Michel Lepont nous dit que « Ce n’est pas l’homme qui a inventé l’orgue mais la nature. Dans l’Antiquité, des bergers ont remarqué que le vent faisait de la musique en passant dans des trous des roseaux. Alors ils ont eu l’idée de souffler dans des roseaux percés par leurs soins. La flute était née et l’orgue n’est qu’un grand assemblage de flutes. » Et ce n’est pas peu dire car l’orgue de Pont-de-l’Arche rassemble pas moins de 1 100 tuyaux de différentes tailles !

L’orgue est alimenté en air grâce à un soufflet contenant 2 m3 d’air. Il l’envoie à faible pression (300 grammes) sous l’instrument (dans le sommier). Celui qui joue de l’orgue (l’organiste), libère des poches d’air grâce au clavier et au pédalier. Celles-ci entrent dans certains tuyaux et c’est alors que naissent des sons les plus variés. Plus le tuyau est court et plus le son est aigu. Michel nous apprend qu’un « tuyau parle faiblement. Le son est amplifié par la caisse en bois qui entoure l’orgue puis c’est l’édifice de l’église qui donne au son toute son ampleur. Le son émis par les tuyaux est calculé afin de ne pas masquer les chants. C’est ce qui explique en partie pourquoi la construction de l’orgue a duré 6 ans après 1608. »

Le rôle de l’organiste est important car l’orgue est conçu pour émouvoir les gens venus assister à la messe. Grâce à une glace située au-dessus du clavier, l’organiste arrive à voir les mouvements du curé qui se trouve dans son dos et de l’autre côté de la nef. Ainsi il s’adapte selon les besoins. Michel utilise un jeu de tuyaux appelé « Voix céleste » pour aider les gens à méditer, à se recueillir. Le son part alors vers la voute avant que sa douceur ne retombe sur les bancs de l’église. En fin de messe, afin de transporter l’assistance, Michel utilise le « Tutti », c’est-à-dire tous les jeux. Les flutes, trompettes, clairons, violes de gambes et clarinettes, cornets et hautbois... tous les sons se rejoignent comme dans un orchestre pour occuper tout le volume de l’église. Frisson assuré !

Mais si notre organiste est au service de la paroisse, il est aussi sensible à tous types de publics. « En dehors du culte, mon souci est de démystifier l’orgue. L’orgue doit être sympathique à tout le monde, quelles que soient les convictions ». La convention proposée par la municipalité est parfaitement taillée pour Michel Lepont qui participe depuis plus de 25 ans aux manifestations proposées par le service culturel de la mairie. La décoration de l’orgue témoigne aussi de ce double religieux et profane : un Christ en gloire domine l’instrument à vocation religieuse mais des harpies du XVIIe siècle enrichissent l’orgue de motifs très profanes. Tout le monde s’y retrouve, en somme !

Notre conservateur a aussi une tâche très importante : l’entretien courant. Ce n’est pas anecdotique car cet orgue, comme plus de la moitié de ses égaux, était en partie muet il y a quelques années. Il fit l’objet de grandes restaurations durant le mandat de Paulette Lecureux (plus de 900 000 francs). On peut depuis réentendre la musique telle qu’elle était il y a 400 ans ! Des travaux réalisés par Stolz à la fin du XIXe siècle permettent à notre instrument de jouer aussi des airs contemporains. Alors Michel assure presque tous les jours le nettoyage et les petites réparations. Le conservateur contrôle l’accès à l’orgue. C’est ainsi qu’il possède un double des clés et qu’il consigne sur un registre toute personne qu’il autorise à jouer de l’orgue. Il consigne aussi toutes les réparations qu’il a faites.

« Pour que l’orgue soit encore en état de fonctionner après 400 ans d’existence, c’est que beaucoup de générations l’ont entretenu. C’est un peu effrayant de voir combien nous sommes éphémères à côté de lui. Cela rend modeste » conclut avec philosophie notre conservateur.

Quelle que soit notre conviction, on ressent toujours un frisson à l’écoute de l’orgue. Ne ratez pas les concerts auxquels vous invite la municipalité très régulièrement.

 

Armand Launay

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9 mars 2012 5 09 /03 /mars /2012 16:05

Avec nos remerciements à Jean Baboux pour la reproduction des illustrations.

 

En 1790, l’érudit et touche-à-tout Aubin-Louis Millin  de Grandmaison présenta à l’Assemblée constituante une œuvre recensant le patrimoine national. Dans le chapitre 43 de ses désormais célèbres Antiquités nationales l’auteur accorde quelques belles pages à Pont-de-l’Arche. Il aborde notamment « … le château de Pont-de-l’Arche, actuellement démoli, et que j’ai fait dessiner au moment de la destruction… ». 

Il s’agit d’une vue sur le château de Limaie, alors en plein démantèlement, qui occupait l’espace situé entre l’auberge du Pressoir et l’entrée du pont par la rive droite de la Seine. Reproduite ci-dessous, elle fut dessinée par Garneray et sculptée par Desmaisons.

Le fort de Limaie durant son démantèlement dessiné par Garneray et sculpté par Desmaisons pour le compte d'Aubin-Louis Millin (vers 1790).

Le fort de Limaie durant son démantèlement dessiné par Garneray et sculpté par Desmaisons pour le compte d'Aubin-Louis Millin (vers 1790).

Au centre, l'hôtel-Dieu de Pont-de-l’Arche à la veille de la Révolution (détail de la vue ci-dessus).

Au centre, l'hôtel-Dieu de Pont-de-l’Arche à la veille de la Révolution (détail de la vue ci-dessus).

Un détail de cette vue nous a particulièrement intéressé, au centre du dessin : il s’agit de la seule image connue, à notre connaissance, de l’hôtel-Dieu de Pont-de-l’Arche. A la veille de la Révolution, il tombait en ruine. Il fut remplacé en 1818 par une maison d’habitation, l’actuelle salle Ambroise-Croizat, pour le compte de Julien Blin (1738-1826). Sur le dessin, l’hôtel-Dieu se trouve à droite de la tour et à gauche de l’église Saint-Vigor, actuellement Notre-Dame-des-arts. On y voit un bâtiment constitué d’une nef avec des ouvertures surmontés d’arcs en tiers-point caractéristiques de l’architecture religieuse gothique. Un toit à deux pans apparait aussi surmonté d’un clocheton.

Si la représentation de Garneray est fidèle, l’hôtel-Dieu aurait pris la forme d’un bâtiment gothique. Le seul élément de l’hôtel-Dieu encore debout de nos jours est la cave, c’est-à-dire la Salle d’Armes à laquelle nous avons déjà consacré un petit articleLa partie haute du mur extérieur de la cave est visible. Ainsi apparaissent depuis la rue une petite ouverture dans un mur fait de belles pierres de taille dont les plus hautes, les pierres cornières, atteignent le rez-de-chaussée. Sans conteste, le plus beau vestige est la porte de l’escalier à vis menant à la cave. Elle se trouve sur la façade côté cour. Son linteau est orné d’une épaisse nervure reliant deux chapiteaux sculptés à décors végétaux de la fin du XIIe siècle ou du début du XIIIe siècle.

Ces quelques éléments de patrimoine confirment plutôt la représentation gothique donnée par Garneray à l’hôtel-Dieu.

 

A voir, notre historique sur l'hôpital local jusqu'à l'EHPAD

Détail de la porte de l'escalier à vis de l'hôtel-Dieu, actuelle Salle d'Armes (cliché Armand Launay, 2012).

Détail de la porte de l'escalier à vis de l'hôtel-Dieu, actuelle Salle d'Armes (cliché Armand Launay, 2012).

Source

Millin Aubin-Louis, Antiquités Nationales ou recueil de monuments, pour servir à l’Histoire générale et particulière de l’Empire François, tels que tombeaux, inscriptions, statues, vitraux, fresques, etc. ; tirés des abbaïes, monastères, châteaux et autres lieux devenus domaines nationaux. Présenté à l’Assemblée Nationale et accueilli favorablement par Elle, le 9 décembre 1790, tome 4, Paris, M. Drouhin éditeur, an IV de la Liberté (1792).

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7 septembre 2011 3 07 /09 /septembre /2011 10:54

Certains savent le situer, peu le connaissent vraiment : quel est ce temple de la rue Charles-Michels ? Quelle est son histoire ? Qui sont les personnes qui le fréquentent ? 

 

En 1960, des protestants rouennais sont venus à Pont-de-l'Arche construire un temple de l’église évangélique. Pourquoi à Pont-de-l’Arche ?

C’est par une blanchisseuse archépontaine, Simone Michot (1916-2009), que tout a commencé… Atteinte d’une angine de poitrine, Simone Michot dut arrêter sa profession en 1952. Peinant à guérir, elle s’est tournée vers la foi et s’est convertie au protestantisme évangélique après sa rémission.

Elle accueillit alors régulièrement les fidèles dans son garage au n° 2 de la rue Emile-Lenoble afin qu’un pasteur de Rouen puisse y accomplir une messe. Un culte s’était implanté mais il manquait un local digne. Elle fut entendue par le pasteur René Joutet, secondé par les pasteurs Michel Rimbert et M. Saint-Hellier.

La ville de Pont-de-l’Arche étant en pleine expansion vers l’ouest, l’Eglise protestante évangélique acquit un terrain près des logements d’urgence bâtis en 1947 pour accueillir les sinistrés de la guerre.

Puis, grâce à l’investissement humain et financier des fidèles, un temple a été construit entre 1960 et 1964 à côté de la résidence Les Lupins, elle-même récemment construite (1958 et 1963).

 

Temple-1.jpg

 

Sous la houlette du pasteur René Joutet et du maitre d’œuvre Edouard Piétrowsky, c’est un temple quadrangulaire en béton avec pente déclinant vers la tribune qui a été bâti au n° 2 de la rue Charles-Michels.

L’inauguration du temple eut lieu le vendredi 4 septembre 1964 en présence du maire, Roland Levillain, et d’une assistance nombreuse.

 

Temple-2.jpg

 

Le pasteur René Joutet était désormais responsable d’une nouvelle paroisse dont le siège se situe à Pont-de-l’Arche. Elle perdit ensuite un peu de vitesse avec le vieillissement de ses membres.

En 2000, un nouveau pasteur s’est installé à Pont-de-l’Arche en la personne de Matthieu Gérault. Avec sa femme Elisabeth, il impulse un nouveau souffle et retisse les liens entre protestants évangéliques. Aujourd’hui, entre 30 et 50 personnes fréquentent le temple principalement lors de la messe le dimanche entre 10h et 12h, en même temps que les cours d’éducation biblique pour enfants.

 

Contact

Temple protestant évangélique
2, rue Charles-Michels

09 66 92 23 52
/ tpe.arche@live.fr

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23 août 2011 2 23 /08 /août /2011 12:33

Le procès de l’ordre du Temple, organisation religieuse composée de chevaliers, a largement inspiré la littérature et le cinéma (Les rois maudits de Maurice Druon)... La torture des chevaliers du Temple revêtant la cotte d’armes blanche à croix rouge capte l’attention d’un vaste public. La ville de Pont-de-l’Arche n’est pas en reste, elle qui compte dans les annales de son bailliage les procès de 7 templiers qu’on a appelé parfois « Concile de Rouen »… l’occasion pour nous de relier l’histoire nationale à l’histoire locale…

 

Templiers

Dernier passage de templiers à Pont-de-l'Arche durant

la fête en hommage à Richard Coeur de Lion (Bonport, 25 septembre 2011).

 

 

Le roi de France et l’ordre du Temple

Philippe le Bel (1268-1314) devint roi de France de 1285 à 1314 sous le nom de Philippe IV. Son règne fut notamment marqué par des troubles monétaires. Le monarque peinait à financer sa politique militaire, territoriale et sa volonté d’accroitre le pouvoir royal. Il recourut alors largement à l’imposition et spolia les juifs et les Lombards en 1306. 

 Cela ne suffit pas. Le roi lorgna sur les prétendues richesses de l’ordre du Temple qui faisait valoir ses propriétés françaises depuis l’expulsion des templiers de Palestine en 1291. N’étant pas désargentés, les templiers avaient géré le Trésor royal durant le XIIIe siècle. Or en 1295 le roi se passa de leur service au profit des banquiers florentins, censés accorder des crédits. Cela ne marcha pas suffisamment car en 1303 le roi confia de nouveau son Trésor aux templiers.

Mais Philippe le Bel voulut s’affranchir de la tutelle financière du Temple, ordre international soumis au pape mais indépendant de fait. Les évènements lui permirent de réaliser son vœu. En effet, les templiers étant accusés d’hérésie, ils demandèrent une enquête au pape afin de laver leur Ordre de tout soupçon. Le roi de France lança alors sa propre enquête. Le 13 octobre 1307, suite à l’arrêt royal du 14 septembre, les baillis et sénéchaux arrêtèrent presque tous les templiers et placèrent sous séquestre leurs biens et ce sans l’accord du pape. Torturés, nombre de templiers avouèrent les crimes dont ils étaient accusés : hérésie, simonie, sodomie, idolâtrie… Ils offrirent ainsi une parfaite victoire à Philippe le Bel.

Le pape Clément V ne voulut pas perdre la face vis-à-vis du roi et surenchérit en ordonnant, le 22 novembre, l’arrestation de tous les templiers d’Europe pour procès en hérésie. Le diocèse de Sens déclara hérétiques 54 templiers le 10 mai 1310 ce qui les conduisit droit au bucher. Le procès des templiers se poursuivit avec pour point d’orgue le 18 mars 1314 où Jacques de Molay (responsable du Temple en France) et Geoffroy de Charney (responsable de Normandie) furent brulés à Paris. C’est ainsi que le Temple fut supprimé. Philippe le Bel récupéra l’essentiel de leurs biens. En 1317, le Pape Jean XXII répartit les derniers biens entre divers ordres de chevalerie.

 

Edouard 1er hommage à Philippe le Bel

Edouard 1er rendant hommage à Philippe le Bel

(BnF - www.histoire-france.net).

 

Les templiers de la région de Pont-de-l’Arche

La Normandie ne comptait qu’une trentaine de templiers à la veille de leur procès. La plus grande des 17 propriétés templières, appelées préceptories puis commanderies après le XIVe siècle, était située à Renneville (Sainte-Colombe-la-commanderie, près du Neubourg). Elle était donc située dans la juridiction du bailliage de Pont-de-l’Arche. Elle ne comptait que cinq frères dont aucun n’était chevalier. Ces quelques frères étaient gestionnaires de cette vaste exploitation agricole et ses nombreux domestiques. Dans le même temps, deux autres templiers travaillaient dans la commanderie de Sainte-Vaubourg, entre le Val-de-la-Haye et Hautot-sur-Seine (76). Ils rejoignirent leurs frères dans les prisons de Pont-de-l’Arche alors qu’ils dépendaient du bailliage de Rouen.  

 

7 templiers incarcérés et jugés à Pont-de-l’Arche

Michel Miguet, historien spécialiste des templiers en Normandie, a analysé les procès-verbaux des interrogatoires qui eurent eut lieu le 18 octobre 1307 (voir annexe ci-dessous). Il a noté que les procès de Caen et surtout de Pont-de-l’Arche ont été menés « tambour battant ».

 

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Le bailliage de Pont-de-l'Arche, situé derrière le rempart,

était le siège d'un tribunal mais aussi de prisons. 

 

Frère Guillaume Bouchel

Commandeur de Renneville, sergent, 34 ans environ. Fait templier vers 1299 à Renneville par Philippe Agate, preceptor de Normandie. Avoue lors de son interrogatoire. En février 1310, il est emprisonné au Temple de Paris où il accepte de défendre l’Ordre jusqu’à l’exécution de 54 de ses frères déclarés hérétiques. En mars 1311, il reconnait devant la commission pontificale le reniement et le crachat sur la croix.

 

Frère Thomas Quentin

Renneville, sergent, 40 ans environs. Reçu vers 1301 à Bretteville-le-Rabet par Philippe Agate, alors commandeur de la baillie de Normandie. Avoue lors de l’interrogatoire de Pont-de-l’Arche. Même cas que le précédent au Temple de Paris. Dans sa déposition, en 16 février 1311, il ne reconnaît que le triple reniement et le triple crachat sur la croix.

 

Frère Raoul Louvel

Renneville, sergent. 30 ans environ. Reçu en juin 1307 à Renneville par Philippe Agate. Reconnait le crachat sur la croix et le reniement devant la commission pontificale. Ne désire pas défendre l’Ordre.

 

Frère Jean Barbe

Renneville, sergent, 60 ans environs. Déclare avoir été reçu par frère Robert Paiart, preceptor des maisons de Normandie. Il confesse tous les crimes imputés à l’Ordre.

 

Frère Guillaume Hardouin

Renneville, sergent. Avoue. Se désiste à défendre l’Ordre le 18 mai 1310, au Temple. Ne dépose pas devant la commission pontificale.

 

Frère Thomas

Sainte-Vaubourg, chevalier. Avoue à Pont-de-l’Arche.

 

Frère Philippe Agate

Commandeur de Sainte-Vaubourg, sergent. Environs 60 ans. Reçu dans la chapelle du Temple de Bourgoult vers 1281. Avoue le reniement et le crachat sur la croix et prétend qu’on lui a montré « une image » (l’idole ?) lors de sa réception. Refuse de défendre l’Ordre en février 1310.

 

Michel Miguet note enfin que trois frères se montrèrent héroïques en refusant de réitérer leurs aveux. Ils moururent brulés.

 

Templiers au bucher

Templiers au bucher, manuscrit anonyme (1384). Source Wikipédia. 

 

Après le procès

Les procès tenus à Pont-de-l’Arche ne nous montrent que le fonctionnement normal de la justice royale. Les biens du Temple à Renneville ont été repris par l’Ordre de l’Hôpital. En 1373, seuls trois hospitaliers gèrent cette commanderie. Frère Simon Clignet, commandeur, a aussi la charge de la commanderie de Sainte-Vaubourg (et Bourgoult). 

 Enfin Eugène Mannier (voir les sources) cite un cueilloir de rente de 1501 mentionnant une maison appartenant à la commanderie de Renneville :

« Au Pont de Larche, Jehan de la Salle, pour une masure et héritage nommée la Masure de Renneville, assise audit Pont de Larche en la Basse Sentelle, joignant d’un costé la rivière de Saine, XX sols. »

La Basse Sentelle est l’ancien nom de la rue Abbaye-sans-toile. La maison s’y trouvant devait tout simplement être un relai, un espace de stockage pour le grain chargé sur la Seine qui longeait cette rue.

 

 

Sources

Demurger (Alain), Les ordres religieux-militaires au Moyen-Âge (XIe-XVIe siècles), Paris, Le Seuil, 2002, 407 p.

Mannier (Eugène), Les Commanderies du Grand-Prieuré de France, Paris, Aubry et Dumoulin, 1872 cité par www.templiers.net (visité le 22 septembre 2011)

Miguet (Michel), Templiers et hospitaliers en Normandie, Paris, Comité des travaux historiques et scientifiques, 1994, 511 p.

Miguet (Michel), in Luttrell (Anthony), Pressouyre (Léon), La commanderie. Institutions des ordres militaires dans l’occident médiéval, Paris, Comité des travaux historiques et scientifiques, 2002, 360 p.

 

 

 

Annexe

Interrogatoire des Templiers de Renneville à Pont-de-l'Arche et de frère Philippe Agate, commandeur de Sainte-Vaubourg, au château de la Roche d'Orival (Archives nationales J 4136, n° 23, 18 octobre 1307).

 

C'est la confession que les Templiers de Saint Estienne de Rainneville qui sont em prison au Pont de l'Arche ont feite devant monseigneur Doisneval, monseigneur Johan de Tonneville, monseigneur Guillaume Doisneval, monseigneur Raoul du Pleisseis, monseigneur Guillaume de Hondetot chevaliers, le baillif de Rouen, le viconte du Pont de l' Arche, Johan Larchevesque vallet le Roy et plusieurs autres, le jour de la Saint Just et Saint Luc, l'an de grace mil CCC et Sept.

Frere Thomas Quentin dit premierement que il vit quant il fu receu devant le mestre et li requist le pain et l'eaue et les dras et la compengnie des freres ; après cen que on li out otroié on li fist vouer casté, obedience et vivre sans propre, presens les freres et puis le mena chi! qui le vest derrier l'autel et li monstra la crois et li fist trois foiz renier Dieu et escopir sur et dit que il n'i escopi que une foiz et dit qu'ille fist despoullier tout nu et le baisa en bout de l'eschine et puis en nombril et puis en la bouche et puis on ii fist vouer se uns frere vouloit gesir a luy qu'il ne le refuseroit pas. Requis se il le fist onques et se on li requist onques, dit que non et dit que après tantost chil qui le vesti li monstra un tablel, la ou il avoit un ymage painte, quant il fu vestus tant seulement nonques plus ne la vit et ne set ou elle est et dit que frere Philippe, commandeeur de Saint Evaubourc, quj adonc estoit mestres de Saint Estienne le vesti et dit que il croit que une corde qu'il a chainte dessus sa chemise i fu atouchié entour l'image.

Frere Guillaume Bouchel commandeeur de Saint Estiene ensieut de toutes choses frere Thomas Quentin.

Frere Raoul Louvel ensieut frere Guillaume Bouchel en toutes choses et sans contrainte.

Frere Johan Barbe ensieut frere Raoul Louvel en toutes choses et dit plus que un frere templier vint une foiz pour gesir a lui mes ledit frere Johan ne li vout souffrir et fu vestuz par frere Robert Paiart.

Frere Guillaume Hardouin ensieut frere Thomas Quentin en toutes choses.

 

C'est la confession que frere Philippe commandeeur de Saint Evaubourc fist au chastel de la Roche d'Orival devant monseigneur Robert Doisneval, monseigneur Johan de Tonneville, monseigneur Raoul du Pleisseis, chevaliers et Pierres de Hangest, baillif de Rouen, eulz presenz.

Premierement, il dit que quant on le vesti, il requist avant que il fust vestus le pain, l'eaue, les povres dras et la compengnie des freres de l'ostel ; après on li dit que bien se garde qu'il requiert quar il requiert fort chose pour les vol entés du monde et pour sa volenté qu'il li convendra lessier après cen que l'on li a monstré ces choses et on le rechoit et j'en baisa frere Auvré commandeeur de Normendie, qui le vesti, en la bouche et après lidiz mestres Philippe ala baisier touz les freres qui i estoient present en la bouche et après cen frere Auvré li vesti le mantel et li mist au col et puis le me(n)a derriere l'autel et li monstra la crois et li fist renoier et puis escopir sus une foiz sans plus et puis le fist despoullier et le baisa en la bouche et dist que onques ne fu baisiez en autre lieu sus le cors a lui que en la bouche si li ait Diex et li saint. Et après cen on li monstra un ymage et fu une cordele atouchié à l'imaget laquele li fu commandee a cheindre par dessus sa chemise. Ne ne set ou l'imaget est. Et ainssi la il fet feire a touz ceus qu'il a vestus et l'ont fait. Et si dist lidiz mestre Philippe que touz prestres qui entrent en la religion du Temple i entrent et font tout en icele maniere et an tel chose et non autre que les lais font qui en la religion entrent.

Armand Launay

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Mes activités

Armand Launay. Né à Pont-de-l'Arche en 1980, j'ai étudié l'histoire et la sociologie à l'université du Havre (Licence) avant d'obtenir un DUT information-communication qui m'a permis de devenir agent des bibliothèques. J'ai acquis, depuis, un Master des Métiers de l'éducation et de la formation, mention Lettres modernes. Depuis 2002, je mets en valeur le patrimoine et l'histoire de Pont-de-l'Arche à travers :

- des visites commentées de la ville depuis 2004 ;

- des publications, dont fait partie ce blog :

Bibliographie

- 20 numéros de La Fouine magazine (2003-2007) et des articles dans la presse régionale normande : "Conviviale et médiévale, Pont-de-l'Arche vous accueille", Patrimoine normand n° 75 ; "Pont-de-l'Arche, berceau de l'infanterie française ?", Patrimoine normand n° 76 ; "Bonport : l'ancienne abbaye dévoile son histoire", Patrimoine normand n° 79 ; "Chaussures Marco : deux siècles de savoir-plaire normand !", Pays de Normandie n° 75.

- L'Histoire des Damps et des prémices de Pont-de-l'Arche (éditions Charles-Corlet, 2007, 240 pages) ;

- Pont-de-l'Arche (éditions Alan-Sutton, collection "Mémoire en images", 2008, 117 pages) ;

- De 2008 à 2014, j'ai été conseiller municipal délégué à la communication et rédacteur en chef de "Pont-de-l'Arche magazine" ;

- Pont-de-l'Arche, cité de la chaussure : étude sur un patrimoine industriel normand depuis le XVIIIe siècle (mairie de Pont-de-l'Arche, 2009, 52 pages) ;

- Pont-de-l'Arche, un joyau médiéval au cœur de la Normandie : guide touristique et patrimonial (mairie de Pont-de-l'Arche, 2010, 40 pages) ;

- Pont-de-l'Arche 1911 I 2011 : l'évolution urbaine en 62 photographies (mairie de Pont-de-l'Arche, 2010, 32 pages) ;

- Mieux connaitre Pont-de-l'Arche à travers 150 noms de rues et de lieux ! (Autoédité, 2019, 64 pages) ; 

- Déconfiner le regard sur Pont-de-l'Arche et ses alentours (Autoédité avec Frédéric Ménissier, 2021, 64 pages) ;

- Les Trésors de Terres-de-Bord : promenade à Tostes, ses hameaux, Écrosville, La Vallée et Montaure (publié en ligne, 2022) ;

- Les Trésors de Terres-de-Bord : promenade à Tostes, ses hameaux, Écrosville, La Vallée et Montaure (version mise en page du précédent ouvrage, édité par la mairie de Terres-de-Bord, 2023).

Depuis 2014, je suis enseignant à Mayotte.

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