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28 janvier 2024 7 28 /01 /janvier /2024 09:43

 

Nous proposons ici un poème et quelques paragraphes écrits par Vauclain, un enfant d’Igoville qui a depuis bien voyagé. Il a bien voulu partager avec les lecteurs de notre blog des pans de sa mémoire et nous l’en remercions vivement. Il campe, dans ses vers et sa prose, une douce atmosphère familiale où, par-delà les jeux d’enfants s’égaillant dans la nature alentour, on lit les habitudes simples et essentielles des cultivateurs. Après les énormes mutations subies par la région, ce monde rural parait révolu… il le serait s’il n’était la mémoire de ceux qui l’ont connu. Nous avons inséré quelques vues igovillaises des années 1950 et 1960, ainsi que leurs légendes, pour illustrer les mémoires de Vauclain. Bonne balade ! Armand Launay

 

Pour envoyer un message à Vauclain : p.lefrancois@bluewin.ch 

 

Les Sablons oubliés [poème]

(À la mémoire de mon père : Marcel Lefrançois)

 

Aux abords du bras mort où poussaient de vieux saules :

Une berge sauvage et des troncs rabougris...

Tout un monde oublié de métal et de tôles,

Des asperges qui percent au creux du sable gris.

 

On prenait un chemin de cailloux et de tourbe,

Un sentier sinueux percé de fondrières

Aux argiles onctueuses agglomérées de bourbe

Et lourdement trempées par les pluies saisonnières...

 

On se rendait au champ pour y brûler le chaume

Une fourche à la main sous le charme du jeu :

Et l’on faisait des tas pour brûler les rhizomes

Où les restes de paille étaient la proie du feu...

 

Dans le souffle des flammes une montée d’arômes

Affleurait des sillons, des cendres et de la terre

Que les pluies automnales abondamment embaument,

Apaisante et suave en savoureux mystères...


Vauclain, le 21 février 2022


 

 

Je suis natif d’Igoville, où j’ai grandi jusqu’à l’âge de 19-20 ans (j’en ai 75) et je réside maintenant en Suisse depuis 85, après avoir vécu aux USA pendant 9 ans. Je suis (étais) prof d’anglais, mais pour me situer davantage, j’ai partagé une double table à l’école maternelle de Madame Marlié, près de l’église, sous l’ancienne mairie, avec Gaëtan Levitre, l'ancien maire d'Alizay… C’était à l’époque où il existait encore une mare en béton devant l’épicerie et café du milieu du village. 

 

Le cœur d’Igoville vers 1950 : sa mini-place d’Armes, son café, son épicerie (Madame Hédoin), à deux pas de l’église Saint-Pierre (carte postale des éditions Maryvette).

Le cœur d’Igoville vers 1950 : sa mini-place d’Armes, son café, son épicerie (Madame Hédoin), à deux pas de l’église Saint-Pierre (carte postale des éditions Maryvette).

 

Je suis né dans une de ces belles fermes (de craie et de briques) du village près du Château ‒ actuelle mairie où j’ai fait mes débuts au foot. Notre ferme est maintenant transformée en appartements et je dois avouer que j’ai beaucoup de peine à revoir ce que ce village agricole est devenu… À commencer par la défiguration des riches terres cultivables qui ont donné lieu au « Lac d’Igoville »… J’étais littéralement atterré, au propre comme au figuré, lorsque j’ai appris que tout allait être saccagé pour y mettre des raffineries et je n’ai même jamais osé aller sur place pour me rendre compte des « dégâts »… Cela dit, on nous avait annoncé le pire, car on parlait à la fin des années ’70 de l’implantation de la pétrochimie, juste avant qu’il n’y ait la « crise du pétrole »… Ouf !

 

Pour me situer encore, je me souviens très bien de l’arrivée des minuscules pelleteuses, juste au-dessous du Camp Blanc sur la haut de la crête, en dessus de ce qui est devenu l’A13. Je les voyais depuis la fenêtre de l’école ; j’avais moins de 10 ans (né en 49) et j’étais « au garage », notre école élémentaire, une petite maison jaune qui se trouvait (se trouve ?) devant l’actuelle mairie… Je n’en croyais pas mes yeux ! Chaque jour les pelleteuses dévoraient un petit morceau de plus de nos grottes où nous entreposions nos pommes de terre l’hiver… jusqu’à littéralement trancher l’entier de la colline marneuse. Elles ont finalement laissé place à la route nationale et depuis lors le petit village de 700 âmes à tout casser, doté encore de 7 à 8 fermes, d’un charron et d’un forgeron, est devenu ce village dortoir que vous connaissez...

 

Vers la fin des années 1950, un contournement fut percé au nord d’Igoville ; ceci afin d’éviter la traversée du village et de raccourcir le trajet entre Évreux et Rouen. Le pied du coteau, dans son extrémité entre la vallée de la Seine et le vallon montant vers Rouen, a été creusé comme le montre cette carte postale des années 1960. Les anciennes grottes ont été mises au jour et coupées en deux. La rue de Rouen, là où fut le terrain de camping, fut déclassée en voirie secondaire. Ici on voit, depuis la côte du Camp blanc, la craie percée pour laisser place à la nouvelle route de Rouen.

Vers la fin des années 1950, un contournement fut percé au nord d’Igoville ; ceci afin d’éviter la traversée du village et de raccourcir le trajet entre Évreux et Rouen. Le pied du coteau, dans son extrémité entre la vallée de la Seine et le vallon montant vers Rouen, a été creusé comme le montre cette carte postale des années 1960. Les anciennes grottes ont été mises au jour et coupées en deux. La rue de Rouen, là où fut le terrain de camping, fut déclassée en voirie secondaire. Ici on voit, depuis la côte du Camp blanc, la craie percée pour laisser place à la nouvelle route de Rouen.

 

Avant de découvrir votre blog je ne soupçonnais pas que mon village ait eu un passé, voire une histoire. Grâce à cela j’ai pu me rendre compte non seulement des transformations qu’Igoville a pu subir au cours de ce dernier demi siècle mais aussi de son rôle dès l’arrivée des vikings et, avant cela encore, dès l’âge du fer… Votre documentation, avec ses textes et ses riches illustrations, montre bien comment le village s’est adapté à la vie moderne et je me sens réconcilié avec cette vaste cicatrice…

 

Il m’a permis notamment de revoir le Château de la Sahate car cela veut dire qu’il existe peut-être encore !… J’y étais retourné il y a quelques années et j'en avais conclu que les outrages du temps avaient tout rasé et désagrégé la pierre blanche, alors qu’il existait tout un village dans la forêt, avec une école dans laquelle j’étais entré quand j’étais gamin… Mon grand-père connaissait ce bois par cœur (il était chasseur) et nous avait une fois amenés à une allée de châtaigniers où l’on pouvait ramasser des marrons à la pelle !… En fait il existait de grandes allées, tout une ramification de chemins intérieurs et une véritable faune. Vous mettez bien en valeur ce joli pont du Diguet où nous avions des terres, comme aux Sablons… et vous parlez de divers bras de Seine que nous pouvions encore deviner. Tout cela est très intéressant. 

 

Vous mentionnez notamment des vignes romaines à Sotteville ou à Freneuse (je ne sais plus), et bien nous avions un minuscule herbage dans un endroit que nous appelions Les Vignes, tout près de la jonction avec Alizay, côté nord de l’A13… Le champ était d’ailleurs resté sous forme de parchets en 3 terrasses. 

 

À toutes fins utiles, et comme je suis un peu nostalgique des Sablons, dont il ne reste pas grand chose à part le… cimetière et du terrain à bâtir, je me demande si mes écrits pourraient vous donner un aperçu de ce que cela pouvait représenter pour des paysans du vieil Igoville. Je signe du nom de Vauclain, qui doit se trouver sur le cadastre car c’est le nom d’un herbage que nous avions vers le « changement de département » un peu avant Ymare… et j’avais la charge d’y apporter de l’eau l’été…

 

Voici la limite ouest d’Igoville, vue depuis le haut du cimetière actuel. Si cette limite existe encore dans le paysage, l’entrée du bourg igoville s’est reportée jusqu’à la limite avec Sotteville-sous-le-val depuis la construction d’impressionnantes zones pavillonnaires, comme dans presque toutes les communes de la région.

Voici la limite ouest d’Igoville, vue depuis le haut du cimetière actuel. Si cette limite existe encore dans le paysage, l’entrée du bourg igoville s’est reportée jusqu’à la limite avec Sotteville-sous-le-val depuis la construction d’impressionnantes zones pavillonnaires, comme dans presque toutes les communes de la région.

 

Une dernière chose. Ces cartes postales sont du plus grand intérêt. L’une d’entre elles m’a mis la puce à l’oreille : comment se fait-il qu’il y ait autant de si belles maisons à moellons de marne et de briques ‒ dignes d’être répertoriées au patrimoine bâti de Normandie si cela existe ‒ dans le magnifique vieux bourg (et dans toute la vallée du reste) ? D’une tout autre tenue que le vulgaire parpaing de béton des pavillons « modernes »… Serait-ce dû à la manne financière émanant de l’Abbaye de St Ouen ? Sans doute pas, puisque toute la région est à la même enseigne. Mais cette remarquable concentration de belles bâtisses pourrait à plus ou moins long terme, en faire un véritable bourg-musée, tout comme est devenu Giverny, grâce à Monet, juste à la frontière Normandie-Bassin Parisien… Et je peux très bien imaginer le vieux bourg tout bien léché à la manière de Bruges ou Dubrovnik, toutes proportions gardées, bien entendu. Ce serait magnifique, non ?

 

En tout cas, je tire mon chapeau très bas à mon presque contemporain Gérard Saillot - il est juste un peu plus âgé que moi - d’avoir eu le réflexe d’acquérir le flamboyant château-mairie. Un vrai coup de génie !

 

Vauclain

 

Armand Launay

Pont-de-l'Arche ma ville

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Mes activités

Armand Launay. Né à Pont-de-l'Arche en 1980, j'ai étudié l'histoire et la sociologie à l'université du Havre (Licence) avant d'obtenir un DUT information-communication qui m'a permis de devenir agent des bibliothèques. J'ai acquis, depuis, un Master des Métiers de l'éducation et de la formation, mention Lettres modernes. Depuis 2002, je mets en valeur le patrimoine et l'histoire de Pont-de-l'Arche à travers :

- des visites commentées de la ville depuis 2004 ;

- des publications, dont fait partie ce blog :

Bibliographie

- 20 numéros de La Fouine magazine (2003-2007) et des articles dans la presse régionale normande : "Conviviale et médiévale, Pont-de-l'Arche vous accueille", Patrimoine normand n° 75 ; "Pont-de-l'Arche, berceau de l'infanterie française ?", Patrimoine normand n° 76 ; "Bonport : l'ancienne abbaye dévoile son histoire", Patrimoine normand n° 79 ; "Chaussures Marco : deux siècles de savoir-plaire normand !", Pays de Normandie n° 75.

- L'Histoire des Damps et des prémices de Pont-de-l'Arche (éditions Charles-Corlet, 2007, 240 pages) ;

- Pont-de-l'Arche (éditions Alan-Sutton, collection "Mémoire en images", 2008, 117 pages) ;

- De 2008 à 2014, j'ai été conseiller municipal délégué à la communication et rédacteur en chef de "Pont-de-l'Arche magazine" ;

- Pont-de-l'Arche, cité de la chaussure : étude sur un patrimoine industriel normand depuis le XVIIIe siècle (mairie de Pont-de-l'Arche, 2009, 52 pages) ;

- Pont-de-l'Arche, un joyau médiéval au cœur de la Normandie : guide touristique et patrimonial (mairie de Pont-de-l'Arche, 2010, 40 pages) ;

- Pont-de-l'Arche 1911 I 2011 : l'évolution urbaine en 62 photographies (mairie de Pont-de-l'Arche, 2010, 32 pages) ;

- Mieux connaitre Pont-de-l'Arche à travers 150 noms de rues et de lieux ! (Autoédité, 2019, 64 pages) ; 

- Déconfiner le regard sur Pont-de-l'Arche et ses alentours (Autoédité avec Frédéric Ménissier, 2021, 64 pages) ;

- Les Trésors de Terres-de-Bord : promenade à Tostes, ses hameaux, Écrosville, La Vallée et Montaure (publié en ligne, 2022) ;

- Les Trésors de Terres-de-Bord : promenade à Tostes, ses hameaux, Écrosville, La Vallée et Montaure (version mise en page du précédent ouvrage, édité par la mairie de Terres-de-Bord, 2023).

Depuis 2014, je suis enseignant à Mayotte.

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