La ville de Pont-de-l’Arche (Eure) est connue pour son patrimoine et notamment ses vestiges de fortifications (partiellement classés ou inscrits aux Monuments historiques). De quand datent ces remparts ? Par qui et pourquoi ont-ils été érigés ? Aucun travail n’a encore posé la question.
Mise à jour de 2023 : Nous disposons depuis de l'étude de Jean Mesqui, spécialiste des châteaux médiévaux, et de Denis Hayot. Elle a pour titre "Histoire des fortifications du château, du pont et de la ville de Pont-de-l’Arche, des années 1200 à la fin du XVIIIe siècle". Vous la trouverez de la page 233 à la page 320 (avec ses riches annexes) de l'ouvrage paru en 2023 sous la direction de Vincent Carpentier et Cyril Marcigny et intitulée Pont-de-l'Arche et le fort d'Alizay-Igoville (Eure) : les fortifications de la Seine normande, de l'âge viking à la guerre de Cent ans. Dans cette étude, on trouvera aussi une présentation des fouilles réalisées par l'INRAP au fort de Limaie. L'ouvrage a été édité aux Presses universitaires de Caen.
Pont-de-l’Arche depuis la rive droite de la Seine. Lithographie d’E. Cagniard, Rouen, d’après un croquis d’Eustache Hyacinthe Langlois (extrait de Léon de Duranville, Essai historique…, 1870).
Des fortifications du IXe siècle… bien évanouies !
Les premières fortifications de Pont-de-l’Arche datent de 862-873. Charles le Chauve, roi des Francs, fit bâtir un immense pont de bois sur la Seine afin de retarder, voire de repousser les Vikings. Le souverain fit construire deux tours-porches, en bois et en pierre, aux entrées du pont1. À l’évidence, les vestiges que nous voyons aujourd’hui dans la ville ne correspondent pas à ces fortifications du IXe siècle. En 1020, une charte de duc de Normandie Richard II cite la paroisse de Pont-de-l’Arche, organisée autour de l’église Saint-Vigor. Elle dépend de l’abbaye de Jumièges. Cette charte démontre que le châtelet de la rive gauche a laissé place à une ville dont aucune fortification n’est citée. Seules des archives du XIIe siècle mentionnent des fortifications à Pont-de-l’Arche.
Les importants travaux de Richard Cœur de Lion
L’Échiquier de Normandie2, parlement rassemblant les notables du duché, a enregistré les recettes et les dépenses des ducs de Normandie. Nous nous sommes intéressés à celles de Richard II, dit Cœur de Lion, après son retour de croisade et de captivité (février 1194). Le roi d’Angleterre et duc de Normandie entreprit de restructurer la défense de la Normandie que convoitait le roi de France, Philippe Auguste. La pièce majeure du dispositif de défense est le célèbre Château Gaillard bâti, un peu plus tard, entre 1197 et 1198, qui couta près de 37 000 livres au trésor. À partir de 1194, Richard Cœur de Lion investit dans de nombreuses places-fortes le long de la frontière avec la France : Lyons-la-Forêt, Radepont, Arques, Driencourt, Moulineaux, Orival, Bellencombre, Le Vaudreuil et… Pont-de-l’Arche.
Nous avons noté les principales sommes confiées aux ingénieurs en charge des travaux (operationibus). Trois dépenses concernent uniquement Pont-de-l’Arche sans mentionner son château3 :
- 190 livres pour Guillaume Engelais et Roger Falel4 ;
- 200 livres pour Guillaume Tyrel5 ;
- 40 livres pour Éric et Guillaume Tyrel6.
Cependant, la majeure partie des dépenses concernent plusieurs châteaux (castri) à la fois.
Cinq dépenses concernent les châteaux de Pont-de-l’Arche et du Vaudreuil :
- 300 livres pour Éric et Guillaume Tyrel7 ;
- 100 livres pour Éric et Guillaume Tyrel8 ;
- 140 livres pour Éric et Guillaume Tyrel9 ;
- 100 livres pour Éric et Guillaume Tyrel10 ;
- 100 livres pour Éric et Guillaume Tyrel11.
Une dépense concerne les châteaux de Pont-de-l’Arche et de Radepont :
- 360 livres pour Guillaume Tyrel12.
À la lecture de ces sommes, nous notons que Pont-de-l’Arche a bénéficié du travail de plusieurs maitres. La majeure partie des dépenses concernent le château. Sans plus de précisions sur la répartition des dépenses, nous ne pouvons définir exactement le montant dépensé pour Pont-de-l’Arche. Cependant, pour avoir un ordre d’idée, nous avons divisé en parts égales les dépenses imputées à Pont-de-l’Arche et Radepont (360 divisés par 2 = 180) et Pont-de-l’Arche et Le Vaudreuil (740 divisés par 2 = 370). Ce total de 550, additionné aux dépenses propres à Pont-de-l’Arche (420), donne 980 livres.
Pour évaluer l’importance des sommes consacrées aux fortifications de Pont-de-l’Arche, nous avons additionné les autres principaux investissements de fortifications engagés durant ce laps de temps par Richard Cœur de Lion en Normandie orientale. Lorsque les montants concernaient deux fortifications, nous les avons divisés par deux.
Places fortes |
Dépenses |
Totaux |
Le Vaudreuil |
32 + 10 + 100 + 100 + 200 + 211 + 150 + 50 + 70 + 50 + 50 |
1023 |
Pont-de-l’Arche |
190 + 200 + 40 + 180 + 150 + 50 + 70 + 50 + 50 |
980 |
Lyons-la-Forêt |
75 + 400 |
475 |
Radepont |
75 + 100 + 180 |
355 |
Arques |
225 + 100 |
325 |
Driencourt |
225 + 100 |
325 |
À la lecture de ce tableau, on mesure que Le Vaudreuil et Pont-de-l’Arche étaient au centre des priorités militaires de Richard Cœur de Lion. Selon Jean Favier, le revenu royal avoisinait les 22 000 livres en 1193-1194 puis environ 20 000 livres les années suivantes13. La dépense consentie à Pont-de-l’Arche n’était donc pas anecdotique puisqu’elle représentait le vingtième du budget annuel.
Sans plus d’éléments sur la nature des travaux entrepris par Richard Cœur de Lion, nous nous nous sommes demandé si le contexte politique et militaire pouvait nous apporter un certain éclairage.
Philippe Auguste enfonce la frontière de l’Epte (1192-1195)
Depuis le traité de Saint-Clair-sur-Epte (911), les rois de France ont souhaité – et tenté, pour certains d’entre eux – de reprendre la main sur la Normandie. Ils l’ont d’autant plus espéré que les ducs de Normandie sont devenus rois d’Angleterre à partir de 1066, c’est-à-dire plus puissants que les rois de France. Au XIIe siècle, l’empire anglo-normand dépassait largement la Normandie et l’Angleterre et comprenait notamment la Guyenne (l’”Aquitaine”, région de Bordeaux), le Maine, l’Anjou… Un duel se déroula entre Richard Cœur de Lion et Philippe Auguste. Lors d’une trêve, où ils firent bâtir conjointement l’abbaye de Bonport, à Pont-de-l’Arche, les deux monarques partirent en croisade en 1191. Mais le roi de France rentra plus tôt. Il voulait profiter de l’absence de Richard II pour reconquérir la Normandie, alors gérée par Jean sans Terre, le frère de Richard II. En avril 1193, Philippe s’empara du Vexin et de Gisors, Aumale, Eu, Ivry, Pacy14. En janvier 1194, Jean sans Terre abandonna à Philippe l’Est de la Seine sauf Rouen. À la fin de l’hiver et au début du printemps 1194, Philippe prit Le Vaudreuil, Évreux et Le Neubourg. Il menaça Rouen jusqu’à l’annonce du retour de Richard. En effet, après la croisade et une période de captivité en Bavière, Richard arriva à Londres le 14 mars 1194 et débarqua à Barfleur à la mi-mai 1194. Richard infligea une imposante défaite à Philippe Auguste le 3 juillet 1194 à Fréteval (vallée du Loir). Jean sans Terre et le comte d’Arundel, à la tête des bourgeois de Rouen, assiégèrent alors Le Vaudreuil, occupé par des troupes françaises. Ils furent chassés par Philippe Auguste, venant de Fréteval.
C’est alors que Richard arriva en personne. C’est ce que décrit L’Histoire de Guillaume le Maréchal, conte de Striguil et de Pembroke, qui mentionne la marche de Richard vers Pont-de-l’Arche dont la tête de pont était brisée. Le roi l’aurait fait réparer rapidement15. C’est peut-être ce qui explique la somme versée à Guillaume Engelais et Roger Falel qui est antérieure à toutes les autres sommes versées à Éric et Guillaume Tyrel pour Pont-de-l’Arche et Le Vaudreuil (voir plus haut). L’Histoire de Guillaume le Maréchal montre ensuite que Philippe fit sournoisement tomber les remparts du château du Vaudreuil, en juillet, alors qu’il faisait mine de négocier avec Richard. Puis il partit. Une trêve fut signée le 23 juillet 1194 entre les deux rois suite à une intervention papale. Cette trêve dura jusqu’en janvier 1196 et, selon Alain Sadourny16, fut le « théâtre de préparatifs militaires » qui concernent Pont-de-l’Arche.
Richard et la fortification de la vallée de la Seine (1195-1197)
Comme l’écrivit Jean Yver17 : « … tout l’effort qui, une ou deux décennies auparavant, au temps de Henri II, s’était appliqué aux forteresses du Vexin, s’est concentré sous Richard Cœur de Lion sur ce secteur de la Seine, devenu crucial par l’effondrement de l’autre. » Richard profita de la trêve conclue en juillet 1194 pour verrouiller la vallée. Ainsi on retrouve parmi les dépenses miliaires Le Vaudreuil, Pont-de-l’Arche, Radepont et Lyons-la-Forêt. Ces places-fortes entouraient le Vexin et barraient la route de Rouen. Pont-de-l’Arche était particulièrement intéressant par son pont barrant la Seine et qui venait d’être fraichement restauré. Ces travaux entrepris par Richard confirment l’intérêt qu’il exprima pour Pont-de-l’Arche à l’occasion d’une charte signée avec les moines de Jumièges le 18 janvier 1195. En effet, le monarque donna sa baronnie de Conteville aux moines contre Pont-de-l’Arche, désormais propriété ducale directe18. Des pourparlers de paix eurent ensuite lieu au Vaudreuil et Issoudun (novembre et décembre 1195) entre Richard et Philippe. Ils furent officialisés par le traité de Gaillon le 14 janvier 1196 qui laissait à Philippe le Vexin et Gisors, Vernon, Gaillon, Neaufles, Pacy et Ivry. Cependant, au printemps 1196, le roi de France rompit l’accord de paix en attaquant Aumale. Richard, sachant à quoi s’en tenir, décida la construction de l’immense Château Gaillard.
Jean sans Terre et Pont-de-l’Arche
La mort de Richard II en 1199 changea le rapport de forces entre l’Angleterre et la France. Jean sans Terre succéda à son frère et fut très tôt débordé par Philippe Auguste. En 1202, Jean sans Terre enleva la fille du comte d’Angoulême et confisqua les terres de barons aquitains. Ceux-ci se tournèrent vers le roi de France, leur suzerain, qui cita Jean sans Terre devant sa cour. Celui-ci ne vint pas et la cour prononça la commise de tous les fiefs qu’il tenait du roi. L’armée de Philippe II s’engouffra en Normandie. Au début du mois de mars 1203, Montfort-sur-Risle et Beaumont-le-Roger abandonnèrent le roi Jean, bientôt rejoints par Le Vaudreuil qui se rendit au roi de France sans combattre. Fin aout, Radepont chuta. Après 6 mois de siège, le verrou de la Seine, Château Gaillard, céda le 6 mars 1204. Rouen capitula à la fin du mois de juin 1204. Enfin les dernières places se livrèrent : Arques, Verneuil et Pont-de-l’Arche. Guillaume le Breton, hagiographe du roi de France, signala que Jean sans Terre détruisit le pont en 1204 : « Ainsi tourmenté par les remords de sa conscience, le malheureux détruit lui-même ses propres biens et renverse le pont que l'on appelle de l'Arche...19 » En 1204, Philippe Auguste devint maitre de la Normandie. Quelle fut la place de Pont-de-l’Arche sous la gouvernance du roi de France ?
Pont-de-l’Arche : résidence normande de Philippe Auguste
Nous savons que Philippe Auguste voulait assoir son pouvoir en Normandie. Il doutait de la fidélité des Normands et voulait prévenir toute tentative de reconquête par Jean sans Terre. Dans ce cadre, il renforça ou reconstruisit des places fortes et les munit de garnisons. Il n’oublia pas Pont-de-l’Arche qu’il reprit en fief direct en 1210 où il donna aux moines de Jumièges la baronnie de Conteville en dédommagement20. Les moines conservèrent le patronage de l’église Saint-Vigor et furent exemptés de péage pour la circulation de leurs biens sous le pont de la ville. L’échange fut de nouveau confirmé en 1246 par Louis IX21.
Coupé par Jean sans Terre, le pont dût vraisemblablement bénéficier d’une reconstruction sous Philippe Auguste.
L’importance de Pont-de-l’Arche peut aussi se lire à travers le nombre de séjours de Philippe Auguste dans la ville. Ce sont les actes royaux, signés de la sa propre main, qui nous renseignent sur ses lieux de résidence. Ainsi, John Baldwin22 a dénombré 49 actes signés à Pont-de-l’Arche entre 1204 et 1223 ce qui représente 3 % des actes connus de Philippe II. Cela fait de Pont-de-l’Arche le 7e lieu de résidence du roi et le premier de Normandie, surtout après 1215 où l’on dénombre 33 actes. C'est aussi à Pont-de-l'Arche que semble fonctionner le mieux l'administration royale que le roi a renforcé dans la ville, donnant ainsi de bonnes bases au futur bailliage.
Peut-être qu'un certain Guillaume du Pont-de-l'Arche a-t-il joué un rôle entre sa ville et son roi. Ce membre d'une famille aristocratique a été évêque de Lisieux de 1218 à 1250. Il avait la confiance de Philippe II.
Si Philippe Auguste a résidé à Pont-de-l’Arche, c’est que la ville fortifiée et son château de l’autre côté de la Seine garantissaient la sécurité du roi et ce à 20 km de Rouen. Le capétien pouvait surveiller la capitale normande sans s’exposer à une éventuelle insurrection populaire. Ainsi, très soucieux de la police intérieure, le roi de France a ordonné et financé une campagne des travaux de renforcement de ses fortifications. L’ingénieur militaire, Guillaume de Flamenville, fut missionné vers 1210 pour faire une tourelle à Pont-de-l’Arche sur les fonds reçus pour la ville d’Évreux23… le document ne donne pas de précision permettant de localiser cette tourelle. Il s'agit peut-être d'une tour philipienne du château de Limaie (voir plus bas). Confirmant l’intérêt miliaire de la place, le trésor royal a aussi détaillé les dépenses de munitions conservées dans des tours archépontaines24.
Arrivé à ce point de notre exposé, nous avons vu que Richard Cœur de Lion et Philippe Auguste ont doté Pont-de-l’Arche de fortifications. Mais qui a fait quoi ? Nous avons voulu tendre vers ce degré de précision en analysant le type de constructions visibles sur les cartes et illustrations anciennes mais aussi sur le terrain contemporain.
Notes
1 Le Maho Jacques, « Un grand ouvrage royal… »
2 Léchaudé d’Anisy Amédée-Louis, « Grands rôles des Échiquiers de Normandie »…, p. 164.
3 Il s’agit du château de la rive droite qui défendait l’accès du pont en venant de Rouen. Connu aussi sous le nom de fort de Limaie et succédant aux fortifications en bois construites au IXe siècle sur ordre de Charles le Chauve.
4 Ibidem, page 42, 2e colonne : Willelmo Engelais et Rogerio Falel pro operationibus de Ponte Arche 190 lib. per id. brev.
5 Ibidem, page 48 : Willelmo Tyrel ad operationes Pontis Arche 200 lib. per id. brev.
6 Ibidem, page 73 : Item Magistro Eurico et Willelmo Tyrel ad operationes Pontis Arche 40 lib. per id. brev.
7 Ibidem, page 48 : Magistro Elrico et Willelmo Tyrel ad operationes Vallis Rodolii et Pontis Arche 300 lib. per id. brev.
8 Ibidem, page 72, 2e colonne : Magistro Elrico et Willelmo Tyrel ad operationes Pontis Arche et Vallis Rodolii 100 lib. per id. brev.
9 Ibidem, page 72, 2e colonne : Magistro Elrico et Willelmo Tyrel ad operationes Pontis Arche et Vallis Rodolii 100 lib. per id. brev. Eisdem ad easdem operationes 40 lib. per id. brev.
10 Ibidem, page 73 : Magistro Eurico et Willelmo Tyrel ad operationes Pontis Arche et Vallis Rodolii 100 lib. per id. brev.
11 Ibidem, page 73 : Magistro Eurico et Willelmo Tyrel ad operationes Pontis Arche et Vallis Rodolii 100 lib. per id. brev.
12 Ibidem, page 42, 2e colonne : In operationibus de castri de Ponte Arche et de Radepont per Willelmum Tyrel 360 lib. per id. brev.
13 Favier Jean, Origines et destins d’un empire (XIe-XIVe siècles), voir page 391.
14 Sadourny Alain, « La fin de la Normandie Plantagenêt », page 145.
15 Nous avons consulté l’édition de Paul Meyer, 1894, tome II, p. 14 : « Puis [Richard] s'en vint dreit al Pont de l'Arche / Qui dépeciez esteit de front / En poi d'ure refist le pont… »
16 Opere citato.
17 Yver Jean, « Philippe Auguste et les châteaux normands... », voir page 236.
18 Vernier Jean-Jacques, Chartes de l'abbaye de Jumièges…, acte CLXVIII, page 119.
19 Le Breton Guillaume, La Philippide, voir pages 210 et 211.
20 Loth Julien (éd.), Histoire de l’abbaye royale de Saint-Pierre de Jumièges, Rouen, Métérie, 1882-1885, 305 pages. Chapitre 8. Vraisemblablement, Jean sans Terre avait annulé l’échange effectué en 1195 par Richard Cœur de Lion.
21 Delisle Léopold, page 75, acte n° 459, juillet 1246, Evreux.
22 Baldwin John, Philippe Auguste, voir le tableau de la page 66.
23 Chatelain (André), « Recherche sur les châteaux de Philippe Auguste ». L’auteur site ses sources à la Bibliothèque nationale de France : registre a f° 93 r°.
24 Delisle Léopold (publié par), « Cartulaire normand de Philippe Auguste… », page 34 : Hee sunt munitiones castrorum domini Regis. Falesia, Oxime, Pons Audomari, Bonavilla, Molinella, Vallis Rodolii, Harecurtis, Anetum, Paciacum, Vernonem, Lions, Andeliacum, Gaillardum, Britolium, Ebroicas, Guletum, Rothomagum, Mortuum Mare, Archie. [Apud] Pontem Archie. X. lorice, X. galee, capelli XXXI., quarelli LX.m baliste de cornu XXI. de quibus due sunt ad tornum, et XV lignee de quibus sunt ad tornum, gamboissons XVII., croci IIII, turni tres.
La place-forte de Pont-de-l’Arche et le château de Limaie :
description architecturale
Les archives citées jusqu’alors laisseraient volontiers penser que Richard Cœur de Lion est père des remparts de Pont-de-l’Arche. Mais ces sources sont trop lacunaires. Nous poursuivrons cet exposé par une description architecturale des vestiges archépontains et d’illustrations que nous comparerons à des fortifications leur ressemblant.
Il y avait deux systèmes défensifs à Pont-de-l’Arche : la ville fortifiée, au sud du pont ; et le fort de Limaie, bastion barrant l’accès nord du pont.
Plan d’ensemble de la ville fortifiée
Nous avons dessiné (ou tenté de le faire) les remparts tels qu’ils devaient être au Moyen âge. Nous nous sommes fondés sur le plan cadastral de 1834 ; l’Atlas de Trudaine (réalisé vers 1759) ; le plan de Nicolas Magin (dressé avant 1742) ; un plan des archives départementales de l’Eure (6 pl. 49) ; un croquis de Léon Coutil datant de 1922 et sur des observations de terrain. Sur le dessin, les vestiges sont remplis de noir. Les parties disparues sont représentées en gris.
Plan de la ville de Pont-de-l'Arche avec ses remparts tels qu'ils devaient être au XVIIIe siècle (carte d'A. Launay, décembre 2015)
Les remparts de la ville longent l’Eure (la Seine avant les années 1930) et forment un vaste demi-cercle tourné vers le sud. Les courtines étaient percées par quatre entrées protégées de tours jumelles : une donnait sur le pont ; une deuxième sur la route d'Elbeuf ; une troisième sur la place Aristide-Briand et une dernière vers Les Damps. En plus de ces portes d’entrées, la ville comptait 9 tours. Certaines d’entre elles étaient des tours d’angles cylindriques (la tour de Crosne, la tour des Damps, la tour Louise, la tour du bailliage). Les autres étaient des tours hémicylindriques remplies qui flanquaient les courtines. Des fossés secs entouraient les remparts en arc de cercle. La description qui suit part de la porte de Crosne (1) et commente les éléments constitutifs des remparts dans le sens des aiguilles d’une montre jusqu’à la tour du bailliage (17).
La porte de Crosne, ancienne porte Saint-Jean (1)
Seul vestige d’une des quatre entrées de ville, ce premier niveau d’une des tours de la porte de Crosne a été sauvé par Marie-Auguste de Subtil de Lanterie (1789-1875) qui construisit une maison d’habitation au second niveau et autour. La tour subsistant a une forme en « u ». Elle est percée de deux archères partiellement obstruées. Elle est située dans le prolongement d’un édifice rectangulaire dans lequel on peut encore voir le passage de la herse surmonté d’un départ de voute, visible sur deux clés. Sa partie basse a été enterrée lors du comblement du fossé. Cet édifice privé fut inscrit sur l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques le 15 juin 1939.
Elle porta le nom de Saint-Jean depuis, au moins, 1340 (cf. le cartulaire de Bonport, par Jules Andrieux) et fut rebaptisée "porte de Crosne" le 20 avril 1782. Le conseil municipal d'Ancien Régime voulut remercier l'Intendant de Rouen, Louis Thiroux de Crosne d'Arconville, d'avoir accepté de raser les remparts devenus vétustes et encombrants (archives municipales : BB 5).
Vestige d'une des tours d'entrée de la ville, rue de Crosne. Ici on voit nettement le passage de la herse et le début de la voute (cliché A. Launay, mai 2011).
La tour de Crosne (2)
La tour de Crosne est une tour cylindrique située à l’angle nord-ouest. Seule est conservée sa partie basse jusqu’au rez-de-jardin intérieur. Une archère est visible depuis l’extérieur. A l’intérieur, les corbeaux et les départs d’une croisée d’ogive sont encore visibles. La partie haute est une construction romantique bâtie vers 1850 que l’on doit au propriétaire Marie-Auguste de Subtil de Lanterie (1789-1875). C’est sous ce nom qu’elle était connue il y a encore un siècle. Cet édifice privé fut classée Monument historique le 9 aout 1941. Lire notre article plus approfondi en cliquant ici.
La tour de Crosne en mai 2011, coiffée d’une restauration romantique de la première moitié du XIXe siècle (cliché A. Launay).
La tour de Crosne en 1831 dans la collection de dessins de Louis Deglatigny conservée à la bibliothèque de Rouen. Elle porte au dos la mention : "Vue prise de la terrasse d'Est au Pont de l'Arche". L'est ici se mesure par rapport à la tour qui, elle, est bien évidemment à l'ouest des remparts de la ville. Ce dessin est anonymeOn le retrouve numérisé parmi les documents du site rotomagus.fr (merci à ses agents de la sélection des documents et du travail réalisé !).
La tour du presbytère (3)
Belle tour de flanquement hémicylindrique, on voit plusieurs étapes de construction apparaitre sur l'appareillage de la tour du Presbytère. Avec la tour Saint-Vigor, elle possède des traces du chemin de ronde. Cet édifice privé fut classé Monument historique le 9 aout 1941 ainsi que la courtine attenante.
La tour du presbytère vue depuis le Quai-Foch. Observez la poterne surmontée d'un arc en tiers point à sa droite (cliché Armand Launay, avril 2006).
La tour du presbytère vue depuis la propriété de la tour de Crosne (cliché A. Launay, juillet 2012).
La tour Saint-Vigor (4)
Grâce à l’important dénivelé, les vestiges de cette tour de flanquement hémicylindrique sont visibles sur une grande hauteur. Sa partie basse est évasée afin de renforcer ses assises. Nous avons forgé ce nom en référence à l’ancien vocable de l’église Notre-Dame-des-arts. Le garde-corps est une reconstruction plus récente. Cette tour et la courtine attenante appartiennent à la Ville de Pont-de-l’Arche. Elles furent classées Monuments historiques le 8 novembre 1939.
La poterne de la Petite chaussée (5)
Cette poterne donnait accès à la Petite chaussée, un des rares espaces chaussés de la ville. En effet, en ce lieu se trouvait un petit quai donnant sur la Seine (et non encore l'Eure). Il permettait le débarquement de denrées et autres matériaux ravitaillant les habitants et, notamment, la cave de l'ancien hôtel-Dieu dont un escalier donnait accès à la sente du Beauregard, à contremont de la poterne qui nous intéresse.
Des représentations anciennes montrent ce que fut cette poterne voutée en plein cintre dont les clés pourraient bien avoir été réemployées dans la voute de la rue Maurice-Delamare qui servait de portail à une propriété aujourd’hui disparue.
La poterne de la Petite chaussée (détail du dessin d’Hyacinthe Langlois référencé au début de cette étude).
La poterne de la Petite chaussée, tout à droite de ce dessin de Samuel Prout de 1821. Au centre, une tour de la porte de Rouen et le logis construit autour ; logis souvent appelé "maison du portier".
La porte de Rouen (6)
Cette entrée de la ville, qui donnait directement sur le tablier du pont, était défendue par deux tours cylindriques, évasées à la base, et surmontée d’un logis. Aucun vestige ne subsiste aujourd’hui. Sur le plan cadastral de 1834, la tour reste un peu visible. Nous avons forgé ce nom par opposition à la porte de Paris. Elle était aussi appelée porte de l'eau, nom donné à la Seine dans l'ancien temps.
La porte de Rouen, à droite du pont, était défendue par deux tours en « u ». Une d’entre elles apparait sur ce dessin réalisé vers 1840 par Edouard Lanon (musée de Louviers). Elle a été percée de grandes ouvertures et par des œils-de-bœuf. Elle sert d’appui à un vaste logis qui la dépasse et qui prend aussi appui sur une colonne plantée dans la Seine.
La poterne de la Grande chaussée (7)
Autour de l’entrée du pont, une seconde poterne donnait accès à la Seine. Elle était située dans la rue Abbaye-sans-toile. Il n’en subsiste aucun vestige. Une délibération du Conseil municipal datée du 22 janvier 1857 précise que les remparts seront rasés auprès du pont afin de relier la rue de l’Abreuvoir (Abbaye-sans-toile) et la rue de la Petite chaussée « au quai large de 4 mètres qui est bâti dans le cadre des travaux du nouveau pont. »
Une vue de Nicolas Pérignon, datée de 1750, environ, et conservée à la Bibliothèque nationale de France, montre la poterne de la Grande chaussée, côté intramuros. Nous reproduisons ci-dessous la vue disponible dans Gallica, la partie numérisée des fonds de la BnF.
La poterne de la Grande chaussée, vue de l'extérieur des remparts, dans une publication du début du XIXe siècle. Elle fait partie de la collection de dessins de Louis Deglatigny. Elle est signée par C. Merlin et se trouve conservée dans les fonds de la bibliothèque municipale de Rouen. On la retrouve numérisée parmi les documents du site rotomagus.fr. On voit ici que la porte voutée de l'Ancien Régime a laissé place à une porte à linteau de dimensions plus modestes. Cela dût accroitre le besoin d'ouvrir la voie en ce lieu.
Tour et courtine de Jeucourt (8)
Ancienne tour de flanquement hémicylindrique complètement rasée. Nous avons forgé ce nom en référence au Manoir de Jeucourt, premier nom connu du Manoir de Manon (rue Jean-Prieur) et référence au seigneur de Jeucourt, capitaine de la ville. La courtine s’étend sur plusieurs dizaines de mètres. Elle a fait l’objet de nombreuses réparations contre le montrent ses matériaux divers, surtout à l’emplacement de la tour disparue (notre photo). Au-dessus des petites maisons de brique, elle présente quelques archères assez larges immédiatement en dessous du chapeau de gendarme qui couvre le garde-corps. D’imposantes pierres de taille constituent cette courtine qui ne ressemble en rien aux vestiges de la porte de Crosne, de la tour de Lanterie, du bailliage et de la tour Louise. Ce rempart est inconnu des Monuments historiques.
La courtine de Jeucourt, quai de Verdun, la partie la plus récente des remparts de Pont-de-l’Arche comme l’indiquent les briques et, plus généralement, la diversité des matériaux (cliché A. Launay (janvier 2006).
La tour des Damps (9)
Tour cylindrique située à l’angle nord-est de la place forte. Elle était déjà complètement rasée en 1834 lorsque le plan cadastral fut dessiné. Nous avons forgé cette appellation en référence aux Damps, commune limitrophe.
Les poternes des Damps (10)
Nommées poternes depuis quelques dizaines d’années faute de comprendre leur fonction, ces vestiges sont situés dans l’alignement du rempart. Ils se trouvent dans une zone où les fortifications ont été largement remaniées. Ainsi des appareillages très divers entourent ces deux voutes qui pourraient bien avoir servi de cave sous un bâtiment encore visible sur les photographies de 1910. Les grilles n’ont été posées que depuis l’aménagement de l’escalier public vers la fin de la construction du pont (1951-1955). Cette partie des remparts, propriété privée, a été inscrite sur l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques le 15 juin 1939. Pour le nom, voir à « la tour des Damps ».
La porte de Pons, autrefois Sainte-Marie (11)
Cette porte a totalement disparu. Si les portes de la ville étaient similaires, les plans anciens et les vestiges de la porte de Crosne nous laisseraient entrevoir que la porte de Pons était munie de deux tours en U surmontées d’un logis ; renforcées par une herse et un pont-levis. Le 20 avril 1782, le gouverneur de Pont-de-l’Arche, dénommé Pons, obtint de l’intendant Louis Thiroux de Crosne l’autorisation de détruire les fortifications de Pont-de-l’Arche et Limaie. En remerciement, la municipalité donna le nom de Pons à cette porte donnant vers Les Damps (archives municipales : BB 5).
En 1340, cet endroit se nommait « porte Sainte Marie » (Jules Andrieux, Cartulaire de Bonport, page 393).
La tour Sainte-Marie (12)
Le tracé de cette tour de flanquement hémicylindrique est encore visible sur le plan cadastral de 1834. Cependant, il n’en subsiste aucun vestige. Nous avons forgé ce nom en référence à la rue Sainte-Marie qui longe ici le rempart.
La tour Louise et sa courtine (13)
La tour Louise, nom donné sur un document de la Conservation régionale des monuments historiques, est la tour d’angle cylindrique du sud-est des fortifications archépontaines. Elle est conservée jusqu’au niveau du corps de place. Le comblement partiel du fossé ne masque pas l’évasement de la base de cette tour. Elle fut inscrite sur l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques le 15 juin 1939. La notice des Monuments historiques indique l’existence d’une casemate voutée ce que nous n’avons pas vérifié. Cette tour est devenue une propriété publique en 2011 afin de raser une maison moderne qui gâchait cette partie la mieux préservée des fossés de la cité médiévale.
La tour Louise en 2010. Sa base évasée est nettement visible grâce à la conservation partielle des fossés médiévaux (cliché A. Launay, janvier 2010).
La tour de Rouville (14)
Cette tour de flanquement hémicylindrique a complètement disparu avant la réalisation du plan cadastral de 1834. Nous avons forgé ce nom en référence à la place de Rouville, située immédiatement au nord, dans le corps de place.
La porte de Paris, autrefois porte de Louviers (15)
Nous avons forgé ce nom sur l’ancienne appellation de la rue Président-Roosevelt : rue de Paris. En 1340, cet endroit se nommait « porte de Louviers » (Jules Andrieux, Cartulaire de Bonport, page 393). En 1699, une délibération du Conseil municipal la nomme porte des Champs, certainement par opposition à la porte de l’eau, vers Rouen. Cette appellation rappelle l’utilité des espaces mis en culture autour de la ville jusqu’à une période récente.
À quoi ressemblait cette porte sud de la ville qui a entièrement été rasée ? Certes il reste bien des fondations mises au jour brièvement lors des travaux de rénovation du centre-ville dans les années 1990 et lors de la réhabilitation de la place Aristide-Briand entre 2013 et 2014. Mais celles-ci ne nous permettent pas de reconstituer cette porte.
C’est un plan de Nicolas Magin, un plan de 1773, ainsi que le cadastre de 1834, qui nous donnent l’image la plus précise de ce que devait être cette porte.
Ci-dessous nous reproduisons un détail d'un plan au 1/150e conservé aux Archives nationales sous le nom de "Plan des fossés et glassis de Pontdelarche..." Il constitue une annexe de l'arrêt du Conseil du 16 juillet 1773 portant sur une contestation d'abattage d'arbres par le "sieur Durufley". En haut du plan, on voit l'arc de cercle des remparts sud. Une avancée de ces remparts, notée "fort" au milieu, protège l'entrée de la ville. L'accès à ce bastion se faisait par un "petit pont" donnant, à droite, sur deux premières maisons et l'ancien calvaire. Cet endroit doit être occupé de nos jours par l'ancien garage Renault où une médiathèque est envisagée par la municipalité. Ce bastion sortant des remparts pour mieux protéger l'entrée explique la largeur de la place des Champs depuis le pied des remparts au sud de la rue Sainte-Marie jusqu'aux maisons des faubourg représentées sur le plan. Ce bastion est assurément le résultat d'un remaniement en profondeur d'une des entrées de ville telles qu'elles étaient conçues dans les fortifications philipiennes.
Ci-dessus, le plan de Pont-de-l’Arche dressé vers 1702 par le cartographe Nicolas Magin (1663-1742) montre aussi l'avancée que constituait le bastion. Il montre aussi deux tours dans l'alignement des murs d'enceinte qui offraient une défense supplémentaire à la rue de Paris.
Les délibérations du Conseil municipal attestent que l'autorisation de combler le "pont dormant de la place des champs" fut accordée en 1747. Ces mêmes archives montrent que la place des champs fut aplanie en 1779 suite à l'autorisation de l'intendant Louis Thiroux de Crosne. C'est à partir de 1782 que les boulevards de la ville furent créés et le fort de Limaie démoli avec maintes parties des remparts.
Le plan cadastral de 1834 montre encore le pont à bascule au milieu de l’espace nommé “place Aristide-Briand” en 1937.
La tour de l’hospice (16)
Ce vestige de tour de flanquement cylindrique possède encore une petite partie du deuxième niveau. La base de cette tour est masquée par le comblement du fossé. Elle fut nommée ainsi en raison de la proximité de ce qui est devenu un Établissement hospitalier pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). Cette tour fut inscrite sur l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques le 15 juin 1939.
La tour de l’hospice en aout 2008 (vue prise du rempart du bailliage) avant une restauration malheureuse côté privée. Cette partie la moins bien conservée et restaurée des remparts de Pont-de-l’Arche est constituée d’une tour cylindrique dont une partie du second niveau est encore debout (cliché A. Launay, aout 2008). Elle a bénéficié d'une restauration professionnelle dans le cadre de l'agrandissement de l'hôpital local (EHPAD) comme le montrent les clichés pris de la cour intérieure de l'hôpital (clichés de Patrice Royer, décembre 2018).
La tour du bailliage (17)
La tour du bailliage est une tour cylindrique non remplie située à l’angle sud-ouest. Elle présente une belle archère ainsi qu’un début de parement de la courtine partant vers l’Est. La base de cette tour est enterrée par le comblement du fossé. Elle fut inscrite sur l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques le 15 juin 1939.
La tour du bailliage et ses courtines comptent parmi les plus beaux vestiges des fortifications de Pont-de-l’Arche (cliché A. Launay, juin 2010).
Le château de Limaie
Le château de Limaie, démantelé à partir de 1782, était un bastion protégeant l’entrée nord du pont. Ses courtines étaient bâties selon un plan presque rectangulaire, resserré sur sa partie Est. Une tour maitresse se trouvait à l’intérieur du corps de place du côté du sud-ouest. Les courtines étaient renforcées par trois tours d’angles cylindriques. La porte donnant sur le pont était renforcée de deux tourelles. Celle donnant vers le nord était défendue par une tourelle et était munie d’un pont-levis. Une poterne se trouvait au nord-ouest du corps de place. Deux fossés en eau, séparés par une palissade de bois, séparaient ce bastion de la plaine alluviale.
Nous avons accordé une étude plus approfondie à ce fort ici.
Dessin de 1782 représentant le fort de Limaie vu depuis la côte d'Amour, c'est-à-dire entre Pont-de-l'Arche et Les Damps. Le pont actuel touche la berge d'Igoville à l'endroit de la tour d'angle figurant sur ce dessin reproduit dans un article de Léon Coutil intitulé "Le vieux château de Limaie et le vieux pont de Pont-de-l'Arche (Eure)" publié dans le Bulletin de la Société d'études diverses de Louviers, tome XVI, 1921-1922.
Plan du chasteau du Pont de l’arche par P. Petit vu comme si nous tournions le dos à Igoville (plan antérieur à 1782).
Richard Cœur de Lion ou Philippe Auguste ?
D’après les archives, on peut raisonnablement dater les fortifications archépontaines de la fin du XIIe siècle ou du début du XIIIe siècle. Cependant, peut-on les rattacher aux constructions de Richard Cœur de Lion entre 1194 et 1195 ou à celles de Philippe Auguste après 1204 ?
Dans une étude très poussée portant sur la cuisine de l’ancienne abbaye de Bonport, Frédéric Épaud et Jean-Baptiste Vincent datent du XIIIe les murs de la cuisine. Une comparaison des moellons permet de vérifier leur ressemblance avec les moellons des vestiges archépontains, hormis ceux des bords de Seine.
Extrait de Frédéric Épaud, Jean-Baptiste Vincent, « La cuisine de l’abbaye cistercienne de Bonport... »
Les remparts de Pont-de-l’Arche sont dotés d’éléments techniques apparus dans la seconde moitié du XIIe siècle dans le domaine Plantagenet. Ainsi les tours de flanquement hémicylindriques ou en « u » apparurent à partir de 1170-1180. Elles remplaçaient des tours de flanquement rectangulaires, saillantes, aux arêtes trop brutes. De nombreuses archères, longues et fines apparurent aussi qui remplaçaient des ouvertures plus larges. Les tours furent aussi munies d’un second étage vouté en pierre alors que, précédemment, ce type de défense était planchéié. On était entré dans l’ère de la défense active des places fortes (Jean Mesqui, Les tours à archères...).
Les remparts décrits plus hauts correspondent à ces innovations techniques. Cependant, ces dernières furent aussi maitrisées et employées par les ingénieurs de Philippe Auguste. Ils les ont même reproduits systématiquement au point d’en faire une marque du pouvoir royal.
Afin de retrouver ou non la marque de Philippe Auguste à Pont-de-l’Arche, nous nous sommes intéressé à Dourdan (Essonne). En effet, selon le castellologue Jean Mesqui (Châteaux forts... pages 153 et 154) : « Dourdan est sans doute le plus pur produit de la maitrise d’ouvrage philippienne ; dernier construit parmi les châteaux de Philippe Auguste, il est le plus abouti… »2 Achevée dans les années 1220, cette place forte est construite selon un plan rectangulaire. Elle est dotée d’une tour maitresse cylindrique de 13,6 m de diamètre isolée du corps de place par un fossé propre. Archétype des tours philipiennes, elle tour possédait un double accès. Trois angles sont pourvus de tours cylindriques, voutées en coupole et sur ogives, et munies de nombreuses archères à ébrasement simple. Les courtines sont flanquées, dans leur milieu, de tours hémicylindriques d’un diamètre extérieur de 9 m. Un châtelet à deux tours hémicylindriques protège l’entrée.
A gauche la tour du Midi, à Dourdan (cliché Philippe_28). A droite, la tour Saint-Vigor, à Pont-de-l'Arche (cliché A. Launay, avril 2012). Sans être jumelles, ces tours hémicylindriques appartiennent à la même époque, le XIIe siècle, et témoignent d’un même savoir-faire technique.
Pour revenir à Pont-de-l’Arche, nous remarquons que le plan rectangulaire, majeur dans la fortification philippienne, a été adapté à l’arc de cercle de la cité médiévale et à Limaie où le rectangle était quelque peu resserré vers la pointe Est de l’ile artificielle. La disposition de tours cylindriques aux angles et de tours hémicylindriques flanquant les courtines a aussi été scrupuleusement observée. Quant à la tour maitresse, dans le château de Limaie, elle était isolée de la courtine mais dans le corps de place, certainement par manque d’espace extérieur sur l’ile artificielle. Les portes étaient protégées par des châtelets à deux tours hémicylindriques. Reprenons la définition de Jean Mesqui (Châteaux et enceintes..., page 44) : « Aussi la fortification philippienne, dès lors qu’elle quitte le domaine du noyau central, se cantonne-t-elle dans l’application d’un principe majeur : celui du flanquement de courtines rectilignes par des tours sphériques, celui de la défense des portes par des massifs à deux tours. »
Nous voyons que Pont-de-l’Arche répond plutôt bien à cette définition. Nous pouvons raisonnablement avancer que, si Philippe Auguste n’a pas été le seul monarque à doter Pont-de-l’Arche de fortifications, c’est lui qui les a le plus élevées et marquées de son empreinte.
La porte d’entrée de Dourdan nous donne certainement une bonne illustration de ce que furent les entrées de Pont-de-l’Arche. Comparez les dimensions des tours ainsi que les archères de Dourdan et de la porte de Crosne à Pont-de-l'Arche (cliché Philippe_28).
En guise de conclusion
Si les sources écrites ne nous permettent pas d’affirmer que Richard Cœur de Lion fut le premier duc de Normandie à doter Pont-de-l’Arche de remparts en pierre, elles attestent que celui-ci y a fait réaliser d’importants travaux.
Face à la convoitise de Philippe Auguste, Richard Cœur de Lion a fortifié la vallée de la Seine (route de Rouen) avec, au premier plan, Pont-de-l’Arche et son pont, Le Vaudreuil et le Château Gaillard. Dans ce cadre, il a aussi inclus Pont-de-l’Arche dans le domaine ducal direct. Cependant, Richard Cœur de Lion mourut en 1199 et son frère Jean sans Terre perdit la Normandie en 1204.
Philippe Auguste, peu confiant dans le peuple rouennais, fit de Pont-de-l’Arche son principal lieu de résidence en Normandie. C’est ce qu’atteste le grand nombre de documents royaux signés à Pont-de-l’Arche, place forte royale.
L’observation de vues anciennes sur le château de Limaie et l’observation des vestiges actuels rattachent les fortifications archépontaines aux constructions philipiennes : un plan rectangulaire, avec adaptation locale, comportant des tours cylindriques aux angles, des tours hémicylindriques flanquant les courtines, des châtelets à deux tours aux portes, les volumes des tours au premier rang desquelles la tour maitresse de Limaie… Nous pouvons commencer à répondre à notre question : qui a bâti les fortifications de Pont-de-l’Arche ? Il s’agit de Philippe Auguste, certainement sur les bases établies par Richard Cœur de Lion…
Sources
- Baldwin John, Philippe Auguste, Paris, Fayard, 1998, 717 pages ;
- Boussard Jacques, « Philippe Auguste et les Plantagenêts », p. 263-289, in Bautier Robert-Henri (dir.), La France de Philippe Auguste - Le temps des mutations : actes du colloque international organisé par le CNRS (Paris, 29 septembre – 4 octobre 1980), Paris : éditions du CNRS, 1982, 1034 pages ;
- Chatelain (André), « Recherche sur les châteaux de Philippe Auguste », Archéologie médiévale, tome XXI, 1991, éditions du CNRS, pages 115-161 ;
- Delisle Léopold (publié par), « Cartulaire normand de Philippe Auguste, Louis VIII, Saint-Louis et Philippe le Hardi », in Mémoire de la Société des antiquaires de Normandie, 6e volume, XVIe volume de la collection, Caen, 1852, 390 pages ;
- Duranville Léon Lévaillant de, Essai historique et archéologique sur la ville du Pont-de-l'Arche : documents supplémentaires accompagnés d’une vue de la ville de Pont-de-l'Arche, d'après un croquis de E.-H. Langlois et du fac-similé d'un plan exécuté par J. Gomboust, dans le XVIIe siècle, Rouen : A. Le Brument, 1870, 55 pages ;
- Épaud Frédéric, Vincent Jean-Baptiste, « La cuisine de l’abbaye cistercienne de Bonport (Pont-de-l’Arche, Eure) », pages 99-113, in Bulletin monumental, tome 169-2, Paris, Société française d’archéologie, 2012 ;
- Erlande-Brandenburg Alain, « L’architecture militaire au temps de Philippe Auguste : une nouvelle conception de la défense », in La France de Philippe Auguste. Le temps des mutations, Robert-Henri Bautier (dir.), Actes du colloque organisé par le CNRS (Paris, 29 septembre-4 octobre 1980), Paris, éditions du CNRS, 1982, pages 595-603 ;
- Le Breton Guillaume, La Philippide, Paris, Brière, 1825, 418 pages ;
- Léchaudé d’Anisy Amédée-Louis, « Grands rôles des Echiquiers de Normandie » dans les Mémoires de la Société des antiquaires de Normandie : documents historiques, tome I, Paris, 1845, 356 pages ;
- Le Maho Jacques, « Un grand ouvrage royal du IXe siècle : le pont fortifié dit « de Pîtres » à Pont-de-l’Arche (Eure) », pages 143-158, in Des Châteaux et des sources. Archéologie et histoire dans la Normandie médiévale : mélanges en l’honneur d’Anne-Marie Flambard Héricher, Publications des universités de Rouen et du Havre, 2008, 622 pages ;
- Mesqui Jean, « Les tours à archères dans le domaine Plantagenet français 1160-1205 », p. 77-88, in Les fortifications dans le domaine Plantagenet, XIIe-XIVe siècle : actes du colloque international tenu à Poitiers du 11 au 13 novembre 1994, Université de Poitiers, 2000, 138 pages ;
- Mesqui Jean, Châteaux et enceintes de la France médiévale, volume 1 : De la défense à la résidence, Picard, 1991, 375 pages ;
- Mesqui Jean, Châteaux forts et fortifications en France, Paris, Flammarion, 1997, 493 pages ;
- Sadourny Alain, « La fin de la Normandie Plantagenêt », pages 141-151, in Le Roc’h-Morgère Louis, Richard Cœur de Lion roi d’Angleterre, duc de Normandie (1157-1199), actes du colloque international tenu à Caen, 6-9 avril 1999, Caen, Direction des archives départementales du Calvados, 2004, 365 pages ;
- Vernier Jean-Jacques, Chartes de l'abbaye de Jumièges (v. 825 à 1204) conservées aux archives de la Seine-inférieure, tome II, Rouen, Lestringant, 1916 ;
- Yver Jean, « Philippe Auguste et les châteaux normands. La frontière orientale du duché », pages 309-348, in Bulletin de la société des antiquaires de Normandie, tome LIX, 1967-1989, Caen.
commenter cet article …