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29 septembre 2020 2 29 /09 /septembre /2020 13:43
Démarrage de l'application mobile devant un bananier de Mayotte : les gens ont de ces idées (cliché d'Armand Launay, septembre 2020)...

Démarrage de l'application mobile devant un bananier de Mayotte : les gens ont de ces idées (cliché d'Armand Launay, septembre 2020)...

 

L’Office de tourisme Seine-Eure a édité en 2019 une brochure de 40 pages associée à une application numérique intitulée : “À la découverte de Pont-de-l’Arche. Les histoires du Maître du pont.” Celle-ci se veut un circuit fléché et animé devant guider les visiteurs dans le patrimoine et l’histoire de la ville. Ce circuit a été mis à la disposition du public à partir de juin 2020 avec une publicité dans les médias et les abribus de l’agglomération. L’application est disponible dans Google play où vous chercherez le fournisseur “Seine Eure s’imagine”. 

Quelques élus de Démocratie archépontaine, groupe d’opposition au Conseil municipal actuel, ont eu la bonne idée de juger cette visite cette semaine et, à travers elle surtout, de viser l’action de la municipalité lors des dernières journées du patrimoine. Leur reproche peut se résumer à la difficulté, voire l’impossibilité, de suivre les repères matériels du circuit de découverte en ville. Ils affirment que les élus de la majorité auraient dû accompagner, ou faire accompagner, les visiteurs dans ce dédale d’un genre nouveau.

En effet, nous nous posions aussi la question depuis juillet dernier où, durant la Sainte-Anne qui a à peine eu lieu pour cause de prévention du Covid-19, nous avions réalisé la visite avec notre fille de 11 ans et notre père... un peu plus âgé : alors, que vaut ce circuit ?  

 

Notre fine équipe durant la recherche (cliché d'Armand Launay, juillet 2020).

Notre fine équipe durant la recherche (cliché d'Armand Launay, juillet 2020).

 

Un travail professionnel

À notre connaissance, c’est principalement Estelle Maillet, ingénieure d’études, qui a conçu le circuit et le texte pour le compte de l’entreprise “Médiéval-AFDP”, spécialisée dans l’étude et la mise en valeur du patrimoine, surtout médiéval. 

Il s’agit d’une découverte de la ville par les propos de Gervald, personnage fictif, maitre du pont de la ville. Il assure une fonction attribuée par le roi, c’est-à-dire la charge du guidage et du montage des bateaux sous le pont. En effet, le passage des bateaux était périlleux et nécessitait des haleurs et une personne pour organiser leur travail. Par un jeu de piste, le visiteur trouve des indices en quête de Gervald et découvre diverses facettes de l’histoire de la ville, des éléments du patrimoine… pas uniquement médiévaux. 

Les dessins ont été réalisés par Kévin Bazot et David Herbreteau. Le graphisme a été réalisé par “L'Ours en Plus”, dont on apprécie les jeux de mots. Ceux-ci ont travaillé sur la base de documents anciens excellemment mis au gout du jour et plutôt bien réinterprétés. Les “sources documentaires principales”, voire uniques, sont “Armand Launay, blog pontdelarche.over-blog.com” et “Pierre Molkhou”, sans titre d’ouvrage cependant, et les “Archives départementales de l’Eure”... bien qu’en fait on ne retrouve presque rien issu de ces archives dans le carnet de voyage du circuit, c’est-à-dire le document imprimé qui accompagne l’application mobile. Les photographies sont d’André Roques, de l’Office de Tourisme Seine-Eure, de Guillaume Duprey et de istock.

La recherche historique semble suffisante bien que n'apportant aucune nouvelle information, le graphisme est excellent, que ce soit sur le papier ou dans l’application téléphonique. Nous ne savons combien il en a couté* à l’Office de tourisme mais les deux années de travail ont été sérieuses et ont abouti à un beau résultat. 

 

Une initiative réussie pour les adolescents

L’application mobile et le support imprimé, le carnet de voyage, sont adaptés aux adolescents et aux habitués de la manipulation d’écrans. L’écran a un pouvoir captivant qui invite le visiteur à poursuivre sa quête. Celle-ci est agrémentée de quelques jeux qui en modifient le rythme. L’application mobile est un outil efficace pour sensibiliser un public à un sujet sûrement nouveau pour lui : l’histoire et le patrimoine d’une commune. Elle intéresse aussi par son aspect ludique et pédagogique. 

 

Une aura pour la commune

La commune de Pont-de-l’Arche bénéficie désormais d’une offre nouvelle et encore assez rare : le circuit renforcé par l’application mobile. Cela constitue un beau document et une belle animation. Les amateurs de nouveautés apprécieront, un temps du moins... car c’est là le cout de la néophilie, l’amour de la nouveauté. Une communication a été assurée sur l’histoire de la ville, ce qui est très rare. C’est même la première fois, à ce stade-là, que l’histoire de Pont-de-l’Arche a été promue à Louviers, Val-de-Reuil et la région. La commune aura aussi, et enfin, ouvert sous conditions le portail donnant accès à l’arrière de l’église, sur les remparts.  

 

Durant la recherche, place Hyacinthe-Langlois (cliché d'Armand Launay, juillet 2020).

Durant la recherche, place Hyacinthe-Langlois (cliché d'Armand Launay, juillet 2020).

 

Support ou gadget ? 

Recourir à l’écran est riche, mais une visite de ville dure longtemps. Or, l’écran nous maintient dans une activité principale, obsédante : le clic, le visionnage d’images et une certaine lecture rapide d’une série de textes assez brefs. 

Le suivi de ce circuit numérique, avec son support imprimé, nous détourne relativement de la flânerie, de l’observation pure des ruelles et du paysage. Parfois même, on se retrouve perturbé par la manœuvre d’un automobiliste, un piéton souhaitant passer sur un trottoir étroit. Plus dommage encore, en matière patrimoniale : on se retrouve souvent dans la lecture de connaissances historiques et non dans l’interprétation des données du terrain : que nous apprend telle pierre ? Quel est ce type architectural ? Pourquoi cette voie est-elle dans ce sens ? Le patrimoine est presque un prétexte à entrer dans l’histoire, alors que des morceaux d’histoire devraient éclairer le patrimoine que l’on perçoit. C’est particulièrement criant à l’endroit de Notre-Dame-des-arts : on en vient à chercher des nombres parmi les bancs en bois alors qu’on survole ce qui fait la beauté des lieux : le recueillement, l’observation attentive des détails comme les angelots du maitre-autel, les ex-votos, les signatures des vitraux, les sculptures des fonts-baptismaux, la lumière filtrée et colorée par les vitraux... 

Certes, le jugement esthétique et le sentiment sont le propre de chaque visiteur et le circuit ne prétend pas les gâcher. Mais, de fait, le visiteur scrupuleux est happé par la direction imprimée par la visite et les énigmes à percer. En caricaturant un peu, on cherche la signalétique du circuit au lieu d’observer le paysage. Le temps passant, le visiteur se retrouve pressé de trouver l’étape suivante : il court un peu plus qu’il ne le devrait. Certaines personnes, comme les élus de Démocratie archépontaine, trouvent que le circuit est mal matérialisé dans les rues, malgré une signalétique régulière. En effet, des clous métalliques au sol, à l’effigie de Gervald, sont parfois difficilement identifiables malgré l’aide du plan dans le carnet de voyage imprimé. Nous avons été contacté par Facebook pour aider en direct des visiteurs en peine. Nous même, avec notre fille, nous avons dû chercher à deux reprises assez longtemps les clous. Les personnes n’utilisant que l’application mobile doivent peiner à trouver tous les clous. Or, sans les indices lisibles sur les clous métalliques, on ne peut poursuivre les étapes de l’application mobile...  

L’application mobile est-elle donc le support idoine ou un gadget qui détourne d’une visite personnelle et interrogative ? 

 

Des oublis et des erreurs

À la perfection nul n’est tenu et il n’est pas besoin d’être parfait pour être bon. Ces propos ne visent donc pas à ternir les auteurs du circuit mais à en évaluer objectivement les limites. Il est dommage que le circuit oublie l’ancienne abbaye de Bonport, dans la commune de Pont-de-l’Arche. Celle-ci aurait dû au moins faire l’objet d’une invitation à la visite. La colonne de Bonport présente dans la cour du Cerf offrait pourtant cette transition, d’autant plus qu’une page du carnet de voyage est laissée à une improbable rédaction que le visiteur pourrait faire... s’il le voulait. De même, le panneau sculpté de la place Hyacinthe-Langlois, la maison du gouverneur, la maison à avant-solier, les réclames des façades du XIXe siècle, les voutes de l’escalier du pont, le remplacement d’un bras de Seine par le cours de l’Eure en 1935… d’importants éléments du patrimoine bâti et naturel manquent.  

Bien que ne se voulant pas une somme d’histoire et de patrimoine, avec des liens systématiques et cohérents, le texte est ponctué d’erreurs. La plus étonnante est la mention de l’armée allemande en 1946 (sur l’application téléphonique, lue en juillet 2020). D’autres erreurs viennent d’interprétations hâtives comme l’affirmation que Henri Désiré de Subtil de Lanterie, homme d’église et propriétaire de la tour de Crosne, se trouverait sur le cliché d’une carte postale de 1910 où un voit un homme, plutôt jeune, en costume de ville ; sûrement un ami du photographe. Des lectures trop rapides font écrire que ce n’est qu’en 1772 que Pont-de-l’Arche est devenu le siège du bailliage alors que la ville accueillait un bailliage secondaire de Rouen depuis le milieu du XVIIe siècle. Les auteurs se sont emmêlés les pinceaux : ce pauvre Gervald est réputé victime de la peste noire (1346-1353) alors qu’il est aussi réputé être maitre du pont depuis 1415. Mieux vaut-il commencer par mourir afin d’être bien conscient de la chance de vivre ? Ces oublis et erreurs ne ternissent pas le travail d’ensemble, mais une relecture supplémentaire eût été nécessaire. 

 

Les clous à l'effigie de Gervald, une signalétique pas toujours facile à repérer (cliché d'Armand Launay, juillet)

Les clous à l'effigie de Gervald, une signalétique pas toujours facile à repérer (cliché d'Armand Launay, juillet)

 

Faire à la fois plus simple et plus ambitieux en matière de culture et de tourisme

Malgré ce circuit, on est encore ‒ à mon sens ‒ orphelins d’une vraie visite fléchée. Ce sont quelques panneaux résistants, bien placés, qui permettent aux gens de se balader assez librement dans la ville et de découvrir, par hasard, l’existence d’un tel parcours. De petits dépliants peuvent les compléter sous forme imprimée dans les commerces, les services publics, ou sous format pdf sur le site Internet de l’Office de tourisme ou de la Ville. C’est sûrement moins couteux mais plus adapté aux différentes pratiques des visiteurs. Le circuit des Damps, le “parcours de découverte Philippe”, du nom de notre regretté ami Philippe Wastiaux, en constitue un bon exemple de sobriété et d’efficacité, bien que les textes puissent être augmentés. Plusieurs visites archépontaines sont à proposer : l’église Notre-Dame mérite une bonne heure pour les amateurs de patrimoine religieux. Les jeunes et les marcheurs peuvent faire un large tour de la ville avec une dose d’histoire et de patrimoine architectural et naturel. Deux visites patrimoniales peuvent être proposées : une pour les personnes à mobilité réduite ou fatiguée ; une seconde plus longue pour le public en pleine possession de ses moyens et aimant à déambuler. Le circuit à la recherche de Gervald constitue une bonne chasse au trésor avec ses énigmes et ses jeux. Mais il enferme de nouveau les jeunes dans la pratique de l’écran quand nous devrions, au contraire, les faire respirer, les faire réfléchir. De plus, ce circuit n’assouvit pas ‒ toujours selon nous ‒ le désir de connaissance adulte. Le gadget jette une lumière sur le patrimoine, pour les gens qui la voient peu, mais il éblouit et détourne le regard d’une vision plus lente, plus fine, plus personnelle du monde qui nous entoure. Par exemple, en quoi une Vierge à l’Enfant Jésus du XIIIe siècle constitue un objet rare et précieux dans l’église ? Il s’agit aussi d’initier et former le public à une lecture plus amoureuse, plus connaisseuse de la beauté et du sens.  

Enfin, le carnet de voyage termine par une belle invitation qui honore les auteurs : “Je tire une leçon de mon aventure : La vie ne vaut d’être vécue que si on la partage avec les autres !” Au-delà de l’évidente condition humaine ‒ “l’homme est un animal social”, écrivait Aristote ‒ ce partage doit être provoqué. C’est sûrement ainsi que les visites de ville gagnent à être réalisées en présence d’un guide qui échange selon sa sensibilité et selon les désirs du public. Les membres de l’opposition ont donc raison d’inviter la municipalité à ne pas oublier cette dimension cardinale.

 

Mon père, personnage sociable, préférant la discussion avec des touristes que la consultation d'écrans (cliché d'Armand Launay, juillet 2020).

Mon père, personnage sociable, préférant la discussion avec des touristes que la consultation d'écrans (cliché d'Armand Launay, juillet 2020).

L’impression personnelle d’être dépossédé

Je remercie Estelle Maillet pour sa courtoisie et son amabilité. Elle m’a questionné sur des illustrations anciennes de la ville, que j’ai fournies, et leur interprétation afin de les améliorer voire de reconstituer le paysage tel qu’il fut. Elle m’a demandé quelques sources bibliographiques. Elle a aussi veillé à ce que mon nom figure dans les remerciements. J’ai, à ce titre, œuvré à la réalisation de certaines parties de ce circuit.

Grâce à Estelle Maillet, j’ai moins l’impression d’avoir été dépossédé de mes travaux puisque j’ai été associé et cité. Mais, si l’histoire de Pont-de-l’Arche ne m’appartient pas, mes ouvrages et mes articles sont ma propriété intellectuelle. La majorité des anecdotes et des interprétations sur les faits, les monuments, proviennent de mes écrits disponibles sur ce blog ou dans des opuscules. L’écriture du carnet de voyage n’est pas de moi et l’on a ainsi évité le plagiat mais quand je lis les souvenirs du fantôme Gervald, j’ai l’impression qu’il a louché sur ma copie. Il a dû sembler impossible de m’associer à la réalisation des textes à moins de me rémunérer, ce qui n’entrait pas le calcul de rentabilité. Des illustrations de mon ouvrage sur Pont-de-l’Arche, cité de la chaussure ont même été reproduites sans en citer la source. Si je n’en suis pas l’auteur, il est toujours honnête de sourcer les informations données. Les noms des auteurs des illustrations anciennes ont été systématiquement délaissés et oubliés. C'est étonnant. Les banques d’images Freepik et Adobestock étant citées dans l’ours (les crédits) du carnet de voyage, il doit donc être possible de citer des noms et de respecter les droits d'auteurs. Ceux-ci ne sont pas que pécuniers mais moraux, aussi.  

Gervald, nom imaginaire du maitre du pont représenté sur le vitrail du montage, œuvre de Martin Vérel datée de 1605 (cliché d'Armand Launay, juillet).

Gervald, nom imaginaire du maitre du pont représenté sur le vitrail du montage, œuvre de Martin Vérel datée de 1605 (cliché d'Armand Launay, juillet).

 

Pour conclure

En somme, ce parcours a le grand mérite d’exister. Je ne sais combien les professionnels ont facturé à l’Office de tourisme* mais ceux-ci ont bien travaillé. J’espère que le cout n’a pas été faramineux. Le kit étant vendu 7 € l’unité et imprimé à 1 000 exemplaires, 7 000 € correspondent peut-être au prix coutant des seuls objets mis à disposition. Le cout total doit être bien plus lourd*. 

Il est dommage que, malgré cet investissement, la ville ne bénéficie toujours pas de panneaux touristiques réguliers formant un circuit à l’image de celui des Damps. Le circuit gervaldien devrait être complété par d’autres circuits, plus classiques, moins couteux*, mais adaptés à différents publics. Cela permettrait sûrement une meilleure répartition des crédits entre les communes de l’agglomération. Nombre de communes mériteraient leurs circuits, ce que nous aimerions réaliser même partiellement et bénévolement. 

Enfin, et comme le laissent entendre les élus de Démocratie archépontaine, ce circuit numérique ne doit pas être un paravent qui masque la disparition d’une offre culturelle et touristique. Des animations, des expositions, des conférences, des visites guidées et commentées doivent perdurer afin de former le public au jugement esthétique et afin de lui donner des expériences sensibles riches. Après tout ‒ et c’est un grand défaut ‒ l’écran n’est pas directement propice au contact humain. Il pallie la solitude et l’ignorance mais il pâlit les relations humaines et l’interrogation individuelle. 

 

* Nous avons appris par les membres de l'opposition au conseil municipal que le cout total de l'opération est de 100 000 € (cent-mil euros). Addenda du 14 octobre 2020.

 

Armand Launay

Pont-de-l'Arche ma ville

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13 septembre 2020 7 13 /09 /septembre /2020 14:18

 

Sotteville-sous-le-val est une charmante commune, blottie au pied du coteau de la presqu’ile de Freneuse, qui mérite qu’on s’y balade par le corps comme par l’esprit. 

Sotteville désigne, à l’origine, quelques habitations regroupées autour de l’église Saint-Baudile. On traitait de paroisse Saint-Baudile-de-Sotteville.   

En face de l’église, le long de la route reliant Igoville à Freneuse (la rue du village), se voient d’étranges colonnes. Deux sont entièrement dégagées et une troisième se trouve à moitié engagée dans un bâtiment d’habitation. Elles sont couronnées de chapiteaux sculptés comme dans des églises. D’où viennent-elles ? 

 

Photographie de la maison aux colonnes accessible sur le site POP, la plateforme ouverte du patrimoine, proposée par le Ministère de la culture. Datant de 1939 et pris par Emmanuel-Louis Mas il montre l’édifice d'origine, disparu depuis, et ses trois colonnes restées comme orphelines au milieu du village..

Photographie de la maison aux colonnes accessible sur le site POP, la plateforme ouverte du patrimoine, proposée par le Ministère de la culture. Datant de 1939 et pris par Emmanuel-Louis Mas il montre l’édifice d'origine, disparu depuis, et ses trois colonnes restées comme orphelines au milieu du village..

Les colonnes en question devant l'église Saint-Baudile (cliché d'Armand Launay, juin 2012).

Les colonnes en question devant l'église Saint-Baudile (cliché d'Armand Launay, juin 2012).

 

Une photographie de cette maison, que nous appelons la maison aux colonnes, est accessible sur le site POP, la plateforme ouverte du patrimoine, proposée par le Ministère de la culture. Sous la cote MH0170031 et datant de 1939, un cliché d’Emmanuel-Louis Mas (1891-1979) reproduit ci-dessous montre l’édifice. On le retrouve dans la notice APMH00170031. 

Dans une certaine confusion la notice annonce le XIVe siècle pour dater on ne sait trop quoi. À l’évidence, ce siècle se rapproche plus de la création des colonnes (début du XIIIe siècle) que de la maison qui a été bâtie à la toute fin du XVIIIe siècle ou au début du XIXe siècle. Était-elle faite en pans de bois ? Nous l’ignorons. Toutefois elle complétait un beau bâtiment, peut-être du XVIIe siècle, à l’Est bâti sur des lits de silex, avec des moellons calcaires en remplissage et des chainages en pierres de taille. Celui-ci a peut-être été couvert de chaume à en croire ses pignons surélevés par rapport à la ligne du toit. Côté sud, une de ses pierres de chainage porte la lettre “M” en caractère gothique entourée d’une couronne, semble-t-il et d’un symbole que nous ne savons pas interpréter (une dédicace en hommage à un abbé décédé ?). Quant au bâtiment disparu, avait-il une vocation agricole ? C’est possible à en juger par l’espace entre deux des colonnes qui devaient laisser place à l’entrée d’une charrette, au moins à bras. Quant à l’étage, ses fenêtres laissent deviner qu’il était habité. Quoi qu’il en soit, en 1939, ce bâtiment semblait déjà à l’abandon qui était recouvert de croutes de réclames. 

 

Maison, toujours debout, qui se trouve dans le prolongement de la maison aux colonnes disparue. Une colonne la soutient en partie et une pierre de chainage porte la lettre "M" qui semble provenir de l'ancienne abbaye de Bonport (clichés d'Armand Launay, février 2014).
Maison, toujours debout, qui se trouve dans le prolongement de la maison aux colonnes disparue. Une colonne la soutient en partie et une pierre de chainage porte la lettre "M" qui semble provenir de l'ancienne abbaye de Bonport (clichés d'Armand Launay, février 2014).

Maison, toujours debout, qui se trouve dans le prolongement de la maison aux colonnes disparue. Une colonne la soutient en partie et une pierre de chainage porte la lettre "M" qui semble provenir de l'ancienne abbaye de Bonport (clichés d'Armand Launay, février 2014).

 

Ces colonnes, les connaisseurs le voient, sont cisterciennes. Ce sont les parties supérieures, les chapiteaux qui l’indiquent. Ceux-ci sont sculptés de manière à représenter des fleurs d’eau, c’est-à-dire des roseaux, que l’on appelait des cisteaux en ancien français. C’est en effet dans un lieu dit Cisteaux, puis Cîteaux, que l’ordre cistercien fut fondé par Robert de Molesme en 1098. Beau clin-d’œil, donc. 

 

Émile Chevallier, homme d’église attaché à la paroisse de Pont-de-l’Arche, publia deux ouvrages sur l’ancienne abbaye de Bonport, située dans la même paroisse. Il s’agit d’un guide et d’un ouvrage plus approfondi intitulé Notre-Dame de Bonport : étude archéologique sur une abbaye normande de l'ordre de Cîteaux, et publié en 1904 par Firmin-Didot.

À la page 13, l’abbé Chevallier nous apprend que l’abbaye de Bonport, qui fut nationalisée comme tous les biens ecclésiastiques par les députés de la Révolution en 1790, fut vendue le 2 avril 1791 à Jacques Joseph Alexandre de la Fleurière et, surtout, Alexandre de la Folie qui exploita les lieux. Outre l’exploitation agricole, celui-ci vendit des matériaux de l’abbaye. Il commença par les quatre cloches de Notre-Dame de Bonport, l’église abbatiale, qui partirent à la fonderie de Romilly-sur-Andelle dès juillet 1791. Le 22 février 1792, une chapelle était détruite ainsi que, déjà, une partie de l’abside de Notre-Dame. L’ancienne abbaye était devenue partiellement une carrière de pierres destinées aux constructions des habitants de la région. Vers 1820 la carrière était toujours exploitée semble-t-il (page 14).

 

Photographies prises dans l'enceinte de l'ancienne abbaye de Bonport. L'une montre la base des colonnes de Notre-Dame, vendues entre la fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe siècle. L'autre montre les vestiges de faisceaux de colonnes engagés dans le mur du dortoir et donc non démontables pour être vendus (clichés d'Armand Launay, juin 2010 pour les bases de colonnes, aout 2016 pour les vestiges accolés au dortoir).
Photographies prises dans l'enceinte de l'ancienne abbaye de Bonport. L'une montre la base des colonnes de Notre-Dame, vendues entre la fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe siècle. L'autre montre les vestiges de faisceaux de colonnes engagés dans le mur du dortoir et donc non démontables pour être vendus (clichés d'Armand Launay, juin 2010 pour les bases de colonnes, aout 2016 pour les vestiges accolés au dortoir).

Photographies prises dans l'enceinte de l'ancienne abbaye de Bonport. L'une montre la base des colonnes de Notre-Dame, vendues entre la fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe siècle. L'autre montre les vestiges de faisceaux de colonnes engagés dans le mur du dortoir et donc non démontables pour être vendus (clichés d'Armand Launay, juin 2010 pour les bases de colonnes, aout 2016 pour les vestiges accolés au dortoir).

 

Émile Chevallier cite ensuite, (page 15) des pierres encore identifiables en 1904 dans la région : il s’agit de pierres sculptées, celles de l’église Notre-Dame. Il expose qu’il en existe à Criquebeuf, Pont-de-l’Arche, Alizay, Pont-Saint-Pierre et Sotteville-sous-le-val dans deux propriétés. 

La maison aux colonnes semble donc avoir été relevée notamment grâce à trois colonnes rachetées par un particulier à Alexandre de la Folie. Elles ont vraisemblablement servi de soutènement à une sablière portant les solives du second niveau. Ce bâtiment, disparu depuis, date donc par déduction de la toute fin du XVIIIe siècle ou des deux premières décennies du XIXe siècle. Peut-être que ces colonnes ont transité par voie de Seine car, après tout, l’ancienne abbaye bonportaise se situe presqu’en face de Sotteville. Quoi qu’il en soit, ces colonnes à chapiteaux, et la pierre avec un “M” indiquent que certaines demeures sottevillaises ont été restaurées avec des pierres de réemploi issues de Bonport. Ce constat est renforcée par la présence dans deux autres propriétés du centre-village d’autres colonnes bonportaises. Elles servent de piliers à deux portails. 

 

Nous publions ci-dessous différentes photographies de ces colonnes bonportaises réemployées dans les villes et villages de la région. 

 

 

Armand Launay

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Autres colonnes de Bonport servant de piliers de portails dans le coeur de village de Sotteville (clichés d'Armand Launay, aout 2004 et février 2014).
Autres colonnes de Bonport servant de piliers de portails dans le coeur de village de Sotteville (clichés d'Armand Launay, aout 2004 et février 2014).
Autres colonnes de Bonport servant de piliers de portails dans le coeur de village de Sotteville (clichés d'Armand Launay, aout 2004 et février 2014).

Autres colonnes de Bonport servant de piliers de portails dans le coeur de village de Sotteville (clichés d'Armand Launay, aout 2004 et février 2014).

Colonne de Bonport servant de soutènement au local accueillant de nos jours le bar central de Tourville-la-rivière (cliché d'Armand Launay, juillet 2019).

Colonne de Bonport servant de soutènement au local accueillant de nos jours le bar central de Tourville-la-rivière (cliché d'Armand Launay, juillet 2019).

Colonne et pierres sculptées de Bonport situées dans la commune de Criquebeuf-sur-Seine (clichés d'Armand Launay, avril 2010).
Colonne et pierres sculptées de Bonport situées dans la commune de Criquebeuf-sur-Seine (clichés d'Armand Launay, avril 2010).
Colonne et pierres sculptées de Bonport situées dans la commune de Criquebeuf-sur-Seine (clichés d'Armand Launay, avril 2010).

Colonne et pierres sculptées de Bonport situées dans la commune de Criquebeuf-sur-Seine (clichés d'Armand Launay, avril 2010).

Colonne de Bonport servant de soutènement dans la cour du Cerf à Pont-de-l'Arche (cliché d'Armand Launay, mai 2008).

Colonne de Bonport servant de soutènement dans la cour du Cerf à Pont-de-l'Arche (cliché d'Armand Launay, mai 2008).

Colonnes de Bonport servant de piliers de portail dans la rue principale d'Alizay (cliché d'Armand Launay, mars 2011).

Colonnes de Bonport servant de piliers de portail dans la rue principale d'Alizay (cliché d'Armand Launay, mars 2011).

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29 août 2020 6 29 /08 /août /2020 13:06

 

Consultez, sur la Plateforme ouverte du patrimoine (POP) du ministère de la culture, une série de photographies sur les badauds du marché de Pont-de-l’Arche. 

En effet, une série de photographies de la Médiathèque de l’architecture et du patrimoine (de Saint-Cyr) y a été versée. 

Cette série a été réalisée par Jean Pottier, né en 1932, dans le cadre de la construction de Val-de-Reuil, qu’on appelait alors la ville nouvelle du Vaudreuil. Elle est humblement nommée “les habitants des communes alentours”.

Cette série est un peu éparpillée parmi les résultats de la base POP et quelques photographies semblent issues d’un autre marché local. Quoi qu’il en soit, on y voit les badauds du dimanche 13 juillet 1970 au matin. Certaines têtes vous seront connues…  

Poursuivez la recherche dans la base POP où au moins 300 documents concernent Pont-de-l’Arche. Une belle série de clichés du même auteur est censée concerner les ouvriers en chaussures de chez Marco. Mais ils semblent plutôt issus de l’usine Labelle de Saint-Pierre-du-Vauvray… 

Nous reproduisons ci-dessous quelques photographies de la série portant sur le marché de Pont-de-l’Arche. Merci Jean Pottier ! 

 

Accédez à la base POP :  https://www.pop.culture.gouv.fr/

 

A lire aussi, sur le blog, l'article sur l'ancienne halle et le marché de Pont-de-l'Arche

 

 

Armand Launay

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Le marché de Pont-de-l'Arche en photographies en 1970 par Jean Pottier
Le marché de Pont-de-l'Arche en photographies en 1970 par Jean Pottier
Le marché de Pont-de-l'Arche en photographies en 1970 par Jean Pottier
Le marché de Pont-de-l'Arche en photographies en 1970 par Jean Pottier
Le marché de Pont-de-l'Arche en photographies en 1970 par Jean Pottier
Le marché de Pont-de-l'Arche en photographies en 1970 par Jean Pottier
Le marché de Pont-de-l'Arche en photographies en 1970 par Jean Pottier
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9 avril 2020 4 09 /04 /avril /2020 15:40
Sur la tombe familiale se trouve une plaque commémorative rappelant le décès en déportation de Jean Hazard. Elle se situe au cimetière de Pont-de-l'Arche, près de la croix hosannière, c'est-à-dire au centre (cliché Armand Launay, novembre 2017).

Sur la tombe familiale se trouve une plaque commémorative rappelant le décès en déportation de Jean Hazard. Elle se situe au cimetière de Pont-de-l'Arche, près de la croix hosannière, c'est-à-dire au centre (cliché Armand Launay, novembre 2017).

 

Endolories sûrement, certaines âmes cheminant dans le gravier du cimetière de Pont-de-l’Arche ont remarqué une tombe, sombre et sobre, au centre. Sur le monument funéraire de la famille Hazard-Bohu, elle dispute à l’oubli le nom de “Jean Hazard ‒ Né le 16 juin 1912”. Ce qu’elle a de notable, pour ceux qui n’ont pas connu cet homme, est la suite de l’inscription : Déporté à Flossenburg ‒ Mort pour la France ‒ Le 18 novembre 1944”. La barbarie nazie aura fait disparaitre son corps, mais pas son souvenir.

Une recherche sur Internet permet de retrouver sur Légifrance l’information suivante : Hazard (Jean, Albert, Ernest), né le 16 juin 1912 à Quatremare (Eure), décédé le 18 novembre 1944 à Flossenburg (Allemagne). C’est un extrait du Journal officiel n° 142 du 21 juin 1994 (page 8918) qui comporte l’arrêté du 6 mai 1994 portant apposition de la mention “Mort en déportation” sur les actes de décès de nombreux déportés. 

Sur l’acte de naissance de Jean Hazard, accessible sur le site des Archives départementales de l’Eure, figure André Hazard, son oncle, fruitier, demeurant à Pont-de-l’Arche et Henri Guérin, instituteur public, domicilié à Vernon, ami du père de Jean. On y apprend que Albert Maurice Raymond Hazard, père de Jean, s’est marié à Pont-de-l’Arche le 12 octobre 1907 avec Émilienne Louise Bohu. Albert Maurice Raymond Hazard est décrit comme instituteur public, né à Pont-de-l’Arche le 8 décembre 1884, “demeurant de fait à Quatremare et de droit à Pont-de-l’Arche”. On connait aussi un certain Louis Guérin, instituteur public socialiste à Pont-de-l’Arche et sûrement en lien avec les deux instituteurs cités ci-dessus. 

Sur le site de la Fondation pour la mémoire de la déportation se trouve la liste des 1700 déportés partis de Compiègne le 27 avril 1944 et arrivés trois jours plus tard à Auschwitz. On y apprend que leur funèbre convoi a été dénommé “convoi des tatoués”. Il comprit des personnes non juives et la raison de son existence continue d’interroger les spécialistes. Les prisons étaient-elles saturées et nécessitaient-elles donc de faire de la place ? Ces déportés étaient-ils des travailleurs ? L’énigme demeure. Nous apprenons que les Hazard ont ensuite été déportés à Buchenwald. Jean a ensuite été transféré à Flossenbürg, camp bavarois frontalier de la Tchéquie connu pour son activité métallurgique et ses carrières. Jean Hazard n’a pas survécu à sa déportation, comme 52 % des déportés du convoi des tatoués. Son père est revenu en Normandie. Il est décédé à Caudebec-lès-Elbeuf le 14 février 1953 comme l’indique la mention marginale de son acte de naissance. Mais c'est à Pont-de-l'Arche qu'il a été inhumé.

Grâce aux recherches de notre ami Nicolas Sovereto, notamment sur Filae, nous apprenons que Raymond Hazard fut fait chevalier de la Légion d'honneur par décret du 9 novembre 1930 ceci au regard de ses services militaires durant la Première guerre mondiale. Il fut blessé à la fesse droite par un éclat d'obus le 11 octobre 1915.

Le site MyHeritage nous apprend que Jean Hazard était instituteur, athée et militant républicain radical de gauche. Ceci n'est pas étonnant car de très nombreux enseignants, appelés hussards de la République, défendaient ce genre d'opinions. C'est sûrement à ce titre qu'il rejoignit un réseau de résistance et se retrouva, comme nous en informe le site cité, à la prison de Rouen.

Les archives en ligne du site Arolsen, dévolues aux victimes des camps nazis, produisent des copies de différents documents établis par les autorités nationales-socialistes sur Jean et Raymond Hazard ; documents que nous reproduisons ci-dessous avec l'aimable concours de Nicolas Sovereto.

Enfin le site Mémoire des hommes nous apprend que Jean Hazard était membre d'un réseau de résistance appelé "Action M". Il correspond, selon la fiche Wikipédia, à la région du Mans et une partie de la Normandie. Dirigé par Valentin Abeille, il participa aux préparatifs du Débarquement de Normandie et paya un lourd tribut à l'ennemi.

 

 

 

Malgré cette apparence de détails, nous ignorons énormément de faits. Nous sommes preneurs de toute information les concernant, notamment photographique.

 

Différents documents établis par les autorités nazies sur Jean et Raymond Hazard en tant que prisonniers politiques puis déportés vers les camps de concentration (The Arolsen archive online).
Différents documents établis par les autorités nazies sur Jean et Raymond Hazard en tant que prisonniers politiques puis déportés vers les camps de concentration (The Arolsen archive online).
Différents documents établis par les autorités nazies sur Jean et Raymond Hazard en tant que prisonniers politiques puis déportés vers les camps de concentration (The Arolsen archive online).
Différents documents établis par les autorités nazies sur Jean et Raymond Hazard en tant que prisonniers politiques puis déportés vers les camps de concentration (The Arolsen archive online).
Différents documents établis par les autorités nazies sur Jean et Raymond Hazard en tant que prisonniers politiques puis déportés vers les camps de concentration (The Arolsen archive online).
Différents documents établis par les autorités nazies sur Jean et Raymond Hazard en tant que prisonniers politiques puis déportés vers les camps de concentration (The Arolsen archive online).
Différents documents établis par les autorités nazies sur Jean et Raymond Hazard en tant que prisonniers politiques puis déportés vers les camps de concentration (The Arolsen archive online).
Différents documents établis par les autorités nazies sur Jean et Raymond Hazard en tant que prisonniers politiques puis déportés vers les camps de concentration (The Arolsen archive online).
Différents documents établis par les autorités nazies sur Jean et Raymond Hazard en tant que prisonniers politiques puis déportés vers les camps de concentration (The Arolsen archive online).

Différents documents établis par les autorités nazies sur Jean et Raymond Hazard en tant que prisonniers politiques puis déportés vers les camps de concentration (The Arolsen archive online).

Autres vues sur le monument funéraire de la famille Hazard-Bohu (clichés Frédéric Ménissier, mai 2020).
Autres vues sur le monument funéraire de la famille Hazard-Bohu (clichés Frédéric Ménissier, mai 2020).

Autres vues sur le monument funéraire de la famille Hazard-Bohu (clichés Frédéric Ménissier, mai 2020).

Armand Launay

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29 février 2020 6 29 /02 /février /2020 12:13
L'ancienne salle du conseil municipal (cliché Armand Launay).

L'ancienne salle du conseil municipal (cliché Armand Launay).

 

Commentaire après le premier et unique tour (publié le 27 mars 2020)

 

Sans avancer de résultats fantaisistes ‒ tirés du chapeau ‒ nous avions émis dans notre commentaire du 29 février dernier (ci-dessous), la forte probabilité qu’un seul tour suffise à élire les conseillers municipaux de Pont-de-l’Arche. C’est ce qui s’est produit le dimanche 15 mars où la liste de Questions d’avenir, dirigée par le maire sortant Richard Jacquet, a été élue avec 52,9 % des suffrages exprimés. Ce sont 42 voix qui ont permis à Questions d’avenir de dépasser la majorité absolue (c’est-à-dire plus de 50 %).

La deuxième liste est ‒ sans surprise ‒ celle de Démocratie archépontaine de Patrick Bellamy qui arrive cependant bien après celle du maire sortant avec 20,9 % des voix. Puis, la liste Pont-de-l’Arche ensemble d’Hervé Lour cumule 17,4 % des voix et, enfin, le Rassemblement national autour de William Bertrand obtient 8,7 % des suffrages exprimés. 

 

Résultat du vote réparti par bureaux et en pourcentages.

 

Bureau 1

Bureau 2

Bureau 3

Totaux (nombre)

Totaux %

R. Jacquet

51,5

52,6

54,7

766

52,90 %

H. Lour

21,6

17,3

13,2

252

17,40 %

W. Bertrand

7,3

10,8

8

127

8,77 %

P. Bellamy

19,6

19,3

24,1

303

20,93 %

 

100

100

100

1448

 

 

Une analyse par bureau confirme que le bureau 1, celui du centre-ville, est le plus conservateur de la ville qui a donné à Hervé Lour son meilleur pourcentage. Mais nous sommes loin du temps où ce bureau plaçait en tête des candidats de droite. Il n’est plus spécialement ni bourgeois ni conservateur comme lorsque Pont-de-l’Arche était un centre-bourg commerçant, avec son marché dominical et, qui plus est, siège d’un chef-lieu de canton. C’était encore le cas du temps de Roland Levillain (dans les années 1970). 

Le RN national obtient un résultat relativement plus fort dans le bureau 2, celui du Pont-de-l’Arche du sud-Est (collège, rue Charles-Cacheleux...). Le bureau 3, traditionnellement plus à gauche, offre de meilleurs résultats aux listes plutôt de gauche. Quoi qu’il en soit, il n’y a que 10 % de différence entre le résultat de droite du bureau 1 et du bureau 3, ce qui signifie que le choix des citoyens, lors du scrutin municipal, est avant tout fondé sur les forces citoyennes en présence et non sur une orientation idéologique forte, l’ensemble des listes se revendiquant de valeurs républicaines. Le RN traduit cependant un désaveu quant aux listes et partis traditionnels et un manque de confiance dans les candidats dits de l'"establishment", c'est-à-dire issus d'élites, de groupes établis qui se maintiendraient au pouvoir et confisqueraient le pouvoir démocratique.    

 

Des pourcentages qui masquent une abstention record

Les pourcentages ne sont que des proportions. Ils masquent une abstention forte. Si elle était prévisible, l’abstention a cependant atteint un niveau record dans l’histoire de la commune. En effet, sur 3 024 inscrits sur les listes électorales, 1 529 personnes (50,56 %) ne se sont pas déplacées en 2020. Cela fait donc 550 voix de moins qu’en 2014, le nombre d’inscrits ayant ‒ il est vrai ‒ baissé de 46. Ce sont donc près de 500 électeurs qui ont manqué, soit un électeur sur six.

Les résultats n’engagent donc que 49,44 % des inscrits, ce qui s’explique notamment par la panique et l’appel gouvernemental au confinement afin de limiter la propagation du coronavirus, pandémie venue de Chine. L’abstention est cependant moins forte à Pont-de-l’Arche qu'au niveau national (55,25 %). Cette abstention exprime-t-elle un désaveu local pour l’offre de service politique proposée par les candidats ? C’est possible étant donné le travail des élus “lanceurs d’alertes” depuis 2018 qui s’est soldé par l’éviction de leur propre fer de lance, Angélique Chassy. Nombre d’électeurs auront retenu du travail de Démocratie archépontaine l’idée que Questions d’avenir n’est pas si efficace et honnête qu’elle l’annonce mais que Démocratie archépontaine n’a pas été en mesure d’être plus ouverte et prompte au dialogue que le maire en place. 

Quant aux votes blancs et nuls, la loi les exclut des suffrages exprimés. Les bulletins blancs et nuls étaient 108 en 2014 et 47 en 2020. À croire que la peur du virus a dissuadé des électeurs de se déplacer pour glisser un bulletin non comptabilisé parmi les exprimés.

 

Au-delà des pourcentages : qui a gagné de l’audience ? 

Quant aux suffrages exprimés, ils étaient 1 998 en 2014 (soit 65 % des inscrits) et 1 448 en 2020 (soit 47,9 %). Il y a donc une baisse de 27,5 % entre ces deux élections. Une liste a-t-elle été plus touchée ? 

Oui, il s’agit de cette d’Hervé Lour qui est passé de 561 voix (28,1 %) en 2014 à 252 suffrages en 2020 (17,4 %) soit une baisse de 55,1 %.

Celle de Richard Jacquet est passée de 1 437 électeurs en 2014 (71,9 %) à 766 en 2020 (52,9 %) soit une perte de 46,7 %. 

Ces deux listes ont perdu la moitié , ou presque, de leur électorat, donc de leur représentativité et, quelque part, de leur légitimité. 

 

Quant à la répartition des voix en 2020, on mesure aisément que ces pourcentages sont presque remplacés par ceux des deux nouvelles listes : les 19 % de perte du maire sortant se retrouvent dans les 20,9 % de Démocratie archépontaine. La perte de 10,7 % d’Hervé Lour semble s’expliquer par le résultat du RN et ses 8,8 %. Ce serait caricatural de penser qu’il y a eu un parfait report de voix de chacune de ces listes vers les nouvelles équipes, mais une logique existe puisque le RN incarne une droite contestataire et populaire, ce qui est le profil d’Hervé Lour, et Démocratie archépontaine est un peu plus marquée à gauche que Questions d’avenir. C’est ce dont témoignent les déclarations des listes faites en préfecture où Questions d’avenir n’apparait désormais qu’en tant que “divers” et non plus “divers gauche”, voire “socialiste”. Cela traduit le rapprochement de Richard Jacquet et ses proches avec La République en marche. La déclaration en préfecture classe, cependant, Démocratie archépontaine comme “divers gauche”, bien que certains de ses membres n’aient rien à voir avec les tendances de gauche et bien que l’on ne sache pas pour quelles étiquettes les membres de Démocratie archépontaine eussent appelé leurs coéquipiers grands électeurs (maire et adjoints) à voter aux sénatoriales. 

 

La répartition des sièges

Les calculs offrent la moitié des sièges à la liste majoritaire soit 14 élus pour Questions d’avenir. Les sièges restant, 13 donc, sont répartis proportionnellement entre les quatre listes. Ainsi Questions d’avenir glane 6 sièges en sus, Démocratie archépontaine 3 sièges, 2 sièges pour Pont-de-l’Arche ensemble et, enfin, 1 siège pour le Rassemblement national. 

Questions d’avenir a, conformément à la finalité de la loi, une large majorité de 21 sièges sur 27, soit plus des ¾ des conseillers. Elle perd cependant 3 sièges par rapport à la précédente mandature.

 

Quelle conduite à prévoir au Conseil municipal ? 

Une opposition de trois élus de Démocratie archépontaine, soutenus par une dynamique associative, doit traverser une longue nouvelle période de vaches maigres et exploiter d’éventuelles erreurs du maire et son équipe. Ils devront battre le pavé et faire le tour des boites aux lettres pour espérer maintenir et grossir une dynamique critique et citoyenne face au maire et son équipe. C’est ce qui explique sûrement le renoncement de 7 colistiers (!), annoncé dans La Dépêche de Louviers le 26 mars, qui ont démissionné à la simple annonce de devoir siéger au conseil municipal. 

Ce constat est pire encore du côté de Pont-de-l’Arche ensemble qui, hormis Hervé Lour, n’a pas réussi durant le précédent mandat à trouver des personnes suffisamment motivées et pertinentes pour tenir longtemps leur rôle d’élu d’opposition au Conseil municipal. Cela s’est traduit par un certain rapprochement d’Hervé Lour avec l’équipe majoritaire de Questions d’avenir... tant il est difficile de s’opposer intellectuellement et émotionnellement seul face aux idées d’un groupe majoritaire, qu’on ait tort ou raison. 

La nouveauté est l’entrée officielle du RN au conseil municipal. Officielle car durant la précédente mandature avait siégé un temps Doris Perreaux, élue de Pont-de-l’Arche ensemble, et qui était adhérente à titre personnel au RN. Le RN aura donc une voix locale si elle est utilisée. Mais il sera difficile de faire passer un programme national pour une participation pertinente aux questions communales. L’élu RN devra surtout démontrer qu’il est une force de proposition communale pour être crédible à la table des débats. C’est peut-être seulement à ce titre qu’il sera rétrospectivement le gagnant de ce scrutin.

Les élus d’opposition auront la difficulté de se trouver face à un maire expérimenté, qui a construit tout un organigramme autour de lui et rodé sa manière de travailler. Il a conservé un tremplin municipal pour réussir, peut-être enfin, aux élections départementales, régionales voire législatives. Ce sont des horizons qu’il vise depuis près de 20 ans et qui le placent dans le piège des grands projets qui le coupent peu à peu des préoccupations des habitants. 

Richard Jacquet rejoint quoi qu’il en soit Roland Levillain au rang de maire réélus deux fois et réalisant trois mandats. C’est un des deux gagnants, presque par défaut d’opposition et de vitalité citoyenne, de ces élections.

 

Quel positionnement politique et idéologique à venir dans la commune ? 

Le maire s’est bâti un espace politique centriste, se faisant passer pour non partisan, neutre, au-delà des idéologies comme si cela était possible. Il a contribué à la dilution du message de gauche à l’échelle communale. Déjà entre 2008 et 2014 le courant communiste s’est éteint après le départ d’Arnaud Levitre qui contribua à l’élection de Richard Jacquet en 2008, devenant adjoint à la culture avant de démissionner et de devenir, plus tard encore, maire d’Alizay. Qui plus est, depuis 2014, c’est la fin du courant socialiste, qui n’a jamais été ni vindicatif ni formateur de l’opinion publique locale, qui se produit avec la fin du seul et simple affichage de gauche aux élections puis le siphonnage de ses cadres et nombre de ses militants par La République en marche d’Emmanuel Macron, ceci entre la fin de l’année 2016 et le début de 2017. 

Or, à Pont-de-l’Arche, aucune mouvance politique d’extrême-gauche, ni même de gauche gouvernementale n’a perduré. Une mouvance n’est pas qu’une idéologie, un parti national désincarné autant que lointain, mais une sociabilité militante, appelant à la réflexion et à la mobilisation. 

Le vote contestataire est donc réapparu dans la ville du côté du Rassemblement national. La mauvaise gestion budgétaire du maire et sa volonté manifeste de cacher la réalité des finances communales, doublée de la stratégie modérée de Démocratie archépontaine, marchant sur les plates-bandes de Questions d’avenir, ont dégagé localement un petit espace au Rassemblement national. 

 

Enfin le maire, Richard Jacquet, se sort bien de ce mandat calamiteux. Après avoir perdu une grande minorité de ses élus par la scission de 2018 ; à cause d'un lourd déséquilibre, la gestion du budget communal a été déléguée à la demande du maire, pendant quelques mois, par le service financier de la CASE (une première dans l’histoire de la ville, le maire ayant même souhaité donner un chèque-cadeau de 100 € pour chaque agent de la CASE ayant travaillé au budget archépontain, avant une invalidation de ce chèque par la préfecture) ; après la promesse de bâtir un centre culturel surdimensionné et engendrant une hausse, à venir, des impôts locaux ; après tout cela... le maire se faire réélire avec l’apparence d’un assentiment populaire alors que le peuple décroche.

Commentaire du 29 février 2020 avant la tenue du scrutin.

 

Les élections municipales auront lieu les 15 et 22 mars... Tout du moins s’il y a besoin d’un second tour. En effet si, dès le premier tour, une liste obtenait la majorité des suffrages, elle bénéficierait de la moitié des sièges à pourvoir. Dans une commune de la strate de Pont-de-l’Arche, 27 personnes sont à élire. La liste gagnante aurait d’office 14 sièges. Le reste des sièges serait distribué proportionnellement au nombre des suffrages exprimés, du moins pour les listes réalisant plus de 5 % des suffrages exprimés. Ceci est clairement favorable à la liste vainqueuse afin de lui dégager une majorité nette facilitant son exercice du pouvoir. La liste majoritaire se choisira des représentants à l'intercommunalité.

S’il n’y avait pas de liste obtenant plus de 50 % des suffrages au premier tour, un second tour serait organisé. Y participeraient les listes ayant obtenu plus de 10 % des suffrages exprimés au premier tour. Ceci laisserait la possibilité d’un appel au report des voix d’une liste vers une autre. Les listes encore en lice pourraient fusionner si elles le souhaitaient et s’y entendaient. 

 

Pour se rafraichir la mémoire concernant les élections municipales de 2014, cliquez ici.

 

 

La situation politique locale de 2014 à 2020 (pour approfondir ce sujet, cliquez ici)

Il s’agit du second mandat de Richard Jacquet (PS), élu avec 71,92 %, dès le premier tour, en 2014. Il rassembla sur son nom plutôt les suffrages de gauche, étant donné qu’il fut le rassembleur de plusieurs partis et différentes opinions de gauche en 2008. Ceci n’empêcha pas que des personnalités plus conservatrices ou libérales s’allient au maire sortant. Face à Richard Jacquet et sa liste, baptisée Questions d’avenir, dans la lignée de l’équipe élue en 2008, s’est trouvée la liste d’Hervé Lour dénommée Pont-de-l’Arche ensemble. Cette dernière n’obtint en vertu ‒ ou vice ‒ des calculs électoraux, que trois sièges. 

Durant ce mandat, des réalisations ont eu lieu telles que l’agrandissement de la mairie, la rénovation de la rue Général-de-Gaulle ; des réalisations assez cantonnées sur la construction d’édifices et infrastructures neufs, faisant appel à la commande publique. Mais ce mandat laisse une impression mitigée par rapport au mandat précédant. En effet, les services publics municipaux ont plutôt été maintenus que développés, exception faite de la municipalisation de la maison de retraite “Les Pins” dont la gestion par une association avait été jugée défaillante. Ce bilan modéré s’est produit dans une période de fermeture des services publics de l’État qui s’est soldée, dans la ville, par la disparition du Trésor public. De plus, un recrutement à un poste de direction a été effectué en 2015. D’après l’élu d’opposition Hervé Lour, il aurait été réalisé sur la base de réseaux de connaissances au sein du Parti socialiste local et non sur les seules compétences et la seule notion d’intérêt général.

Bien des électeurs ont eu l’impression de perte de vitalité associative au sein de Questions d’avenir et d’institutionnalisation de ses principaux élus. Questions d’avenir a commencé à se scinder en 2017 entre partisans et sympathisants de la République en marche (LREM) ou fidèles aux partis antérieurs, c’est-à-dire de gauche gouvernementale. Des élus de la liste Questions d’avenir n’ont jamais trouvé leur place dans l’analyse de dossiers ou en tant que relais des opinions archépontaines au sein du Conseil municipal. Pis, lors des élections législatives, l’adjointe à l’urbanisme et le Directeur général des services ont fait campagne pour le candidat LREM, Bruno Questel, face au maire Richard Jacquet. Bien loin d’être en rupture, il semble que ce fait ait trahi le positionnement devenu plus ouvert ‒ pour ne pas dire opportuniste ‒ du maire en matière partisane. 

L'institutionnalisation des principaux élus s’est manifestée aussi dans des actions : le passage en force sur la création d’une bande cyclable dans le cadre de la réhabilitation de la rue Roger-Bonnet, par la CASE, et sans prendre en compte l’avis des riverains ; des choix d’économies assez révélatrices comme la réduction des décorations de Noël, la fermeture de la piscine de l’Accueil de loisirs un été, la limitation du Banquet des anciens en reportant l’âge des convives de 60 à 67 ans et l’âge des récipiendaires du colis des anciens de 60 à 80 ans, le projet de fusionner avec Montaure et Tostes sans autre finalité que de prétendues économies ; la fermeture de l’accueil du public en mairie le matin...

Enfin, un autre point de rupture s’est dessiné autour de ce qui peut apparaitre comme un reniement. Nous traitons de la construction projetée de la crèche intercommunale sur un terrain municipal proche de l’entrée de l’ancienne abbaye de Bonport. C’est pourtant en partie sur l’opposition au projet de lotir ce terrain que Richard Jacquet et ses colistiers ont été élus en 2008 face à Dominique Jachimiak, maire qui avait prévu ‒ un temps ‒ d’y faire construire un supermarché. De plus, après avoir promis la valorisation du centre ville comme lieu de sociabilité, la logique consumériste domine désormais chez les élus majoritaires autour de la construction d’édifices neufs, accessibles aux voitures, et de la consommation d’espaces non bâtis. On peut adjoindre ici l’acceptation par les élus du projet ‒ privé ‒ de déplacer le centre médical des Tilleuls en haut de la rue Charles-Michels, près de la maison forestière.  

L’élément le plus sombre de ce mandat se situe au niveau des finances et de la transparence du maire envers ses concitoyens et ses propres élus. En 2018, un contrôle de la Chambre régionale des comptes a révélé quelques irrégularités (des subventions non versées comme celle allant au CDIS, c’est-à-dire à la caserne des sapeurs-pompiers). Celles-ci ont permis à certains élus de la majorité d’apprendre que le budget communal était déficitaire, en cessation de paiement, avec des factures non déclarées et en retard de plusieurs années. Il faut adjoindre à cela quelques dépenses semble-t-il indues. Ceci a été révélé par des agents et des élus entre le départ de l’ancien directeur général des services et le nouveau. Le maire a reproché aux élus lanceurs d’alertes d’avoir révélé ces informations à la population. Il leur a demandé de signer une charte de bonne conduite stipulant qu’ils devaient se taire après débats internes. Neuf élus ont été exclus du groupe Questions d’avenir ou l’ont quitté. C’est ainsi que 6 élus ont fondé une association d’opposition : Démocratie archépontaine. 

Jusqu’en 2018, la politique locale se lisait, sans les conversations et sous la plume des journalistes locaux, principalement Thomas Guilbert pour La Dépêche de Louviers, à travers l’action du maire Richard Jacquet. Depuis lors, c’est plutôt à travers les questions des membres de Démocratie archépontaine que le débat politique local s’est tenu.  

 

Affichage suivant les élections de mars 2014 (cliché Armand Launay).

Affichage suivant les élections de mars 2014 (cliché Armand Launay).

 

Les listes en lice...

 

Démocratie archépontaine…

Cette liste est née de ces deux oppositions décrites ci-dessus : celle des six élus Lanceurs d’alertes à partir de 2018 et celle d’une partie de la population qui ne se retrouve pas ‒ ou plus ‒ dans l’action du maire sortant Richard Jacquet. 

Cette liste est née d’une dynamique associative, avec une consultation citoyenne large réalisée en 2019 et ayant obtenu la réponse de 300 Archépontains. Elle représente plutôt un gage de renouvellement du personnel politique et de ses relations, ses accointances. Cependant elle comporte en elle une partie de l’équipe municipale élue entre 2001 et 2008 autour de Patrick Bellamy, qui fut adjoint au maire Dominique Jachimiak. Renouveau, expérience et/ou ancien temps. 

Cette liste se revendique du bon sens, notamment en limitant les dépenses de la commune, principalement le couteux ‒ et peut-être illusoire ‒ projet de centre culturel prévu sur la place Aristide-Briand. Elle se revendique aussi de la transparence en matière de décision et de finances. 

Mais cette liste s’est sabordée en janvier 2020. Quelques membres du bureau de Démocratie archépontaine ont reproché à leur tête de liste Angélique Chassy, première adjointe aux finances jusqu’en 2018, d’être à la fois non-malléable mais aussi fragile. À 8 semaines du premier scrutin, ce choix peut laisser perplexe : si la tête de liste ne satisfaisait pas tous les membres du bureau, pourquoi ne pas l’avoir écartée et, surtout, rétrogradée dans la liste auparavant et ce avec concertation ? Si elle était fragile, pourquoi était-elle le fer de lance de cette association ? Si elle n’était pas malléable, pourquoi s’était-elle entourée de personnes issus d’horizons divers : actuels élus, citoyens désireux de se présenter pour la première fois, anciens élus d’avant 2008 ? Deux chefs d’accusation antinomiques qui ‒ qu’on nous pardonne cette analogie ‒ comme pour Socrate, accusé d’être athée et de créer de nouveau dieux, semblent être des prétextes plus que des raisons. L’exclusion d’Angélique Chassy n’a, à ce propos, fait l’objet d’aucun vote, d’aucun débat argumentatif au sein de l’association Démocratie archépontaine et de ses colistiers. Il semble que des ambitions individuelles se soient déclarées ‒ certes tardivement ‒ bien qu’Angélique Chassy ait diplomatiquement annoncé à la population qu’elle se retirait pour une raison professionnelle. Des membres de cette association ont aussi perdu confiance envers Angélique Chassy qui aurait menacé, en décembre, de se démettre de la tête de la liste. Le manque de confiance réciproque s'est donc installé entre les colistiers. Démocratie archépontaine a d’ores-et-déjà montré une limite entre ses prétentions démocratiques et sa capacité d’écoute et de décider selon des critères de raison et non de rapports arbitraires et individualistes. Cela rappelle un étrange procédé qui eut lieu aux élections de 2001 où, entre les deux tours, la tête de liste Claude Blot fut remplacée par Dominique Jachimiak, mieux placé dans les résultats alors par tête et non par liste, et ce malgré l'avis du premier intéressé et malgré la surprise de l'électorat.   

Quid de ce sabordage donc ? Les membres du bureau de Démocratie archépontaine se surestiment-ils quand ils croient pouvoir être élus sans Angélique Chassy qui a regroupé autour d’elle de nombreux membres de Démocratie archépontaine et des sympathisants appréciant à la fois son investissement depuis 2008 et son relationnel sincère et dynamique ? Angélique Chassy est une figure qui incarnait une opposition au maire par son expérience et son absence de calcul partisan. Depuis lors, le débat public semble être de nouveau issu des initiatives du maire sortant, bien relayé par La Dépêche de Louviers.  

Si elle possède une vitalité citoyenne, Démocratie archépontaine ne se distingue pas, en apparence et sur les documents à l’attention du public, par une philosophie politique différente de celle de Questions d’avenir. Elle risque d’en payer les frais d’autant plus que de nombreux habitants préfèrent la certitude d’avoir un maire connaisseur, même s’il a failli sur des points cruciaux et qu’il s’est institutionnalisé, que des moins-connus, voire méconnus, qui tiennent un discours proche du maire, mais avec des promesses de meilleure moralité et de sobriété budgétaire. 

 

 

Bandeau de la page Facebook de la liste Démocratie archépontaine au 29 février 2020.

Bandeau de la page Facebook de la liste Démocratie archépontaine au 29 février 2020.

 

“Pont-de-l’Arche ensemble” avec le maire sortant ? 

Cette liste existait déjà en 2014 autour d’Hervé Lour, un ancien sapeur-pompier de la Ville ayant évolué depuis en grade en dehors de Pont-de-l’Arche. Pont-de-l’Arche ensemble a obtenu trois élus suite aux élections de 2014. Démissions officielles et démobilisation officieuse caractérisent ses élus sauf Hervé Lour qui est demeuré fidèle à son siège. De sensibilité de droite, ce groupe n’a pas eu de vie associative réelle durant le mandat. La vigilance et la force de proposition des élus de Pont-de-l’Arche ensemble ont été rares et faibles durant les conseils municipaux de la mandature. Plus étonnant, les votes d’Hervé Lour, ces derniers mois, ont été en accord avec ceux de Questions d’avenir. Ce comportement est d’autant plus déroutant qu’Hervé Lour a préféré rejeter les élus qui ont fait scission de Questions d’avenir à cause de la gestion défaillante et de la communication insincère du maire sortant. Il lui était pourtant possible de brandir-là la preuve du manque de rigueur et d’efficacité du maire sortant sur ces points. Au lieu d’exploiter la faille, il a préféré la minimiser et viser plutôt le challenger que le leader, à croire qu’il n’espère qu’une deuxième place. 

Il n’y a pas eu de formation de nouveaux citoyens à la politique locale durant le mandat mais l’inclusion de personnes durant les mois précédant les élections afin de dresser la liste des candidats. 

Ayant réalisé 28 % des voix en 2014 avec pour colistier un ancien maire de la ville, Dominique Jachimiak, peut-on envisager un meilleur résultat en 2020 étant donné les déçus du maire sortant ? C’est peu probable car il risque d’y avoir une dispersion des voix entre les trois listes d’opposition ainsi qu’une hausse de l’abstention. 

 

Bandeau de la page Facebook de la liste Pont-de-l'Arche ensemble au 29 février 2020.

Bandeau de la page Facebook de la liste Pont-de-l'Arche ensemble au 29 février 2020.

 

Le “Rassemblement national” peut-il être un Rassemblement local ? 

William Bertrand est un entrepreneur à la retraite, habitant Pont-de-l’Arche depuis plus de 25 ans. Son étiquette partisane ne doit pas tromper : le Rassemblement national fait sa promotion durant des scrutins locaux en vue des scrutins nationaux où ce parti glane bien plus de suffrages. Il est difficile pour ce parti, brocardé de tous côtés et ayant souvent des élus avérés malhonnêtes, de recruter pour ses listes des citoyens crédibles dans un rôle représentatif. Ne voulant pas être incisif, nous nous contentons de mesurer que la majeure partie des candidats locaux du RN prêtent leurs noms et apportent leur caution à un ensemble de revendications nationales bien plus qu’ils ne veulent ‒ et peuvent, souvent ‒ s’investir pour l’intérêt général. Le Rassemblement national pourra-t-il réunir 27 Archépontains, surtout des personnes crédibles dans cette mission ? C’est une première interrogation. Si tel était le cas, combien de suffrages pourrait-il rassembler sur son étiquette ? Un scrutin national permet au RN d’espérer de nombreuses voix à Pont-de-l’Arche, comme dans tant de communes. Marine Le Pen fit 29,33 % des suffrages exprimés au premier tour en 2017, la plaçant en tête de tous les candidats. Mais le scrutin local se décide surtout sur les noms des candidats, leur crédibilité, leur investissement dans la vie locale. Cela ne s’improvise pas et le fait que la tête de liste soit habituée aux scrutins locaux ne lui donne pas meilleure publicité qu’un investissement ‒ plein et entier ‒ dans le tissu associatif ou la vie culturelle et politique locale. 

 

William Bertrand, en haut et à l'extrême-droite du cliché, et des représentants locaux et régionaux du Rassemblement national, dans sa propriété (capture d'écran en date du 29 février 2020 de la page Facebook du RN en Normandie).

William Bertrand, en haut et à l'extrême-droite du cliché, et des représentants locaux et régionaux du Rassemblement national, dans sa propriété (capture d'écran en date du 29 février 2020 de la page Facebook du RN en Normandie).

 

La campagne de Questions d’avenir

La campagne de Questions d’avenir repose sur une expérience datant de 25 ans. Richard Jacquet fut élu avec Paulette Lecureux (PS) entre 1995 et 2001, puis opposant associatif entre 2001 et 2008, et maire depuis. Dans le privé ‒ si l’on ose dire ainsi ‒ il est “chargé de mission” à la mairie PS de Grand-Quevilly. La communication de Questions d’avenir est donc rodée et réfléchie. Les supports de communication de cette liste et de la mairie sont travaillés par le même graphiste professionnel et se situent ‒ à défaut d’être identiques ‒ dans une esthétique semblable. Ils confèrent donc un caractère officiel et professionnel à la liste de Questions d’avenir. La communication de Questions d’avenir est d’autant plus efficace que les équipes concurrentes se sont cantonnées à des documents amateurs, bricolés, ne mettant pas en lumière le contenu, voire le desservant. 

Le discours de Questions d’avenir repose sur l’argument ex-cathedra, c’’est-à-dire celui du maire qui parle depuis son siège. C’est lui qui a choisi ses colistiers et non un groupe de citoyens actifs réunis en association. La vie associative de Questions d’avenir a été quasi-inexistante durant le mandat. La vitalité de l’équipe majoritaire, nous l’avons montré, a surtout résidé dans les heurts nés de la division du groupe entre partisans de LREM et de la gauche gouvernementale et entre ceux qui admettaient de se taire sur le déficit budgétaire de la commune et la volonté du maire de la cacher aux administrés. Le maire a commencé à réanimer le groupe de Questions d’avenir durant l’été 2019 autour d’élus minoritaires ‒ étant donné les défections, les abandons et les exclusions ‒ qui ont continué à le suivre. Puis, il s’est adjoint des personnes motivées et impliquées dans la vie publique, notamment un transfuge de Démocratie archépontaine ayant repris l’idée de Conseil consultatif de citoyens, sous un autre nom. Ce sont donc des personnes nouvelles mais ayant déjà admis de siéger autour d’un chef et d’un débat encadré. 

Le programme est bien travaillé et relayé, au moins dans la forme, par les personnes pressenties pour être adjointes : nature, sérieux budgétaire, intercommunalité, emploi, bienêtre des habitants, écoute des citoyens. Ce sont les promesses attendues de citoyens bienveillants et positifs ; des promesses attendues chez toutes les listes si bien qu’il est difficile de les départager à l’aune des promesses. Le programme de Questions d’avenir comporte toujours le projet de centre culturel. Pourtant c’est un dossier qui parait irréaliste tant les finances de la Ville sont faibles ‒ quoique tout juste équilibrées en 2020 ‒ le maire répétant à l’envi que l’État se désengage des dotations aux collectivités territoriales. Ce dernier propos étant juste, on imagine mal comment la Ville trouverait un budget de fonctionnement permettant d’ouvrir et animer un centre culturel (budget évalué à 200 000 € supplémentaires par an). Une intercommunalisation de services et la vente de bâtiments communaux ne parait pas équilibrer financièrement ce projet. Une hausse des impôts locaux, plus forte que celle votée en 2015 par l’équipe de Questions d’avenir, parait donc nécessaire à ce projet, même si elle n’est pas mise en évidence dans les programmes. Quand bien même, puisque la baisse des dotations d’État grève de plus en plus le budget archépontain, entre autres, aucune équipe d'élus ne pourra se permettre de maintenir les taux d’impositions.

Bandeau de la page Facebook de la liste Questions d'avenir au 29 février 2020.

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Y aura-t-il un second tour ? 

C’est probable, mais pas certain. Qu’il y ait une érosion de la liste de Questions d’avenir et de son meneur Richard Jacquet est une évidence. Malgré la prime au maire sortant et les voix des familles et proches des nouveaux candidats, il y aura une perte de voix par rapport à 2014 et ses 71,92 %. Mais la liste de Démocratie archépontaine s’est sabordée 8 semaines avant le scrutin et a perdu une partie de sa crédibilité et des soutiens d’Angélique Chassy. La liste d’Hervé Lour a-t-elle apporté une vitalité ou un débat éclairant sur la vie politique municipale ces dernières années ? Le RN saura-t-il monter une liste crédible et, quand bien même, un scrutin municipal n’est pas le lieu ou le moment de l’expression de ce type de votes protestant contre des actions politiques nationales et internationales (souverainisme, immigration, antiparlementarisme...). 

Chance est donnée au maire sortant et sa liste d’être en tête devant deux listes récupérant les voix des déçus. Il ne serait pas étonnant que 50 %, et plus, des suffrages exprimés se portent sur Questions d’avenir, dans quel cas le second tour n’aurait pas lieu. Démocratie archépontaine et Pont-de-l’Arche ensemble auraient donc leurs groupes d’élus. 

L’abstention augmentera traduisant, d’une part, le désaveu national du peuple dans des élites déconnectées de ce qui fait l’intérêt général et, d’autre part, le fait que des électeurs attendaient la candidature d’Angélique Chassy ou ne voient pas de liste convaincante. 

 

Enfin, notre tableau est peu réjouissant et peut démotiver au vote. Ce n’en est pas l’objectif mais il nous a semblé intolérable de cacher la réalité. L’écueil politique local se trouve, à notre sens, dans le fait que c’est essentiellement tous les 6 ans que les habitants sont sollicités et, pour certains, s’intéressent à la vie municipale et locale. lls n’en connaissent que le relief et laissent le champ libre aux élus. Il conviendrait que chacun s’investisse régulièrement, ne serait-ce qu’en se tenant au courant et en sollicitant ses élus, afin que la démocratie représentative ne soit pas que la représentation d’une partie des citoyens et d’un clientélisme de ceux-ci auprès des autres. 

 

 

 

 

 

Ajout du 12 mars 2020 :

 

Liste des candidats de Démocratie archépontaine :

Patrick Bellamy, Myriam Rasse, Laurent Montlaurd, Marion Steer, Christophe Otero, Anita Hervieux, Guy Cottrez, Mélanie Hamon, Sébastien Da Costa, Sandrine Dolla, Olivier Molho, Karine Demarest, François Hagen, Charlotte Ricouard, Michel Lacombe, Sandrine Vandensteen, Éric Barillé, Sophie Rabl, Stéphane Bréham, Géraldine Sublet, Fabrice Fuzeau, Marlène Schneider, Romain Boitelle, Estelle Duriez, Geoffroy Bosquillon de Jenlis, Nicole Cliville, Gérard Demarest.

 

Liste des candidats de Pont-de-l’Arche ensemble :

Sébastien Berrenger, François Biquillon, Rodolphe Cariou, Mélanie Carré, Midried Charpentier, Marie-José Gonord, Hervé Dehame, Marc-Antoine Deloire, Sigrid Demon, Angélique Duhamel, Véronique Fort, Béatrice Galliot, Roland Garreau, Adrien Henry, Chantal Infray, René Infray, Jérémy Jacob, Déborah Lair, Marc Lévy, François Loison, Valérie Louchel, Hervé Lour, Maria Mendes de Brito, Reynald Mentré, Julie Morisse, Françoise Picard, Jean-François Roussel.

Liste des candidats du Rassemblement national

William Bertrand, Sylviane Defresne, Sylvain Forfait, Claudine Lefevre, Patrick Leroy, Jeanne Leroy, Yannick Leroy, Mylène Lémery, Philippe Devillers, Laëtitia Flambard, Pascal Renard, Muriel Brunet, Jérôme Libercé, Danièle Launay, Sylvain Flambart, Katia Boucher, Pierre Calle, Evelyne Damesne, Jacky Desmonts, Reine Guérin, Jean-Pierre Lendormy, Jocelyne Deshais, Pierre Dffacis, Hélène Girard, Louis Boulnois, Adrienne Lesueur, Patrice Jacquot.

 

Liste des candidats de Questions d’avenir : 

Mourad Afif-Hassani, Danielle Bertre, Karine Botté, Daniel Breiner, Arnaud Damien, Maryvonne Davot, Anne-sophie de Besses, Nadine Deschamps, Manuella Ferreira, Pascal Ferreira, Ludovic Guiot, Carole Hervagault, Monique Infray, Richard Jacquet, Marie-Claude Lauret, Anthony Le Pennec, Corentin Lecomte, Hélène Lepresle, Majo Maire, Pascal Marie, Philippe Mauger, Albert Naniyoula, Aurélie Philippe, Mikaël Polard, Jessica Pousset, Léon Taisne, Cédric Viguerard.

 

 

Armand Launay

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18 août 2018 6 18 /08 /août /2018 19:08

 

Nos recherches sur l’histoire de Pont-de-l’Arche et des Damps nous ont donné le plaisir de faire la connaissance de nombreux anciens de Pont-de-l’Arche et des Damps. Parmi eux, nous avons discuté à plusieurs reprises avec Jacques Duretz, surtout en 2010. Collectionneur de cartes postales sur Pont-de-l’Arche et copain de mon père ‒ ancien facteur des Damps ‒ la porte était grande ouverte et les discussions n’en finissaient pas autour de l’histoire, principalement. Dans une ambiance familiale, rue du Val des Damps, avec sa femme et son fils, Thierry, nous coulions du temps et des verres bien agréables...

Jacques, d’un âge bien mûr et peinant à arquer, avait le rire fort et l’humour bien taquin. Un des sujets qui faisaient le mieux voir en lui la flamme de l’homme passionné ‒ celle du jeune homme ‒ était un des anciens métiers de son père Marceau Duretz : réparateur de péniches au chantier naval de Limaie, commune d’Igoville.

Ce chantier était situé dans l’entrée de l’ancienne écluse de Limaie, celle qui avait été bâtie sur ordre de Napoléon et inaugurée en 1813 avant de tomber en désuétude avec la chute de l’ancien pont de bois en 1856. Une entreprise avait bâti un immense local au-dessus d’une partie de l’écluse ; local permettant la réparation des péniches dans d’une période où la navigation fluviale était dense entre Paris et Le Havre.   

Jacques était fier de m’apprendre qu’il était né en 1928 dans une des maisonnettes du quai de Verdun (n° 3 ou 5). Ces maisonnettes furent construites vers 1900 à en voir le type de briques et leur assemblage et d’après ce que montrent les cartes postales des années 1910. Jacques m’apprit que ces maisonnettes furent bâties pour servir de logements aux employés Sénécaux. Les maisons de la zone du Fort (Limaie, à l’endroit de la station de lavage des voitures) avaient aussi été bâties pour les employés de Sénécaux.  

Il semble que Sénécaux désigne le nom du fondateur de l’entreprise de réparation de péniches. Jacques avança que les directeurs de Sénécaux furent Louis Lossignol puis Monsieur Serre, dernier directeur. M. Lossignol habitait la grande demeure au-dessus des maisonnettes ouvrières (la maison de feu le docteur Fernand Attal). Celle-ci furent donc bâties juste à côté de sa propriété. Elles sont une propriété de la Ville de Pont-de-l’Arche depuis 2009 où le projet était de mettre en valeur les remparts.

Jacques se rappelait avoir entendu que trois péniches avaient été coulées en face des chantiers Sénécaux pour rassembler les iles et séparer l’Eure de la Seine. Ceci dans le cadre des travaux de canalisation de la Seine et de prolongement du cours de l’Eure des Damps jusqu’à Martot.  

Souvenir de guerre, “le pont de bois construit pour les Allemands lors de l’hiver 1940 a été fait avec des péniches des chantiers Sénécaux. Le charbon que certaines péniches portaient a été déversé devant le port des Damps. Les Dampsois ont dragué les berges pendant quelques temps pour le récupérer, l’utiliser ou le revendre…” et Jacques de me montrer, à l’appui de ses dires, un de ces charbons de bois qu’il me donna.  

 

Puis, grande fierté chez mon interlocuteur, Marceau Duretz “et des employés de chez Sénécaux coulèrent des péniches Sénécaux pour ralentir la fuite des Allemands”. Marceau “fit partie du Conseil d’administration mis en place par la Résistance” en lieu et place de l’ancienne municipalité de Raoul Sergent.

 

Un document retrouvé sur le Net, une attestation de remise de somme contre la vente d’un camion, nous apprend qu’en 1956 le chantier Sénécaux était possédé par une entreprise parisienne : la Société générale de transports (SGT) ; un nom qui fleure bon la batellerie ! Ce document rappelle que la société Sénécaux avait pour raison sociale “Sénécaux, Patin et Delquigny”, c’est-à-dire exactement ce que l’avers d’une photographie de Jacques nous avait appris. Comme quoi, quand la passion est là, la mémoire ne flanche pas. Jacques, qui habitait juste en face des chantiers, de l'autre côté de la Seine, nous a quittés en 2013 avec, peu après lui, sa femme et son fils.

Nous l’avions pris en photographie sur le marché de Pont-de-l’Arche un matin de beau soleil ; un beau soleil qui me revient à l’esprit quand je songe à eux et à beaucoup d’autres...

 

 

Carte postale des années 1960 montrant les péniches devant le bâtiment principal du chantier Sénécaux (démoli depuis).

Carte postale des années 1960 montrant les péniches devant le bâtiment principal du chantier Sénécaux (démoli depuis).

Détail d'une carte des années 1950 indiquant la présence du chantier de construction (Géoportail).

Détail d'une carte des années 1950 indiquant la présence du chantier de construction (Géoportail).

Les maisonnettes du quai de Verdu où naquit Jacques Duretz en 1928. Elles servirent de logements pour les ouvriers de Sénécaux (clichés Armand Launay, 2006).
Les maisonnettes du quai de Verdu où naquit Jacques Duretz en 1928. Elles servirent de logements pour les ouvriers de Sénécaux (clichés Armand Launay, 2006).

Les maisonnettes du quai de Verdu où naquit Jacques Duretz en 1928. Elles servirent de logements pour les ouvriers de Sénécaux (clichés Armand Launay, 2006).

Carte postale des années 1910 attestant de l'existence des maisonnettes qui nous intéressent ici, quai de Verdun.

Carte postale des années 1910 attestant de l'existence des maisonnettes qui nous intéressent ici, quai de Verdun.

Maisons de Limaie, zone du Fort, entièrement rasées à la Libération à cause de dommages de guerre. Elles servirent aussi de logements aux ouvriers de Sénécaux selon Jacques Duretz.

Maisons de Limaie, zone du Fort, entièrement rasées à la Libération à cause de dommages de guerre. Elles servirent aussi de logements aux ouvriers de Sénécaux selon Jacques Duretz.

Photographie d'équipe des ouvriers de chez Sénécaux (photographie de Jacques Duretz).

Photographie d'équipe des ouvriers de chez Sénécaux (photographie de Jacques Duretz).

Photographie d'équipe des ouvriers de chez Sénécaux, avec noms (photographie de Jacques Duretz).

Photographie d'équipe des ouvriers de chez Sénécaux, avec noms (photographie de Jacques Duretz).

Vestiges des bâtiments mineurs du chantier. Salut Edouard, Jean-Pierre et Jacques ! (clichés Armand Launay, 2010).
Vestiges des bâtiments mineurs du chantier. Salut Edouard, Jean-Pierre et Jacques ! (clichés Armand Launay, 2010).

Vestiges des bâtiments mineurs du chantier. Salut Edouard, Jean-Pierre et Jacques ! (clichés Armand Launay, 2010).

Document de 1956 où l'on apprend que le chantier Sénécaux a été racheté par la Société générale de transports, siégeant à Paris.

Document de 1956 où l'on apprend que le chantier Sénécaux a été racheté par la Société générale de transports, siégeant à Paris.

Jacques Duretz durant ses emplettes au marché de Pont-de-l'Arche : le jeune homme en bas à gauche, regardant l'objectif (cliché Armand Launay, 2010).

Jacques Duretz durant ses emplettes au marché de Pont-de-l'Arche : le jeune homme en bas à gauche, regardant l'objectif (cliché Armand Launay, 2010).

Armand Launay

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17 août 2018 5 17 /08 /août /2018 14:00

 

“Je vous écris une longue lettre parce que je n’ai pas le temps de vous en écrire une courte.”

Blaise PASCAL

 

Sortie de l'usine de Paul Nion (à gauche) dans les années 1930 et sortie de l'usine Marco en 2008 durant la campagne des élections municipales (cliché Armand Launay).Sortie de l'usine de Paul Nion (à gauche) dans les années 1930 et sortie de l'usine Marco en 2008 durant la campagne des élections municipales (cliché Armand Launay).

Sortie de l'usine de Paul Nion (à gauche) dans les années 1930 et sortie de l'usine Marco en 2008 durant la campagne des élections municipales (cliché Armand Launay).

 

Quel contraste entre une sortie des usines en 1950 et en 2018 ! En 1950 les piétons empêchaient la maigre circulation automobile alors qu’aujourd’hui les quelques ouvriers doivent être protégés des voitures par des peintures au sol, un ralentisseur et une signalisation...

En effet, les activités économiques évoluent vite et nous les prenons ici comme simple prisme permettant d’interroger les rapports des habitants entre eux et avec leur environnement direct (nature, espace). Cet article a pour finalité de dresser un tableau général des activités et des rapports induits par les activités économiques et ce depuis la naissance de la ville en 862 jusqu’à nos jours. Il s’agit de caractériser des périodes afin de se repérer mentalement. Malgré la longueur de cet article, il n’est pas question de faire une analyse profonde et exhaustive de chaque activité. Pour approfondir, nous nous permettrons de renvoyer vers nos études traitant déjà d’économie et de vie locales (le drap, la chaussure, la halle, les loisirs…).

Nous traitons ici d’économie que nous définissons comme la gestion des biens domestiques (une propriété). Par extension, l’économie désigne la gestion des biens par un groupe humain, c’est-à-dire plusieurs familles travaillant et pratiquant des échanges. Nous bornons ici notre analyse aux limites de la commune actuelle de Pont-de-l’Arche. Quant à la sociabilité, elle désigne la capacité d'un individu ou d'un groupe d'individus à évoluer en société et à s’adapter à de nouveaux réseaux sociaux. Par extension, elle désigne le caractère des relations entre personnes au sein d'un groupe choisi selon son âge, sa culture, sa répartition géographique, son genre…).

Notre sujet pose un problème central : est-il possible de déterminer le ou les moteurs d’une économie archépontaine, selon les époques, et d’en déduire l’impact sur la sociabilité ?

Pour cela nous allons proposer comme hypothèse que l’on peut définir trois périodes : la première court de la fin du IXe siècle au milieu du XIXe siècle où Pont-de-l’Arche s’activa suite à la décision du roi d’y établir et maintenir un pouvoir militaire et administratif. La deuxième période court du début du XIXe siècle aux années 1950 où la ville connut un essor industriel grâce à la commercialisation du chausson puis de la chaussure. La troisième période court toujours (mais que fait la police ?) où les industries se raréfient et les pouvoirs publics prennent de l’importance en tentant de pallier les délocalisations d’entreprises et la déstabilisation de la sociabilité.

 

Marque de la présence royale, le bailliage (bâtiment de 1780), ici derrière les remparts en 2006 (cliché Armand Launay).

Marque de la présence royale, le bailliage (bâtiment de 1780), ici derrière les remparts en 2006 (cliché Armand Launay).

1. 862-1856 : la cité du roi, pôle militaire et administratif.

1.1. La ville fortifiée du roi : pôle militaire et administratif régional.

Avant la naissance de Pont-de-l’Arche en 862 existaient quelques fermes éparses, blotties dans les vallons en eau. Le paysage devait ressembler à un bocage près de la Seine et la forêt devait être percées de petites clairières exploitées comme nous l’avons étudié à la recherche de Saint-Martin de Maresdans. En 862 Charles le Chauve décida de bâtir un pont sur la Seine afin d’empêcher ou, plus modestement, de ralentir les pirates normands ; ceci afin de préparer la défense de grandes villes du royaume franc tels que Beauvais, Paris, Chartres. Le pont fut bâti à Pont-de-l’Arche, alors appelé Les Damps. Deux forts protégeaient ses entrées. L’un devint le fort de Limaie qui resta jusqu’en 1782 un châtelet avec garnison. L’autre devint la ville fortifiée qui nous intéresse sur la rive gauche de la Seine.

La suite de l’histoire est connue : les Normands vainquirent. En 911 le roi fit de Rollon un duc censé soumettre et pacifier la Normandie tout en reconnaissant le pouvoir royal. Dans la réalité, la Normandie échappa au contrôle royal jusqu’en 1204. Fait rare, Richard Cœur de Lion, roi d’Angleterre et et duc de Normandie, et où Philippe II Auguste, s’entendirent en 1189 pour bâtir une abbaye en signe de paix avant de partir tous deux en croisade. Cette abbaye fut bâtie à Pont-de-l’Arche : il s’agit de Notre-Dame de Bonport. En 1204, Philippe Auguste chassa Jean sans Terre et fit de Pont-de-l’Arche sa principale résidence normande. En effet, cette ville était doublement fortifiée ‒ donc sûre ‒ et assez proche de Rouen et de son peuple suspect aux yeux du roi. C’est ainsi que Philippe Auguste fit rehausser les fortifications de la ville et de Limaie et y maintint une garnison ainsi qu’un gouverneur chargé de police intérieur sur la région d’Elbeuf à Louviers. Le roi y structura une vicomté. Celle-ci devint un bailliage secondaire de Rouen (une sorte de sous-préfecture) regroupant le tribunal d’instance, l’élection (les impôts), le grenier à sel et les eaux et forêts.

 

1.2. Une exploitation accrue des richesses locales.

Il résulte de ce choix royal que la démographie de Pont-de-l’Arche crut, d’une part grâce à une garnison et d’autre part grâce à plusieurs dizaines de familles nobles ‒ plus aisées ‒ ainsi que leurs serviteurs. La démographie de Pont-de-l’Arche est rapidement devenue plus importante que celle des villages avoisinants. Pont-de-l’Arche était le lieu d’exploitation de richesses naturelles.

Les pêcheurs y étaient nombreux qui ont bâti, bien plus tard à la Renaissance, de petites maisons à pans de bois sous le rempart le long de la Seine. Certains pêchaient avec des nasses et des filets disposés entre les piles du pont.

Outre les cultures vivrières sous forme de jardins potagers et de vergers autour de la ville, quelques fermes existaient aux abords de la ville. Citons la ferme de la Borde (celle qui borde la forêt), celle du Bon-air et celle des moines et frères converts de Bonport et, sûrement, celle située à la porte Saint-Jean, c’est-à-dire en face de la porte de Crosne. De l’élevage n’est pas à exclure, surtout en forêt de Bord (vaches, cochons), afin d’alimenter les particuliers et les bouchers de la ville offrant une viande plus variée que celle des poulaillers des basses-cours en ville (seulement interdits au début du XVIe siècle). En forêt aussi, les Archépontains trouvaient quelques fruits ainsi que le bois mort afin de se chauffer et de cuire leurs aliments. Les biens communaux devaient aussi se trouver en forêt sans que nous n’ayons pu les localiser expressément.

La roche calcaire et siliceuse a permis d’ouvrir des carrières, notamment une située près de l’actuelle rue de l’Abbaye-sans-toile, comme le cite une charte publiée par Léopold Delisle. Une simple inspection du coteau de Seine, à Pont-de-l’Arche, démontre que la roche a été exploitée. C’est ce que montre la pente rude ‒ mais brève ‒ entre l’ancienne abbaye de Bonport et l’ancien fossé de la tour de Crosne, au pied de laquelle se trouvait un chaufournier (près de la “sente des Plâtriers”, tiens donc !). Le plan cadastral désigne aussi l'espace à l'Est de Pont-de-l'Arche sous le nom de "la carrière". La rue Henry-Prieur se nommait "chemin de la Carrière". C’est aussi ce que montre le coteau vers Les Damps, autre lieu ou la roche a été largement exploitée à ciel ouvert et, plus encore, par des galeries souterraines courant vers la forêt. Dans la forêt se trouvent aussi des dépressions de terrain témoignant de l’exploitation de la roche, notamment près du coude du chemin de la Borde. Après tout, quoi de plus normal autour d’une ville fortifiée et d’une abbaye cistercienne ?

Une activité portuaire a existé, de part et d’autre de l’ancien pont : en aval sur la Petite-chaussée (actuel nom de rue) et le départ du quai Foch et en amont sur le quai de la grande chaussée, actuel quai de Verdun. Cet espace était chaussé ‒ chose notable car rare ‒ de manière à stabiliser les berges et à faire transiter plus aisément charrettes et marchandises venues des berges avoisinantes. Des mariniers y exerçaient ainsi que des pêcheurs amenant dans la ville des poissons et des marchands apportant des denrées lourdes telles que des tonneaux de saumures et de vin, par exemple. Le grenier à sel devait être fourni par la même voie. Il semble même que la cave de l’hôtel-Dieu fût reliée à la Petite-chaussée par un souterrain encore visible dans les années 1980 au fond de la Salle d’Armes. Quelques grumes de la forêt de Bord ont transité par les quais archépontains. Ceux-ci sont attestés par des archives et nous n’en citerons ici qu’une, déjà analysée dans notre article sur la forêt de Bord (voir “Activités anciennes ‒ La coupe du bois”). Cette archive nous est fournie par l’historien Jean Boissière dans un article intitulé « Les forêts de la vallée de la Seine entre Paris et Rouen d’après l’enquête de 1714 » (Les Annales du Mantois, 1979). Cette étude se fonde sur le procès verbal d’Hector Bonnet chargé par l’hôtel de Ville de Paris de comprendre pourquoi le bois ne parvenait pas en quantité suffisante dans une période de disette de combustible. Cet homme voyagea de Paris à Rouen du 27 septembre au 18 octobre 1714. Il résida à Pont-de-l'Arche du 10 au 15 octobre. Il cita la “vente de Cocaigne”, c’est-à-dire la Cocagne, espace boisé au-dessus de la ferme de la Borde ainsi que le “port du pont de l'arche sur lequel nous aurions trouvé le nommé garde dud. port”. Dans ce port se trouve du bois provenant de la forêt de Louviers (près de la mare Glaïoleuse) et de la vallée de l’Andelle. Hector Bonnet cite aussi les ports de Bonport et des Damps. Les ventes et transports réalisés en ce lieu se produisaient donc sous le contrôle direct des agents des Eaux et forêts sis au bailliage de la ville. Où se trouvaient les ports archépontains ? Celui de Bonport devait se situer en contrebas de Saint-Martin de Maresdans, c’est-à-dire, de nos jours, La Plaine-de-Bonport, comme nous l’avons déjà étudié. Quant à celui dit de Pont-de-l’Arche, nous le verrions en contrebas du Val des Damps, entre la Cocagne et la Seine.

Cette célèbre vue sur le pont aux moulins de Pont-de-l’Arche est une lithographie de Charpentier réalisée d'après le dessin de Félix Benoist. Elle fut éditée dans un magnifique ouvrage :   La Normandie illustrée : monuments, sites et costumes.../ dessinés d'après nature par Félix Benoist et lithographiés par les premiers artistes de Paris, les costumes dessinés et lithographiés par François-Hippolyte Lalaisse,... ; texte par M. Raymond Bordeaux et Amélie Bosquet, sous la direction de M. André Pottier,... pour la Haute-Normandie…, Nantes : Charpentier père, fils et Cie, 1852, 2 volumes. On y voit un moulin, les filets et casiers de pêcheurs, un marinier et le quai de la Petite-chaussée.

Cette célèbre vue sur le pont aux moulins de Pont-de-l’Arche est une lithographie de Charpentier réalisée d'après le dessin de Félix Benoist. Elle fut éditée dans un magnifique ouvrage : La Normandie illustrée : monuments, sites et costumes.../ dessinés d'après nature par Félix Benoist et lithographiés par les premiers artistes de Paris, les costumes dessinés et lithographiés par François-Hippolyte Lalaisse,... ; texte par M. Raymond Bordeaux et Amélie Bosquet, sous la direction de M. André Pottier,... pour la Haute-Normandie…, Nantes : Charpentier père, fils et Cie, 1852, 2 volumes. On y voit un moulin, les filets et casiers de pêcheurs, un marinier et le quai de la Petite-chaussée.

Le pont de la ville était doté de trois moulins, au moins à partir de 1020, qui ont écrasé la céréale et, un temps seulement, ont battu monnaie. Les moulins n’étaient pas rares dans la région, mais ceux de notre cité ont nécessairement attiré dans la ville une population agricole nombreuse alentour, surtout à côté de la halle locale. Les droits perçus par leurs propriétaires ont été une source de revenu supplémentaire pour quelques privilégiés.

La production archépontaine ne suffit pas à nourrir la hausse démographique. Il fallut importer dans la cité des aliments et autres produits en plus grand nombre ; d’où la création de la halle et du marché dominical. Cette création ne dut poser aucun problème puisqu’elle était la prérogative du roi et Pont-de-l’Arche était une cité royale. Si nous n’avons pas retrouvé de documents attestant l’existence de la halle, il est possible de déduire qu’elle existait au début du XIIIe siècle grâce à son emplacement comme nous l’avons étudié dans un article y consacré. Avec son marché et sa halle, la cité archépontaine est devenue un pôle local en matière d’échanges. La halle permettait de pacifier les échanges en se mettant d’accord sur les poids et mesures et offrait au pouvoir un moyen de contrôle sur la vente de produits en même temps que des taxes diverses.

Il est indubitable que le marché ait favorisé l’implantation de commerces permanents aux abords de la place du marché et de la halle, les fournisseurs y venant tous les dimanches, y ayant des contacts mais ratant les nombreux acheteurs passant dans la ville le reste de la semaine.

 

1.3. Une cité-étape régionale.

Le pont désiré par le roi et ses successeurs formait un barrage artificiel sur la Seine entre les pertuis de Poses et de Saint-Aubin-les-Elbeuf. Ce barrage donna de l’importance au bourg. En effet, le pont perturbait le passage de l’eau de Seine et créait une cataracte d’un demi-mètre. C’était suffisant pour nécessiter un effort humain afin de faire monter les bateaux d’amont en aval. Il s’agit du montage dont témoigne un vitrail de 1605 dans l’église Notre-Dame-des-arts. Un maitre de pont et ses aides étaient nommés officiellement par le roi afin de s’assurer de la réussite technique du montage (ni le pont ni les bateaux né devaient être endommagés) et de percevoir les taxes. Des monteurs (haleurs spécialisés dans le montage) travaillaient auprès de bateaux à faible tirant d’eau du côté de la ville ; d’autres, plus nombreux, œuvraient du côté du fort de Limaie au service de bateaux à plus fort tirant d’eau. Plusieurs centaines de personnes, et quelques courbes de chevaux, étaient nécessaires pour les plus grands bateaux. Ce secteur d’activité offrait donc du travail à plusieurs dizaines de personnes, jusqu’à 200. C’étaient des métiers journaliers, faiblement rémunérés. Le revenu du montage revenait à l’entretien de la garnison de Limaie et à l’entretien de l’église paroissiale.

Pont-de-l'Arche, à la fois barrage et passage sur la Seine, était une importante cité-étape entre Paris et Rouen. Ici la vue de Claude Chastillon à des fins de présentation militaire (XVIIIe siècle).

Pont-de-l'Arche, à la fois barrage et passage sur la Seine, était une importante cité-étape entre Paris et Rouen. Ici la vue de Claude Chastillon à des fins de présentation militaire (XVIIIe siècle).

 

Pont-de-l’Arche était aussi le lieu d’étape de la malle-poste et de multiples voyageurs terrestres. Bien que la route du Vexin (Pontoise-Rouen) présentât moins d’obstacles, tels que le franchissement de la Seine, le chemin entre Paris et Rouen était très usité qui traversait Vernon et Pont-de-l’Arche. De nombreux voyageurs s’arrêtaient à Pont-de-l’Arche afin de bénéficier, dans une ville protégée par un couvre-feu, de la restauration, de l’hôtellerie, des écuries, des fêtes, des lieux de prière, des artisans notamment les cordonniers… Comme nous l’avons vu plus haut, le pont de la ville formait un obstacle sur la Seine. Les voyageurs et les haleurs tirant les bateaux le long des berges dans le sens aval-amont faisaient étape quand la nuit les fixait sur place ou quand le maitre de pont avait décidé de reporter au lendemain le montage. Sauf ceux qui dormaient dans les bateaux, les autres devaient recourir aux auberges de la ville. Nous avons eu l’occasion de traiter l’une d’entre elles, sur la place Hyacinthe-Langlois ; celle du panneau sculpté.  

Pont-de-l’Arche était au milieu d’un carrefour routier et fluvial. Il n’est pas étonnant qu’une partie des Archépontains travaillaient au service des voyageurs. De même, ces voyageurs renforçaient la “clientèle” des artisans et commerçants locaux non spécialisés dans l’accueil des voyageurs.

 

La composition professionnelle de la société archépontaine vers 1789

 

Bénédicte Delaune, licenciée ès Lettres, soutint en 1992 un excellent mémoire de maitrise et ce sous la direction de Claude Mazauric. Il s’intitule : Pont-de-l’Arche, population, pouvoirs municipaux et société de la fin du XVIIIe siècle et pendant la Révolution.

L’étudiante a analysé l’état civil et les documents suivants : la capitation de 1788, la contribution foncière de 1791, la liste des patentes de l’an VI (1797-1798) et la liste des votants de l’an IX (1800-1801). Elle en a déduit (page 81) que l’artisanat et le commerce étaient le “noyau de la société archépontaine” avec 39 % des capitations payées en 1788 et 47 % des votants de l’an IX. Parmi les artisans, le secteur du cuir (surtout les cordonniers), puis du bois (surtout les sabotiers et les menuisiers) dominaient. On se perdrait ensuite dans une débauche de phrases en quête de détails. Nous préférons reproduire le tableau II du mémoire de Bénédicte Delaune qui donne le meilleur aperçu de la nature et de la répartition des métiers en 1788.    

 

 

 

 Tableau II du mémoire de Bénédicte Delaune qui donne un aperçu de la nature et de la répartition des métiers en 1788.
 Tableau II du mémoire de Bénédicte Delaune qui donne un aperçu de la nature et de la répartition des métiers en 1788.

Tableau II du mémoire de Bénédicte Delaune qui donne un aperçu de la nature et de la répartition des métiers en 1788.

Il résulte de cette première partie que la ville de Pont-de-l’Arche est devenue un pôle local de services artisanaux et commerciaux de manière à satisfaire une population en partie composée de nobles et de militaires présents par décision royale. De là, une halle et un marché ont attiré nombre de producteurs et de consommateurs dans la ville. Le pont barrant la Seine et reliant les rives du fleuve, la ville était un lieu de passage nécessaire et une étape pour les voyageurs devant se reposer ; de quoi renforcer l’offre de services. Ceci laisse imaginer que le centre-ville regorgeait d’activités et d’échanges entre habitants et ce dans un espace réduit à l’intérieur des fortifications. Nous pouvons imaginer des conditions de vie frugales pour la majeure partie de la population pour qui la solidarité était nécessaire à la fourniture du minimum vital.

 

2. 1856-1955 : fort déclin avant que Pont-de-l’Arche devienne un pôle industriel français de la chaussure.

2.1. La perte des privilèges royaux et l’abandon de la ville par l’État.

Durant la Renaissance, les fortifications archépontaines perdirent leur intérêt. Elles ne servirent plus à lutter contre l’ennemi extérieur comme lors de la Guerre de Cent-ans. Elles tombèrent même entre les mains de nobles frondeurs en 1650 (le duc de Longueville). En 1782, suite à la demande de la municipalité, l’intendant de Normandie Louis Thiroux de Crosne autorisa la démolition du fort de Limaie et le démantèlement des fortifications de la ville. Les fossés furent en partie comblés et des boulevards plantés de tilleuls furent créés. Nous ne voyons pas d’impact notable sur l’économie de la ville hormis le départ de quelques hommes de garnison.

L’Assemblée nationale constituante fit perdre à Pont-de-l’Arche beaucoup de son importance administrative. En effet, en 1790, dans le cadre de la réforme instituant les communes et les départements, les députés réorganisèrent la carte juridique et militaire. Le bailliage de Pont-de-l’Arche ferma avec ses quatre tribunaux. La ville avait déjà perdu, à une date qui nous échappe, son gouvernement, c’est-à-dire la direction militaire. Ce sont les villes d’Elbeuf et, surtout, de Louviers qui accueillirent ces prérogatives. La ville perdit donc une large partie de sa classe aisée.  

En 1813 Napoléon inaugura une écluse qui améliora la navigation fluviale mais qui ôta du travail au maitre de pont, ses aides et surtout les dizaines de journaliers qui vivaient du montage. Ceci était volontaire car, durant les famines de la période révolutionnaire, des Archépontains avaient saisi du grain destiné à pacifier les parisiens qui faisaient pression sur le cours de la Révolution à Paris. Pour assoir son pouvoir Napoléon a écarté le danger de rébellion des monteurs. La motorisation et la chute du pont de bois en 1856 achevèrent d’ôter tout rôle d’étape fluviale à la ville en engendrant la fin de l’écluse. En 1840, le nouveau chemin de fer entre Paris et Rouen fit de Pont-de-l’Arche une halte secondaire du réseau mais rapprocha notre cité des grandes villes (Paris était à 4:00). L’ouverture de la ligne Pont-de-l’Arche-Gisors (1868) n’accrut pas considérablement l’importance de la ville mais surtout du trafic de la gare de Pont-de-l’Arche-Alizay. En 1857, la halle fut démolie : son cout n’était semble-t-il plus compensé par les gains réalisés auprès des exposants venus de la région pour y vendre leurs produits.

La ville de Pont-de-l’Arche connaissait donc une période particulièrement pauvre et où sa population était tentée par un exode : 1639 personnes y résidaient en 1793 alors qu’il n’en restait que 1483 en 1831 (Wikipédia).

La couture du chausson de lisière dans les ruelles archépontaines par Ernest Baillet (1886, archives de l'Eure). Ici une chaussonnière sur le degré d'une maison de la rue Abbaye-sans-toile.

La couture du chausson de lisière dans les ruelles archépontaines par Ernest Baillet (1886, archives de l'Eure). Ici une chaussonnière sur le degré d'une maison de la rue Abbaye-sans-toile.

 

2.2. La commercialisation du chausson ou l’arrivée du capitalisme

Comme nous l’avons retracé dans notre ouvrage : Pont-de-l’Arche, cité de la chaussure, notre cité est entrée dans l’ère du capitalisme par un savoir-faire local : le chausson. Les cordonniers étaient très nombreux dans la ville (25 pour 1700 habitants en 1788), sûrement en lien avec l’usure des souliers quand le montage des bateaux existait encore. Un commerçant de Saint-Pierre-du-Vauvray, Jean-Baptiste Labelle (1775-1839), commença à vendre des chaussons de lisière. Il s’agissait d’une semelle de cuir cousue sous un tressage de bouts de tissus. Ces derniers étaient des chutes issues de la découpe des bords des draps ; ceci afin que les lisières des draps soient bien droites avant ourlet. Vendant très bien ce produit dans les marchés de Normandie, Jean-Baptiste Labelle vint s’approvisionner à Pont-de-l’Arche qui commença à exporter le fruit d’un savoir-faire local. Il créa sa première société en 1820 avec son associé Roussel. Des dizaines d’Archépontains devinrent chaussonniers et en 1833 un cordonnier de notre cité, Antoine Ouin, créa à son tour son entreprise. C’est l’ancêtre de la société Marco qui œuvre toujours. Les premiers ateliers naquirent vers 1840 autour de premières divisions du travail : des ouvriers tressaient les draps, d’autres les cousaient sur les semelles en cuir. Le salariat commença alors à toucher en masse les travailleurs. À la fin du XIXe siècle, la ville de Pont-de-l’Arche comptait une vingtaine de manufactures et des centaines de travailleurs. Les chaussons de Pont-de-l’Arche, produits par millions chaque année, étaient nationalement réputés et vendus au-delà de l’Europe.

La ville connut alors une augmentation démographique (1815 personnes en 1851) avant une nouvelle décrue (1618 personnes en 1876), peut-être due à la pauvreté et à l’essor industriel plus fort dans les proches villes voisines. En effet, le travail du chausson laissa les Archépontains dans une pauvreté crasse, dénoncée par l’écrivain Octave Mirbeau. Celle-ci engendra la naissance d’un mouvement social et de premières grèves ouvrières. Au début du XXe siècle, la mécanisation engendra une nouvelle étape : celle de l’industrie de la chaussure.

 

Quelques ouvriers posant à l'entrée de l'usine Ouin (ancêtre de Marco) vers 1910. Crédit : Bruno Daniel, avec tous nos remerciements !

Quelques ouvriers posant à l'entrée de l'usine Ouin (ancêtre de Marco) vers 1910. Crédit : Bruno Daniel, avec tous nos remerciements !

2.3. Pont-de-l’Arche : un des pôles français de l’industrie de la chaussure.

Avec la division des tâches et la mécanisation, la production capitaliste crut encore afin de dégager des profits plus grands. Les manufactures devinrent des usines, citons celles d’Henry Prieur (route de Tostes), Paul Nion (place Langlois), Ouin (route du Vaudreuil), Morel (route de Louviers), qui employaient dans les années 1930 plusieurs centaines de travailleurs chacune. À côté d’elles œuvraient plusieurs dizaines de petites et moyennes industries, à caractère familial. Le bassin d’emploi de Pont-de-l’Arche atteignait alors les 2000 postes et les travailleurs ‒ hommes, femmes et enfants ‒ venaient quotidiennement en train depuis la vallée de l’Andelle, la banlieue sud de Rouen et en car du plateau du Neubourg. La cité Archépontaine était un pôle industriel régional de second ordre mais un des principaux centres de production de chaussures de France (avec Romans-sur-Drôme, Cholet, Fougères, Nancy…).

Pont-de-l’Arche connut une hausse de sa population (1921 personnes en 1911) puis un maintien jusqu’à la Seconde guerre mondiale (1913 personnes en 1936).

La ville était marquée par une rupture entre, d’un côté, quelques familles aisées, patronales ou notables, habitant de grandes demeures autour de la ville et, d’un autre côté, des centaines de familles issues du peuple archépontain et d’un début d’immigration massive, tout d’abord depuis d’autres régions de France puis, après 1918, de Belgique, Pays-Bas, Grèce… Entre les deux se situait une classe moyenne composée d’artisans, de commerçants, de petits patrons et quelques rentiers. La vie politique locale s’est bipolarisée (gauche/droite) avec l’émergence d’une lutte républicaine puis socialiste au sens digne du terme. Longtemps bastion républicain radical de gauche avec Maurice Delamare puis Pierre Mendès-France, Pont-de-l’Arche n’a vu son courant communiste émerger qu’après la Seconde guerre mondiale avec pour maires André Benet et Roger Leroux. Son centre ville commerçant, autrefois radical, a peu à peu basculé vers le courant conservateur et parvenait au pouvoir (Roland Levillain) quand la gauche socialiste et communiste se divisait. La ville connut un courant syndical fort qui retentit surtout en 1932.  

À l’issue de cette deuxième partie, nous avons vu qu’un savoir-faire local, mêlant draperie et cuir, est devenu un produit commercial : le chausson. Quelques familles se sont enrichies par la logique et la pratique capitaliste et ont employé une partie des habitants de la ville et de la proche région, ce qui a évité un exode de population. Les travailleurs se sont retrouvés solidaires dans un mode de production et dans des conditions de vie précaires. Les Archépontains sont restés ‒ dans l’ensemble ‒ pauvres et lotis dans les maisons à pans de bois de la cité médiévale et quelques nouveaux quartiers ouvriers bâtis aux alentours immédiats de la ville (rue Henry-Prieur, rue Olivier-des-Bordeaux, rue Abbé-de-Lanterie). Ces logements furent bâtis à l’initiative de patrons paternalistes puis de sociétés d’habitations à bon marché, ancêtres des HLM. Une classe ouvrière s’est constituée, cliente du commerce du centre-ville. Elle a fait vivre une forte sociabilité autour d’une culture commune, comme en témoigne la pratique, révolue, du parler local et des sobriquets. Cette solidarité était nécessaire car difficilement évitable ‒ à moins de quitter la ville ‒ mais aussi par intérêt général. La ville a ainsi exporté un savoir-faire et une production. Elle s’est spécialisée et a prospéré dans la mesure où de fortes inégalités ont perduré entre une minorité et le reste de la population.

A Pont-de-l'Arche, le groupe Luneau conçoit, fabrique et distribue des machines optiques médicales, notamment de la marque Briot (crédit photographique : Luneau technology operation).

A Pont-de-l'Arche, le groupe Luneau conçoit, fabrique et distribue des machines optiques médicales, notamment de la marque Briot (crédit photographique : Luneau technology operation).

 

3. La cité résidentielle et son noyau de services dans le centre ancien.

3.1. Concentration capitaliste, diversification industrielle puis délocalisations.

La logique capitaliste étant de dégager du profit, ce dernier se perd quand plusieurs entreprises atteignent la même taille et une organisation aussi efficace. C’est ce qui a frappé l’industrie archépontaine. Beaucoup d’entreprises ont fermé entre 1945 et 1970, laissant Marco seule “boite à chaussures” de la cité. Mais les locaux industriels archépontains ont été repris quelques années par des sociétés sans rapport avec la chaussure : Jeanbin (imprimerie), Briot (outillage de miroiterie, toujours active), Ouest-isol (produits isolants), Chesebrough-Pond’s (coton-tiges), Société normande de conditionnement (appelée "Jauneau")... Dans le même temps, se sont installées dans la proche région des industries plus grandes encore : la SICA (1954, pâte à papier), la régie Renault (1958, voitures automobiles). Celles-ci ont offert de bien meilleurs salaires que ceux de l’industrie de la chaussure et ont attiré beaucoup d’Archépontains, précipitant ainsi la chute d’entreprises locales par la perte d’ouvriers qualifiés.

Le centre-ville est resté dynamique, grâce aux ouvriers de la ville consommant ici et grâce au marché du dimanche. Pont-de-l’Arche était un chef-lieu de canton d’un point de vue administratif mais aussi par sa concentration de services. Les commerçants étaient nombreux à vivre dans le centre-ville, lui apportant une sociabilité réelle. Dans les années 1960, ils se fédérèrent dans une entente : L’Union commerciale, industrielle et artisanale (UCIA). Celle-ci créa les premières animations et le premier terrain de camping de la ville ‒ toujours existant ‒ songeant au développement du tourisme et à ses retombées sur la consommation.

Les fermetures d’usines des années 1960 et 1970 n’ont pas déstabilisé le pays puisqu’elles ont été remplacées par d’autres industries, y compris étrangères. Mais, à partir des années 1980, le chômage de masse est apparu. En effet, les délocalisations d’entreprises dans d’autres pays se sont amplifiées et la région a commencé à se désindustrialiser. La finalité est de produire plus de produits et à moindre cout en exploitant des travailleurs non protégés et moins chers à rémunérer car ils sont dans l’incapacité de se défendre d’un point de vue matériel et juridique. Des locaux archépontains sont restés vides longtemps qui sont devenus des verrues urbaines (l’usine Nion, devenue depuis L’Espace Jacques-Henri Lartigue). Un nouveau stade de concentration capitaliste a été franchi. Même les grandes entreprises de la chaussure ont cessé leur activité. L’usine Marco subsiste mais en passant de 320 travailleurs vers 1970 à seulement 60 en 2014 et avec une moitié de la production délocalisée en Tunisie depuis les années 1980. Au niveau mondial, la chaussure s’est fabriquée un temps en France, puis Italie, en Chine et aujourd’hui aussi en Éthiopie.

Désormais la production locale est faible ‒ voire inexistante dans de nombreux domaines ‒ et les importations augmentent énormément. Les réseaux de transports sont adaptés à grands couts pour les permettre et les faciliter. La voirie de notre ville en témoigne où le centre-ville est délaissé. Ainsi, le nouveau pont inauguré en 1955 par Pierre Mendès-France a-t-il été construit en dehors de la ville. Certes, la ville a toujours constitué un obstacle sur les voies mais elle revêt désormais un faible intérêt en retour pour des voyageurs parcourant des centaines de kilomètres par jour. Les aubergistes ont laissé place à un seul hôtel dans la ville (l’hôtel de la Tour). L’offre hôtelière est désormais essentiellement à Val-de-Reuil, près de l’autoroute, et pour le compte d’un grand groupe hôtelier (Accor). Les débits de boisson et restaurants se sont raréfiés dans la ville (à lire, notre étude sur l'offre hôtelière à Pont-de-l'Arche). Pis, la circulation est devenue un souci pour les riverains tant elle s’est accrue. Un contournement Est-ouest, au sud de la ville, a été inauguré en 2010 qui réduit le passage dans le centre-ville. Il complète ainsi le contournement nord-sud de 1955 avec le nouveau pont. La ville a perdu sa fonction de pôle ou d’étape. Les réseaux de transports passent à côté d’elle.

 

Sur ces détails de cartes de Pont-de-l'Arche de 1950 et de 2018 (Géoportail) on mesure à quel point le tissu urbain a gagné la majeure partie des terres disponibles entre l'Eure et la forêt. Sur ces détails de cartes de Pont-de-l'Arche de 1950 et de 2018 (Géoportail) on mesure à quel point le tissu urbain a gagné la majeure partie des terres disponibles entre l'Eure et la forêt.

Sur ces détails de cartes de Pont-de-l'Arche de 1950 et de 2018 (Géoportail) on mesure à quel point le tissu urbain a gagné la majeure partie des terres disponibles entre l'Eure et la forêt.

3.2. Consommation de masse, keynésianisme et spéculation.

La concentration capitaliste, qui a imposé les délocalisations, joue sur les économies d’échelle. Il faut fabriquer  et vendre plus de produits afin de réduire proportionnellement les couts de fabrication (en exploitant l’homme et en baissant la qualité des produits) et de transports (par l’énergie pétrolière). Cela permet de baisser le prix de vente et donc d’accroitre les marges grâce à une clientèle plus nombreuse. C’est ce qui explique pourquoi les boutiques ont gagné en surface. Déjà dans les années 1960 un supermarché apparut sur la place Hyacinthe-Langlois (Super Buna). L’ancien Coop (coopérateur de Normandie), épicerie variée de la rue de Paris ‒ un temps tenue par Roger Bonnet ‒ s’est agrandi le long de la rue Général-de-Gaulle dans un ancien local industriel. Les magasins se spécialisèrent et accrurent le débit de leurs ventes. Finies les petites crèmeries-débit de boissons familiales. Cette concentration capitaliste s’est déroulée partout où l’espace était disponible. Un centre-ville s’est retrouvé disqualifié pour accueillir les hypermarchés de la taille de ceux d’Igoville (Leclerc), de Caudebec puis Saint-Pierre-lès-Elbeuf (Leclerc), Val-de-Reuil (Mammouth)… Aujourd’hui, Pont-de-l’Arche est entouré d’au moins 15 hypermarchés dans un rayon de 12 kilomètres. Les hypermarchés ne sont plus seulement généralistes mais spécialistes (meubles, jouets, décorations, bricolage, travaux, vêtements…). Or, les économies que les clients réalisent en allant dans les hypermarchés, ils les laissent ‒ tout ou partie ‒ dans l’achat de voitures qui de luxe deviennent nécessité quand toute la ville les emploie en causant, par là-même, la fermeture des services de proximité. Les hypermarchés sont conçus pour la voiture et par le camion d’importation. Il n’est pas étonnant que le réseau soit devenu si dense autour des villes. Même la Seine a connu ce schéma : de fleuve naturel elle a été canalisée et les écluses ont été réduites au nombre minimum afin de libérer la navigation. Les anciens mariniers, haleurs, monteurs et même réparateurs du chantier naval d’Igoville (chantier Sénécaux, de 1900 aux années 1960) ont disparu et la Seine passe devant la ville sans rien lui apporter du point de vue de l’activité. Idem pour la gare, autrefois très fréquentée, elle a été délaissée au profit de la voiture individuelle (années 1970) et rares sont désormais les trains qui s’y arrêtent. Pourtant, la circulation ferroviaire n’a pas décru.

Le contournement inauguré en 2010 libère la ville du flot de voitures et camions qui font partie du mode de fonctionnement économique actuel. Mais il contribue à vider un peu plus le centre-ville et à faire de Pont-de-l'Arche une cité-dortoir, une périphérie de Rouen, Val-de-Reuil, voire de Paris (cliché Armand Launay, 2013).

Le contournement inauguré en 2010 libère la ville du flot de voitures et camions qui font partie du mode de fonctionnement économique actuel. Mais il contribue à vider un peu plus le centre-ville et à faire de Pont-de-l'Arche une cité-dortoir, une périphérie de Rouen, Val-de-Reuil, voire de Paris (cliché Armand Launay, 2013).

 

Mais ces immenses réseaux de transport servent aussi à mieux mettre en concurrence les travailleurs et à les exploiter. Ainsi, les travailleurs doivent déménager pour obtenir un emploi. Maints Archépontains ont quitté leur région et leur sociabilité d’origine pour bénéficier d’un emploi ailleurs, parfois très loin (cet article est rédigé à 9000 kilomètres de Pont-de-l’Arche). Inversement, une immigration massive, issue désormais de tous les continents, vient fournir un contingent de travailleurs souvent plus exploitables. Les routes ont donc été goudronnées après 1945, les routes nationales cèdent peu à peu la place à un réseau autoroutier. C’est en 1970 que Pont-de-l’Arche s’est retrouvé à une heure de route seulement de Paris par la construction du tronçon Les Essarts-Heudebouville de l’autoroute de Normandie. Le contournement sud de la ville, inauguré en 2010, a pour fonction de relier des parties d’autoroute afin d’éviter un péage supplémentaire. Il libère aussi la ville du trafic routier mais la vide encore d’une part de sa clientèle. Aujourd’hui, il est question de construire une nouvelle autoroute afin de contourner par l’Ouest l’agglomération de Rouen et ce en longeant le Val-de-Reuil, Léry et en coupant de nouveau la Seine au niveau du Manoir.

Le capitalisme a aussi été contraint de changer un peu. Après des études et des luttes socialistes, après constatation de la logique perverse de la course au profit à court terme (crise de 1929, déclenchement des guerres), le capitalisme a intégré, par la force, une dose de keynésianisme. Cette doctrine de l’économiste britannique John Maynard Keynes (1883-1946) pose que l’État doit réguler le capitalisme et imposer une dose de démocratie dans le fonctionnement autocratique (le pouvoir d’un seul) de l’entreprise. Keynes a montré qu’il était bénéfique de réguler l’économie et d’augmenter les dépenses publiques pour relancer la commande, donc la production, donc l’emploi et, ainsi, la prospérité. Depuis les années 1930 ‒ à l’initiative notamment de député de Louviers, Pierre Mendès-France, devenu ministre ‒ la France est entrée en partie dans le keynésianisme. En augmentant les salaires, en officialisant la mutualisation de certaines caisses (sécurité sociale, retraite...), les travailleurs ont accédé à un meilleur niveau de vie. C’est ce qu’on appelle l’État providence, l’État qui intervient au nom des citoyens qui se protègent des aléas de la vie. Pour cela, l’État réutilise largement les outils monétaires du capitalisme. Les travailleurs deviennent donc de plus grands consommateurs à défaut, peut-être, d’en être de meilleurs.

Cette logique a renforcé la consommation de masse et la logique capitaliste s’est renforcée. Une partie des opposants au capitalisme sont devenus, presque malgré eux, les chantres d’une consommation de masse appelée “pouvoir d’achat”, “accès aux services” et qui passe pour sociale. Or, le keynésianisme s’est retrouvé noyé dans une nouvelle phase de dérégulation du capitalisme dans les années 1980. La population est sommée, depuis, de travailler plus pour gagner plus et... consommer plus ; tout cela en croyant que ses intérêts sont ceux du grand capital.

 

Les services publics pallient les défauts du mode de fonctionnement capitaliste et lui donnent, peut-être, un visage humain avant la prochaine crise (cliché Armand Launay, 2014).

Les services publics pallient les défauts du mode de fonctionnement capitaliste et lui donnent, peut-être, un visage humain avant la prochaine crise (cliché Armand Launay, 2014).

 

Le secteur de l’immobilier illustre cela qui a fait l’objet d’un développement capitaliste. Suscitant le désir des gens d’habiter dans des logements agréables, vastes, avec chambres individuelles, places de parking… des entreprises se sont développées autour de la vente de terrains, de construction et de vente de biens immobiliers. D’un centre-ville médiéval ramassé derrière ses remparts, la ville s’est étalée sur la majeure partie des terres cultivables tout en abandonnant la culture vivrière par les potagers et autres vergers. Seule une exploitation agricole perdure sur quelques terres archépontaines et, surtout, criquebeuviennes (Jean-Marie Delimbeuf, abbaye de Bonport, avec en sus une activité de production de machines d’exploitation agricole et forestière). Les petites maisons qui accueillaient encore de grandes familles dans les années 1960 ont été délaissées par de grandes maisons accueillant en moyenne 4 personnes aujourd’hui. Cette marchandisation des sols et de la construction a fait doubler la population archépontaine : de 2025 personnes en 1946, la population était de 4223 personnes en 2015. Ce doublement n’est pas dû à une activité intense des Archépontains autour du lit conjugal mais bien plutôt à l’attraction de populations nouvelles, cherchant un cadre de vie agréable et doté de services publics variés proches de leurs lieux de travail à Rouen, ou Val-de-Reuil... Les maisons sont, le plus souvent, isolées au milieu d’une propriété et donc moins propice au contact. Elles constituent de petits châteaux où leurs résidents peuvent avoir ‒ pour certains ‒ la sensation de s’autosuffire dans les loisirs fournis par les appareils tels que la télévision et l’ordinateur. Pour payer ces belles demeures, les foyers consacrent un budget de plus en plus lourd à l’immobilier, que ce soit à l’achat ou à la location. Les sols se faisant rares, ils n’en deviennent que plus précieux donc plus chers. Les foyers s’endettent car les banques font recette sur les prêts, tout comme elles le font sur les États qui commandent beaucoup aux grands groupes (infrastructures, routes…). Les habitants ayant été formés à l’esprit capitaliste, nombre d’entre eux spéculent sur la valeur des biens et les mettent en location afin de courir au profit, faisant ainsi monter plus encore les loyers. Il n’est pas étonnant que les agences bancaires soient devenues nombreuses dans le centre-ville commerçant où les logements vides sont de plus en plus nombreux.

Cette très forte demande immobilière explique aussi pourquoi l’exploitation des carrières s’est répandue dans la vallée de la Seine. Pour ne citer que les communes jouxtant Pont-de-l’Arche, les sablières ont déformé le paysage à l’orée de la forêt à Martot et Criquebeuf, le fond de vallée à Igoville, Alizay et Martot et la vallée de l’Eure à Val-de-Reuil, Léry et Poses où des lacs de loisirs ont rempli et remplacé les anciens lieux d’extraction des sables et graviers.

 

 

Pour satisfaire le secteur de la construction immobilière, en pleine explosion depuis 1945, la ville de Pont-de-l'Arche est encerclée de carrières de sables et graviers (cliché Armand Launay, 2006).

Pour satisfaire le secteur de la construction immobilière, en pleine explosion depuis 1945, la ville de Pont-de-l'Arche est encerclée de carrières de sables et graviers (cliché Armand Launay, 2006).

 

3.3. Un quartier périphérique à animer.

La course aveugle vers le profit, qui caractérise la logique capitaliste de libération du désir, pose de nombreux problèmes concrets et moraux. Les luttes républicaines et ouvrières l’ont démontré. Elles conduisent les victimes, quand elles sont conscientes, à exiger que les autorités publiques obtiennent de nouvelles prérogatives pour réguler et, si possible, équilibrer les rapports sociaux afin d’espérer améliorer l’intérêt général.

Pont-de-l’Arche fut un pôle militaire, administratif puis industriel. La ville a été dépossédée de ses atouts. Elle est aujourd’hui essentiellement à côté des flux. Elle est le lieu de quelques industries, devenues rares, voire précaires. Son centre-ville commerçant et artisan perd de son attractivité. Pont-de-l’Arche constitue un quartier périphérique où les travailleurs veulent se reposer en fuyant le fonctionnement du monde qu’ils contribuent à faire vivre. La ville est un quartier de Val-de-Reuil, de Rouen et, moindrement, de Paris. Certains traitent de cité-dortoir.  

La commune et la Communauté d’agglomération Seine-Eure (CASE, fondée en 1997) sont en charge de nombreuses demandes. Le développement économique en revient à la CASE qui promeut le territoire et favorise l’implantation d’industries et de services à l’échelle de l’agglomération. À ce titre, un village d’artisans, baptisé “la lisière” a été implanté à Pont-de-l’Arche en 2014 le long du contournement sud. La CASE a entériné le fait que le centre-ville n’existe économiquement plus selon cette logique. À destination des employés, la commune et certains services d’État, ou délégataires, accompagnent la population vers le retour à l’emploi. Concernant les commerces et artisans, près de 60 sur toute la ville, la commune a ‒ le plus souvent ‒ repris les animations autrefois assurées par l’Union commerciale. La commune propose ainsi des animations de Noël, une communication et un soutien au tourisme par le biais du terrain de camping municipal et autres activités. Elle propose aussi une participation à la Journée nationale du commerce de proximité, des repas en plein air animés de concerts dansants l’été (les Nocturnes du vendredi), des expositions d’arts plastiques, une commande directe pour la cérémonie des vœux...  

Les élus doivent aussi se mobiliser afin de sauvegarder au mieux l’industrie locale. C’est ce qu’a démontré la volonté de l’entreprise Mreal de fermer définitivement sa papèterie d’Alizay ; ceci afin de raréfier la production et donc de vendre plus chers ses produits par une entente avec ses “concurrents” ayant chacun fermé un site de production. Il a fallu une mobilisation sans relâche des employés, par le biais des syndicats et avec l’aide d’élus et de collectivités, afin que la papèterie puisse continuer à exister mais en devenant, en 2013, une propriété du groupe thaïllandais Double A. Ceci ne garantit en rien les décisions à venir de cette entreprise pour qui Alizay (150 employés) n’est qu’un point sur la carte.

 

 

La commune et des organismes d’Habitations à loyers modérés (HLM) tentent de loger les personnes exclues du marché économique ou mal incluses. La commune tente de respecter la loi relative aux Solidarités et au renouvellement urbains (SRU, adoptée en 2000) qui dispose qu’au moins 20 % des logements doivent être dévolus à l’habitat solidaire. La population semble donc mise à mal par la spéculation immobilière. Mais le nouveau type d’habitat ‒ et le fait de rassembler des populations venues de différents horizons ‒ semble poser des problèmes de sociabilité : la commune est tenue d’offrir des services palliant ces lacunes et rapprochant les gens dans un concept nouveau appelé la “cohésion sociale”.

La mise en concurrence et le besoin de formation à des emplois plus techniques conduit les parents à désirer un système scolaire performant et donc à développer les infrastructures. Les parents étant pris par un emploi, le plus souvent hors de Pont-de-l’Arche, la commune se voit chargée d’occuper les jeunes par une crèche, un relai des assistantes maternelles, un service parentalité, puis un accueil périscolaire le matin, le midi et le soir, une cantine, un accueil de loisirs, un espace pour les adolescents et les jeunes adultes. Une politique de jeunesse a ainsi émergé depuis les années 1970.

En matière de lien social, toujours, la commune se doit de plus en plus de produire les occasions où les gens peuvent se rencontrer, faire connaissance. Cela allait naguère de soi car les gens se fréquentaient nécessairement en tant que voisins, membres de familles locales, passants dans les rues du quotidien, clients des mêmes commerces, membres des mêmes associations (fanfare, majorettes, paroisse, partis, clubs sportifs) et collègues dans les entreprises de la ville. Depuis les années 1950 la sociabilité, largement par le biais des loisirs, fait l’objet d’un projet politique de plus en plus fort. La municipalité doit proposer une salle des fêtes (1954), une piscine (pendant quelques années), et mettre des infrastructures, souvent sportives, à la disposition des habitants par le biais des associations. Elle propose un agenda culturel et soutient techniquement et financièrement les associations, notamment par la mise à disposition de locaux communaux.  

 

En ce qui concerne les vieilles personnes, la commune et divers organismes publics doivent intervenir pour pallier le manque de présence de familles et l’accroissement de la durée de vie nécessitant une vigilance et des soins médicaux. Ainsi l’Établissement hospitalier pour personnes âgées dépendantes (l’EHPAD Julien-Blin) est devenu l’un des grands employeurs de la ville (plus de 50 personnes, même si cela ne suffit pas à l’augmentation des exigences de soins). La commune a pris en charge la résidence pour personnes âgées “Les Pins” en 2016 et propose des moments de sociabilité dont certains sont appelés “intergénérationnels”.

Autre aspect non négligeable des actions à entreprendre : l’environnement. Puisque la majeure partie des terres sont désormais construites, les espèces se font rares, l’écosystème est perturbé et la pollution omniprésente. L’action publique travaille à la qualité des eaux, des berges, de l’air, de l’entretien des espèces végétales naturelles, de la circulation des animaux malgré le contournement et l’autoroute, en forêt de Bord. En effet, la forêt de Bord est aussi exploitée avec visée de rendement. Ses parcelles sont taillées en quatre, ses essences choisies aux fins de commercialisation par l’Office national des forêts.  

Les espaces libres sont devenus rares. Cependant, la commune continue à bétonner selon une logique de production effrénée. Il s’agit désormais de construire dans les “dents creuses”, de densifier l’habitat, de “reconstruire la ville sur la ville”. La commune ressemble, depuis les 1950, à un promoteur immobilier qui voit le nombre d’habitants comme une recette fiscale, un rendement. Quand les habitants souhaitent conserver un espace non bâti, cela peut faire l’objet d’une lutte comme autour d’un lot de la Pommeraie ; lutte qui a participé de la chute du maire Paulette Lecureux en 2001.  

Il s’ensuit une prise d’importance de l’action et de l’emploi publics. Elle se manifeste dans la structure de l’emploi ; la commune étant devenue le plus grand employeur de Pont-de-l’Arche avec près de 90 personnes salariées en 2018. Ceci sans compter les agents publics des différentes administrations d’État, du département, de la CASE qui interviennent sur le territoire communal.  

 

Image industrielle dans la froidure de l'hiver 2011. Ici les toits de l'usine Marco depuis les bureaux de la mairie (cliché Armand Launay).

Image industrielle dans la froidure de l'hiver 2011. Ici les toits de l'usine Marco depuis les bureaux de la mairie (cliché Armand Launay).

Conclusion

Nous nous posions comme problème central : est-il possible de déterminer le ou les moteurs d’une économie archépontaine, selon les époques, et d’en déduire l’impact sur la sociabilité ?

Après cette étude, qui commence à ressembler à un plan de mémoire de Master, nous sommes tentés de répondre par l’affirmative.

Nous avons découpé l’histoire de Pont-de-l’Arche en trois périodes. La première regroupe le Moyen âge et l’Ancien régime. D’un point de vue patrimonial, c’est le Pont-de-l’Arche intramuros qui témoigne aujourd’hui encore, partiellement, de ce que fut la cité du roi. Le centre-ville fourmillait d’activités de services pour les familles nobles, officiant pour le roi, ainsi que pour la garnison de la ville et de Limaie. Un marché et une halle attiraient les producteurs et les acheteurs de la région. Les voyageurs trouvaient dans cette étape sur la voie Paris-Rouen et dans ce point de passage sur la Seine, un ensemble de services de restauration, hôtellerie, cordonnerie… La population se voyait contrainte de produire et importer de quoi assurer le fonctionnement de cette place forte du roi. Elle y était pleinement occupée même si elle demeurait généralement pauvre.

La deuxième période concerne la révolution industrielle et le développement d’un savoir-faire local : le chausson, puis la chaussure. C’est le Pont-de-l’Arche intramuros ainsi que celui des faubourgs qui en témoignent. Des centaines d’Archépontains se sont retrouvés salariés et ouvriers. Leurs conditions de vie sont restées frugales, voire misérables. Leurs intérêts se sont rejoints dans la revendication de droit sociaux et de meilleures conditions de vie. Ce peuple a habité dans les petites maisons médiévales et les quelques logements ouvriers des faubourgs. Il a fait vivre le commerce et la sociabilité du centre-ville.  

La troisième période concerne l’après-guerre et le franchissement d’une nouvelle étape de concentration capitaliste des moyens de production. C’est le Pont-de-l’Arche des nouveaux quartiers et des aménagements publics. La sociabilité a explosé afin de se conformer aux investissements capitalistes. Les entreprises de chaussures ont fermé leurs portes, hormis Marco. D’autres industries vont et viennent, sans garantie de rester à moyen terme. Une partie de la population a quitté les lieux pour trouver meilleur emploi. Une large partie de la population est venue s’installer récemment dans les nouveaux quartiers issus de la spéculation foncière et immobilière. Désormais, une très large partie des habitants ne travaillent pas dans la ville et fréquentent un réseau routier aussi immense que l’argent qu’il engloutit dans sa construction et son entretien. Ces habitants résident dans des quartiers peu propices au lieu social, hormis le voisinage immédiat. Les pouvoirs publics sont sommés de pallier le manque de sociabilité par une offre de loisirs, de formation, de culture. Ils sont sommés de donner une place professionnelle aux habitants ou, à défaut, un toit, une subsistance.   

La ville a largement perdu son rôle central en matière d’échanges. Les habitants échangent surtout en dehors de la ville. Le centre-ville se vide de sa substance, bien qu’il résiste mieux que dans beaucoup d’autres cités. Ce n’est pas une question de rentabilité qui nous intéresse mais bien plutôt de rôle social, d’habitude au contact qui manque à nombre d’habitants. Il semble que les habitants aient beaucoup perdu en qualité de vie à cause des choix économiques d’une minorité. Nous avons même l’impression d’une aliénation des consciences tant ce mode de vie semble normal, ou acceptable, pour de nombreuses personnes isolées dans leurs maisons et qui ne fréquentent ni les rues ni les associations sauf, peut-être, pour les loisirs de leurs enfants.    

Sans en faire une revendication, c’est le paradigme marxien qui nous a le plus aidé dans l’analyse de l’économie locale. En effet, sans trop y réfléchir on pourrait se leurrer en croyant que la pensée de Karl Marx valait pour une période révolue depuis le début de la désindustrialisation. Or, sa pensée, celle du Capital en particulier, est plus d’actualité que jamais : les bras locaux ne sont plus guère nécessaires car il en existe de plus exploitables ailleurs. Il semble que ce soit le keynésianisme, c’est-à-dire grossièrement le pouvoir d’achat donné par l’État ‒ dit providence ‒ aux habitants, qui rende intéressants les habitants et la région aux yeux des investisseurs capitalistes. Mais l’argent continuera-t-il à couler ? Qui plus est, cette vision très monétaire des choses donne l’illusion, à grands renforts de transferts de sommes, que chacun peut vivre satisfait sans contact réel avec autrui et sans devoirs envers lui. C’est une vision aveuglée par la course à l’argent et aux plaisirs à court terme. Les rapports humains doivent être soignés et les consciences doivent réaliser combien notre système économique nous coute cher en bienêtre.

 

Armand Launay

Pont-de-l'Arche ma ville

http://pontdelarche.over-blog.com

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12 août 2018 7 12 /08 /août /2018 16:58

 

 

Recherche historique ou chasse aux fantômes ? Nous nous intéressons à l’ancienne halle de Pont-de-l’Arche démolie en 1857 et qui, jusqu’à plus ample informé, n’a fait l’objet d’aucune représentation hormis son contours sur le plan cadastral...

 

 

L’ancienne halle de Pont-de-l’Arche et son marché
Perspective sur la rue Isaac-Benserade depuis la place de la halle, à Lyons-la-forêt (2013). Cette vue présente quelques analogies avec la place Hyacinthe-Langlois à Pont-de-l'Arche : les maison à pans de bois, une halle vers la partie haute de la place, une légère dépression directement au nord de la halle, une rue qui descend vers le nord (la rue Alphonse-Samain, ancienne rue du pont à Pont-de-l'Arche), des façades à pans de bois, une halle orientée Est-ouest ; la halle archépontaine devant avoir de plus petites dimensions.

Perspective sur la rue Isaac-Benserade depuis la place de la halle, à Lyons-la-forêt (2013). Cette vue présente quelques analogies avec la place Hyacinthe-Langlois à Pont-de-l'Arche : les maison à pans de bois, une halle vers la partie haute de la place, une légère dépression directement au nord de la halle, une rue qui descend vers le nord (la rue Alphonse-Samain, ancienne rue du pont à Pont-de-l'Arche), des façades à pans de bois, une halle orientée Est-ouest ; la halle archépontaine devant avoir de plus petites dimensions.

 

 

À quoi pouvait ressembler la halle ?

Le plan cadastral de Pont-de-l’Arche date de 1834. Signé Le Fébure et consultable aux Archives de l’Eure, notamment en ligne, il montre les limites de l’ancienne halle ; ici au centre de ce détail de la section B (parcelle 254).

Il n’y a pas lieu de douter que la halle était structurée en bois et couverte de tuiles, comme celle de Lyons-la-forêt. Elle semble composée d’un vaisseau principal, où circulaient les badauds, et de bas-côtés réservés aux exposants plaçant leurs étals entre les piliers. Sur le plan, ces bas-côtés sont irréguliers, sûrement afin de moins perturber la circulation sur les voies Paris-Rouen et Pont-de-l’Arche-Léry.

 

 

La halle de Lyons-la-forêt fournit peut-être une idée de ce qu'était la halle de Pont-de-l'Arche avant 1780 avec des dimensions sûrement plus réduites, toutefois. Carte postale des années 1950.

La halle de Lyons-la-forêt fournit peut-être une idée de ce qu'était la halle de Pont-de-l'Arche avant 1780 avec des dimensions sûrement plus réduites, toutefois. Carte postale des années 1950.

 

 

De quel siècle datait ce bâtiment ?

Nous n’en savons rien avant 1780. Une délibération du 24 novembre 1830 nous apprend que la halle a été rénovée en 1780 et 1781. Que signifie “rénovée” ? Était-ce un coup de pinceau ou une reprise des pièces maitresses de la charpente ? Il est possible que la halle soit à l’image du mythique navire de Thésée : composée de pièces changées les unes les autres au fil des âges sans reconstruction de fond en comble à une date précise. Quoi qu’il en soit, la délibération traite de travaux à faire. Il semble que 50 années suffisent à faire vieillir considérablement la halle. La délibération du 9 août 1833 nous apprend qu’une “partie du pavage a été laissé libre depuis la suppression de l’ancienne halle.” Les travaux, alors entrepris par le Département (voir plus bas), ont bien mis à bas la halle ancienne.

Une lecture d'une carte réalisée par Nicolas Magin vers 1702 (visible dans notre article sur le cimetière de la ville) montre un autre emplacement à la halle archépontaine. Il semble s'agir d'un précédent bâtiment situé plus à l'ouest, devant les boutiques des maisons du côté sud de la place. Cette halle, sur un document qui se veut réaliste, est symbolisée par des lignes de poteaux de bois tout comme le sont les avant-soliers, souvent disparus, de maison alentours. C'est l'observation faite par notre ami Frédéric Ménissier. Cela expliquerait pourquoi la place Hyacinte-Langlois s'ouvre dès cet endroit au lieu de se cantonner à une sorte de rectangle autour de la halle telle que représentée sur le plan cadastral. La halle ancienne serait donc plus propice au chargement et déchargement de denrées et matériaux à partir de la route. Elle devait cependant gêner plus la circulation sur la voie reliant Paris à Rouen. C'est ce qui doit expliquer la construction de la nouvelle halle plus à l'Est d'autant plus que la porte de Pons, à l'autre bout de la rue Jean-Prieur, était murée.

 

Pourquoi la halle était-elle à cet emplacement ?

L’emplacement de la halle s’explique. Dans notre étude sur les fortifications de Pont-de-l’Arche, nous avons émis l’hypothèse que les premières fortifications de la ville se concentraient plus près de l’église. Elles devaient aller de la tour de Crosne à l’entrée du pont ancien en passant par l’arc de cercle de la rue Julien-Blin et la place Hyacinthe-Langlois. Si tel fut la réalité, le premier bâtiment de la  halle aurait été bâti directement à côté de la principale porte d’entrée de la ville, au pied du chemin montant vers l’église.

Puis, certainement du temps où Philippe Auguste fit de Pont-de-l’Arche sa principale résidence normande (voir notre étude sur le bailliage), les remparts durent être reconstruits selon un arc de cercle plus éloigné de l’église en direction de la forêt (au sud). Ce serait donc au début du XIIIe siècle que le bâtiment de la halle a été englobé, ainsi que quelques maisons faubourgeoises, dans le Pont-de-l’Arche intramuros. Un espace s’est dessiné.

À en lire les courbes de terrain, la halle étaient idéalement située : elle se trouvait au dessus d’une pente qui existe toujours. Cette pente était pratique pour l’écoulement des liquides usagés (sang, nettoyage...). Elle était située au-dessus de la rue de l’Abreuvoir (actuelle rue Abbaye-sans-toile) par laquelle les Archépontains égouttaient les eaux usagées vers la Seine et vidaient leurs pots de chambre. C’est ce que confirme une délibération du Conseil municipal du 4 mai 1809 où il est question de mauvais écoulement des eaux usées au niveau de la halle : “Les eaux usagées des ruelles plus hautes apportent une odeur nauséabonde qui nuit à la salubrité publique.” Les élus préconisent de percer une évacuation entre la halle et les habitations puisqu’aucun “véhicule n’y peut circuler”. Le passage entre la place du marché et la rue Abbaye-sans-toile devait être plus aisé qu'aujourd'hui. Il faut imaginer, nous semble-t-il, une pente douce et non des marches comme de nos jours.

Les courbes de niveau laissent aussi entendre qu’un ru a dû couler au grand jour le long des actuelles rues Président-Roosevelt et Alphonse-Samain. La mémoire populaire rapporte qu’il y a quelques décennies des puits étaient encore en eau dans le centre ville (cour Ainé, notamment). Ces eaux doivent être depuis pompées et drainées par le système d’adduction urbain. Par conséquent, un ru coulait sûrement près de la halle quand son premier bâtiment a été érigé.

On peut enfin fonder l'hypothèse que des marchands et des clients profitaient de la proximité de la Seine pour transporter plus aisément des denrées lourdes comme les tonneaux de vins ou de saumures. Il leur restait à les transporter par la rue Abbaye-sans-toile ou à s'entendre pour les faire changer de bateaux.  

 

Quelle était la finalité de cette halle ?

La finalité de cette halle est simple. Après la création de Pont-de-l’Arche par Charles II le Chauve entre 862 et 869, la population locale a augmenté autour d’une garnison et d’hommes du roi chargés de l’administration. Il fallut alimenter cette population qui devint plus nombreuse que celle de chaque proche village. La ville étant royale, le privilège d’y créer un marché n’a pas dû poser problème et a dû arranger un officier du roi chargé de gérer cet évènement.

Le marché de la ville se tenait le dimanche d’après les documents que nous avons retrouvés. Ceci sûrement afin que les badauds bénéficient de la messe en l’église Saint-Vigor (actuelle Notre-Dame-des-arts) et entretiennent des liens avec la ville centrale. Le marché, tenu sous la halle, devait être à l’origine de la plus grande cohue de la semaine à Pont-de-l’Arche. C’est d’ailleurs sous le nom breton de cohue que les halles étaient connues en France. Ce nom est tombé en désuétude sauf pour désigner un attroupement. Cet afflux de badauds de la contrée a dû faciliter l’implantation de commerces, surtout de services, autour de la place du marché et ailleurs dans la ville fortifiée. Le reste de la semaine, on peut imaginer que la halle était le lieu d’une sociabilité où, à l’abri de la pluie et peut-être de certains vents, les habitants pouvaient discuter. La halle dût aussi servir de lieu de réunions plus officielles (voisinage, prédications, corporations de métiers...) en l’absence de maison commune.

Nous n’avons pas retrouvé de dénomination particulière comme “halle aux grains” ou “halle aux draps”... La halle de Pont-de-l’Arche a, logiquement, été une halle généraliste où s’échangeaient et vendaient des viandes, des grains, des fruits, des légumes, des œufs, fromages, beurre, des étoffes, outils...

La halle permettait de disposer les produits convenablement, dans un lieu ventilé, et ce à l’abri des intempéries (qui arrivent, parfois, en Normandie). La halle était aussi un lieu de contrôle. Un agent s’assurait que les échanges se fassent pacifiquement en se portant garant des poids et mesures. À cette fin, les halles étaient munies d’outils de mesure et de poids bien réglés. L’agent percevait le droit de halle, d’étalage, de minage (mesure des grains)... Ce revenu permettait de payer son salaire, les réparations du bâtiment et l’officier du roi responsable du fonctionnement et de l’entretien de ce lieu.  

 

Qui furent les propriétaires ou responsables de la halle ?

La délibération du Conseil municipal du 9 août 1833 nous informe que le sol sous la halle appartient bien à l’État. Preuve en est que « le roi percevait tous les droits de halage et de minage consistant dans les droits de coutume et de mesurage des grains, d’étalage des merciers et droits de coutume des autres marchandises, ainsi qu’il résulte de l’adjudication passée à son profit devant le subdélégué de l’Intendance de Rouen le quatre octobre 1784. »

On comprend que l’État, après la Révolution, est resté propriétaire des halles. Cependant, la délibération du 24 novembre 1830 montre que la Ville de Pont-de-l’Arche a paisiblement joui de la halle à partir de 1790 ou 1792. Un différend avait éclaté avec le Département (alors institution d’État). La ville essaya de prouver son bon droit mais les archives communales étaient et demeurent lacunaires. Le Département n’avait pas la preuve que la halle ait été cédée à la Ville de Pont-de-l’Arche. Il rappela à cette dernière un décret de 1806 offrant la possibilité aux communes de prendre les halles en concession. Or, aucune demande ne fut formulée par les élus archépontains (délibération du 18 août 1831). Par arrêté du 10 décembre 1830, le Département décida d’intenter une action auprès du tribunal de Louviers pour récupérer la halle de Pont-de-l'Arche. Les élus de la ville s’inclinèrent, faute de preuve. Ils émirent le vœu de reprendre légalement les droits sur la halle, moyennant finance. C’est ce qui fut fait (délibération du 6 août 1835). La Ville dut 1925 francs au Département : 1500 francs pour la cession par le Département de la halle suivant un arrêté préfectoral du 25 mars 1834 ; et 375 francs pour les intérêts sur le capital sur 5 années depuis que le Département a formulé ses droits sur la halle (17 décembre 1830). Les contribuables archépontains eurent 10 centimes d’imposition supplémentaire sur 7 ans.        

Mais l’enjeu était de taille : la halle offrait une recette non négligeable à la ville. Déjà en l’an XII, la recette de la halle compta pour 18 % des recettes de la ville (206 francs sur 1128,34). En 1818, 1000 francs provinrent de la halle, des marchés et des foires sur une recette totale de 2485,95 fr (40 % des recettes). La Ville ne gérait pas directement la halle et le marché. Comme nous l’apprend la délibération du 24 septembre 1818, la Ville mettait en adjudication la halle et le marché. On adjugeait la gestion du marché au plus offrant. Celui-ci bénéficiait d’un droit d’accès au grenier et au corps de garde (à pied, à cheval ou en voiture). L’adjudicataire percevait les taxes légales et plaçait les commerçants. Il devait faire respecter le règlement dont voici quelques alinéas résumés :

  • 15 centimes de location par quart de mètre sous la halle ;