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28 octobre 2013 1 28 /10 /octobre /2013 12:41

Les dernières cartes postales de Pont-de-l'Arche dataient du début des années 1990... une lacune désormais comblée grâce à Dominique Leliard, gérant de la Presse de l'arche, qui a fait éditer 7 cartes postales de notre belle ville !

Elles sont arrivées ce mois-ci dans la boutique de presse archépontaine avec leurs couleurs ensoleillées qui raviront les touristes et les habitants de la région attachés à cet objet de partage.  

J'en suis d'autant plus heureux que les six clichés ayant servi à cette édition sont issus de ma collection ! 

Ces cartes sont disponibles à la presse de l'arche contre 0.8 € l'unité. 

Nouvelles cartes postales de Pont-de-l'Arche !

Armand Launay

Pont-de-l'Arche ma ville

http://pontdelarche.over-blog.com

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16 mars 2012 5 16 /03 /mars /2012 20:20

Dans le cadre de la 7e édition du Mois de l’architecture contemporaine en Normandie, le Conseil d’architecture, d’urbanisme et d’environnementde l’Eure (CAUE 27) et la Maison de l'architecture de Haute-Normandie ont proposé hier, 15 mars, une journée d'échanges sur le thème du patrimoine et de l'architecture. Une première dans l’histoire de Pont-de-l’Arche.

 

Le débat du matin a été très instructif pour les 75 personnes présentes. Michel Rousset, président du CAUE 27, a distribué la parole qui est revenue à Pascal Victor, président de la maison de l’architecture de Haute-Normandie et Marie-Christine Calmon, adjointe en charge de l’urbanisme et du patrimoine de la ville de Pont-de-l’Arche, partenaire de la manifestation. Michel Rousset a aussi souligné la collaboration du CAUE avec les Amis des monuments et sites de l’Eure (AMSE), association présidée par Pierre Roussel, présent dans la salle, et qui permet de « concilier la vieille pierre et l’urbanisme actuel ».

 

 

Philippe Baffert : pour un urbanisme de projet


Le premier intervenant a été Philippe Baffert, consultant et ancien chef de bureau du droit de l’urbanisme au ministère de l'Écologie, du développement durable, des transports et du logement. Celui-ci a commenté les lois relatives à l’urbanisme en France depuis 1945. Il a mis l’accent sur les motivations ayant mené à la création de la loi relative à la Solidarité et au renouvèlement urbains (SRU) : impulser un urbanisme de projet limitant au mieux l’étalement urbain. L’intervenant, à l’origine de l’écriture de la loi datant de 2000, a démontré que l’arsenal législatif français repose sur une notion figée de l’urbanisme. Au lieu de classer des zones, il convient de réfléchir à l’équilibre des milieux destinés à accueillir de nouvelles constructions. Ainsi l’exemple fut donné d’une zone de passage entre deux bois. Au lieu de classer les deux bois en oubliant cette zone, il conviendrait de garantir le maintien de la circulation des espaces animales entre les bois. Il s’agit de respecter les équilibres, non d’édicter des limitations architecturales par principe. Dans la même logique, il a montré du doigt l’aberration de documents d’urbanisme imposant la construction de pavillon au milieu des parcelles constructibles alors que les propriétaires gagneraient à bâtir leur maison dans un coin de leur terrain. Philippe Baffert a aussi visé le manque de réflexion dans l’élaboration de documents d’urbanisme tels que les PADD et les PLU. Ces documents doivent exprimer les objectifs des élus. Comment ceux-ci voient le développement de leur commune ? Comment comptent-ils l’attendre, concrètement ? C’est ainsi qu’ils pourront justifier quelles limites ils entendent appliquer aux projets d’urbanisme et ce au nom de l’intérêt général. Une attitude aux antipodes de nombreux PLU se contentant d’un rappel des textes en vigueur.


France Poulain : une méthode pour savoir que protéger ?


France Poulain, architecte des bâtiments de France de l’Eure a présenté ses missions : gérer 500 monuments historiques et 250 sites protégés par l’Etat, soit 5 à 6 % du département. La première protection a été enregistrée en 1862. Aujourd’hui, le panorama des protections est très inégal : 180 églises concernées sur 600. Jusqu’alors, le classement du patrimoine s’est fait au coup par coup. Il conviendrait de réaliser aujourd’hui une étude plus poussée et de définir une méthode de classement ? Privilégie-t-on l’âge d’un bâtiment, l’histoire qui y est attachée, un paysage, une architecture ? Par exemple, si l’on compte 5 églises du XIe siècle, il y a-t-il une encore dans son « jus » d’époque ? Classe-t-on alors les 5 églises ? Ces choix ont un impact fort car ils président à l’attribution de subventions de l’Etat et du Conseil général. Qui plus est, il peut être tentant de faire classer de nombreux monuments ou objets historiques mais encore faut-il être en mesure de bien entretenir les biens déjà inscrits.

 

Marie-Claude Cortial, Danila Niel, Pierre Durand, Xavier Derbanne : l’inventaire patrimonial de Chaise-Dieu-du-Theil en exemple


Deux élues, un délégué de l’AMSE et un architecte-conseil du CAUE ont présenté le bel exemple d’inventaire du patrimoine de Chaise-Dieu-du-Theil, commune du sud de l’Eure. Afin de protéger ce qui fait la valeur de leur commune, ces acteurs du patrimoine ont défini une méthode avant de recenser près de 180 lieux ou monuments.

L’intérêt architectural : adéquation entre la forme et la fonction du bâtiment ; logique esthétique des façades ; détails ornementaux.      

L’intérêt urbain : bâtiments de premier rôle (mairie, église…), bâtiments de second rôle (maison ancienne), rôle figuratif.

L’intérêt historique : ancienneté, témoignage évènementiel (four à pain).

L’enjeu paysager

L’enjeu écologique

L’enjeu hydrographique

La protection contre le vent : haies

La protection des sols : arbres, haies

Cette démarche de protection a tout d’abord suscité des craintes dans la population avant que celle-ci ne comprenne l’intérêt de ce projet validé en Conseil municipal. Cette démarche sera renforcée en incluant le recensement dans le PLU intercommunal en cours d’élaboration.


Yvette Petit-Decroix et Delphine Butelet : la Fondation du patrimoine au secours de monuments non protégés


Créée en 1996, la Fondation du patrimoine aider principalement les particuliers, mais aussi les collectivités territoriales, à restaurer des biens non protégés par l’Etat. Grâce à des défiscalisations, des subventions, de souscriptions publiques et du mécénat, la Fondation aide les propriétaires de biens qui ont obtenu un label validé par l’architecte des bâtiments de France.

Plus d’informations sur : www.fondation-patrimoine.org/fr/haute-normandie-11

 

L’après-midi : visite du centre ville médiéval de Pont-de-l’Arche et audition d’orgue


Les Amis des monuments et sites de l’Eure ont animé l’après-midi par une visite du centre ville médiéval de Pont-de-l’Arche commentée par Armand Launay. Sous le soleil, les participants ont découvert les bijoux architecturaux de la ville avant de prendre place dans les stalles de Notre-Dame-des-Arts et de savourer l’audition d’orgue offerte par Michel Lepont, conservateur de l’orgue pour la Ville de Pont-de-l’Arche.

 

Urbanisme-15-mars-2012--2-.JPG

 

Cette première participation de Pont-de-l’Arche au mois de l’architecture contemporaine aura été réussie. La Ville remercie l’ensemble des organisateurs et des intervenants qui ont œuvré à ce moment aussi instructif que plaisant.

Armand Launay

Pont-de-l'Arche ma ville

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28 février 2012 2 28 /02 /février /2012 17:14

Après une biographie et une bibliographie d'Edmond Spalikowski, nous reproduisons intégralement son ouvrage intitulé Pont-de-l’Arche d’autrefois et d’aujourd’hui, édité par Lestringant, Rouen, en 1931.

 

Tour de Crosne par E. Spalikowski

La tour de Crosne, par Edmond Spalikowski (non édité dans l'ouvrage reproduit ci-dessous).

 

 

Edmond Spalikowski : une vie

Edmond Spalikowski (1874-1951) est une figure intellectuelle de Rouen. Cet homme voua un véritable culte aux arts y goutant – voire y excellant dans leur pratique – : illustrateur, poète, historien, écrivain, critique, chroniqueur de La Dépêche de Rouen, Paris-Normandie, Le Journal de Rouen... 

 

Comment qualifier Edmond Spalikowski en deux mots ? Soigner et enseigner.

 

En effet, notre homme se souciait à la fois du bienêtre des hommes et de leur éducation, ce qu’achèvent de démontrer ses deux professions : professeur d’histoire-géographie au collège de Normandie et médecin. Ce souci d’autrui, en somme, a converti Edmond Spalikowski au militantisme pacifiste dès 1904, période où il professait le socialisme. Trop isolé pour changer le cours des événements, il dut subir les deux guerres mondiales. Il passa la guerre de 1914-1918 mobilisé à Vernon, en qualité de médecin, à l’hôpital 204. Durant la Seconde Guerre mondiale, il connut un exode de 5 ans avant de retrouver sa maison rouennaise pillée, tout comme sa bibliothèque.

Malgré tout, la vie de Spalikowski ne connut pas de tournants ; bien qu’il quittât les horizons socialistes, il resta soucieux du peuple, pacifiste, et conserva assez de militantisme pour mettre ses capacités au service de la Commission des antiquités de Seine-Maritime, de la Commission des sites, des paysages et perspectives de la Seine-Maritime afin de défendre de vieilles demeures, des arbres multiséculaires, et d’encourager les manifestations folkloriques.

Car notre homme, comme l’écrivit le journaliste Gabriel Reuillard, aurait été « plus heureux en un siècle où les valeurs spirituelles et morales étaient moins surclassées par les valeurs techniques. » C’est pourquoi le lecteur du texte qui suit, écrit en 1930, verra le vieil homme défendre avec passion Pont-de-l’Arche, notre cité millénaire. Ainsi que dans maints lieux de Normandie, Spalikowski trouva en Pont-de-l’Arche un véritable argumentaire en faveur du passé : la modestie à la fois des ouvriers et de leurs habitations vétustes et un cadre médiéval assez préservé pour rendre possible les rêveries, les balades dans le temps… 

Edmond Spalikowski ne se réfugia pas dans un conservatisme nostalgique, ou réactionnaire. En compagnie de savantes personnes, dont M. Becq de Fouquières (aux Damps) et des membres, par exemple, de la Société des écrivains normands, dont il fut président, ou de l’Académie des sciences et belles-lettres et arts de Rouen, dont il fut membre, il resta attentif aux modes de vie des humbles. Ces gens sans grade font l’histoire qu’aimait l’auteur et le patrimoine architectural peut être beau quand il marie le neuf à l’élégance des anciens bâtiments. Enfin, lorsqu’il rejette les voitures vrombissantes, déjà, on ne peut l’accuser d’être un vieil homme dont le temps est révolu : Pont-de-l’Arche – la presse de l’époque en témoigne – était une ville dangereuse où les accidents de la route se multipliaient dans les rues étroites de la cité.

Mieux que de visiter les rues archépontaines et dampsoises, Edmond Spalikowski s’y déploie, il rentre dans son sujet – un livre d’histoire à la main –, soupire, esquisse quelques pas vers les ruelles où l’y attendent les plus beaux points de vue, puis redonne à ses lecteurs un Pont-de-l’Arche lové dans une ambiance bien à lui. Les détails architecturaux côtoient les fritures et l’argot des gens du cru car l’auteur est conscient que le présent est déjà dans l’histoire, surtout dans une société qui laisse des témoignages précis sur ce qu’elle vit, aime et pense.

 

A. LAUNAY

 

 

Edmond Spalikowski : extraits de sa bibliographie

- La Station préhistorique de Saint-Aubin-sur-Gaillon (Eure), 1894 ; 

- Contribution à l’étude bactériologique du lait, 1894 ;

- Étude sur les logements des ouvriers de Rouen et…, 1894 ;

- Thèse pour le doctorat. Antonius Musa et l’hydrothérapie froide à Rome, 1896 ; 

- Notes d’anthropologie, 1896 ;

- Dictionnaire médical des Essais de Montaigne, 1897 ; 

- Études d’anthropologie normande, 1897-1898 ;

- Essai scientifique sur F. Villon et son œuvre, 1899 ; 

- Au travail pour la paix (Brochure de propagande).

- La prière au drapeau, 1901 ; 

- Terre normande (poésies), 1904 ;

- Mortalité et paix armée, lettre-préface de Camille Flammarion, 1904 ;

- Chansons de la paix, La Voix du socialisme, 1905 ;

- Bucoliques modernes suivies des Poèmes païens, 1926 ;

- Le Vieux Pont-de-l’Arche, [ca 1930] ;

- La Normandie rurale et ignorée, 1932 ; 

- À travers l’histoire littéraire normande. Michelet en Normandie, 1932 ;

- Âmes et aspects de Rouen, Rouen, 1934 ;

- La Bouille, paradis touristique, Rouen, 1936 ;

- Le Havre. Promenades et causeries, illustrées par l’auteur, 1936 ;

- Le Village, discours de réception d’Edmond Spalikowski à l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Rouen, 1937 ;

- Au pays des trois abbayes. Saint-Martin-de-Boscherville. Jumièges. Saint-Wandrille-Rançon, 1937 ;

- À propos des séjours normands de Pierre Corneille, 1939.

 

 

Sources

- BNF, Opale-Plus.

- Reuillard Gabriel, "Edmond Spalikowski, évocateur des caractéristiques normandes", [Paris-Normandie], [1952], 6 p., médiathèque de Louviers (in 8° / 477).

 

 

 

Pont-de-l'Arche d'autrefois et d'aujourd'hui

 

 

I. Coup d’oeil d’ensemble 

On pourrait appeler avec raison le XXe siècle le siècle de l’archéologie. Grâce aux travaux des maîtres et aux articles de vulgarisation répandus dans la presse, jamais le public ne s’est tant intéressé aux vieilles pierres et à la conservation des vieux monuments, bien que ceux-ci aient été parfois odieusement mutilés par des municipalités barbares.

Ce goût du passé, qui nous a valu la création de sociétés savantes et artistiques, de commissions des monuments et des sites, transforme le touriste qui ne traverse plus désormais indifférent une agglomération, sans s’enquérir des vestiges de remparts, des églises sauvegardées, des maisons restaurées et de l’aspect général de la bourgade.

Aussi Pont-de-l’Arche excite non sans raison la curiosité de ceux qui désirent rendre hommage à l’art de nos aïeux, tout en admirant le paysage environnant.

Il faut visiter ici, en effet, outre l’église si admirablement orgueilleuse sur sa butte d’où elle domine la vallée, de pittoresques asiles de pauvres gens dans les ruelles aboutissant au carrefour où se profile 1a statue d’Hyacinthe Langlois.

Parmi ces demeures, celle dite du Gouverneur et l’ancienne prison[1] devenue Hôtel de Ville[2], malheureusement dissimulées au fond d’impasses, ne sont pas les moins intéressantes. Des cours comme celle située derrière la Poste[3], des recoins en retrait de la Grande-Rue offrant toute surprise au crayon du dessinateur, et même des logis modernes, tel celui du notaire sur la grand’ place, d’où se dégagent le Boulevard, les routes de Louviers et d’Elbeuf, constituent un nouvel attrait.

 

E. Spalikowski (maison du gouverneur)

La maison du Gouverneur, croquis d'Edmond Spalikowski.

 

 

On verra, par l’exemple de ce home normand si coquet[4], ce que l’on peut tenter en s’inspirant de l’autrefois pour combler les voeux de l’urbaniste.

Le Boulevard qui infléchit sa descente ombragée vers la Seine, laisse voir des pans de fortifications dont la tour Lentérie[5], donnant sur le fleuve, est le spécimen le mieux conservé. La ville était jadis enfermée dans une enceinte, rappelle l’abbé Émile Chevallier, ayant à peu près la forme d’un demi-cercle. « La courtine, épaisse de 2 mètres, était chaînée de tours semi-circulaires mesurant 8 mètres de diamètre extérieur, (seule la tour à l’angle N.-O. de la ville était complètement circulaire). Trois portes donnaient accès dans la ville : l’une, au nord, défendait l’extrémité du pont ; une autre, au midi, ouvrait du côté de Louviers ; la troisième, à l’ouest, s’appelait la porte de Crosne. Ces ouvrages dataient de la première moitié du XIIIe siècle. »

À chaque pas entre l’église et le Boulevard apparaissent des demeures qui exaltent leur vétusté railleuse au regard des bicoques plus récentes et chantent le poème des origines.

Ce petit opuscule n’étant pas un guide au sens propre du mot, n’a d’autre prétention que de souligner quelques détails et d’en révéler quelques inédits. Car on néglige trop souvent l’histoire moderne sous prétexte que chacun la connaît mieux, parce qu’il est censé l’avoir vécue.

Ceux qui  nous suivront seront au contraire fort aises de glaner quelque document qui n’ait pas été vingt fois recopié par les rédacteurs de notices. Aussi, me suis-je borné à une sobriété voulue en ce qui concerne les monuments anciens, pour m’attacher à la physionomie actuelle de Pont-de-l’Arche et donner mes impressions.

Le lecteur ne devra donc point chercher ici ce que volontairement j’ai omis, puisque j’ai simplement réuni dans ces feuillets, par un fil tenu, des articles publiés aux colonnes des quotidiens, gazettes et revues.

 

 

II. Pont-de-l’Arche en 1930

 

C’est en visitant les recoins inconnus d’une cité médiévale comme celle de Pont-de-l’Arche, que l’on se prend à regretter qu’un Hyacinthe Langlois n’en ait point fixé l’image par un crayon habile, avant que la pioche n’ait abattu son fer sur les anciens témoins du passé qui s’éteint.

C’est aussi la raison pour laquelle j’ai voulu conserver en ces pages le souvenir des vieux murs qui subsistaient encore en 1930. Beaucoup en effet sont appelés à disparaître par nécessité d’industrie, de voirie ou d’hygiène.

L’histoire de ces logis qui demain seront morts serait peut-être aussi intéressante que celle des maisons de bois de Caudebec-en-Caux.

Les éléments me manquent pour en décrire les origines et les vicissitudes. Si les annales du Pont-de-l’Arche sont riches en documents concernant le pont, le château, l’église et même les remparts, elles sont des plus sèches au regard des humbles demeures de pauvres gens.

Je ne puis donc que les saluer de mes vers, avant la fatale échéance qui les verra succomber. L’hygiène y gagnera quelque chose sans doute par la suppression de quartiers insalubres ou inconfortables, mais tout un décor pittoresque s’effacera à jamais derrière la morne banalité de la brique et du ciment, à moins que suivant l’exemple de l’habile architecte M. Laquerrière, d’autres défenseurs de l’art ne redonnent vie nouvelle et joyeuse aux façades de demain, et ne rendent à Pont-de-l’Arche le cachet qui fait encore aujourd’hui sa gloire et son originalité.

D’abord à ce vieux toit sis au parvis paroissial, doit tendre mon premier pèlerinage.

 

Sur la place déserte où surgit souveraine

Notre-Dame-des-Arts en son manteau de reine,

La vétuste maison en habits de pauvresse

Étale sous ses yeux sa honte et sa vieillesse.

Et tel un mendiant quémande en sa sébille (sic)

L’obole pour boucher les trous de sa guenille,

Le vieux logis pourtant cherche à sourire encore

À de nouveaux étés, à de claires aurores.

Car il sait, fils des ans, que l’église d’en face

Jette sur sa misère un rayon de sa grâce.

 

Mais d’autres plus nombreux et moins bien avoisinés, ont fixé leurs assises aux quartiers populaires.

Je ne les oublie point malgré leur lèpre et leur sanie, tous ceux de la Rue Haute, de l’Abbaye sans toile et de la Cour Aîné. Ne sont-ils pas le coeur de la ville d’autrefois enclose en son enceinte demi-dévastée au pied de laquelle cependant s’épanouissent les roses des vergers, aux fossés verdoyants ?

 

Captant les chevaliers du rêve au temps perdu

Et des porte-hameçon l’innombrable tribu,

Dès le seuil de la bouche, élargissant son pont

Où la tour à créneaux noie une ombre falote

Aux suies des remorqueurs hâlant sans bruit la flotte

Des péniches ventrues, vermillonnées au front,

La cité de guingois rampe aux berges humides,

Agrippant au coteau ses mains creusées de rides,

Par les ans labourée d’un infernal burin,

Entasse cent taudis au relent des purins

Corrodant les ruisseaux de puantes venelles.

Leur crasse s’ennoblit d’un réseau de dentelles

Que festonne à plaisir le bloquet des lézardes.

Mais la maîtresse poutre en chêne qui s’affaisse

Malgré le réconfort des pijards, goguenarde

L’usine au ciment neuf et le toit sans noblesse

Où grandit la Fortune au berceau d’un chausson.

 

Le progrès en effet a déjà tout bouleversé. L’électricité dresse au carrefour ses pylones (sic) gigantesques, et le ciment a jeté son masque mélancolique sur les poutres apparentes, ce dont s’inquiète Hyacinthe Langlois sur son socle de pierre, que l’on aperçoit dès le coude du pont moderne.

 

Hyacinthe Langlois, poète archéologue

Qui sur ta stèle vois, surpris, tendant le dos,

Dévaler le troupeau bondissant des autos

Échappés aux éclairs du mont du Décalogue,

Pour assaillir le pont cher à Charles le Chauve,

Dans un mugissement de démon ou de fauve,

Lève pour dissiper l’effroi de ta prunelle

La tristesse de tes regards

Que consolait jadis l’inflexion d’une aile

Vers le sourire gothique

De Notre-Dame des Arts,

Reine aux fleurons de pierre en couronne au portique.

Mais prête aussi l’oreille à l’argot des commères

Bourdonnant à tes pieds aux étaux du dimanche,

À leur langue salée, à l’invective amère

Lancée en bon patois, les deux poings sur les hanches,

Et tu reconnaîtras par ce verbe gaulois,

Le sang fier de la race aux illustres exploits

Dans les veines d’enfants des « machons » d’autrefois.

 

 

III. Pont-de-l’Arche et le Tourisme

 

Pourquoi partir si loin lorsque le soleil dispense largement ses rayons sur nos têtes et que nous avons la féerie sous la main ?

Pont-de-l’Arche, en effet, dénoue la chaîne de ses arceaux et dresse sa tour vigilante pour l’appel du voyageur.

Depuis que cette ville est devenue non seulement un centre touristique, mais aussi le sanctuaire où règne, orgueilleuse de ses richesses, Notre-Dame-des-Arts, cette région de l’Eure s’est imposée comme un carrefour où se rencontrent, venues par les chemins ombreux de la forêt, les lacets dorés de la plaine qui voit se coucher la javelle, les autos dévalant en trombes à travers les ruelles pittoresques où, pignons, colombages et pijards s’effarent de tant de bruit et de vitesse.

De même que les géographes précisent l’importance d’une agglomération par sa situation, ainsi peut-on classer Pont-de-l’Arche parmi les routes de premier ordre, dont le pneu écrase le sable millénaire, que l’Histoire avait nonchalamment épandu depuis les temps du premier passage d’eau jusqu’à nos jours. Seulement le sable a perdu sa couleur jaune et gaie, pour se revêtir d'un sarreau noir qui protège à peine son rustique vêtement trop vite lacéré aux jeux de la course.

Mais nous savons ce que valent les tabliers dont le tissu fragile ne résiste guère à l’usure des travaux quotidiens et la route qui n’a rien de la vigueur d’Atlas, ne tarde pas à agrandir ses déchirures dès que l’automne jette le luxe trompeur de ses rouges colifichets sur la misère en haillons du chemin trop foulé.

C’est ici que l’on comprend, mieux peut-être qu’ailleurs, à l’abri des grands murs de la basilique heureusement à l’écart des agitations qui empêchent les emballés d’en admirer à loisir les délicates sculptures, combien apparaît plus pressante que jamais la solution du problème de la route aux chauffeurs.

En principe, l’automobiliste ne s’inquiète que de deux choses : du rythme de son moteur et de l’état de la chaussée. Aussi n’a-t-il guère le loisir de s’apercevoir si les vieux logis dont il frôle la souquenille, lui reprochent de troubler brutalement leur rêve ou l’injurient d’éclabousser leurs ouvroirs d’immondices et d’y lancer leurs vapeurs empestées.

Pont-de-l’Arche ne compte plus guère que pour les artistes, les poëtes (sic) et... les pêcheurs à la ligne, mortels inoffensifs qui conservent du monde d’hier, avec la sagesse et la lenteur du geste, le respect du silence et le culte de la tradition. C’est pourquoi ils s’égaillent le long des berges et sur les eaux du bras de Seine qui caressent mollement le paisible village des Damps où les salicaires fleuries jalonnent de leurs hampes pourpres le sentier herbeux conduisant vers l’autrefois, c’est-à-dire à l’abbaye de Bonport.

Sans doute en conservant les habitudes des ancêtres primitifs les chevaliers de la gaule font-ils figure de gens d’un autre âge pour ceux que la passion de la vitesse rive au volant.

Cependant si les artères principales de Pont-de-l’Arche sont à jamais vouées aux nouveaux dieux infernaux dont le pétrole alimente les brasiers, bien des venelles offrent encore leurs retraites propices à la méditation et au rêve. On peut flâner délicieusement sur le Boulevard, dans l’ombre tutélaire qui protège le passant de son bouclier de feuillage contre les flèches de la canicule.

À ses pieds, les jardins potagers trouvent au cuvelage des anciens fossés la terre nourricière qui favorise l’orgueil des choux et des poireaux. Le regard s’amuse du déhanchement des murs et des toits, et la tour d’angle découronnée qui n’inspire plus aucune idée guerrière, étonne comme un anachronisme dans un décor bucolique.

Le spectacle de la rue n’y est pas non plus banal et sans valeur.

Le dimanche matin, sur la petite place montante et biscornue aux pavés rocailleux, un marché déploie le contraste des couleurs, autour du socle surmonté du bronze noirci d’Hyacinthe Langlois, dont un cordon de lampes électriques éclaire brutalement la face, aux soirs de fêtes officielles. De sa prunelle curieuse, l’artiste archéologue scrute, comme il savait le faire, les détails de ce tableau de la vie utilitaire où sous le ciel gris de Normandie égayé un instant d’une lueur qui voudrait être un sourire de soleil, s’étalent les produits de l’agriculture et de l’industrie.

Ici, une file de lapins dépouillés et prêts pour la casserole forme la frange sanglante d’une courtine accrochée aux ais d’un étal   improvisé ; là, un parterre de cantaloups parfume une voiture autour de laquelle se pressent maintes gourmandes ménagères. Mais elles quittent bientôt l’éventaire odorant pour celui aux rideaux ajourés et pour celui non moins attirant où chatoient le mauve, le rose, le gris et le tango des bas de soie et des corsages qui feront belles les filles des chaussonniers et artisans de chaussure en rupture d’ateliers. Car le propre de Pont-de-l’Arche est d’être un centre industriel sans en avoir l’air. Sa coquetterie lui fait honneur.

Les fabriques se dissimulent entre un mur historique et un jardin. À peine aperçoit-on une cheminée plus haute, quelques vitrages ou un hangar. Seul, un réseau de fils électriques, distributeurs d’énergie, couvre pignons, faîtes et lucarnes, comme toile d’araignée et les hauts pylones (sic) de fer jurent, accolés contre un logis à poutrelles apparentes, qui ne profite pas toujours de la lumière qu’ils apportent.

Sur le port ou du moins près de la grève, les maisons de pêcheurs, au milieu desquelles quelques façades plus cossues ont rajeuni leur costume, conservent le souvenir d’anciens briseurs de lames dans les nuits aux captures fructueuses.

Croyez en la vieille expérience d’un amateur de beaux arts. Malgré ses trombes d’autos et les embarras de ses ruelles, dont aucun Boileau ne dira les ennuis, Pont-de-l’Arche réserve toujours aux citadins avides d’air pur et de calmes horizons, des retraites que signalent quelques papiers gras, reliefs des repas dominicaux en plein vent.

Mais les berges de Bonport sont assez larges et les fourrés assez nombreux pour qu’on puisse y installer trois tentes, en l’espèce le parasol du chef de famille et les ombrelles de la maman et de sa fille, qui jetteront leurs taches vives sur l’écran de vert émeraude des saulaies et des hêtres.

 

 

IV. – Sur le pont… de Pont-de-l’Arche

 

Lorsque le wagon ralentit sa course face à l’horizon que noircit le long ruban de la forêt de Bord, le touriste devra parcourir le pont, fils de celui qui donna son nom à l’antique cité bâtie au IXe siècle, pour résister aux incursions de ceux qui devaient la conquérir, avant de rendre prospère " la Duché  ", dont elle est l’une des parures.

Celui d’autrefois mesurait 334 mètres de longueur et 6 m 50 de largeur. Tout en pierre de taille, il incurvait vingt-trois arches de largeurs et de formes différentes, reposant sur des piles terminées en éperons. Les parapets crénelés s’affublaient de trois moulins en pans de bois perchés sur de longues poutres semblables à des échasses, dont le premier avait appartenu à l’abbaye de Saint-Ouen de Rouen et en conservait l’appellation ; le second s’appelait Parmi ou Matignon et le troisième Rouville ou aux Danois.

Un calvaire érigé au-dessus de l’arche marinière rendait courage et espoir aux usagers du fleuve, appréhendant comme à Vernon l’accès de ces passages près desquels se creusaient souvent de dangereux tourbillons.

Le voyageur ne verra plus le château ni la Porte de l’Eau. Mais deux tours restaurées lui rappelleront une époque chère aux romantiques. À leur pied s’alignent, comme autour du bassin d’un petit port tranquille, de modestes maisons neuves ou rafistolées qui, fatiguées de faire le guet, semblant des lazzaroni assoupis, ne peuvent, même l’oeil mi-clos, voir passer les remorqueurs tirant sans bruit de longues files de chalands au ventre de Gargantua, dans lequel, par tonnes, s’entassent les produits les plus divers, tandis que les barques de pêcheurs en rupture de bureau ou de comptoir, partent à la conquête d’une friture.

D’ailleurs, le pélerinage (sic) finit à Bonport, abbaye dépouillée de ses trésors, et même de ses pierres que l’on retrouve ça et là aux environs, Bonport où résidait quelquefois le bon abbé Desportes, aux vers gracieusement volages, écrits après un souper fin ou entre deux aventures galantes du prince dont il chantait les amours. Mais ne fut-il pas l’ancêtre de ceux qui prêchent la morale facile et l’art de ne pas s’en faire ? Car son potage était exquis, si l’on en croit Malherbe, et puis il avait une telle dilection pour la campagne, surtout celle de Normandie, qu’il lui faut pardonner bien des faiblesses pour la gentillesse de certains poèmes éclos au bord de notre Seine.

Des Parisiens imitant son exemple, ont choisi ces rives pour y fixer leur demeure estivale. Mais effrayés par la gravité du site et les pignons ajourés, qui tels de beaux yeux crevés, ouvrent les orbites de leurs fenestrages sur le mystère des eaux, ils se sont réunis de l’autre côté du pont formant bordure de démarcation entre les deux zones si singulières par le contraste de leur aspect.

Il semble qu’il ferait bon vivre dans cette petite cité qui s’est sagement retirée à l’écart d’une gare où s’arrêtent la plupart des trains venant de Paris. À peine le commis voyageur s’engage-t-il sur quelques seuils, tandis que le touriste dominant l’eau qui bouillonne à ses pieds, voit surgir comme fond de décor, la Côte des Deux Amants, où vielle la légende de Marie de France, qu’ont rendue impérissable la vaillance et l’amour auréolant ses héros.

 

 

V. – L’enterrement à Pont-de-l’Arche

 

Dès les premiers jours de printemps et de festivités pascales, Pont-de-l’Arche qui a secoué le voile maussade dont la neige et la pluie s’obstinaient à couvrir le gothique chapeau de sa basilique et les bonnets sur l’oreille de ses anciens logis, attend la file des autos en délire, sans espérer pouvoir les retenir toutes cependant.

À ceux qui, désireux de goûter les joies de la marche à pied, s’aventurent sur le pavé, je conseillerai de gravir tout d’abord non le chemin officiel, dirai-je, mais le torve sentier qui serpente du quai à l’éminence où s’implante Notre-Dame-des-Arts[6] ; en abordant celle-ci par le chevet, pour se réserver ensuite l'enchantement de la façade sur le parvis.

Rappellerai-je que primitivement dédié à Saint-Vigor, presque tout l’édifice date du commencement du XVIe siècle, et que la décoration intérieure est due au concours de nombreuses  personnalités, dont Madame la duchesse d’Uzès sut échauffer l’enthousiasme et provoquer les dons généreux.

Le maître autel de style Louis XIV, les 46 stalles provenant de l’abbaye de Bonport, de la même époque d’ailleurs, que défendent des lions accroupis, ne font point oublier les remarquables vitraux dont l’un retrace l’image du chemin de Halage sous l’ancien pont, et celle du château au temps de Henri IV.

Mais peut-être croiserez-vous en ce moment un enterrement. La cloche sonne alors son appel sur le rythme du Dies Irae. Sous les voûtes aux nervures ramifiées comme feuilles épanouies, la Charité en costume rituels monte la garde autour du catafalque, et lorsque le Libera a délivré non seulement les chantres, mais l’assistance, un char sans cheval, véhicule à quatre roues, quitte le parvis et s’avance le long des murs historiques qui en ont vu bien d’autres, poussé par les confrères de la Charité, dont l’appellation semble bien justifiée.

Cet usage qui peut paraître suranné à certains, n’est-il point au contraire inspiré, par un dernier geste de solidarité humaine au seuil de l’éternité ?

Sur le passage, le logis dit « du Gouverneur » hausse son toit et son corps effilé au-dessus des arbres, pour mieux apercevoir les gens du cortége (sic).

Pendant ce temps, la vie continue, les métiers ronronnent, les chaussures se cousent, les chaussons se tissent avec leurs bigarrures et leur diversité de formes et de couleurs. À heures fixes, un long camion automobile emmène les ouvrières du dehors, accourues des campagnes pour le travail à l’usine. Les aubergistes inquiets scrutent l’horizon où s’amoncellent de nouveaux nuages qui chasseront les promeneurs alléchés par une semaine précédente de douceur et de rayons qui a croché les premiers bouquets aux arbres des vergers et jardins.

Qu’importe, les fritures grésillent aux poêles plébéiennes des rues de Hault, Sainte-Marie, de l’Abbaye-sans-Toile et dans la Cour Ainé.

 

E. Spalikowski (abbaye sans toile)

La rue Abbaye-sans-toile, croquis d'Edmond Spalikowski.

 

Mais avril ne saurait chaque année se décider à lâcher sitôt l’hiver qui fait d’ailleurs des façons pour prendre sa retraite, abusant de son grand âge pour s’imposer au-delà des limites permises par les règlements du calendrier. Une vague d’assaut chargée d’ondées ou de neige à demi fondue se dessine sur les chalands en construction dans l’île tonnante de vingt marteaux, barrant le fleuve[7], que cherche à dissimuler le rideau d’arbres tendant son réseau de jeune verdure, du pont à la chaussée goudronnée jusqu’à la pointe des Damps.

Puisse la gentille cité garder longtemps ses berges verdoyantes, ses grands peupliers et ses vieilles pierres. Elle sera toujours ainsi celle que l’on regrette lorsque la vision de son horizon de forêts, de toits, tours et campaniles, s’estompe dans la brume, au tournant du chemin.

 

 

VI. – Vers les Damps

 

Depuis que M. André de Fouquières a spirituellement raconté pourquoi il était venu s’installer aux Damps, sorte de faubourg de luxe de la petite cité médiévale, son apostolat a porté ses fruits, puisque toute une colonie parisienne a pris possession de l’estuaire de l’Eure !

Elle eut difficilement trouvé mieux. Le site est des plus agréables, les rives de la Seine, le fleuve lui-même entrecoupé d’îles dérobant du rideau de leurs grands arbres la plaine d’Alizay trop monotone, à proximité de la grande ligne Paris-Rouen, tout cela incitait au déplacement pour un séjour prolongé, qu’avaient déjà tenté auparavant des écrivains et des artistes, notamment Octave Mirbeau, au sein de cette Maison du Sage, ainsi qu’il la désignait dans un article du Gaulois.

Ne s’imaginait-il pas en effet, que celle-ci avait appartenu au philosophe Caro, lorsqu’en réalité, elle avait fait les délices d’un ancien commerçant parisien « chemiserie et confection » qui n’avait rien de commun avec l’auteur du Matérialisme et la Science ?

Il faut reconnaître qu’une louable émulation a incité les villégiaturistes à rivaliser de zèle pour transformer cette modeste agglomération de pêcheurs déjà charmante en un véritable Éden enchanteur.

M. de Fouquières – noblesse oblige – a laissé à sa demeure l’allure d’une vieille dame du XVIIIe siècle, légèrement rajeunie sans rien perdre de sa distinction.

Sur trois larges baies s’ouvre le hall imposant dans son austérité rompue par quelques meubles, divan, fauteuils. Le portrait du maître de ces lieux dans une pose romantique, reçoit, dès l’escalier de fer forgé, les hôtes et les amis.

Voici l’antichambre aux murs tendus de nattes où se détachent quelques toiles et dessins anciens, la salle à manger au décor jaune de toile cirée, ainsi que les rideaux portières et sa longue table dont les dimensions révèlent que l’hospitalité généreuse ne regarde pas au nombre des convives.

Du premier étage où se déroule la succession des chambres meublées à la moderne dans l’intimité desquelles survivent quelques souvenirs de familles ou reliques d’hier, le panorama s’élargit, et l’œil s’éjouit du spectacle des futaies en ligne pour la parade.

Le jardin à son tour réserve des surprises. Le rideau des grands arbres, aux bras étendus dans un geste de bénédiction ou de protection, dissimule à peine un petit édicule de la Restauration, la bibliothèque aux reliures attristées d’un abandon qu’impose l’existence trépidante de la capitale, les communs où se tapit l’auto toujours prête, aux bondissements vers l’aventure de la route.

Puis là-bas, au delà du potager orgueilleux de son exposition légumière et florale, un simple rez-de-chaussée qui, jadis, remplit l’office de mairie pour le village des Damps, a vu transformer la salle municipale en chambre-salon au lustre d’un modern-style audacieux et ses annexes en cabinet de bain et cuisine.

Voici vraiment l’ermitage rustique bien que confortable, contrastant avec le manoir d’en face, aux lignes rigides, aux toits d’ardoises à lucarnes.

Les murs du verger courent le long d’un sentier qui limite le domaine jusqu’à la grille ouverte sur le mystère des buissons et des ombrages.

Et c’est là, douce demeure de grand seigneur doublé d’un artiste et d’un lettré, dont l’accueil dit le grand cœur et la race.

À la suite s’alignent d’autres logis construits la plupart en style normand. La plupart vénérables et authentiques, si j’ose m’exprimer, ont souffert de la négligence, de l’incurie ou de la gêne de leurs possesseurs de jadis, aussi bien que des vents chargés de pluie les fouettant au visage. Mais ils sont devenus de délicieux cottages, égayés de la note écarlate des géraniums ou des tons plus discrets et variés des pétunias et capucines.

L’un même, hier, simple grange-écurie, élevé à la dignité de salle d’apparat, renferme un musée complet de souvenirs ruraux des XVIIIe et XIXe siècles que l’impatience et l’ingéniosité d’une Cauchoise, Mme Leroy, dont on ne saurait trop louer l’initiative, ont aidé à meubler avec un goût si original et si sûr que l’œil le plus observateur n’a rien à critiquer.

Ce rez-de-chaussée accroupi au pied de la falaise verdoyante et fleurie qu’il a fallu entailler pour y asseoir le jardin, est voisin de la maison des Damps, dont le portail élégant, de style Louis XIII, attire déjà l’attention avant que le visiteur ne pénètre dans la cour pour se réjouir des bâtiments à ornements extérieurs de colombages apparents.

Mais dans ce rayon exigu, tout un musée de la rue s’est constitué. M. Jean Bourdon a veillé au respect de l’harmonie des lignes de sa maison, vêtue de lierre, dont le studio se décore d’une agréable cheminée à large foyer.

Un autre manoir plus vétuste, dit de la Reine Blanche, un peu à l’écart du chemin du bord de l’eau, chauffe sa tourelle altière à poutrelles enchevêtrées en X ou parallèles, au soleil du Midi qui la conserve et la console des attaques insidieuses des brumes sorties du fleuve, aux soirs et matins d’arrière-saison.

Sans doute cette demeure attend-elle l’occasion qui lui donnera un Mécène capable de lui rendre sa vigueur et sa beauté première. Mais telle qu’elle est dans son verger de curé, abandonnée aux orties et mauvaises herbes, elle semble bien la princesse délaissée prouvant ses nobles origines, malgré l’usure de son vêtement.

Espérons qu’une heure de réhabilitation sonnera pour elle comme elle a sonné pour le Prieuré, robuste ermitage enclos de murs favorisant la pérennité de la prière aux sourires des roses et des massifs qui constituent le durable reposoir des fêtes de l’été.

 

E. Spalikowski (maison de la Dame blanche)

La maison de la Dame blanche, croquis d'Edmond Spalikowski.

 

Et puis, arrêtons-nous devant cette curieuse entrée de cour, près d’un restaurant de pêcheurs, en face de la cale où, à l’aide d’une traille, un bac assure le passage dans la grande île, carène de verdure escortée d’autres nefs dont les troncs d’arbres sont les mâts et les cimes murmurantes des voiles innombrables, dont aucun souffle cependant ne peut vaincre l’immobilité.

Sur ces deux ou trois kilomètres de route constituant l’artère principale de ce coquet royaume du repos, vers laquelle dévalent des sentiers agrestes, ayant gardé leur simplicité de costume et d’allure, tout un monde roulant d’autos circule sans trop de peine et de bruit. Des rencontres heureuses y naissent par l’effet du hasard, des relations et des invitations, et plus d’un qui a pris pied quelques jours sur la berge, le long de laquelle s’égaille, de l’aube au crépuscule, le cohorte des patients chevaliers de la gaule, ne quitte ces lieux qu’avec le regret au cœur. Le désir monte à ses lèvres d’y trouver à son tour un abri pour goûter la douceur de l’heure parfumée des mois où l’on entend le murmure de la chanson des blés.

 

[1] C’est-à-dire le bailliage.

[2] Et ce jusqu’en 1967.

[3] La cour du Cerf.

[4] La maison notariale.

[5] La tour de Crosne, non pas mieux conservée mais mieux restaurée (XIXe siècle).

[6] La sente de Beauregard.

[7] Ce sont les travaux de calibrage de la Seine, séparant l’Eure de la Seine et endiguant les berges. 

 

Armand Launay

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22 juillet 2011 5 22 /07 /juillet /2011 17:13

Dans une lettre adressée à son épouse depuis Les Andelys, Victor Hugo rapporte une anecdote que voici…

 Victor-Hugo.JPG

Le 12 septembre 1837

Hier, entre Louviers et Pont-de-l’Arche, vers midi, j’ai rencontré sur la route une famille de pauvres musiciens ambulants qui marchait au grand soleil. Il y avait le père, la mère et six enfants, tous en haillons. Il suivaient le plus possible la lisière d’ombre que font les arbres. Chacun avait son fardeau. Le père, homme d’une cinquantaine d’années, portait un cor en bandoulière et une grande contrebasse sous son bras ; la mère avait un gros paquet de bagages ; le fils aîné, d’environ quinze à seize ans, était tout caparaçonné de hautbois, de trompettes et d’ophicléides [1] ; deux autres garçons plus jeunes, de douze à treize ans, s’étaient fait une charge d’instruments de musique et d’instruments de cuisines où les casseroles résonnaient à l’unisson des cymbales : puis venait une fille de huit ans, avec un porte-manteau aussi long qu’elle sur le dos ; puis un petit garçon de six ans affublé d’un havresac de soldat ; puis enfin une toute petite fille de quatre à cinq ans, en guenilles comme les autres, marchand aussi sur cette longue route en suivant bravement avec son petit pas le grand pas du père. Celle là ne portait rien. Je me trompe. Sur l’affreux chapeau déformé qui couvrait son joli visage rose, elle portait – c’est là ce qui m’a le plus ému – un petit panache composé de liserons, de coquelicots et de marguerites, qui dansait joyeusement sur sa tête.

J’ai longtemps suivi du regard ce chapeau hideux surmonté de ce panache éclatant, charmante fleur de gaîté qui avait trouvé moyen de s’épanouir sur cette misère. De toutes les choses nécessaires à cette pauvre famille, la plus nécessaire, c’est à la petite bégayant à peine que la Providence l’avait confiée. Les autres portaient le pain, l’enfance portait la joie. Dieu est grand.

 

Commentaire

On ne présente évidemment pas Victor Hugo mais lorsque l’on connait l’engagement politique qui fit en grande partie son renom, on peut s’étonner de cette description des gens du peuple. Ce tableau de misère n’est ni compatissant ni révolté : la chose que retient Victor Hugo n’est pas le pain qui manque mais le panache que porte l’insouciante enfant. Cette vision s’entend… si l’on n’a pas de problème pour se nourrir, comme l’auteur… Si le panache passe pour la chose la plus utile et émouvante à ses yeux, c’est bien parce que le jeune Hugo refuse de voir la misère et qu’il se réfugie dans ce qui lui ravit l’âme. 

Il est intéressant de lire ce panache comme une métaphore de la société de privilèges que constituait la monarchie. Ce panache est d’autant plus visible qu’il est rare et qu’il pousse sur la misère la plus la plus crasse. Les privilégiés, en règle générale, quoique, préféraient voir ce panache quitte à en oublier l’injustice qu’il coiffait. C’est encore le cas de Victor Hugo, royaliste désireux de plus de libéralisme et attentif à la misère, même si elle le révolte pas encore. Ouvert à l’évolution des mentalités il fut de plus en plus acquis à la cause sociale et devint le héraut de la justice sociale en se rapprochant des républicains avancés et des prémices socialistes [2].

Quelques années plus tard, le Dieu avec lequel Victor Hugo termine ce passage ne couronnait plus la richesse – même par un beau panache – mais bien plutôt la pauvreté, qui est le parti à la fois du prophète chrétien et des réformistes.

 

 

Source

Collectif, Voyage en Normandie, Urrugne : Pimientos, 2001, page 43.

 

 

Notes

[1] Sorte de tuba, grand cuivre à vent muni de clés qui fut autrefois utilisé dans les marches militaires principalement.

[2] Victor Hugo ne rompit officiellement avec la droite qu’en octobre 1849, alors qu’il exerçait les fonctions de député de la Seconde république. Cette rupture était consumée car le député refusait une trop grande présence de l’Église dans les affaires publiques (notamment avec la loi Falloux) ainsi que le dédain avec lequel la droite bonapartiste et royaliste laissait souffrir la partie la plus humble de la Nation. Victor Hugo rejoignit les députés qui se déclaraient Montagnards – et donc révolutionnaires – et appela le peuple aux armes lors du coup d’État de Napoléon III cependant qu’il s’opposait à la peine de mort et à la violence gratuite. 

Armand Launay

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8 juillet 2011 5 08 /07 /juillet /2011 17:28

Voici un article qui n’a guère de rapport avec l’histoire de Pont-de-l’Arche et de sa proche région. Cependant, j’ai réalisé cette étude dans le cadre de ma formation en bibliothéconomie et les rapports de stage ne sont pas conservés en bibliothèque. Alors je la mets à disposition de celles et ceux qui pourraient en avoir besoin et qui tomberont sur ces quelques phrases au gré de leurs recherches Internet.

Armand LAUNAY, Comment repérer et identifier un fonds de livres issus des confiscations révolutionnaires : le cas du fonds de la bibliothèque de l’abbaye du Valasse conservé à la Bibliothèque municipale du Havre, rapport de stage sous la direction de Dominique Rouet, IUT Information-communication du Havre, 2005, 65 p.                                                                   

Comment localiser et identifier une collection de livres anciens et rares qui se sont retrouvés mélangés à d’autres fonds durant la Révolution ? Cette question, appliquée à la bibliothèque de l’ancienne abbaye cistercienne du Valasse nécessite l’emploi d’outils bibliothéconomiques tels que le registre d’inventaire, les fichiers manuels, les bases de données. De là, nous devons repérer les indices tels que les ex-libris et autres signatures pour prouver l’origine de chaque livre. La priorité est donnée à la méthodologie.

How to locate and identify a stock of old and rare books which were spread during the French revolution? This question, applied to the ancient library of a Cistercian abbey (Le Valasse) which was mixed with another library, require to use librarian tools such as inventory register, card index system, database file. Then, as soon as books are located, we have to define tools like ex-libris and others signatures to proof the origin of every book. Priority is given to methodology. 

 

Le rapport de stage est communicable par e-mail sur simple demande.

 

Signature de Eyron (Commentaria in duodecim prophetas minores, Corneille Van der Steen (cote 1349) :

      dscn0027

Armand Launay

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  • : Pont de l'Arche et sa région histoire, patrimoine et tourisme
  • : Bienvenue sur ce blog perso consacré à Pont-de-l'Arche et sa région (Normandie, Eure). Contactez-moi afin d'étudier ensemble, plus avant, l'histoire et donc de progresser vers la connaissance. Bonne lecture ! armand.launay@gmail.com
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Mes activités

Armand Launay. Né à Pont-de-l'Arche en 1980, j'ai étudié l'histoire et la sociologie à l'université du Havre (Licence) avant d'obtenir un DUT information-communication qui m'a permis de devenir agent des bibliothèques. J'ai acquis, depuis, un Master des Métiers de l'éducation et de la formation, mention Lettres modernes. Depuis 2002, je mets en valeur le patrimoine et l'histoire de Pont-de-l'Arche à travers :

- des visites commentées de la ville depuis 2004 ;

- des publications, dont fait partie ce blog :

Bibliographie

- 20 numéros de La Fouine magazine (2003-2007) et des articles dans la presse régionale normande : "Conviviale et médiévale, Pont-de-l'Arche vous accueille", Patrimoine normand n° 75 ; "Pont-de-l'Arche, berceau de l'infanterie française ?", Patrimoine normand n° 76 ; "Bonport : l'ancienne abbaye dévoile son histoire", Patrimoine normand n° 79 ; "Chaussures Marco : deux siècles de savoir-plaire normand !", Pays de Normandie n° 75.

- L'Histoire des Damps et des prémices de Pont-de-l'Arche (éditions Charles-Corlet, 2007, 240 pages) ;

- Pont-de-l'Arche (éditions Alan-Sutton, collection "Mémoire en images", 2008, 117 pages) ;

- De 2008 à 2014, j'ai été conseiller municipal délégué à la communication et rédacteur en chef de "Pont-de-l'Arche magazine" ;

- Pont-de-l'Arche, cité de la chaussure : étude sur un patrimoine industriel normand depuis le XVIIIe siècle (mairie de Pont-de-l'Arche, 2009, 52 pages) ;

- Pont-de-l'Arche, un joyau médiéval au cœur de la Normandie : guide touristique et patrimonial (mairie de Pont-de-l'Arche, 2010, 40 pages) ;

- Pont-de-l'Arche 1911 I 2011 : l'évolution urbaine en 62 photographies (mairie de Pont-de-l'Arche, 2010, 32 pages) ;

- Mieux connaitre Pont-de-l'Arche à travers 150 noms de rues et de lieux ! (Autoédité, 2019, 64 pages) ; 

- Déconfiner le regard sur Pont-de-l'Arche et ses alentours (Autoédité avec Frédéric Ménissier, 2021, 64 pages) ;

- Les Trésors de Terres-de-Bord : promenade à Tostes, ses hameaux, Écrosville, La Vallée et Montaure (publié en ligne, 2022) ;

- Les Trésors de Terres-de-Bord : promenade à Tostes, ses hameaux, Écrosville, La Vallée et Montaure (version mise en page du précédent ouvrage, édité par la mairie de Terres-de-Bord, 2023).

Depuis 2014, je suis enseignant à Mayotte.

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