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9 octobre 2020 5 09 /10 /octobre /2020 10:18
Carte postale issue des fonds des Archives départementales de l'Eure.

Carte postale issue des fonds des Archives départementales de l'Eure.

Flipou est une petite commune de 330 habitants perchée dans le Vexin près de la Côte-des-deux-amants. Flipou, le nom a des sonorités rigolotes et demeure bien énigmatique d’un point de vie toponymique (le nom de lieu). L’étymologie (l’origine du mot) qui laisse le plus rêveur est celle de MM. Charpillon et Caresme, dans le Dictionnaire historique de toutes les communes de l’Eure (1879) : Fageti podium, “la colline des hêtres”. L’on se plait à voir ici un hypothétique ancien nom de la Côte-des-deux-amants, mais elle se trouve tout de même à quelques kilomètres de là. Est-ce une étymologie crédible ? Nous en doutons car on aussi un Phipou en rase campagne du plateau du Neubourg. Or, Phipou fut une des formes du nom de Flipou. Le mystère demeure...

Cartes postales issues des fonds des Archives départementales de l'Eure.
Cartes postales issues des fonds des Archives départementales de l'Eure. Cartes postales issues des fonds des Archives départementales de l'Eure.
Cartes postales issues des fonds des Archives départementales de l'Eure.

Cartes postales issues des fonds des Archives départementales de l'Eure.

Les cartes postales de 1900, issues des collections des Archives de l’Eure, montrent une commune peu peuplée mais attrayante. Les cartes sont éditées par des cafés-épiceries de Fleury-sur-Andelle et Pont-Saint-Pierre, preuve que quelques touristes, quelques visiteurs venaient à Flipou d’où ils envoyaient leurs nouvelles par cartes interposées. On y voit l’église Saint-Vaast, construite en 1852 sur les bases de l’ancien édifice dont il ne reste que le relativement haut clocher carré remontant à la fin du XVIIe siècle. 

Vues actuelles de l'église Saint-Vaast par Armand Launay en juillet 2021.
Vues actuelles de l'église Saint-Vaast par Armand Launay en juillet 2021.Vues actuelles de l'église Saint-Vaast par Armand Launay en juillet 2021.
Vues actuelles de l'église Saint-Vaast par Armand Launay en juillet 2021.

Vues actuelles de l'église Saint-Vaast par Armand Launay en juillet 2021.

L’ancienne paroisse d’Orgeville a été rattachée à la commune de Flipou. On en voit encore son ancienne église, en ruine et la croix monumentale datée du XIIe siècle. Ceci à quelques mètres de l’excellente ferme des Peupliers et ses savoureux produits laitiers. 

Vestiges de l'église d'Orgeville (photographies d'Armand Launay, juillet 2021).
Vestiges de l'église d'Orgeville (photographies d'Armand Launay, juillet 2021).Vestiges de l'église d'Orgeville (photographies d'Armand Launay, juillet 2021).

Vestiges de l'église d'Orgeville (photographies d'Armand Launay, juillet 2021).

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9 octobre 2020 5 09 /10 /octobre /2020 09:53
Balade à Poses, sur la passerelle du barrage en avril 2013 (clichés d'Armand Launay).
Balade à Poses, sur la passerelle du barrage en avril 2013 (clichés d'Armand Launay).

Balade à Poses, sur la passerelle du barrage en avril 2013 (clichés d'Armand Launay).

 

Si l’intérêt touristique et promenadier de Poses n’est plus à faire, le long de la Seine, des ruelles et du barrage, il est bon d’y voyager dans le temps afin de voir combien évoluent vite les modes de vie et donc, quelque part, les paysages.

Déjà son église Saint-Quentin des XVe et XVIe siècles, au chœur et au transept gothiques, est intrigante si loin des maisons. Elle témoigne d’un temps où Poses n’était pas que ce village-rue peuplé de mariniers aux maisonnettes blotties et réparties au gré des venelles. Poses a aussi été un ensemble de hameaux situés hors des eaux des crues, notamment dans la plaine vers Léry, parmi lesquels se trouvait, naguère, un moulin depuis recouvert par les eaux des étangs ayant remplacé les carrières de sable. La vigne a même été entretenue et exploitée dans cette plaine comme en témoignent les lieux-dits comme “le clos des vignes” vers Tournedos.  

Qui sait qu’ici sont distinguées la haute Seine, celle de Paris et des berges aussi basses que végétales, de la basse Seine soumise aux marées ? La basse Seine fut transformée en chenal entre le milieu du XIXe siècle et les années 1930, ceci afin de rendre plus aisée la navigation. Ainsi Poses est le point cardinal où la Seine perd le plus de son altitude. C’est ce qui explique la présence des écluses d’Amfreville-sous-les-Monts afin d’aider les péniches à passer la cataracte.

Avant l’inauguration, en 1887, du barrage et des écluses, Poses était déjà une pause dans la pénible navigation des mariniers. Déjà en ce lieu la Seine perdait une altitude suffisamment importante pour baisser le tirant d’eau et rendre périlleuse la remontée, comme la descente, des bateaux. Des heures de guidage et montage des bateaux étaient nécessaires selon le poids des embarcations. Cela nécessitait des équipes de professionnels sur place et des aubergistes pour loger les transporteurs et leurs clients les commerçants, eux qui surveillaient le déplacement de leurs marchandises vers Paris ou vers la mer. Il parait que les bateaux étaient posés sur des iles, appelées les “poses”, en attendant la marée haute et donc les manœuvres des hommes. Ce serait là l’origine du nom de Poses au pluriel assez singulier.  

Ces activités batelières se lisent encore nettement sur les cartes postales des années 1910, notamment disponibles sur le site des Archives de l’Eure. Elles animent aujourd’hui encore le musée flottant de la batellerie : un prétexte supplémentaire pour aller se balader à Poses et savourer un patrimoine bâti serti dans un agréable écrin naturel. 

 

Cartes postales de Poses des fonds des Archives départementales de l'Eure.
Cartes postales de Poses des fonds des Archives départementales de l'Eure.
Cartes postales de Poses des fonds des Archives départementales de l'Eure.
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10 juillet 2019 3 10 /07 /juillet /2019 12:42

 

À la mémoire de Serge Petit, parti trop tôt avec son sourire et sa courtoisie.
 

Nous tenons à remercier pour leur aide Yvette Petit-Decroix ainsi que Renée et Pierre Roussel

 

Sa position sur une montagne élevée de trois cents cinquante pieds environ au-dessus des vallons que parcourent la Seine, d’une part, et l’Andelle, rivière du Pont Saint-Pierre, de l’autre, lui donne une des vues les plus agréables de France, surtout au printemps ; les pommiers qui couvrent ces vallons étant alors en fleurs.”

   

Aubin-Louis Millin de Grandmaison, Antiquités nationales ou Recueil de monumens…, 1791.

 

 

La côte des Deux-amants, avec au premier plan le barrage de Poses, vue depuis la rive gauche de la Seine (cliché Armand Launay, mars 2012).

La côte des Deux-amants, avec au premier plan le barrage de Poses, vue depuis la rive gauche de la Seine (cliché Armand Launay, mars 2012).

 

Pyramide verte émergeant du paysage de la vallée de la Seine, la côte des Deux-amants est un lieu de rêveries. Comme nous l’avons précédemment étudié dans un article, on lui attache depuis au moins le XIIe siècle la légende de deux amants, cousins d’infortune de Roméo et Juliette, aux amours interdites et empêchées par les obligations à eux imposées par leurs ainés. 

Dans une autre étude, nous nous sommes penchés sur l’origine du nom de la côte des Deux-amants : populaire, littéraire, chrétienne ou pratique ? La réponse n’est pas simple qui mérite d’associer les différentes thèses. Mais il semble, à minima, que l’existence d’un prieuré au sommet de la côte a entretenu les discussions et le besoin de répéter la légende des deux amants. Que savons-nous de ce prieuré, aussi appelé Madeleine des Deux-amants ? Ses bâtiments ? Son histoire ? Sa fondation ? Des documents existent, passim, sur le Net. Nous en compilons et commentons ici afin de donner quelques repères chronologiques, architecturaux et politiques.  

 

Pour respirer pleinement les images et les sensations, le mieux est de commencer la balade en marchant sur les eaux de la chute du barrage de Poses. La côte des Deux-amants se profile alors entre le vert sombre du bois du contrebas et le vert clair des herbages à contrehaut, parfois couronnés de bleu. Puis, il est bon de longer un peu la Seine et ses remous avant d’apercevoir, derrière sa haie, le manoir de Canteloup. La balade se fait ensuite en sous-bois par les premières pentes du coteau. L’air y est vif, les senteurs varient au fil des saisons et sont toujours au rendez-vous. Le cœur bat plus fort, on existe, on sort plus de soi à mesure que l’on fait l’effort de gagner en altitude. Puis, quelques pas remplacent le sous-bois par les tiges folles des herbages fouettés par les vents. Les échappées sur le paysage épousent la vallée de la Seine, la forêt de Bord et le bois de Longboël. On approche de l’ancien prieuré, rehaussé de fait par son cadre et devenant symboliquement un horizon mystérieux à notre balade. En 1791, Louis-Aubin Millin de Grandmaison écrivit en ce lieu que Le Prieuré est entouré d’un joli jardin, on y jouit de la vue la plus vaste et la plus étendue ; on y découvre une grande partie du département de l’Eure, de la Seine inférieure [...], les villes du Pont-de-l’Arche et de Louviers ; la Seine qui serpente aux pieds, rend ce site le plus agréable qu’il soit possible de voir.” La côte des Deux-amants appelle l’élévation du regard vers ses hauteurs autant que le recul sur nos existences dans la vallée. 

Presque arrivé à la table d’orientation, l’impression d’être devant une fortification se fait. Derrière le mur de la table d’orientation se trouve en effet une vaste propriété privée dont on aperçoit un imposant monument, surtout depuis deux ans où maints arbres ont été abattus. 

 

 

Le dortoir des chanoines émergeant du bois sommital (cliché Armand Launay, juillet 2017).

Le dortoir des chanoines émergeant du bois sommital (cliché Armand Launay, juillet 2017).

 

Un édifice du prieuré subsiste ! Le dortoir de 1685. 

Après le début de la révolution de 1789, les élus de la Convention missionnèrent Aubin-Louis Millin de Grandmaison. Il devait répertorier le patrimoine français. C’était la première recherche encyclopédique, à l’échelle nationale, de l’histoire perçue à travers le patrimoine matériel et littéraire. Les députés révolutionnaires tournaient des pages d’histoire et prenaient conscience de l’intérêt d’immortaliser les plus notables des chapitres précédents, aux pages tournées trop vite, sûrement, tant nous nous sentons et sommes emportés par l’action quotidienne, ses tracas et ses divertissements.  

Dans son ouvrage Antiquités nationales ou Recueil de monumens.., Aubin-Louis Millin accorda au prieuré des Deux-amants, en spécialiste du patrimoine, de belles pages au côté des plus beaux monuments de Paris et de France. Il décrivit le dortoir des chanoines, aussi appelé logis : Le bâtiment est composé d’un rez-de-chaussée, d’un étage et d’une mansarde, avec deux pavillons : il y a neuf croisées de front au corps-de-logis du milieu, et deux à chaque pavillon, ce qui fait treize à chaque étage, avec la porte du milieu, en tout trente croisées. Ce bâtiment a été construit en 1685, ainsi que l’indique l’inscription en brique, fig. 1.” Notre auteur semble fidèle à la réalité qu’il observa alors que son dessinateur se trompa en ajoutant deux croisées imaginaires. Imaginons-le, dépêché dans des lieux nombreux, griffonnant de rapides croquis, pour après, peut-être rentré à Paris, créer ses documents finaux destinés à la reproduction (du sculpteur Ransonnette). La réalité du fait a cédé à la beauté du trait. 

Les analogies entre le bâtiment dessiné pour Aubin-Louis Millin, celui des cartes postales des années 1910 et celui de la photographie de Wikimedia commons sont frappantes. Depuis lors, on appelle ce bâtiment “château des Deux-amants”, tant il est vrai que son architecture est bien plus caractéristique d’une résidence aristocratique, aux larges ouvertures, que d’un modeste et sobre dortoir monacal. Les constructions de l’aile ouest (“à gauche” ; mes excuses aux géographes) ont été remplacées par de nouveaux édifices témoignant que les lieux servirent de maison de retraite, privée, de 1975 à 2007. Les résidents devaient y trouver la paisible retraite des chanoines, retirés du monde ; un peu trop peut-être s’ils n’en avaient fait le vœu.

Quoi qu’il en soit, ce logis est recensé dans la base Mérimée du patrimoine national depuis 1986. Les bâtiments du prieuré n’ont donc pas tous disparu. 

Mais quels étaient les autres bâtiments prioraux ? 

 

Le dortoir des chanoines et l'église en 1791 tels que représentés dans Les Antiquités nationales d'Aubin-Louis Millin.

Le dortoir des chanoines et l'église en 1791 tels que représentés dans Les Antiquités nationales d'Aubin-Louis Millin.

Le dortoir des chanoines dans une carte postale illustrée des années 1910.

Le dortoir des chanoines dans une carte postale illustrée des années 1910.

Le dortoir des chanoines vers 2015 (Source Wikimedia commons).

Le dortoir des chanoines vers 2015 (Source Wikimedia commons).

 

L’église priorale de 1723 : disparue mais partiellement connue...

L’église priorale a entièrement disparu. Il nous en reste néanmoins la représentation demandée par Aubin-Louis Millin pour illustrer ses Antiquités nationales. Notre chercheur en a donné une description textuelle ainsi tissée : “À côté [du logis central, le dortoir] est l’église qui a été entièrement réparée, à l’exception du pan de muraille du côté de l’ancien portail dont on a conservé la rosette. Ce portail n’existe plus, et on n’entre dans l’église que par l'intérieur de la maison. Elle est d’un assez mauvais goût, le bâton de la croix étant plus court que le croisillon. Cette église a été dédiée le 22 septembre 1726, par M. Jean Gaulet, évêque de Grenoble. L’autel est dans le milieu : sous cet autel est un vase, fig. 5 , qui, selon la tradition, renferme les cendres des deux amans : il est de bois peint, et très-moderne. Il contient, en effet, quelques portions d’os, mais ce sont ceux de quelques Saints dont on ignore le nom, parce qu’on a perdu l’étiquette. Dans cette église on remarque trois tombes plates : les gens du pays assurent que ce sont celles des deux Amans et du barbare Banneret.”

 

On lit ici que la nouvelle église n’est pas du gout d’Aubin-Louis Millin qui la trouve disproportionnée et, surtout, sans rapport avec la rareté et l’ancienneté des monuments qu’il devait localiser et décrire. L’église remplaçait un précédent édifice puisqu’elle conservait un “pan de muraille du côté de l’ancien portail.” L’ancien portail est représenté. Il est orienté vers le sud. L’église était donc orientée vers le nord, ce qui est assez rare ; les églises étant traditionnellement tournées vers la renaissance, à l’Est, du soleil et ce afin de symboliser la renaissance du Christ. Un accès public était auparavant possible, surement par la porte perçant le mur d’enceinte visible sur la représentation. Les fidèles étaient donc plutôt attendus depuis les villages du plateau du Vexin. On peut imaginer les personnes les plus pieuses, empreintes de crainte et de respect pour ces lieux mystérieux ; mystérieux car on y entend le chant des chanoines, assis dans leurs stalles, derrière le jubé et la grille qui séparent le chœur de la nef. On ne voit pas les chanoines durant l’office, mais on est baigné de leurs voix, de leur place singulière, peut-être, entre soi et le chemin sublime qui mène aux cieux. Qui sait si, pour les humbles fidèles, les voix des chanoines n’étaient pas comme les rais de lumière traversant les rosaces et vitraux, les sculptures baroques illustrant le souffle divin qui s’en viendra, les joues gonflées des angelots, leurs ailes comme un élan vers le Paradis et la cessation des souffrances… 

Or, la reconstruction de l’église n’a prévu qu’un accès aux chanoines depuis le dortoir ; signe autant que cause, peut-être, de la perte de vitalité et d’idéal du prieuré.  

 

Une autre représentation, non signée et non datée, fut reproduite sur des cartes postales illustrées des années 1910. Elle montre le même corps de logis et date ‒ de ce fait et vraisemblablement ‒ d’après 1685. Cette représentation montre aussi intacte l’église priorale, celle d’avant 1723, semble-t-il, car le portail sud est ouvert et couronné d’un arc en plein cintre ; ce qui n’existait plus dans la nouvelle église. Jusqu’à plus ample informé, le premier à avoir publié une description de l’ancienne église est Charles de Stabenrath, en 1836. Comment le put-il 45 ans après le passage d’Aubin-Louis Millin ? Il consulta puis cita un document, un “état très curieux, rédigé et signé le 11 janvier 1723” rédigé par le prieur et ses frères eux-mêmes. Notre auteur retira de ce document que l’église “avait cent pieds d'élévation depuis le sol jusqu'au sommet du clocher [environ 32 m], et cent-douze pieds de longueur [environ 36 m]. Elle était éclairée par sept croisées ; on y entrait par une porte à plein cintre. Sur les arcs-boutans de l'entrée et de chaque côté, on voyait deux statues en pierre de Saint-Leu : l'une était celle de Jésus-Christ, l'autre celle de Madeleine, tombée quelques années avant. Les contre-forts étaient très peu prononcés, comme dans les anciens édifices.” 

Mais pourquoi refaire cette église, semble-t-il d’architecture rurale ? Charles de Stabenrath le précise : “Dès l'année 1722, le clocher de l'église, qui était carré, construit en pierre, surmonté d'une galerie et d'une flèche couverte d'ardoises, avait été abattu, et l'on songeait à renverser totalement un édifice menaçant probablement ruine.” L’auteur estimait que cette église était romane et datait sa construction du XIIe siècle ; siècle de la fondation du prieuré. Elle avait subi beaucoup de dommages. L’auteur le plus précis sur ces questions est François Blanquart qui, en 1926, publia un article inspiré de celui de Charles de Stabenrath mais plus détaillé et sourcé (les annexes reproduisant les textes originaux). François Blanquart cita les dégâts causés aux bâtiments claustraux par la Guerre de Cent ans et la domination anglaise (page 10). Il cita aussi les lettres d’indulgences accordées en 1454 par le Pape au cardinal de Rouen, Guillaume d’Estouteville, afin d’inciter des fidèles à financer la réparation du prieuré deuxamantin. Le même auteur cita les dégâts causés par la guerre de religions : en 1593, des protestants furent délogés manu militari du prieuré où un incendie ruina de nombreuses parties.   

Mais tout a-t-il réellement disparu de l’église ? 

 

L'église bâtie en 1724 selon un détail la représentation demandée par Aubin-Louis Millin (1791).

L'église bâtie en 1724 selon un détail la représentation demandée par Aubin-Louis Millin (1791).

Gravure non signée et non datée mais qui remonte à la période comprise entre 1685 et 1723. On y voit l'ancienne église et son portail sud.

Gravure non signée et non datée mais qui remonte à la période comprise entre 1685 et 1723. On y voit l'ancienne église et son portail sud.

 

Des vestiges de l’église priorale à Amfreville-sous-les-monts ?

Des vestiges de l’église priorale nous sont parvenus. Selon Charles de Stabenrath : “Parmi les ornemens remarquables qui décoraient cette petite église, il faut citer le retable du grand autel, en pierres sculptées, et représentant l'histoire de sainte Madeleine. Le curé d'Amfreville-sous-Ies-Monts, sans doute plus artiste et plus amateur de l'antiquité que les chanoines ses voisins, ayant appris la démolition de l'église du prieuré, demanda avec instances et obtint pour la sienne ce précieux retable, et, probablement, un tabernacle en pierre, quelques statues devenues inutiles pour l'édifice qu'on allait construire. Le chœur comprenait vingt stalles en bois, précédées par un jubé de même matière, très délicatement sculpté.”

 En consultant des photographies de l’intérieur de l’église Saint-Michel d’Amfreville-sous-les-monts, on retrouve autour du chœur la vingtaine de stalles et des panneaux de bois caractéristiques d’un prieuré. Ce sont les sièges où s’installaient les chanoines durant les offices. Nous avons vu ce même type de stalles à Pont-de-l’Arche, Criquebeuf-sur-Seine et Montaure

L’église est orientée, c’est-à-dire tournée vers l’orient. Son chœur est clôt par un mur plat, sans baies. Celui-ci est orné par un retable, sculpté en pierre semble-t-il, de style baroque. On contemple, c’est-à-dire qu’on est “avec un temple” de la Rome antique, avec ses frontons et ses colonnes. C’est ce que souhaitait symboliser artistiquement la Contre-réforme de 1630 rappelant que le christianisme était catholique et romain et non prétendument réformé, que ce soit par Jean Calvin ou Martin Luther. Le maitre-retable est enrichi d’une statue du Sacré-cœur de la Vierge-Marie. Sur sa droite, se trouve une statue du Sacré-cœur de Jésus-Christ. Sur sa gauche se trouve Saint-Joseph portant l’enfant Jésus. Sur le mur nord du chœur se trouve Saint-Michel, patron des lieux. En vis-à-vis, sur le mur sud du chœur, se trouve Sainte-Madeleine portant un vase de parfum, la myrrhe, qu’elle apporta au tombeau du Christ. Quid des écrits de Charles de Stabenrath ? On retrouve sainte Madeleine dans l’église d’Amfreville mais pas sous la forme d’une histoire illustrée. Quant au maitre-autel, il semble dater du XVIIe siècle. Il serait étonnant qu’il fût délaissé par les chanoines qui construisirent une église en 1723. À tout prendre, nous avons peut-être affaire, ici, à des récupérations d’éléments du monastère lors de la nationalisation des biens de l’église à la Révolution. 

Nous retrouvons en revanche, des éléments concordant : un tabernacle en pierre et une riche statuaire dont une Sainte-Madeleine et un Sacré-cœur de Jésus rappellent l’importance de l’amour et semblent issus de l’église priorale.  

 

 

Le choeur de l'église Saint-Michel d'Amfreville-sous-les-monts (cliché de Pierre Roussel, février 2006).

Le choeur de l'église Saint-Michel d'Amfreville-sous-les-monts (cliché de Pierre Roussel, février 2006).

Le maitre-autel de l'église Saint-Michel d'Amfreville-sous-les-monts (cliché de Pierre Roussel, février 2006).

Le maitre-autel de l'église Saint-Michel d'Amfreville-sous-les-monts (cliché de Pierre Roussel, février 2006).

La statue de sainte Madeleine de l'église Saint-Michel d'Amfreville-sous-les-monts (cliché de Pierre Roussel, février 2006).

La statue de sainte Madeleine de l'église Saint-Michel d'Amfreville-sous-les-monts (cliché de Pierre Roussel, février 2006).

 

Le dortoir des chanoines et l’église de 1723 sont-ils des témoignages des changements d’ordres religieux ?

Charles de Stabenrath livra quelques informations sur les chanoines et leur temporel, c’est-à-dire leurs biens matériels. Il ne restait que trois frères à la Révolution. On ne sait ce qu’ils devinrent à la nationalisation de leurs biens par les Députés. Notre auteur avança qu’ils étaient neuf à se vouer à Dieu en ces lieux, en 1746, et qu’ils disposaient d’un revenu modeste : “le revenu des chanoines du prieuré des Deux-Amans n'était pas considérable, en 1746. Ils possédaient en tout un revenu annuel de 3 655 livres et 13 deniers.” L’auteur compara cette somme aux 12 250 livres qu’avait couté la démolition de l’ancienne église et la construction de la nouvelle maison de Dieu.

Différentes sources montrent que le monastère était passé dans la mouvance des jésuites, c’est-à-dire un ordre de moines fondé en 1539 par Ignace de Loyola afin de lutter contre la Réforme protestante et donc de renforcer les pouvoirs du Saint-Siège. Jean-Michel Bouvris avance, archives en main, la date de 1617 où le monastère devint une dépendance du collège des jésuites de Rouen. Aubin-Louis Millin l’exprima en ces termes : “La mense prieurale a été unie au collège des Jésuites de Rouen, par Paul V, dont les lettres sont datées des années 1607 et 1608, et par des lettres-patentes de l’année 1649. La mense conventuelle fut donnée, en 1652, aux réformés de la congrégation de France. Ce sont eux qui ont rebâti à neuf l’église et tous les lieux réguliers.” Cela signifie que le revenu du monastère (la mense) était réparti en deux sommes : la première, celle du prieur, renforça les revenus des jésuites de Rouen ; la seconde, celle du couvent en lui-même, donc des frères, alla à des frères réformés. Mais réformés de quoi ?   

Charles de Stabenrath nous l’apprend : “les chanoines avaient embrassé la réforme le 24 mai 1648 (...) ils avaient pris le costume de France, et cessé de porter l'aumusse noire sur la tête...” Cette réforme est celle de la Congrégation de France, un ordre de chanoines fondé vers 1619 par François de la Rochefoucauld, abbé de Sainte-Geneviève, à Paris. La finalité était de renforcer l’observance des règles monacales et ce dans la lignée de la Contre-réforme du concile de Trente. En quelques mots, c’était un projet analogue à celui des jésuites que rejoignit, à ce propos, François La Rochefoucauld à la fin de sa vie. C’est sûrement pour cela qu’Aubin-Louis Millin regroupa l’arrivée des génovéfains (adjectif de Sainte-Geneviève) et des jésuites dans le même ensemble chronologique, quitte à la rendre peu compréhensible ‒ voire vétilleuse ‒ pour nous aujourd’hui. Il semble que ce nouvel élan génovéfain soit à l’origine du dortoir des chanoines visible de nos jours. Ce mouvement de contre-réforme génovéfain eut son siècle de gloire, à la fin du XVIIe siècle, où il gagna plus d’une centaine de monastères et prieurés de France. Les religieux devaient attendre de nouveaux frères animés par un renouveau de la foi. 

La réforme génovéfaine a-t-elle été une révolution dans la croyance et la pratique des frères ? Dans la croyance, il semble que non puisque cette réforme se fondait sur une observance accrue de la règle de Saint-Augustin ; règle déjà censée régir le prieuré des Deux-amants depuis 1192, au moins. C’est ce que Jean-Michel Bouvris montre en commentant une bulle originale par laquelle le pape Célestin II accorda aux “augustins” des Deux-amants certains privilèges. 

Mais dans la pratique il semble que les chanoines deuxamantins n’étaient pas tous disciplinés.

 

 

Frère des Deux-amants portant l'aumusse de chanoine d'après une gravure prévue pour les Antiquités nationales d'Aubin-Louis Millin.

Frère des Deux-amants portant l'aumusse de chanoine d'après une gravure prévue pour les Antiquités nationales d'Aubin-Louis Millin.

 

Peut-on expliquer les changements d’ordres religieux ?

Il est facile de lire les passages du prieuré d’un ordre à un autre avec un œil anticlérical. Alors on sourit en songeant aux religieux nobles ‒ à défaut de nobles religieux ‒ s’octroyant une partie des revenus prioraux. C’est partiellement vrai, comme nous l’avons plus haut, et faisait partie de la légalité la plus stricte. Le pape, et même le roi de France, pouvaient nommer des abbés commendataires percevant une partie des revenus afin de gérer les abbayes mais ce dans l’intérêt de celles-ci et non du leur propre. Un prieur, religieux présent parmi les moines, dirigeait réellement l’abbaye. Or, des abus furent commis et maints établissements servirent de rentes à des abbés peu scrupuleux, au grand dam de prieurs. C’est ce comportement illégitime que les nouveaux ordres religieux voulaient extirper de cette hydre à deux têtes qu’on appelle une religion d’État. 

Qui plus est, une crise des vocations religieuses touchaient les monastères parmi lesquels celui des Deux-amants. MM. Charpillon et Caresme citèrent les écrits de Monseigneur Eudes Rigaud, archevêque de Rouen, qui visita plusieurs fois le prieuré qui nous intéresse : “Sous la date du 9 février 1258 on trouve : “ils sont XV chanoines.” C’est à comparer aux 9 chanoines du début du XVIIIe siècle et aux trois derniers tondus de 1789. Il semble que le prieuré n’ait jamais attiré énormément de frères et qu’il fut en perte de vitalité après le Moyen Âge. 

La discipline a aussi inspiré et justifié le renouvèlement des ordres religieux. En sus des écrits d’Eudes Rigaud au XIIIe siècle, MM. Charpillon et Caresme relatent les procès intentés de 1620 à 1649 par le prieur Jacques de la Ferté (par ailleurs récipiendaire de nombreuses commendes et terres, notamment au Québec) à l’encontre de deux de ses frères accusés de “manque absolu de discipline et d’esprit religieux” et de “violences commises contre ceux que l’on avait tenté d’introduire pour donner le bon exemple”. 

Face aux abus d’une part, de nobles avides d’argent et de pouvoir et, d’autre part, de la crise des vocations et du relâchement de la piété chez certains frères, la Réforme protestante séduisit de nombreux croyants. À défaut de réformer par l’intérieur l’Église, les protestants tentèrent de réformer les croyances et pratiques des hommes. Ceci excita plutôt l’hostilité et la haine entre croyants et nourrit l’agnosticisme et l’anticléricalisme. Le prieuré des Deux-amants fut incendié en 1593 lors d’un combat entre les Ligueurs, des protestants militairement en rébellion contre le roi, qui avaient trouvé refuge dans le prieuré. Ils en furent délogés par les garnisons royales des Andelys et de Louviers parmi lesquelles des assaillants mirent “le feu à la porte principale, l'incendie gagnant ensuite tout le cloître” écrivent MM. Charpillon et Caresme. Outre les nécessaires réparations puis reconstructions des locaux en 1685 et 1723, c’est la remise en cause de l’autorité du roi qui explique en partie la nécessité de mieux contrôler les confessions et les ordres religieux. Le roi dut se défendre des protestants en renouvelant la spiritualité et l’organisation de l’église catholique de France. Il dut aussi diriger cette religion afin qu’elle ne soit plus la stricte propriété d’un État étranger comme elle le fut, durant le Moyen Âge, sous l’emprise du Saint-Siège. C’est ce que l’on nomma l’Église gallicane.

Nous avons vu ici un prieuré de taille et revenus modestes ; qui plus est en perte de vitesse. Qu’en était-il de ses revenus et de sa vitalité durant la période précédente ?

 

 

Vue aérienne du dortoir des chanoines et de la propriété contigüe qui servit, longtemps, de ferme aux frères puis aux propriétaires particuliers après la Révolution française (capture d'écran sur le site Géoportail, juin 2019).

Vue aérienne du dortoir des chanoines et de la propriété contigüe qui servit, longtemps, de ferme aux frères puis aux propriétaires particuliers après la Révolution française (capture d'écran sur le site Géoportail, juin 2019).

 

La constitution du terrier prioral du XIIe siècle au XIIIe siècle. 

Se consacrer à Dieu doit être une vocation, pas une profession. Mais cette vocation nécessite des revenus pour entretenir la santé des hommes et la solidité des locaux conventuels. C’est pourquoi les religieux vivaient des dons des croyants, que ceux-ci soient inspirés par une foi sincère ou par l’intérêt d’une bonne réputation. Les grands donateurs étaient donc, nécessairement, des nobles. Les actes anciens permettent de jalonner les années où émergea le prieuré deuxamantin : entre le XIIe siècle et le XIIIe siècle. 

Un article a été rédigé par Jean-Michel Bouvris, archiviste de l'Orne, qui relate la constitution du terrier du prieuré deuxamantin, c’est-à-dire les actes attestant les droits permanents des religieux sur des terres, des redevances, des services... Les actes prioraux sont principalement conservés aux Archives de la Seine-Maritime, dans le fonds du Collège des Jésuites de Rouen qui en recolle une douzaine pour la période choisie. Sans surprise, les droits des chanoines étaient situés dans le Vexin (Bacqueville, Gaillardbois), son pays naturel, mais aussi le long de la Seine (Tournedos), sur le plateau du Neubourg (Crasville) et, plus surprenant, en France, à Triel-sur-Seine. Jean-Michel Bouvris cite ce qui est, pour lui, “La pièce la plus précieuse (D 109) (...) diplôme original, daté de 1175, concernant des libéralités effectuées par le roi Louis VII à Authie, sur le terroir de Triel-sur-Seine (Yvelines). Les Deux-Amants furent, au cours du Xlle siècle, l'un des rares établissements religieux normands en faveur duquel le roi de France effectua une donation.” 

On peut relier cette rare connexion entre la Normandie et la France à ce qui se produisit à l’endroit de l’ancienne abbaye de Bonport, à Pont-de-l’Arche, cofondée en 1189 par Richard-cœur-de-Lion, roi d’Angleterre, et Philippe Auguste, roi de France. En étudiant cette abbaye cistercienne, nous avons trouvé des mentions du prieuré des Deux-amants dans deux de ses actes (à lire ici). Le 31 juillet 1205, une charte fut signée par les religieux du prieuré des Deux-amants afin de céder à leurs frères de la jeune abbaye de Bonport la chapelle de Saint-Martin de Maresdans, avec toutes ses appartenances et dépendances entre Pont-de-l’Arche et Criquebeuf. Ces droits avaient été en partie cédés en 1198 mais semblaient trop peu précis. Les chanoines des deux communautés durent se concurrencer et s’opposer sur l’exploitation des lieux, d’où la précision de 1205. 

Les religieux étaient aussi, en toute logique, possessionnés alentour. Le prieur était patron de la paroisse de Flipou et, depuis 1208, de celle d’Amfreville-sous-les-monts grâce au don de l'archevêque de Rouen (André Pilet, page 37). Une partie des revenus de ces paroisses leur revenaient donc. En 1203, Jourdain de Canteloup donna aux frères un moulin installé sur la Seine (André Pilet, page 20). Les chanoines possédaient à Amfreville la ferme du Plessis et “la ferme des Deux Amants”, jouxtant le prieuré (André Pilet, page 87). Ils possédaient des terres à Romilly-sur-Andelle, qu’ils fieffaient contre des rentes et redevances. Ils accaparèrent 12 hectares de pâturages à Pîtres et Romilly. Les habitants de ces paroisses leur intentèrent un procès en 1507 qui ne fut jugé qu’en 1583 en faveur des habitants spoliés. Les chanoines possédaient aussi un hôtel à Rouen, rue Martainville (André Pilet, page 43), sûrement pour la résidence temporaire du prieur et de frères et la vente de productions locales comme le vin dont on voit le vignoble sur la représentation ancienne plus haut. 

Mais de quand date précisément ce prieuré ? 

 

 

Représentation du gisant de Jean Farceau (selon Nicolas Bertin) dont la tombe était située dans l'église priorale. Il compte parmi les donateurs nobles qui ont constitué le temporel des chanoines.

Représentation du gisant de Jean Farceau (selon Nicolas Bertin) dont la tombe était située dans l'église priorale. Il compte parmi les donateurs nobles qui ont constitué le temporel des chanoines.

 

Vers 1145 apparait le prieuré des Deux-amants. 

Ernest de Blosseville cita le chartrier deuxamantin dans le fonds du collège des jésuites de Rouen. Il le consulta partiellement. À la page 16 de son article, il écrivit que “Le plus ancien [acte], croyons-nous, est un acte de Louis-le-Gros, donnant au prieuré des Deux-Amants 56 arpents de terre. L'origine de l'établissement religieux est donc au moins contemporaine du règne de ce prince, monté sur le trône en 1108.” Louis VI, dit le gros, régna sur les Francs de 1108 à 1137. MM. Charpillon et Caresme citèrent la même donation mais la datèrent de 1175. Le document doit être peu lisible mais la date de 1175 est plus réaliste et rejoint la lecture de Jean-Michel Bouvris abordée ci-dessus. 

MM. Charpillon et Caresme datent les premiers actes du chartrier de 1143 sans toutefois les détailler. 

Jean-Michel Bouvris cite, page 450, une charte d’”Hugues d'Amiens, archevêque de Rouen, délivrée peu avant 1150, par laquelle le prélat prend sous sa protection l'établissement, dont le patrimoine apparait encore à l'état embryonnaire.” Ceci pose assez précisément la naissance du prieuré quelques années auparavant, soit vers 1143. Le même auteur cite une bulle du pape Alexandre III, datée de 1165, qui intégra officiellement le prieuré deuxamantin dans le giron du Saint-Siège. Jean-Michel Bouvris est parvenu à faire le lien entre l'archevêque de Rouen, Gautier de Coutances (1184-1207), et le prieuré des Deux-amants envers lequel il fut généreux : son aumônier, frère Guillaume, était en 1207 un moine deuxamantin. L’impulsion religieuse est établie : le prieuré dépendait d’un groupe de frères appelés chanoines, eux-mêmes soumis à l’archevêché. 

Une famille parait avoir particulièrement enrichi le temporel du prieuré au point de passer pour sa fondatrice : les Malesmains. Les armes de cette famille étaient celles du prieuré comme le démontre le document des chanoines, daté de 1723, et reproduit par François Blanquart (page 28) : “Au fond, contre le pignon, etoit un autel et, au dessus, un retable representant l'Annonciation, au bas duquel etoit, d'un coté, les armoiries du prieuré, qui sont trois mains gauches de sable sur un fond d'azur, representant le dessus de la main à la vüe de l'autre coté etoit un ecusson dont le fond etoit aussi d'azur, en ovale, de meme que le precedent, avec un cheveron doré, au hault duquel et entre la pointe etoient deux roses sans queue et au bas dudit cheveron, dans le milieu, un croissant doré.

On retrouve cette famille dans les chartes attestant les donations de terres et de droits. C’est le cas des dons de Roger de Berville qui donna des droits sur huit églises qui du pays de Caux qui du Calvados. Nous étudions plus précisément cette famille dans un article consacré à la datation du lai de Marie de France sur les Deux-amants et son lien avec des nobles originaires de Pîtres attachés au pouvoir des rois normands d’Angleterre. 

 

 

Armes de la famille de Rouville, apparentée, vraisemblablement, aux Malesmains qui passent pour les fondateurs du temporel des chanoines. Leurs armes sont devenues celles du prieuré des Deux-amants (source : Pierre Palliot et Louvan Géliot, Science des Armoiries, 1660).

Armes de la famille de Rouville, apparentée, vraisemblablement, aux Malesmains qui passent pour les fondateurs du temporel des chanoines. Leurs armes sont devenues celles du prieuré des Deux-amants (source : Pierre Palliot et Louvan Géliot, Science des Armoiries, 1660).

 

Résumer pour conclure !

Nous avons étudié un prieuré de chanoines réguliers soumis à la règle de saint Augustin. Il exista de 1143, environ, à 1790. Il fut possessionné par de nobles familles normandes, au premier rang desquelles les Malesmains. Le roi de France Louis VII fit un don assez faible géographiquement mais fort symboliquement, ceci dans une des rares périodes de paix entre la France et la Normandie. 

Sans jamais croitre énormément (15 frères), le prieuré deuxamantin perdit de sa vitalité durant l’Ancien Régime. C’est ce dont témoignent les changements d’ordres religieux au XVIIe siècle (il fut jésuite puis génovéfain). Il reste de ces tentatives de vitaliser le prieuré le bâtiment du dortoir des chanoines, bâtiment datant de 1685, et des documents sur l’église bâtie vers 1724 et qui dut disparaitre sous les pics d’une carrière de pierres durant et après la Révolution. 

La Madeleine des Deux-amants fut, somme toute, un petit prieuré d’origine religieuse mais il attira les regards par son nom énigmatique autant que poétique : les deux amants. Nous consacrons une étude à ce nom. Il attira aussi les regard par la beauté de son cadre, c’est-à-dire son élévation qui rend sa vue incontournable. La légende ainsi que la géographie ont achevé de magnifier ce lieu au point qu’il est entré dans la liste des monuments nationaux établie par Aubin-Louis Millin. Avec le lai de Marie de France, la côte des Deux-amants et un petit joyau géographique et littéraire, au cœur de la culture française. Le prieuré n’a pas eu d’incidence notable dans l’histoire régionale mais il a largement contribué à bâtir le rayonnement poétique et spirituel de la côte des Deux-amants. 

 

Aujourd’hui, les appétits capitalistes s’apprêtent à ternir et salir l’environnement de la côte deuxamantine : en effet les lobbies du pétrole et de la construction ont prévu de construire une nouvelle autoroute contournant l’Est de Rouen depuis Val-de-Reuil. Une longue saignée de bitume environnera autant qu’elle polluera nos forêts, villages et poumons. Pour quel gain ? La richesse matérielle et très ponctuelle de quelques hommes.  

 

 

Croix de fer de l'entrée du village de Poses devant le sommet, en arrière plan, de la côte des Deux-amants (cliché Armand Launay, mars 2012).

Croix de fer de l'entrée du village de Poses devant le sommet, en arrière plan, de la côte des Deux-amants (cliché Armand Launay, mars 2012).

 

Sources

- Bertin, Nicolas, Voyage archéologique et liturgique en Normandie, Rouen, E. Cagniard, 1863, 56 pages, voir les pages 12 et 13. Accessible sur Gallica ;

- Blanquart, François, “La madeleine du mont des Deux-amants en 1722 : une description de l’ancienne église prieurale au moment de sa démolition”, pages 9 à 73, in Mélanges : documents / Société de l'histoire de Normandie, 10e série, 1926. Accessible sur Gallica

- Blosseville, Ernest, “L’origine du prieuré des Deux amants en Normandie : fabliau du XIIIe siècle, par un trouvère du XVIIIe siècle”, 32 pages, extrait du Précis des travaux de l'Académie impériale des sciences, belles-lettres et arts de Rouen, années 1807-1868. Disponible sur le site de la Bibliothèque de la Sorbonne ;

- Bouvris, Jean-Michel, “Les plus anciens actes du prieuré augustin des Deux-Amants à l'ancien diocèse de Rouen (vers 1110-1207)”, Annales de Normandie, n° 4, 1995, p. 448-450. Accessible sur Persée ;

- Charpillon, Louis-Étienne, Caresme, Anatole, Dictionnaire historique de toutes les communes du département de l’Eure, Delcroix, Les Andelys, 1868, tome I, notice “Amfreville-sous-les-monts”, chapitre : “Prieuré des Deux-amants”, page 109 ; 

- Duplessis, Michel Toussaint Chrétien, Description de la haute et basse Normandie, 1740, tome 2, page 331 (consultable dans Google livres) ; 

- Foulon, Charles, “Marie de France et la Bretagne”, Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest, 1953, pages 243 à 258. Accessible sur Persée

- Francis, Elizabeth A., “Marie de France et son temps” in Romania, tome 72, n° 285, 1951. pages 78 à 99. Accessible sur Persée ;

- Millin de Grandmaison, Aubin-Louis, Antiquités nationales ou Recueil de monumens..., tome 2, chapitre 17, “Prieuré des deux amans”, 1791 (consultable dans Gallica et dans archives.org) ;

- Pilet, André, Terre des Deux-Amants. Amfreville-sous-les-monts : son histoire, des silex taillés à l’ordinateur, éditions Bertout, Luneray, 1996, 179 pages (achetable dans cultura.com) ;

- Stabenrath, Charles de, “Notice sur le prieuré des Deux-amants”, in La Revue de Rouen et de Normandie, 1836, pages 370 à 382. 

 

 

Armand Launay

Pont-de-l'Arche ma ville

http://pontdelarche.over-blog.com

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9 juillet 2019 2 09 /07 /juillet /2019 12:24

La côte des Deux-amants se trouve dans l’Eure, entre Pîtres et Amfreville-sous-les-monts. Elle surplombe le barrage de Poses et, surtout, le confluent de la Seine et de l’Andelle. Elle constitue l’avancée ultime du plateau crayeux du Vexin vers le nord-ouest. Ainsi, elle possède une forme rare où se joignent deux alignements de côtes : les côtes de Seine, ponctuées de falaises depuis Connelles, et les côtes sud de la basse vallée de l’Andelle. 

Le nom des Deux-amants est énigmatique. Nous avons déjà étudié un lai, c’est-à-dire une fable médiévale, de Marie de France, daté de 1155, environ, et qui fait partie du patrimoine littéraire français et, plus précisément, de la littérature courtoise. Cette fable dépeint les efforts d’un noble prétendant au mariage d’une princesse. Mais le père de celle-ci, roi de Pîtres, ne voulait marier sa fille qu’à l’homme capable de la porter dans ses bras ‒ en courant sans pause ‒ au sommet de la côte. Fou amoureux, le prétendant voulut tout de même relever le défi fou. La princesse lui recommanda de chercher un philtre qui l’aidera à surmonter sa fatigue. Le prétendant chercha ce philtre à Salerne et revint à Pîtres. Il parvint à porter la princesse au sommet de la côte, en se passant du philtre, et mourut de fatigue. La princesse, elle, en mourut de douleur. 

Le texte original peut se lire sur Wikisource précédé d’une traduction de Jean-Baptiste-Bonaventure de Roquefort-Flaméricourt datée de 1820.

Cependant l’auteure, Marie, écrit elle-même qu’elle a couché sur le papier une légende populaire, préexistante donc. La fable de Marie fut oubliée et ne resurgit de la bibliothèque du muséum de Londres qu’en 1820. Entre temps, la légende locale était toujours vivace. 

Alors, le nom des Deux-amants a-t-il une origine populaire ou littéraire ? 

Mais encore, un prieuré fut fondé sur la côte des Deux-amants dans la période où fut écrite la fable de Marie. Il fut nommé “Prieuré des Deux-amants”. Or, l’idée qu’un prieuré porte le nom de deux amoureux parait bien peu religieuse, profane et donc indécente. Certains érudits avancèrent que le nom des Deux-amants proviendrait plutôt des “monts” de la région d’Amfreville… “sous les monts”.

Alors, le nom des Deux-amants a-t-il une origine chrétienne ou pratique ?    

 

Voici la plus ancienne représentation - connue - de la côte des Deux-amants. Non signée, on peut la dater entre 1685 et 1722. Le document met en valeur le lien entre cette côte, la Seine et l'Andelle comme voies fluviales.

Voici la plus ancienne représentation - connue - de la côte des Deux-amants. Non signée, on peut la dater entre 1685 et 1722. Le document met en valeur le lien entre cette côte, la Seine et l'Andelle comme voies fluviales.

La côte des Deux-amants constitue un paysage singulier dans la vallée de la Seine. Ici sur une carte postale des années 1910.

La côte des Deux-amants constitue un paysage singulier dans la vallée de la Seine. Ici sur une carte postale des années 1910.

 

1. Une origine populaire ?

Notre première entrée dans le domaine de la côte des Deux-amants se fait par l’oralité quand nos proches, ou un guide imprimé, nous révèle que son nom vient d’une légende orale. L’origine populaire, traditionnelle, existe qui ne semble pas remise en question faute de volonté, de matériau à étudier si ce n’est pas les deux. Cela se comprend car, Marie de France, première personne à avoir rédigé la légende, avoue elle-même qu’elle a emprunté aux Bretons la fable par eux composée à l’oral donc. C’est par ces vers qu’elle commence son lai : 

 

“Jadis avint en Normendie

Une aventure mut oïe

De Deus Amanz qui s’entr’amèrent

Par amur ambedeus finèrent ;

Un Lai en firent li Bretun

Des Deus Amanz reçuit le nun.

 

C’est clairement exprimé, le lai des Deux-amants existait auparavant et était très entendu, autrement dit connu du peuple. Sans qu’on puisse donner de date précise, le lai de Marie de France finit par tomber aux oubliettes mais la légende demeura connue en Normandie et ce par transmission orale.

 

 

 

Jusqu’à plus ample informé, le premier à coucher de nouveau par écrit cette légende est, selon Ernest de Blosseville (page 11), Germain-François Poullain de Saint-Foix dans le cinquième tome de ses Essais historiques sur Paris (page 157). Ce tome date de 1776. L’auteur y livra cette légende en tant que preuve de l’arbitraire exercé par des seigneurs locaux sur leurs serfs. Il la considéra comme fait historique mais ne cita pas ses sources.

 

La version de la légende selon Germain-François Poullain de Saint-Foix en 1776 : 

“Un seigneur qui possédoit une terre considérable dans le Vexin normand se plaisoit à faire parler de lui par ses idées singulières et bisarres. Il assembloit, au mois de juin, tous ses serfs, de l'un et de l'autre sexe, en âge d'être mariés, et leur faisoit donner la bénédiction nuptiale. Ensuite on leur servoit du vin et des viandes ; il se mettoit à table, « buvoit, mangeoit, et se réjouissoit avec eux ; mais il ne manquoit jamais d'imposer aux couples qui lui paraissoient les plus amoureux quelques conditions qu'il trouvoit plaisantes. Il prescrivoit aux uns de passer la première nuit de leurs noces au haut d'un arbre, et d'y consommer leur mariage ; à d'autres de le consommer dans la rivière d'Andelle, où ils passeroient deux heures, nuds en chemise ; à ceux-ci de s'atteler à une charrue, et de tracer quelques sillons ; à ceux-là de sauter à pieds joints par dessus des cornes de cerf, etc. Il avoit une nièce qui aimoit un jeune homme de son voisinage et qui en était éperdûment aimée. Il déclara à ce jeune homme qu'il ne lui accorderoit sa nièce qui condition qu'il la porteroit sans se reposer, jusqu'au sommet d'une montagne qu'on voyoit des fenêtres de son château. L'amour et l'espérance firent croire à cet amant que le fardeau serait léger. En effet, il porta sa bien-aimée, sans se reposer, jusqu'à l'endroit indiqué mais il expira une heure après des efforts qu'il avoit faits. Sa maîtresse, au bout de quelques jours, mourut de douleur et de chagrin. L'oncle en expiation de leur malheur qu'il avoit causé, fonda sur la montagne un prieuré qu'on appela le prieuré des Deux Amants.” 

Ernest de Blosseville avança que “c'est de lui que procèdent toutes les compilations” qui ont suivi. Il semble en effet que l’écriture imprimée permit de diffuser plus largement cette légende. Elle nous offre, surtout, des preuves datées et traçables de l’existence de la légende ; ce que l’oralité ne permet pas. Qui plus est, dans une histoire de Paris, il n’y a aucun doute que cette légende normande connut une plus grande publicité dans le public lettré français que s’il n’entrât dans une publication à portée provinciale. 

Que retenir de cette version par rapport au texte de Marie de France ? Il a beaucoup perdu de sa portée morale. Elle met l’accent sur la personnalité irréfléchie et farfelue du seigneur et ajoute des fantaisies à caractère sexuel qui nous rappellent les débats autour du moyenâgeux droit de cuissage où le graveleux se pare de recherche en apparence historique et donc légitime. Le roi est devenu un simple seigneur. La fille est devenue la nièce du seigneur. La parente de Salerne et le philtre ont disparu. L’idée de l’aveuglement amoureux du prétendant existe toujours mais son amante n’a plus de rôle de conseillère avisée. La chute, si l’on ose dire ainsi, n’explique pas la naissance du lai mais la fondation du prieuré.

Cette légende semble être la version appauvrie, répétée dans les auberges, du texte de Marie. On en imagine déjà une autre version, plus familiale, destinée aux enfants. Alors, peut-on imaginer que le lai de Marie soit d’origine populaire ou, au contraire, que la version populaire soit un lointain rappel du texte de Marie de France ?  

 

 

A partir du texte de Germain-François Poullain de Saint-Foix, paru en 1776, la légende des Deux-amants a connu de nombreuses versions écrites ainsi que des illustrations. Ici, les tableaux du peintre normand Paul Malençon (1818-1880) reproduits sur une carte postale de la fin du XXe siècle.

A partir du texte de Germain-François Poullain de Saint-Foix, paru en 1776, la légende des Deux-amants a connu de nombreuses versions écrites ainsi que des illustrations. Ici, les tableaux du peintre normand Paul Malençon (1818-1880) reproduits sur une carte postale de la fin du XXe siècle.

2. Une origine littéraire : le lai de Marie de France ?

La découverte en 1820 du lai de Marie de France par l’abbé Delarue au muséum de Londres n’a pas modifié la diffusion de la légende. Les hommes ont continué à coudre librement sur une trame commune et lâche l’histoire tragique des amoureux. Le romantisme dut attirer les regards vers la légende deuxamantine (adjectif des Deux-amants) et de ses larmes l’a déployée comme une éponge que l’on arrose.

Marie écrivit que les Bretons ont fait un lai de l’histoire des Deux-amants. Que viendraient faire des Bretons en pleine Normandie ? Dans un précédent article, nous avons analysé l’argumentaire d’Elizabeth Francis selon qui les 12 lais de Marie s’inscrivaient dans la politique d’Henri II d’Angleterre. Ce monarque cherchait la fidélité de ses seigneurs notamment en faisant paraitre des ouvrages légitimant son pouvoir et, plus généralement, celui des ducs de Normandie sur la germanique Angleterre. Ceci explique le recours aux légendes celtiques, bretonnes, montrant que les familles des barons normands étaient en partie issues de la petite Bretagne. Ils étaient donc les héritiers des anciens rois bretons et autre mythique Arthur. Le lai des Deux-amants s’adressait en particulier à la famille du comte d’Hereford, originaire de Pîtres. Ses ancêtres épaulèrent Guillaume le Conquérant dans sa conquête d’Albion puis restèrent attachés aux successeurs de Guillaume. Ceci peut expliquer pourquoi Marie place dans la bouche de Bretons ce qui est parfaitement normand. Qui plus est, dans ses 12 lais Marie traite deux thèmes principaux, en vogue dans la littérature courtoise : les loisirs, tels que les tournois, et la justice de nobles personnages bien inspirés d’être loyaux envers leurs prochains. Notre lai pîtrien fait partie du traitement de ces thèmes.

 

Afin de dater le lai des Deux-amants, R. N. Illingworth montra, à la suite d’Ernest Hoepffner, que Marie de France s’inspira partiellement d’une œuvre des Métamorphoses d’Ovide : Pyrame et Thysbé. Cette œuvre fit l’objet de nouvelles publications à partir de 1155. R. N. Illingworth date la composition du le lai entre 1155 et 1160. Ce lai présente des analogies avec l’œuvre d’Ovide : l’amour de jeunes êtres malgré l’obstacle parental, le manque de mesure (de raison) des amoureux qui créent leur propre perte et se donnent la mort, la non consommation du mariage pourtant voulu(e), la scène finale où l’amante étreint celui qu’elle vient de perdre... 

Autre auteur, Charles Foulon montra que Marie s’inspira du Roman de Brut du Normand Robert Wace. Cet ouvrage mi-historique mi-légendaire fut commandé par Henri II pour justifier le pouvoir anglo-normand. C’est ici que Marie puisa les noms de “Neustrie” prénormande et de “Pîtres” en tant que résidence royale. 

De tout cela nous retenons que Marie est en partie créatrice ‒ car augmentatrice ‒ du lai deuxamantin. R. N. Illingworth avance que Marie a dû s’inspirer tout de même d’une légende locale. Nous pouvons en effet remarquer qu’il manque l’idée d’ascension à la légende de Pyrame et Thysbé et aux thèmes courtois des loisirs et de la justice . 

 

Enfin, nous remarquons que la légende locale se distingue d’autres histoires impliquant deux amants malheureux ; histoires renommées au XIIe siècle. Nous n’évoluons pas dans les luxurieux rapports entre Héloïse et Abélard dont les lettres sont datées de 1115 ; nous ne sommes pas dans l’abstinence voulue et tenue des deux amants sans désir et rapports physiques tels que Grégoire de Tours les dépeint au chapitre 42 du premier livre de L’Histoire des Francs (page 83). 

Pour autant, les Deux-amants semblent être bons chrétiens, capables d’amour sincère, voulant le mariage et la justice. De plus, la version populaire de la légende, telle que rapportée par Germain-François Poullain de Saint-Foix en 1776, la relie explicitement au prieuré deuxamantin.

Faut-il délaisser la thèse religieuse de l’origine du nom qui nous intéresse ici ?  

 

3. Une origine religieuse : les deux amants divins : Jésus et Marie Madeleine ? 

Le thème de l’amour en esprit de Jésus et de Madeleine existait au Moyen Âge. Il n’y a rien d’étonnant à cela quand on songe au Cantique des cantiques de Salomon où l’amour pur entre deux êtres exprime la foi sincère et dévouée envers le divin : 

 

“Mon bien-aimé est pour moi un bouquet de myrrhe qui repose entre mes seins.

Mon bien-aimé est pour moi une grappe de troëne des vignes d’EnGuédi. 

- Que tu es belle, mon amie, que tu es belle ! Tes yeux sont des colombes. 

- Que tu es beau, mon bien-aimé, que tu es aimable ! notre lit, c’est la verdure. 

Les solives de nos maisons sont des cèdres, nos lambris sont des cyprès.”

 

Le cantique des cantiques, de Salomon, La Bible selon la traduction de Louis Segond. 

 

Le thème de l’amour en esprit était aussi dans l’air du temps quand fut fondé le prieuré des Deux-amants, vers 1143. En effet, en 1139 le deuxième concile de Latran entérina l’interdiction faite aux clercs de se marier et donc de connaitre la coupable chair qui divertit de l’amour réel. 

De plus, le thème des deux amants divins se retrouve, comme le cita Ernest de Blosseville (page 15) dans d’autres traditions à Clermont (inspirée de Grégoire de Tours, comme vu ci-dessus) et Lyon (communauté des Deux-amants), à Saint-Riquier (ché Picards) mais aussi en Espagne… 

Un argument pèse plus encore : Charles de Stabenrath et F. Blanquart commentent et reproduisent partiellement une description de l’ancienne église du prieuré, menaçant ruine. Elle fut rédigée par le prieur des Deux-amants, lui-même. Datée du 11 janvier 1723, cette description mentionne que : “Sur les arcs-boutans de l'entrée et de chaque côté, on voyait deux statues en pierre de Saint-Leu : l'une était celle de Jésus-Christ, l'autre celle de Madeleine, tombée quelques années avant.” F. Blanquart montre, de plus, que des statues de Jésus et Marie Madeleine se trouvaient aussi dans le chœur de l’église. Les figures de Jésus et Marie Madeleine n’étaient pas anecdotiques puisqu’elles accueillaient le fidèle à l’entrée de l’église priorale et se trouvaient au cœur du rituel sans cesse renouvelé par les chanoines. 

Qui plus est, Charles de Stabenrath argua que l’on trouve l’expression de “Deux amants” “dans une charte latine de 1177 : Duorum Amantium, que l'on traduit par Deux-Amans. Il s'agit, dans cette charte, d'une donation faite en faveur du prieuré par Gouel de Bauldemont, fils de Bauldric” (page 375). Il semble que le prieuré fût fondé vers 1143. Il serait étonnant ‒ autant que singulier ‒ qu’il n’ait pas porté le nom de Deux-amants dès sa fondation. 

Enfin, et pour en finir avec cet argument, le prieuré était aussi appelé sainte-Madeleine des Deux-amants. Les Deux-amants divins remplissent les locaux de l’ancien prieuré voué à eux.  

 

 

Le thème des Deux-amants divins était connu au Moyen  ge. Ici, par exemple, un détail de l’ébrasement du porche sud de la cathédrale de Chartres représente les “deux amants”. Cette illustration est une reproduction de diapositive des années 1930 du fonds Bonnenfant et classée sous la cote : 37 Fi 1822 aux Archives départementales de l’Eure.

Le thème des Deux-amants divins était connu au Moyen ge. Ici, par exemple, un détail de l’ébrasement du porche sud de la cathédrale de Chartres représente les “deux amants”. Cette illustration est une reproduction de diapositive des années 1930 du fonds Bonnenfant et classée sous la cote : 37 Fi 1822 aux Archives départementales de l’Eure.

 

Quant à Marie Madeleine, son nom fut donné à plusieurs personnages dans la théologie chrétienne. Malgré bien des controverses, elle incarna et symbolisa plutôt celle qui a péché à un moment de sa vie. Cela ne la singularise pas quand on songe aux vies du soldat saint Paul... et du bon vivant saint Augustin, dont les écrits ont inspiré la création de la règle des augustins ; règles des chanoines deuxamantins. Puis, Madeleine incarna et symbolisa le repentir : elle aima Jésus. Elle ne l’aima ni dans le sens du désir physique (l’éros grec), ni de l’amitié (philia), ni de la tendresse familiale (storgê) mais du désintéressement, du spirituel (agapè). C’est précisément en cela que consiste le vœu de chasteté des moines amants en esprit de Jésus. Or, amant signifiait “amoureux” en ancien français avant que son sens ne se limite à la relation sexuelle, voire sentimentale. Par ailleurs, presque comme Apollinaire, on pourrait aisément écrire à l’entrée des monastères : “les cénobites en paix”. Reprenons. C’est d’ailleurs ce que Jésus dit à Marie Madeleine quand il révéla sa résurrection : “noli me tangere”, ne me touche pas. L’amour qu’il désigne est celui qui assure l’immortalité et non les passions physiques qui dévorent et perdent l’homme, mâle et femelle. De nos jours, dans une atmosphère Da-Vinci-codesque, beaucoup de bruits courent autour d’un hypothétique amour charnel entre Jésus et Marie Madeleine, ancienne prostituée. C’est bien mal comprendre la finalité spirituelle du message chrétien.

 

Pour libérer l’imagination et développer la réflexion, on gagne à observer le rôle de tout premier plan donné à un personnage féminin dans les témoignages, anciennement dits testaments, des apôtres : Marie Madeleine était une femme et Jésus, envoyé de Dieu, l’élit premier témoin de sa résurrection. Or, au XIIe siècle, en France, le culte de Marie était vif et la littérature courtoise émergeait. Cette littérature louait l’homme qui sait respecter la femme. Parler de tension vers une égalité homme-femme serait anachronique mais la femme, au moins dans les milieux lettrés et aisés, se vit reconnaitre une sensibilité, une dignité. C’est là que la thèse romantique et profane des “deux amants” trouve un certain crédit. 

 

Malgré la présence monacale et les statues de Marie Madeleine et Jésus dans l’église priorale, le peuple ‒ et les auteurs après lui ‒ ont préféré la légende orale, plus romantique et profane. Aubin-Louis Millin nota que les gens du peuple attribuaient même les tombes du prieuré non aux anciens donateurs, tels les Malesmains ou les Rocherolles, mais aux deux amants de la légende et au père contrit. Les faits ont beau être têtus, écrivait Lénine, ils le sont moins que les hommes en quête de rêverie. 

Que valent les faits, justement ? Le nom des Deux-amants a-t-il une origine pratique ? 

 

4. Une origine pratique est-elle possible ?

Voici une explication moins aimée des érudits : la côte des Deux-amants pourrait tout simplement tenir son nom de sa géographie.

Charles de Stabenrath a une plume acérée sur le sujet : il crucifie le religieux Michel Toussaint Chrétien Duplessis selon qui le nom de “Deux-amants” proviendrait, légèrement déformé, de “deux monts”. Il se fonda sur l’observation de la côte depuis la rive droite de l’Andelle où deux monts se distinguent entre le départ d’un vallon. Duplessis avança cela au conditionnel car le nom des Deux-amants lui paraissait trop profane pour un lieu religieux. Il cita cependant, et honnêtement, une thèse toute spirituelle : l’amour de sainte Madeleine et de Jésus (page 374). Charles de Stabenrath enfonça cependant le clou (page 375) en citant la charte de 1177, traitée ci-dessus, où l’on trouve l’expression de “Duorum Amantium (...) que l'on traduit par Deux-Amans”. Dont acte. 

Nous avions nous-même envisagé que le nom de “Deux-amants” était issu de “deux amonts”. En effet, dans le langage des bateliers de Seine “aller amont” signifie remonter le courant (à lire ici). Or, la côte qui nous intéresse est un point de repère immanquable, surtout pour les voyageurs, au pied duquel il est possible de remonter deux amonts : celui de la vallée de la Seine et celui de la vallée de l’Andelle. Ces cours ont dessiné la douce et singulière courbe de la côte deuxamantine. Cette thèse rejoint celle de Gaëtan de la Rochefoucault pour qui les “deux amonts” désignent les rangées de monts proches de la confluence de l’Andelle et de la Seine (Ernest de Blosseville, page 14). Après tout, et pour aller dans son sens, Amfreville n’est-il pas devenu “sous-les-monts” afin de le distinguer du proche Amfreville-les-champs. Preuve est faite que les versants abrupts de Seine étaient dénommés “les monts”. 

 

 

Dessin publié dans Les Antiquités nationales d'Aubin-Louis Millin de Grandmaison pour illustrer la thèse selon laquelle le nom des Deux-amants serait issu de la jonction entre deux séries de monts. Ici le dessinateur s'est positionné sur le coteau nord de l'Andelle, sur les hauteurs de Romilly-sur-Andelle.

Dessin publié dans Les Antiquités nationales d'Aubin-Louis Millin de Grandmaison pour illustrer la thèse selon laquelle le nom des Deux-amants serait issu de la jonction entre deux séries de monts. Ici le dessinateur s'est positionné sur le coteau nord de l'Andelle, sur les hauteurs de Romilly-sur-Andelle.

 

Alors, il n’est pas exclu que le nom de “deux amonts” ait préexisté au prieuré établi vers 1143. Les chanoines, venus s’installer en ce lieu, ont pu s’approprier ce “deux amonts” par la légère modification en “deux amants”... divins. Selon nous, ce qui donne du crédit à cette thèse, reposant sur un jeu de sons, est l’exemple de l’ancienne abbaye de Bonport. Nous avions étudié son nom dans un précédent article. La légende populaire avance que Richard Cœur de Lion faillit se noyer dans la Seine durant une obscure mésaventure de chasse, peu à son avantage. Il fit vœu à la Vierge Marie de fonder une abbaye à l’endroit où elle lui ferait toucher la berge. Le “bon port” eut lieu et Richard fit l’abbaye. Pourtant les armes abbatiales montrent la Nativité du Christ. Le fils de Dieu parmi les hommes est un “bon port” bien plus précieux, qui plus est pour des religieux. De plus, au gré de nos études, nous identifions de mieux en mieux un petit port de Seine au creux du Val Richard. Il nous semble que les moines aient tenté de concilier un nom local avec une appellation conforme à leurs pieux vœux. Ceci d’autant plus que la fondation de Bonport provint d’une rare et courte période de paix entre Richard, roi d’Angleterre, et Philippe, roi de France. Bonport est une cofondation entre les deux royaumes, pas le résultat d’une mésaventure. Exit la thèse de la chute dans l’eau, nous semble-t-il. Bienvenue à la thèse religieuse qui s’ancre dans une contrée.   

 

Pour conclure, la côte des Deux-amants est un lieu romantique qui élève le regard des hommes vers la rêverie poétique ou historique. Le nom de ce lieu permet d’ouvrir de nombreuses problématiques. Pour tenter d’y répondre, nous avons répertorié et expliqué les thèses avancées par les auteurs. Nous les avons argumentées plus avant. 

Ces thèses ne semblent pas exclusives mais complémentaires. 

La légende populaire est le principal support de transmission de l’histoire des Deux-amants. Entre Marie de France vers 1155 et l’avant-veille de la Révolution, en 1776, 600 ans de transmission orale ont fait vivre et survivre la légende deuxamantine, bien que la déformant et l’appauvrissant. 

L’origine littéraire semble aussi acquise. En effet, Marie s’est inspirée d’un sujet local, préexistant à son lai, et relié à de nobles familles de barons d’origine pitrienne participant du pouvoir d’Henri II sur l’Angleterre. Mais il semble que notre auteure ait beaucoup enrichi le sujet des Deux-amants par une œuvre légendaire d’Ovide, Pyramus et Thysbé, et une œuvre historico-légendaire de Robert Wace, Le Roman de Brut

Il semble aussi qu’elle ait pris connaissance de la fondation d’un prieuré qui fit connaitre, au-delà de la contrée de Pîtres, le nom des Deux-amants. C’est d’ailleurs ce prieuré qui semble avoir suscité l’interrogation des hommes sur ce nom énigmatique. Ainsi, les hommes ont ressenti le besoin d’expliquer ce nom ; d’où la popularité de la légende qui nous est revenue en 1776 comme explication de l’origine du prieuré. 

Pourtant, le nom des Deux-amants est pleinement chrétien et semble dater de la fondation du prieuré vers 1143. C’est ce que prouvent les personnes de Jésus et Marie Madeleine, amants en esprit, présents sous forme de statues dans l’église priorale. Quant à l’origine première de ce nom, nous la voyons dans l’expression de “deux amonts” qui exista dans le langage des bateliers de Seine afin de désigner le fait de remonter le courant. Ici la côte qui nous intéresse est notable du fait de son élévation et singulière et du fait de ses courbes faisant la jonction entre deux rangées de monts : ceux de la Seine et de l’Andelle qui unissent leurs eaux au pied du mont. 

C’est enfin en ce lieu que la marée fait cesser ses effets, c’est-à-dire à Poses ; cette pause qui eût sauvé notre malheureux prétendant s’il eût bu, dans une bonne auberge du village, un bon cidre en guise de filtre ; et c’est sa femme qui le lui demanda !

 

Pour ne pas reproduire l'erreur du prétendant, pensez à boire régulièrement un bon beivre, notamment la bière des Deux-amants, produite à Val-de-Reuil : https://lesdeuxamants.com

 

 

 

 

 

La bière des Deux-amants est produite à Val-de-Reuil, goutez-y !

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Sources

- Blosseville, Ernest, marquis de, “L’origine du prieuré des Deux amants en Normandie : fabliau du XIIIe siècle, par un trouvère du XVIIIe siècle”, 32 pages, extrait du Précis des travaux de l'Académie impériale des sciences, belles-lettres et arts de Rouen, années 1807-1868 ;

- Bouvris, Jean-Michel, “Les plus anciens actes du prieuré augustin des Deux-Amants à l'ancien diocèse de Rouen (vers 1110-1207)”, Annales de Normandie, n° 4, 1995, p. 448-450. Accessible sur Persée ;

- Charpillon, Louis-Étienne, Caresme, Anatole, Dictionnaire historique de toutes les communes du département de l’Eure, Delcroix, Les Andelys, 1868, tome I, notice “Amfreville-sous-les-monts”, chapitre : “Prieuré des Deux-amants”, page 109 ; 

- Duplessis, Michel Toussaint Chrétien, Description de la haute et basse Normandie, 1740, tome 2, page 331 (consultable dans Google livres) ; 

- Foulon, Charles, “Marie de France et la Bretagne”, Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest, 1953, pages 243 à 258. Accessible sur Persée

- Francis, E. A., “Marie de France et son temps” in Romania, tome 72, n° 285, 1951. pages 78 à 99. Accessible sur Persée ;

- Illingworth, R. N. “La chronologie des Lais de Marie de France”, in Romania, tome 87 n° 348, 1966, pages 433 à 475. Accessible sur Persée ;

- Millin de Grandmaison, Aubin-Louis, Antiquités nationales ou Recueil de monumens..., tome 2, chapitre 17, “Prieuré des deux amans”, 1791 (consultable dans Gallica et dans archives.org) ;

- Pilet, André, Terre des Deux-Amants. Amfreville-sous-les-monts : son histoire, des silex taillés à l’ordinateur, éditions Bertout, Luneray, 1996, 179 pages ;

- Stabenrath, Charles de, “Notice sur le prieuré des Deux-amants”, in La Revue de Rouen et de Normandie, 1836, pages 370 à 382. 

 

 

Armand Launay

Pont-de-l'Arche ma ville

http://pontdelarche.over-blog.com

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6 juillet 2019 6 06 /07 /juillet /2019 15:07

 

Le lai des Deux-amants est une œuvre littéraire du XIIe siècle signée par Marie de France. Il est attaché, par son sujet, à la côte des Deux-amants, près de Pont-de-l’Arche dans l’Eure, où une légende populaire perdure depuis ce temps. Cette légende expose les efforts d’un noble prétendant au mariage d’une princesse. Mais le père de celle-ci, roi de Pîtres, ne veut marier sa fille qu’à l’homme capable de la porter dans ses bras ‒ et en courant ‒ au sommet de la côte. Le prétendant veut relever le défi fou. La princesse lui recommande de chercher un philtre qui l’aidera. Le prétendant cherche ledit philtre à Salerne et revient à Pîtres. Il parvient à porter la princesse au sommet de la côte, en se passant du philtre, et meurt de fatigue. La princesse en meurt de douleur. 

Le texte original peut se lire sur Wikisource précédé par une traduction de Jean-Baptiste-Bonaventure de Roquefort-Flaméricourt datée de 1820.

 

La thèse d’Elizabeth Francis : le lai des Deux amants s’adresse à une haute famille anglo-normande originaire de Pîtres.

  Les lais de Marie sont surtout connus pour leur aspect merveilleux qui s’insère dans la littérature anglo-normande où les chevaliers de la Table ronde se battent pour la justice et Tristan et Iseult s’aiment d’amour pur ; ces histoires puisant leur source dans les légendes celtes de Grande-Bretagne. 

Beaucoup de versions populaires de la légende des Deux amants existent ainsi que des commentaires sur ses sens possibles et ses symboles. Nous ne nous y intéressons pas ici. Des analyses historiques et littéraires cherchent à ancrer ce lai dans la réalité afin de comprendre d’où il vint et quelle fonction il eut. Ce sont elles qui nous ont inspiré ici et que nous nous proposons d’exposer au service d’une meilleure compréhension de l’histoire locale. 

Notre première source est l’article d’Elizabeth. A. Francis intitulé “Marie de France et son temps”. Il fut publié en 1951 et l’auteure y avança que les lais avaient une fonction politique.

 

Marie de France est une femme d’origine française, c’est-à-dire née en dehors du monde anglo-normand. Ses lais, au nombre de 12, ont été rédigés dans la seconde partie du XIIe siècle si l’on se fie au style littéraire. Ils furent contemporains du règne d’Henri II qui commença en 1154 et prit fin à sa mort en 1189 où son fils Richard Cœur de Lion lui succéda. Henri II fut marié à Aliénor d’Aquitaine l’année de son couronnement en 1154. Marie de France s’adressait à ses protecteurs laïcs, roi et barons, c’est-à-dire la haute société anglo-normande (page 78). Elizabeth Francis chercha, par les lais de Marie, à saisir les liens qu’elle entretenait avec son public (page 80).

 

 

Enluminure représentant Marie de France, Paris, BnF, Bibliothèque de l'Arsenal, Ms. 3142, fo 256.

Enluminure représentant Marie de France, Paris, BnF, Bibliothèque de l'Arsenal, Ms. 3142, fo 256.

L’auteur identifia un point commun à tous les lais : ils défendent une même morale, en apparence convenue et superficielle ‒ la fidélité est profitable et la trahison pernicieuse ‒ mais dont on conçoit la profondeur si cette morale fût destinée aux grandes familles censées obéir au roi. Or, l’époque était troublée. Les seigneurs locaux étaient tentés de gagner des libertés dans le cadre d’une concurrence et lutte sans merci entre le royaume anglo-normand et le royaume français. De plus, la morale des lais met l’accent sur la justice dûe par le souverain à ses sujets. Ceci participe de la justification du pouvoir du souverain (page 82). En effet, Henri II était particulièrement soucieux de cette problématique comme en témoignent les publications d’ouvrages sous son règne. Parmi eux, on peut compter les lais qui nous intéressent et qui sont vraisemblablement dédicacés à Henri II lui-même (page 83) (1). 

Elizabeth Francis identifia deux thèmes récurrents : les loisirs (tels que les tournois) et les gains (en terres ou en femmes). Elle y vit les centres d’intérêts de la noblesse à qui Marie s’adressait ; une noblesse existant sous le mode de la rivalité permanente et de l’espoir de l’avancement (page 84). Or, Henri II augmentait le nombre de ses agents parmi de nouveaux hommes méritants et issus des familles qui avaient aidé son grand-père dans l’assise du pouvoir normand en Angleterre. 

Puis, Elizabeth Francis chercha à établir que certains lais trouvent leur inspiration dans les superstitions populaires et les légendes attachées aux grandes familles régnantes. Le lai de Guigemar est attaché aux comtes de Léon ; celui du Chèvrefeuille fut inspiré de la légende de Tristan et Iseult (page 85) ; celui de Lanval, localisé en Bretagne, est lié à “Willelmus de Lanvaleio” qui fut un “témoin des chartes d'Henri II, de 1155 à 1179” aussi “choisi pour administrer la Bretagne” (page 88) ; celui du Freisne est attaché aux seigneurs de Fresne ou de Freisneys, proche du Mont-Saint-Michel mais en Bretagne. Cette famille provenait d'Adam de Port (1166) dont le fief provenait de sa femme Sybil, veuve de Miles de Gloucester, et fille de Bernard de Neufmarché.

Nous en venons aux lais de Milun et des Deux amants. Elizabeth Francis les relia à une grande personnalité anglo-normande : Miles de Gloucester, qui fut un soutien fidèle de Mathilde l’Emperesse, mère d’Henri II. En remerciement, elle le fit comte de Herefordshire, dans le sud du Pays de Galles. “Miles de Hereford, qui épousa Sybil, fille de Bernard de Neufmarché, en 1121, fut nommé justicier de la région limitrophe du pays de Galles en 1128.” Elizabeth Francis précisa que le comté fut “transmis par les héritières à la famille de Bohun qui, du fait qu'elle descendait du grand-père de Miles, Roger « de Pistre », en eut la charge héréditaire. Les descendants directs et indirects de Miles de Hereford auraient très bien pu s'intéresser à un récit concernant Pitre et les « pitrains » du lai de Marie (Deus Amanz)” (page 89).

Elizabeth Francis nota en bas de page des éléments du Dictionary of National Biography (page 313) éclairant un peu l’existence des frères Roger et Durand de Pistres. Roger eut pour fils Walter Fitz Roger (ou de Gloucester). Celui-ci eut pour successeur son fils Miles. Le fils de ce dernier, Roger, lui succéda (1143). Ce même ouvrage précise qu’il exista un Roger de Pistres (cité dans une charte de 1107) mais qui serait le fils de Durand. Autre information notable : “le château de Gloucester avait été confié à Roger de Pistres par Guillaume le Conquérant.” 

Sans préciser les généalogies, nous voyons qu’une famille originaire de Pîtres eut des membres ayant soutenu militairement et administrativement Guillaume le Conquérant et ses successeurs. Ceux-ci surent les remercier au point que, un siècle après la conquête normande, les descendants de ces familles comptaient parmi les grandes familles anglo-normandes. Le lai des Deux amants dût être composé à leur adresse. 

 

La thèse d’Elizabeth Francis est-elle corroborée localement ? 

Le premier comte d’Hereford fut Guillaume Fitz Osbern, sénéchal de Normandie, et seigneur de Breteuil, Lyre et de la basse vallée de l’Andelle. Cet homme de confiance de Guillaume le Conquérant était donc possessionné en Normandie dans la région de Pîtres et donc de la côte des Deux-amants. 

Pîtres, à ce propos, était un ancien domaine des rois francs, avant 905. Charles le Chauve y tint plusieurs conciles, notamment en 862 et 864, contre les incursions normandes. Il n’est pas étonnant que Marie de France ait osé traiter d’un mauvais roi, à Pîtres, puisque la Neustrie renvoie aux ancêtres des rois de France et non aux ducs de Normandie. Roger de Pîtres devait être proche de Guillaume Fitz Osbern mais nous n’en savons pas plus. 

En étudiant l’origine du prieuré des Deux-amants, nous avons néanmoins identifié une noble famille normande qui donna le temporel nécessaire à la fondation du pieux établissement : l’érudit Charles de Stabenrath reproduisit une description donnée par le prieur lui-même de l’ancienne église démolie en 1723 : “Sur les deux côtés de l'autel, ajoute le manuscrit de 1723, « on voyait les armes du prieuré, qui sont : trois mains gauches de sable, sur un fond d'azur, représentant le dessus de la main à la vue ; de l'autre côté, un écusson dont le fond est aussi d'azur en ovale, de même que le précédent, avec un chevron, au haut duquel, et entre la pointe, étaient deux roses sans queues, et au bas dudit chevron dans le milieu, un croissant doré.”

Armes des Malesmains de Roville, que nous apparentons à Rouville, nom d'un château près de Pîtres.

Armes des Malesmains de Roville, que nous apparentons à Rouville, nom d'un château près de Pîtres.

Armes du marquis de Marigny, dans la Manche, qui reprend certaines caractéristiques des armes des Malesmains (le chevron et les roses sans queues).

Armes du marquis de Marigny, dans la Manche, qui reprend certaines caractéristiques des armes des Malesmains (le chevron et les roses sans queues).

Les mains gauches sont rares en héraldique. Aubin-Louis Millin de Grandmaison consulta l’ouvrage de Pierre Palliot et Louvan Géliot, Science des Armoiries, dont la publication date de 1660. Ces auteurs affirmèrent que le nom de Malesmains provient d’un noble gaucher. Cette main étant alors jugée mauvaise, d’où le mot sinistre, les hommes l’appelèrent la “male main”. Mais qui étaient ces Malesmains ? 

 

Jean-Michel Bouvris fait état (page 449), ainsi que MM. Charpillon et Caresme, d’une charte de 1193 (circa) par laquelle Gilbert de Malesmains donna aux moines du mont des Deux-amants (“beate Marie Magdalene de monte Duorum Amantum”) une rente annuelle sur la pêche de mil anguilles à Rupière. Jean-Michel Bouvris cite une importante donation faite par Roger de Berville, seigneur du pays de Caux, entre 1150 et 1165. Celui-ci donna aux moines le patronage de huit paroisses : 

- quatre dans le pays de Caux : Saint-Germain de Criquetot, Saint-Jouin, Saint-Wandrille de Berville-en-Caux et Notre-Dame de Lammerville ;

- et quatre dans le Calvados : Notre-Dame de Rupière, Saint-Pierre du Jonquet, Notre-Dame de Vimont, Saint-Martin de Fourneville.

MM. Charpillon et Caresme précisèrent que cette donation n’est connue “que par la charte de confirmation donnée vers le même temps par Roger de Berville, que nous croyons être le donateur lui-même”. Ils appuyèrent leur intuition par un argument : “Berville-en-Caux a longtemps appartenu à la famille de Malesmains, dont Roger de Berville a été probablement la souche, et c'est pour cela que l’on fait honneur du prieuré des Deux-Amants aux anciens seigneurs de Malesmains, et que les armes du monastère étaient : trois mains gauches d’argent en champ de gueules.

Ce lien entre Berville et les Malesmains est confirmé, même pour une période plus récente, dans la généalogie de Charles-Olivier Blanc

La famille Malesmains a essaimé dans la région et se trouva liée à Guillaume le Conquérant. Pierre Palliot et Louvan Géliot nous informent qu’un Roger de Malesmains, de “la famille des Mallemains des Collibeaux passa en Angleterre avec Guillaume le Conquérant.” Ceci n’est guère étonnant si l’on juge que les huit paroisses citées ci-dessus approximent toutes les côtes. Les Malesmains durent en partie être d’origine scandinave et se virent attribuer des terres dans les meilleurs lieux, c’est-à-dire les lieux de transit, de terre et de mer, largement colonisés par les northmen, les hommes du nord. Notons aussi que Notre-Dame-de-Vimont, paroisse sur laquelle les Malesmains avaient des droits, fut le lieu de la bataille de Val-ès-Dunes où Guillaume le Conquérant mata la rébellion de seigneurs du Cotentin et assit son pouvoir. Il dût en remercier ses proches soutiens.  

 

Mais revenons sur les armes de l’ancienne église du prieuré des Deux-amants. 

Pierre Palliot et Louvan Géliot analysèrent les armes utilisant le symbole des mains et, plus rares, trois mains gauches : 

- une famille Malesmains, de Sassey, près d’Évreux : “d’or à trois mains gauches de gueules” ;

- un Roger de Malesmains des Collibeaux : “de gueules à trois mains gauches d’or”. “Le manuscrit que Monsieur le conseiller Bailly m’a prêté donne pour armes à Roger, sieur de Mallemains, qui passa en Angleterre avec Guillaume le Conquérant, “d’azur à trois mains gauches d’argent”” Cette dernière description est plus proche des armes trouvées dans l’église ; 

- une famille de Roville : “d’azur à trois mains gauches d’argent celle de la pointe surmontant un croissant de même, au chef cousu de gueules chargé de trois molettes d’or”. Cette description présente un fond commun avec les armes des Mallemains des Collibeaux. Or, Roville ressemble bien à Rouville, lieu d’un château proche de Pîtres. 

 

Autre information, à priori peu reliée à notre sujet : le site Wikimedia commons montre le blason du marquis de Marigny, devenu celui de la commune du même nom dans la Manche : “D'azur au chevron d'or, accompagné de deux roses en chef et d'un lion en pointe, le tout d'or.” Ce sont bien deux roses que l’on retrouvait sur un des deux blasons de l’autel des Deux-amants. Quel en est lien avec les Malesmains ? René Barrat nous apprend que la baronnie de Marigny revint à Gilbert II de Malesmains, décédé avant 1333, par son mariage avec Typhaine (ou Jeanne) de Courcy. 

Autre information, très indirectement reliée à notre sujet : le blason de Nicolas de Malesmains représenté dans le Grand armorial équestre de la Toison d'or et reproduit sur une page du site Herald dick magazine. Cet ouvrage est attribué à Jean Lefèvre de Saint-Rémy (1395-1468) qui était roi d'armes de la Toison d'or à la cour du Duc de Bourgogne. Il représenta, parmi les blasons des grandes familles nobiliaires, celui de Nicolas de “Male mains” au côté des Malet et des Estouteville, noms de la région du Havre par excellence. Les Malesmains étaient donc toujours membres de la grande noblesse normande et toujours liés aux voies maritimes et fluviales. 

 

Dans ses Antiquités nationales, Louis-Aubin Millin fit figurer une représentation d’un gisant de l’église deuxamantine. Il montrait un “chevalier (...) tout habillé de mailles avec une dague et une épée. Les armoiries sont très effacées et l’inscription n’est pas lisible.” Il s’agit vraisemblablement d’un Malesmains. Grâce aux blasons de l’autel deuxamantin ‒ trois mains gauches, deux roses et un croissant ‒ nous avons la preuve objective que des Malesmains sont liés au prieuré des Deux amants. Les importants dons des Malesmains attestent qu’ils sont au cœur de la fondation du prieuré.

Les lieux d’attache des Malesmains, leur fidélité aux ducs de Normandie et même leurs liens plus tardifs avec la Bretagne (cf. René Barrat) évoluent dans une atmosphère proche de celle des lais de Marie de France.  

Cependant, notre faible connaissance des arbres généalogiques des Malesmains nous empêche de faire un lien précis entre certains individus, le prieuré et Marie de France.  

 

Mais peut-on dater plus précisément le lai de Marie ? Est-ce le prieuré qui l’a inspiré dans la rédaction du lai des Deux-amants ou l’inverse ? 

 

Peut-on dater le lai de Marie de France par l’analyse littéraire ? 

C’est le travail auquel s’est attelé, parmi d’autres, R. N. Illingworth dans un article intitulé “La chronologie des Lais de Marie de France”. L’étude chronologique n’est pas aisée car Marie s’inspire de légendes populaires qu’elle met au gout du jour en utilisant des noms de lieux puisés dans les textes de Robert Wace ainsi que des noms de héros connus au XIIe siècle (page 435). 

Il est toutefois possible de classer les informations selon Illingworth qui établit deux groupes de lais. Dans le premier groupe se trouve le lai des Deux amants. Les lais y comportent peu de noms de personnages et se situent sur le continent. Dans le deuxième groupe les noms de personnages sont nombreux et les actions se trouvent en Bretagne, grande et petite (page 413). 

Illingworth fait une distinction de vocabulaire et de style entre les deux groupes de lais avant de tenter de les dater. Comment ? En retrouvant les textes qui inspirent les histoires des lais. Les Deux amants et Équitan sont inspirés d’une légende orientale couchée sur le papier par le poète latin Ovide : l’histoire de Pyrame et Thisbé, sa mie, qui influença la légende de Roméo et Juliette. Ovide relata les amours fatales de deux amants. Malgré le refus de leurs familles, Pyrame et Thisbé se sont donné rendez-vous le soir. Or, en allant au rendez-vous Thisbé voit une lionne à la gueule pleine de sang. Thisbé fuit et perd son châle. La lionne le croque et le tache de sang. Pyrame arrive plus tard et croit, à la vue du châle ensanglanté, que Thisbé son amour est morte. Par désespoir, il se donne la mort. Quand Thisbé voit le cadavre de son amant, elle le prend contre elle avant de se suicider, à son tour. Cette légende semble dénoncer la passion amoureuse qui fait déraisonner les hommes. 

Illington cite Ernest Hoepffner selon qui cette légende connut des traductions vers 1155 et 1160 sous le nom de Piramus et Tisbé (page 450). La légende des deux amants comporte de nombreuses analogies avec Pyrame et Thisbé et en fait la légende la plus proche. C’est ce qui permet à Illingworth de distinguer l’antériorité des lais des Deux amants et Équitan ; les autres lais ressemblant plus fortement à la légende de Tristan et Iseult, plus tardivement connue de Marie. Illington date le lai des Deux amants entre 1155 et 1160 (page 458).    

 

Pour conclure, le prieuré des Deux-amants apparait vers 1143. Marie de France composa son lai des Deux amants vers 1155 et 1160. L’incidence de la construction de ce prieuré sur la conscience de Marie semble établie. Il semble qu’elle fut consciente de toucher un public anglo-normand possessionné de part et d’autre de La Manche et intéressé par le maintien de l’autorité royale en la personne d’Henri II. Il semble que les Malesmains de Normandie et les descendants de Roger de Pîtres en Angleterre étaient encore liés dans la seconde moitié du XIIe siècle. 

 

Note de bas de page

(1) Henri II et Aliénor d’Aquitaine sont connus pour leur attention au monde des lettres. Sous leur règne des publications nombreuses ont vu le jour. Citons surtout Robert Wace, auteur en langue normande du Roman de Brut (entre 1150 et 1155). Dédicacé à Aliénor d’Aquitaine et demandé par le roi, cette œuvre fut inspirée de celle de Geoffroy de Monmouth, L’histoire des rois d’Angleterre, composée entre 1135 et 1138. Aliénor d’Aquitaine a favorisé l’influence de la littérature courtoise du sud de la France dans l’empire Plantagenêt. Quand elle régna à Poitiers, elle entretint une cour lettrée comprenant sa fille Marie de Champagne, qui fut protectrice de Chrétien de Troyes, une plume majeure du roman courtois. Henri II était soucieux de légitimer son pouvoir. C’est ce qui explique l’atmosphère bretonne des contes alors promus. Le pouvoir normand en “grande Bretagne” soumit les germaniques anglo-saxons. L’arrivée au pouvoir de barons normanno-bretons sonnait comme un juste retour au pouvoir des Bretons qui peuplaient et régnaient sur la Grande-Bretagne avant les invasions anglo-saxonnes. Les Bretons n’étaient-ils pas, après tout, d’anciens émigrés grands-bretons ? C’est ainsi que Geoffroy de Monmouth, dans le Roman de Brut, fit descendre les rois normands des rois bretons, eux-mêmes héritiers de Brutus le Romain, fils d’Énée. Après tout, le lointain souvenir de l’inclusion de la Bretagne insulaire dans l’empire romain devait se prêter aisément à ce type de mythes. Marie de France s’inscrit à merveille dans cet ensemble.

 

Sources

- Bouvris, Jean-Michel, “Les plus anciens actes du prieuré augustin des Deux-Amants à l'ancien diocèse de Rouen (vers 1110-1207)”, Annales de Normandie, n° 4, 1995, p. 448-450. Accessible sur Persée ;

- Charpillon, Louis-Étienne, Caresme, Anatole, Dictionnaire historique de toutes les communes du département de l’Eure, Delcroix, Les Andelys, 1868, tome I, notice “Amfreville-sous-les-monts”, chapitre : “Prieuré des Deux-amants”, page 109 ; 

- Foulon, Charles, “Marie de France et la Bretagne”, Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest, 1953, pages 243 à 258. Accessible sur Persée

- Francis, E. A., “Marie de France et son temps” in Romania, tome 72, n° 285, 1951, pages 78 à 99. Accessible sur Persée ;

- Illingworth, R. N. “La chronologie des Lais de Marie de France”, in Romania, tome 87 n° 348, 1966, pages 433 à 475. Accessible sur Persée ;

- Millin de Grandmaison, Aubin-Louis, Antiquités nationales ou Recueil de monumens..., tome 2, chapitre 17, “Prieuré des deux amans”, 1791 (consultable dans Gallica et dans archives.org) ;

- Pilet, André, Terre des Deux-Amants. Amfreville-sous-les-monts : son histoire, des silex taillés à l’ordinateur, éditions Bertout, Luneray, 1996, 179 pages ;

- Stabenrath, Charles de, “Notice sur le prieuré des Deux-amants”, in La Revue de Rouen et de Normandie, 1836, pages 370 à 382.

 

Armand Launay

Pont-de-l'Arche ma ville

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13 juin 2019 4 13 /06 /juin /2019 16:03
Représentation de la côte des Deux-amants où l'on voit le dortoir des moines et l'église priorale. Cette représentation date vraisemblablement d'entre 1685 et 1722.

Représentation de la côte des Deux-amants où l'on voit le dortoir des moines et l'église priorale. Cette représentation date vraisemblablement d'entre 1685 et 1722.

 

L’article ci-dessous est extrait de l’ouvrage suivant :

Charpillon, Louis-Étienne, Caresme, Anatole, Dictionnaire historique de toutes les communes du département de l’Eure, Les Andelys : Delcroix, 1868, tome I, pages 109 à 112.

 

Nous nous en servons pour alimenter notre étude sur le prieuré deuxamantin ; étude disponible ici.

 

Prieuré des Deux-amants. Il existait autrefois sur le territoire d’Amfreville, un prieuré très célèbre, dont la fondation remonte à la première moitié du XIIe siècle, et connu sous le nom des Deux-Amants ; il avait été placé sous le patronage de Sainte Madeleine et était occupé par des chanoines réguliers de l’ordre de saint Augustin.

Placé au sommet de la montagne, ce monastère jouissait d'une vue magnifique sur les vallées de la Seine, de l’Eure et de l'Andelle.

Il doit, selon toute apparence, son origine à quelques hommes pieux, réunis ensemble sur la montagne des Deux-Amants, alors en friche. La charte de confirmation des privilèges du monastère, datée de 1207, constate que les moines avaient mis en culture une partie des terres environnantes. Les seigneurs du voisinage favorisèrent la maison naissante et lui donnèrent bientôt le moulin de Canteloup avec la pêche, la redîme que possédait Roger de Radepont dans le même village, le fief du Hamel ; deux vavasseurs, Raoul Anger et Raoul, fils de Durand, chargés de fournir un cheval pour les besoins de leurs nouveaux maîtres ou de payer une rente de 20 sous, et enfin différentes rentes, dîmes, etc. ; le vaillant Baudry de Bray s’empressa aussi de donner aux religieux des marques de sa libéralité.

Le monastère fut autorisé par Hugues, archevêque de Rouen, dans une charte rédigée en présence de Fraterne, abbé de Saint-Ouen, vers l'an 1150.

Peu d'années après, un seigneur du pays de Caux, conféra aux chanoines d’un seul coup, les chapelles des huit paroisses dont les noms suivent : Notre-Dame-de-Rupière, Saint-Pierre-du-Jonquet, Notre-Dame-de-Vimont, Saint-Martin-de-Fourneville, Saint-Germain-de-Criquetot, Saint-Jouin, Saint-Wandrille de Berville-en-Caux et Notre-Dame-de-Lamerville.

On ne connaît cette donation que par la charte de confirmation donnée vers le même temps par Roger de Berville, que nous croyons être le donateur lui-même.

Berville-en-Caux a longtemps appartenu à la famille de Malesmains, dont Roger de Berville a été probablement la souche, et c'est pour cela que l’on fait honneur du prieuré des Deux-Amants aux anciens seigneurs de Malesmains, et que les armes du monastère étaient : trois mains gauches d’argent en champ de gueules.

Parmi les libéralités faites au prieuré, de 1143 à 1157, nous mentionnerons seulement la donation que lui fit un seigneur du voisinage, à son retour de Jérusalem, d'une rente annuelle d'un millier d'anguilles, payable au commencement du carême, à Rupière, et celle de dame Euphémie de Fleury, de trois acres de terre à Gaillardbois pour l'entretien d'une lampe qui brûlera jour et nuit devant l'autel de la bienheureuse Marie-Madeleine, patronne des religieux des Deux-Amants, et d'une rente en blé sur le moulin de Fleury, avec la dîme de son moulin d’Irreville aussi à Gaillardbois, pour son anniversaire.

L'année 1175 est marquée par une importante donation du roi de France, Louis-le-Gros ; elle consistait en cinquante arpents de terre à Autie, et du droit d'usage dans la bruyère du val Renier.

Il nous est impossible de relater toutes les donations faites aux religieux jusqu'au commencement du XIIIe siècle, elles sont beaucoup trop nombreuses ; nous nous contenterons seulement de citer parmi les bienfaiteurs, les noms de Hugues du Fay, de Guy le Loup, de Raoul de Vaux, de Robert de Leicester, de Guillaume de Gaillarbois, de Raoul le Sueur, de Guillaume de Bosc-Normand, et enfin de Roger de Roncherolles.

Bien que déjà approuvés par l'archevêque Hugues, il manquait aux chanoines, au point de vue ecclésiastique, une existence légale et une confirmation solennelle des nombreuses donations qui leur avaient été faites depuis la création de leur maison. Ce fut l’archevêque Gautier-le-Magnifique, si célèbre par ses luttes avec Richard-Cœur-de-Lion, qui leur octroya cette approbation indispensable aux établissements religieux.

Indépendamment des libéralités dont nous avons parlé, la charte de 1207 contient encore l’énumération des donations faites au prieuré par : Renaud, curé de Damneville ; Baudoin de Marcouville, Chrétien de la Peruche ; Raoul de Chaumont, Agnès de la Hennière, Guillaume de Muids, Roger de Malesmains, Osbern de Cailly, Goël de Baudemont et beaucoup d’autres.

Après la charte de Gautier, les donations ou acquisitions continuèrent, sur une large échelle, jusqu’à l’année 1245.

En 1210, Guy de la Roquette, chevalier, confirma le don fait par Oziria, sa mère, de terres situées à Houville, vers le chemin de Gisors.

On a, du mois de mars 1221, une charte de Guillaume de Roncherolles, fils de Roger, par laquelle ce chevalier confirme les donations de ses prédécesseurs au prieuré des Deux-Amants, avec approbation de l'archevêque de Rouen.

Vers 1228, Mathilde, fille d'Osbern de Cailly et d’Hildeburge de Bauldemont, qui prenait le titre de dame et maitresse (hera) de Cailly et Baudemont, donna aux frères des Deux-Amants 30 acres de terre dans sa forêt de Basqueville-en-Vexin.

Vers l’année 1250, le pape Innocent IV, par une bulle spéciale, prit l’établissement des Deux-Amants sous la protection du saint-siège.

À partir du milieu du Xllle siècle, le journal d'Eudes Rigaud nous fournit de nombreux renseignements sur le prieuré que le prélat visita fort souvent.

Sous la date du 18 juillet 1249, Eudes Rigaud venant de Fresnes-l'Archevêque, explique qu'il a passé la nuit aux Deux-Amants et qu'il a été reçu aux frais de la communauté, “le lendemain, dit-il, nous avons procédé à la visite du monastère, nous y avons trouvé douze chanoines. Ils ont un revenu de 110 livres, ils doivent environ cent vingt livres, et on leur en doit bien autant. Dans la chapelle d’Autie se trouve un chanoine seul, nous avons ordonné qu'il soit rappelé dans le cloître ou qu'on lui donne un socius.”

En 1251, Godefroy de Roncherolles avait succédé à Guillaume, son père.

On a de lui une charte en faveur de la chapelle de Saint-Laurent, fondée et dotée par ses ancêtres.

Que tous sachent, dit-il, présents et avenir, que moi, Godefroy de Roncherolles, chevalier, j'ai donné et concédé par la présente charte, pour le salut de mon âme, des âmes de mes prédécesseurs et successeurs à Dieu à la chapelle Saint-Laurent et au chapelain y servant Dieu, 4 acres 1/2 et le reste. J’ai donné la présente charte confirmée par mon sceau l’an 1251, au mois de mai, en présence du seigneur Guillaume de Thun, doyen, et de plusieurs autres. Sceau avec l'inscription : Guillaume de Roncherolles. Ce seigneur avait un frère nommé Girard, simple écuyer, qui, lui aussi, donna 60 sous de rente au prieuré.

Lors d*une visite faite le 29 décembre 1253, l'archevêque s'exprime ainsi : « Ils sont douze chanoines et huit sont prêtres ; leurs dettes s'élèvent à environ 100 livres, mais on leur doit 100 livres de dette solvable et 80 livres peu faciles à recouvrer. On n'a pas soin des infirmes ; frère Guillaume de Gaillardbois est accusé d'ivrognerie, nous avons ordonné de le rappeler dans le cloître. Frère Guillaume Barbot après le vin est sujet à la colère, de même Mathieu est murmurateur.”

Le 1er décembre 1256, l'archevêque écrit, entre autres observations : « Nous avons enjoint que chaque semaine on lise la règle au moins une fois. On n’a pas soin des malades ; nous avons enjoint de corriger cela. Nous avons ordonné spécialement au sous-prieur de visiter avec soin les infirmes et de pourvoir à leurs besoins ; on ne leur donne pas de vêtement aussitôt qu’ils en manquent ; nous avons prescrit de corriger cet abus.”

Sous la date du 9 février 1258 on trouve : “ils sont XV chanoines demeurant ensemble et ils ont quatre prieurés. On ne s'accuse pas mutuellement des fautes de règle ; nous avons enjoint de corriger cela. On ne pourvoit pas convenablement les chanoines de vêtements et de chaussures, etc.”

Dans ses visites de l’année suivante, le prélat constate toujours les mêmes abus.

En 1262, son journal porte : “Il y avait là un novice ; nous l'avons averti de se confesser souvent et de communier au moins une fois par mois. Ils devaient environ huit vingt [sic] livres et n'avaient ni avoine ni provisions suffisamment pour l'année. À l'encontre du prieur, ils ont dit qu'il sortait de la maison plus souvent qu'il n’était nécessaire, qu'il faisait du bien à sa famille de manière à gêner la maison. De plus, que ce même prieur leur devait 20 livres pour leurs pitances sans qu'ils puissent les obtenir paisiblement ; enfin, que ce même prieur donnait et aliénait les biens de la maison comme les chevaux et les coupes sans la permission du chapitre. Nous avons ordonné au prieur de leur permettre de percevoir paisiblement, sur la grange de Netreville, les 20 livres qu'il leur devait pour leurs pitances. Quant aux autres chefs, ils n'étaient qu'une mauvaise chicane comme il paraissait au premier coup d'œil ; chicanes soulevées par un certain frère nommé Barbot, et c'est pourquoi elles furent considérées comme frivoles et sans fondement.”

Nous n'en finirions pas de reproduire tous les passages du journal de l'actif et infatigable archevêque, concernant le monastère dont nous nous occupons. Chaque fois, le prélat constate que les religieux, malgré ses prescriptions réitérées, observaient peu la règle et soignaient mal les infirmes et les malades. La dernière visite dont parle ce journal est du 19 novembre 1269, c'était la vingt-deuxième ; ce jour-là on compta à Eudes Rigaud 7 livres 7 sous pour son droit de procuration.

Nous revenons encore aux donations que les seigneurs pieux du voisinage firent au monastère.

En 1203, Guillaume de Poissy, seigneur de Noyon-sur-Andelle, aujourd'hui Charleval, avait perdu son fils Robert. Ce chagrin domestique le disposa à donner à l’église Sainte-Madeleine des Deux-Amants, pour le salut de son âme, de ceux de sa femme Isabelle et du fils qu'il avait perdu, ce qu’il percevait sur une pièce tenue de son fief à Houville.

En 1274, Emeline dite la Faveresse lui donna 6 deniers tournois de rente sur une terre à Houville ; en 1290, Godefroy ou Geoffroy de Roncherolles, dont nous avons parlé comme d'un bienfaiteur du prieuré, étant venu à mourir, fut inhumé dans la chapelle, à côté du grand autel.

Jean de Ponthieu, comte d’Aumale, ayant été tué à la bataille de Courtray, sa veuve, Ide de Meulan, obtint du roi Louis-le-Hutin l'autorisation de consacrer 31 livres parisis de rente à fonder quatre chapelles : une au prieuré des Deux-Amants et les trois autres à l'abbaye du Trésor au Val-Guyon et à la Haye-le-Comte, près de Louviers.

Pour la fondation à notre prieuré, la comtesse donna en 1316, aux chanoines, son moulin de Torsel ou d'Estorsel, à Romilly-sur-Andelle.

Guillaume de Roncherolles, fils de Godefroy, qui avait épousé Mahaud de Chelles, ayant été tué en la guerre, fut enterré à l'abbaye des Deux-Amants, à côté du maitre-autel, au mois de septembre 1318.

En 1330, Simon de Mansigny, chevalier, seigneur du Puchay, donna au prieuré, pour le salut de son âme, des âmes de ses ancêtres, particulièrement de son père et de sa mère, à la condition de célébrer un obit solennel à perpétuité, tout le fief de la Cornue à Houville, avec 18 sous tournois et 6 sous parisis.

Charles, qui fut depuis Charles V, autorisa en 1363, en sa qualité de duc de Normandie, Jacques des Essarts, son huissier d'armes, en considération des bons et agréables services qu'il lui avait rendus au fait de la guerre, à vendre 100 livres de terre ou de rente. En vertu de cette autorisation, le seigneur vendit aux religieux sa fieffe-ferme du Plessis-Nicole, relevant de Pont-Saint-Pierre, moyennant une rente de 60 livres. Par un contrat du 5 janvier 1365, les religieux remboursèrent à leur vendeur 50 livres de rente, et leur dette se trouva réduite à 10 livres. Peu après, ils obtinrent du roi Charles V des lettres d'amortissement pour ce fief, mais à la condition de payer 200 francs d’or.

Sous la date du 18 mai 1337, eut lieu la fondation d'un obit par Pierre Gougeul, dit Moradas, chevalier, sire de Rouville, qui donna 10 sous tournois de rente pour cette destination.

Lorsque Charles VI monta sur le trône de France, le 16 septembre 1380, il délivra, à titre de joyeux avènement, un brevet en vertu duquel Guillaume du Houmet devait avoir une place dans le prieuré des Deux-Amants. Les religieux s'opposèrent à cet impôt d’un nouveau genre et obtinrent une sentence des requêtes de l'hôtel qui leur accorda congé de cour.

Depuis l’année 1413 jusqu’à l’époque où le cardinal de Joyeuse, alors archevêque de Rouen, ayant jeté les yeux sur la mense priorale des Deux-Amants, pour doter le collège des jésuites de Rouen, obtint du pape Paul V l'union de cette mense au collège par une bulle datée de 1607, nous laisserons encore de côté une foule de documents. Nous dirons seulement que le prieuré des Deux-Amants fut presque entièrement détruit à l'époque de l’invasion anglaise ; qu'il fut brûlé et dévasté une seconde fois, en 1591, pendant les troubles de la Ligue, et que les différents prieurs qui se sont succédé depuis 1380 jusqu’à l’union au collège des jésuites, sont :

1381, Jean d’Auteuil ou de Santeuil

1427, Robert Legrand

1473, Michel Langlois

De 1490 à 1499, Étienne de Longuemare

De 1499 à 1513, Etienne Bouillet

De 1514 à 1530, Jean Perroy

De 1530 à 1587, Nicolas Chanvin

De 1588 à 1591, Charles Tiercelin

De 1591 à 1598, Jacques Lecoq

De 1598 à 1607, Nicolas Tiercelin

De 1607 à 1620, Nicolas de Neufville

 

Enfin, de 1620 à 1649, le dernier prieur fut Jacques de la Ferté, qui plaida avec ses religieux. Dans le procès qu’il soutint contre les deux frères Charles de Lyons et Jacques de Houeteville, le prieur signale les désordres existant dans sa maison : manque absolu de discipline et d’esprit religieux, violences commises contre ceux qu’on avait tenté d’introduire pour donner le bon exemple.

Les lettres-patentes du roi, pour la réunion définitive de la mense priorale au collège des jésuites de Rouen, sont datées de 1649. Trois ans après, les anciens chanoines disparurent tout à fait après cinq-cents ans d’existence, pour faire place aux Génovéfains, qui à leur tour furent emportés par le souffle révolutionnaire.

 

 

Armand Launay

Pont-de-l'Arche ma ville

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10 juin 2019 1 10 /06 /juin /2019 08:58

 

À tonton Miguel;)

 

Avec nos remerciements à Édouard Capron, vigneron normand qui a instillé en nous l’idée et la motivation de créer cet article. Remerciements itou à notre ami Laurent Ridel, historien de la Normandie, pour les pistes bibliographiques. Remerciements enfin au blanc Entre-deux-mers qui a su m’encourager dans les parties les plus ardues de la rédaction.


 

À première vue, la présence de la vigne en Normandie étonne ou fait sourire étant donné le manque de soleil légendaire de notre contrée. Pourtant, on connait tous une vigne vierge sur la façade d’une maison d’un ami ; on se souvient avoir lu quelques lignes sur la vigne en Angleterre ; mieux, quand on consulte une carte, on mesure que la Champagne viticole n’est pas située plus au sud que notre bonne Normandie. Ce n’est donc pas l’existence de quelques pieds de vigne qui est étonnante en Normandie, mais l’idée de la cultiver sous forme de vignobles. Est-il approprié de parler de vignobles de la région de Pont-de-l’Arche ou est-ce une exagération, voire une illusion ?

 

Le vignoble renait depuis mars 2016 où Édouard Capron a planté 3000 pieds à Freneuse. Ici sur la photographie de Paris Normandie (document 1) se voient deux vendangeurs en action en septembre 2018. Les autres documents (clichés d'Armand Launay) montrent le domaine Saint-Expédit et son propriétaire.
Le vignoble renait depuis mars 2016 où Édouard Capron a planté 3000 pieds à Freneuse. Ici sur la photographie de Paris Normandie (document 1) se voient deux vendangeurs en action en septembre 2018. Les autres documents (clichés d'Armand Launay) montrent le domaine Saint-Expédit et son propriétaire.
Le vignoble renait depuis mars 2016 où Édouard Capron a planté 3000 pieds à Freneuse. Ici sur la photographie de Paris Normandie (document 1) se voient deux vendangeurs en action en septembre 2018. Les autres documents (clichés d'Armand Launay) montrent le domaine Saint-Expédit et son propriétaire.
Le vignoble renait depuis mars 2016 où Édouard Capron a planté 3000 pieds à Freneuse. Ici sur la photographie de Paris Normandie (document 1) se voient deux vendangeurs en action en septembre 2018. Les autres documents (clichés d'Armand Launay) montrent le domaine Saint-Expédit et son propriétaire.

Le vignoble renait depuis mars 2016 où Édouard Capron a planté 3000 pieds à Freneuse. Ici sur la photographie de Paris Normandie (document 1) se voient deux vendangeurs en action en septembre 2018. Les autres documents (clichés d'Armand Launay) montrent le domaine Saint-Expédit et son propriétaire.

Apéritif

Dans un article passionné l’abbé Cochet exposa, en 1866, que “La vigne prit heureusement racine dans les Gaules, car l’historien de Julien l’Apostat nous dit qu’à Lutèce on recueillait de meilleurs vins qu’ailleurs parce que, ajoutait-il, les hivers y sont plus doux que dans le reste du pays.” Il s’agit donc du IVe siècle de notre ère. Il y a tout lieu de penser que le vin lutétien était meilleur que les autres vins de la vallée de Seine et donc de la région de Rouen, le Vexin, et au-delà vers l’estuaire de la Seine. Puis, l’abbé Cochet établit un lien entre les sources textuelles religieuses et la culture de la vigne durant le haut Moyen Âge dans la vallée de la Seine. Il traite de l’importance des abbayes de Fontenelle, Jumièges et de Rouen en matière de plantation et de culture de la vigne. Pierre Brunet est plus précis qui trouve une première mention écrite de la présence de la vigne à Lisieux en 584 (page 185). Les religieux étaient, semble-il, très actifs en matière de viticulture en tant que propriétaires et consommateurs. Nous retrouvons cet intérêt pour la vigne dans notre région, à Léry, au XIe siècle...

 

1.1. Un premier verre : le vignoble de Léry, les religieux de Caen, puis de Bonport.

Charpillon et Caresme ont cité un acte approximant 1077 par lequel Guillaume le Conquérant donna “aux moines de Saint-Étienne de Caen quatre arpents et demi de vigne à Léry, et trois aux religieux de la Trinité.” Le duc leur permit aussi de créer deux moulins sur “la rivière d’Eure à la condition de laisser librement passer les poissons et les bateaux”. Un lien est fait entre la vigne et les moulins. Ceux-ci devaient assurément servir ‒ entre autres fonctions ‒ à écraser le raisin. Notons que deux moulins étaient toujours visibles sur le plan cadastral de 1834, signé par Le Fébure et Charpentier : l’un était sur la rive gauche de l’Eure, près de l’église Saint-Ouen et l’autre était appelé l’Aufrand, plus en amont sur la rive droite, vers l’actuelle prison des Vignettes.    

Puis, cette présence des moines et moniales caennais nous échappe. Seuls demeurent, à notre connaissance, les moines de l’abbaye Saint-Ouen de Rouen. Richard II, nous apprennent Charpillon et Caresme, leur avait donné l’église de Léry vers 1018. Entre 1130 et 1160 ils firent bâtir des parties ‒ toujours visibles ‒ de l’église actuelle. Ils conservèrent leurs droits à Léry, notamment la dime, jusqu’à la Révolution.

Un édifice témoigne aussi de la présence de religieux à Léry : l’église Saint-Patrice, le long de l’Eure, au n° 10 de la rue des Émotelles. Elle présente une entrée voutée en tiers point ce qui la rattache plutôt au style gothique et la daterait du XIIe siècle. En 1260, elle jouxtait le “cimetière Saint-Patrice” (Jules Andrieux, page 255). A-t-elle servi de lieu de culte pendant que les moines de Saint-Ouen faisaient construire l’église paroissiale ? Est-ce un vestige de la présence des moines et moniales de Caen ou, déjà, le signe de la prise de possession par les moines de Bonport du “clos de Léry” donné en 1189 par le roi d’Angleterre et duc de Normandie Richard Cœur-de-Lion ?

Les deux moulins de Léry sont mentionnés dans la même charte de 1077 par laquelle Guillaume le Conquérant dota en vignobles les moines de l'abbaye aux moines et les moniales de l'abbaye aux dames, de Caen donc. Il semble donc que les moulins servissent, en partie, à écraser le raisin d'une ample viticulture locale. Ici, sur une carte postale des années 1910, le moulin situé près du pont de l'église Saint-Ouen.

Les deux moulins de Léry sont mentionnés dans la même charte de 1077 par laquelle Guillaume le Conquérant dota en vignobles les moines de l'abbaye aux moines et les moniales de l'abbaye aux dames, de Caen donc. Il semble donc que les moulins servissent, en partie, à écraser le raisin d'une ample viticulture locale. Ici, sur une carte postale des années 1910, le moulin situé près du pont de l'église Saint-Ouen.

 

1.2. Le vignoble lérysien dans le cartulaire de Bonport

Le cartulaire désigne l’ensemble des chartes possédées par les moines d’une abbaye afin de défendre leur droit à la propriété ou à des redevances. Le cartulaire de Bonport, abbaye construite à Pont-de-l’Arche à partir de 1190, a été minutieusement étudié et compilé par Jules Andrieux. Nous avons sélectionné les passages les plus instructifs en lien avec le vignoble que nous avons compilés dans un article accessible ici. Mais que retenir de tout cela ?

En 1198, Richard Cœur-de-Lion, confirma sa donation aux moines bonportois et, notamment : “totum closum de Lere cum suis pertinentiis, et omnes vineas et vina que habebamus in Valle-Rodolii.” Les moines étaient donc fieffés à Léry, notamment de vignes et vignobles proches du Vaudreuil. Mais cela ne leur suffit pas.  

De 1190 à 1296, les moines bonportois acquirent ‒ environ ‒ 14 parcelles de vignes à Léry, 7 rentes sur des vignes lérysiennes et 8 parcelles de vignes dans 8 autres lieux distincts les uns les autres. Notons qu’à sa fondation l’abbaye de Bonport acquit trois parcelles en France conformément au souhait de Philippe II, roi de France, cofondateur de cette abbaye avec Richard Cœur-de-Lion. Léry apparait donc comme le lieu du vignoble bonportois par excellence. Nous apprenons que le vignoble servait notamment à l’hospice devant accueillir les pauvres à l’abbaye de Bonport, d’où la précision, en 1248, de la vente par Guillaume le Duc d’une pièce de vigne “au gardien de l'hospice des pauvres”. Une autre vigne est dite “sacriste”. Elle était donc réputée servir au sacriste, celui qui prépare l’office religieux et donc le vin de messe. Cela semble suggérer que le reste du produit des vignes allait à la consommation des moines, voire à la vente. Il nous est malheureusement impossible d’apprécier la superficie des vignes, les actes ne donnant pas cette précision. Ils évoquent, simplement, des “pièces” de terre. Cependant, les surfaces devaient être considérables car elles semblent couvrir une large partie du territoire paroissial.  

 

 

L'abbaye de Bonport était enclose. Une porte en permettait le ravitaillement depuis la berge de Seine. On peut imaginer les tonneaux de vin arrivant ici en vue de sa consommation par les moines, notamment dans le réfectoire, et par les personnes accueillies dans l'hospice, situé presque au-dessus de la cave (clichés Armand Launay, avril 2011).
L'abbaye de Bonport était enclose. Une porte en permettait le ravitaillement depuis la berge de Seine. On peut imaginer les tonneaux de vin arrivant ici en vue de sa consommation par les moines, notamment dans le réfectoire, et par les personnes accueillies dans l'hospice, situé presque au-dessus de la cave (clichés Armand Launay, avril 2011).

L'abbaye de Bonport était enclose. Une porte en permettait le ravitaillement depuis la berge de Seine. On peut imaginer les tonneaux de vin arrivant ici en vue de sa consommation par les moines, notamment dans le réfectoire, et par les personnes accueillies dans l'hospice, situé presque au-dessus de la cave (clichés Armand Launay, avril 2011).

 

Où était situé le vignoble lérysien ?

Le terme de “Vignettes”, petites vignes, est aujourd’hui connu qui désigne la prison de Val-de-Reuil, construite sur des terres de Léry (cédées en 1972 à la naissante commune de Val-de-Reuil). Le plan cadastral de 1834 montre le terme de “Vignettes”. Il se trouve sur la rive droite de l’Eure, du côté de l’Offrand. C’est un diminutif suggérant que les vignes étaient moins nombreuses de ce côté-ci. Elles étaient cependant suffisamment notables pour servir de toponyme. Le diminutif permettait de les distinguer des autres vignes lérisiennes. Celles-ci sont localisables dans le plan cadastral où l’on trouve la mention de “rue des vignes Potou” vers le Torché, ancien hameau existant déjà dans les chartes du XIIIe siècle, c’est-à-dire vers l’actuel Val-de-Reuil. Potou sonne comme le surnom d’une personne, si ce n’est pas son réel nom de famille.   

Un nom d’espace nous intéresse : “Le Camp l’abbé” qui signifie, en dialecte local, le champ de l’abbaye. L’abbaye est celle de Bonport, à n’en pas douter. Le nom d’abbé pour désigner un lieu semble déjà utilisé en 1291 dans une charte de vente par Guillaume Langleis d’une pièce de vignes aux moines de Bonport.

Les chartes bonportoises mentionnent rarement les lieux des vignobles mais le nom des propriétaires. Cependant, des vignes sont situées expressément en 1280 près de “Albe vie” qui se traduit du latin des chartes par “Voie blanche”, espace bien connu des hauts de Léry et, dans le français courant, par Aubevoye que l’on retrouve à côté de Gaillon. Un autre lieu est cité en 1288 : “queminum domini regis”, c’est-à-dire le “quemin le roy”, soit le chemin royal : la voie principale. C’est la voie de Rouen à Mantes que l’on retrouve sur le plan cadastral. D’autres noms nous intéressent : le Mont Béjout, qui indique une hauteur ; et Esmaiart, Esmeart, Maiart, qui nous fait songer ‒ même très lointainement ‒ aux mystérieux noms de “Grand-Neuf-Mare” et “Petit-Neuf-Mare” sur les hauts de Léry, là où il n’y a pas de mares. D’autres noms encore sont explicites : la rive de l’Eure, la garenne, le “nemus domini regis” c’est-à-dire la forêt du roi…   

Il ressort de ce paragraphe que de nombreux vignobles se trouvaient partout autour de Léry, surtout sur les pentes douces entre la voie principale et la Voie blanche. Mais nous nous étonnons de la présence de vignobles sur la rive droite de l’Eure et la plaine inondable...   

 

1.3. Les vignobles de la rive droite de l’Eure, dans la plaine inondable ?

Un autre nom de lieu de Léry, noté sur plan cadastral, intéresse notre étude : “le chemin des vignes de Léry à Poses”. Existait-il d’autres vignobles de ce côté-ci ? C’est ce que semble exprimer ce nom ou le mot “vignes” sonne comme un synonyme, dans l’usage local, de vignobles. Ce n’est pas qu’un nom de voie, le plan cadastral montre que c’est le nom d’un espace. Cela signifie donc qu’un vignoble occupait ce lieu.

Mais le fond de la vallée était-il favorable à cette culture ? C’est étonnant car il est connu que la vigne ne supporte pas l’excès d’eau. Or le fond de la vallée est submersible en cas de crues décennales et, à fortiori, centennales. Un indice nous est encore fourni par la toponymie : les différents espaces nommés “Les sablons”. Le fond de la vallée est composé de dépôt d’alluvions sablonneux. Ils attirent d’ailleurs les cimentiers qui l’exploitent depuis les années 1970. Les plaies béantes de leurs carrières ont été mis en eau afin d’être reconvertis en base de loisirs nautique : celle de Léry-Poses.

Édouard Capron, vigneron dont nous exposons le travail plus bas dans cette étude, nous a confirmé que “Les sols sablonneux sont propices à la culture : Les vignobles avec un sol sableux ont presque toujours une maturité précoce. Ce qui n’est pas un maigre avantage chez nous. Ils permettent un bon drainage des sols et évitent certaines maladies qui ne peuvent se développer. De plus le sable se réchauffe vite sous les rayons du soleil et diffuse cette chaleur en dessous de la surface. Ils le sont un peu moins (à mon gout) sur l’aspect qualitatif mais c’est une autre histoire. Ce type de sol donnera des vins légers et peu colorés mais parfois avec une grande finesse. Si la pluviométrie est suffisante (ce qui je pense était le cas), ce type de sol peut produire de grands vins rouges et blancs.” Nous buvons ses paroles.

Il fallait donc prévoir des années sans récoltes, après les crues, voire un remplacement des vignes. Ce qui devait nécessiter d’en posséder du côté insubmersible de la rive. Autrement, il est possible d’imaginer que les vignes fussent plantées sur des motillons, c’est-à-dire des ilôts légèrement plus élevés que le reste du fond de la vallée. Nous pensons que le raisin du chemin des vignes et des vignettes devaient être pressés au moulin de l’Offrand. L’Eure devait servir à acheminer le vin vers ses propriétaires et ses clients. C’est ce expliquerait le don de Guillaume le Conquérant qui confia le vignoble de part et d’autre de l’Eure, à Léry, pour deux grandes abbayes caennaises. C’est peut-être ce qui expliquerait, en partie, l’impressionnante place de la viticulture à Léry.  

Mais la culture du vignoble était-elle propre à Léry ou était-elle pratiquée ailleurs dans la région ?

 

Détail du cadastre de Léry où se voient la partie de plaine nommée "Les Vignettes", actuellement occupée par la prison, et l'ancien moulin de l'Aufrand, sur la rive droite de l'Eure. Il dût servir à presser le raisin lors des vendanges estivales (crédit : Archives départementales de l'Eure).

Détail du cadastre de Léry où se voient la partie de plaine nommée "Les Vignettes", actuellement occupée par la prison, et l'ancien moulin de l'Aufrand, sur la rive droite de l'Eure. Il dût servir à presser le raisin lors des vendanges estivales (crédit : Archives départementales de l'Eure).

 

2. Un troisième et même un quatrième verre : le vignoble était-il répandu dans les coteaux de la région de Pont-de-l’Arche ?

Ayant repéré un “chemin des vignes” entre Léry et Poses, nous avons laissé notre regard se promener sur les plans cadastraux, les vues satellitaires et les cartes toponymiques. Des indices de la présence de la vigne durant l’Ancien Régime sont visibles dans de nombreux villages que nous énumérons par village ci-dessous. Nous ajoutons les sources écrites médiévales et renaissantes dont nous disposons.

 

Poses

Le plan cadastral de Poses de 1834, signé par Le Fébure et Longlet, section de l’église, montre un dénommé “clos des vignes” proche d’un espace baptisé “Les sablons”. Cet espace était donc plutôt sec. Le clos des vignes est limitrophe de la commune de Tournedos. Une forme carrée se voit assez aisément sur le plan qui nous permet, sûrement, de retracer ce “clos”, c’est-à-dire un espace enclos. Il est situé au nord de l’ancien moulin à vent, ce qui devait être pratique pour écraser le raisin. Il n’est pas très éloigné de l’église de Poses, à l’ouest du clos.

 

Détail du cadastre de Poses (Archives départementales de l'Eure) où l'on voit apparaitre le "clos des vignes" à côté des "Sablons" et non loin de l'église.

Détail du cadastre de Poses (Archives départementales de l'Eure) où l'on voit apparaitre le "clos des vignes" à côté des "Sablons" et non loin de l'église.

 

Tournedos-sur-Seine

“Un clos de la vigne”, comme à Poses ou presque, apparait sur le plan cadastral de Tournedos, signé en 1834 par Le Fébure et Gondevin, à l’ouest de Pampou. Il est situé près d’un espace nommé “Les Pérelles”, pré formé de petites pierres et donc plutôt sec.

 

 

Le clos de la vigne de Tournedos, sur la gauche, limitrophe de Portejoie, au-dessus de Pampou (détail du plan cadastral, archives départementales de l'Eure).

Le clos de la vigne de Tournedos, sur la gauche, limitrophe de Portejoie, au-dessus de Pampou (détail du plan cadastral, archives départementales de l'Eure).

Connelles

Situé dans le creux d’un vallon, sur les berges de la Seine, entre deux coteaux crayeux du plateau du Vexin, Connelles concentre des paysages variés. Le plan cadastral de 1834, signé par Le Fébure et Gondouin, désigne un espace sous le nom de “La vigne Madame”, au nord de la partie la plus orientale du village (le long de la route de Daubeuf). Cet espace est un peu élevé et tourné vers le sud. Un autre toponyme nous intéresse : “Les vignes Servant” situé plus au nord, bien exposé au soleil, à contremont de la route longeant la Seine entre Amfreville et Connelles. Ces toponymes démontrent que les vignes permettaient de localiser des espaces. Elles n’étaient donc pas omniprésentes mais suffisamment nombreuses pour qu’il faille les singulariser. Servant sonne comme un nom de famille et Madame comme un sobriquet ou la marque de respect, peut-être, pour une noble propriétaire.

 

Le plan cadastral de Connelles (Archives départementales de l'Eure) montre "La vigne Madame", presque au centre ici, et "Les Vignes Servant" tout en haut à droite.

Le plan cadastral de Connelles (Archives départementales de l'Eure) montre "La vigne Madame", presque au centre ici, et "Les Vignes Servant" tout en haut à droite.

Le Mesnil-d’Andé

Le plan topographique du Mesnil-d’Andé montre une “rue des vignes” dans la partie haute du hameau.  Le plan cadastral de 1823, signé par Hautier et Roger, mentionne “les grandes vignes” à contremont du hameau. Cela indique qu’elles étaient impressionnantes pour leurs contemporains. De même, cela indique l’existence d’autres vignes, moins nombreuses, par différence avec ces “grandes” vignes.  

 

Saint-Pierre-du-Vauvray

De nos jours, les côtes de Seine de Saint-Pierre et de Vironvay font penser aux régions viticoles, les vignes en moins. Léopold Delisle mentionna, page 427, la présence de vignes à Saint-Pierre-du-Vauvray en 1333. Jules Andrieux fait état, page 405, de la propriété des moines de Bonport en 1340 : “en la ville du Vauvray, en la viconte du Pont de l’Arche, un hostel, vignes, terres labourables, prés, rentes en deniers, corvées, oyseaulx et autres redevances.

 

Le Vaudreuil

Jules Andrieux fait état, comme nous l’avons vu plus haut, de la confirmation en 1198 des dons consentis par Richard Cœur-de-Lion aux moines de Bonport et, notamment : “totum closum de Lere cum suis pertinentiis, et omnes vineas et vina que habebamus in Valle Rodolii.” Le clos de Léry ne se confondait pas avec les vignobles et le vin du Vaudreuil mais y était suffisamment lié pour être traité avec. Les vignobles du Vaudreuil devaient donc se trouver dans la plaine du Val-de-Reuil actuel et le long du coteau de la forêt de Bord.

Jules Andrieux expose, page 290, un acte par lequel Raoul le Meteer vendit aux religieux de Bonport 9 deniers de rente à prendre sur sa vigne de Landemare (en décembre 1274) située à Notre-Dame-du-Vaudreuil (“Beate Marie de Valle Rodolii”).

Jules Andrieux, toujours, fait état, page 405, de la propriété des moines de Bonport en 1340 : “en la ville de Vaudreul et viconte du Pont de l’Arche, ung hostel nomme Landemare, et ung moulin, vignes, prés, terres labourables.” Pierre Brunet écrivit qu’autour du Vaudreuil le vignoble disparut dès le XVIIIe siècle.

Les hauteurs de Pont-de-l'Arche, sur la route de Tostes, se seraient bien prêtées au vignobles durant le Moyen Âge, mais nous ne pouvons pas le prouver (cliché Armand Launay, mai 2013).

Les hauteurs de Pont-de-l'Arche, sur la route de Tostes, se seraient bien prêtées au vignobles durant le Moyen Âge, mais nous ne pouvons pas le prouver (cliché Armand Launay, mai 2013).

 

Pont-de-l’Arche

Léopold Delisle écrivit (page 427) que “Dans le compte des vins du roi pour 1227, Pont-de-l’Arche figure pour 88 muids 11 setiers et demi. Ces 88 muids concernent la production de toute l’élection (circonscription administrative). En effet, si un muid équivalait à 274 litres comme au XIXe siècle, cela eût représenté 24 112 litres soient 241 hectolitres. C’est bien au-delà de la production d’une seule paroisse.  

Jules Andrieux reproduisit (page 165) une charte bonportoise, datée de mai 1247, par laquelle Guillaume Helluin de Limaie vendit à Jean Durand une pièce de terre à Pont-de-l'Arche : “et hoc presenti scripto confirmavi, Johanni Durant, de Ponte-Arche, unam peciam terre ad campos, cultibilem, sitam videlicet in parrochia Sancti Vigoris Pontis-Arche, inter terram Roberti Le Conteor, ex una parte, et vineam Gaufridi Estordi, ex altera…” Le terrain vendu se trouvait à côté de la vigne de Geffroy Estordi. On entend presque "estourdi", étourdi, ce qui ne serait pas étonnant si le vigneron consommait une partie de sa production.

Dans le même cartulaire, une charte de confirmation, datée de 1340, rappelait les nombreux droits bonportois sur les habitants de la ville, parmi lesquels (page 396) : “xxx soulz que doit Guy Benoit, pour la vigne Estourmy en la dicte parroisse, du don dudict maistre Guillaume…” Bien que les terres les plus sèches de la ville soient celles de la route de Tostes, en pente, nous ne pouvons pas situer le vignoble Estordi ou Estourmy ; nom de famille qui n’apparait plus, à notre connaissance, dans l’histoire plus récente de la ville. Ce nom est difficile à lire et traduire. Il n’a pas dû rester plus longtemps usité. Cela doit prouver que le vignoble de Pont-de-l’Arche a été abandonné avant la fin du Moyen Âge.

 

Tostes

Près de la mairie se dessinent les premières pentes du ravin de la vallée d’Incarville. Celles-ci se creusent en un vallon qui s’approfondit à mesure qu’il se rapproche de la vallée de l’Eure. Avant d’entrer dans la forêt de Bord, au creux de ce vallon, on aperçoit un bois, sur la droite, en direction de l’ancien moulin à vent : c’est le “bois des vignes”. Bien que nous n’ayons pas de preuve textuelle, il semble que les moines de Bonport soient à l’origine de ces vignes. En effet, ils étaient propriétaires d’une très grande partie de Tostes au point d’avoir érigé les hameaux de Tostes en paroisse en 1687. Ils possédaient le moulin à vent proche des vignes qui nous intéressent. Ils étaient représentés localement dans la ferme de Bonport, où se trouvait une grange aux dimes, à côté de l’église paroissiale Sainte-Anne, en haut du ravin de la vallée d’Incarville. Ce nom apparait sur le plan cadastral de 1834 signé par Le Fébure et Lefebvre.  

 

 

Le vignoble du Domaine Saint-Expédit, à Freneuse, lors de son premier hiver entre 2016 et 2017 (clichés d'Edouard Capron)..
Le vignoble du Domaine Saint-Expédit, à Freneuse, lors de son premier hiver entre 2016 et 2017 (clichés d'Edouard Capron)..

Le vignoble du Domaine Saint-Expédit, à Freneuse, lors de son premier hiver entre 2016 et 2017 (clichés d'Edouard Capron)..

 

Oissel et Freneuse

Léopold Delisle exposa (page 427) qu’“Au XIIIe et au XIVe siècle, le territoire d’Oissel renfermait des vignobles assez considérables”.

L’abbé Cochet cita ces deux communes faisant partie depuis 1790 de la Seine-Maritime : “On le voit, les bords de la Seine étaient riches en vignobles, et si nous remontons un moment le fleuve, nous verrons les vins d’Oissel et de Freneuse mentionnés dans les anciens tarifs des droits d’entrée de la ville de Rouen. Noël de la Morinière, qui a bu du vin d’Oissel en 1791, assure qu’il était encore potable (16). Mais celui de Freneuse était regardé comme le meilleur ; il est question de ce vin dans un ancien cahier de remontrances faites, vers la fin du dernier siècle, sur la liberté des foires de Rouen.”

 

Alizay

Une carte toponymique d’Alizay montre une “rue du clos des vignes”, située en contrebas du coteau. La lecture du plan cadastral de 1834, signé par Le Fébure et Drouet, montre un espace sobrement nommé “les vignes”. Il est situé derrière le château (qui accueille aujourd’hui la mairie) et, peut-être surtout, l’église ; tant le vignoble était précieux aux membres de clergé.

 

 

Igoville

Reportez-vous à la légende de la photographie ci-dessous.

Quant à Igoville, ses douces pentes vers le Pré-Cantuit et son ensoleillement en ferait un lieu de viticulture idéal. La mémoire locale rappelle qu'un espace était appelé "les vignes" près du chemin de Devise, à la limite avec Alizay. Il existe aussi, à Igoville, un lieu appelé “Grand clos” qui peut désigner bien des activités (clichés Armand Launay, avril 2014).
Quant à Igoville, ses douces pentes vers le Pré-Cantuit et son ensoleillement en ferait un lieu de viticulture idéal. La mémoire locale rappelle qu'un espace était appelé "les vignes" près du chemin de Devise, à la limite avec Alizay. Il existe aussi, à Igoville, un lieu appelé “Grand clos” qui peut désigner bien des activités (clichés Armand Launay, avril 2014).

Quant à Igoville, ses douces pentes vers le Pré-Cantuit et son ensoleillement en ferait un lieu de viticulture idéal. La mémoire locale rappelle qu'un espace était appelé "les vignes" près du chemin de Devise, à la limite avec Alizay. Il existe aussi, à Igoville, un lieu appelé “Grand clos” qui peut désigner bien des activités (clichés Armand Launay, avril 2014).

 

Pîtres

MM. Charpillon et Caresme citent, dans leur article sur cette commune, un " Roger de Beaumont donna, vers 1070, à la Madeleine de Rouen, entre autres biens la terre de Pistres, pour fournir le pain et le vin du Saint-Sacrifice de la Messe." 

 

Pont-Saint-Pierre

Il existe à Pont-Saint-Pierre une route dite de “la vigne” qui passe au-dessus de l’ancienne abbaye de Fontaine-Guérard. Le plan cadastral de 1836, signé par Le Fébure et Legrain, montre qu’un lieu-dit se nommait “La vigne”. On la voit dans Section A dite “du Cardonnet et de Fontaine-Guérard”, sur la 7e des 8 feuilles.

 

Amfreville-sous-les-Monts

Le vignoble a été largement cultivé dans cette commune jusque très récemment, au point que nous nous en servons pour bâtir une partie de notre troisième partie sur l’évolution du vignoble du XVIIe siècle au début du XXe siècle.

Précisions ici, néanmoins, que la présence du vignoble a été accrue à Amfreville grâce à la présence du prieuré des Deux-amants. Les moines deuxamantins cultivaient directement leur vignoble sur les pentes de la côte devant leur monastère et étaient propriétaires des grandes fermes de la paroisse, qui cultivaient aussi partiellement le vignoble. Le vignoble des Deux-amants, joli nom, est visible sur une gravure ancienne, que nous reproduisons à côté de ce paragraphe, et sur une carte postale des années 1910 où elle semble toujours s’épanouir.  

 

Voici la plus ancienne gravure, connue, du prieuré des Deux-amants. Elle date d'entre 1685 et 1722. On y voir nettement son vignoble cultivé en carrés sur les pentes hautes de la côte.

Voici la plus ancienne gravure, connue, du prieuré des Deux-amants. Elle date d'entre 1685 et 1722. On y voir nettement son vignoble cultivé en carrés sur les pentes hautes de la côte.

 

Pour conclure ce rapide inventaire que constitue cette deuxième partie : bien que de nombreux espaces plantés de vignes n’apparaissent pas sur les plans cadastraux, nous avons localisé de nombreux toponymes en rapport avec la viticulture. Le vignoble concernait au moins un village sur deux de la région de Pont-de-l’Arche. Sans surprise il s’agit des villages aux pentes bien exposées au soleil. Il s’agit aussi de villages situés au fond de la vallée, ce qui est plus surprenant.

 

3. Un dernier verre pour la route, hips ! Le vignoble local entre essor et déclin du XVIIIe siècle au XXe siècle.

3.1. Le déclin du vignoble normand hormis celui de l’Eure.

Les auteurs sur le vignoble normand lèvent tous leur verre à l’âge d’or du vin régional, qu’ils situent avant le “petit âge glaciaire”. Celui-ci dura de 1350 à 1855. L’abbé Cochet livre une information précieuse sur la date des vendanges : “Au XIIIe siècle, Eudes Rigaud, archevêque de Rouen, faisant la visite de son diocèse, vint au prieuré de Saint-Aubin, près Gournay, le 9 septembre 1267 ; il y trouva treize religieuses, dont trois étaient pour l’heure aux vendanges (27). On voit ici à quel moment se faisait la récolte. En 1842, année très chaude, nous avons vu publier le ban de vendanges à Orléans, le 19 septembre seulement, tandis que, chez nous, il y a 600 ans, on le publiait dix jours plus tôt. Il s’ensuit de là, qu’au XIIIe siècle, sur les bords de l’Epte et de la Bresle, le raisin mûrissait plus vite qu’il ne mûrit au XIXe, sur les bords de la Loire.” Les variations du climat ne sont donc pas une vue de l’esprit.

Le petit âge glaciaire ne signifie cependant pas que la vigne disparut, loin de loin. Elle régressa pour plusieurs raisons. Tout d’abord, les importations s’accrurent depuis des régions plus méridionales, aux vins plus fins, et ce à mesure que grandirent le royaume Plantagenêt puis le royaume de France. Puis, le climat rendit plus couteux l’entretien de la vigne et en fit baisser la quantité et la qualité. C’est ce qui explique la raréfaction de la viticulture d’ouest en Est : exit la vigne de l’Avranchin (Manche) à la fin du Moyen Âge, puis celle du Perche (Orne) au XVIe siècle, celle d’Argences (Calvados) au XVIIe siècle et, enfin, celle de Rouen (Seine-Maritime) au XVIIe siècle. Qui plus est, une source concurrente de sucre fut de plus en plus privilégiée : la pomme avec laquelle on fait le cidre et le Calvados.

Pour l’heure, au XVIIe siècle, le vignoble de l’Eure se maintenait. Il se développa même un temps durant.

 

 

Le vignoble de la région de Pont-de-l'Arche se développa encore à la fin de l'Ancien régime et perdura jusqu'au début du XXe siècle, bien qu'ayant été supplanté par les pommeraies. Ici une carte postale des années 1910 montre le vignoble des Deux-amants au premier plan d'une belle perspective sur la vallée.

Le vignoble de la région de Pont-de-l'Arche se développa encore à la fin de l'Ancien régime et perdura jusqu'au début du XXe siècle, bien qu'ayant été supplanté par les pommeraies. Ici une carte postale des années 1910 montre le vignoble des Deux-amants au premier plan d'une belle perspective sur la vallée.

 

3.2. Le vignoble eurois : vignoble en progression aux XVIIe et XVIIe  siècles.

Pierre Brunet nota (page 188) qu’un arrêt du Parlement de Paris du 14 aout 1577 eut un effet positif sur la production euroise des vallées de l’Eure et de l’Iton, de la rive gauche de la Seine entre Vernon et Gaillon et la vallée inférieure de l’Epte. Cet arrêt interdit “aux marchands de vin de la ville de Paris d’acheter leur vin en deçà d’une ligne passant par Chartres, Mantes, Meulan, Clermont-en-Beauvaisie, Senlis, Meaux, Moret et Pithiviers.” Elle s’appelait “la règle des 20 lieues” et avait pour finalité de faire vivre les cabarets qui, seuls, pouvaient s’approvisionner sur place. Pierre Brunet écrit (page 189) que cet arrêt a renforcé la commande de vins en Normandie, le long des voies navigables. Il fait état de “mentions de “grands vignobles” dans les textes du début du XVIIe pour les élections (circonscriptions administratives) des Andelys et de Pont-de-l’Arche. “La descente partielle des vignes vers les plus basses pentes et la substitution des rouges médiocres aux blancs plus vins découlent de cette opportunité.” Ce vignoble normand alors en vogue concerna largement celui de Longueville, entre Vernon et Gaillon. Celui-ci était tellement réputé qu’on le disait “vin français”. Cependant un édit de 1776 sur la libre circulation des vins annula ces restrictions et accentua le recul déjà amorcé du vignoble local.

 

3.3. Le déclin du vignoble eurois au XIXe et XXe siècles.

Dans une monographie sur Amfreville-sous-les-monts, André Pilet consacra un chapitre intitulé : “La vigne dans notre commune”, de la page 49 à 52.

Il observa que la plus ancienne gravure connue du prieuré des Deux-amants présentait un vignoble. L’original de cette gravure date d’entre 1685 et 1722. On y voit de larges espaces pentus consacrés au vignoble sur la partie haute de la côte des Deux-amants. En ce temps, on n’utilisait pas de tuteurs qui créent les alignements si caractéristiques, aujourd’hui, des vignobles. On voit néanmoins se dessiner des carrés de culture, assurément pour le passage des charrettes ; les vendangeurs devant se faufiler à travers les plants pour récolter le maximum de fruits.

André Pilet consulta et commenta un document daté de 1760 et intitulé "rôle des vingtièmes, paroisse d'Amfreville sur les monts". Les vingtièmes étaient un impôt foncier sur les cultures. Sur les 18 personnes citées, 12 déclarèrent des vignes. Selon l’auteur les vignobles totalisaient un hectare, soit 10 000 m². C’est impressionnant pour nous aujourd’hui. C’était déjà en baisse, écrit l’auteur, pour nos ancêtres qui avaient subi de durs hivers. André Pilet donne ensuite des statistiques départementales : en l’An IX, 34 238 hectolitres de vin furent produits contre 18 530 hectolitres en 1837. La production de cidre était alors de 879 000 hectolitres, 47 fois plus que le vin. Le phylloxéra toucha aussi le vignoble eurois. D’autres informations éclairent les causes du déclin du vignoble : “En 1898, il y avait dans l'Eure, 24 pépiniéristes produisant de la vigne.” En 1913 il en restait 4. L’abandon de la recherche et de la sélection des variétés de vignes les plus résistantes, productives et, en un mot, adaptées à notre région a sonné le glas de la production. Malgré cela, en 1916, une production locale est toujours déclarée aux autorités : “10 hectolitres de vin à Daubeuf-Vatteville, 8 à Pressagny l'Orgueilleux. Fleury sur Andelle déclare 2,5 hectolitres en bouteilles (...). Par contre 140 hectolitres de cidre sont mentionnés. Amfreville-sous-les-Monts déclare 6 hectolitres de vin récolté, et donc pas encore bu, ainsi que 189 hectolitres de cidre.”

Le vignoble n’a donc pas disparu d’un coup. Son maintien ou son abandon a fait l’objet de choix délibérés de la part des cultivateurs qui étudiaient sa rentabilité parmi d’autres productions. Il a aussi, semble-t-il, été préféré un temps durant aux boissons nouvelles. C’est ce que nota Charles de Beaurepaire, dans L’état des campagnes normandes. À la page 90, il écrivit qu’il existait dans les trois siècles précédant la Révolution une boisson dominante et quasi-exclusive selon les pays de Normandie : cervoise, vin ou cidre… Dans le bocage et ses vergers le cidre dominait. À Eu et Aumale, comme la Picardie et le Nord, les habitants restaient fidèles à la cervoise de nos ancêtres. Aux Andelys, Louviers, Vernon, Pont-de-l’Arche, Breteuil et Évreux, la consommation de vin résistait. C’est cette habitude qui a dû maintenir quelques décennies encore la production locale à des fins de consommation directe. À Rouen, la cervoise dominait mais en laissant une large place aux deux autres boissons.  

 

Conclusion

La vigne n’a pas été qu’une simple plante présente le long des murs des vieilles demeures. On peut raisonnablement parler de vignobles de la région de Pont-de-l’Arche.

Le vignoble a concerné durant le Moyen Âge et l’Ancien Régime au moins une paroisse sur deux. Le vin servait beaucoup à l’exercice du culte religieux. On peut citer l’ancienne abbaye de Bonport et sa domination sur le vignoble de Léry. Citons aussi le prieuré des Deux-amants et son vignoble d’Amfreville.

Un temps durant, le vin de notre région a alimenté Paris malgré le durcissement du climat. Ce fut le temps des vignobles dans les basses pentes et le fond sablonneux de la vallée, plantée de cépages blancs. Puis, les vignerons locaux ont choisi de se reconvertir, décennie après décennie, vers de plus lucratives activités : les arbres fruitiers, au premier rang desquels la pomme à cidre. Les importations se sont aussi accrues, rendant accessible le vin des régions du sud, puis de l’étranger. Il faut donc imaginer que durant l’Ancien régime notre contrée ne se présentait pas encore sous l’image d’Épinal d’une Normandie uniquement faite de pommeraies mais aussi de vignobles.  

 

 

À quand le digestif ?

La vigne a toujours vécu en Normandie mais la viticulture renait depuis trois décennies. Le climat semble changer et devenir plus propice à une production plus large et meilleure. Ainsi, la viticulture renait. Citons Gérard Samson et les Arpents du soleil à Saint-Pierre-sur-Dives, près de Lisieux, Ludovic Messiers au Havre et à Étretat, Camille Ravinet à Giverny, un collectif de micro-producteurs à Gaillon... Surtout, en ce qui concerne les coteaux qui nous intéressent, citons l’initiative à Freneuse d’Édouard Capron qui a planté 3000 pieds de vigne en mars 2016 et qui espère faire gouter au public le fruit de ses efforts en juillet 2019. Il a nommé son vignoble : domaine Saint-Expédit, du nom d’un des saints de la paroisse. Cela rappelle l’importance des moines dans la viticulture. Cela évoque aussi la difficulté de l’initiative puisque Saint-Expédit est le saint des causes désespérées. Un site Internet existe pour en savoir plus : http://domaine-saint-expedit.fr

 

À vot’ santé !

 

Page d'accueil du site Internet du Domaine Saint-Expédit, d'Edouard Capron, qui fait revivre le vignoble local.

Page d'accueil du site Internet du Domaine Saint-Expédit, d'Edouard Capron, qui fait revivre le vignoble local.

 

Sources

- Archives départementales de l’Eure, les : les plans cadastraux et les cartes postales en ligne sur www.archives.eure.fr ;

- Beaurepaire, Charles de, Notes et documents concernant l'état des campagnes de la Haute Normandie dans les derniers temps du Moyen âge, 1865, 790 pages. Consultable sur Google livres ;

- Brunet, Pierre, “Un vignoble défunt : la Normandie”, in Collectif, Des vignobles et des vins à travers le monde : hommage à Alain Huetz de Lemps, voir les pages 183 à 191, presses universitaires de Bordeaux, 1996 ; Disponible, par passages, dans Google livres ;

- Cochet, Jean-Benoît-Désiré, abbé, Culture de la vigne en Normandie, 1844, accessible sur le site de la bibliothèque municipale de Lisieux : http://www.bmlisieux.com/normandie/cochet01.htm ;

- Charpillon, Louis-Étienne, Caresme, Anatole, Dictionnaire historique de toutes les communes du département de l’Eure, 1868, 960 pages, tome II, voir les pages 398-399 reproduites sur notre blog ici ;

- Delisle, Léopold, Études sur la condition de la classe agricole et l'état de l'agriculture en Normandie au moyen-âge, in Société libre d'agriculture, sciences, arts et belles-lettres de l'Eure, 1903. Accessible sur Gallica ;

- Pilet, André, Terre des Deux-Amants. Amfreville-sous-les-monts : son histoire, des silex taillés à l’ordinateur, éditions Bertout, Luneray, 1996, 179 pages.  ;

- Ridel, Laurent, “Une culture oubliée : les vignobles de Normandie”,

http://www.histoire-normandie.fr/une-culture-oubliee-les-vignobles-de-normandie

- Viel, Jean-Claude, “On buvait sec dans les monastères”, sur le site Vins de Normandie : histoire et actualités.

 

 

Armand Launay

Pont-de-l'Arche ma ville

http://pontdelarche.over-blog.com

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2 mai 2019 4 02 /05 /mai /2019 10:04
Les curieux s'interrogent sur le double franchissement de la Seine et de l'Eure, à Pont-de-l'Arche, alors que les cartes postales anciennes nous informent que seule la Seine arrosait les berges archépontaines au début du siècle dernier... (cliché Armand Launay, mai 2013).

Les curieux s'interrogent sur le double franchissement de la Seine et de l'Eure, à Pont-de-l'Arche, alors que les cartes postales anciennes nous informent que seule la Seine arrosait les berges archépontaines au début du siècle dernier... (cliché Armand Launay, mai 2013).

Sur le pont de Pont-de-l’Arche, on y passe, on y passe et, quand le curieux décolle son regard du goudron routinier, il admire le paysage de la ville d’antan regroupée autour de la figure tutélaire de l’église Notre-Dame-des-arts. Au fil des jours, répétant cette observation furtive, il parvient à observer les rives de la Seine, ses berges artificielles et le déversoir, devant la ville ; ce même déversoir par lequel les eaux de l’Eure rejoignent en partie les eaux de la Seine. La nature semble avoir cédé ses droits à l’homme, même en ce lieu...

L’amateur d’histoire consultera les documents disponibles sur le Net. Il sera étonné de voir sur les cartes postales illustrées des années 1910 que l’Eure ne passait pas devant Pont-de-l’Arche mais se jetait dans la Seine aux Damps.

Que s’est-il passé entre temps ? C’est le sujet de cet article-fleuve qui a pour finalité de définir quelques jalons des aménagements publics de la Seine depuis la Révolution.

 

1. La Seine, fleuve sauvage.

1.1. Un lit vaste et peu profond.

Quel était l’état du fleuve jusqu’en 1866 ? La Seine était moins profonde qu’aujourd’hui et occupait plus largement le fond de sa vallée. Elle l’occupait de manière incomplète par des bras séparés par des iles. Un bras principal occupait ‒ peu ou prou et de manière sinueuse ‒ le milieu de la vallée là où on la connait de nos jours. En période de crue, le fond de la vallée était entièrement en eau et l’on pouvait gagner Alizay ou Igoville en barque depuis Pont-de-l’Arche ou Les Damps.

C’était pour maintenir la circulation terrestre que furent bâties les arches du Diguet, sous l'Ancien régime, avant d’être rebâties vraisemblablement dans les années 1840 (voir notre article sur le Diguet). Ces arches ont dernièrement servi durant la crue de février 2018. Une carte d’état major datant approximativement de 1850 représente le chapelet d’iles entre les différents bras de la Seine ; ceci en période d’eaux normales. Cela signifie que d’autres bras étaient en eau à d’autres moments de l’année, par exemple le Nigard, à Igoville (voir notre article), ou le bras de Freneuse, en eaux aujourd’hui toujours.

Une lecture rapide des cartes d'état major (approximativement datées de 1850 et de 1950) montre que les iles de Seine ont été reliées les unes les autres afin de canaliser le fleuve.
Une lecture rapide des cartes d'état major (approximativement datées de 1850 et de 1950) montre que les iles de Seine ont été reliées les unes les autres afin de canaliser le fleuve.

Une lecture rapide des cartes d'état major (approximativement datées de 1850 et de 1950) montre que les iles de Seine ont été reliées les unes les autres afin de canaliser le fleuve.

 

1.2. Une navigation pénible et dangereuse.

Quant à la navigation fluviale, la batellerie, elle était pénible et risquée. Les berges n’étaient pas stabilisées et se décomposaient en bancs de sable et de vase aux frontières aussi peu visibles que fixes. Des mariniers guidaient donc ‒ contre rémunération ‒ les bateaux montant et descendant le fleuve. Des haleurs tiraient et faisaient tirer par des courbes de chevaux les bateaux montant. À Pont-de-l’Arche, le pont formait un obstacle aux bateaux, notamment par une cataracte de quelques dizaines de centimètres. Des dizaines de monteurs étaient rémunérés afin de faire passer les bateaux sous l’arche maitresse du pont, et ce sous la direction d’un “maitre de pont” et ses aides. Il s’agissait que le bateau ne cogne pas les piles du pont. C’est ce que nous décrivons dans notre article consacré au vitrail du “halage” de l’église de Pont-de-l’Arche (cliquez ici).   

Le vitrail dit du "halage", daté de 1604, dans l'église Notre-Dame-des-arts, à Pont-de-l'Arche, montre le travail des monteurs de bateaux qui tiraient les cordes sous la conduite d'un maitre de pont afin que les bateaux ne cognent pas les piles du pont (clichés Armand Launay, décembre 2007).
Le vitrail dit du "halage", daté de 1604, dans l'église Notre-Dame-des-arts, à Pont-de-l'Arche, montre le travail des monteurs de bateaux qui tiraient les cordes sous la conduite d'un maitre de pont afin que les bateaux ne cognent pas les piles du pont (clichés Armand Launay, décembre 2007).

Le vitrail dit du "halage", daté de 1604, dans l'église Notre-Dame-des-arts, à Pont-de-l'Arche, montre le travail des monteurs de bateaux qui tiraient les cordes sous la conduite d'un maitre de pont afin que les bateaux ne cognent pas les piles du pont (clichés Armand Launay, décembre 2007).

 

1.3. Des obstacles naturels (les pertuis) et artificiels (le pont).

Qui plus est, deux obstacles naturels s’imposaient aussi localement à la batellerie : le pertuis de Poses, devant Amfreville-sous-les-monts, et le pertuis de Martot, devant Saint-Aubin-lès-Elbeuf, autrefois appelé Saint-Aubin-Jouxte-Boulleng. Les pertuis sont des paliers du lit de la Seine ; des paliers par lesquels le fleuve perd de l’altitude et rejoint le niveau de la mer. Ces pertes d’altitude engendrent une accélération du courant et une baisse du niveau de l’eau. Les pertuis sont dangereux et redoutés des mariniers et des voyageurs. Il arrivait que les bateaux les plus lourds fussent en partie déchargés afin qu’ils ne touchassent pas le lit du fleuve. Lors des périodes les plus sèches, la navigation y était impossible. En plus du pont de Pont-de-l’Arche, les voyageurs devaient ralentir leur déplacement dans ces deux pertuis. Arrêtés par la nuit, ils perdaient plus de temps encore ; d’où l’existence d’hôtelleries en nombre à Pont-de-l’Arche et à la Maison rouge, en face des Damps (voir notre article sur la Maison rouge, port d’Alizay).   

À la Révolution française, les projets d’aménagement de la voie de Seine émergent (voir notre article sur l’écluse de Limaie). Mais doivent attendre encore quelques décennies pour commencer à voir le jour.  

 

2. La domestication de la Seine au XIXe siècle.

2.1. Franchir le pont de Pont-de l’Arche.  

La Seine a revêtu depuis l’Antiquité un évident intérêt pour le transport de personnes et de biens, notamment car la circulation par voie de terre était encore plus pénible et dangereuse. La Seine revêtait aussi un intérêt politique : elle permettait le ravitaillement de Paris. Napoléon avait vu la Révolution française se radicaliser quand les Sans-culottes souffraient de la famine. Il vit que les Archépontains, grâce à l’arrêt de bateaux devant le pont de la ville, se servirent en grains lors de la famine de 1795 et ce dans des bateaux destinés aux Parisiens. C’est pourquoi il forgea le projet de se passer des monteurs de bateaux archépontains. Il y parvint quand, en 1813, une écluse fut inaugurée, par Lui, qui permettait de contourner le pont de la ville (voir notre article sur l’écluse de Limaie). 1813 marque donc un tout début d’anthropisation de la Seine, c’est-à-dire la transformation d’espaces naturels en aménagements artificiels au service des hommes.

L'écluse de Limaie, inaugurée à Igoville en 1813, permettait de contourner l'obstacle que constituait le pont de Pont-de-l'Arche. Voulue par Napoléon pour assurer la sécurité intérieure, elle est le premier aménagement connu démontrant la volonté de l'homme d'améliorer les conditions de navigation (carte postale illustrée, vers 1910).

L'écluse de Limaie, inaugurée à Igoville en 1813, permettait de contourner l'obstacle que constituait le pont de Pont-de-l'Arche. Voulue par Napoléon pour assurer la sécurité intérieure, elle est le premier aménagement connu démontrant la volonté de l'homme d'améliorer les conditions de navigation (carte postale illustrée, vers 1910).

 

2.2. De premiers barrages entre Rouen et Paris (1840-1866).

Les gouvernements du XIXe siècle développèrent les transports, notamment le train. C’est ce qui se produisit entre Paris et Rouen, puis Le Havre (voir notre article sur la création de la station de Pont-de-l’Arche). Mais le train n’est pas aussi efficace pour les transports de matériaux lourds. Les transports fluviaux furent donc développés, notamment pour véhiculer le charbon de bois du nord de la France. C’est dans cette perspective que plusieurs gouvernements firent aménager le cours de la Seine. Tout d’abord, l’estuaire de la Seine fut endigué de 1838 à 1866 entre La Mailleraye-sur-Seine et le confluent de la Risle et de la Seine (Foussard et al., 2010).

Dans le même temps, entre 1838 et 1866, il s’est agi d’aménager la Seine entre Rouen et Paris. Les difficultés différaient de l’aval de Rouen, comme le relate précisément A. Tallendeau (1880) : le régime des eaux y fluctuait beaucoup, donc le tirant d’eau était souvent trop faible à la belle saison et le courant y était impétueux. Ouvrir les pertuis fut jugé inefficace car cela viderait les eaux situées en amont. Le problème de basses eaux y demeurerait. Le projet gouvernemental fut d’installer des barrages à aiguilles (voir la carte postale du barrage de Martot, plus bas) afin d’augmenter le mouillage (1,6 m), c’est-à-dire la profondeur de l’eau, en amont de chacun de ceux-ci. Or, puisque chaque barrage est un obstacle à la navigation, il faut le contourner grâce à une écluse. Mais entre deux barrages la navigation est bien plus fiable et régulière sur ce qu’on appelle un bief (un tronçon de voie navigable).

Comme le relate P. de Guilbert (1997), un type de barrages dit “à fermette mobile et à aiguilles” fut imaginé par un ingénieur dénommé Poirée. Les premières constructions démarrèrent en 1840 à Bezons-Bougival, en 1846 à Andrésy-Denouval, en 1847 à Notre-Dame-de-la-garenne, en 1850 à Poses et en 1853 aux Mureaux.

Nous sommes peu documentés sur le premier barrage de Poses. Néanmoins, André Pilet explique que cet ouvrage était constitué de deux parties situées en amont du barrage actuel. Tout d'abord, entre 1851 et 1852, un court barrage de 50 mètres de long fut jeté entre Le Mesnil-de-Poses et l'ile du Trait (André Pilet, page 100). Ce barrage portait le nom d'Anet. Il était à fermette mobile et à aiguilles. En 1854, un second ouvrage barra sur 125 mètres le courant entre l'ile du Trait et l'ile d'Amfreville. Il était constitué en grande partie d'un déversoir simple. Cet ensemble a été complété par une portion de barrage et une écluse au bout de l'ile d'Amfreville, à l'endroit des écluses actuelles, là où le pertuis est prononcé. Ces premiers éléments de barrage devinrent inutiles en 1885 avec la livraison du vaste barrage que nous connaissons de nos jours (voir plus bas). André Pilet nous apprend que les fondations du premier barrage ont été dynamitées en 1954 (page 104).

La suite des travaux sur la Seine serait longue à décrire et nous la résumons : compléter le nombre de barrages afin de créer des biefs suffisamment fournis en eau ; entretenir et rehausser les barrages existants. P. de Guilbert précise que dès que la première série de barrages fut livrée, il s’agit “de porter le mouillage à 2 m en exhaussant les barrages existants et en en créant trois nouveaux entre 1859 et 1866 à Martot, Villez et Suresnes. Tous les barrages construits étaient du type à fermettes, et comportaient une écluse accolée ayant en principe 113 m de long, 12 m de large.” C’était avouer que le résultat escompté n’était toujours pas à la hauteur tant la tâche était colossale.

Le barrage-écluse de Martot (construit entre 1862 et 1866) devint le premier des barrages en remontant la Seine depuis Rouen. Ici s’arrêtait la marée qui, historiquement, remontait jusqu’au pertuis de Poses. Le niveau des eaux monta un peu devant Pont-de-l’Arche mais la ville ne connut plus la marée. Qui plus est, pour Pont-de-l’Arche, l'encombrant vieux pont chuta en partie, en 1856, notamment faute d’entretien. Il fut remplacé par un pont facilitant la navigation grâce à des arches plus hautes et plus larges (voir notre article : au paragraphe “le pont Méry-Saint-Yves”). L’écluse napoléonienne devint inutile et fut abandonnée. La ville de Pont-de-l’Arche cessa d’être une étape fluviale et y perdit des emplois (voir notre article sur économie et sociabilité à Pont-de-l’Arche). Un obstacle était abattu mais la Seine résistait encore, surtout à Poses.

Le barrage de Martot est le second barrage construit dans la région de Pont-de-l'Arche (entre 1862 et 1866). Il fut précédé par le premier barrage de Poses (1850) mais nous n'avons pas encore retrouvé de représentation (ci-dessus, une carte postale illustrée des années 1910 et conservée aux archives de l'Eure).

Le barrage de Martot est le second barrage construit dans la région de Pont-de-l'Arche (entre 1862 et 1866). Il fut précédé par le premier barrage de Poses (1850) mais nous n'avons pas encore retrouvé de représentation (ci-dessus, une carte postale illustrée des années 1910 et conservée aux archives de l'Eure).

2.3. Compléter le réseau de barrages (après 1866).

A. Tallendeau (1880) le mit en valeur dans son étude : les premiers travaux ne suffirent pas à maitriser l’impétueux fleuve. Les premiers travaux (Martot, Poses, La Garenne, Meulan, Andresy, Bougival, Suresne, le pont de la Tournelle) coutèrent 14 millions de francs et durèrent de 1838 à 1866. Le tirant d’eau resta médiocre et était parfois inférieur à 90 cm en période sèche. De nouveaux travaux furent entrepris à hauteur de 6,5 millions de francs afin de rehausser Poses, La Garenne et Meulan ; mais aussi de faire des dragages complémentaires et encore de construire un nouveau barrage à Port-Villez. Cela ne suffit toujours pas. Une étude précise, fondée sur une observation de terrain, fut réalisée par un ingénieur dénommé Krantz, directeur de la navigation entre Rouen et Paris et chargé de nouveaux travaux. Ces travaux consistèrent à faire de nouveaux dragages dans le bief de Martot, à refaire l’écluse de Poses, à rehausser des barrages et créer de nouveaux biefs comme celui de Rolleboise. Le tout couta 18 millions de francs.

Le chantier de Poses fut colossal. Il dura de 1879 à 1885 sous la conduite de l'ingénieur en chef des ponts et chaussées Édouard Caméré. La Bibliothèque nationale de France, par son site Gallica, propose une série de photographies retraçant ces titanesques travaux. Nous en reproduisons certains clichés ci-dessous. Ce sont le barrage et les écluses tels que nous les connaissons de nos jours à cela près qu’ils firent l’objet de rénovations et réparations régulières, comme celle de 1945 à 1947 dont nous fournissons un album photographique sur ce même blog (voir notre album). Fort heureusement, ni le dynamitage ni les bombardements ne démolirent intégralement ces vastes ouvrages durant les guerres. Marcel Blosset (1947) fit tout de même état des dommages de l’écluse “la plus grande de ce modèle en Europe (220 m de long et 17 de large)”. Quant au barrage, il avait subi une avarie à cause du bombardement aérien du 31 juillet 1944 et une passe avait été détruite par les Allemands en retraite. Une brèche de 9 mètres de largeur avait fait perdre 2 m de mouillage au bief amont.

Les travaux du XIXe siècle donnèrent enfin satisfaction mais les volumes de marchandises à faire transiter devinrent de plus en plus grands et la Seine fit donc l’objet d’une nouvelle grande campagne d’aménagements au XXe siècle.  

Reportage photographique du chantier de construction du second barrage de Poses, entre 1878 et 1885 (photographies disponibles à la Bibliothèque nationale de France et reproduites sur son site Gallica).
Reportage photographique du chantier de construction du second barrage de Poses, entre 1878 et 1885 (photographies disponibles à la Bibliothèque nationale de France et reproduites sur son site Gallica).
Reportage photographique du chantier de construction du second barrage de Poses, entre 1878 et 1885 (photographies disponibles à la Bibliothèque nationale de France et reproduites sur son site Gallica).
Reportage photographique du chantier de construction du second barrage de Poses, entre 1878 et 1885 (photographies disponibles à la Bibliothèque nationale de France et reproduites sur son site Gallica).
Reportage photographique du chantier de construction du second barrage de Poses, entre 1878 et 1885 (photographies disponibles à la Bibliothèque nationale de France et reproduites sur son site Gallica).
Reportage photographique du chantier de construction du second barrage de Poses, entre 1878 et 1885 (photographies disponibles à la Bibliothèque nationale de France et reproduites sur son site Gallica).
Reportage photographique du chantier de construction du second barrage de Poses, entre 1878 et 1885 (photographies disponibles à la Bibliothèque nationale de France et reproduites sur son site Gallica).
Reportage photographique du chantier de construction du second barrage de Poses, entre 1878 et 1885 (photographies disponibles à la Bibliothèque nationale de France et reproduites sur son site Gallica).
Reportage photographique du chantier de construction du second barrage de Poses, entre 1878 et 1885 (photographies disponibles à la Bibliothèque nationale de France et reproduites sur son site Gallica).
Reportage photographique du chantier de construction du second barrage de Poses, entre 1878 et 1885 (photographies disponibles à la Bibliothèque nationale de France et reproduites sur son site Gallica).
Reportage photographique du chantier de construction du second barrage de Poses, entre 1878 et 1885 (photographies disponibles à la Bibliothèque nationale de France et reproduites sur son site Gallica).
Reportage photographique du chantier de construction du second barrage de Poses, entre 1878 et 1885 (photographies disponibles à la Bibliothèque nationale de France et reproduites sur son site Gallica).
Reportage photographique du chantier de construction du second barrage de Poses, entre 1878 et 1885 (photographies disponibles à la Bibliothèque nationale de France et reproduites sur son site Gallica).

Reportage photographique du chantier de construction du second barrage de Poses, entre 1878 et 1885 (photographies disponibles à la Bibliothèque nationale de France et reproduites sur son site Gallica).

 

3. Les années 1930 : le chenalage de la Seine et l’allongement de l’Eure.

3.1. Le chenalage de la Seine.

Poursuivant leurs travaux d’Hercule, les ingénieurs et les travailleurs suivant leurs plans parfairent la domestication de la Seine dans les années 1930. Ils entreprirent de se passer du barrage de Martot. Comment faire ? Pour rendre inutile le barrage, il fallait que le niveau du lit de la Seine entre Martot et Poses soit abaissé. D’immenses dragages furent entrepris dès l’année 1930 pour creuser le lit. Dans le même moment, il s’agit d’endiguer les berges, dans de nombreux endroits, pour les consolider et pour creuser un chenal, c’est-à-dire un canal dans le bras principal de la Seine. L’avantage du chenal est aussi d’amener le courant à évacuer régulièrement les alluvions vers l’aval. Pour endiguer les berges, des quais et des batardeaux ‒ et ce n’est pas une insulte puisque ce sont de longs pans métalliques ‒ furent enfoncés dans la roche, comme en face de Pont-de-l’Arche.

Plus généralement, les iles de Seine furent unies par les terres issues du dragage. Ainsi disparurent presque toutes les iles entre Poses et Martot. Les anciennes iles devinrent la péninsule Saint-Pierre, en face des Damps et jusque devant Pont-de-l’Arche. Une grande ile fut dessinée devant Martot et jusqu’au déversoir de Pont-de-l’Arche. Elle a gardé les noms, dans le cadastre et les cartes géographiques, des anciennes iles. Une ile, largement rehaussée par la main de l’homme, perdure devant Pont-de-l’Arche entre le déversoir et la passe marinière. Dans le plan cadastral elle porte le nom “d’ile Delapotterie”, nom d’une famille de notables du XIXe siècle, mais il s’agit du nom d’une autre ile aujourd’hui incorporée dans la péninsule Saint-Pierre. Mais quelles sont ces dernières infrastructures : passe marinière ? Déversoir ?

Photographie de 1935 montrant l'élargissement des arches du pont de Pont-de-l'Arche, du moins la partie enjambant la Seine, afin d'améliorer aussi la navigation. Dans le même moment l'ile devant la ville est renforcée par de nombreux remblais (notamment déplacé sur l'ile par une petite locomotive). Cette ile fut par la suite endiguée. Elle fut renforcée par une passe marinière et un déversoir.

Photographie de 1935 montrant l'élargissement des arches du pont de Pont-de-l'Arche, du moins la partie enjambant la Seine, afin d'améliorer aussi la navigation. Dans le même moment l'ile devant la ville est renforcée par de nombreux remblais (notamment déplacé sur l'ile par une petite locomotive). Cette ile fut par la suite endiguée. Elle fut renforcée par une passe marinière et un déversoir.

Création de la passe marinière en 1935 afin de rendre possible la communication entre l'Eure et la Seine, divisées en cette année et coupant Pont-de-l'Arche de son accès ancestral à la Seine.

Création de la passe marinière en 1935 afin de rendre possible la communication entre l'Eure et la Seine, divisées en cette année et coupant Pont-de-l'Arche de son accès ancestral à la Seine.

Le déversoir fut créé en 1935 devant Pont-de-l'Arche pour décharger l'Eure et, surtout, le barrage de Martot situé en amont (clichés Armand Launay, juillet 2013).
Le déversoir fut créé en 1935 devant Pont-de-l'Arche pour décharger l'Eure et, surtout, le barrage de Martot situé en amont (clichés Armand Launay, juillet 2013).
Le déversoir fut créé en 1935 devant Pont-de-l'Arche pour décharger l'Eure et, surtout, le barrage de Martot situé en amont (clichés Armand Launay, juillet 2013).

Le déversoir fut créé en 1935 devant Pont-de-l'Arche pour décharger l'Eure et, surtout, le barrage de Martot situé en amont (clichés Armand Launay, juillet 2013).

 

3.2. L’Eure gagna 10 km de longueur entre 1934 et 1935 !

La baisse du lit de la Seine entre Poses et Martot posa un problème anticipé, notamment par l’ingénieur en chef des Ponts et chaussées, M. Parmentier : avec la suppression du barrage de Martot, en 1939, les eaux en amont devinrent trop basses dans les bras de Seine longeant Les Damps, Pont-de-l’Arche, Criquebeuf et Martot. Ainsi, en amont, les ingénieurs avaient imaginé de prolonger le cours de l’Eure. Mais comment ? L’idée fut de reporter le confluent de l’Eure avec la Seine. Situé aux Damps jusqu’en 1934, le confluent fut comblé par les terres des dragages du lit de la Seine. Il fut reporté à Martot ou, plus exactement, dans la commune de Saint-Pierre-lès-Elbeuf (en face du hameau des Thuilliers). C’est la raison pour laquelle les iles de Seine furent regroupées : ceci afin de convertir d’anciens bras de Seine en chenal unique de l’Eure.

À Martot, un petit barrage devait être maintenu afin de maintenir un niveau d’eau de l’Eure suffisant. Afin que le barrage ne souffrît pas des plus hautes eaux, un déversoir fut créé à Pont-de-l’Arche, en 1935, laissant chuter depuis le surplus d’eau dans un doux bruit de cascade qui rappelle, peut-être, l’ancienne cataracte du pont d’avant 1856. De plus, pour que les petites embarcations puissent communiquer entre l’Eure et la Seine, une passe marinière fut créée à Pont-de-l’Arche aussi, en 1935. Pont-de-l’Arche toujours (mais archépontanocentrisme !), les arches du pont surplombant la Seine furent agrandies entre 1931 et 1935 afin de rendre possible un plus grand tirant d’air des bateaux. Les travaux furent réalisés par une entreprise allemande au titre des dommages de la Première guerre mondiale (voir notre article sur les 14 ponts de l’histoire le Pont-de-l’Arche). C’est en 1935 que deux petits ponts furent jetés sur l’Eure aux Damps et à Criquebeuf-sur-Seine (sur Eure, depuis !) afin que ces villages maintiennent une activité portuaire : le chargement de grumes de la forêt de Bord. C’est depuis 1939 que la marée se fait de nouveau sentir à Poses et sur les berges de Pont-de-l’Arche et des Damps quand les eaux dépassent le niveau du déversoir. D’ailleurs, et pour sourire, le confluent entre l’Eure et la Seine se fait dans deux endroits : Pont-de-l’Arche, où sont prononcées les fiançailles du déversoir, et Martot-Saint-Pierre-lès-Elbeuf, où le mariage est consommé. L’Eure finit donc sa course en Seine-Maritime.  

Naturellement situé aux Damps, le confluent entre l'Eure et la Seine a été déporté de 10 km en aval, entre 1934 et 1935, à Martot ; ceci afin de maintenir un niveau d'eau minimum du côté des habitations alors que le lit de la Seine avait été creusé afin de démolir le barrage de Martot sur la Seine. Ici on voit le confluent aux Damps avec, au fond, le pont ferroviaire du Manoir.

Naturellement situé aux Damps, le confluent entre l'Eure et la Seine a été déporté de 10 km en aval, entre 1934 et 1935, à Martot ; ceci afin de maintenir un niveau d'eau minimum du côté des habitations alors que le lit de la Seine avait été creusé afin de démolir le barrage de Martot sur la Seine. Ici on voit le confluent aux Damps avec, au fond, le pont ferroviaire du Manoir.

Le niveau réel des eaux devant Pont-de-l'Arche sans retenue en aval et suite aux dragages du lit de la Seine. Ici le 16 février 1929 des Archépontains posent sur le lit sec suite à la rupture accidentelle du barrage de Martot (photographie de Joseph Du Buisson ou bien de sa collection personnelle).

Le niveau réel des eaux devant Pont-de-l'Arche sans retenue en aval et suite aux dragages du lit de la Seine. Ici le 16 février 1929 des Archépontains posent sur le lit sec suite à la rupture accidentelle du barrage de Martot (photographie de Joseph Du Buisson ou bien de sa collection personnelle).

 

Les ingénieurs des années 1930 avaient vu assez juste en matière de conservation d’une cote d’eau suffisante. Le journal local, L’Industriel de Louviers, se fit l’écho de baisses des eaux dramatiques. Le 9 juillet 1938, une rupture sur 25 m du barrage de Martot, sur la Seine, fut causée par sa vétusté et par une cote d’eau “toujours trop élevée par rapport à la capacité de l’ouvrage”. La navigation fluviale était arrêtée. Des travaux d’urgence prirent une semaine avant le rétablissement de la circulation. Le journal du 25 février 1939 fait état de la suppression ‒ voulue, ce coup-ci ‒ du barrage de Martot sur la Seine. L’eau baissa jusqu’à 3,40 m, par endroits. Les puits de région (rive sud) furent majoritairement asséchés par manque d’infiltration des eaux fluviales. Le journal traita de “retour à la situation naturelle” d’avant 1866. Les plaintes de la population fusèrent. Le journal du 5 aout 1939 rapporta la création d’un Syndicat intercommunal de défense des intérêts (en eau) le 17 juillet précédent, et ce à l’initiative de Raoul Sergent, maire de Pont-de-l’Arche (Jean-Paul Combes, 2018). Un document du service de la navigation, reproduit par Jean-Paul Combes (page 73) montre que le reste du barrage de la Seine, nouvellement appelé à retenir les eaux de l’Eure, a posé de nombreux problèmes comme l’indiquent les brèches non prévues et les différences entre le plan original et les réalisations finales. La guerre a compliqué les travaux et rendu indisponible le service de la navigation. C’est le Syndicat intercommunal qui prit les choses en main et qui parvint, en 1950, à créer le barrage de Martot, sur l’Eure. En 1980, ce syndicat fut dissout au profit du Syndicat de la basse vallée d’Eure.   

Le barrage de Martot sur l'Eure exista de 1950 à 2017 avec plusieurs ruptures et travaux (cliché Armand Launay, aout 2010).

Le barrage de Martot sur l'Eure exista de 1950 à 2017 avec plusieurs ruptures et travaux (cliché Armand Launay, aout 2010).

 

3.3. Le paysage et la navigation fluviale depuis lors.

En 1954 fut inauguré l’actuel pont de Pont-de-l’Arche qui ne peut plus faire obstacle à la navigation fluviale (voir notre article sur les 14 ponts de l’histoire de Pont-de-l’Arche).  

Malgré les vastes travaux des années 1930, des bouts d’anciens bras demeurent aujourd’hui en eau, comme aux Damps un peu en aval de la chapelle Saint-Pierre. Les petites embarcations peuvent entrer dans le bras bien vite comblé. En période de crues, le bras reprend vie entre les anciennes iles s’étalant vers l’aval jusqu’à la limite entre les communes des Damps et de Pont-de-l’Arche. Les crues légères redonnent à quelques saules, parfois têtards, isolés au milieu des champs, leur ancienne fonction de gardiens des berges.

Ancien bras de Seine, aux Damps, qui apparait plus ou moins selon le niveau de l'eau. Les vaches s'y abreuvent comme dans une toile d'Eugène Boudin (clichés Armand Launay, avril 2016).
Ancien bras de Seine, aux Damps, qui apparait plus ou moins selon le niveau de l'eau. Les vaches s'y abreuvent comme dans une toile d'Eugène Boudin (clichés Armand Launay, avril 2016).
Ancien bras de Seine, aux Damps, qui apparait plus ou moins selon le niveau de l'eau. Les vaches s'y abreuvent comme dans une toile d'Eugène Boudin (clichés Armand Launay, avril 2016).

Ancien bras de Seine, aux Damps, qui apparait plus ou moins selon le niveau de l'eau. Les vaches s'y abreuvent comme dans une toile d'Eugène Boudin (clichés Armand Launay, avril 2016).

 

Récemment, le barrage de l’Eure à Martot a fait l’objet d’études ayant conclu qu’il pouvait être remplacé par une passe ; ceci afin de désenvaser le cours de l’Eure en accélérant raisonnablement le courant ; ceci aussi par souci des espèces animales. Le barrage a été démoli en 2017. Une passerelle piétonne a été posée en 2018 pour offrir un accès aux promeneurs et pêcheurs à l’ile aux Moines. Le rehaussement du déversoir de Pont-de-l’Arche est prévu afin que l’ensemble des eaux de l’Eure poursuive son cours vers Martot.  

La démolition du barrage de Martot sur l'Eure a laissé place à des travaux de réalisation d'une passe (cliché Actu.fr, 2017).

La démolition du barrage de Martot sur l'Eure a laissé place à des travaux de réalisation d'une passe (cliché Actu.fr, 2017).

 

Quant à la navigation fluviale, elle a été supplantée par le transport routier. La navigation sur Seine s’est raréfiée dans les années 1970. C’est ce dont témoigne la fermeture du chantier naval de l’entreprise Sénécaux, à Igoville, qui se trouvait sur l’ancien canal de l’écluse de Napoléon (voir notre article sur le chantier naval Sénécaux). Le trafic semble néanmoins reprendre de la vigueur depuis quelques années. Il fut un temps où était évoqué un débarcadère à Alizay afin d’améliorer la rentabilité des industries locales, notamment Double A. Aujourd’hui, un projet touristique est prévu : la création d’un ponton en face de Pont-de-l’Arche afin que les croisiéristes puissent venir visiter la ville. Un nouveau pont franchissant la Seine est aussi prévu dans le contournement autoroutier Est de Rouen qui prévoit de passer entre Alizay et le Manoir avant de passer, côté sud de la Seine, entre Val-de-Reuil et la forêt de Bord. Il semble que la rentabilité pétrolière prime et que celle-ci soit plus assurée par la route et les voies maritimes que par les eaux fluviales.  

 

 

Vues sur les écluses et le barrage de Poses où transite toujours une activité économique, ici clairement tournée vers le transport autoroutier (clichés Armand Launay, juillet 2016).
Vues sur les écluses et le barrage de Poses où transite toujours une activité économique, ici clairement tournée vers le transport autoroutier (clichés Armand Launay, juillet 2016).
Vues sur les écluses et le barrage de Poses où transite toujours une activité économique, ici clairement tournée vers le transport autoroutier (clichés Armand Launay, juillet 2016).
Vues sur les écluses et le barrage de Poses où transite toujours une activité économique, ici clairement tournée vers le transport autoroutier (clichés Armand Launay, juillet 2016).

Vues sur les écluses et le barrage de Poses où transite toujours une activité économique, ici clairement tournée vers le transport autoroutier (clichés Armand Launay, juillet 2016).

 

En guise de conclusion, nous avons vu que les progrès techniques ont peu à peu permis de domestiquer la Seine. Une première écluse en 1813 permit de contourner l’obstacle artificiel qu’était le pont de Pont-de-l’Arche. Puis, un premier barrage fut construit en 1851 à Poses afin de créer un bief en amont avec un meilleur tirant d’eau pour les bateaux. Une écluse permit de contourner cet obstacle artificiel. Entre 1862 et 1866, un second barrage fut créé localement à Martot qui permit d’augmenter un peu le tirant d’eau des bateaux sur le bief de Martot. Une écluse fut percée à Martot afin de contourner cet obstacle artificiel. Le barrage de Poses fut reconstruit et, surtout, agrandi à Poses entre 1879 et 1885 afin de dompter cet ancien pertuis, obstacle naturel, le plus grand entre Rouen et la Seine. Enfin, au XXe siècle d’immenses travaux de chenalage ont endigué les berges de la Seine ; creusé le lit du fleuve en amont du barrage de Martot et permis de démolir cet ouvrage en 1939. Depuis, le barrage de Poses marque la frontière entre la basse Seine soumise à la marée et la haute Seine. C’est le barrage offrant la plus grande chute d’eau. Le barrage de Poses est désormais le seul obstacle posé par l’homme dans la région. Il permet, avec un impressionnant ensemble d’infrastructures de libérer la navigation des obstacles naturels de la Seine.

Mais, aujourd’hui, la question des obstacles à la nature se pose de plus en plus dans les consciences et dans les actes. Les aménagements de la Seine n’ont pas fini d’être repensés... C’est ce que prouvent les soins portés sur le cours de l’Eure ; des soins qui ont mené au remplacement du barrage de Martot sur l’Eure en 2017 par une passe plus respectueuse du cours naturel des eaux.   

 

 

Bibliographie

- Collectif, Héros et martyrs de la France au combat (1939-1844) à travers les départements meurtris : l’Eure, voir le chapitre de Marcel Blosset, ingénieur en chef des ponts et chaussées, chef de service de la navigation de la Seine, “Destructions de guerre et reconstructions sur la basse Seine”, pages 178 à 194, édité par la France au combat en 1947, 210 pages ;

- Combes Jean-Paul, Histoire de la commune de Martot à partir des décisions et évènements relatés dans les délibérations du Conseil municipal, arrêtés du maire et courriers de 1790 à 2018, novembre 2018, disponible sur le site de la mairie de Martot (cliquez ici) ;

- Dauphin R., “La force motrice, l’usage et le régime des eaux dans la basse vallée d’Eure", Les Eaux et forêts en Normandie, actes du VIIIe congrès des sociétés historiques et archéologiques en Haute-Normandie, Lyons-la-Forêt, du 3 au 7 octobre 1973 ;

- délibérations du conseil municipal des Damps ;

- Foussard Valérie (dir.), Évolution morphologique d’un estuaire anthropisé de 1800 à nos jours, édité par le Groupement d’intérêt public Seine aval en mars 2010 ;

- De Guibert P., “Impact des aménagements pour la navigation sur les niveaux d'eau de la Seine en aval de Paris”, publié par La Houille Blanche, International Water Journal, n° 8, 1997, publication de la Société Hydrotechnique de France ;

- Patault Édouard, Caractéristiques, origine et variabilité des transferts hydro-sédimentaires sur le bassin versant de l’Eure : approche multi-échelle, rapport de stage soutenu en 2015 à l’université de Rouen dans le cadre d’un master, deuxième année, en Sciences des environnements continentaux et côtiers.

- Pilet, André, Terre des Deux-Amants. Amfreville-sous-les-monts : son histoire, des silex taillés à l’ordinateur, éditions Bertout, Luneray, 1996, 179 pages.

A lire aussi...

- la pêche à l’épuisette sur l’ancien barrage de Martot. Témoigne en normand d’Armand Billard (cliquez ici) ;

Randonnée des Damps à Martot ;

L'origine du nom de l'Eure.

 

 

Armand Launay

Pont-de-l'Arche ma ville

http://pontdelarche.over-blog.com

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1 septembre 2017 5 01 /09 /septembre /2017 14:27
Cliché d'Armand Launay (octobre 2010)

Cliché d'Armand Launay (octobre 2010)

La Côte des deux amants est un lieu notable de la vallée de la Seine, dressée entre les vallées de l'Andelle et de la Seine, près de Pont-de-l'Arche. Son nom est aussi notable et l'on répète, à l'envi, qu'il est issu d'une légende impliquant deux amoureux. 

Cette légende fut couchée sur le papier, vers 1155, par Marie de France. Active entre 1155 et 1210, Marie est considérée comme la première poétesse de langue française... ou presque puisqu'elle s'exprimait en normand, une langue proche du français de Paris. Parmi ses écrits, cette contemporaine de Chrétien de Troyes et de l'amour courtois rédigea le lai des deux amants. Nous en reproduisons le texte original dans la colonne de gauche. Cette légende dépeint les efforts d’un noble prétendant au mariage d’une princesse. Mais le père de celle-ci, roi de Pîtres, ne veut marier sa fille qu’à l’homme capable de la porter dans ses bras ‒ et en courant ‒ au sommet de la côte. Le prétendant veut relever ce fou défi. La princesse lui recommande de chercher un philtre qui l’aidera. Le prétendant cherche ledit philtre à Salerne, en Italie, et revient à Pîtres. Il parvient à porter la princesse au sommet de la côte et ce en se passant du philtre ; ceci le condamne à mourir de fatigue. La princesse en meurt de douleur peu après. 

On gagnera à lire la traduction complète de cette légende par Jean-Baptiste-Bonaventure de Roquefort-Flaméricourt. Datée de 1820, elle est lisible sur Wikisource. Quant à l'origine du nom et les différentes thèses défendues, un article détaillé est accessible sur ce blog en cliquant ici. Idem concernant le prieuré deuxamantin en cliquant ici. Idem encore à propos du lai de Marie de France et son ancrage dans la réalité en cliquant ici.

Ci-dessous, dans la colonne de droite du tableau nous nous sommes plu à imaginer une issue heureuse à la légende... De plus, nous y défendons une autre étymologie : celle de côte des deux amonts. En effet, dans le langage des mariniers les amonts désignaient les voies remontant le courant. C'est ce qu'immortalisa en 1877 Lucien Barbe en publiant son court mais instructif Dictionnaire du patois normand en usage à Louviers et dans les alentours. En page 8, Lucien Barbe nous enseigne que les mariniers disaient qu'ils "allaient amont" pour remonter le courant de la Seine et des rivières. Au confluent de la Seine et de l'Andelle, où se lisent clairement les deux vallées, nous supposons que les mariniers devaient parler de "deux amonts" qui se séparent. Or, en ce lieu se trouve la très notable falaise qui fait le lien entre les deux vallées. C'est sûrement ce qui explique le nom de "Côte des deux amonts" tant est rare une côte si bien dessinée entre deux vallées du bassin de la Seine.

Bonne lecture !

 

Extrait de Les lais de Marie de France

(écrit vers 1155)

 

Les Deus Amanz

1 jadis avint en Normendie
2 une aventure mut oïe
3 de deus enfanz que s'entr'amerent ;
4 par amur ambedeus finerent.
5 un lai en firent li Bretun :
6 de Deus amanz recuilt le nun.
7 verité est kë en Neustrie,
8 que nus apelum Normendie,
9 ad un haut munt merveilles grant :
10 la sus gisent li dui enfant.
11 pres de cel munt a une part
12 par grant cunseil e par esgart
13 une cité fist faire uns reis
14 quë esteit sire de Pistreis ;
15 des Pistreins la fist [il] numer
16 e Pistre la fist apeler.
17 tuz jurs ad puis duré li nuns ;
18 uncore i ad vile e maisuns.
19 nuns savum bien de la contree,
20 li vals de Pistrë est nomee.
21 li reis ot une fille bele
22 [e] mut curteise dameisele.
23 cunfortez fu par la meschine,
24 puis que perdue ot la reïne.
25 plusurs a mal li aturnerent,
26 li suen meïsme le blamerent.
27 quant il oï que hum en parla,
28 mut fu dolent, mut li pesa ;
29 cumença sei a purpenser
30 cument s'en purrat delivrer
31 que nul sa fille ne quesist.
32 [e] luinz e pres manda e dist :
33 ki sa fille vodreit aveir,
34 une chose seüst de veir :
35 sortit esteit e destiné,
36 desur le munt fors la cité
37 entre ses braz la portereit,
38 si que ne se reposereit.
39 quant la nuvelë est seüe
40 e par la cuntree espandue,
41 asez plusurs s'i asaierent,
42 que nule rien n'i espleiterent.
43 teus [i ot] que tant s'esforçouent
44 quë en mi le munt la portoënt ;
45 ne poeient avant aler,
46 iloec l'esteut laissier ester.
47 lung tens remist cele a doner,
48 que nul ne la volt demander.
49 al païs ot un damisel,
50 iz a un cunte, gent e bel ;
51 de bien faire pur aveir pris
52 sur tuz autres s'est entremis.
53 en la curt le rei conversot,
54 asez sovent i surjurnot;
55 [e] la fillë al rei ama,
56 e meintefeiz l'areisuna
57 que ele s'amur li otriast
58 e par drüerie l'amast.
59 pur ceo ke pruz fu e curteis
60 e que mut le presot li reis,

Calixe et Edmond, les deux amants

(notre version de 2017)

 

 

 

Il advint jadis en Normandie

Une aventure moult ouïe

De deux amants qui s’entraimèrent

Et suscitèrent grand mystère

 

Un lai en firent les Normands

Qui aiment à voir l’avenir riant

Où ceux qui s’aiment se marient

Dans quelque chapelle de Neustrie

 

Lors donc à Pîtres et sa vallée

Reposaient de gentils foyers

Autour d’un roi et son palais

Où jadis Charles II résidait

 

Ce roi marchait entre ombre et lumière

Ombre d’avoir sa femme perdue

Lumière d’avoir gente fille reçue

Et dont jalousement était fier

 

Le roi Rulph résidait dans sa villae

Qu’alors Rouville se nommait

À une lieue seulement du confluent

Où Seine et Andelle s’en vont mêlant  

 

Près de Pîtres dans les parages

Est un mont saint Michel d’herbages

Mont merveilleux église de lierres

Par devant le Vexin tel un océan vert

 

Or un jour de radieux été

La fille du roi s’était risquée

Dans les longs bois de la contrée

Bien que rôdait le sanglier

 

C’est par malheur si la bête

Se mit à chasser la belle

Qui fort cria et pria le ciel

Qu’ici sa vie ne s’arrête

 

Edmond entendant la voix

Laissa parler son cœur

Oublia l’idée même de peur

Et courut avec épée et pavois

 

Dès qu’il vit le sanglier

Il engagea la rixe

Et d’un coup bien placé

Libéra de l’effroi Calixe

 

Quand Edmond vit la belle

Il lui sembla que la lumière

Avait été créée pour elle

Elle la noble héritière

 

Cliché d'Armand Launay (sous les ors d'octobre 2010, chemin faisant vers le mont).

Cliché d'Armand Launay (sous les ors d'octobre 2010, chemin faisant vers le mont).

61 [li otria sa drüerie,
62 e cil humblement l'en mercie.]
63 ensemble parlerent sovent
64 e s'entr'amerent lëaument
65 e celerent a lur poeir,
66 que hum nes puïst aparceveir.
67 la suffrance mut lur greva;
68 mes li vallez se purpensa
69 que meuz en volt les maus suffrir
70 que trop haster e dunc faillir.
71 mut fu pur li amer destreiz.
72 puis avient si que a une feiz
73 que a s'amie vient li danzeus,
74 que tant est sages, pruz e beus ;
75 sa pleinte li mustrat e dist :
76 anguissusement li requist
77 que s'en alast ensemble of lui,
78 ne poeit mes suffrir l'enui ;
79 s'a sun pere la demandot,
80 il saveit bien que tant l'amot
81 que pas ne li vodreit doner,
82 si il ne la poïst porter
83 entre ses braz en sum le munt.
84 la damisele li respunt :
85 « amis » fait ele, « jeo sai bien,
86 ne m'i porterïez pur rien :
87 n'estes mie si vertuus.
88 si jo m'en vois ensemble od vus,
89 mis pere avreit e doel e ire,
90 ne vivreit mie sanz martire,
91 certes, tant l'eim e si l'ai chier,
92 jeo nel vodreie curucier.
93 autre cunseil vus estuet prendre,
94 kar cest ne voil jeo pas entendre.
95 en Salerne ai une parente,
96 riche femme, mut ad grant rente ;
97 plus de trente anz i ad esté.
98 l'art de phisike ad tant usé
99 que mut est saives de mescines :
100 tant cunust herbes e racines,
101 si vus a li volez aler
102 e mes lettres od vus porter
103 e mustrer li vostre aventure,
104 ele en prendra cunseil e cure ;
105 teus lettuaires vus durat
106 e teus beivres vus baillerat
107 que tut vus recunforterunt
108 e bone vertu vus dufrunt.
109 quant en cest païs revendrez,
110 a mun pere me requerez ;
111 il vus en tendrat pur enfant,
112 si vus dirat le cuvenant
113 que a nul humme ne me durrat,
114 ja cele peine n'i mettrat,
115 s'al munt ne me peüst porter
116 entre ses braz sanz resposer. »
117 li vallez oï la movele
118 e le cunseil a la pucele ;
119 mut en fu liez, si l'en mercie ;

Le cœur de Calixe bel écrin

Portait désormais en lui

La promesse de beaux lendemains

Sous les auspices de la courtoisie

 

Edmond était force et pureté

Bras puissants esprit jugeant

Edmond était loyauté

Et ferait bon amant

 

Calixe rêvait beaucoup

Mais pleurait itou

Car son père le roi

D’Edmond ne voudroit

 

C’est ce qu’il advint avant midi

Où le roi remercia Edmond

Mais lui demanda d’être vite parti

Avant qu’il voue son âme au démon

 

Sentant le danger venir

Le roi décida qu’il était temps

Désormais de sa fille unir

Avec jeune homme de bon rang

 

Le roi voulant sa fille marier

À un noble et fort chevalier

Voulut offrir la main d’icelle

À un homme béni du ciel

 

Ce preux chevalier saura

Porter dans ses bras

Sa fille enfant de Junon

Jusqu’en haut du mont

 

On fit alors porter la nouvelle

Auprès de la noblesse normande

Elle fit grand bruit tant était grande

La beauté éclatante de la pucelle

 

Le roi de Pîtres avait tranché

Et grand concours organisé

Où nobles personnes étaient en nombre

Mais pas une à Edmond ne fit ombre

 

Les chevaliers du concours

Devaient porter Calixe la belle

Dans leurs bras lourds

Au sommet du mont d'Andelle

 

Tous les chevaliers échouèrent

Et d'une voix Edmond fut invité

À porter Calixe et tout fier

Il courut vers l’escalier de liberté

 

Le courage la sincérité

Lui faisaient lever le regard

Cependant la côte arrivée

Il commença à devenir hagard

 

 

 

Cliché d'Armand Launay (sous les ors d'octobre 2010).

Cliché d'Armand Launay (sous les ors d'octobre 2010).

120 cungé demandë a s'amie,
121 en sa cuntree en est alez.
122 hastivement s'est aturnez
123 de riche[s] dras e de deniers,
124 de palefreiz e de sumers ;
125 de ses hummes les plus privez
126 al li danzeus of sei menez.
127 a Salerne vait surjurner,
128 a l'aunte s'amie parler.
129 de sa part li dunat un brief.
130 quant el l'ot lit de chief en chief,
131 ensemble od li l'a retenu
132 tant que sun estre ad tut seü.
133 par mescines l'ad esforcié,
134 un tel beivre li ad baillié,
135 ja ne serat tant travaillez
136 ne si ateint ne si chargiez,
137 ne li resfreschist tut le cors,
138 neïs les vaines ne les os,
139 e qu'il nen ait tute vertu,
140 si tost cum il l'avra beü.
141 puis le remeine en sun païs.
142 le beivre ad en un vessel mis.
143 li damiseus, joius e liez,
144 quant ariere fu repeiriez,
145 ne surjurnat pas en la tere.
146 al rei alat sa fille quere,
147 qu'il li donast, il la prendreit,
148 en sum le munt la portereit.
149 li reis ne l'en escundist mie ;
150 mes mut le tint a grant folie,
151 pur ceo qu'il iert de jeofne eage :
152 tant produm[e] vaillant e sage
153 unt asaié icel afaire
154 ki n'en purent a nul chef traire.
155 terme li ad numé e pris,
156 ses humme[s] mande e ses amis
157 e tuz ceus k'il poeit aveir:
158 n'en i laissa nul remaneir.
159 pur sa fille [e] pur le vallet,
160 ki en avwnture se met
161 de li porter en sum le munt,
162 de tutes parz venuz i sunt.
163 la dameisele s'aturna :
164 mut se destreint, mut jeüna
165 a sun manger pur alegier,
166 que a sun ami voleit aidier.
167 al jur quant tuz furent venu,
168 li damisels primer i fu ;
169 sun beivre n'i ublia mie.
170 devers Seigne en la praerie
171 en la grant gent tut asemblee
172 li reis ad sa fille menee.
173 n'ot drap vestu fors la chemise ;
174 entre ses braz l'aveit cil prise.
175 la fiolete od tut sun beivre
176 bien seit que el nel vout pas deceivre
177 en sa mein [a] porter li baille ;
178 mes jo creim que poi [ne] li vaille,
179 kar n'ot en lui point de mesure.
180 od li s'en veit grant aleüre,

Calixe voyant Edmond perdre haleine

Parla pour lui et d’un même souffle

Décidèrent quelle esbrouffe

De partir loin de ce jeu né de la haine

 

Or le temps passant au palais

Le roi songea à Jésus

Et Ponce Pilate se crut

Lui qui grand tort causait

 

Il se dit que ce mont

Serait bien celui du Golgotha

Où le sang du Christ coula

Et bientôt la vie d’Edmond

 

Pris de remords il se rappela

Le pieux devoir d’aimer

Que Christ enseigna et montra

Alors que lui l’avait oublié

 

Comment ce grand roi

Ce père jusqu’alors ignorait

Que Calixe et ses émois

Interdisaient à son âme toute paix

 

Le vieil homme découronné

De ses habituels airs nobles

Courut dans la contrée

Chercher sa fille qui se dérobe

 

Avant mi-pente disparurent

Dans des bosquets vils

Et d’aucuns assurent

Qu’ils gagnèrent Amfreville

 

C’est ce que dit un manant

Au roi bien essoufflé

À Amfreville sous les amants

Où souffle un vent de gaieté

 

Le roi refusant sa défaite

Courut par monts et par vaux

Soulevant même les violettes

Mais oncques ne vit les tourtereaux

 

Le roi avoua ses péchés

Par rudesse sa fille il attriste

Pour espérer son âme sauver

Il fonda un monastère pour Christ

 

 

 

Clichés d'Armand Launay (sous les ors d'octobre 2010).
Clichés d'Armand Launay (sous les ors d'octobre 2010).

Clichés d'Armand Launay (sous les ors d'octobre 2010).

181 le munt munta de si qu'en mi.
182 pur la joie qu'il ot de li
183 de sun beivre ne li membra.
184 ele senti qu'il alassa.
185 « amis » fet ele, « kar bevez !
186 jeo sai bien que vus [a]lassez :
187 si recuvrez vostre vertu ! »
188 li damisel ad respundu :
189 « bele, jo sent tut fort mun quer :
190 ne m'arestereie a nul fuer
191 si lungement que jeo buësse,
192 pur quei treis pas aler peüsse.
193 ceste gent nus escrïereient,
194 de lur noise m'esturdireient ;
195 tost me purreient desturber.
196 jo ne voil pas ci arester. »
197 quant les deus parz fu munté sus,
198 pur un petit qu'il ne chiet jus.
199 sovent li prie la meschine :
200 «ami, bevez vostre mescine ! »
201 ja ne la volt oïr ne creire ;
202 a grant anguisse od tut l[i] eire.
203 sur le munt vint, tant se greva,
204 ileoc cheï, puis ne leva ;
205 li quors del ventre s'en parti.
206 la pucele vit sun ami,
207 quida k'il fust en paumeisuns ;
208 lez lui se met en genuilluns,
209 sun beivre li voleit doner ;
210 mes il ne pout od li parler.
211 issi murut cum jeo vus di.
212 ele le pleint a mut haut cri ;
213 puis ad geté e espaundu
214 li veissel u le beivre fu.
215 li muns en fu bien arusez,
216 mut en ad esté amendez
217 tut le païs e la cuntree :
218 meinte bone herbe i unt trovee,
219 ki del beivrë orent racine.
220 or vus dirai de la meschine :
221 puis que sun ami ot perdu,
222 unkes si dolente ne fu ;
223 lez lui se cuchë e estent,
224 entre ses braz l'estreint e prent,
225 suvent li baisë oilz e buche ;
226 li dols de lui al quor la tuche.
227 ilec murut la dameisele,
228 que tant est pruz e sage e bele.
229 li reis e cil kis atendeient,
230 quant unt veü qu'il ne veneient,
231 vunt aprés eus, sis unt trovez.
232 li reis chiet a tere paumez.
233 quant pot parler, grant dol demeine,
234 e si firent la gent foreine.
235 treis jurs les unt tenu sur tere.
236 sarcu de marbre firent quere,
237 les deus enfanz unt mis dedenz.
238 par le cunseil de cele genz
239 [de] sur le munt les enfuïrent,
240 e puis atant se departirent.
241 pur l'aventure des enfaunz
242 ad nun li munz des Deus amanz.
243 issi avint cum dit vus ai ;
244 li Bretun en firent un lai.

C’est ainsi que sur le mont

Fut bâti un oratoire

Le roi y écoutant moult sermons

Le voulut comme expiatoire

 

Un matin touché par un rayon

Qui d’un vitrail venait

Le roi entendit raison

Et du bonheur de sa fille rêvait

 

Les larmes lui coulèrent

Limpides et vives comme la Seine

Des ris de joie l’illuminèrent

Car sa petite était sauve et saine

 

L’on dit que les amants s’aimèrent

Ainsi que font Seine et Andelle

Et se promirent fidélité sur l’autel

Pardonnant un jour au pauvre père

 

L’on dit que depuis ce mont

Tient son nom des amants

Ou bien des deux amonts

Des rivières ici se mariant

 

L’on dit depuis ce temps

Que les coteaux sont fleuris

De jolies violettes de Rouen

Nées des pas de Calixe oui

 

Les fleurs parlent beau langage

Avec leurs haleines parfumées

Leurs couleurs de tous les étés

Et les violettes sont bien sages

 

Cachées sous leurs feuilles on les dit

Timides, modestes et elles signifient

Le bonheur champêtre, la fidélité

Autant que pudeur et amour secret

 

Il suffit que les pétales d’endroit varient

Et on les nomme violettes ou pensées

Cette pensée va droit aux anges

Non ceux du ciel mais ceux de nos vies

 

L’on dit enfin que Calixe et Edmond

Eurent de bien beaux enfants

Autant que violettes sur le mont

Et qu’ils revinrent auprès du roi l’aimant  

 

Composé en l’an deux 1017

 

Clichés d'Armand Launay (sous les ors d'octobre 2010).
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Armand Launay

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30 janvier 2013 3 30 /01 /janvier /2013 22:58

Le barrage de Poses et les écluses d'Amfreville-sous-les-Monts ont été construits de 1879 à 1885. Le barrage arrête l’eau grâce à des déversoirs mobiles montant ou descendant selon les besoins. Après de longs travaux, ces imposants ouvrages furent inaugurés le 3 juillet 1887 et constituaient la plus forte chute d’eau sur la Seine. Il faut dire que l'ingénieur en chef Caméré devait pallier les problèmes posés à la navigation par le pertuis de Poses qui, de toute histoire, a été un des passages les plus périlleux sur la Seine à cause du courant causé par le dénivelé. Rappelons que la marée cessait ses effets au pertuis de Poses précisément ; celui-ci marque donc la séparation entre la haute et la basse Seine.

Nous publions la numérisation d’une série de photographies industrielles du studio Henry (Louviers) qui fut missionné par la direction des Ponts et chaussées à l’occasion d’importants travaux de restauration de l’écluse d’Amfreville, du barrage de Poses et des aménagements alentours. Si la date ne figure pas, il s’agit des années 1945 à 1947. On aperçoit sur les photographies de visite du chantier, Maurice Blosset, ingénieur en chef des Ponts et chaussées. Ces clichés contenteront les spécialistes et amateurs de la navigation et du génie civil ; les autres lecteurs apprécieront les permanences et les changements qui ont pu affecter les lieux depuis lors. Nous ajoutons aussi deux clichés montrant la Seine gelée, vraisemblablement en 1940.

 

Photos du chantier de construction (1879-1885…)

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b1200075v

 

Pour les précisions techniques

http://fr.structurae.de/structures/data/index.cfm?id=s0017907

 

Pour accéder au diaporama, cliquez sur la photo ci-dessous : 

Barrage de Poses

 

Armand Launay

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  • : Pont de l'Arche et sa région histoire, patrimoine et tourisme
  • : Bienvenue sur ce blog perso consacré à Pont-de-l'Arche et sa région (Normandie, Eure). Contactez-moi afin d'étudier ensemble, plus avant, l'histoire et donc de progresser vers la connaissance. Bonne lecture ! armand.launay@gmail.com
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Mes activités

Armand Launay. Né à Pont-de-l'Arche en 1980, j'ai étudié l'histoire et la sociologie à l'université du Havre (Licence) avant d'obtenir un DUT information-communication qui m'a permis de devenir agent des bibliothèques. J'ai acquis, depuis, un Master des Métiers de l'éducation et de la formation, mention Lettres modernes. Depuis 2002, je mets en valeur le patrimoine et l'histoire de Pont-de-l'Arche à travers :

- des visites commentées de la ville depuis 2004 ;

- des publications, dont fait partie ce blog :

Bibliographie

- 20 numéros de La Fouine magazine (2003-2007) et des articles dans la presse régionale normande : "Conviviale et médiévale, Pont-de-l'Arche vous accueille", Patrimoine normand n° 75 ; "Pont-de-l'Arche, berceau de l'infanterie française ?", Patrimoine normand n° 76 ; "Bonport : l'ancienne abbaye dévoile son histoire", Patrimoine normand n° 79 ; "Chaussures Marco : deux siècles de savoir-plaire normand !", Pays de Normandie n° 75.

- L'Histoire des Damps et des prémices de Pont-de-l'Arche (éditions Charles-Corlet, 2007, 240 pages) ;

- Pont-de-l'Arche (éditions Alan-Sutton, collection "Mémoire en images", 2008, 117 pages) ;

- De 2008 à 2014, j'ai été conseiller municipal délégué à la communication et rédacteur en chef de "Pont-de-l'Arche magazine" ;

- Pont-de-l'Arche, cité de la chaussure : étude sur un patrimoine industriel normand depuis le XVIIIe siècle (mairie de Pont-de-l'Arche, 2009, 52 pages) ;

- Pont-de-l'Arche, un joyau médiéval au cœur de la Normandie : guide touristique et patrimonial (mairie de Pont-de-l'Arche, 2010, 40 pages) ;

- Pont-de-l'Arche 1911 I 2011 : l'évolution urbaine en 62 photographies (mairie de Pont-de-l'Arche, 2010, 32 pages) ;

- Mieux connaitre Pont-de-l'Arche à travers 150 noms de rues et de lieux ! (Autoédité, 2019, 64 pages) ; 

- Déconfiner le regard sur Pont-de-l'Arche et ses alentours (Autoédité avec Frédéric Ménissier, 2021, 64 pages) ;

- Les Trésors de Terres-de-Bord : promenade à Tostes, ses hameaux, Écrosville, La Vallée et Montaure (publié en ligne, 2022) ;

- Les Trésors de Terres-de-Bord : promenade à Tostes, ses hameaux, Écrosville, La Vallée et Montaure (version mise en page du précédent ouvrage, édité par la mairie de Terres-de-Bord, 2023).

Depuis 2014, je suis enseignant à Mayotte.

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