La Côte des deux amants est un lieu notable de la vallée de la Seine, dressée entre les vallées de l'Andelle et de la Seine, près de Pont-de-l'Arche. Son nom est aussi notable et l'on répète, à l'envi, qu'il est issu d'une légende impliquant deux amoureux.
Cette légende fut couchée sur le papier, vers 1155, par Marie de France. Active entre 1155 et 1210, Marie est considérée comme la première poétesse de langue française... ou presque puisqu'elle s'exprimait en normand, une langue proche du français de Paris. Parmi ses écrits, cette contemporaine de Chrétien de Troyes et de l'amour courtois rédigea le lai des deux amants. Nous en reproduisons le texte original dans la colonne de gauche. Cette légende dépeint les efforts d’un noble prétendant au mariage d’une princesse. Mais le père de celle-ci, roi de Pîtres, ne veut marier sa fille qu’à l’homme capable de la porter dans ses bras ‒ et en courant ‒ au sommet de la côte. Le prétendant veut relever ce fou défi. La princesse lui recommande de chercher un philtre qui l’aidera. Le prétendant cherche ledit philtre à Salerne, en Italie, et revient à Pîtres. Il parvient à porter la princesse au sommet de la côte et ce en se passant du philtre ; ceci le condamne à mourir de fatigue. La princesse en meurt de douleur peu après.
On gagnera à lire la traduction complète de cette légende par Jean-Baptiste-Bonaventure de Roquefort-Flaméricourt. Datée de 1820, elle est lisible sur Wikisource. Quant à l'origine du nom et les différentes thèses défendues, un article détaillé est accessible sur ce blog en cliquant ici. Idem concernant le prieuré deuxamantin en cliquant ici. Idem encore à propos du lai de Marie de France et son ancrage dans la réalité en cliquant ici.
Ci-dessous, dans la colonne de droite du tableau nous nous sommes plu à imaginer une issue heureuse à la légende... De plus, nous y défendons une autre étymologie : celle de côte des deux amonts. En effet, dans le langage des mariniers les amonts désignaient les voies remontant le courant. C'est ce qu'immortalisa en 1877 Lucien Barbe en publiant son court mais instructif Dictionnaire du patois normand en usage à Louviers et dans les alentours. En page 8, Lucien Barbe nous enseigne que les mariniers disaient qu'ils "allaient amont" pour remonter le courant de la Seine et des rivières. Au confluent de la Seine et de l'Andelle, où se lisent clairement les deux vallées, nous supposons que les mariniers devaient parler de "deux amonts" qui se séparent. Or, en ce lieu se trouve la très notable falaise qui fait le lien entre les deux vallées. C'est sûrement ce qui explique le nom de "Côte des deux amonts" tant est rare une côte si bien dessinée entre deux vallées du bassin de la Seine.
Bonne lecture !
Extrait de Les lais de Marie de France (écrit vers 1155)
Les Deus Amanz |
Calixe et Edmond, les deux amants (notre version de 2017)
Il advint jadis en Normandie Une aventure moult ouïe De deux amants qui s’entraimèrent Et suscitèrent grand mystère Un lai en firent les Normands Qui aiment à voir l’avenir riant Où ceux qui s’aiment se marient Dans quelque chapelle de Neustrie Lors donc à Pîtres et sa vallée Reposaient de gentils foyers Autour d’un roi et son palais Où jadis Charles II résidait Ce roi marchait entre ombre et lumière Ombre d’avoir sa femme perdue Lumière d’avoir gente fille reçue Et dont jalousement était fier Le roi Rulph résidait dans sa villae Qu’alors Rouville se nommait À une lieue seulement du confluent Où Seine et Andelle s’en vont mêlant Près de Pîtres dans les parages Est un mont saint Michel d’herbages Mont merveilleux église de lierres Par devant le Vexin tel un océan vert Or un jour de radieux été La fille du roi s’était risquée Dans les longs bois de la contrée Bien que rôdait le sanglier C’est par malheur si la bête Se mit à chasser la belle Qui fort cria et pria le ciel Qu’ici sa vie ne s’arrête Edmond entendant la voix Laissa parler son cœur Oublia l’idée même de peur Et courut avec épée et pavois Dès qu’il vit le sanglier Il engagea la rixe Et d’un coup bien placé Libéra de l’effroi Calixe Quand Edmond vit la belle Il lui sembla que la lumière Avait été créée pour elle Elle la noble héritière |
61 [li otria sa drüerie, |
Le cœur de Calixe bel écrin Portait désormais en lui La promesse de beaux lendemains Sous les auspices de la courtoisie
Edmond était force et pureté Bras puissants esprit jugeant Edmond était loyauté Et ferait bon amant Calixe rêvait beaucoup Mais pleurait itou Car son père le roi D’Edmond ne voudroit C’est ce qu’il advint avant midi Où le roi remercia Edmond Mais lui demanda d’être vite parti Avant qu’il voue son âme au démon Sentant le danger venir Le roi décida qu’il était temps Désormais de sa fille unir Avec jeune homme de bon rang Le roi voulant sa fille marier À un noble et fort chevalier Voulut offrir la main d’icelle À un homme béni du ciel Ce preux chevalier saura Porter dans ses bras Sa fille enfant de Junon Jusqu’en haut du mont
On fit alors porter la nouvelle Auprès de la noblesse normande Elle fit grand bruit tant était grande La beauté éclatante de la pucelle Le roi de Pîtres avait tranché Et grand concours organisé Où nobles personnes étaient en nombre Mais pas une à Edmond ne fit ombre
Les chevaliers du concours Devaient porter Calixe la belle Dans leurs bras lourds Au sommet du mont d'Andelle
Tous les chevaliers échouèrent Et d'une voix Edmond fut invité À porter Calixe et tout fier Il courut vers l’escalier de liberté Le courage la sincérité Lui faisaient lever le regard Cependant la côte arrivée Il commença à devenir hagard
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120 cungé demandë a s'amie, |
Calixe voyant Edmond perdre haleine Parla pour lui et d’un même souffle Décidèrent quelle esbrouffe De partir loin de ce jeu né de la haine Or le temps passant au palais Le roi songea à Jésus Et Ponce Pilate se crut Lui qui grand tort causait
Il se dit que ce mont Serait bien celui du Golgotha Où le sang du Christ coula Et bientôt la vie d’Edmond Pris de remords il se rappela Le pieux devoir d’aimer Que Christ enseigna et montra Alors que lui l’avait oublié Comment ce grand roi Ce père jusqu’alors ignorait Que Calixe et ses émois Interdisaient à son âme toute paix Le vieil homme découronné De ses habituels airs nobles Courut dans la contrée Chercher sa fille qui se dérobe Avant mi-pente disparurent Dans des bosquets vils Et d’aucuns assurent Qu’ils gagnèrent Amfreville C’est ce que dit un manant Au roi bien essoufflé À Amfreville sous les amants Où souffle un vent de gaieté Le roi refusant sa défaite Courut par monts et par vaux Soulevant même les violettes Mais oncques ne vit les tourtereaux Le roi avoua ses péchés Par rudesse sa fille il attriste Pour espérer son âme sauver Il fonda un monastère pour Christ
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181 le munt munta de si qu'en mi. |
C’est ainsi que sur le mont Fut bâti un oratoire Le roi y écoutant moult sermons Le voulut comme expiatoire
Un matin touché par un rayon Qui d’un vitrail venait Le roi entendit raison Et du bonheur de sa fille rêvait Les larmes lui coulèrent Limpides et vives comme la Seine Des ris de joie l’illuminèrent Car sa petite était sauve et saine L’on dit que les amants s’aimèrent Ainsi que font Seine et Andelle Et se promirent fidélité sur l’autel Pardonnant un jour au pauvre père
L’on dit que depuis ce mont Tient son nom des amants Ou bien des deux amonts Des rivières ici se mariant L’on dit depuis ce temps Que les coteaux sont fleuris De jolies violettes de Rouen Nées des pas de Calixe oui Les fleurs parlent beau langage Avec leurs haleines parfumées Leurs couleurs de tous les étés Et les violettes sont bien sages Cachées sous leurs feuilles on les dit Timides, modestes et elles signifient Le bonheur champêtre, la fidélité Autant que pudeur et amour secret
Il suffit que les pétales d’endroit varient Et on les nomme violettes ou pensées Cette pensée va droit aux anges Non ceux du ciel mais ceux de nos vies L’on dit enfin que Calixe et Edmond Eurent de bien beaux enfants Autant que violettes sur le mont Et qu’ils revinrent auprès du roi l’aimant Composé en l’an deux 1017 |
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