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29 juin 2024 6 29 /06 /juin /2024 16:06

 

Nous avions eu l’occasion, vers 2005, de discuter avec une famille, résidant au n° 4 de la rue des Merisiers, qui avait fait des découvertes à caractère archéologique durant la construction de sa maison, quelques années auparavant.

Autour d’un café, les personnes nous ayant aimablement accueilli, nous ont informé que c’étaient les agents du lotisseur qui avaient caché des fondations en pierre lors de l'excavation destinée à construire les fondations de leur maison. Il s’agissait de grandes pierres assez plates et orientées, c’est-à-dire tournées vers l’est. Elles ont servi de support aux fondations. En nivelant le sol de la cour, pour planter le gazon, les résidents ont retrouvé des ossements, déclarés aux gendarmes, qui se sont avérés être ceux d'un poney. Une mandibule d'enfant fut aussi déterrée, ainsi que des parures en pierre bleue du Jura. Dans la cour, aujourd’hui, une partie du sol "sonne creux" lorsqu'on tape, comme si une cavité se situait en dessous. C'est en questionnant le "conservateur du musée de Louviers", à l'aune de ces quelques découvertes, que les habitants ont été mis sur la piste d'une allée sépulcrale, notamment par la présence de “haches pendeloques” qu’on attachait au cou des défunts. Il a aussi été question d’un lit de petite rivière retrouvé parmi les différents constituants du sol. Nous avions relaté ces informations dans notre monographie intitulée L’histoire des Damps et des prémices de Pont-de-l’Arche, éditée en 2007 chez Charles-Corlet, où nous nous plûmes à noter que le vallon des Vauges était l’emplacement de l’église des Damps et donc, sûrement l’indicatif d’une ancienneté de l’implantation humaine.  

 En 2021, suite à la demande de Cyrille Billard, Conservateur régional de l’archéologie adjoint à la DRAC de Normandie, nous avons repris contact avec la famille ci-dessus et celle résidant au n° 6 de la même rue car des découvertes ont aussi été faites dans la cour des voisins. Ceux-ci ont bien voulu nous prêter des lames de silex, l'une de 10 cm et l'autre de 7 cm, retrouvées en nivelant la cour. 

Cyrille Billard, qui a, entre autres, étudié les allées couvertes de Portejoie, nous a informé qu’il s’agit de vestiges du “Néolithique récent-final”, autrement dit entre 2900 et 2150 avant Jésus-Christ. On connait aussi, en forêt des Damps, des lames du Grand-Pressigny conservées au musée de Rouen. 

 

Objets retrouvés au n° 4 de la rue des Merisiers.
Objets retrouvés au n° 4 de la rue des Merisiers.
Objets retrouvés au n° 4 de la rue des Merisiers.
Objets retrouvés au n° 4 de la rue des Merisiers.

Objets retrouvés au n° 4 de la rue des Merisiers.

Objets retrouvés au n° 6 de la rue des Merisiers.
Objets retrouvés au n° 6 de la rue des Merisiers.

Objets retrouvés au n° 6 de la rue des Merisiers.

Armand Launay

Pont-de-l'Arche ma ville

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2 janvier 2021 6 02 /01 /janvier /2021 15:45
Automne, Pont-de-l'Arche, œuvre impressionniste de Clarence Gagnon peinte aux Damps. Perspective sur le pont de Pont-de-l'Arche et les coteaux de Freneuse (Muséum national des beaux-arts de Montréal, 1905, détail de l'œuvre).

Automne, Pont-de-l'Arche, œuvre impressionniste de Clarence Gagnon peinte aux Damps. Perspective sur le pont de Pont-de-l'Arche et les coteaux de Freneuse (Muséum national des beaux-arts de Montréal, 1905, détail de l'œuvre).

 

Cela fait bien des années que le Muséum national des beaux-arts du Québec a proposé en ligne les œuvres de Clarence Gagnon (1881-1942), au moins depuis 2005, notamment celles que ce peintre québécois a réalisées sur Pont-de-l’Arche, ville de Normandie. Mais le Muséum a récemment renouvelé son site Internet et proposé de meilleures reproductions d’œuvres conservées dans ses collections. Nous devons à Philippe Bourghart ‒ sûrement le plus Archépontain des Québécois, avec son frère Jean-Pierre ‒ d’avoir attiré notre attention sur ce fait qui nous permet de proposer ce modeste article au grand public. Nous l'avons complété avec des découvertes d'œuvres du même artiste passim sur le Net.

 

Qui était l’auteur ? 

Clarence Gagnon (1881-1942) fait l’objet d’études biographiques sur le site du Muséum national des beaux-arts du Québec et sur une fiche Wikipédia qui semble reposer principalement sur l’ouvrage d’Hélène Sicotte et Michèle Grandbois, Clarence Gagnon, rêver le paysage, édité à Montréal, aux éditions de l'Homme, en 2006. Nous y apprenons que Clarence Gagnon s’est installé à Paris en 1904 pour parachever sa formation de peintre et dessinateur. Il y conserva à partir de 1907 un atelier de peinture à Montparnasse. Il a cependant la réputation de préférer la peinture in situ, c’est-à-dire dans les lieux, et non en atelier, à la manière des impressionnistes donc. Comme ces derniers, Clarence Gagnon se promèna dans les environs de Paris, en Normandie et en Bretagne pour y trouver les paysages, les scènes qui l’animaient, qui l’inspiraient, c’est-à-dire le paysannat, l’artisanat, la campagne. Il voyagea aussi en Espagne, au Maroc et en Italie. Il s’attachait beaucoup aux paysages et aux traditions populaires. En ce sens, il se refusait aux courants artistiques qui se détachaient de plus en plus du classicisme et se voulaient révolutionnaires.

 

Clarence Gagnon, artiste québécois, et Pont-de-l’Arche, Les Damps et Criquebeuf-sur-Seine, en France.

 

“Rue Haute” à Pont-de-l'Arche (1906) 

La première œuvre s’intitule “Rue Haute”. L’auteur l’a située à Pont-de-l’Arche et l’a datée de 1906. Sous sa signature, son logotype presque, se trouve la mention “Pont de l'Arche 03”. Deux autres œuvres ou versions de celle-ci, au moins, doivent être issues de la main de Clarence Gagnon. Elles échappent à nos recherches sur le Net, hormis un dessin au crayon reproduit plus bas. 

Deux notices en ligne permettent de voir “Rue Haute”, avec zoom surtout, en cliquant ici et . Il semble s’agir de deux reproductions de la même œuvre. Celle qui apparait plus nette au premier coup d'œil ne peut pas être agrandie. C’est sûrement la version la plus ancienne qui était déjà lisible en 2005. L'œuvre originale est une eau-forte en brun sur papier japon. L’eau-forte est une technique qui consiste à peindre avec de l’acide une plaque de métal. Le métal se détériore. Il faut ensuite plaquer un papier et l’encre se dépose là où il reste de la matière, c’est-à-dire là où l’acide n’a pas été déposée. Son support mesure 25 x 20 cm et le dessin 21 x 14,1 cm. Elle a été achetée en 1909 par le Musée des beaux-arts du Canada (n° 197).

Quant au sujet représenté, il s’agit de la cour du Lion d’or, de nos jours, qui était alors une rue : la rue aux Rois, ou rue Haute, comme l’auteur l’a noté. Le document original du muséum est lui-même une reproduction inversée du dessin de l’auteur. En effet, c’est ce que démontre la comparaison avec une carte postale des années 1910, reproduite ici, et la lecture de l’enseigne au centre du dessin où, sans pouvoir lire quoi que ce soit, permet de mesurer que les lettres latines sont inversées.

Outre ce défaut technique, le contenu est réaliste. On y voit des dames en tenue habituelle. La dame au second plan descend son seau de nuit, son “Jules” comme on l’appelait, vers la rue Abbaye-sans-toile. La lumière montre qu’il s’agit d’un début d’après-midi. Une œuvre ci-dessous intitulée “automne, Pont-de-l’Arche” indiquerait la saison, d’autant plus qu’une cheminée en usage démontre que la fraicheur était tombée sur la ville, malgré l’ensoleillement. 

 

Rue Haute, détails de l'œuvre et carte postale illustrée des années 1910.
Rue Haute, détails de l'œuvre et carte postale illustrée des années 1910.
Rue Haute, détails de l'œuvre et carte postale illustrée des années 1910.

Rue Haute, détails de l'œuvre et carte postale illustrée des années 1910.

 

Clair de lune à Pont-de-l'Arche (1909)  

Cette œuvre, dans la lignée de la première, date pourtant d’un second séjour puisqu’elle porte la date de 1909 sous la signature de l’auteur. Il faut dire que Pont-de-l’Arche avait une station ferroviaire sur la voie Paris-Le Havre. Elle était donc accessible aux artistes. On connait, à ce titre, des toiles de Camille Pissarro dans la cour d’Octave Mirbeau, aux Damps, à un kilomètre du sujet traité ici. 

Le site du Muséum propose deux notices en ligne, accessibles en cliquant et ici. C’est aussi une eau-forte en brun mais sur papier vergé mesurant 21,9 x 16,8 cm. Le dessin mesure 15,7 x 12,4 cm. Il fut acheté en 1926 par le Musée des beaux-arts du Canada (n° 3469). 

 

Clarence Gagnon, artiste québécois, et Pont-de-l’Arche, Les Damps et Criquebeuf-sur-Seine, en France.

 

Le sujet est la maison à pans de bois du coiffeur J. Gouyé, de nuit, et une dame jetant son pot de chambre. Cette maison se trouve déjà dans la première vue, au centre de la perspective. L’auteur prend plaisir à reproduire l’ambiance créée par le contraste entre la lumière lunaire et artificielle (le lampadaire de la rue Abbaye-sans-toile). Ici est notable le traitement des ombres sur les façades de torchis et les distorsions des pans de bois, surtout sur les pigeards et les sablières en encorbellement. L’auteur montre son attachement à l’architecture traditionnelle, déjà pittoresque en ce temps. Il faut dire que cet édifice, datant vraisemblablement d’avant le début du XVIe siècle, fut démoli juste dans l’année qui suivit de dessin. Comme l'œuvre précédente, cette reproduction est inversée. C’est ce que démontre la comparaison avec une carte postale des années 1910 reproduite ici. La rue principale, la rue Alphonse-Samain, devrait être à gauche et la rue Abbaye-sans-toile, qui descend vers les berges de la Seine (en ce temps), devrait être à gauche. On peut imaginer le peintre, sorti d’un hôtel des rues archépontaines, se poser dans la fraicheur du soir pour dresser un dessin rapide mais précis, avant de regagner sa chambre, bien au chaud.

Clarence Gagnon est réputé, dans sa biographie, pour travailler ses œuvres in situ. Ici, il est clair que l'œuvre a été aussi travaillée après sa reproduction puisque le nom du coiffeur est lisible alors que la vue est inversée. 

De ces deux eaux-fortes de Pont-de-l’Arche, il ressort que l’artiste a campé des paysages déjà pittoresques dans les mentalités. Ce sont des vues que les libraires et cafetiers locaux avaient largement fait photographier et imprimer sur des cartes postales, alors très en vogue. Clarence Gagnon ne s’est absolument pas voulu original dans ce traitement. Il accentue peut-être la ruralité, l'ancienneté de modes de vie qu'il sait appelés à disparaitre. Ou bien seules ces vues, alors considérées comme pittoresques, ont été reproduites par l’auteur et les amateurs ce qui a assuré leur communication jusqu’à nous.

 

Clair de lune, Pont-de-l'Arche. Détails de l'œuvre et carte postale illustrée des années 1910.
Clair de lune, Pont-de-l'Arche. Détails de l'œuvre et carte postale illustrée des années 1910.
Clair de lune, Pont-de-l'Arche. Détails de l'œuvre et carte postale illustrée des années 1910.

Clair de lune, Pont-de-l'Arche. Détails de l'œuvre et carte postale illustrée des années 1910.

 

Le coiffeur J. Gouyé (1908)

ne autre vue, reproduite ci-dessous, existe sur le Net à propos du même sujet. Nous l'avons retrouvée sur le site eterart.com. Il s'agit d'un dessin crayonné en 1908 et vendu par l'"atelier Gagnon". Celui-ci est bien à l'endroit et démontre deux choses :

- l'auteur a commercialisé dans sa boutique parisienne ce genre de vues rurales, anciennes, authentiques qui devaient rencontrer leur public et payer l'artiste ;

- les inversions des deux vues du Muséum proviennent du passage à l'eau-forte.

 

 

 

Clarence Gagnon, artiste québécois, et Pont-de-l’Arche, Les Damps et Criquebeuf-sur-Seine, en France.

 

Automne, Pont-de-l’Arche (1905)

Il s’agit ici d'une huile sur toile datée de 1905 et donnée au Musée des beaux-arts de Montréal par James Morgan en 1909. Elle date donc du premier séjour connu de Clarence Gagnon à Pont-de-l’Arche.

 

Clarence Gagnon, artiste québécois, et Pont-de-l’Arche, Les Damps et Criquebeuf-sur-Seine, en France.

Sur cette œuvre, accessible ici sur le site du Musée des beaux-arts de Montréal et mesurant 65,4 sur 92,3 cm, on voit une dame cueillant vraisemblablement des champignons. En arrière-plan, éclairé par la lumière des rayons matinaux, se voit un des ponts de l’histoire de Pont-de-l’Arche : celui construit sous la direction de MM. Méry et Saint-Yves en 1857. L’auteur s’est promené le long de la rue Morel-Billet, où résida Octave Mirbeau justement. Aux Damps, il a passé le Val qu’on appelait alors les Quatre-vents et a, semble-t-il, grimpé la petite côte du chemin des Haies. De là, il s’est arrêté en haut du coteau d’où il a immortalisé cette scène quotidienne. Derrière le pont se voient les très reconnaissables coteaux de Freneuse, perdant de l'altitude à mesure qu’il s’approchent de Saint-Aubin-lès-Elbeuf. Quelques bouleaux, avec leurs troncs blancs, renforcent la touche ensoleillée de ce paysage. Nul doute qu’ils rappelaient à leur auteur son Québec natal et ses automnes que l’on dit brefs.

 

Brume matinale - Pont-de-l'Arche (1909)

Une autre vue existe dans le traitement du pont de Pont-de-l'Arche par Clarence Gagnon. Il s'agit d'une huile sur toile de 1909 intitulée "Brume matinale - Pont-de-l'Arche". Cette œuvre, très impressionniste, se trouve dans les collection du Muséum du Nouveau-Brunswick. On y voit le chevet de Notre-Dame-des-arts et le pont de 1857 se refléter dans l'eau.

Clarence Gagnon, artiste québécois, et Pont-de-l’Arche, Les Damps et Criquebeuf-sur-Seine, en France.

Pont-de-l'Arche, scène de rue (1909)

Une autre très belle vue est signée de Clarence Gagnon sur Pont-de-l'Arche. C'est une aquarelle de 1909 intitulée "Pont-de-l'Arche, scène de rue". Nous l'avons trouvée sur le site mutalart.com.  Elle présente la rue Sainte-Marie, vue depuis l'est vers la rue Président-Roosevelt. On y voit une maison de la place Rouville. Surtout, se trouvent les femmes cousant sur le pas de porte, assises sur des chaises selon la pratique de l'époque. Quelques années auparavant, elles cousaient des chaussons de lisière qu'un fabriquant récupérait régulièrement. Très émouvant, sur la droite, on devine une grande sœur faisant des papouilles à un bébé.  

Clarence Gagnon, artiste québécois, et Pont-de-l’Arche, Les Damps et Criquebeuf-sur-Seine, en France.
Clarence Gagnon, artiste québécois, et Pont-de-l’Arche, Les Damps et Criquebeuf-sur-Seine, en France.
Le même lieu de nos jours (cliché de Frédéric Ménissier, janvier 2021).

Le même lieu de nos jours (cliché de Frédéric Ménissier, janvier 2021).


Criquebeuf-sur-Seine (1907)

Il s’agit ici d’une huile sur toile datée de 1907 dont les dimensions sont 54,2 x 80,9 cm. Sa notice sur le site du Muséum est accessible ici. L’original est entré dans ses collections par un “don de la succession de l'honorable Maurice Duplessis”.

Clarence Gagnon, artiste québécois, et Pont-de-l’Arche, Les Damps et Criquebeuf-sur-Seine, en France.

 

On y voit Criquebeuf-sur-Seine, commune à 3 kilomètres de Pont-de-l’Arche, vers l’est. Le peintre s’est positionné de l’autre côté du bras de Seine longeant le village. Il est sur la berge de l’ile Launy, juste en amont d’un passage entre cette ile et l’ile de Quatre-âges vers le cours principal de la Seine. On retrouve, timidement mais sûrement, la présence d’une dame, une travailleuse avec sa coiffe traditionnelle. Elle semble reprendre sur son épaule du linge rincé dans le fleuve et remonter vers son foyer, non loin de l’église Notre-Dame. Nous sommes avec l’artiste dans l’ombre alors que le ciel est plutôt clair. Le coteau au-dessus de Freneuse, au loin, est quant à lui sous la lumière de la seconde moitié de l’après-midi. L’ile de Quatre-âge, pourtant proche, est elle aussi illuminée ce qui achève de démontrer que le peintre a voulu mettre en valeur le contraste entre sombreur et clarté. On se retrouve seul, un peu intimidé par cette solitude dans la nature, au bord de l’eau, au bout d’un petit sentier de pêcheurs, alors que le regard est porté par la lumière vers le voyage, la découverte… Mais cet ailleurs qui fait rêver est aussi ce qui crée l’envie de profiter de l’intimité d’un clocher, d’une nature timide mais authentique. De ce contraste ressort l’eau claire du bras de Seine dont les remous sont nets et attirent le regard vers la perspective de l’aval et sa lumière.   




 

Criquebeuf-sur-Seine, détail de l'œuvre.

Criquebeuf-sur-Seine, détail de l'œuvre.

Armand Launay

Pont-de-l'Arche ma ville

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29 septembre 2020 2 29 /09 /septembre /2020 13:43
Démarrage de l'application mobile devant un bananier de Mayotte : les gens ont de ces idées (cliché d'Armand Launay, septembre 2020)...

Démarrage de l'application mobile devant un bananier de Mayotte : les gens ont de ces idées (cliché d'Armand Launay, septembre 2020)...

 

L’Office de tourisme Seine-Eure a édité en 2019 une brochure de 40 pages associée à une application numérique intitulée : “À la découverte de Pont-de-l’Arche. Les histoires du Maître du pont.” Celle-ci se veut un circuit fléché et animé devant guider les visiteurs dans le patrimoine et l’histoire de la ville. Ce circuit a été mis à la disposition du public à partir de juin 2020 avec une publicité dans les médias et les abribus de l’agglomération. L’application est disponible dans Google play où vous chercherez le fournisseur “Seine Eure s’imagine”. 

Quelques élus de Démocratie archépontaine, groupe d’opposition au Conseil municipal actuel, ont eu la bonne idée de juger cette visite cette semaine et, à travers elle surtout, de viser l’action de la municipalité lors des dernières journées du patrimoine. Leur reproche peut se résumer à la difficulté, voire l’impossibilité, de suivre les repères matériels du circuit de découverte en ville. Ils affirment que les élus de la majorité auraient dû accompagner, ou faire accompagner, les visiteurs dans ce dédale d’un genre nouveau.

En effet, nous nous posions aussi la question depuis juillet dernier où, durant la Sainte-Anne qui a à peine eu lieu pour cause de prévention du Covid-19, nous avions réalisé la visite avec notre fille de 11 ans et notre père... un peu plus âgé : alors, que vaut ce circuit ?  

 

Notre fine équipe durant la recherche (cliché d'Armand Launay, juillet 2020).

Notre fine équipe durant la recherche (cliché d'Armand Launay, juillet 2020).

 

Un travail professionnel

À notre connaissance, c’est principalement Estelle Maillet, ingénieure d’études, qui a conçu le circuit et le texte pour le compte de l’entreprise “Médiéval-AFDP”, spécialisée dans l’étude et la mise en valeur du patrimoine, surtout médiéval. 

Il s’agit d’une découverte de la ville par les propos de Gervald, personnage fictif, maitre du pont de la ville. Il assure une fonction attribuée par le roi, c’est-à-dire la charge du guidage et du montage des bateaux sous le pont. En effet, le passage des bateaux était périlleux et nécessitait des haleurs et une personne pour organiser leur travail. Par un jeu de piste, le visiteur trouve des indices en quête de Gervald et découvre diverses facettes de l’histoire de la ville, des éléments du patrimoine… pas uniquement médiévaux. 

Les dessins ont été réalisés par Kévin Bazot et David Herbreteau. Le graphisme a été réalisé par “L'Ours en Plus”, dont on apprécie les jeux de mots. Ceux-ci ont travaillé sur la base de documents anciens excellemment mis au gout du jour et plutôt bien réinterprétés. Les “sources documentaires principales”, voire uniques, sont “Armand Launay, blog pontdelarche.over-blog.com” et “Pierre Molkhou”, sans titre d’ouvrage cependant, et les “Archives départementales de l’Eure”... bien qu’en fait on ne retrouve presque rien issu de ces archives dans le carnet de voyage du circuit, c’est-à-dire le document imprimé qui accompagne l’application mobile. Les photographies sont d’André Roques, de l’Office de Tourisme Seine-Eure, de Guillaume Duprey et de istock.

La recherche historique semble suffisante bien que n'apportant aucune nouvelle information, le graphisme est excellent, que ce soit sur le papier ou dans l’application téléphonique. Nous ne savons combien il en a couté* à l’Office de tourisme mais les deux années de travail ont été sérieuses et ont abouti à un beau résultat. 

 

Une initiative réussie pour les adolescents

L’application mobile et le support imprimé, le carnet de voyage, sont adaptés aux adolescents et aux habitués de la manipulation d’écrans. L’écran a un pouvoir captivant qui invite le visiteur à poursuivre sa quête. Celle-ci est agrémentée de quelques jeux qui en modifient le rythme. L’application mobile est un outil efficace pour sensibiliser un public à un sujet sûrement nouveau pour lui : l’histoire et le patrimoine d’une commune. Elle intéresse aussi par son aspect ludique et pédagogique. 

 

Une aura pour la commune

La commune de Pont-de-l’Arche bénéficie désormais d’une offre nouvelle et encore assez rare : le circuit renforcé par l’application mobile. Cela constitue un beau document et une belle animation. Les amateurs de nouveautés apprécieront, un temps du moins... car c’est là le cout de la néophilie, l’amour de la nouveauté. Une communication a été assurée sur l’histoire de la ville, ce qui est très rare. C’est même la première fois, à ce stade-là, que l’histoire de Pont-de-l’Arche a été promue à Louviers, Val-de-Reuil et la région. La commune aura aussi, et enfin, ouvert sous conditions le portail donnant accès à l’arrière de l’église, sur les remparts.  

 

Durant la recherche, place Hyacinthe-Langlois (cliché d'Armand Launay, juillet 2020).

Durant la recherche, place Hyacinthe-Langlois (cliché d'Armand Launay, juillet 2020).

 

Support ou gadget ? 

Recourir à l’écran est riche, mais une visite de ville dure longtemps. Or, l’écran nous maintient dans une activité principale, obsédante : le clic, le visionnage d’images et une certaine lecture rapide d’une série de textes assez brefs. 

Le suivi de ce circuit numérique, avec son support imprimé, nous détourne relativement de la flânerie, de l’observation pure des ruelles et du paysage. Parfois même, on se retrouve perturbé par la manœuvre d’un automobiliste, un piéton souhaitant passer sur un trottoir étroit. Plus dommage encore, en matière patrimoniale : on se retrouve souvent dans la lecture de connaissances historiques et non dans l’interprétation des données du terrain : que nous apprend telle pierre ? Quel est ce type architectural ? Pourquoi cette voie est-elle dans ce sens ? Le patrimoine est presque un prétexte à entrer dans l’histoire, alors que des morceaux d’histoire devraient éclairer le patrimoine que l’on perçoit. C’est particulièrement criant à l’endroit de Notre-Dame-des-arts : on en vient à chercher des nombres parmi les bancs en bois alors qu’on survole ce qui fait la beauté des lieux : le recueillement, l’observation attentive des détails comme les angelots du maitre-autel, les ex-votos, les signatures des vitraux, les sculptures des fonts-baptismaux, la lumière filtrée et colorée par les vitraux... 

Certes, le jugement esthétique et le sentiment sont le propre de chaque visiteur et le circuit ne prétend pas les gâcher. Mais, de fait, le visiteur scrupuleux est happé par la direction imprimée par la visite et les énigmes à percer. En caricaturant un peu, on cherche la signalétique du circuit au lieu d’observer le paysage. Le temps passant, le visiteur se retrouve pressé de trouver l’étape suivante : il court un peu plus qu’il ne le devrait. Certaines personnes, comme les élus de Démocratie archépontaine, trouvent que le circuit est mal matérialisé dans les rues, malgré une signalétique régulière. En effet, des clous métalliques au sol, à l’effigie de Gervald, sont parfois difficilement identifiables malgré l’aide du plan dans le carnet de voyage imprimé. Nous avons été contacté par Facebook pour aider en direct des visiteurs en peine. Nous même, avec notre fille, nous avons dû chercher à deux reprises assez longtemps les clous. Les personnes n’utilisant que l’application mobile doivent peiner à trouver tous les clous. Or, sans les indices lisibles sur les clous métalliques, on ne peut poursuivre les étapes de l’application mobile...  

L’application mobile est-elle donc le support idoine ou un gadget qui détourne d’une visite personnelle et interrogative ? 

 

Des oublis et des erreurs

À la perfection nul n’est tenu et il n’est pas besoin d’être parfait pour être bon. Ces propos ne visent donc pas à ternir les auteurs du circuit mais à en évaluer objectivement les limites. Il est dommage que le circuit oublie l’ancienne abbaye de Bonport, dans la commune de Pont-de-l’Arche. Celle-ci aurait dû au moins faire l’objet d’une invitation à la visite. La colonne de Bonport présente dans la cour du Cerf offrait pourtant cette transition, d’autant plus qu’une page du carnet de voyage est laissée à une improbable rédaction que le visiteur pourrait faire... s’il le voulait. De même, le panneau sculpté de la place Hyacinthe-Langlois, la maison du gouverneur, la maison à avant-solier, les réclames des façades du XIXe siècle, les voutes de l’escalier du pont, le remplacement d’un bras de Seine par le cours de l’Eure en 1935… d’importants éléments du patrimoine bâti et naturel manquent.  

Bien que ne se voulant pas une somme d’histoire et de patrimoine, avec des liens systématiques et cohérents, le texte est ponctué d’erreurs. La plus étonnante est la mention de l’armée allemande en 1946 (sur l’application téléphonique, lue en juillet 2020). D’autres erreurs viennent d’interprétations hâtives comme l’affirmation que Henri Désiré de Subtil de Lanterie, homme d’église et propriétaire de la tour de Crosne, se trouverait sur le cliché d’une carte postale de 1910 où un voit un homme, plutôt jeune, en costume de ville ; sûrement un ami du photographe. Des lectures trop rapides font écrire que ce n’est qu’en 1772 que Pont-de-l’Arche est devenu le siège du bailliage alors que la ville accueillait un bailliage secondaire de Rouen depuis le milieu du XVIIe siècle. Les auteurs se sont emmêlés les pinceaux : ce pauvre Gervald est réputé victime de la peste noire (1346-1353) alors qu’il est aussi réputé être maitre du pont depuis 1415. Mieux vaut-il commencer par mourir afin d’être bien conscient de la chance de vivre ? Ces oublis et erreurs ne ternissent pas le travail d’ensemble, mais une relecture supplémentaire eût été nécessaire. 

 

Les clous à l'effigie de Gervald, une signalétique pas toujours facile à repérer (cliché d'Armand Launay, juillet)

Les clous à l'effigie de Gervald, une signalétique pas toujours facile à repérer (cliché d'Armand Launay, juillet)

 

Faire à la fois plus simple et plus ambitieux en matière de culture et de tourisme

Malgré ce circuit, on est encore ‒ à mon sens ‒ orphelins d’une vraie visite fléchée. Ce sont quelques panneaux résistants, bien placés, qui permettent aux gens de se balader assez librement dans la ville et de découvrir, par hasard, l’existence d’un tel parcours. De petits dépliants peuvent les compléter sous forme imprimée dans les commerces, les services publics, ou sous format pdf sur le site Internet de l’Office de tourisme ou de la Ville. C’est sûrement moins couteux mais plus adapté aux différentes pratiques des visiteurs. Le circuit des Damps, le “parcours de découverte Philippe”, du nom de notre regretté ami Philippe Wastiaux, en constitue un bon exemple de sobriété et d’efficacité, bien que les textes puissent être augmentés. Plusieurs visites archépontaines sont à proposer : l’église Notre-Dame mérite une bonne heure pour les amateurs de patrimoine religieux. Les jeunes et les marcheurs peuvent faire un large tour de la ville avec une dose d’histoire et de patrimoine architectural et naturel. Deux visites patrimoniales peuvent être proposées : une pour les personnes à mobilité réduite ou fatiguée ; une seconde plus longue pour le public en pleine possession de ses moyens et aimant à déambuler. Le circuit à la recherche de Gervald constitue une bonne chasse au trésor avec ses énigmes et ses jeux. Mais il enferme de nouveau les jeunes dans la pratique de l’écran quand nous devrions, au contraire, les faire respirer, les faire réfléchir. De plus, ce circuit n’assouvit pas ‒ toujours selon nous ‒ le désir de connaissance adulte. Le gadget jette une lumière sur le patrimoine, pour les gens qui la voient peu, mais il éblouit et détourne le regard d’une vision plus lente, plus fine, plus personnelle du monde qui nous entoure. Par exemple, en quoi une Vierge à l’Enfant Jésus du XIIIe siècle constitue un objet rare et précieux dans l’église ? Il s’agit aussi d’initier et former le public à une lecture plus amoureuse, plus connaisseuse de la beauté et du sens.  

Enfin, le carnet de voyage termine par une belle invitation qui honore les auteurs : “Je tire une leçon de mon aventure : La vie ne vaut d’être vécue que si on la partage avec les autres !” Au-delà de l’évidente condition humaine ‒ “l’homme est un animal social”, écrivait Aristote ‒ ce partage doit être provoqué. C’est sûrement ainsi que les visites de ville gagnent à être réalisées en présence d’un guide qui échange selon sa sensibilité et selon les désirs du public. Les membres de l’opposition ont donc raison d’inviter la municipalité à ne pas oublier cette dimension cardinale.

 

Mon père, personnage sociable, préférant la discussion avec des touristes que la consultation d'écrans (cliché d'Armand Launay, juillet 2020).

Mon père, personnage sociable, préférant la discussion avec des touristes que la consultation d'écrans (cliché d'Armand Launay, juillet 2020).

L’impression personnelle d’être dépossédé

Je remercie Estelle Maillet pour sa courtoisie et son amabilité. Elle m’a questionné sur des illustrations anciennes de la ville, que j’ai fournies, et leur interprétation afin de les améliorer voire de reconstituer le paysage tel qu’il fut. Elle m’a demandé quelques sources bibliographiques. Elle a aussi veillé à ce que mon nom figure dans les remerciements. J’ai, à ce titre, œuvré à la réalisation de certaines parties de ce circuit.

Grâce à Estelle Maillet, j’ai moins l’impression d’avoir été dépossédé de mes travaux puisque j’ai été associé et cité. Mais, si l’histoire de Pont-de-l’Arche ne m’appartient pas, mes ouvrages et mes articles sont ma propriété intellectuelle. La majorité des anecdotes et des interprétations sur les faits, les monuments, proviennent de mes écrits disponibles sur ce blog ou dans des opuscules. L’écriture du carnet de voyage n’est pas de moi et l’on a ainsi évité le plagiat mais quand je lis les souvenirs du fantôme Gervald, j’ai l’impression qu’il a louché sur ma copie. Il a dû sembler impossible de m’associer à la réalisation des textes à moins de me rémunérer, ce qui n’entrait pas le calcul de rentabilité. Des illustrations de mon ouvrage sur Pont-de-l’Arche, cité de la chaussure ont même été reproduites sans en citer la source. Si je n’en suis pas l’auteur, il est toujours honnête de sourcer les informations données. Les noms des auteurs des illustrations anciennes ont été systématiquement délaissés et oubliés. C'est étonnant. Les banques d’images Freepik et Adobestock étant citées dans l’ours (les crédits) du carnet de voyage, il doit donc être possible de citer des noms et de respecter les droits d'auteurs. Ceux-ci ne sont pas que pécuniers mais moraux, aussi.  

Gervald, nom imaginaire du maitre du pont représenté sur le vitrail du montage, œuvre de Martin Vérel datée de 1605 (cliché d'Armand Launay, juillet).

Gervald, nom imaginaire du maitre du pont représenté sur le vitrail du montage, œuvre de Martin Vérel datée de 1605 (cliché d'Armand Launay, juillet).

 

Pour conclure

En somme, ce parcours a le grand mérite d’exister. Je ne sais combien les professionnels ont facturé à l’Office de tourisme* mais ceux-ci ont bien travaillé. J’espère que le cout n’a pas été faramineux. Le kit étant vendu 7 € l’unité et imprimé à 1 000 exemplaires, 7 000 € correspondent peut-être au prix coutant des seuls objets mis à disposition. Le cout total doit être bien plus lourd*. 

Il est dommage que, malgré cet investissement, la ville ne bénéficie toujours pas de panneaux touristiques réguliers formant un circuit à l’image de celui des Damps. Le circuit gervaldien devrait être complété par d’autres circuits, plus classiques, moins couteux*, mais adaptés à différents publics. Cela permettrait sûrement une meilleure répartition des crédits entre les communes de l’agglomération. Nombre de communes mériteraient leurs circuits, ce que nous aimerions réaliser même partiellement et bénévolement. 

Enfin, et comme le laissent entendre les élus de Démocratie archépontaine, ce circuit numérique ne doit pas être un paravent qui masque la disparition d’une offre culturelle et touristique. Des animations, des expositions, des conférences, des visites guidées et commentées doivent perdurer afin de former le public au jugement esthétique et afin de lui donner des expériences sensibles riches. Après tout ‒ et c’est un grand défaut ‒ l’écran n’est pas directement propice au contact humain. Il pallie la solitude et l’ignorance mais il pâlit les relations humaines et l’interrogation individuelle. 

 

* Nous avons appris par les membres de l'opposition au conseil municipal que le cout total de l'opération est de 100 000 € (cent-mil euros). Addenda du 14 octobre 2020.

 

Armand Launay

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3 mai 2019 5 03 /05 /mai /2019 14:04

 

Entre 1934 et 1935 le confluent de l’Eure et de la Seine a été reporté en aval, à Martot… L’Eure a gagné plus de 10 km et a atteint les 228,7 km de longueur qu’on lui connait de nos jours. Quelle est la raison de ce changement de lieu ?

 

Dans les années 1930, d’immenses travaux de chenalage ont eu lieu. Le chenalage désigne l’aménagement d’une voie navigable, un peu à la manière d’un canal. C’est ce qui explique pourquoi les berges de la Seine sont depuis rectilignes et, souvent, endiguées. Pour réaliser cela, le service de la navigation a déterminé quel serait le cours principal de la Seine. Le bras majeur du fleuve a été choisi. Les bras secondaires étaient donc inutiles, voire nuisibles, car ils alimentaient en alluvions le cours principal et détournaient des eaux, baissant la profondeur du cours principal. Il fallait les supprimer.

C’est pourquoi les iles de Seine ont été rassemblées de manière à bâtir une sorte de digue sud au cours principal de la Seine. Elles ont été rassemblées grâce aux terres issues du dragage du lit de la Seine. Tout l’espace en face de la place du village des Damps a été comblé en 1934. Les bras entre les iles ont été comblés de manière de ne laisser que la péninsule Saint-Pierre qui arrive, depuis, jusqu’au pont de Pont-de-l’Arche. Les iles situées en amont, vers Poses, ont été rattachées à la péninsule de la Garenne. On voit toujours quelques saules têtards qui marquent les emplacements des anciens bras, en direction du pont ferroviaire du Manoir. On utilise toujours les noms des anciennes iles, notamment quand on parle des "jardins ouvriers" ou "familiaux" de Rouville, du nom de l'ancienne ile de la commune d'Alizay mais situé sur la rive gauche de la Seine.

Le petit port des Damps, situé sur la place du village, fut coupé de la Seine. Pour pallier cela, la mairie des Damps fit bâtir un petit pont sur l’Eure, en aout 1935. Grâce à cela, les camions chargés de bois de la forêt de Bord pouvaient aller sur la berge de Seine où attendaient les péniches pour le chargement. Cependant, le transport routier prit bientôt le relai du transport fluvial et le chemin longeant les berges de Seine devint une décharge sauvage jusque dans les années 1980 où il fut nettoyé.

Quant au bac des Damps, petit service qui reliait la place du village à la péninsule de la Garenne, il est devenu parfaitement inutile avec la création du petit pont en 1935.

 

Tous ces travaux ne suffirent pas : il fallut maintenir le niveau des eaux de l’Eure à Martot, de manière à ce que la rivière ne soit pas asséchée. En effet, le cours principal de la Seine fut approfondi. Ceci afin de rendre inutile le barrage de Martot et donc de démolir. Par conséquent, depuis ce temps les eaux de l’Eure se déversent très rapidement dans le cours de la Seine si rien ne leur barre le passage. C’est la raison pour laquelle un petit barrage sur l’Eure fut bâti à Martot. Il a été remplacé en 2017 par une passe qui maintient toujours un niveau minimum des eaux mais qui accélère un peu le courant de manière à ce qu’il évacue de lui-même la vase. De même, il permet aux poissons de remonter le courant. Ce n’est pas tout, un déversoir fut créé à Pont-de-l’Arche en 1935 de manière à évacuer le surplus d’eau et donc de décharger le barrage de Martot.

 

Comment interpréter les documents et des cartes postales anciennes ?

Cartes postale illustrée des Damps. Cette photographie fut prise vers 1920 depuis un étage de la Gentilhommière, vraisemblablement. Au premier plan se trouve l'ancien confluent, face à la place du village. A l'arrière plan on aperçoit le pont ferroviaire du Manoir ce qui prouve bien que le bras principal est celui de la Seine. A gauche, se trouve une ile de Seine. A droite, se trouve la pointe de la Garenne, dernière séparation entre l'Eure et la Seine.

Cartes postale illustrée des Damps. Cette photographie fut prise vers 1920 depuis un étage de la Gentilhommière, vraisemblablement. Au premier plan se trouve l'ancien confluent, face à la place du village. A l'arrière plan on aperçoit le pont ferroviaire du Manoir ce qui prouve bien que le bras principal est celui de la Seine. A gauche, se trouve une ile de Seine. A droite, se trouve la pointe de la Garenne, dernière séparation entre l'Eure et la Seine.

La place du village des Damps sur une carte postale illustrée des années 1910. Deux cafés-épiceries servaient la population dampsoise et les gens de passage prenant, notamment, le bac entre Poses et Les Damps. Le bac est bien visible ici. Son débarcadère en terre est toujours visible de nos jours en amont du petit pont qui fut bâti en 1935.

La place du village des Damps sur une carte postale illustrée des années 1910. Deux cafés-épiceries servaient la population dampsoise et les gens de passage prenant, notamment, le bac entre Poses et Les Damps. Le bac est bien visible ici. Son débarcadère en terre est toujours visible de nos jours en amont du petit pont qui fut bâti en 1935.

Carte postale illustrée des Damps. La photographie fut prise depuis les hauteurs de l'espace anciennement appelé "le Clos". On y voit, en bas à droite, une première maison, située avant la ferme de la Côte. Le premier cours d'eau est l'Eure, toujours située en ce lieu. Plus loin, un deuxième cours d'eau est visible. Il s'agit d'un ancien bras de Seine de Poses aux Damps entre la Garenne et l'ile de Rouville. Il a été comblé en 1934. Le troisième cours d'eau, au fond, est le bras principal de la Seine.

Carte postale illustrée des Damps. La photographie fut prise depuis les hauteurs de l'espace anciennement appelé "le Clos". On y voit, en bas à droite, une première maison, située avant la ferme de la Côte. Le premier cours d'eau est l'Eure, toujours située en ce lieu. Plus loin, un deuxième cours d'eau est visible. Il s'agit d'un ancien bras de Seine de Poses aux Damps entre la Garenne et l'ile de Rouville. Il a été comblé en 1934. Le troisième cours d'eau, au fond, est le bras principal de la Seine.

Carte du service de la navigation de la Seine avant le comblement du confluent des Damps. Le village des Damps est en haut de cette vue, au sud. On y voit précisément les contours des iles et le tracé des cours d'eau. Les digues prévues sont tracées en rouge. Elles consisteront en de simples levées de terre. Avec nos remerciements à Thomas Gardes pour le partage de ce document.

Carte du service de la navigation de la Seine avant le comblement du confluent des Damps. Le village des Damps est en haut de cette vue, au sud. On y voit précisément les contours des iles et le tracé des cours d'eau. Les digues prévues sont tracées en rouge. Elles consisteront en de simples levées de terre. Avec nos remerciements à Thomas Gardes pour le partage de ce document.

La péninsule Saint-Pierre en juillet 2016 vue depuis Les Damps du haut. On voit nettement que son relief est tourmenté. Il témoigne du travail de l'homme et du comblement partiel des anciens bras de Seine. Une partie d'un bras est toujours en eau et grandit à mesure que la crue augmente l'hiver (cliché Armand Launay).

La péninsule Saint-Pierre en juillet 2016 vue depuis Les Damps du haut. On voit nettement que son relief est tourmenté. Il témoigne du travail de l'homme et du comblement partiel des anciens bras de Seine. Une partie d'un bras est toujours en eau et grandit à mesure que la crue augmente l'hiver (cliché Armand Launay).

Perspective sur l'actuel confluent de l'Eure et de la Seine. On dit qu'il se trouve à Martot, après la passe. En réalité il est situé dans la commune de Saint-Pierre-lès-Elbeuf, en Seine-Maritime. Au loin, on peut admirer les immeubles du Puchot à Elbeuf (cliché Armand Launay, aout 2010).

Perspective sur l'actuel confluent de l'Eure et de la Seine. On dit qu'il se trouve à Martot, après la passe. En réalité il est situé dans la commune de Saint-Pierre-lès-Elbeuf, en Seine-Maritime. Au loin, on peut admirer les immeubles du Puchot à Elbeuf (cliché Armand Launay, aout 2010).

Pour aller plus loin dans l'étude de la confluence Seine-Eure, vous pouvez lire notre article consacré à la commune de Porte-de-Seine. Il y est beaucoup question d'archéologie et notamment de l'ancien confluent de l'Eure et de la Seine qui devait se trouver encore vers l'an mil du côté de ce qui est devenu Port-Pinché. 

 

Pour aller plus loin concernant les grands travaux de chenalage de la Seine...

D'où vient le nom de l'Eure et comment a-t-il évolué depuis l'Antiquité ?

 

Armand Launay

Pont-de-l'Arche ma ville

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2 mai 2019 4 02 /05 /mai /2019 10:04
Les curieux s'interrogent sur le double franchissement de la Seine et de l'Eure, à Pont-de-l'Arche, alors que les cartes postales anciennes nous informent que seule la Seine arrosait les berges archépontaines au début du siècle dernier... (cliché Armand Launay, mai 2013).

Les curieux s'interrogent sur le double franchissement de la Seine et de l'Eure, à Pont-de-l'Arche, alors que les cartes postales anciennes nous informent que seule la Seine arrosait les berges archépontaines au début du siècle dernier... (cliché Armand Launay, mai 2013).

Sur le pont de Pont-de-l’Arche, on y passe, on y passe et, quand le curieux décolle son regard du goudron routinier, il admire le paysage de la ville d’antan regroupée autour de la figure tutélaire de l’église Notre-Dame-des-arts. Au fil des jours, répétant cette observation furtive, il parvient à observer les rives de la Seine, ses berges artificielles et le déversoir, devant la ville ; ce même déversoir par lequel les eaux de l’Eure rejoignent en partie les eaux de la Seine. La nature semble avoir cédé ses droits à l’homme, même en ce lieu...

L’amateur d’histoire consultera les documents disponibles sur le Net. Il sera étonné de voir sur les cartes postales illustrées des années 1910 que l’Eure ne passait pas devant Pont-de-l’Arche mais se jetait dans la Seine aux Damps.

Que s’est-il passé entre temps ? C’est le sujet de cet article-fleuve qui a pour finalité de définir quelques jalons des aménagements publics de la Seine depuis la Révolution.

 

1. La Seine, fleuve sauvage.

1.1. Un lit vaste et peu profond.

Quel était l’état du fleuve jusqu’en 1866 ? La Seine était moins profonde qu’aujourd’hui et occupait plus largement le fond de sa vallée. Elle l’occupait de manière incomplète par des bras séparés par des iles. Un bras principal occupait ‒ peu ou prou et de manière sinueuse ‒ le milieu de la vallée là où on la connait de nos jours. En période de crue, le fond de la vallée était entièrement en eau et l’on pouvait gagner Alizay ou Igoville en barque depuis Pont-de-l’Arche ou Les Damps.

C’était pour maintenir la circulation terrestre que furent bâties les arches du Diguet, sous l'Ancien régime, avant d’être rebâties vraisemblablement dans les années 1840 (voir notre article sur le Diguet). Ces arches ont dernièrement servi durant la crue de février 2018. Une carte d’état major datant approximativement de 1850 représente le chapelet d’iles entre les différents bras de la Seine ; ceci en période d’eaux normales. Cela signifie que d’autres bras étaient en eau à d’autres moments de l’année, par exemple le Nigard, à Igoville (voir notre article), ou le bras de Freneuse, en eaux aujourd’hui toujours.

Une lecture rapide des cartes d'état major (approximativement datées de 1850 et de 1950) montre que les iles de Seine ont été reliées les unes les autres afin de canaliser le fleuve.
Une lecture rapide des cartes d'état major (approximativement datées de 1850 et de 1950) montre que les iles de Seine ont été reliées les unes les autres afin de canaliser le fleuve.

Une lecture rapide des cartes d'état major (approximativement datées de 1850 et de 1950) montre que les iles de Seine ont été reliées les unes les autres afin de canaliser le fleuve.

 

1.2. Une navigation pénible et dangereuse.

Quant à la navigation fluviale, la batellerie, elle était pénible et risquée. Les berges n’étaient pas stabilisées et se décomposaient en bancs de sable et de vase aux frontières aussi peu visibles que fixes. Des mariniers guidaient donc ‒ contre rémunération ‒ les bateaux montant et descendant le fleuve. Des haleurs tiraient et faisaient tirer par des courbes de chevaux les bateaux montant. À Pont-de-l’Arche, le pont formait un obstacle aux bateaux, notamment par une cataracte de quelques dizaines de centimètres. Des dizaines de monteurs étaient rémunérés afin de faire passer les bateaux sous l’arche maitresse du pont, et ce sous la direction d’un “maitre de pont” et ses aides. Il s’agissait que le bateau ne cogne pas les piles du pont. C’est ce que nous décrivons dans notre article consacré au vitrail du “halage” de l’église de Pont-de-l’Arche (cliquez ici).   

Le vitrail dit du "halage", daté de 1604, dans l'église Notre-Dame-des-arts, à Pont-de-l'Arche, montre le travail des monteurs de bateaux qui tiraient les cordes sous la conduite d'un maitre de pont afin que les bateaux ne cognent pas les piles du pont (clichés Armand Launay, décembre 2007).
Le vitrail dit du "halage", daté de 1604, dans l'église Notre-Dame-des-arts, à Pont-de-l'Arche, montre le travail des monteurs de bateaux qui tiraient les cordes sous la conduite d'un maitre de pont afin que les bateaux ne cognent pas les piles du pont (clichés Armand Launay, décembre 2007).

Le vitrail dit du "halage", daté de 1604, dans l'église Notre-Dame-des-arts, à Pont-de-l'Arche, montre le travail des monteurs de bateaux qui tiraient les cordes sous la conduite d'un maitre de pont afin que les bateaux ne cognent pas les piles du pont (clichés Armand Launay, décembre 2007).

 

1.3. Des obstacles naturels (les pertuis) et artificiels (le pont).

Qui plus est, deux obstacles naturels s’imposaient aussi localement à la batellerie : le pertuis de Poses, devant Amfreville-sous-les-monts, et le pertuis de Martot, devant Saint-Aubin-lès-Elbeuf, autrefois appelé Saint-Aubin-Jouxte-Boulleng. Les pertuis sont des paliers du lit de la Seine ; des paliers par lesquels le fleuve perd de l’altitude et rejoint le niveau de la mer. Ces pertes d’altitude engendrent une accélération du courant et une baisse du niveau de l’eau. Les pertuis sont dangereux et redoutés des mariniers et des voyageurs. Il arrivait que les bateaux les plus lourds fussent en partie déchargés afin qu’ils ne touchassent pas le lit du fleuve. Lors des périodes les plus sèches, la navigation y était impossible. En plus du pont de Pont-de-l’Arche, les voyageurs devaient ralentir leur déplacement dans ces deux pertuis. Arrêtés par la nuit, ils perdaient plus de temps encore ; d’où l’existence d’hôtelleries en nombre à Pont-de-l’Arche et à la Maison rouge, en face des Damps (voir notre article sur la Maison rouge, port d’Alizay).   

À la Révolution française, les projets d’aménagement de la voie de Seine émergent (voir notre article sur l’écluse de Limaie). Mais doivent attendre encore quelques décennies pour commencer à voir le jour.  

 

2. La domestication de la Seine au XIXe siècle.

2.1. Franchir le pont de Pont-de l’Arche.  

La Seine a revêtu depuis l’Antiquité un évident intérêt pour le transport de personnes et de biens, notamment car la circulation par voie de terre était encore plus pénible et dangereuse. La Seine revêtait aussi un intérêt politique : elle permettait le ravitaillement de Paris. Napoléon avait vu la Révolution française se radicaliser quand les Sans-culottes souffraient de la famine. Il vit que les Archépontains, grâce à l’arrêt de bateaux devant le pont de la ville, se servirent en grains lors de la famine de 1795 et ce dans des bateaux destinés aux Parisiens. C’est pourquoi il forgea le projet de se passer des monteurs de bateaux archépontains. Il y parvint quand, en 1813, une écluse fut inaugurée, par Lui, qui permettait de contourner le pont de la ville (voir notre article sur l’écluse de Limaie). 1813 marque donc un tout début d’anthropisation de la Seine, c’est-à-dire la transformation d’espaces naturels en aménagements artificiels au service des hommes.

L'écluse de Limaie, inaugurée à Igoville en 1813, permettait de contourner l'obstacle que constituait le pont de Pont-de-l'Arche. Voulue par Napoléon pour assurer la sécurité intérieure, elle est le premier aménagement connu démontrant la volonté de l'homme d'améliorer les conditions de navigation (carte postale illustrée, vers 1910).

L'écluse de Limaie, inaugurée à Igoville en 1813, permettait de contourner l'obstacle que constituait le pont de Pont-de-l'Arche. Voulue par Napoléon pour assurer la sécurité intérieure, elle est le premier aménagement connu démontrant la volonté de l'homme d'améliorer les conditions de navigation (carte postale illustrée, vers 1910).

 

2.2. De premiers barrages entre Rouen et Paris (1840-1866).

Les gouvernements du XIXe siècle développèrent les transports, notamment le train. C’est ce qui se produisit entre Paris et Rouen, puis Le Havre (voir notre article sur la création de la station de Pont-de-l’Arche). Mais le train n’est pas aussi efficace pour les transports de matériaux lourds. Les transports fluviaux furent donc développés, notamment pour véhiculer le charbon de bois du nord de la France. C’est dans cette perspective que plusieurs gouvernements firent aménager le cours de la Seine. Tout d’abord, l’estuaire de la Seine fut endigué de 1838 à 1866 entre La Mailleraye-sur-Seine et le confluent de la Risle et de la Seine (Foussard et al., 2010).

Dans le même temps, entre 1838 et 1866, il s’est agi d’aménager la Seine entre Rouen et Paris. Les difficultés différaient de l’aval de Rouen, comme le relate précisément A. Tallendeau (1880) : le régime des eaux y fluctuait beaucoup, donc le tirant d’eau était souvent trop faible à la belle saison et le courant y était impétueux. Ouvrir les pertuis fut jugé inefficace car cela viderait les eaux situées en amont. Le problème de basses eaux y demeurerait. Le projet gouvernemental fut d’installer des barrages à aiguilles (voir la carte postale du barrage de Martot, plus bas) afin d’augmenter le mouillage (1,6 m), c’est-à-dire la profondeur de l’eau, en amont de chacun de ceux-ci. Or, puisque chaque barrage est un obstacle à la navigation, il faut le contourner grâce à une écluse. Mais entre deux barrages la navigation est bien plus fiable et régulière sur ce qu’on appelle un bief (un tronçon de voie navigable).

Comme le relate P. de Guilbert (1997), un type de barrages dit “à fermette mobile et à aiguilles” fut imaginé par un ingénieur dénommé Poirée. Les premières constructions démarrèrent en 1840 à Bezons-Bougival, en 1846 à Andrésy-Denouval, en 1847 à Notre-Dame-de-la-garenne, en 1850 à Poses et en 1853 aux Mureaux.

Nous sommes peu documentés sur le premier barrage de Poses. Néanmoins, André Pilet explique que cet ouvrage était constitué de deux parties situées en amont du barrage actuel. Tout d'abord, entre 1851 et 1852, un court barrage de 50 mètres de long fut jeté entre Le Mesnil-de-Poses et l'ile du Trait (André Pilet, page 100). Ce barrage portait le nom d'Anet. Il était à fermette mobile et à aiguilles. En 1854, un second ouvrage barra sur 125 mètres le courant entre l'ile du Trait et l'ile d'Amfreville. Il était constitué en grande partie d'un déversoir simple. Cet ensemble a été complété par une portion de barrage et une écluse au bout de l'ile d'Amfreville, à l'endroit des écluses actuelles, là où le pertuis est prononcé. Ces premiers éléments de barrage devinrent inutiles en 1885 avec la livraison du vaste barrage que nous connaissons de nos jours (voir plus bas). André Pilet nous apprend que les fondations du premier barrage ont été dynamitées en 1954 (page 104).

La suite des travaux sur la Seine serait longue à décrire et nous la résumons : compléter le nombre de barrages afin de créer des biefs suffisamment fournis en eau ; entretenir et rehausser les barrages existants. P. de Guilbert précise que dès que la première série de barrages fut livrée, il s’agit “de porter le mouillage à 2 m en exhaussant les barrages existants et en en créant trois nouveaux entre 1859 et 1866 à Martot, Villez et Suresnes. Tous les barrages construits étaient du type à fermettes, et comportaient une écluse accolée ayant en principe 113 m de long, 12 m de large.” C’était avouer que le résultat escompté n’était toujours pas à la hauteur tant la tâche était colossale.

Le barrage-écluse de Martot (construit entre 1862 et 1866) devint le premier des barrages en remontant la Seine depuis Rouen. Ici s’arrêtait la marée qui, historiquement, remontait jusqu’au pertuis de Poses. Le niveau des eaux monta un peu devant Pont-de-l’Arche mais la ville ne connut plus la marée. Qui plus est, pour Pont-de-l’Arche, l'encombrant vieux pont chuta en partie, en 1856, notamment faute d’entretien. Il fut remplacé par un pont facilitant la navigation grâce à des arches plus hautes et plus larges (voir notre article : au paragraphe “le pont Méry-Saint-Yves”). L’écluse napoléonienne devint inutile et fut abandonnée. La ville de Pont-de-l’Arche cessa d’être une étape fluviale et y perdit des emplois (voir notre article sur économie et sociabilité à Pont-de-l’Arche). Un obstacle était abattu mais la Seine résistait encore, surtout à Poses.

Le barrage de Martot est le second barrage construit dans la région de Pont-de-l'Arche (entre 1862 et 1866). Il fut précédé par le premier barrage de Poses (1850) mais nous n'avons pas encore retrouvé de représentation (ci-dessus, une carte postale illustrée des années 1910 et conservée aux archives de l'Eure).

Le barrage de Martot est le second barrage construit dans la région de Pont-de-l'Arche (entre 1862 et 1866). Il fut précédé par le premier barrage de Poses (1850) mais nous n'avons pas encore retrouvé de représentation (ci-dessus, une carte postale illustrée des années 1910 et conservée aux archives de l'Eure).

2.3. Compléter le réseau de barrages (après 1866).

A. Tallendeau (1880) le mit en valeur dans son étude : les premiers travaux ne suffirent pas à maitriser l’impétueux fleuve. Les premiers travaux (Martot, Poses, La Garenne, Meulan, Andresy, Bougival, Suresne, le pont de la Tournelle) coutèrent 14 millions de francs et durèrent de 1838 à 1866. Le tirant d’eau resta médiocre et était parfois inférieur à 90 cm en période sèche. De nouveaux travaux furent entrepris à hauteur de 6,5 millions de francs afin de rehausser Poses, La Garenne et Meulan ; mais aussi de faire des dragages complémentaires et encore de construire un nouveau barrage à Port-Villez. Cela ne suffit toujours pas. Une étude précise, fondée sur une observation de terrain, fut réalisée par un ingénieur dénommé Krantz, directeur de la navigation entre Rouen et Paris et chargé de nouveaux travaux. Ces travaux consistèrent à faire de nouveaux dragages dans le bief de Martot, à refaire l’écluse de Poses, à rehausser des barrages et créer de nouveaux biefs comme celui de Rolleboise. Le tout couta 18 millions de francs.

Le chantier de Poses fut colossal. Il dura de 1879 à 1885 sous la conduite de l'ingénieur en chef des ponts et chaussées Édouard Caméré. La Bibliothèque nationale de France, par son site Gallica, propose une série de photographies retraçant ces titanesques travaux. Nous en reproduisons certains clichés ci-dessous. Ce sont le barrage et les écluses tels que nous les connaissons de nos jours à cela près qu’ils firent l’objet de rénovations et réparations régulières, comme celle de 1945 à 1947 dont nous fournissons un album photographique sur ce même blog (voir notre album). Fort heureusement, ni le dynamitage ni les bombardements ne démolirent intégralement ces vastes ouvrages durant les guerres. Marcel Blosset (1947) fit tout de même état des dommages de l’écluse “la plus grande de ce modèle en Europe (220 m de long et 17 de large)”. Quant au barrage, il avait subi une avarie à cause du bombardement aérien du 31 juillet 1944 et une passe avait été détruite par les Allemands en retraite. Une brèche de 9 mètres de largeur avait fait perdre 2 m de mouillage au bief amont.

Les travaux du XIXe siècle donnèrent enfin satisfaction mais les volumes de marchandises à faire transiter devinrent de plus en plus grands et la Seine fit donc l’objet d’une nouvelle grande campagne d’aménagements au XXe siècle.  

Reportage photographique du chantier de construction du second barrage de Poses, entre 1878 et 1885 (photographies disponibles à la Bibliothèque nationale de France et reproduites sur son site Gallica).
Reportage photographique du chantier de construction du second barrage de Poses, entre 1878 et 1885 (photographies disponibles à la Bibliothèque nationale de France et reproduites sur son site Gallica).
Reportage photographique du chantier de construction du second barrage de Poses, entre 1878 et 1885 (photographies disponibles à la Bibliothèque nationale de France et reproduites sur son site Gallica).
Reportage photographique du chantier de construction du second barrage de Poses, entre 1878 et 1885 (photographies disponibles à la Bibliothèque nationale de France et reproduites sur son site Gallica).
Reportage photographique du chantier de construction du second barrage de Poses, entre 1878 et 1885 (photographies disponibles à la Bibliothèque nationale de France et reproduites sur son site Gallica).
Reportage photographique du chantier de construction du second barrage de Poses, entre 1878 et 1885 (photographies disponibles à la Bibliothèque nationale de France et reproduites sur son site Gallica).
Reportage photographique du chantier de construction du second barrage de Poses, entre 1878 et 1885 (photographies disponibles à la Bibliothèque nationale de France et reproduites sur son site Gallica).
Reportage photographique du chantier de construction du second barrage de Poses, entre 1878 et 1885 (photographies disponibles à la Bibliothèque nationale de France et reproduites sur son site Gallica).
Reportage photographique du chantier de construction du second barrage de Poses, entre 1878 et 1885 (photographies disponibles à la Bibliothèque nationale de France et reproduites sur son site Gallica).
Reportage photographique du chantier de construction du second barrage de Poses, entre 1878 et 1885 (photographies disponibles à la Bibliothèque nationale de France et reproduites sur son site Gallica).
Reportage photographique du chantier de construction du second barrage de Poses, entre 1878 et 1885 (photographies disponibles à la Bibliothèque nationale de France et reproduites sur son site Gallica).
Reportage photographique du chantier de construction du second barrage de Poses, entre 1878 et 1885 (photographies disponibles à la Bibliothèque nationale de France et reproduites sur son site Gallica).
Reportage photographique du chantier de construction du second barrage de Poses, entre 1878 et 1885 (photographies disponibles à la Bibliothèque nationale de France et reproduites sur son site Gallica).

Reportage photographique du chantier de construction du second barrage de Poses, entre 1878 et 1885 (photographies disponibles à la Bibliothèque nationale de France et reproduites sur son site Gallica).

 

3. Les années 1930 : le chenalage de la Seine et l’allongement de l’Eure.

3.1. Le chenalage de la Seine.

Poursuivant leurs travaux d’Hercule, les ingénieurs et les travailleurs suivant leurs plans parfairent la domestication de la Seine dans les années 1930. Ils entreprirent de se passer du barrage de Martot. Comment faire ? Pour rendre inutile le barrage, il fallait que le niveau du lit de la Seine entre Martot et Poses soit abaissé. D’immenses dragages furent entrepris dès l’année 1930 pour creuser le lit. Dans le même moment, il s’agit d’endiguer les berges, dans de nombreux endroits, pour les consolider et pour creuser un chenal, c’est-à-dire un canal dans le bras principal de la Seine. L’avantage du chenal est aussi d’amener le courant à évacuer régulièrement les alluvions vers l’aval. Pour endiguer les berges, des quais et des batardeaux ‒ et ce n’est pas une insulte puisque ce sont de longs pans métalliques ‒ furent enfoncés dans la roche, comme en face de Pont-de-l’Arche.

Plus généralement, les iles de Seine furent unies par les terres issues du dragage. Ainsi disparurent presque toutes les iles entre Poses et Martot. Les anciennes iles devinrent la péninsule Saint-Pierre, en face des Damps et jusque devant Pont-de-l’Arche. Une grande ile fut dessinée devant Martot et jusqu’au déversoir de Pont-de-l’Arche. Elle a gardé les noms, dans le cadastre et les cartes géographiques, des anciennes iles. Une ile, largement rehaussée par la main de l’homme, perdure devant Pont-de-l’Arche entre le déversoir et la passe marinière. Dans le plan cadastral elle porte le nom “d’ile Delapotterie”, nom d’une famille de notables du XIXe siècle, mais il s’agit du nom d’une autre ile aujourd’hui incorporée dans la péninsule Saint-Pierre. Mais quelles sont ces dernières infrastructures : passe marinière ? Déversoir ?

Photographie de 1935 montrant l'élargissement des arches du pont de Pont-de-l'Arche, du moins la partie enjambant la Seine, afin d'améliorer aussi la navigation. Dans le même moment l'ile devant la ville est renforcée par de nombreux remblais (notamment déplacé sur l'ile par une petite locomotive). Cette ile fut par la suite endiguée. Elle fut renforcée par une passe marinière et un déversoir.

Photographie de 1935 montrant l'élargissement des arches du pont de Pont-de-l'Arche, du moins la partie enjambant la Seine, afin d'améliorer aussi la navigation. Dans le même moment l'ile devant la ville est renforcée par de nombreux remblais (notamment déplacé sur l'ile par une petite locomotive). Cette ile fut par la suite endiguée. Elle fut renforcée par une passe marinière et un déversoir.

Création de la passe marinière en 1935 afin de rendre possible la communication entre l'Eure et la Seine, divisées en cette année et coupant Pont-de-l'Arche de son accès ancestral à la Seine.

Création de la passe marinière en 1935 afin de rendre possible la communication entre l'Eure et la Seine, divisées en cette année et coupant Pont-de-l'Arche de son accès ancestral à la Seine.

Le déversoir fut créé en 1935 devant Pont-de-l'Arche pour décharger l'Eure et, surtout, le barrage de Martot situé en amont (clichés Armand Launay, juillet 2013).
Le déversoir fut créé en 1935 devant Pont-de-l'Arche pour décharger l'Eure et, surtout, le barrage de Martot situé en amont (clichés Armand Launay, juillet 2013).
Le déversoir fut créé en 1935 devant Pont-de-l'Arche pour décharger l'Eure et, surtout, le barrage de Martot situé en amont (clichés Armand Launay, juillet 2013).

Le déversoir fut créé en 1935 devant Pont-de-l'Arche pour décharger l'Eure et, surtout, le barrage de Martot situé en amont (clichés Armand Launay, juillet 2013).

 

3.2. L’Eure gagna 10 km de longueur entre 1934 et 1935 !

La baisse du lit de la Seine entre Poses et Martot posa un problème anticipé, notamment par l’ingénieur en chef des Ponts et chaussées, M. Parmentier : avec la suppression du barrage de Martot, en 1939, les eaux en amont devinrent trop basses dans les bras de Seine longeant Les Damps, Pont-de-l’Arche, Criquebeuf et Martot. Ainsi, en amont, les ingénieurs avaient imaginé de prolonger le cours de l’Eure. Mais comment ? L’idée fut de reporter le confluent de l’Eure avec la Seine. Situé aux Damps jusqu’en 1934, le confluent fut comblé par les terres des dragages du lit de la Seine. Il fut reporté à Martot ou, plus exactement, dans la commune de Saint-Pierre-lès-Elbeuf (en face du hameau des Thuilliers). C’est la raison pour laquelle les iles de Seine furent regroupées : ceci afin de convertir d’anciens bras de Seine en chenal unique de l’Eure.

À Martot, un petit barrage devait être maintenu afin de maintenir un niveau d’eau de l’Eure suffisant. Afin que le barrage ne souffrît pas des plus hautes eaux, un déversoir fut créé à Pont-de-l’Arche, en 1935, laissant chuter depuis le surplus d’eau dans un doux bruit de cascade qui rappelle, peut-être, l’ancienne cataracte du pont d’avant 1856. De plus, pour que les petites embarcations puissent communiquer entre l’Eure et la Seine, une passe marinière fut créée à Pont-de-l’Arche aussi, en 1935. Pont-de-l’Arche toujours (mais archépontanocentrisme !), les arches du pont surplombant la Seine furent agrandies entre 1931 et 1935 afin de rendre possible un plus grand tirant d’air des bateaux. Les travaux furent réalisés par une entreprise allemande au titre des dommages de la Première guerre mondiale (voir notre article sur les 14 ponts de l’histoire le Pont-de-l’Arche). C’est en 1935 que deux petits ponts furent jetés sur l’Eure aux Damps et à Criquebeuf-sur-Seine (sur Eure, depuis !) afin que ces villages maintiennent une activité portuaire : le chargement de grumes de la forêt de Bord. C’est depuis 1939 que la marée se fait de nouveau sentir à Poses et sur les berges de Pont-de-l’Arche et des Damps quand les eaux dépassent le niveau du déversoir. D’ailleurs, et pour sourire, le confluent entre l’Eure et la Seine se fait dans deux endroits : Pont-de-l’Arche, où sont prononcées les fiançailles du déversoir, et Martot-Saint-Pierre-lès-Elbeuf, où le mariage est consommé. L’Eure finit donc sa course en Seine-Maritime.  

Naturellement situé aux Damps, le confluent entre l'Eure et la Seine a été déporté de 10 km en aval, entre 1934 et 1935, à Martot ; ceci afin de maintenir un niveau d'eau minimum du côté des habitations alors que le lit de la Seine avait été creusé afin de démolir le barrage de Martot sur la Seine. Ici on voit le confluent aux Damps avec, au fond, le pont ferroviaire du Manoir.

Naturellement situé aux Damps, le confluent entre l'Eure et la Seine a été déporté de 10 km en aval, entre 1934 et 1935, à Martot ; ceci afin de maintenir un niveau d'eau minimum du côté des habitations alors que le lit de la Seine avait été creusé afin de démolir le barrage de Martot sur la Seine. Ici on voit le confluent aux Damps avec, au fond, le pont ferroviaire du Manoir.

Le niveau réel des eaux devant Pont-de-l'Arche sans retenue en aval et suite aux dragages du lit de la Seine. Ici le 16 février 1929 des Archépontains posent sur le lit sec suite à la rupture accidentelle du barrage de Martot (photographie de Joseph Du Buisson ou bien de sa collection personnelle).

Le niveau réel des eaux devant Pont-de-l'Arche sans retenue en aval et suite aux dragages du lit de la Seine. Ici le 16 février 1929 des Archépontains posent sur le lit sec suite à la rupture accidentelle du barrage de Martot (photographie de Joseph Du Buisson ou bien de sa collection personnelle).

 

Les ingénieurs des années 1930 avaient vu assez juste en matière de conservation d’une cote d’eau suffisante. Le journal local, L’Industriel de Louviers, se fit l’écho de baisses des eaux dramatiques. Le 9 juillet 1938, une rupture sur 25 m du barrage de Martot, sur la Seine, fut causée par sa vétusté et par une cote d’eau “toujours trop élevée par rapport à la capacité de l’ouvrage”. La navigation fluviale était arrêtée. Des travaux d’urgence prirent une semaine avant le rétablissement de la circulation. Le journal du 25 février 1939 fait état de la suppression ‒ voulue, ce coup-ci ‒ du barrage de Martot sur la Seine. L’eau baissa jusqu’à 3,40 m, par endroits. Les puits de région (rive sud) furent majoritairement asséchés par manque d’infiltration des eaux fluviales. Le journal traita de “retour à la situation naturelle” d’avant 1866. Les plaintes de la population fusèrent. Le journal du 5 aout 1939 rapporta la création d’un Syndicat intercommunal de défense des intérêts (en eau) le 17 juillet précédent, et ce à l’initiative de Raoul Sergent, maire de Pont-de-l’Arche (Jean-Paul Combes, 2018). Un document du service de la navigation, reproduit par Jean-Paul Combes (page 73) montre que le reste du barrage de la Seine, nouvellement appelé à retenir les eaux de l’Eure, a posé de nombreux problèmes comme l’indiquent les brèches non prévues et les différences entre le plan original et les réalisations finales. La guerre a compliqué les travaux et rendu indisponible le service de la navigation. C’est le Syndicat intercommunal qui prit les choses en main et qui parvint, en 1950, à créer le barrage de Martot, sur l’Eure. En 1980, ce syndicat fut dissout au profit du Syndicat de la basse vallée d’Eure.   

Le barrage de Martot sur l'Eure exista de 1950 à 2017 avec plusieurs ruptures et travaux (cliché Armand Launay, aout 2010).

Le barrage de Martot sur l'Eure exista de 1950 à 2017 avec plusieurs ruptures et travaux (cliché Armand Launay, aout 2010).

 

3.3. Le paysage et la navigation fluviale depuis lors.

En 1954 fut inauguré l’actuel pont de Pont-de-l’Arche qui ne peut plus faire obstacle à la navigation fluviale (voir notre article sur les 14 ponts de l’histoire de Pont-de-l’Arche).  

Malgré les vastes travaux des années 1930, des bouts d’anciens bras demeurent aujourd’hui en eau, comme aux Damps un peu en aval de la chapelle Saint-Pierre. Les petites embarcations peuvent entrer dans le bras bien vite comblé. En période de crues, le bras reprend vie entre les anciennes iles s’étalant vers l’aval jusqu’à la limite entre les communes des Damps et de Pont-de-l’Arche. Les crues légères redonnent à quelques saules, parfois têtards, isolés au milieu des champs, leur ancienne fonction de gardiens des berges.

Ancien bras de Seine, aux Damps, qui apparait plus ou moins selon le niveau de l'eau. Les vaches s'y abreuvent comme dans une toile d'Eugène Boudin (clichés Armand Launay, avril 2016).
Ancien bras de Seine, aux Damps, qui apparait plus ou moins selon le niveau de l'eau. Les vaches s'y abreuvent comme dans une toile d'Eugène Boudin (clichés Armand Launay, avril 2016).
Ancien bras de Seine, aux Damps, qui apparait plus ou moins selon le niveau de l'eau. Les vaches s'y abreuvent comme dans une toile d'Eugène Boudin (clichés Armand Launay, avril 2016).

Ancien bras de Seine, aux Damps, qui apparait plus ou moins selon le niveau de l'eau. Les vaches s'y abreuvent comme dans une toile d'Eugène Boudin (clichés Armand Launay, avril 2016).

 

Récemment, le barrage de l’Eure à Martot a fait l’objet d’études ayant conclu qu’il pouvait être remplacé par une passe ; ceci afin de désenvaser le cours de l’Eure en accélérant raisonnablement le courant ; ceci aussi par souci des espèces animales. Le barrage a été démoli en 2017. Une passerelle piétonne a été posée en 2018 pour offrir un accès aux promeneurs et pêcheurs à l’ile aux Moines. Le rehaussement du déversoir de Pont-de-l’Arche est prévu afin que l’ensemble des eaux de l’Eure poursuive son cours vers Martot.  

La démolition du barrage de Martot sur l'Eure a laissé place à des travaux de réalisation d'une passe (cliché Actu.fr, 2017).

La démolition du barrage de Martot sur l'Eure a laissé place à des travaux de réalisation d'une passe (cliché Actu.fr, 2017).

 

Quant à la navigation fluviale, elle a été supplantée par le transport routier. La navigation sur Seine s’est raréfiée dans les années 1970. C’est ce dont témoigne la fermeture du chantier naval de l’entreprise Sénécaux, à Igoville, qui se trouvait sur l’ancien canal de l’écluse de Napoléon (voir notre article sur le chantier naval Sénécaux). Le trafic semble néanmoins reprendre de la vigueur depuis quelques années. Il fut un temps où était évoqué un débarcadère à Alizay afin d’améliorer la rentabilité des industries locales, notamment Double A. Aujourd’hui, un projet touristique est prévu : la création d’un ponton en face de Pont-de-l’Arche afin que les croisiéristes puissent venir visiter la ville. Un nouveau pont franchissant la Seine est aussi prévu dans le contournement autoroutier Est de Rouen qui prévoit de passer entre Alizay et le Manoir avant de passer, côté sud de la Seine, entre Val-de-Reuil et la forêt de Bord. Il semble que la rentabilité pétrolière prime et que celle-ci soit plus assurée par la route et les voies maritimes que par les eaux fluviales.  

 

 

Vues sur les écluses et le barrage de Poses où transite toujours une activité économique, ici clairement tournée vers le transport autoroutier (clichés Armand Launay, juillet 2016).
Vues sur les écluses et le barrage de Poses où transite toujours une activité économique, ici clairement tournée vers le transport autoroutier (clichés Armand Launay, juillet 2016).
Vues sur les écluses et le barrage de Poses où transite toujours une activité économique, ici clairement tournée vers le transport autoroutier (clichés Armand Launay, juillet 2016).
Vues sur les écluses et le barrage de Poses où transite toujours une activité économique, ici clairement tournée vers le transport autoroutier (clichés Armand Launay, juillet 2016).

Vues sur les écluses et le barrage de Poses où transite toujours une activité économique, ici clairement tournée vers le transport autoroutier (clichés Armand Launay, juillet 2016).

 

En guise de conclusion, nous avons vu que les progrès techniques ont peu à peu permis de domestiquer la Seine. Une première écluse en 1813 permit de contourner l’obstacle artificiel qu’était le pont de Pont-de-l’Arche. Puis, un premier barrage fut construit en 1851 à Poses afin de créer un bief en amont avec un meilleur tirant d’eau pour les bateaux. Une écluse permit de contourner cet obstacle artificiel. Entre 1862 et 1866, un second barrage fut créé localement à Martot qui permit d’augmenter un peu le tirant d’eau des bateaux sur le bief de Martot. Une écluse fut percée à Martot afin de contourner cet obstacle artificiel. Le barrage de Poses fut reconstruit et, surtout, agrandi à Poses entre 1879 et 1885 afin de dompter cet ancien pertuis, obstacle naturel, le plus grand entre Rouen et la Seine. Enfin, au XXe siècle d’immenses travaux de chenalage ont endigué les berges de la Seine ; creusé le lit du fleuve en amont du barrage de Martot et permis de démolir cet ouvrage en 1939. Depuis, le barrage de Poses marque la frontière entre la basse Seine soumise à la marée et la haute Seine. C’est le barrage offrant la plus grande chute d’eau. Le barrage de Poses est désormais le seul obstacle posé par l’homme dans la région. Il permet, avec un impressionnant ensemble d’infrastructures de libérer la navigation des obstacles naturels de la Seine.

Mais, aujourd’hui, la question des obstacles à la nature se pose de plus en plus dans les consciences et dans les actes. Les aménagements de la Seine n’ont pas fini d’être repensés... C’est ce que prouvent les soins portés sur le cours de l’Eure ; des soins qui ont mené au remplacement du barrage de Martot sur l’Eure en 2017 par une passe plus respectueuse du cours naturel des eaux.   

 

 

Bibliographie

- Collectif, Héros et martyrs de la France au combat (1939-1844) à travers les départements meurtris : l’Eure, voir le chapitre de Marcel Blosset, ingénieur en chef des ponts et chaussées, chef de service de la navigation de la Seine, “Destructions de guerre et reconstructions sur la basse Seine”, pages 178 à 194, édité par la France au combat en 1947, 210 pages ;

- Combes Jean-Paul, Histoire de la commune de Martot à partir des décisions et évènements relatés dans les délibérations du Conseil municipal, arrêtés du maire et courriers de 1790 à 2018, novembre 2018, disponible sur le site de la mairie de Martot (cliquez ici) ;

- Dauphin R., “La force motrice, l’usage et le régime des eaux dans la basse vallée d’Eure", Les Eaux et forêts en Normandie, actes du VIIIe congrès des sociétés historiques et archéologiques en Haute-Normandie, Lyons-la-Forêt, du 3 au 7 octobre 1973 ;

- délibérations du conseil municipal des Damps ;

- Foussard Valérie (dir.), Évolution morphologique d’un estuaire anthropisé de 1800 à nos jours, édité par le Groupement d’intérêt public Seine aval en mars 2010 ;

- De Guibert P., “Impact des aménagements pour la navigation sur les niveaux d'eau de la Seine en aval de Paris”, publié par La Houille Blanche, International Water Journal, n° 8, 1997, publication de la Société Hydrotechnique de France ;

- Patault Édouard, Caractéristiques, origine et variabilité des transferts hydro-sédimentaires sur le bassin versant de l’Eure : approche multi-échelle, rapport de stage soutenu en 2015 à l’université de Rouen dans le cadre d’un master, deuxième année, en Sciences des environnements continentaux et côtiers.

- Pilet, André, Terre des Deux-Amants. Amfreville-sous-les-monts : son histoire, des silex taillés à l’ordinateur, éditions Bertout, Luneray, 1996, 179 pages.

A lire aussi...

- la pêche à l’épuisette sur l’ancien barrage de Martot. Témoigne en normand d’Armand Billard (cliquez ici) ;

Randonnée des Damps à Martot ;

L'origine du nom de l'Eure.

 

 

Armand Launay

Pont-de-l'Arche ma ville

http://pontdelarche.over-blog.com

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21 octobre 2015 3 21 /10 /octobre /2015 15:02
Hormis durant des travaux ponctuels, allons-nous voir disparaitre, dans les prochaines années, ce type de panneaux délimitant Les Damps et Pont-de-l’Arche ? (cliché Armand Launay, juillet 2015).

Hormis durant des travaux ponctuels, allons-nous voir disparaitre, dans les prochaines années, ce type de panneaux délimitant Les Damps et Pont-de-l’Arche ? (cliché Armand Launay, juillet 2015).

 

Depuis mai 2013, le maire socialiste de Pont-de-l’Arche, Richard Jacquet, a officialisé un projet qu’il murit depuis son premier mandat, donc, où je comptais dans son équipe élue : fusionner administrativement les communes de Pont-de-l’Arche et des Damps. Il vise ainsi une plus grande efficacité du service public grâce à une mutualisation des moyens et un champ d’action plus cohérent : l’agglomération qui compte près de 5 800 habitants et non deux communes côte à côte avec des projets parfois discordants ou redondants.

Ce débat n’est pas nouveau et nous prenons plaisir à rappeler un chapitre de notre livre publié grâce à la mairie des Damps et son maire UDI, René Dufour : L’Histoire des Damps et des prémices de Pont-de-l’Arche (2007, éditions Charles-Corlet) : “La fusion des communes de Pont-de-l’Arche et des Damps… 4 projets en deux siècles !” Ajoutons un chapitre sur ce blog pour immortaliser ce cinquième projet qui sera peut-être, à moyen terme, le bon ?

Pont-de-l'Arche et Les Damps, ici sur Google maps (capture d'écran, octobre 2015), deux communes qui forment une même agglomération de 5 800 personnes. La question de la fusion entre les communes, à défaut de faire l'unanimité, mérite d'être étudiée.

Pont-de-l'Arche et Les Damps, ici sur Google maps (capture d'écran, octobre 2015), deux communes qui forment une même agglomération de 5 800 personnes. La question de la fusion entre les communes, à défaut de faire l'unanimité, mérite d'être étudiée.

Depuis 862… Pont-de-l’Arche s’est construit sur le territoire des Damps

Le projet de fusion des communes fait penser, de prime abord, à une volonté d’annexion de la petite commune par la grande. Le petit Poucet dampsois et l’ogre archépontain. Pourtant, Les Damps semble être l’agglomération d’origine. Au IXe siècle, quand le roi Charles le Chauve fit construire un pont fortifié pour barrer la Seine aux Vikings, la rive droite était appelée Pîtres et la rive gauche Asdans (qui deviendra “Les Damps”). Le hameau de Saint-Martin, appelé aujourd’hui Plaine de Bonport (commune de Criquebeuf-sur-Seine) était appelé Maresdans (la mare des Damps). Autour du fort protégeant l’entrée du pont, une ville s’est développée : Pont-de-l’Arche, c’est-à-dire le “pont de la forteresse”.

Les archives nous montrent que Les Damps était une paroisse organisée autour de son église Saint-Pierre, à l’endroit où l’on voit de nos jours la chapelle.

 

Les Damps se trouve depuis dans l’ombre de la ville...

Mais Pont-de-l’Arche, place militaire de fondation royale, a beaucoup grandi grâce à son rôle de police intérieure, au siège des administrations royales, et à son rayonnement marchand avec son marché, sa halle, ses artisans… Les Damps est devenu une petite paroisse qui a même été rattachée à celle de Saint-Vigor de Pont-de-l’Arche dans les années 1780. Les paroisses étaient les ancêtres autant que les embryons de nos communes. Les Damps a donc été annexé pendant des années et les Dampsois présentèrent donc leurs avis dans le cahier de doléances de Pont-de-l’Arche en 1789.

 

1790 : Les Damps devient une commune autonome… défendant ses droits !

Les Damps est doté en 1790 d’une entité administrative à la Révolution et possède, de ce fait, un Conseil municipal. Celui-ci doit se battre contre les prétentions de la commune de Pont-de-l’Arche surtout autour de l’ancienne église Saint-Pierre. Celle-ci était la propriété de la paroisse de Pont-de-l’Arche. Avec la Révolution, elle devint un bien de l’État avant d’être restituée à l’Église par Napoléon Bonaparte en 1801 (Concordat) et donc à la paroisse de Pont-de-l’Arche. Un problème administratif de taille se posa : l’église Saint-Pierre étant fermée par la paroisse de Pont-de-l’Arche, où pouvait-on enterrer les morts dampsois ? Un arrêté préfectoral datant de 1803 ferma le cimetière des Damps car l’église était abandonnée. La paroisse de Pont-de-l’Arche démolit l’église des Damps et son cimetière pour financer la construction d’un presbytère... à Pont-de-l’Arche. Déshabiller Pierre pour habiller Paul... Le litige entre la commune et la paroisse d’à-côté s’éternisait. En 1837, le préfet enjoignit la paroisse de Pont-de-l’Arche de laisser le cimetière à la commune des Damps ou d’éclairer cette affaire en justice. La paroisse de Pont-de-l’Arche se tourna vers ses amis élus...

Voici le début d’un texte présenté en 1850 par les élus dampsois contre la demande réunion des Damps à Pont-de-l’Arche. Le titre virulent et la forme dactylographiée ‒ rare en ce temps dans les archives communales ‒ montrent la détermination des Dampsois à se faire entendre par la préfecture. Archives de l’Eure (2F art. 2512).

Voici le début d’un texte présenté en 1850 par les élus dampsois contre la demande réunion des Damps à Pont-de-l’Arche. Le titre virulent et la forme dactylographiée ‒ rare en ce temps dans les archives communales ‒ montrent la détermination des Dampsois à se faire entendre par la préfecture. Archives de l’Eure (2F art. 2512).

1838 et 1848 : Pont-de-l’Arche passa à l’attaque !

Pressés par les dirigeants de la paroisse, le conseil municipal de Pont-de-l’Arche, souvent les mêmes personnes, présenta en 1838 à la préfecture une demande de fusion entre les deux communes. Les élus Dampsois obtinrent gain de cause et en 1841 le préfet déclara irrecevable la demande du maire archépontain. Le litige sur le cimetière continua. En 1848, le maire de Pont-de-l’Arche, Jean-Baptiste Olivier [des Bordeaux] décida d’agrandir le cimetière communal et demanda au conseil municipal des Damps de participer à la dépense. Ce dernier trouva la demande déplacée car le cimetière communal était inutilisable à cause de la paroisse archépontaine. En 1848, des Dampsois frappèrent un employé de la paroisse de Pont-de-l’Arche qui démolissait le mur du cimetière. Le conseil municipal des Damps entreprit de rouvrir son cimetière, ce qui déplut au maire de Pont-de-l’Arche qui arrêta que l’on n’enterrerait plus de Dampsois dans sa commune ! C’est le sous-préfet de Louviers qui résolut le conflit en proposant qu’on enterre les Dampsois à Pont-de-l’Arche jusqu’à l'ouverture du nouveau cimetière des Damps et que l’on trouve un terrain d’entente sur la participation des Damps aux frais d’utilisation du cimetière de Pont-de-l’Arche. Pour tenter d’anéantir la résistance des élus dampsois, le conseil municipal de Pont-de-l’Arche déposa en préfecture une demande de fusion entre sa commune et celle des Damps en 1848. Ceci devait être un chantage : Pont-de-l’Arche retirerait sa demande de fusion contre la cession du cimetière. Les élus Dampsois eurent gain de cause, rouvrirent le cimetière et, grâce au don des fidèles, la chapelle Saint-Pierre fut érigée et ouvrit ses portes en 1856.

 

1942 et 1972 : le Département proposa la fusion

Le Département proposa, dans le cadre de plans de regroupement de communes, la fusion entre Les Damps et Pont-de-l’Arche. Les Damps ne fut pas concerné contrairement à de nombreuses petites communes n’atteignant pas quelques dizaines d’habitants à cause du dépeuplement rural. Ce mouvement n'était pas nouveau : on passa, dans l’Eure, de près de 800 communes en 1850 à 650 de nos jours. Le conseil municipal du 30 octobre 1972 répondit en ces termes : “Le conseil, après avoir pris connaissance du plan départemental de regroupement des communes et du projet établi par la commission d’élus, projet qui prévoit la fusion des deux communes de Pont-de-l’Arche et des Damps, se faisant l’interprète de la population, hostile dans sa grande majorité ; tient à marquer – par un vote unanime – son opposition à ce projet de fusion”. Ces projets de simplification administrative restèrent sans conséquences pour notre commune.

 

L’intercommunalité, une sorte de fusion qui a fait peur en son temps...

La loi Joxe du 6 février 1992 a relancé la question de la fusion en incitant les collectivités locales à se regrouper en Communautés de communes. La fusion se limite, dans ce cadre, à la mise en commun de moyens humains et financiers pour mieux étudier les besoins d’un territoire et faire des économies d’échelle. Il s’agit de mettre en commun certaines compétences administratives. Concernant nos communes, l’embryon de la Communauté d’agglomération Seine-Eure (CASE) émerge à partir de 1993 (le “PACT urbain”) autour de Louviers, Val-de-Reuil et Pont-de-l’Arche, dont le maire était alors la socialiste Paulette Lecureux.

Mais ce type de projet suscite bien des craintes parmi la population et donc parmi les élus. La majeure partie des maires du canton de Pont-de-l’Arche craint que la CASE n’éteigne la voix des petites communes et que celles-ci paient les projets et les dettes des grandes communes. Ils fondent alors en 1996 la Communauté de communes Seine Bord (CCSB). La CASE quant à elle prend sa forme actuelle en 2001 et Paulette Lecureux parvint à y faire entrer Pont-de-l’Arche malgré une mobilisation de citoyens hostiles à ce projet. Si l’histoire a donné raison à Paulette Lecureux le 1er janvier 2013 où Seine Eure et Seine Bord ont fusionné, cette élue a peiné à expliquer le bienfondé de sa démarche et l'a payé par une défaite électorale en 2001.  

 

Mais… Les Damps et Pont-de-l’Arche sont déjà réunis !?

Aujourd’hui l’intercommunalité suscite une question : à quoi bon fusionner nos communes si elles font déjà partie de la même intercommunalité et que nos maires sont tous deux Vice-présidents de cette agglomération ?

D’une part, la majeure partie des compétences restent municipales. De plus, la naissance des intercommunalités ne s’est pas traduite par le transfert du personnel des communes aux nouvelles intercommunalités. Il est dommage de ne pas alléger les dépenses de fonctionnement par des commandes plus vastes, permettant des économies d’échelle. Il est dommage de ne pas additionner les compétences des fonctionnaires qui gagnent en spécialisation et en formation professionnelle dans des structures plus grandes. Pensons aux services centraux (finances, ressources humaines, accueil…), aux espaces verts et aux services techniques, aux accueils de loisirs... Il est dommage qu’une commune comme Les Damps ne s’adjoigne pas les services communication, parentalité, espace jeunes, animation, social et accompagnement, la police municipale d’une commune de taille moyenne comme Pont-de-l’Arche.

 

On ne pourra pas reprocher à Richard Jacquet d’œuvrer pour son intérêt électoral. En effet, étant donné le poids du vote de droite aux élections municipales des Damps, il donnerait à son opposition de droite, dans le cadre d’une fusion, une base électorale qu’elle a perdu depuis la fin des années 1970.

Quoi qu’il en soit, le conseil municipal des Damps du 19 octobre 2015 a précisé qu’il n’avait pas été élu en 2014 sur les bases, mêmes hypothétiques, d’une fusion avec Pont-de-l’Arche. À ce titre, il reporte un tel projet aux élections de 2020 si les candidats et les électeurs jugent pertinent ce débat et ce choix. Il ne ferme pas les discussions projetant, éventuellement, la mutualisation de services qui, elle, a le mérite de pouvoir se faire même sans fusionner les communes. Ce serait un test progressif pour évaluer l’opportunité humaines et financière d’une fusion…

Il sera difficile de convaincre les Dampsois, d’une part, que la ville de Pont-de-l’Arche leur fera gagner des services supplémentaires et, d’autre part, qu’ils ne verront pas leurs impôts locaux s’alourdir.  

Passées, peut-être, ces difficultés… et après un référendum, qui sait (?), on parlera dans les documents administratifs de la commune de Pont-de-l’Arche Les Damps et, dans les conversations, dans les cœurs, on restera toujours Archépontain et Dampsois. Prenons exemple sur Autheuil et Authouillet, villages qui ont fusionné en 1971 dans la commune d’Autheuil-Authouillet… et qui n’en restent pas moins des villages à part entière.

 

Conclusion

Après les projets honteux de 1838 et 1848, les projets froidement administratifs de 1942 et 1972, la proposition de Richard Jacquet constitue la première demande de fusion des deux communes autour d’un projet d’intérêt commun, d’un contenu à élaborer de part et d’autre de la rude frontière du chemin de la Borde et de la rue du Val. Aux élus archépontains de convaincre, aux élus Dampsois de décider.  

Depuis 1838, le camp gaulois des Damps résiste farouchement aux positions de Pont-de-l'Arche, récemment renforcées par César Jacquet (avé Richard, ceux qui sont exilés te saluent !). Il leur faudra parlementer pour peut-être construire le domaine des dieux là où l'Eure et la Seine se rejoignent pour la première fois...

Depuis 1838, le camp gaulois des Damps résiste farouchement aux positions de Pont-de-l'Arche, récemment renforcées par César Jacquet (avé Richard, ceux qui sont exilés te saluent !). Il leur faudra parlementer pour peut-être construire le domaine des dieux là où l'Eure et la Seine se rejoignent pour la première fois...

Armand Launay

Pont-de-l'Arche ma ville

http://pontdelarche.over-blog.com

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30 août 2014 6 30 /08 /août /2014 12:12

Balade littéraire et poétique

aux Damps et à Pont-de-l’Arche

 

Lever de soleil sur l'Eure(1).jpg

Armand Launay

 

                            À Dany

                                Patrice

                                    Peggy et David…

 

 

Avant propos

Qui n’a pas connu le plaisir de la balade, dans les rues de son petit village, quand le ciel du printemps permet de remettre le bout du nez dehors sans risquer un gros rhume ?

Qui ?

À vrai dire je ne connais personne. Personne qui reste insensible au vert tendre des bourgeons et au rayon de soleil qui redonne au paysage un charme que l’hiver lui a interdit… En fait, au printemps tout le monde redécouvre la nature et, en même temps, son âme de poète… comme dirait l’autre !

    Eh bien ! Ce printemps là, en rentrant aux Damps chez mes parents, quelques jours seulement entre deux semaines d’étude au Havre, j’ai eu une envie irrésistible et spontanée d’aller respirer l’air vif du redoux en arpentant les ruelles du patrimoine local que j’aime tant. En plus, je dois l’avouer, même si Le Havre est une ville que j’ai appris à aimer et que je trouve belle aujourd’hui, quoi qu’en disent les sceptiques (!), mon petit coin de Normandie natal m’a manqué et j’ai eu besoin de le retrouver…

    C’est pourquoi, ayant eu l’envie d’écrire mes sensations, j’ai emmené quelques feuillets que j’ai griffonnés en me baladant à droite et à gauche. Après deux ou trois retouches -quand il le fallait vraiment- j’ai trouvé que le résultat n’était pas si décevant et j’ai eu envie de partager mes sensations, grâce à un petit livre, avec mes contemporains mais aussi avec des lecteurs de demain. En fait, inspiré du livre d’Edmond Spalikowski et de mon goût pour l’Histoire, j’ai tenu à laisser un témoignage avec l’espoir que son message procurera autant de plaisir à ses lecteurs que je n’en ai eu à lire le livre de 1930…

    Le résultat est comme le début de ma balade : imprévu et donc imprévisible dans sa spontanéité. Alors, ma plume s’est promenée entre la littérature, la poésie, l’Histoire et le témoignage sur les modes de vie d’aujourd’hui... En fait, c’est peut-être ça la véritable originalité de cette balade, outre le fait que les publications sur Pont-de-l’Arche et, à plus forte raison, sur Les Damps sont rares : elle se propose d’aborder de nombreux aspects du patrimoine sans les analyser avec rigueur.

    Enfin, chacun verra s’il le souhaite si le résultat et jugera par lui-même ! Quoi qu’il en soit, je ne suis sûr que d’une chose : ces lignes chantent le plaisir et c’est bien là tout ce qui compte !

 

                                                     Armand Launay

 

                     Aux Damps,

le vendredi 4 avril 2003

            



 

Prendre le temps de flâner                    

 

J’aime ces douces heures passées à flâner, à rêver.

Ces heures où le temps cesse

Un instant, de m’éroder comme

La mer usant les falaises d’Étretat.

 

Entre le temps que l’on a et celui que l’on prend,

J’ai choisi celui que l’on dit " Hors du temps "…

Comme suspendu au-dessus de la toile tissée

Par les impératifs au temps métrés du quotidien.

Il est le moment que l’on vit à plein temps

Car il permet que l’on se retrouve, seul ou non.

 

Il est le temps où l’on ne quitte

Pas même quelqu’un, pas même quelque lieu,

Pour en effleurer de nouveaux et éphémères,

Et ce en courant, en s’oubliant.

 

Il est l’instant où, sur les berges de l’Eure

Ou ailleurs en forêt de Bord, on glisse

Sur la pente des jours… et l’on se regarde vivre.

La pensée devient fluide lorsque les sens épousent

Le doux courant de la rivière ou la cascade des feuilles

Parcourues par le vent de doux échos printaniers.

 

C’est le moment du plaisir.

Mais ce plaisir n’est rien

Si la conscience n’y est pas.

Seule la conscience de ce plaisir et des moments paisibles

Engendre le bien-être, le bonheur.

Le bonheur est la conscience que l’on est heureux.

Sans conscience, l’existence est bien peu,

Elle ne réalise pas la chance d’être aux côtés

Des gens que l’on aime, des paysages du quotidien

Qui sont le cadre des visages aimés…

Elle ne mesure pas la valeur des échos des temps passés

Qui résonnent dans nos murs actuels

Et qui raisonnent nos actes et pensées.

Or, l’éveil de la conscience a besoin de temps à soi.

 

"Hors du temps" ou, plus justement,

Au cœur même du temps que l’on prend,

Arpentons nos bois et ruelles

Qu’elles soient des Damps,

Qu’elles soient de Pont-de-l’Arche,

En quête de richesses humaines,

Historiques et naturelles…

  


 

                  Les Damps,

                        le vendredi 4 avril 2003


À l’aube des temps

 

Notre balade qui suit les hommes

Dans leurs paysages et dans leur histoire

Débute dans ce grand massif

Qu’est la forêt de Bord de Seine.

 

Ici, aujourd’hui, le printemps

Hisse la sève des arbres

Et l’air bourgeonne du soleil.

 

Le craquant tapis de feuilles,

Ces héroïnes de l’automne passé

Qui virevoltaient au vent,

Laisse peu à peu place sous les pieds

À un tendre duvet, de couleur prairie,

Constellé de fleurs blanches,

Une mauve de-ci de-là.

 

C’est un plaisir chaque année renouvelé

Lorsque le soleil regagne sa place,

Celle de clé de voûte, celle d’étoile de vie.

 

Cet après-midi, le ciel revêt

La même couleur que les tableaux

Des impressionnistes,

Eux qui surent savourer la lumière

Et les couleurs normandes.

 

Sur le promontoire naturel qu’est la Crûte, on aperçoit furtivement

Une échappée colorée sur le paysage de la vallée et, parfois,

Sur Les Damps, d’où percent les cris enjoués des enfants

À l’heure de la récré tant espérée.

 

Le vent de Nord-ouest me baigne de son eau aérienne

D’une tiède légèreté. Éole me fait écho

Des activités des hommes de la vallée

Et des gens de la nuit des temps car,

Non loin d’ici, fut levé un voile de mystère

Lorsque deux ou trois vestiges,

D’un bronze vert et mordu par le poids des âges,

Furent détectés et déterrés.

L’homme, bien avant notre ère,

Façonnait sa hache dans la pierre,

Mais le métal est ici le premier jalon

Décelé de l’évolution de l’homme.

 

Le bois alors gagné sur la forêt servît-il de poutre à l’habitat,

De rempart contre l’excès hivernal,

De figure de proue d’un voyage sur Seine ?

C’est un mystère qui recèle de bien plus grands charmes

Qu’une réponse nette et assurée.

 

Cependant, la forêt garde aussi en mémoire

Les anodins dés à coudre,

Romains tout comme contemporains,

Qui trahissent les actes immémoriaux

De nos lointaines mères, elles qui tuaient le temps,

L’aiguille à la main, en gardant le troupeau.

C’est ce que m’avoua le timide talus,

Longiligne et caché sous l’humus,

Qui dessine sous nos yeux d’antiques parcelles

Qui crient toujours, aux promeneurs,

Leur raison d’être, tout en restant incomprises.

 

Ici, le petit bruit d’un scarabée attire l’œil curieux

Qui voit la feuille lentement se soulever.

Là-bas, la chaleur d’un rayon outrepasse le branchage

Fraichement fleuri et verdi avant qu’un nuage n’ose,

Un court instant, l’interrompre insolemment.

 

Dans le sous-bois ou aux abords d’un chemin

Le couvert végétal éparpillé laisse paraître sa moue désolée.

Le groin du cochon l’a retourné :

Il abandonne alors ses plaies au regard étranger.

 

Et là, encore un hêtre, au tendre vert d’une jeune feuille,

Présente un corps harmonieux sur lequel j’appose ma feuille

Ma plume et ma prose. D’ailleurs, plus le tronc du hêtre choisi est fin,

Plus mon écriture tremblante me rappelle mon âme d’enfant.

 

En revanche, je ne me risque pas au chêne sur lequel le mariage

Entre ma plume et l’écorce déchirerait ma feuille de longs regrets.

 

Mais je reprends mon chemin entre les essences en ébullition.

 

Une voie pourfend le bois : je préfère l’ignorer

Et poursuivre à travers les sentiers non battus, les sentiers préservés.

 

Mais très vite, sous le pas, la terre laisse paraitre

Un vallon qui courbe l’horizon et invite la curiosité

À assouvir son penchant : c’est une des portes de la vallée.

Au rebord du promontoire où j’arrive bientôt

Une souche me propose ses assises où je me pose.

Ici apparaissent les couleurs vertes, presque bleues,

Des falaises accompagnant la côte des Deux Amants,

Ainsi que les couleurs végétales qui parcourent la plaine

En formant une mosaïque traversée par la tendre courbe de l’Eure.

 

Un train pourfend soudain la plaine

Et traverse la Seine par le couloir du Manoir,

Cette dentelle de métal suspendue,

Et disparait bien vite derrière les usines qui

Négligent notre vue, notre nez et notre santé,

En nourrissant de moins en moins les familles alentour.

 

La Seine se laisse deviner grâce aux furtives apparitions,

Entre deux bouquets d’arbres,

D’une péniche qui semble flotter

Entre deux sillons de cultures.

 

En contrebas, vrombissent les flèches roulantes

Sur le chemin de grisaille qu’est l’asphalte.

 

Les ronces abondent depuis peu avec leurs fraiches pousses

Qui mordent parfois le mollet du promeneur

Comme si elles défendaient un lieu un peu mystérieux

Qu’un curieux enjambe allègrement.

 

Et l’endroit ne manque pas d’énigmes et de légendes…

 

À deux pas d’ici domine la côte de la Crûte,

Petite élévation de terre telle une motte,

Qui fit couler l’encre autour du dilemme :

Est-elle naturelle ou fille de l’homme ?

Mais surtout, est-elle le lieu de la bataille des Damps ?

 

Depuis la côte, la pente, sévère, accélère le cœur et retarde le pas.

Or, dans les brumes de la Seine du siècle neuvième,

Surgirent les hommes du Nord dont les figures de proue des navires

Étaient des têtes de dragons que l’on nomma "drakkars".

 

Dudon de Saint-Quentin narre une bataille opposant

Francs et Normands non loin de la confluence de l’Eure et de la Seine.

Les enfants de Scandinavie, retranchés derrière une fortification,

Battirent l’armée franque à As Dans, devenu Les Damps.

Alors, le flou des textes lointains et miraculeusement conservés

Fut une porte à l’imagination, aux rêves et à la légende.

D’aucuns situèrent, qu’ils soient historiens ou romantiques,

Le lieu de la bataille ici même où on surplombe les premières demeures.

Le paisible chant des oiseaux contraste avec les faits rapportés,

Mais l’image est saisissante : les Normands, sortis de leurs navires,

Barrèrent la route aux Francs et voguèrent vers Paris.

Peut-être ce sol fut-il maculé ? Toutefois, les mystères qu’il recèle

Entretiennent la mémoire des hauts faits des temps passés.

 

Mais là où la magie le dispute résolument à l’histoire,

C’est le terrain des couloirs souterrains.

Cette légende locale, où réalités et rêveries

Tourbillonnent ensemble dans la même danse,

Donne le pétillant dans l’œil de nos ainés

Dont l’âme d’enfant narre à cœur joie

Les anecdotes glanées, çà et là,

En jouant aux gendarmes et aux voleurs

En forêt de Bord, en se réfugiant, dans une cavité,

Des bombes de la guerre passée…

 

Parfois, au hasard de promenades

Dans d’autres splendeurs de la forêt,

On croise de grands effondrements :

Certains sont des témoins des bombes

D’il y a six décennies,

Mais les autres sont-ils

Les éboulements de galeries souterraines

Qui courent de part et d’autre

Rejoindre une commanderie templière ?

 

Enfin, franchissons l’orée et gagnons le petit village blotti

Au bord de l’Eure : la patrie dampsoise…




 

Aux Damps,

                                le samedi 5 avril



Au cœur des Damps


Quelques arpents plus loin, sur le chemin de la Crûte,

On entre dans une partie préservée des Damps

Où les balles de paille s’alignent non loin des haies

Qui plongent avec le chemin vers le cœur du village.

 

D’ici, en faisant quelques pas avec le vent

Qui s’engouffre fraichement dans cette allée verte et fleurie,

Quelques échappées de paysage laissent entrevoir les colombages

Et les pierres du pays accompagnés de blancs pommiers en fleurs.

 

Le soleil, qui a récemment percé le frêle voile matinal,

Rayonne sur les jardins de l’ile étalés le long de la Seine

Et juste devant le monde bétonné d’une usine indicible

Mais que les mots ne peuvent taire.

 

Cette descente de la Crûte évoque

Les tortueuses routes du bocage normand

Où l’ancien bitume est noyé dans une verdure

Dont le feuillage salue le vent au passage.

La Maison Commune des Damps émerge ici et veille sur le hameau.

Cette Mairie fut l’enjeu, en 1879, d’un combat entre une population

Éprise de l’universel esprit républicain et les résistances obscures

Des sujets de "Sa Majesté", camelots du roi ou de l’empereur.

Ces hommes et ces femmes voulaient fonder la jeune République

Sur l’éducation et la culture, sans lesquelles ces mots ne seraient.

 

Mais la balade me mène au fond du val au creux duquel

Se blottissent frileusement les colombages, le torchis et les briques

Du dernier corps de ferme animé. Témoin de temps récemment révolus,

Cette ferme me rappelle qu’il y a six décennies – à peine –

Une dizaine de domaines fertilisaient le sol et élevaient le troupeau

Dont la présence aujourd’hui encore confère aux Damps

Un cachet rural des plus appréciables. En ces lieux,

La vie n’a pas rompu avec les temps passés qui l’ont conçue…

 

La rue des Carrières est une véritable notice historique :

Elle rappelle qu’elle est le berceau de nombreuses pierres

Aujourd’hui insérées dans les murs de nos ruelles.

Sous le chant du coq, la rue des Plâtriers

Ainsi que l’inscription presque entièrement effacée

Indiquent l’activité des ancêtres du maçon qui vit ici.

 

Poursuivant la visite vers la rue des Carrières,

J’observe l’ancienne charrette abandonnée,

Et la plante grimpant sur la façade,

Qui jalonnent le chemin à peine perturbé

Par quelque vrombissement soudain.

 

L’ancienne épicerie s’est endormie ainsi que la pompe communale

Alors que, issue du Moyen-Âge,

Resplendit la maison de la "Dame Blanche" :

Un petit reptile, qui lézardait sur la pierre baignée de soleil,

Ose fuir ses poutres croisées et ses petits carreaux en losanges.

 

 

Après cette rencontre avec le plus lointain souvenir,

Fièrement dressé dans un recoin du village,

Le chemin dessine un coude vers l’Eure,

Point d’arrivée et d’attache de nos aïeux.

 

Il suffit "d’aller aval" de quelques pas,

Comme disait le marinier,

Pour faire la rencontre avec le cœur

Du village des Damps : la place.

 

Vue du petit pont, elle est aujourd’hui

Bien anodine et reposante avec ses peupliers

Tendrement caressés par le frai vent du Nord.

Qui se souvient qu’on les plantait pour tendre le fil

Qui séchait les toiles lavées dans l’eau ?

 

Combien de femmes ont plongé le linge,

Toute leur vie durant, et frotté, et frotté ?

Combien d’enfants ont joué à la balle

Dessus les fils tendus alors que leurs pères

Amassaient les stères sur la place

Avant de les charger sur la Seine.

 

La Seine, eh oui ! car c’est ici , jusqu’en 1934,

Que se trouvait la confluence entre les deux cours.

C’est ici que l’Eure perdait son nom.

C’est ici encore que l’on trouvait le bac,

Dix mètres en amont du pont.

 

Mais tout l’ancien temps du lieu n’est pas réservé à la sensibilité,

Qui nous fait voir ce qui n’est plus :

L’âme des mariniers et du passé de la Seine

Se lit encore dans les linéaments du paysage mais aussi dans les actes

Des pêcheurs qui perpétuent une occupation ancestrale.

 

Enfin, peut-on encore s’imaginer qu’ici passèrent les fûts qui firent

Les bateaux de la monarchie de la fin des âges médiévaux

Mais aussi qu’un jour les navires normands

Passèrent et s’arrêtèrent en ces lieux si paisibles ?

 

Aujourd’hui, quelques voitures sont garées

Devant le bien nommé "Café de la Place",

Lieu de sociabilité des gens d’ici depuis des temps immémoriaux.

Il garde la mémoire du rendez-vous

Des mariniers et des paysans qui l’animaient.

 

Maintenant que l’Eure, "La rivière d’Ure",

Comme le prononçaient nos ancêtres,

Est découverte, la suite de notre balade

Passe par ses contours où un sentier pittoresque

Rappelle le chemin de halage et passe à travers les pâquerettes,

Les pissenlits et les boutons d’or.

 

L’eau fait scintiller de mouvements

Les piles du pont, toujours ombragées.

Les remous de l’eau font onduler

La surface de la rivière et de curieux dessins

Tourbillonnent lentement au gré du courant

Comme des galaxies dans l’immensité noire.

 

Le vent, qui accélère le courant, ride la surface de l’Eure

Qui garde, néanmoins, un cours paisible et ponctué de vaguelettes.

 

Les chiens du lointain aboient en canon.

Les motos et les mobylettes percent l’air tel l’essaim d’abeilles.

Les taupes façonnent leurs mottes.

Les plantes aquatiques se laissent bercer

Par le silencieux courant.

 

Toujours assoiffé de nouveauté, je m’enfonce dans le marais,

Asséché ces temps-ci, et y découvre un sol moelleux

Parcouru de sèches failles et où poussent en tous sens

Les troncs et les branches à la recherche de lumière.

 

Pendant que j’avance, un oiseau signale de deux cris qui s’envolent

Ma dangereuse présence aux siens. Deux canards viennent rayer

La surface de l’Eure où le bleu du ciel clignote désormais.

 

Cependant, alors que je suis à l’ombre de hauts arbres,

Un cygne blanc nage avec célérité en ma direction

Et s’arrête sur la berge, peu avant mon pas.

Il doit s’étonner de ma présence dans ce marais retranché,

Me dis-je. Mais non, pas du tout, ce cygne est une mère attentive

Qui est venue protéger ses petits, encore tout ronds au fond du nid,

Vaste berceau de paille.

Cette attendrissante protection vaut bien mon départ silencieux

Qui préserve cette beauté, après quelques secondes d’admiration.

Je l’admire encore, en m’éloignant et rêve déjà au plaisir de l’été prochain

Où elle glissera sur l’eau, contrastant par sa blancheur étincelante,

Suivie de ses petits, les fruits de son amour.

 

Un peu plus en aval, c’est un bras mort que je découvre,

Flaque bleue dans le vert dominant du pré de l’ile Saint-Pierre.

Une poule d’eau détourne mon attention en s’envolant de la berge.

Elle frappe l’Eure de ses ailes cinq ou six fois

Avant de lâcher un cri surprenant et d’atterrir sur la rive d’en face.

 

La chapelle, derrière moi, même si elle n’a que cent cinquante ans,

Marque l’emplacement de l’antique église de Saint-Pierre des Damps.

 

Appelé par la découverte, je gravis sur ma gauche

Le moins connu "passage des marronniers",

Étroit et boisé, ce passage pittoresque ravine

Ce qui rend son ascension moins aisée

Et presque digne de celles des Vosges.

Les Vosges, nom auquel fait écho

Cette partie du village appelée Les Vauges,

Mais qui n’a de lien que le son,

À l’inverse de ma poésie qui préfère faire rimer

Les sens plutôt que les sons.

 

        Au sommet du chemin de pierre,

        Apparaissent les toits plats de Le Corbusier

        Et les résidences toutes récentes des Merisiers.

        À gauche encore, de retour vers la Mairie,

        Je longe les terrains de jeux et l’école

        Qui a libéré, tout à l’heure, à "l’heure des mamans",

        Les enfants vers un samedi radieux.

        

        L’œil du quotidien passe sans savoir

        Près de deux ou trois plaisirs à saisir :

        Qui a lu, sur la pierre du mur qui fait face à l’aire sportive

        Cette ancienne gravure, "1833", à moitié effacée,

        À moitié recouverte par le lierre vert tendre.

        

        Qui a pris le temps de lire les noms

        De ceux qui tombèrent durant les guerres

        Sur l’humble monument d’un village

        Ému et meurtri par le sacrifice

        Consenti pour la liberté

        Et qui déplore à jamais la guerre

        Qu’elle soit d’aujourd’hui dans les sables,

        Qu’elle soit d’hier dans la boue…

 

        Qui apprécie la poésie et la touche d’humour

        Du nom de la rue Monte au Ciel,

        Rue escarpée que l’on nommait Saint-Jean

        Et ce deux siècles auparavant ?

 

        Qui ? Peut-être ce couple qui se promène,

        Avec l’enfant dans le landau,

        À qui je souhaite un bonjour

        Qu’il me retourne.

 

Derrière moi, ce terrain anodin recèle les vestiges d’une villa romaine

Révélés par une fouille lorsque je n’étais pas encore de ce monde.

La cave et ses soupiraux furent épargnés par la mécanique

Et offerts à notre savoir et à nos divagations teintées de rêve.

 

Tous ces secrets à peine voilés me font dire que la routine n’est pas le fait

De vivre le même quotidien mais d’y apposer le même regard.

Que ton œil garde la curiosité qui pétille dans l’œil des enfants

Et chaque journée que tu vis t’apportera son écot de nouveauté

Et de charme…

Ces balades, où le temps est celui de la nature, qui ne compte

Ni les heures, ni les révolutions de la terre,

Est le terreau de ces découvertes que je veux partager avec toi.

Alors, si tu le peux, vas sur ces lieux que je dépeins et jouis de tes sens.

 

Ces lieux sont le cadre d’un tableau, celui du bonheur,

Que tu peins avec les couleurs que sont tes sens.


 

                            Aux Damps,

                                     le samedi 5 avril


 

Sur le chemin des Haies


 

La chaleur dans le dos,

Le parfum des fleurs qui virevolte dans les airs,

Quelques filaments blancs en guise de nuages,

Je m’oriente maintenant vers Pont-de-l’Arche.

 

Le Chemin des Haies, ce long chemin qui domine l’Eure,

Tel une petite corniche, se resserre pendant un instant

Qui s’interdit aux moteurs.

 

Ici, à l’ombre d’un mur et d’une haie,

Le piéton savoure le raccourci

D’un rare espace qui lui est réservé.

 

En bas, deux pêcheurs perdus entre les branches

Occupent l’entrée du bras mort,

Le tout en silence et à l’insu de tous, ou presque.

 

Les insectes s’activent, sous ce soleil d’avril,

Tout comme les propriétaires de terrains

Non loin du "passage des Thuyas".

 

Ici et là, dans les cours, ou derrière la grande usine,

Des parterres de béton apparaissent à la surface

Comme des couches géologiques.

 

Une oie passe à l’instant et m’interrompt.

Toutes ailes déployées et impressionnantes

Elle va, d’Est en ouest, en exprimant

De rapides gémissements essoufflés.

 

Ces étendues bétonnées témoignent de l’emplacement

D’une base aérienne anglaise datant de la Grande Guerre.

On réparait ici les moteurs dans des bâtiments parfois disparus.

On se restaurait dans ce qui est, aujourd’hui,

Le Café des Dardanelles et l’on occupait l’usine qui demeure.

 

Le nom de la rue est, une fois encore, révélateur : la rue des Dardanelles.

Ce nom commémore les terribles combats qui firent rage au large

De l’actuelle Turquie et qui meurtrit les Français et les Anglais,

Unis face à l’Ottoman et l’Allemand de ces temps.

 

Alors qu’une fourmi me chatouille, un sac qui vole à l’horizon

Rappelle à mon regard l’usine de briques rouges,

Symbole d’un temps qui fait écho dans ma raison

Comme celui de la chaussure et du chausson.

C’est le temps de l’industrie, des abus des uns

Sur le faible, l’honnête : c’est un temps éternel et humain, trop humain...

 

C’est le temps de la grande grève de 1932,

Sous les yeux de la gendarmerie à cheval :

La plus grande manifestation qu’aient connue

Les Damps et Pont-de-l’Arche.

"Morel à l’iau ! Morel à l’iau ! Vivent les dix pour-cent !"

Criait la majeure partie des gens de la région

Dans les rues médiévales du chef-lieu de canton.

 

Cette usine symbolise, à elle seule,

Sa période : grâce à son toit de sheds

Fabriqué selon la dextérité anglaise ;

Et le pays de ses origines d’où nous vint,

Aussi, la révolution industrielle,

La brique rouge systématique et

Le train qui roule toujours à gauche…

 

En face d’elle, des pans entiers des Damps

Ont grandi depuis l’Armistice et, depuis peu,

Grâce à d'entières familles heureuses de vivre

Dans un cadre aussi accueillant et je les comprends.

 

Un faisceau blanc pourfend le ciel à la suite d’un lointain avion.

Arrivé au Val des Damps, je ne peux que penser à Octave Mirbeau,

Ce journaliste, cet écrivain, épris de justice sociale.

Il  appela de tous ses vœux une société libertaire en réaction à

Une économie dont il voyait les méfaits sur le peuple des Damps,

De Pont-de-l’Arche et de partout ailleurs, et à une République

Qu’il jugeait pas assez sociale et radicale.

Je pense ici à lui car c’est là qu’il habita,

Quatre ans durant après 1889, dans un cadre qu’il aima

Et qu’il décrivit par ces mots que je vous livre…

 

    « Je ne retrouverai nulle part un spectacle aussi admirable que celui là.

Toute la vallée de la Seine, la vallée de l’Andelle, au loin s’ouvrant derrière le mont des Deux Amants, et tout près de nous l’embouchure de l’Eure.

Le petit village des Damps est bâti, près de l’embouchure de l’Eure, sur un bras de la Seine que sépare du grand fleuve une île plantée de hauts peupliers et d’oseraies abandonnées, maintenant envahies par une flore exubérante et vagabonde qui donne l’impression d’une jungle mystérieuse. Du grand bras de Seine, caché par le niveau de l’île, on n’aperçoit que la rive droite, plate, nue, découvrant par places les écorchures blanchâtres d’un terrain marneux. La plaine ensuite, çà et là semée de bouquets de trembles et de pommiers solitaires, s’étend en paisibles carrés de cultures, jusqu’à des coteaux aux souples ondulations, aux pentes orangées, couronnées de forêts, dont la tache sombre s’attendrit, se voile de bleu léger et semble se vaporiser avec la brume qui monte, soir et matin, des nappes d’eau et des prairies riveraines. Gaiement éparpillés sur une même ligne, des villages longent le pied des coteaux, et leurs toits rouges et leurs façades blanches éclatent parmi les verdures estompées. Un peu vers la droite, la plaine s’élargit, les coteaux s’exhaussent en montagnes et s’ouvrent brusquement pour laisser voir un espace très lointain, très bleu et très rose, une enfoncée de vallée qu’on dirait remuante et légère autant que des nuées. Le spectacle de cet horizon est délicieux à regarder ; il est d’une douceur infinie, d’une lumière opaline, exquise, rendue plus exquise par la dureté des premiers plans et la complication de leurs arabesques emmêlées. Durant les mois d’automne, le brouillard y promène ses rêves fugitifs et ses mystères changeants dans la fine transparence de ses voiles argentées. »

Octave Mirbeau

 

Dès lors, notre balade littéraire nous amène à emprunter

La rue Morel-Billet, voie que se partagent les villages

Des Damps et de Pont-de-l’Arche.

 

Nos premiers pas archépontains nous montrent un petit ange

Dessiné dans le bout de plâtre isolé dans la façade de pierre

De la dernière bâtisse, à gauche, avant la grande route de Rouen.

Un ouvrier s’amusa à imiter l’artiste qui donna aux églises

Tout son savoir faire, il y a des siècles.

 

Franchissons le pont qui eut l’insigne honneur

D’être inauguré par Pierre Mendès France.

L’intérêt de quitter Pont-de-l’Arche et de gagner les terres d’Igoville

Est d’avoir un point de vue imprenable sur la cité millénaire…

 

 

Igoville,

le samedi 5 avril

 

Au fort de Limaie

 

Sous le ciel limpide, à l’abri du vent,

Le soleil double sa superbe

En faisant de la Seine le miroir de sa majesté.

 

La chaleur monte au visage et seule une brise

Parvient à percer le bouquet végétal, derrière moi,

En face de Pont-de-l’Arche, au lieu dit "Le Fort".

 

Ici, face à la Seine, en contrebas de l’actuel pont,

Je suis avec un ami sur les bases de l’ancien ouvrage

À l’endroit même du pont de Charles le Chauve,

Ce roi qui, en 862, voulut barrer la Seine aux Normands.

 

Ce lieu, inaccessible jusqu’à la semaine passée,

Où mes mains n’écrivirent mais frayèrent

Un passage à travers les ronces,

Est un promontoire humain

Qui montre le point de départ du pont

Qui menait à la rue Alphonse Samain,

Au centre ville de Pont-de-l’Arche.

 

Nous sommes assis, les jambes dans le vide,

À l’endroit même de la porte du château de Limaie,

La forteresse qui défendait le pont et qui disparut il y a deux siècles.

 

Combien de milliers de mil de passages !

Et quel silence aujourd’hui…

Il n’y a plus que l’esprit pour aimer à rêver

Au trot du cheval tirant la charrette.

J’imagine ce bruit de herse, s’éveillant dans mon dos,

Laissant place au trot de ce cheval fantôme

Qui me traverse : il apparait à mes yeux,

S’éloignant sur ce pont, puis entre dans Pont-de-l’Arche

Entre deux remparts et sous la maison du portier.

 

C’est un luxe de l’esprit que de créer ce qui n’est pas

Et ceux qui ne sont plus.

C’est un lèse de l’automobile que de me réveiller de ce rêve.

 

Mais, ce qui me console, c’est le cadre naturel :

Le déversoir laisse entendre, par intermittences éoliennes,

Ses rêves où il s’imagine en cascade de Mortain

Ou même, l’orgueilleux, en chute alpine.

 

Le soleil scintille çà-et-là sur l’eau tout comme l’image des isles

Qui font rêver celui qui ne connait pas même le village d’à côté.

 

Et, droit devant, l’église, toujours imposante,

Laisse apparaitre par transparence

La lumière provenant de derrière deux vitraux.

La tour de Crosne, de même,

Par l’alignement de ses deux fenêtres,

Est percée d’un rayon de lumière

Qui fait d’elle le phare tardif

D’un port qui n’est plus.

 

Les iles verdissent mais, manquant d’arbres,

Laissent à Pont-de-l’Arche la place qui doit lui être impartie :

La première dans le paysage. Or, ici, fait singulier,

Peu d’annonces criardes le long de la route.

Aucune pollution visuelle, de ce côté-ci de la Seine,

Pour le grand commerce – le grand appât –

Ou de la grande industrie ne nuit au paysage et au cadre de vie.

 

Je songe à cette ville où je vécus enfant et adolescent

Avant de gagner Les Damps tout en allant

Apprendre l’étude historique au Havre de Grâce.

Je me dis que, tout en évoluant, la bourgade a gardé son charme.

Elle n’a jamais rompu avec la tradition qui, certes,

N’est pas un point d’attache mais constitue un point de repère :

Elle nous dit d’où nous venons et donc qui nous sommes

Afin d’évoluer tout en restant nous-mêmes,

Afin d’évoluer sans nous dénaturer

Et sans dénaturer nos enfants par là même.

 

Mais ce fil ténu de l’évolution est mal compris

Entre ceux de la révolution qui du passé veulent faire table rase

Et taire ses enseignements et ceux de la tradition

Qui se ferment aux solutions actuelles

Que propose et impose une situation nouvelle.

J’aime à me voir, tel l’arbre, prenant mes racines

Dans le terreau de mes ancêtres et

Me déployant vers de nouveaux horizons : nul extrême.

 

Une péniche interrompt mes considérations

Le "Bay Trader" va aval et gagne Rouen

En claquant les vaguelettes sur les berges du fleuve.

 

Le soleil décline, en cette fin d’après-midi,

Et illumine l’horizon du couchant,

Laissant avec parcimonie

Aux blanches maisons du centre ville

Quelques rayons aux façades bien orientées.

Les oiseaux volent au-dessus de l’eau

En quête d’insouciants moustiques.

Les voitures reflètent – une seconde à peine –

L’astre déclinant par leurs vitres.

 

Mais Pont-de-l’Arche mérite mieux qu’un regard lointain,

Même à la base de son ancien pont, son acte fondateur.

Approchons nous…

 

 

À Pont-de-l’Arche,

le 6 avril

 

Lumières nocturnes

 

Si la plume prend ses pauses,

La prose ne tarit pas sous l’effet bénéfique des Muses

Qui m’insufflent les doux airs de lyre de la vie.

Nos déesses me réchauffent le cœur et je me sens en sécurité,

Lové dans la blanche chaleur de leurs bras,

Quand je les entends entonner les chants

Qui louent le plaisir de vivre au milieu des hommes,

Dans la culture et la quête du bien-être en société.

Chose étrange, alors que Clio, l’Histoire, est la déesse

À qui je donne le plus de temps et adresse le plus de pensées,

C’est Polymnie, la Poésie, qui me susurre depuis deux ou trois jours

Les notes que je joue à la lyre qu’est ma plume.

Parfois même, Érato, la tendre et triste nostalgie,

Me chante sa mélopée que je sème çà et là dans mes vers.

Ainsi quelques fleurs tendrement nostalgiques

Apparaissent dans les recoins du tableau que je dépeins.

Érato est aussi belle que ses sœurs avec ce timide sourire

Des jours où le soleil intérieur peine à se lever.

 

Je reviens donc, bien plus tard, voir ce paysage

Que chaque instant renouvèle,

Que chaque heure recolore,

Que chaque couleur redécore.

 

La moitié de la nuit a sonné sous l’infinité céleste ponctuée d’étoiles,

Et je me suis posté à l’affût de l’insolite, à l’endroit même du quotidien,

Assis sur une marche du tourbillon qui relie le pont à l’ile Saint-Pierre.

 

Les lampes et le va-et-vient automobile

Accompagnent ma prose nocturne.

L’obscurité du fleuve et de la rivière

Font écho – encore et encore – au ciel :

Les étoiles scintillent dans un ballet de clins-d’œil.

Bleu tout à l’heure, le ciel est désormais noir

Comme la rétine du chat que j’ai croisé en venant des Damps.

Le chat, ce furtif de nos nuits,

Était là, sur le muret du Val,

Dans la sempiternelle position du félin

Lorsqu’arrive l’homme inconnu ;

L’œil plus vif que jamais,

La tête basse tournant en un instant,

Une fois à droite, une fois à gauche,

Pour mesurer où sa fuite bondissante

Se traduira par le succès le plus assuré.

 

L’araignée, au milieu de sa toile,

A tissé son réseau, mortel,

Dans celui de la rambarde écaillée.

Elle qui attend l’imprudent moustique

Me sert de point de mire sur la ville

De Pont-de-l’Arche, au second plan.

Une partie de sa toile est déchirée

Mais l’autre trahit sa position

Car la soie relaie les lumières

Et révèle son piège fatal.

Non loin d’ici, l’Eure est comme un ruban

Qui brille et qui glisse avec aisance et douceur

Entre les doigts des herbes qui peuplent les rives.

Derrière elle, sur la place,

Quelques jeunes prisonniers de leurs voitures

Ne tardent pas à démarrer vers un nouveau samedi soir.

L’ironie des temps me prête à sourire :

Naguère, ils eussent gagné l’Hôtel de Normandie,

Au lieu même de l’actuelle banque,

Où la salle de concert accueillait

Le on ne peut plus local Monte Carlo Jazz band.

 

Ma frêle enveloppe corporelle tremble parmi cette fraicheur

Pourtant atténuée grâce à un vent qui tomba avec l’astre du jour.

Des odeurs d’herbages adoucissent – un instant – le climat

Grâce aux rayons précieusement recueillis le jour durant.

Mais le bourg dort au chaud :

Ses maisons blotties les unes aux autres

Rappellent un temps où la nécessité

Drapait les hommes de solidarité

Dans le tissu social qu’est la condition commune.

On a gagné la couette, où l’on tue encore le temps

À l’aide d’un écran … Ah si l’écran ne tuait que le temps…

Quand on le regarde de trop près,

On en oublie parfois jusqu’à son propre foyer.

La télévision jette le voile sur la parole, la lecture, les amis et

L’empathie qui sont les acteurs des riches et longues veillées…

 

Les anciennes pêcheries, au pied de la courtine,

Au pied de l’église et de la tour de Crosne,

Laissent rayonner leurs façades

Aidées en cela par la guirlande lumineuse

Qui éclaire nos vieilles rues.

 

Enfin, Notre-Dame-des-Arts, derrière mon araignée,

Reste grave et impassible. La forme de ses fenêtres

En ogive, lui confère un regard sévère et austère

Renforcé par un contraste entre sa façade éclairée

Et ses vitraux, son toit, qui rivalisent avec l’obscur céleste…

Il est vrai que l’Archange de la lumière descendit,

Une à une, les marches séparant le Paradis de l’Enfer…

Les Lumières et les Églises…

Mais mes doigts se crispent et mon imaginaire prend

De plus en plus les étoiles comme le scintillement

De lumières sur la glace… Je pars donc rejoindre

La chaleur de celle qui donne un visage à l’amour

Et un bonheur à mes jours.

Ma plume m’a dérobé trop longtemps

À sa présence, à ses précieux moments.

 

Je tais mon verbe et l’offrirai tout à l’heure au soleil.

 

À Pont-de-l’Arche,

le dimanche 6 avril

 

Le marché de Pont-de-l’Arche


Sortant du pont, sur ma droite, le dimanche matinal consacre

Le lieu privilégié de la balade le long des étals du marché.

 

Le ciel offre un mélange cotonneux

Tel un camaïeu de blancs et de gris.

Une légère bise nous rappelle

Que la dure saison n’a pas renoncé

À ses prétentions sur la Normandie.

Mais l’œil l’ignore, attiré par le fruit, le légume,

Le fil tissé aux couleurs de l’été.

Le regard se pose furtivement,

Pudeur oblige, sur le promeneur qui vient en face.

 

Je reste parfois incompris et éveille souvent l’étonnement

En consignant sur le papier quelques impressions glanées

Devant la demeure du luthier.

 

Les sacs s’emplissent à mesure que les billets glissent de main en main.

Le panier des anciens se balance paisiblement ou se protège sur le flanc.

 

Le repos dominical que symbolise le marché,

Où le contact humain reste privilégié,

Est un havre, le long de la rue Montalent,

Pardon ! de la rue Jean-Prieur.

Il est entouré de l’océan bruyant

Du véhicule roulant vers Rouen,

Ou de celui du ballet motorisé

De l’âpre quête de la place

De stationnement.

 

Le marché mêle, côte à côte,

Grands et petits, humbles et opulents,

Ainés et puinés, bérets et casquettes,

Dans une activité tout droit issue

Des temps immémoriaux.

Ici on croise l’ami, le voisin, la famille, les copains,

Ceux que l’on voit tous les dimanches

Et ceux que l’on revoit au gré des vents.

La discussion fait alors écho sur les murs anciens

Faits de sombres colombages, de rouges briques,

De blanches pierres et de clairs crépits.

Le tout se déroule autour de bavardages épars

Et d’éclats de rire de-ci de-là,

Sous la rouge coccinelle de l’enseigne.

 

Je me lève et pense à ces quelques pierres

Qui sont les lointaines filleules

Des pierres de taille depuis lors morcelées

Qui servirent à la construction

De la porte du rempart médiéval.

Cette porte, avec pont et fossé,

Se situait ici même…

 

Marcher le long de la rue animée,

C’est traverser des univers de senteurs

Aux horizons divers : viandes rôties,

Fruits du verger, légumes du potager…

 

Les cloches sonnent soudain annonçant la fin du catholique office

Alors que, à tour de rôle, on propose Jéhovah aux paniers déjà repus.

 

Je suis arrivé et installé, après le lent pas du marché,

Au buste de Hyacinthe Langlois où la sèche fontaine est envahie

Par les étals répandus sur la place.

Ce buste n’existe plus depuis la dernière guerre,

Mais en 1930, Edmond Spalikowski,

Grand amateur de culture et de Normandie,

Pouvait encore écrire ces quelques vers :

 

« Hyacinthe Langlois, poète archéologue

« Qui sur ta stèle vois, surpris, tendant le dos,

« Dévaler le troupeau bondissant des autos

« Échappées aux éclairs du mont Décalogue,

« Pour assaillir le pont cher à Charles le Chauve,

« Dans un mugissement de démon ou de fauve,

« Lève pour dissiper l’effroi de ta prunelle

« La tristesse de tes regards

« Que consolait jadis l’inflexion d’une aile

« Vers le sourire gothique

« De Notre-Dame-des-Arts,

« Reine aux fleurons de pierre en couronne au portique.

« Mais prête aussi l’oreille à l’argot des commères

« Bourdonnant à tes pieds aux étaux du dimanche,

« À leur langue salée, à l’invective amère

« Lancée en bon patois, les deux points sur les hanches

« Et tu reconnaîtras par ce verbe gaulois,

« Le sang fier de la race aux illustres exploits

« Dans les veines d’enfants des "machons" d’autrefois. »

 

Edmond Spalikowski

 

Mais le temps vient à me manquer :

Un rendez-vous familial m’attend

Lui qui consacre une institution

Bien française… le repas dominical.

Mon pas oublie la place Langlois

Sous les senteurs envoutantes

De la boulangerie, mais je reviendrai…

 

Pont-de-l’Arche,

le 12 avril



Dans les ruelles médiévales

 

Six jours ont passé et nous ont fait frissonner,

Eux qui sont les derniers soubresauts de l’hiver.

 

Le temps est redevenu clément et les ruelles archépontaines

Sont animées par les roues et les pas d’un samedi après-midi.

 

Quelques enfants dévalent la pente

Qui relie la fontaine à la Seine

Et ce grâce à leurs trottinettes.

 

Assis devant la cascade

Je prends le temps de voir les passants

Sortir et entrer d’un magasin à l’autre

Comme l’abeille butine de fleur en fleur

Le nectar de son quotidien.

Et les enseignes ne trompent pas,

Du Coccinelle aux Quatre-Saisons,

Car ici les senteurs se marient

Sous le nez du promeneur

Averti du conseil du vendeur.

 

C’est lorsque l’on est épris d’histoire

Que l’on en vient ici à s’étonner

De cette route qui descend et qui meurt

Avant même d’atteindre le bord de l’Eure

Et qui laisse apparaitre au loin

Les ruines désolées de l’ancien pont fortifié

Où tant d’armées croisèrent le fer.

 

C’est un bonheur de voir que la ville

Qui naquit pour des raisons belliqueuses

Est aujourd’hui un parfait havre de paix.

 

Les poutres anciennes sont repeintes

De toutes les couleurs, selon l’usage médiéval,

Et côtoient les façades, de plâtre ravalées,

Nées du vingtième siècle aux idéaux

De richesses et d’apparences.

 

Une façade présente de vieilles peintures,

Les réclames d’une chapellerie-mercerie,

Qui apparaissent comme un ancien maquillage

Qui a conservé un charme certain

À défaut d’un éblouissant éclat artificiel.

 

Un parterre de fleurs orne la rue

Devant le fleuriste qui remplaça,

Récemment, le cordonnier qui

Laissa le soin à l’usine Marco

De rappeler à nos contemporains

Le passé de la chaussure des Archépontains.

Tout comme les Ch’tis

Qui voient poindre dans leur cœur

Un soupçon de nostalgie quand

On parle de ceux qu’allotent à l’ fosse,

Je pense aux Archipontins

Qui, eux, allaient à la cauchure.

Comment qu’on l’appelait le père untel ?

C’était quoi son soubriquet ?

I’l’en avait bien un comme tout le monde ici.

L’Cat Qui Miaule, voilà son surnom,

Mais qu’est-ce que ça veut dire aujourd’hui ?

Cela voulait-y dire qu’il avait écorché un nom

Ou qu’il avait une grande goule ?

Mai j’sais pâs. J’sais juste qui l’était fâniâ !

 

Mais l’arc de cercle de la rue Blin m’appelle.

Il me propose de faire plus ample connaissance :

Avec l’hôpital qui fut un couvent

Qu’un chemin droit devant reliait à l’église ;

Avec la maison du gouverneur

Du Pont de l’Arche, au coude à droite ;

Avec l’ancienne Mairie, au coude à gauche,

Qui était le bailliage et la prison de l’Ancien-Régime.

 

Quelques pas plus loin la vue se dégage

Sur les arrières de la tour de Crosne et de l’église

Tandis que la maison du gouverneur dévoile

De nouveaux charmes sous un jour nouveau,

Un jour bien lointain de ceux où

Saint-Louis et Henri V vinrent ici.

 

Ce décor est impressionnant car il marie le cadre urbain

Aux charmes champêtres de ces arbres, toujours plus verts,

Qui sont les demeures des chants d’oiseaux.

 

L’église, dans laquelle j’entre,

Porte en elle une page d’histoire

Sous la forme du verre du vitrail du halage :

Le maitre de pont dirige les siens

Et les chevaux, de son dix-septième siècle,

Qui tirent l’embarcation peinant

À remonter le courant concentré

Entre les piles du vieux pont.

 

Et je sors du monument : les gargouilles m’inquiètent

Certes moins par la forme de leur sculpture

Que par le risque de chute qu’elles représentent.

 

Le cadran solaire tait le temps,

Qui se lisait selon les pas du soleil,

Car les nuages font leur entrée

Sur la scène du ciel normand.

 

Sous les échos de la place Langlois,

En contrebas à droite,

Je m’oriente vers le petit chemin,

La Sente de Beauregard,

Qui serpente derrière l’église

Et traverse l’ancien rempart.

Il me rappelle le village de Provence

Où la venelle escalade le caprice naturel d’une pente

Encline à exaspérer le promeneur.

Tout en gagnant l’Eure, cette brève descente

Laisse admirer combien les habitations entremêlent

Les toits et les façades dans un dédale de rues alors invisibles.

 

Les couleurs s’offrent à nouveau au regard

Quand la pierre cède la place au végétal

Qui borde la Seine et l’Eure.

 

Mais je me tourne vers ces verbes que j’étale et réfléchis sur le papier

Et je me dis que le mot exprime la pensée,

Épouse les contours d’un paysage et révèle un sentiment.

Autant Les Damps offre à ma prose un visage aux linéaments poétiques,

Autant Pont-de-l’Arche fait prendre à ma plume

Le cours littéraire d’une balade historique et touristique.

Aux Damps le lyrisme et à Pont-de-l’Arche la solennité

Prouvent que la littérature et le paysage

Font partie du domaine sentimental de l’homme.

 

Aucun lieu ne fait écho dans nos cœurs

S’il n’y a derrière le visage d’un être aimé,

S’il n’y a le souvenir d’un bonheur, d’un sentiment…

Le lieu n’est pas le nom d’un cadre géographique

Mais celui d’un espace sentimental : le tien, le mien…

Les lieux revêtent la richesse des sentiments :

La larme d’une chambre désormais vide ;

La nostalgie de temps heureux

Lovés dans le monde de l’amour maternel ;

Les rires partagés avec des alcoolytes du lycée ;

Les retrouvailles des parents et des amis

Après la distance d’un voyage…

Les lieux sont imprégnés d’humanité

Ce qui leur donne une dimension que

Ni les richesses du bout du monde

Ni l’empire d’à-côté ne revêtent.

Un charme ne se lit pas sur les traits du paysage

Mais sur les élans du cœur.

Un charme ne réside pas

Dans la beauté d’un visage

Mais dans le pouvoir, l’emprise,

D’une femme ou d’un homme

Sur nos sentiments.

Les sens et les sentiments doivent

Vivre et évoluer à travers les lieux et le temps.

Mon espace sentimental est différent du tien

Mais ils vivent côte à côte

Et, parfois, et c’est le cas des amoureux,

Ils s’entremêlent en partageant le même plaisir.

 

Et je poursuis la balade qui suit le cours de l’Eure

Entre le terrain de camping,

Où arrivent les premiers touristes,

Et la berge caressée par l’eau.

Le soleil ne danse plus au creux des remous de l’Eure

Car le voile vaporeux des nuages a drapé le ciel printanier.

Le soleil éclaire le voile blanc ce qui dessine une véritable

Feuille naturelle sur laquelle s’écrivent les rêves de ceux

Qui s’allongent sur les prés de l’été.

Il leur faudra attendre encore un peu.

 

Mais la crue de la Seine s’impose aux yeux du curieux

Qui peut lire, à la base du mur, sur l’anodine plaque :

"Crue 2 février 1910". Sa hauteur coupe le souffle

 

Et rappelle immédiatement la carte postale

De noir et blanc illustrée et maculée d’une belle plume,

Cursive et courbée.

 

Mais longer l’Eure c’est aussi croiser

Le petit pont qui mène à l’ile et

Qui garde pour lui son passé oublié,

Celui où ses semblables, parmi tant d’autres,

Formèrent le port artificiel d’Arromanches

En juin 1944, à la Libération.

Aujourd’hui, Pont-de-l’Arche

Garde en mémoire les plus connus

Des libérateurs de l’époque :

Rue Roosevelt, Charles de Gaulle,

De Lattre de Tassigny, Mendès-France…

Mais, à côté de ceux-ci,

Les résistants et les malchanceux

Ont leur part de souvenir :

Rue Cacheleux, Samain, Antoine, Bonnet…

Néanmoins, de nombreux noms

De ceux qui sauvèrent l’honneur de la Cité

Ont été oubliés : Roger et Jean Tardy,

Robert Doucerain, Victor et Berthe Désert…

Mais ce n’est pas tout, jeunes et moins jeunes

Se rappellent encore l’anecdote du grand père

Lors de l’exode de 1940 ou encore les canons français

Placés sur les remparts de Pont-de-l’Arche

Et bombardant l’Allemand arrivant sur les hauteurs d’Igoville :

Ce fut la dernière fois que les fortifications millénaires

Eurent une fonction militaire.

 

Toujours plus loin, vers l’abbaye de Bonport,

Le chemin prend des allures un peu écossaises

Lorsque l’on ouvre et referme sur nos pas

La clôture veillant sur les moutons.

Ici les anciennes barques sont toujours attachées

À leurs pontons ou à leurs amarres de fortune.

Leur proue pointue fait triste mine

Car elle manque de fraiche peinture

Et de nouvelles aventures.

Une barque apparait derrière

Le miroir qu’est la surface de l’Eure :

Elle touche le fond

Sous les derniers rayons

Qui parviennent à elle.

Ce lieu est le terrain propice au pique-nique de l’été,

Près du puits artésien et de la petite ferme

Sertie de haies à la normande.

 

Vers Bonport, se dresse à gauche

Une légère corniche restée naturelle

Et percée par d’anciennes carrières

Et ce à quelques pas de la Seine d’époque

Où l’on chargeait la pierre qui bâtit les villes de Paris à la mer.


 

Pont-de-l’Arche,

le 16 avril

 

Derniers rayons sur l’Eure

 

Désormais, c’est l’heure où les rayons solaires

S’étalent longuement avant de laisser place à l’ombre.

 

C’est le moment où les ombres s’allongent en fuyant

Le soleil qui se couche dans son berceau flavescent,

Mêlant le bleu-azur, l’or et les pourpres.

 

C’est le moment où les ombres s’allongent de plus en plus

Avant de recouvrir le théâtre des cieux.

Le soleil dépose encore, çà et là,

Les quelques langues roses du soir venu

Sur les vieilles barques où s’écaille la peinture.

 

Je suis assis sur la berge

Qui relie Bonport à Pont-de-l’Arche.

C’est elle qui accueille les moutons,

Qui bêlent au loin, rappelant ainsi la campagne.

 

Une barque retournée ferme les yeux sur son passé

Alors qu’une autre offre au regard la douce danse

Des reflets de lumière sur l’eau

Et qui ricochent sur son bois.

 

Le soleil, presque orange, double son visage sur l’eau

Laissant la berge isolée entre deux feux.

Néanmoins, les derniers rayons de la journée,

Véritable enclave estivale dans la beauté du printemps,

Ne parviennent plus à contenir le frai courant d’air

Qui remonte du calme courant d’eau.

 

Les poumons inspirent un air plus vif, dans sa tiédeur,

Qui laisse indifférents les canards

Remuant la surface de l’Eure.

 

Les moustiques virevoltent et s’entrecroisent

Sous les projecteurs solaires

Comme de furtives poussières.

 

Et le soleil descend lentement

De ses hauteurs olympiennes

Tel un dieu que l’on tutoie

Et devant lequel on ne baisse plus les yeux.

 

L’horizon invite l’astre à se retirer du paysage

Et à laisser les plaisirs d’aujourd’hui

Devenir, peu à peu, les rêves de demain,

Les rêves pour le lendemain.

 

Déjà affaibli derrière les branches des saules,

Pleurant son départ, l’astre d’or

Entre en terre derrière la presqu’ile de Freneuse.

 

Il prend la forme d’un amphithéâtre

Dans lequel il est enseigné à quiconque

Le plaisir, la fascination,

De voir un coucher de soleil

Et de ressentir pleinement la nature.

 

Le ciel perd ses accents dorés.

Une flèche de fumée relaie les rayons,

Désormais cachés, à la suite d’un avion.

 

L’Est se pare de rose et d’une auréole incandescente

Alors que les senteurs florales cèdent la place

Aux odeurs des herbages et des bords de l’Eure.


 

Pont-de-l’Arche,

le jeudi 10 juillet

 

 

Aux abords de Bonport

 

Sur le chemin de l’abbaye,

C’est une ou deux lieues qu’il me faut parcourir

Accompagné par le destin de l’Eure

Qui rejoint doucement celui de la Seine à Martot.