Pendant plusieurs mois, en 2010, Eric Gibert et Armand Launay ont joué les détectives en visitant plusieurs caves de Pont-de-l’Arche. Pour ces deux Sherlock Holmes il s’agissait d’en savoir un peu plus sur ces légendes racontant qu’au Moyen Âge de nombreux souterrains permettaient de circuler sous la ville...
Lampe-torche, appareil photo, stylos… Nos visites souterraines auront été très enrichissantes et nous auront permis de constater que de nombreuses caves sont munies de doubles fermetures quand elles sont reliées à l’extérieur. En effet, grâce à des trappes situées sous les trottoirs actuels, des escaliers reliaient directement les caves à la rue médiévale. Cela permettait de faciliter les livraisons de bois, de grains… En effet, en plus de la trappe donnant sous la rue, une porte verrouillait l’accès à l’escalier depuis la cave [1] (photo 1).
Cette double fermeture atteste que la crainte du vol est ancestrale. Comment penser, par conséquent, que toutes les caves médiévales étaient reliées afin de permettre une libre circulation notamment en cas d’urgence ? Quel intérêt auraient eu les anciens Archépontains de mettre leurs réserves à la disposition des visiteurs souterrains ? Ce que nous avons vérifié, c’est la séparation de caves en plusieurs compartiments suite à des divisions de propriétés qui ont nécessité, au XIXe siècle, la construction de murets et de portes en bois fermées à double tour (photo 2).
Ce sont précisément ces passages entre les caves qui ont dû alimenter les légendes faisant du sous-sol de Pont-de-l’Arche un réseau de circulation. Nous avons même souvent entendu que les souterrains de la ville étaient suffisamment vastes pour que circulent deux cavaliers de front. C’est dire la confusion entre cave et passage souterrain car si deux personnes pourraient monter à cheval sans trop de peine, dans certaines caves, cela ne faisait pas de ces espaces de stockage des voies publiques souterraines. En revanche, ces mauvaises interprétations ne tordent pas le cou à l’existence de vrais souterrains remontant à une période plus ancienne. Rien ne nous dit, d’un point de vue technique tout comme utilitaire, que de tels passages n’aient pas existé. Attention tout de même à ne pas confondre non plus les carrières souterraines avec de longs tunnels. La Maison de la Dame Blanche, aux Damps, est réputée avoir son tunnel qui la relie à notre ville puis l’ancienne abbaye de Bonport. Mais les personnes qui répètent ces propos ont-elles visité la carrière qui se trouve juste à coté de la plus ancienne demeure dampsoise située… rue des Carrières ? D’un point de vue architectural, les caves observées sont constituées d’un seul vaisseau en plein cintre. Certaines présentent de belles pierres de taille sans aucune autre espèce de décorations. D’autres, plus soignées, présentent un décor composé d’arcs doubleaux en pierres calcaires chanfreinées de même type que ceux de la Salle d’Armes (mais de moindre dimension, voir photo 3).
Ces caves sont constituées de moellons calcaires de petit appareil. Eugène Viollet-le-Duc [2] attache ce type d’arcs, pour les bâtiments civils, aux XIIe et XIIe siècle. A ces arcs doubleaux, on peut rattacher les voutes de portes d’escaliers observés dont une seule des deux arêtes est taillée. Une cave présente même une série de trois voutes d’entrée très bien conservées et très harmonieuses (photo 4).
Des soupiraux sont encore présents même s’ils sont trop souvent bouchés, ce qui limite considérablement l’évacuation de l’humidité. Nos visites nous ont aussi amenés à redécouvrir le four d’une ancienne boulangerie de la rue André-Antoine (photo 5).
Deux des caves visitées présentent des séries de cellules latérales de part et d’autre du vaisseau principal. Ces cellules offraient de multiples espaces de stockage et ce sans mettre en danger la résistance des caves les plus profondes. Les caves à cellules latérales sont caractéristiques de l’architecture francilienne du XIVe siècle. Les légendes que nous avons entendues font des cellules de ces caves des cachots ou des départs de souterrains (photo 6).
Enfin, cette étude nous aura permis de déterminer ce qui alimente la légende, c’est-à-dire une interprétation abusive des éléments qui composent les caves médiévales. Mais l’étude a toujours ses limites : les murs rejointoyés ou à moitié écroulés que nous avons observés dans certaines caves sont-ils des tentatives d’anciens propriétaires pour fermer des passages reliant leur cave à quelque passage, quelque tunnel (photo 7) ?
Le témoignage d’une personne présente lors de la démolition de l’usine Nion (Jeambin) est très clair : un long tunnel orienté Nord-sud faisait au moins 4 mètres de profondeur sur 4 de large a été mis au jour avant d’être bétonné deux jours plus tard. Les témoignages concordent aussi sur le passage du fond de la Salle d’Armes. Bouché lorsque cette cave est devenue un lieu culturel municipal, un passage très bas donnait accès à une galerie descendant vers l’église. Des Archépontains alors enfants ont pu s’y aventurer un peu avec des torches improvisées durant la Seconde Guerre mondiale. La rêverie est permise tant que l’étude ne peut être poussée à son terme. En attendant, ces visites nous auront permis de mettre la main sur un trésor : le patrimoine architectural médiéval souterrain et la sympathie des différents propriétaires qui nous ont ouvert leurs portes (et leurs trappes !). Nous les en remercions chaleureusement et précisons que nous sommes toujours disponibles pour visiter d’autres caves:)
Notes
[1] Nettement identifiable grâce aux arêtes taillés dans la pierre et aux passages des gonds.
[2] Célèbre architecte du XIXe siècle, auteur du Dictionnaire raisonné d’architecture.
Armand Launay
Pont-de-l'Arche ma ville
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