Lorsqu'on quitte Pont-de-l'Arche pour aller à Igoville ou Rouen, on emprunte une route (D6015) qui repose sur des arches que l'on découvre au bout de quelques années, quelques mois pour les plus observateurs : ce sont les arches du Diguet.
On se demande pourquoi on a construit des arches au lieu de fondations en terre, tout simplement. Un retour en arrière sur l'histoire de ces énigmatiques arches permet d'y répondre...
Lors de la création des fortifications militaires dont est issue la ville de Pont-de-l'Arche (IXe siècle), la voie principale reliait les antiques voies romaines par les stations que sont Caudebec-lès-Elbeuf et Fleury-sur-Andelle (en passant par Le Manoir, par l'ancienne route). Le premier document qui mentionne une voie allant de Pont-de-l'Arche au port d'Oissel date du XIIIe siècle (Charpillon & Caresme : article "Pont-de-l'Arche). Elle raccourcissait donc le chemin de halage entre Vernon et Rouen. Si une route qui traverse la vallée entre Pont-de-l'Arche et Alizay-Igoville dépasse l'intérêt strictement local, on peut donc imaginer que les arches remontent au moins à cette période.
Quant au nom, il est attesté en 1596 où des travaux de charpente furent entrepris à "l’arche du Diguet" sur le pont de Pont-de-l’Arche par Geofroy Gigault, maitre charpentier de Rouen (d'après Charpillon & Caresme). Selon toute vraisemblance, ce pont reliait la rive droite de la Seine (côté Igoville) au fort de Limaie (là où se trouvent actuellement la station-essence et l'auberge du Pressoir).
Nous retrouvons ensuite une représentation de ces arches dans l'atlas de Daniel-Charles Trudaine , intendant des finances et directeur des Ponts et chaussées. La portion de Pont-de-l'Arche fut établie par Jean-Prosper Mariaval (fils) vers 1759. Dans la reproduction ci-dessous, on les voit symbolisées par des ruptures sur la voie reliant Pont-de-l'Arche à Igoville.
En 1834, une délibération du Conseil municipal de Pont-de-l'Arche se fait l'écho du pont du Diguet. Les élus souhaitent qu'il soit démoli "tant il est vétuste et en ruines". Le gouvernement projette de remplir la chaussée sans arches. Les habitants d’Alizay s’y opposent car ils ont peur que "cela décuple les effets des inondations". En effet, jusqu’alors, les eaux s’échappaient toujours par les arches de ce pont. Les élus de Pont-de-l'Arche souhaitent qu'une étude soit menée afin de vérifier la pertinence de maintenir des arches en ce lieu.
En décembre 1834, les élus ont un rapport en main. La Seine déborde à 14 pieds d’eau. A 16 pieds, les eaux coulent sous les trois arches du sud du Diguet, qui désigne désormais toute la partie centrale de la vallée, là où passe la route. A 17 pieds, elles coulent sous l’arche la plus au sud, la plus proche de la ville de Pont-de-l'Arche. A 18 pieds, elles coulent aussi sous l’arche la plus au nord, côté Igoville. L’arche du Diguet est donc dans la partie la plus basse de la vallée en dehors du lit de la Seine. C'est la partie la plus utile à l’écoulement des eaux. La rapport nous informe que la Seine a connu une ou deux inondations en dix ans. Il note qu'en 1783, 1789 et 1793, toutes les arches ne suffisaient pas à l’écoulement des eaux et plusieurs membres du Conseil se rappellent être allés à Alizay en barque. Une partie des habitations d’Alizay étaient inondées.
Quand la Seine glace, les arches du grand pont de Pont-de-l’Arche glacent les premières (elles sont plus petites). Les eaux débordent vers le nord, vers Igoville, et charrient de grands blocs de glace qui passent sous les arches du Diguet. La débâcle arrive souvent avec la marée et le vent d’ouest évidemment.
En 1838, il est acquis que le futur pont du Diguet aura deux arches. Si nous n'avons pas la date de construction, nous constatons que ces arches ont été édifiées durant cette période à en voir l'architecture, encore visible, caractéristique du savoir-faire de l'époque.
Millésime gravé sur une des clés d'une des arches du Diguet. Elle commémore le niveau maximum des eaux, les premier et deux février 1910, lors de la célèbre crue centennale (cliché Armand Launay, février 2006).
Cependant, depuis la démolition du barrage de Saint-Aubin-lès-Elbeuf en 1934, les eaux de Seine ont largement baissé jusqu'au barrage de Poses. C'est ainsi que la plaine alluviale d'Alizay-Igoville est très rarement inondée. L'hiver 2018 nous a permis de renouveler notre regard sur cet espace car les arches ont vu passé de l'eau sous leur ombre et la Seine a mouillé la déviation d'Alizay. Cela rappelle les paysages d'antan où la Seine occupait bien plus souvent le fond de sa vallée.
Pour l'anecdote, l'arche la plus accessible est située le long de la rue de la gare, à Alizay... bien qu'elle soit à moitié enterrée par le talus de la nouvelle voie (voir notre article sur la gare).
Source
Délibérations du Conseil municipal de Pont-de-l'Arche
A voir aussi...
Le vitrail du halage ou Pont-de-l'Arche étape fluviale de Seine avant 1813.
Les grands travaux de la Seine dans la région de Pont-de-l'Arche dans les années 1930.
Armand Launay
Pont-de-l'Arche ma ville