L’Eure prend sa source dans le Perche à l’étang Rumieu (Eure-et-Loir). Depuis les travaux d’aménagement de la Seine en voie d’eau (1934), cette rivière a gagné plus de 10 kilomètres et se jette dans la Seine à Saint-Pierre-lès-Elbeuf. Autrefois, après 215 kilomètres elle se jetait dans la Seine aux Damps, au bout de la pointe de la Garenne (petit pont actuel).
L'Eure aux Damps, un cadre idéal pour les balades en famille...
La première mention écrite de l'Eure date de 885. Elle se trouve dans les annales du monastère de Saint-Bertin sous la plume d'Hincmar, l’évêque de Reims, qui écrivit que les Normands avaient laissé leurs navires aux Damps sur les berges de l’Eure, dite Authura.
Nous rapprochons ce mot d’atura, un mot préceltique signifiant « la source » que l'on retrouve dans de nombreux dictionnaires étymologiques. Ce nom a aussi donné Adour dans le sud de la France.
Mais comment Authura aurait-il pu donner Eure ?
Entre 1160 et 1170, Robert Wace nomme notre rivière dans le Roman de Rou :
« Rainault li parla a li : dessus l’ewe d’Eure
A Normanz l'envéia, ki sout la tenéure,
Manda lor k'il sace de son entreteneure »...
Ces rimes démontrent qu’on ne disait pas « Eure » mais éure ou ure… Comme le faisait Voltaire vers 1722 qui faisait rimer dans les chants VIII et IX de La Henriade le mot Eure avec nature et structure. Vers 1907 encore, Le Dictionnaire du patois normand en usage à Louviers et dans les environs de Lucien Barbe nous apprend que nos ancêtres disaient la rivière d’Ure ou la dure…
De Authura on a dû adoucir la dentale et prononcer Adura. Le "a" final a dû disparaître en même temps que le français s’est façonné, donnant Adour. Enfin, comme nombre de sons "ou" qui donnèrent un "u' dans les langues d'oïl, on dût prononcer L’Adure.
De là, étant impossible de différencier à l’oreille L’Adure de La Dure, le nom de la rivière a été raccourci en rivière Dure, la rivière d’Ure puis, bientôt, l'"éure" ou l'"ure".
La dernière étape a été la transformation du son "u" ou "éu" en "e". L'orthographe "Eure", attestée au XVIIIe, a dû jouer un rôle important en laissant planer un doute sur la réelle prononciation. Prenons l'exemple de "gageure". Beaucoup de nos contemporains prononcent "gajeure" alors que la prononciation est "gajure". Les rectifications recommandées par l'Académie française depuis 1990 lèvent le doute en orthographiant désormais ce mot "gageüre", l'accent étant porté sur le "u". Trop tard pour l'Eure...
Pour revenir à notre rivière, la prononciation locale "ure" a dû être concurrencée puis marginalisée par la prononciation "Eure" issue du français académique utilisé à l'oral par de nouveaux arrivants et à l'écrit par l'administration. Ensuite, la version "Ure" a dû être assimilée au parler normand local avec lequel elle a disparu puisque l'on a longtemps considéré, à tort, que les parlers locaux n'étaient qu'une déformation du français.
Sources
- Barbe L., Dictionnaire du Patois Normand en usage à Louviers et environs, Saint-Aubin-lès-Elbeuf, Page de Garde,1998, première édition en 1907, 127 pages ;
- Pluquet Frédéric, Le Roman de Rou et des Ducs de Normandie, volume 1, Rouen, Edouard Frère Editeurs, 1827, 414 pages.
Armand Launay
Pont-de-l'Arche ma ville