A Pont-de-l’Arche, le « procès de la truie » est un fait du Moyen Âge qui délie toujours les langues. Il faut dire qu’entre temps, des historiens se sont penchés sur cette anecdote aussi étonnante que populaire…
La cour intérieure du bailliage, à gauche les prisons pour femmes, à droite celles des hommes.
L'histoire ne dit pas dans quelle cellule nos coupables cochons ont été incarcérés avant leur exécution:).
Léon Braquehais (voir sources) dénombre deux procès de cochons meurtriers qui se sont tenus au bailliage de Pont-de-l’Arche, sorte de tribunal d’instance de l’Ancien Régime :
« En 1349 (…) on donna dix sous au bourreau de Louviers et à celui de Pont-de-l'Arche pour ardoir [bruler] deux porcs, qui avaient étranglé deux enfants. (Actes normands de la Chambre des Comptes. 1328-1350) ».
Puis « En 1408, le geôlier des prisons de Pont-de-l'Arche donna quittance de 4 sous 2 deniers pour avoir nourri pendant 24 jours un porc qui avait muldry et tué un petit enfant et qui, en expiation de ce crime fut pendu à un des poteaux de la justice du Vaudreuil (Eure) » [1]. Emile Agnel (voir sources) précise la date du procès, le 13 juillet 1408, et l’exécution au Vaudreuil de la sentence, le 17 juillet.
Faire un procès à un animal, voici une drôle de pratique – pour nous – qui n’était pas exceptionnelle au Moyen Âge. Le jugement à mort de cochons tuant de jeunes enfants se retrouve dans les archives comme, par exemples, en 1266 à Fontenay-aux-Roses, 1334 à Durval, 1386, 1356, 1480 à Caen, 1386 à Falaise, 1394 à Mortain, 1403 à Meulan, 1404 à Rouvres (Bourgogne), 1414, 1418 et 1479 à Abbeville, Savigny en 1457, Fresne-l'Archevêque en 1499.
Les animaux, quels qu’ils soient et y compris des essaims d’abeilles, étaient jugés par les autorités royales selon les mêmes procédures que les hommes. C’est ainsi que les jugements ont été consignés dans des procès verbaux et dans les comptes de dépenses de différentes prisons qui ont nourris les animaux avant leur exécution.
On retrouve ces pratiques principalement entre le XIIIe et le XVIe siècle comme le note Emile Agnel. Elles avaient un double objectif : attirer l’attention des propriétaires d’animaux sur leur responsabilité en les privant de leur bien ; attirer aussi l’attention des parents sur la surveillance de leurs petits en les exposant publiquement. Il semble que ce genre de procès ait marqué les esprits car, comme le note Léon de Duranville (voir sources), les Archépontains avaient encore en mémoire ces procès au XIXe siècle !
Un être humain étant concerné, les juges estimaient qu’un procès en bonne et due forme devait avoir lieu et, comme le note Emile Laignel, ils se fondaient sur le verset 21 du chapitre 28 de l’Exode (Ancien testament) disposant que « si un bœuf encorne un homme ou une femme et cause sa mort, le bœuf sera lapidé et l’on n’en mangera pas la viande ».
[1] Emile Laignel précise dans une note que "Dans une quittance délivrée le 10 octobre 1408 par un tabellion de la vicomté de Pont de l’Arche au geôlier des prisons de cette ville, les frais de nourriture journalière d’un pourceau, incarcéré pour cause de meurtre d’un enfant, sont portés au même taux que ceux indiqués dans le compte pour la nourriture individuelle de chaque homme alors détenu dans la même prison."
Sources
- Agnel, Emile, Curiosités judiciaires et historiques du moyen âge. Procès contre les animaux, Paris : J. Dumoulin, 1858, 47 p. ;
- Braquehais, Léon, Curieuses exécutions en Normandie au Moyen-âge, Rouen, E. Marguery et Cie, 1892 ;
- Duranville, Léon Levaillant de, "Deux anecdotes relatives au Pont-de-l'Arche", 13 pages, in Revue de la Normandie, juillet 1867, Rouen, Cagniard.
Voir aussi notre étude sur l'origine, l'évolution et l'intérêt architectural du bailliage
Armand Launay
Pont-de-l'Arche ma ville