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8 mars 2013 5 08 /03 /mars /2013 14:35

 

Dans l’église Notre-Dame-des-arts, le visiteur remarque les stalles grâce aux 12 lions qui les ornent et à leur disposition – en double rangées – autour du chœur. Le connaisseur peut s’étonner de voir ce type de mobilier dans une église paroissiale et il aura raison car elles viennent de l’abbatiale Notre-Dame de Bonport…

 

Stalles 1

Vue d’ensemble des 46 stalles de Notre-Dame-des-arts depuis la chaire (photo A. Launay, novembre 2012).

 

Définition des stalles (Wikipédia)

« Les stalles sont les rangées de sièges, liés les uns aux autres et alignés le long des murs du chœur des cathédrales ou églises collégiales et abbatiales, divisant les moines ou chanoines en deux groupes pour le chant (ou la récitation) alternative des psaumes de l’office divin. Ils ont la caractéristique de permettre deux positions : ou bien ‘assise’ ou bien (si le siège est relevé) debout, avec appui sur une ‘miséricorde’. »

 

Stalles 2

Les stalles sont une série de sièges stéréotypés dont on remarque ici la finesse des sculptures des séparateurs (photo A. Launay, novembre 2012).

 

Stalles 3

La miséricorde de la stalle de gauche est relevée. Elle permet ainsi à la personne de faire supporter son poids sur le meuble, et non sur ses jambes, tout en se tenant debout selon le rituel. La voix est libérée pour le chant. A remarquer, les accoudoirs en forme de spatules permettent de reposer les bras et donc de tenir aisément un livre (photo A. Launay, novembre 2012).     

 

Description des meubles

Au nombre de 46, les stalles de Pont-de-l’Arche ont été taillées dans du chêne, vraisemblablement à la fin du XVIIe siècle comme le laisse entrevoir le décor de feuilles d’acanthe. Elles sont disposées en deux rangées le long du nord, de l’ouest et du sud du chœur. L’entrée se fait par la nef, à l’ouest donc, qui dessine ainsi 4 formes en « L » autour du chœur. A chaque angle en retour d’équerre, à chaque extrémité, un lion couronne les stalles. Ils sont au nombre de 12 et constituent ce que nous aimons appeler le « chœur de lions ». Elles devinrent une propriété de la commune en 1905 et furent classées Monuments historiques le 28 décembre 1910.

 

Un héritage de la Révolution

Après la suppression des ordres monastiques par l’Assemblée constituante, le 13 février 1790, l’abbaye de Bonport et ses dépendances devinrent des biens nationaux Les 6 derniers moines partirent quelques mois après. Le 2 avril 1791, les bâtiments et les territoires de Bonport furent adjugés, contre 161 600 livres, à Alexandre Delafolie et Jacques Joseph Alexandre de la Fleurière. Cependant, l’adjudication excluait le mobilier de l’ancienne abbaye, celui-ci restant la propriété de l’Eglise. Ces biens furent partagés entre quelques églises locales selon l’arbitrage des administrateurs du district de Louviers. Saint-Vigor de Pont-de-l’Arche, devenue Notre-Dame-des-arts en 1896, acquit 46 des stalles du chœur et un chapier, aujourd’hui dans la sacristie. Emile Chevallier ajouta parmi ces acquisitions un « petit meuble de la seconde moitié du XVIe siècle » et un autel dont il retrouva la trace en 1812 dans les registres de  fabrique. Celui-ci fut placé dans le bas-côté nord, comme le confirme la toile de la Glorification du rosaire de la Vierge qui représente des moines cisterciens, portant la coule blanche et le scapulaire noir. Nous sommes aussi tentés d’y ajouter, parmi les biens venus de Bonport, la « balustre en fer qui sépare l’avant-chœur de la nef » citée par Emile Chevallier et qui délimite aussi le chœur des bas-côtés. Quant aux stalles, elles confèrent au chœur une intimité qu’il n’avait pas en l’absence de transept. Uni à la nef, le chœur en constitue quelque part le simple prolongement jusqu’à l’abside inachevée. L’acquisition des stalles est donc heureux pour l’église de Pont-de-l’Arche.

 

Stalles 4

Voici deux des six stalles de Bonport qui se sont retrouvées dans le chœur de l’église paroissiale Notre-Dame de Criquebeuf. A remarquer, au second plan, les autres stalles sculptées dans les mêmes proportions sans toutefois tenter d’imiter la richesse des décorations des stalles de Bonport (photo A. Launay, novembre 2012).

 

Les stalles de Notre-Dame de Bonport

Les stalles de Bonport étaient au nombre de 56. Six d’entre elles partirent dans l’église de Criquebeuf, quatre autres partirent à Saint-Cyr-la-campagne. Grâce à Émile Chevallier, nous pouvons imaginer ces 56 stalles dans le chœur de Notre-Dame de Bonport : « Les boiseries qui formaient le dossier des stalles restèrent à Bonport bien qu’elles eussent été exemptées de la vente (…). Des fragments de ces boiseries se voient encore notamment dans la bibliothèque, la galerie du premier étage et les deux pièces aménagées dans le parloir des moines. » [1]

 

Stalles 5

Les boiseries de la bibliothèque de Bonport sont partiellement issues des dossiers des stalles. Elles permettent de reconstituer un peu le décor du chœur de Notre-Dame de Bonport (photo A. Launay, 2010).

 

Stalles 6

Détail d’un pilastre cannelé issu des dossiers des stalles. Aujourd’hui dans la bibliothèque de Bonport, il est couronné d’un chapiteau ionien et d’un entablement à modillons (photo A. Launay, 2010). 

 

Emile Chevallier précise que, « grâce à ces témoins, la restitution du dossier des stalles n’offre aucune difficulté. Il était divisé par des pilastres en panneaux rectangulaires, mesurant environ deux mètres de hauteur. L’espacement des pilastres (1 m 31) correspondait exactement (…) à la largeur de deux stalles. Dans la partie supérieure des panneaux, une moulure en demi-cercle, formant une sorte d’encadrement, surmontait un médaillon circulaire encadré de jolies feuilles d’acanthe et de fleurs variées. L’entablement, haut de 0 m 40, était conçu dans le même style. La frise était coupée régulièrement, de distance en distance, par de fortes consoles répondant aux pilastres du dossier. » [2]

 

Stalles 7

Cette photographie du chœur de l’église abbatiale de Pontigny fournit un exemple d’ordonnancement de stalles et de leurs dossiers. Le chœur de Notre-Dame de Bonport, plus petit, dut ressembler fort à celui-ci (photo des frères Neurdein (avant 1905), base Mistral, ministère de la Culture).

 

Qui est le commanditaire des stalles ?

Datant de la seconde moitié du XVIIe siècle, il est tentant de consulter la liste des abbés de Bonport de ce siècle pour retrouver le commanditaire des stalles, œuvres non signées. L’entreprise est hasardeuse bien que des pistes puissent être ouvertes sur Henri de Bourbon, abbé de 1606 à 1668, qui fut aussi ambassadeur de France en Angleterre, le pays des trois lions normands. Mais l’on peut aussi conjecturer sur Jean Casimir, roi de Pologne et abbé de Bonport, qui compte des lions sur ses armoiries. On pourrait aussi conjecturer sur Henri III de Bourbon, comte de Clermont et sur son frère Louis-Henri de Bourbon. Nommés abbés respectivement à trois ans et à deux ans, Auguste Le prévôt précise que leur passage a donné lieu à « des travaux importants » [3]. Est-ce à dire que la part habituellement ponctionnée par les abbés commendataires a servi à l’entretien des lieux ? Assurément, alors les stalles ont très bien pu être commandées par un prieur. On le lit, il nous est impossible d’attribuer les stalles à tel ou tel abbé, ou prieur. 

 

La symbolique des lions

 

Stalles 8

Un des 12 lions ornant les stalles de Notre-Dame-des-arts (photo A. Launay, 2011). 

 

Douze lions couchés ornent chaque extrémité et retour d’angle des quatre meubles en « L ». Ils sont un plausible clin d’œil à Richard Cœur de Lion, roi d’Angleterre et duc de Normandie, fondateur de l’abbaye de Bonport en 1190. En effet, les lions du principal fondateur n’étaient pas oubliés à la Renaissance puisqu’ils figurent sur les armes de l’abbaye au côté de celles du roi de France, cofondateur de l’abbaye. C’est ce que nous apprend le Matrologe de la confrérie de l’Assomption de Gisors, document rédigé du XVe au XVIIIe siècle [4], qui reproduit les armes de l’abbaye juste avant le nom de Noël Maulduit, abbé de Bonport en 1537. Ces armes sont reproduites ci-dessous. Elles présentent les lions de Richard II, symbole des ducs de Normandie et des rois d’Angleterre, les lys de Philippe II et des rois de France et, enfin, la nativité du Christ, le bon port du fils de Dieu parmi les hommes, selon notre théorie.

 

Stalles 9

Les armes de l’abbaye de Bonport. Au premier, d’azur semé de fleurs de lys d’or. Au second, de gueules, à trois léopards d’or, l’un sur l’autre. Extrait du Matrologe de la confrérie de l’Assomption de Gisors, 1537 (AD27).  

 

Les lions des stalles n’ont pas été sculptés dans l’ignorance de Richard Cœur de Lion. Cependant, il est difficile d’avancer que cet hommage soit la justification première de ce symbole. En effet, on retrouve des lions dans bien d’autres églises et ces symboles trouvent leur origine dans les idéaux de communautés religieuses. C’est ce qu’atteste la fonction pratique des stalles qui accompagnaient les moines dans leurs nombreuses et longues messes. La miséricorde abaissée était propice au recueillement. Une fois relevée, elle permettait aux moines de se tenir debout, libérant la voix, mais en se reposant sur la miséricorde, dont le nom trouve ici tout son sens. Les accoudoirs de part et d’autre rendaient plus facile la tenue du missel.

 

Stalles 10

La référence à Richard Cœur de Lion ne peut être la motivation principale des moines qui ont décidé de se consacrer à leur religion. La présence de lions ornant les stalles dans d’autres églises, ici à Saint-Riquier (80), nous orientent vers d’autres pistes pour interpréter la signification de ce symbole… (photo d’Alain Devisme, avec son aimable autorisation, juillet 2010).

 

Remarquons que les lions sont aussi nombreux que les apôtres tournés vers le Christ. Pour les chrétiens, le Christ est le plus puissant personnage que la Terre ait porté. Il est normal que le lion, roi des animaux, puisse symboliser le Christ et la puissance de la foi. L’origine de la référence se trouve dans la Genèse où la tribu du patriarche Juda a pour emblème le lion. Il incarne l’autorité toute puissante sur la Terre, ce qui doit expliquer pourquoi 8 lions des stalles posent la patte droite sur une boule symbolisant la Terre. L’Apocalypse selon saint Jean précise, parlant du Christ (chapitre 5, verset 5) : « voici le lion de la tribu de Juda, le rejeton de David, il a le pouvoir d’ouvrir le livre et ses sept sceaux »… Les sept sceaux représentent une partie de l’histoire des hommes. Il s’agit d’une référence au Jugement dernier où le Christ reviendra et jugera les actes de chacun. C’est peut-être ce qui explique pourquoi 4 lions des stalles, côté nef, posent la patte droite sur un livre. Ce chiffre 4 se rapporte aussi au nombre des Evangiles. Le lion, depuis l’Antiquité, est un symbole de la sagesse et de la justice. C’est ainsi qu’il a orné les trônes de souverains partout dans le monde. Sa présence dans une église doit rappeler la force de la foi pour combattre le péché et gagner le Paradis.

 

Stalles 11

« La vision de saint Jean à Patmos », d’après Les Très riches heures du duc de Berry. Parmi les têtes couronnées du royaume des cieux, siégeant dans de belles stalles, Jésus Christ annonce à Jean la fin du monde précédant le Jugement dernier. Le lion est un des symboles de Jésus Christ. Dans l’Apocalypse, saint Jean le désigne sous le nom de lion de la tribu de Juda et lui attribue le rôle de juge souverain des âmes (musée Condé, Chantilly, ms. 65, f.17, par Wikipédia).   

 

 

Notes

[1] Chevallier Emile, Guide à l’abbaye de Bonport, page 13.

[2] Chevallier Emile, Notre-Dame de Bonport, étude archéologique sur une abbaye de l’ordre de Cîteaux, page 92.

[3] Delisle Léopold, Passy Louis, Mémoires et notes de M. Auguste Le Prévôt…, page 591.

[4] Archives départementales de l'Eure (G2120).

 

 

Orientations documentaires

Chevallier Emile, Guide à l’abbaye de Bonport, Pont-de-l’Arche, imprimerie Claude frères, 1906, 92 pages ;

Chevallier Emile, Notre-Dame de Bonport, étude archéologique sur une abbaye de l’ordre de Cîteaux, Mesnil-sur-l’Estrée : Firmin-Didot, 1904, 120 pages ;

Collectif, Matrologe de la confrérie de l’Assomption de Gisors, Archives départementales de l'Eure (G2120), non paginé ;

Delisle Léopold, Passy Louis, Mémoires et notes de M. Auguste Le Prévôt pour servir à l’histoire du département de l’Eure, tome II, 1re partie, Evreux : Auguste Hérissey, 1864, 632 pages. Pont-de-l’Arche et Bonport : pages 572-593.

 

 

Stalles 12

Le fait que le lion pose la patte gauche sur la boule, représentant la Terre, démontre que nous avons ici affaire à un faux grotesque.

 

Armand Launay

Pont-de-l'Arche ma ville

http://pontdelarche.over-blog.com

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Quelques vues pour le plaisir des yeux clichés (Armand Launay, janvier 2014).
Quelques vues pour le plaisir des yeux clichés (Armand Launay, janvier 2014).
Quelques vues pour le plaisir des yeux clichés (Armand Launay, janvier 2014).
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Quelques vues pour le plaisir des yeux clichés (Armand Launay, janvier 2014).

Quelques vues pour le plaisir des yeux clichés (Armand Launay, janvier 2014).

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commentaires

I
Thanks for sharing the pictures as well information for installing the choir zones. I could easily understand the installation from the picture of the abbey church of Pontigny that you have shared. It is a very old and priceless picture.
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A
Merci de votre commentaire !
M
<br /> Bonne et heureuse année de la part d'un MARTIN DIT DUPRAY origine Criqueboeuf...<br />
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A
<br /> <br /> A vous itou ! Beau nom de famille<br /> dites-moi;-)<br /> <br /> <br /> <br />
V
<br /> J'aime beaucoup ces stalles. Elles donnent un charme indéniable à cette église qui est superbe.<br />
Répondre
A
<br /> <br /> Tout à fait d'accord ! ++<br /> <br /> <br /> <br />

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Mes activités

Armand Launay. Né à Pont-de-l'Arche en 1980, j'ai étudié l'histoire et la sociologie à l'université du Havre (Licence) avant d'obtenir un DUT information-communication qui m'a permis de devenir agent des bibliothèques. J'ai acquis, depuis, un Master des Métiers de l'éducation et de la formation, mention Lettres modernes. Depuis 2002, je mets en valeur le patrimoine et l'histoire de Pont-de-l'Arche à travers :

- des visites commentées de la ville depuis 2004 ;

- des publications, dont fait partie ce blog :

Bibliographie

- 20 numéros de La Fouine magazine (2003-2007) et des articles dans la presse régionale normande : "Conviviale et médiévale, Pont-de-l'Arche vous accueille", Patrimoine normand n° 75 ; "Pont-de-l'Arche, berceau de l'infanterie française ?", Patrimoine normand n° 76 ; "Bonport : l'ancienne abbaye dévoile son histoire", Patrimoine normand n° 79 ; "Chaussures Marco : deux siècles de savoir-plaire normand !", Pays de Normandie n° 75.

- L'Histoire des Damps et des prémices de Pont-de-l'Arche (éditions Charles-Corlet, 2007, 240 pages) ;

- Pont-de-l'Arche (éditions Alan-Sutton, collection "Mémoire en images", 2008, 117 pages) ;

- De 2008 à 2014, j'ai été conseiller municipal délégué à la communication et rédacteur en chef de "Pont-de-l'Arche magazine" ;

- Pont-de-l'Arche, cité de la chaussure : étude sur un patrimoine industriel normand depuis le XVIIIe siècle (mairie de Pont-de-l'Arche, 2009, 52 pages) ;

- Pont-de-l'Arche, un joyau médiéval au cœur de la Normandie : guide touristique et patrimonial (mairie de Pont-de-l'Arche, 2010, 40 pages) ;

- Pont-de-l'Arche 1911 I 2011 : l'évolution urbaine en 62 photographies (mairie de Pont-de-l'Arche, 2010, 32 pages) ;

- Mieux connaitre Pont-de-l'Arche à travers 150 noms de rues et de lieux ! (Autoédité, 2019, 64 pages) ; 

- Déconfiner le regard sur Pont-de-l'Arche et ses alentours (Autoédité avec Frédéric Ménissier, 2021, 64 pages) ;

- Les Trésors de Terres-de-Bord : promenade à Tostes, ses hameaux, Écrosville, La Vallée et Montaure (publié en ligne, 2022) ;

- Les Trésors de Terres-de-Bord : promenade à Tostes, ses hameaux, Écrosville, La Vallée et Montaure (version mise en page du précédent ouvrage, édité par la mairie de Terres-de-Bord, 2023).

Depuis 2014, je suis enseignant à Mayotte.

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