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4 septembre 2021 6 04 /09 /septembre /2021 10:39

Pour beaucoup, Igoville est une simple étape sur la route départementale 6015, une voie vers Rouen. Pour les 1 742 Igovillais, en 2018, leur commune est aussi ‒ et plutôt ‒ un agréable lieu de résidence, avec maints services et située, en effet grâce à la route, près des bassins d’emploi de Rouen, de Val-de-Reuil, voire de Paris. Nous proposons ici une balade afin de ne pas passer à côté de cette charmante localité, ses paysages et quelques éléments de sa riche histoire.

Igoville près Pont-de-l'Arche. Vue générale. Carte postale des années 1910 conservée aux Archives de l'Eure sous la cote 8 Fi 345-1 et consultable en ligne.

Igoville près Pont-de-l'Arche. Vue générale. Carte postale des années 1910 conservée aux Archives de l'Eure sous la cote 8 Fi 345-1 et consultable en ligne.

Nomades du fond de vallée

Avec Alizay, Igoville recouvre un des plus riches espaces archéologiquement étudiés ces dernières décennies dans la partie nord-ouest de la France, ceci grâce à la vigilance du Service archéologique de la DRAC et aux multiples exploitations de sablières fournissant l’explosion immobilière depuis la Seconde guerre. En effet, en 2007 et 2008, des fouilles préventives furent entreprises le long de la Seine près du hameau appelé Le Fort et principalement dans le territoire alizéen. Nous ne distinguerons pas, ici, dans quelle commune les découvertes ont été réalisées car cela n’aurait guère de sens. Un article très précis a été publié par Bruno Aubry (et alii) : “Une occupation du Tardiglaciaire Alizay-Igoville (Eure)” dans une publication faisant suite aux Journées archéologiques de Haute-Normandie. Harfleur, 23-25 avril 2010. L’INRAP (Institut national de recherches archéologiques préventives), a ainsi pu étudier en profondeur les lieux entre 2011 et 2013 et ce avant l’exploitation d’une nouvelle sablière. Les archéologues ont ainsi mis au jour des traces d’occupation humaine dans le fond de la vallée depuis le paléolithique, c’est-à-dire la dernière glaciation (il y a 12 000 ans). Ils ont montré une utilisation humaine régulière des lieux, qui se présentaient alors sous forme de chenaux peu profonds, où les hommes pêchaient et chassaient du petit gibier, notamment grâce à deux passages à gué entre les iles. Des trous de poteaux ont montré que des constructions étaient occupées dès que les eaux le permettaient. De très nombreuses découvertes, inédites dans l’ouest de la France et sur une aussi longue période, font des fouilles d’Alizay et Igoville une référence en matière de datation et d’identification de vestiges. Les auteurs de l’article cité notent que les preuves de la présence humaine se sont raréfiées à partir de l’âge du fer (vers - 800 ans avant notre ère). Nous pensons que la relative disparition des traces humaines en ce lieu s’explique par l’ensablement et l’envasement dus aux alluvions plus nombreuses. En effet, avec la révolution de l’agriculture, à partir de laquelle on définit le Néolithique, les terres déboisées des plateaux durent rapidement s’éroder et encombrer le fond de la vallée de la Seine. Les chenaux peu profonds et variés durent devenir des marécages puis être convertis en terres cultivables à mesure qu’ils s’asséchèrent une grande partie de l’année. C’est ce que l’on peut observer sur une carte topographique actuelle où l’on voit un ancien bras de Seine partant du Manoir et longeant sûrement Alizay, Igoville puis Sotteville. Désormais asséché dans ces communes, il ne subsiste qu’à Freneuse. Il est possible d’imaginer un premier chenal de Seine près du centre actuel d’Igoville dont le Nigard, espace marécageux existant encore au début du XXe siècle, semble constituer le dernier vestige. 

Tombes médiévales mises au jour au pied du rempart de Limaie durant la campagne de fouilles de 2011 à 2013 photographie de l'INRAP).

Tombes médiévales mises au jour au pied du rempart de Limaie durant la campagne de fouilles de 2011 à 2013 photographie de l'INRAP).

 

Une sédentarisation dans la vallée et, surtout, le long du coteau

Un rapport de diagnostic établi sous la direction de Miguel Biard et intitulé Rue de Lyons, Le Bout de la ville, Igoville (Eure) a été édité par l’INRAP en 2017. Le site fouillé semble situé près des écoles. Le scientifique fait état d’un diagnostic portant sur 11 000 m². La fouille “a livré une petite concentration de silex taillés. Découverts à une profondeur de 1,50 m dans un contexte stratigraphique alluvial, des tessons centimétriques de céramique orientent l'attribution chronologique vers le Néolithique.” Le Néolithique précède l’âge du bronze, c’est-à-dire avant 2200 ans avant notre ère d’après le site de l’INRAP. Autre diagnostic, celui présenté dans le rapport de Charles Lourdeau édité par l’INRAP en 2021 et intitulé Route de Paris, Impasse Bellevue, Igoville, (Eure). Au pied du coteau, un peu en surplomb du rondpoint, les archéologues ont mis au jour des vestiges datant vraisemblablement de 900 à 700 ans avant notre ère car leur ancienneté est estimée de “la toute fin de l’âge du Bronze (Ha B2-B3) ou du tout début de la période hallstattienne (Ha C)”. “Neuf fosses de grande dimension et quelques trous de poteaux” ont été identifiés plutôt au sud du chantier. Charles Lourdeau précise l’intérêt de la céramique retrouvée afin de “compléter la vision de l’occupation de ce secteur au cours de la Protohistoire ancienne et également de développer les corpus encore restreints sur ces périodes en basse vallée de Seine normande.” 

Quant au fond de la vallée, il a été exploité de longue date, comme nous l’avons vu, mais semble être devenu moins propice à l’habitat, même provisoire. C’est ce que semble montrer, à moins de trois kilomètres de là, le chantier de la zone industrielle du Clos-pré, à Alizay conduit par Cyril Marcigny. Mené d’avril à novembre 2017, il fait l’objet d’un rapport succinct sur le site Internet de l’INRAP sous le nom de Des traces de pas millénaires en Normandie. Les découvertes s’étalent du Néolithique ancien (début du Ve millénaire) au tout début du premier âge du Fer (vers 800 avant notre ère). Les archéologues tentent de retracer trois phases pendant lesquelles abondent les découvertes : la première, située autour de 2100 à 1900 avant notre ère, présente un ou deux bâtiments bâtis sur une légère motte au milieu de chenaux. Des palissades, des quais, des ponts et des passages à gué ont été mis au jour ainsi que des activités de combustion, “des aires de débitage de silex et de traitement des céréales. Au-delà de la zone habitée, la vallée est utilisée pour le pacage des animaux.” La seconde période, sur près de 1000 ans, est celle d’un vide humain après, semble-t-il, un combat comme l’indiquerait la présence de balles de frondes parmi des traces de pas. Puis, les scientifiques notent une nouvelle habitation entre 900 et 800. Cette habitation préfigure-t-elle les petites fermes du fond de vallée telles qu’on en voit au Moyen Âge à La Maison rouge (Alizay), Limaie (Igoville) et à Houlgate (Sotteville-sous-le-val) ? 

Il est possible que les hommes habitassent le fond de la vallée à la bonne saison et qu’ils remontassent au pied du coteau lors des hautes eaux. On mesure que la sédentarisation des hommes s’est faite au pied des monts mais n’a pas rompu, loin de là, le lien des habitants au fleuve, ses eaux potables et poissonneuses et ses iles propices au pâturage.

Igoville dans un extrait de la carte topographique de l'IGN et accessible sur le site Géoportail. On peut localiser ici les lieux-dits cités dans notre texte et mesurer l'isoplèthe (la courbe de niveau) des 10 mètres d'altitude au-delà desquels, plutôt à l'abri des crues, les habitations se sont concentrées au fil des siècles.

Igoville dans un extrait de la carte topographique de l'IGN et accessible sur le site Géoportail. On peut localiser ici les lieux-dits cités dans notre texte et mesurer l'isoplèthe (la courbe de niveau) des 10 mètres d'altitude au-delà desquels, plutôt à l'abri des crues, les habitations se sont concentrées au fil des siècles.

Des vestiges gallo-romains et francs

Une ambitieuse thèse a été soutenue quant à la présence gauloise à Igoville. En effet, un certain M. Ragon affirma, lors de la séance du 16 avril 1874 de la Société des antiquaires de l’ouest, que le toponyme Igoville dérivait du mot gaulois “Ingrande”, signifiant “la limite” et que l’on pouvait le rattacher au toponyme Uggade. C’est ce qu’il expose dans un article intitulé “Note sur l’emplacement d’Uggade, station sur la voie romaine de Paris à Rouen par Évreux et détermination du sens qu’il faut attacher à ce nom d’Uggade” paru dans le tome XIV des Bulletins de la Société des Antiquaires de l'ouest en 1877. La ville d’Uggade a depuis été rattachée au site de Caudebec-lès-Elbeuf où les vestiges gallo-romains sont légion, si l’on ose dire ainsi, comme l’expose avec clarté Frédéric Kliesch dans un article disponible en ligne et intitulé "L'antique Uggade (Caudebec-lès-Elbeuf, Seine-Maritime) et sa périphérie".  

La commune d’Igoville bénéficie d’un autre rapport de diagnostic archéologique. Il s’agit de celui d’Érik Gallouin et de Villa Valentina intitulé Les Sablons, Igoville, (Eure) et édité par l’INRAP en 2014. Dans ce qui est aujourd’hui la rue des Sablons, là où la société Marceau investissement fit construire un lotissement, les archéologues ont mis au jour “un dépôt monétaire très certainement éparpillé lors des labours successifs des terres. Il est constitué de plus d'une centaine de pièces de monnaies gallo-romaines…” mélangées avec de la céramique. On peut donc raisonnablement penser qu’une villa, sans v majuscule, existait en ce lieu. Il faut imaginer la villa comme la demeure principale d’un domaine agricole avec, assurément, des bâtiments annexes en bois et torchis pour l’exploitation des lieux et l’habitation de familles de paysans. 

Enfin, si le fait n’est pas rare dans la région, on peut signaler la découverte de plusieurs tombes franques dans l’emprise foncière igovillaise. C’est ce qu’on retrouve sous la plume de Dominique Cliquet dans le tome eurois de la Carte archéologique de la Gaule ; pré-inventaire archéologique publié sous la responsabilité de Michel Provost. Édité en 1993, la page 221 de cet ouvrage fait état de découvertes réalisées par Dominique Halbout-Bertin en 1990, aux Beaux-sites, soit : “deux sarcophages mérovingiens monolithiques, en calcaire tendre. La réutilisation semble attestée par la présence de deux squelettes dans chaque sarcophage.” Du mobilier a été trouvé : deux poinçons en fer et une imitation de monnaie de Tétricus. Il est aussi écrit que “Sur le versant nord de la vallée de la Seine, M. Brialy signale, en 1969, la présence d’ossements, de fragments d’un sarcophage en plâtre et de tessons de céramique mérovingienne.” De plus et enfin, la page citée mentionne l’infatigable Léon Coutil qui trouva au Camp-blanc des sarcophages formés de blocs de moellons ou de silex. Nous en déduisons que le territoire d’Igoville devait être parsemé de fermes régulièrement exploitées, notamment à La Pelaisière (le quartier près et au-dessus de la station-essence) et le vallon montant vers Les Authieux et Ymare, beau lieu s’il en est qui offre une douce transition entre le plateau de Boos et Rouen, d’un côté, et Pont-de-l’Arche et la voie vers Évreux, de l’autre côté. On imagine ici des vignes, dans ces toujours visibles terrasses, comme en témoigne la mémoire locale qui appelait "les vignes" un espace près du chemin de Devise à la limite avec Alizay. On imagine aussi la pratique du pâturage dans un sorte de petit bocage comme le montre toujours un peu le paysage autour de la ferme de La Folie et du Pré-Cantui. 

Extrait de "Chasteau du Pont de l'Arche" par Jacques Gomboust, extrait de l'ouvrage du cartographe Matthäus Merian (vers 1593-1650) intitulé Topographiae Galliae et publié en 1657.

Extrait de "Chasteau du Pont de l'Arche" par Jacques Gomboust, extrait de l'ouvrage du cartographe Matthäus Merian (vers 1593-1650) intitulé Topographiae Galliae et publié en 1657.

 

Étape fortifiée sur la Seine et faubourg de Pont-de-l’Arche

Plus haut dans cet article, nous avons vu, çà et là, que la plaine alluviale fut peu à peu abandonnée par l’habitat des hommes. Au Moyen Âge, on retrouve à peine et semble-t-il une ferme de Houlgate à Sotteville-sous-le-val et la Maison-rouge à Alizay, avec un bac vers Les Damps. Sur son territoire paroissial Igoville avait aussi son exception, de taille, avec la naissance du fort de Limaie. Nous développons cela dans un article intitulé Le fort de Limaie : un châtelet sur la Seine à Pont-de-l’Arche sur notre blog. Ici nous nous contentons de résumer ce fait qui a compté dans l’histoire de France. Charles II le Chauve réunit les grands de son royaume afin d’ériger un imposant système défensif sur la Seine et ce dans la finalité de barrer la voie, ou au moins ralentir, les envahisseurs scandinaves attaquant Paris et les grandes villes du royaume. C’était en 862, date où le roi fit venir ses barons dans le palais de son domaine de Pîtres. La finalité était de faire construire un pont avec un fort de chaque côté de la Seine. Étant donné les moyens techniques d’alors, ce pont ne put être érigé plus en aval. C’est donc un peu en aval de Pîtres, protégeant les confluents de l’Eure (voie vers Chartres) et de l’Andelle (voie vers Beauvais), qu’un ouvrage fortifié fut bâti entre 862 et 879. De lui, naquit la ville fortifiée du pont de l’arche, l’arche désignant, semble-t-il, la forteresse de l’autre côté du pont : le fort de Limaie qui fait partie de l'histoire igovillaise. Si cet ensemble n’a pas empêché les hommes du nord de devenir maitres de la Normandie, il a constitué un lieu de franchissement et de contrôle de toute cette partie sud de Rouen. Une ferme se trouvait en ces lieux qui est aujourd’hui partiellement occupée par l’Auberge du pressoir, restaurant qui propose une cuisine française de qualité.

A la fin du XVIIIe où a été réalisée la carte de Cassini (voici ici un extrait de Géoportail), Igoville apparait comme un village unique avec son clocher paroissial. Il est difficile d'imaginer qu'autrefois se trouvaient des fermes-hameaux éparses avant que n'émerge un chef-lieu central.

A la fin du XVIIIe où a été réalisée la carte de Cassini (voici ici un extrait de Géoportail), Igoville apparait comme un village unique avec son clocher paroissial. Il est difficile d'imaginer qu'autrefois se trouvaient des fermes-hameaux éparses avant que n'émerge un chef-lieu central.

L’émergence d’une paroisse dans un chef-lieu nommé Igoville

Nous l’avons montré, malgré d’immenses lacunes : l’habitat était mouvant, épars, mais continu à Igoville (comme partout ailleurs). L’émergence d’une paroisse et d’un chef-lieu autour de son église est une étape importante et éclairante de l’histoire locale. Selon Louis-Étienne Charpillon et Anatole  Caresme, auteurs du Dictionnaire historique de toutes les communes de l’Eure, dont le tome II est paru en 1879 : “La paroisse dédiée à saint Pierre a été formée au moyen d’un démembrement de celle de Pîtres.” Il s’agit d‘une supposition car Pîtres formait un vicus, un bourg gallo-romain, qui constitua ensuite une partie du domaine royal avant la naissance de la Normandie en 911. Le pont de Pont-de-l’Arche a été dénommé “pont de Pîtres” car il se trouvait sur le domaine royal. Cela indique sûrement que les hameaux d’Igoville et d’Alizay étaient réunis à la paroisse de Pîtres. 

L’implantation normande a, semble-t-il, modifié la donne. Le nom d’Igoville signifie le “domaine de Wigaut”. Wigaut est un nom d’origine norroise, autrement dit viking, et provient assurément d’un homme qui rendit service à Rollon ou à un de ses successeurs. Il fut gratifié d’un domaine agricole afin d’assurer sa subsistance ainsi que des revenus. Son nom est resté dans les mémoires et a été donné au fief principal, sûrement près de l’actuelle église Saint-Pierre. Un manoir seigneurial exista sans que nous ne puissions le localiser. 

Les amoureux de toponymie apprécieront de savoir, grâce à François de Beaurepaire à la page 130 de son précieux ouvrage intitulé Les Noms des communes et anciennes paroisses de l'Eure, que le nom d’Igoville est attesté sous la forme Vigovilla vers 1240, puis sous la forme actuelle dès 1340. La page Wikipédia d’Igoville note qu’on a affaire ici à une déformation courante en Normandie où les v et w initiaux s’évanouissent dans leur usage oral comme dans Incarville, Illeville et Ymare, par exemple. C’est ce qu’il advint pour Ingouville, quartier de l’abbé Cochet désormais inclus dans l’agglomération du Havre, et qui constitue le toponyme le plus proche d’Igoville. Igoville serait donc, parmi les noms de lieux, un hapax, c’est-à-dire qu’il n’apparait qu’une seule fois. Par ailleurs, nous nous demandons si l’ancien saint patron de Pont-de-l’Arche, Saint-Vigor, évêque de Bayeux, ne serait pas un jeu de mots avec la sonorité de Witgaut, seigneur local.

Revenons à la localisation du centre-bourg d’Igoville. L’emplacement du centre-village d’Igoville peut expliquer en partie la plus grande densité humaine parmi les hameaux locaux. Nous sommes ici au début de la partie insubmersible de la vallée mais proches des chenaux et donc des ressources de la Seine. De plus, nous sommes à l’entrée de la vallée, rue de la Ravine, montant vers Les Authieux, Gouy et surtout Rouen. Cette vallée doit son origine, outre le ravinement des eaux, à un ancien méandre de Seine fossilisé que nous abordons dans un de nos articles consacrés à Sotteville-sous-le-val. L’église Saint-Pierre se trouve à un carrefour, sous la ravine issue de “La vallée”, c’est son nom cadastral, et près du chemin longeant le coteau entre Pîtres et Freneuse, notamment. Qui plus est, nous soulignons un lien, sans savoir s’il a pleinement un sens, entre le nom de Saint-Pierre et l’entrée vers la vallée. En effet, saint Pierre est le guide de la religion chrétienne, fondateur de l’Église en tant qu’institution et autorité. Il est aussi celui qui détient les clés de l’entrée du Paradis. Or, Igoville a été un lieu de passage et un domaine ecclésiastique.

Igoville, dans la vallée de la Seine, se trouve au débouché d'un vallon rendant plus aisé l'accès au plateau de Boos, par Ymare, et offrant un raccourci entre Pont-de-l'Arche et Rouen (photographies d'Armand Launay, 2014).
Igoville, dans la vallée de la Seine, se trouve au débouché d'un vallon rendant plus aisé l'accès au plateau de Boos, par Ymare, et offrant un raccourci entre Pont-de-l'Arche et Rouen (photographies d'Armand Launay, 2014).

Igoville, dans la vallée de la Seine, se trouve au débouché d'un vallon rendant plus aisé l'accès au plateau de Boos, par Ymare, et offrant un raccourci entre Pont-de-l'Arche et Rouen (photographies d'Armand Launay, 2014).

La paroisse dans la mouvance de l'archevêché de Rouen

L’archiviste Charles de Robillard fit paraitre, en 1868, L’inventaire sommaire des archives départementales antérieures à 1790. Ce document est depuis numérisé et accessible en ligne. Dans la série des documents ecclésiastiques (série G, n° 1 à 1566), l’archiviste note que la paroisse d’Igoville, comme celle d’Alizay, dépendait de l’archevêché de Rouen. Il y est question, au XVIIIe siècle, de la présentation à la cure, c’est-à-dire de la nomination du curé : “Présentations à la cure de Saint-Pierre d'Igoville par les grands trésoriers de la cathédrale de Rouen : Claude Champagne de Séricourt, Jean-Baptiste de La Rue, docteur en Sorbonne. – Présentés : Jean Dujardin, curé d'Appeville ; – Antoine d'Ormesnil, Charles-Augustin Grenier.” L’archevêché percevait donc des droits sur la dime paroissiale. En 1748, “à Saint-Pierre d’Igoville, quinze corps de bâtiment [furent] consumés par le feu le 16 février (...) ; sept familles [furent] réduites à la mendicité.” Cette mention doit préciser que ces familles furent exemptées de dime pour cette année-là. Il y est aussi question, en 1747, de la “bénédiction par M. Esmangard, vicaire général de Mgr de Saulx-Tavannes, d'une chapelle au manoir de Claude-François Esmangard, à Igoville.” Il s’agit du château qui abrite aujourd’hui la mairie sur laquelle nous revenons ci-dessous.  

Du même travail de Charles de Robillard, mais dans le tome IV paru en 1887 et consacré aux liasses n° 4821 à 6220 de la série G, nous apprenons que Jean Dujardin, curé d’Igoville, ne percevait que le tiers de la dime, le reste revenant au trésorier de la cathédrale de Rouen. Le curé ne recevait aucune aide pour venir en aide aux pauvres de la paroisse en 1728. Un certain François Vallet était curé vers 1750.

Nous nous étonnons d’un lien, peut-être fortuit, dans ce patronage igovillais. En 862, Charles le Chauve confia la responsabilité du chantier du Pont-de-l’Arche à l’archevêque de Rouen, son bras droit, appelé Hincmar. Il passe aussi pour avoir doté cette grande abbaye, sûrement en dédommagement des dégâts subis lors des invasions scandinaves. Or, les paroisses d’Igoville et Alizay se trouvaient dans la mouvance de l’archevêché de Rouen au Moyen Âge. Est-ce là un hasard ou le résultat d’une attribution de revenus par le roi Charles le Chauve ? Toujours est-il que la chapelle Saint-Étienne, dans le château de Limaie, était une dépendance de la paroisse d’Igoville, selon MM. Charpillon et Caresme (dans leur article portant sur Pont-de-l’Arche). C’est donc par continuité géographique et administrative que ce faubourg de Pont-de-l’Arche, Le Fort, a été inclus dans la commune d’Igoville à la Révolution.  

L'église abbatiale Saint-Ouen de Rouen sur un beau cliché trouvé sur Wikipédia. Une partie de la richesse de cette abbaye provint des terres igovillaises.

L'église abbatiale Saint-Ouen de Rouen sur un beau cliché trouvé sur Wikipédia. Une partie de la richesse de cette abbaye provint des terres igovillaises.

L’abbaye Saint-Ouen de Rouen

L’abbaye Saint-Ouen de Rouen était l’un des plus grands établissements religieux de la Normandie orientale et ce depuis le temps des ducs. L’on peut toujours admirer l’église Saint-Ouen, ses jardins devenus publics et une partie de ses locaux conventuels qui accueillent l’hôtel de Ville. Les moines de Saint-Ouen possédaient énormément de terres sur le plateau de Boos et la presqu’ile de Freneuse. Igoville n’était pas en reste. Nous apprenons, dans la somme de MM. Charpillon et Caresme, que “Le 17 juillet 1198, Richard Cœur de Lion étant au château Gaillard, donne aux moines de Saint-Ouen, le village de Poses, en échange de Limaie, près Pont-de-l’Arche, l’étang de Martainville et la dîme des moulins de Rouen.” C’est une preuve indirecte de la présence des moines audoniens (adjectif de Saint-Ouen), avant 1198 et au moins à Limaie, dans la paroisse igovillaise. 

De cette propriété de Limaie, il semble que les moines aient conservé des droits sur un des trois moulins du pont de Pont-de-l’Arche. C’est ce que confirme le Répertoire numérique des archives départementales antérieures à 1790 rédigé par l’archiviste P. Le Cacheux. Consultable en ligne, le tome IV portant sur la série H, fait état des droits de l’abbaye Saint-Ouen de Rouen. La liasse 14 H 1191 porte sur la banalité du moulin. En 1407, la baronnie de Saint-Ouen obligea les “habitants d'Igoville à la corvée de charriage pour le moulin”. D’autres liasses rapportent des sentences de la baronnie de Saint-Ouen obligeant diverses personnes à la banalité du moulin, c’est-à-dire à payer une redevance même sans utiliser ses services. Une archive du 25 novembre 1493 montre que Jean Bitot, contre 2 sous et 6 deniers de redevance par acre, est autorisé à exploiter “une pièce de terre à Igoville, nommée le Val Varsolle, d’une autre pièce de terre au lieu dit le Brequentuit et d’un petit jardin à Igoville.” Par ailleurs, le Brequentuit est l’ancienne forme du Pré-Cantui de nos jours. La fiche Wikipédia d’Igoville cite, d’après cette même archive, “les essars de Brescantuit”. Faut-il y lire une étymologie norroise ? D’aucuns l’ont affirmé mais nous en doutons à la lecture de Un censier normand du XIIIe siècle : le Livre des jurés de Saint-Ouen de Rouen. Édité sous la direction d'Henri Dubois en 2001, il fait état des tous les droits de l’abbaye sur les terres et les gens redevables de céréales, taxes et services en nature entre 1262 et 1317. Les auteurs ont relevé 49 domaines audoniens essentiellement en Normandie. Dans chacun d’eux, des jurés devaient faire la somme des terres, des hommes et des redevances. De la page 138 à 144, il est question d’Ygoville, avec un y, ce qui en fait un des plus grands domaines. Les domaines sont cités, certains évoquent encore le caractère aquatique de cette partie de la vallée : le veet (gué), le port d’Ygoville, la noë (prairie inondable), les mares d’Ygoville, Langue dune… Quant au Pré-Cantui, il apparait sous la forme de Brequentel (page 144) et est cité à côté de la vente de Ricart le Bret. L’origine norroise n’est pas établie. Quoi qu’il en soit, l’abbaye Saint-Ouen était le plus grand seigneur possessionné dans la paroisse igovillaise. Un de ses plus grands domaines est devenu emblématique de la commune actuelle : le château-mairie.   

Le château-mairie d'Igoville selon un travail du dessinateur et éditeur de cartes postales Yves Ducourtioux.

Le château-mairie d'Igoville selon un travail du dessinateur et éditeur de cartes postales Yves Ducourtioux.

La place de la mairie en 2011 selon un cliché d'Armand Launay.

La place de la mairie en 2011 selon un cliché d'Armand Launay.

Le château-mairie, autrefois propriété de Saint-Ouen

La série H des archives de Seine-Maritime, citée ci-dessus, comporte la liasse 14 H 402. Celle-ci montre, dans une archive du 6 mai 1625, le père de l’abbaye Saint-Ouen agissant en seigneur d’une terre sur laquelle il autorise Louis de la Faye à construire un colombier “à charge de payer chaque année deux douzaines de pigeonneaux à la recette de Quièvreville et une douzaine au Trésor.” Quévreville était, en effet, le siège d’une des quatre baronnies audoniennes dans la région de Boos, une baronnie étant une sorte de chef-lieu sur plusieurs paroisses durant l’Ancien Régime. Puis, Jean, Jacques, Nicolas, David et Pierre de la Faye sont cités jusqu’en 1691. Sur cette terre se trouvait donc une demeure seigneuriale, assurément entourée d’une exploitation agricole. Il s’agit de la propriété où se trouve le château d’Igoville, aujourd’hui siège de la mairie, et le vaste parc alentour. Si le colombier a disparu après 1928 où nous retrouvons de dernières photographies le montrant, un beau et vaste manoir y fut érigé peu avant 1747. Nous lui avons consacré un article où nous reprenons quelques éléments de cette étude en citant ses différents propriétaires. Le fait le plus manquant est l’année 1990 où les élus, autour du maire Gérard Saillot, achetèrent le “château”, en piteux état, pour y aménager des logements et surtout la mairie, puis la bibliothèque… Il impose aujourd’hui à la place centrale une harmonie classique et donne à la municipalité igovillaise une aura étonnante par rapport à la taille de la commune. Celle-ci s’en sert dans son logotype qui reprend le château comme élément central. En effet, ce genre de communes, encore récemment rurales, possèdent généralement une école-mairie en brique de la fin du XIXe siècle. Celle d’Igoville se trouve dans le centre, près de l’église, et date de 1884. Une salle de classe lui fut adjointe dans la rue de la Ravine où se trouve aujourd’hui le Mini-réseau, voie ferrée miniature animée par une association de cheminots retraités. 

 

Photographies du colombier du "château d'Igoville" prises en 1928 par Marcel Maillard (1899-1977). Elles sont conservées à la Bibliothèque municipale du Havre et disponibles sur Gallica, partie numérique de la Bibliothèque nationale de France. Photographies du colombier du "château d'Igoville" prises en 1928 par Marcel Maillard (1899-1977). Elles sont conservées à la Bibliothèque municipale du Havre et disponibles sur Gallica, partie numérique de la Bibliothèque nationale de France.

Photographies du colombier du "château d'Igoville" prises en 1928 par Marcel Maillard (1899-1977). Elles sont conservées à la Bibliothèque municipale du Havre et disponibles sur Gallica, partie numérique de la Bibliothèque nationale de France.

En face de la mairie se trouve le Monument aux morts. Peint dans un bleu qui fut criard au début de ce siècle, il fait idéalement face à la maison commune. Sur son riche site qui répertorie par la photographie les Monuments aux morts, Serge Philippe Lecourt nous apprend qu’il s’agit d’un “modèle de série réalisé par le sculpteur Étienne Camus (1867-1955)” et créé dans la “fonderie Edmond Guichard” avant d’être “inauguré en 1921”.

Le poilu du Monument aux morts d'Igoville (photographie d'Armand Launay, 2006).

Le poilu du Monument aux morts d'Igoville (photographie d'Armand Launay, 2006).

La mystérieuse maladrerie

Près des Sablons, le long de la RD 79 à cheval entre Igoville et Sotteville-sous-le-val, se trouve une propriété appelée La Maladrerie. Un édifice datant de la première moitié du XVIIIe siècle s’y trouve entouré d’un mur en moellon calcaire. Ce mystérieux enclos est-il le vestige d’un ancien asile pour malades ? 

La page 97 de l’ouvrage de Pierre Langlois, édité en 1851 sous le titre de Histoire du prieuré du Mont-aux-malades-lès-Rouen, nous apporte des éléments intéressants. En 1289, le prieuré du Mont-aux-Malades, dans les hauteurs de Rouen, donna en échange à Laurent le Chambellan un fief de haubert entre Sotteville et Igoville appelé le “Fief aux malades.” Laurent le Chambellan, seigneur de Gouy, était doté d’une charge royale, panetier, qui consistait à fournir le pain à la table de son seigneur. Cela lui valait des droits sur certains moulins et sur la circulation des grains sur la Seine vers Rouen, comme nous l’avons abordé dans un article consacré à Gouy. Il fonda un hôpital, au Port-Saint-Ouen, appelé la Madeleine que nous abordons dans notre article sur Les Authieux-sur-le-Port-Saint-Ouen. Ce fut donc en tant que seigneur local et, semble-t-il bon chrétien soucieux de son prochain, qu’il se trouva lié au prieuré des hauteurs de Rouen qui a partiellement donné son nom à la commune de Mont-Saint-Aignan. La maladrerie igovillaise désigne donc le manoir du fief du prieuré dénommé Mont-aux-malades et non un asile pour lépreux ou autres personnes infortunées. MM. Charpillon et Caresme relatent, dans un article que nous avons reproduit sur ce blog, que ce fief fut vendu “le 27 mai 1621 à Jean Le Cornu, esc., seigneur de Bimorel, conseiller au Parlement de Rouen et commissionnaire aux requêtes du palais. Laurent Le Cornu, deuxième fils de Jean, sieur d’Igoville, trésorier de France à Rouen, donna tant à l’hôpital qu’à l’Hôtel-dieu et à d’autres maisons pieuses, plus de 100,000 écus, en sorte qu’il est regardé à Rouen comme le père des pauvres ; il vendit le fief aux Malades à Barthélemy Boivin, sieur de Bonnetot, conseiller aux comptes.” Nous voyons qu’il s’agissait d’un fief noble au même titre que les autres et que certains nobles continuaient à pratiquer la charité. 

Joseph Mallord William Turner, artiste anglais, visita la Normandie. Ici, sur les hauteurs d'Igoville, il a immortalisé cette vue plongeante où la visibilité sur Igoville et sa région est faible. La poussière de la voiture, les blanches lumières d'une radieuse journée font perdre en qualités documentaires ce qu'elles apportent en impression, en sensation. On s'imagine, harassés, prendre un temps de repos à l'ombre des deux arbres, avec ces voyageurs, près de la borne qui marque une étape du chemin entre Rouen et Paris. L'impressionnisme était là avant ses promoteurs officiels. Cette œuvre a, semble-t-il, été réalisée en 1833. On y lit tout de même la ligne droite vers le clocher d'Igoville puis le pont de Pont-de-l'Arche et la brèche, en forêt, par où file la voie.

Joseph Mallord William Turner, artiste anglais, visita la Normandie. Ici, sur les hauteurs d'Igoville, il a immortalisé cette vue plongeante où la visibilité sur Igoville et sa région est faible. La poussière de la voiture, les blanches lumières d'une radieuse journée font perdre en qualités documentaires ce qu'elles apportent en impression, en sensation. On s'imagine, harassés, prendre un temps de repos à l'ombre des deux arbres, avec ces voyageurs, près de la borne qui marque une étape du chemin entre Rouen et Paris. L'impressionnisme était là avant ses promoteurs officiels. Cette œuvre a, semble-t-il, été réalisée en 1833. On y lit tout de même la ligne droite vers le clocher d'Igoville puis le pont de Pont-de-l'Arche et la brèche, en forêt, par où file la voie.

La question de la voie royale : chronique de ses métamorphoses

Les auteurs s’intéressant au réseau de voies gauloises et, surtout, gallo-romaines, citent souvent la voie entre les villes de Caudebec-lès-Elbeuf, alors appelée Uggade, et de Radepont, alors dénommé Ritumagus. Il s’agirait d’une voie secondaire et bien mâlin serait celui qui établirait, avec certitude donc, le lieu de franchissement de la Seine. Sont pourtant cités, passim, Martot, Criquebeuf ou Bonport. Avec ironie, nous pourrions étendre la liste des actuelles communes riveraines en citant, Les Damps puis Poses… Ce qui semble plus certain est l’ouverture du fort de Limaie sur la voie en direction du Manoir puis vers l’Andelle. Cette ouverture vers le nord-est démontre que, après la réalisation du pont de Pont-de-l’Arche après 862, la majorité du franchissement de la Seine a dû se faire entre Pont-de-l’Arche et Igoville, les autres trajets se faisant toujours par des bacs disposés régulièrement le long de l’iau, nom populaire de la Seine. 

La voie partant de Pont-de-l’Arche vers Rouen est plus difficile à dater. Elle revêtit pourtant un enjeu dans la maitrise de la région qu’il serait dommage de taire. Pont-de-l’Arche constitua un nouveau franchissement de la Seine entre la voie du Vexin et celle de la rive gauche de la Seine par la forêt du Rouvray. À trois lieues de Rouen, la place-forte de Pont-de-l’Arche et celle de Limaie, à Igoville, faisaient partie de la première enceinte vers Rouen et ne devaient en aucun cas devenir une base arrière pour une armée ennemie ou des ligues rebelles. C’est ainsi qu’une voie semble avoir été créée dans le fond de la vallée, au nord immédiat du fort de Limaie et ce sur une série d’arches. Les arches actuelles se lisent toujours dans le paysage et nous leur avons consacré une étude où nous les datons, dans leur architecture, des années 1840. Ce sont les arches du Diguet, mot qui évoque toujours la digue, c’est-à-dire la levée de terre rendant la voie insubmersible. 

Il serait tentant de voir dans cette digue un vestige de fortifications complémentaires à celles de Charles le Chauve à Pont-de-l’Arche, fortifications permettant de faire obstacle à des pilotes souhaitant contourner le pont et le fort de Limaie et ce par des chenaux non encore comblés, surtout en temps de crues. 

Quoi qu’il en soit, et de manière plus certaine, cette voie sur digue était nécessaire pour assurer la continuité de la desserte sur ce qui est devenu une voie royale reliant Paris au Havre en passant par Rouen. Il était inconcevable que la desserte postale fût interrompue lors de crues entre la poste de Pont-de-l’Arche (à la cour du Cerf) et celle des Authieux. La voie contournait alors Igoville en passant au nord de la rue de Lyons, près de la station-essence, au nord de l’actuelle école et gagnait ensuite les hauts de l’église Saint-Pierre, la rue du Huit-Mai-1945, avant de gravir la côte des Authieux. La tentative d’évitement de toute zone inondable est nette et l’on peut même voir, dans la belle ligne droite entre Igoville et Alizay, la jonction entre ces arches insubmersibles et le pied du coteau sec en tout temps.

Cet extrait de la carte de Trudaine, datée de 1759, symbolise les digues qui nous intéressent entre Limaie et Igoville.

Cet extrait de la carte de Trudaine, datée de 1759, symbolise les digues qui nous intéressent entre Limaie et Igoville.

La voie sur digue entre Limaie et Igoville démontre l'intérêt majeur de la voie royale qui ne devait pas être coupée, même pas fortes crues. Les arches actuelles sont assez récentes puisqu'elles datent des années 1840. (cliché d'Armand Launay, 2006).

La voie sur digue entre Limaie et Igoville démontre l'intérêt majeur de la voie royale qui ne devait pas être coupée, même pas fortes crues. Les arches actuelles sont assez récentes puisqu'elles datent des années 1840. (cliché d'Armand Launay, 2006).

Igoville était naguère une étape de la voie Paris-Le Havre, juste avant Rouen. C’est ce dont témoigne une belle toile, déjà impressionniste, de William Turner, artiste anglais voyageant vers Paris. C’est ce dont témoigne, itou, une scène du film Les Grandes vacances, film de Jean Giraud daté de 1967, avec Louis de Funès dans le rôle principal. Sur la route du Havre, un personnage se fait prendre en stop devant un bar appelé Le Tonneau, dans la rue du Huit-Mai-1945, près du bar actuel : Le Sublim’s. C’est ce que l’on retrouve sur une page du site lieuxtournage.fr.

La rue du Huit-Mai-1945 dans le film Les Grandes vacances, tourné en 1967 (capture d'écran d'une page du site lieuxtournage.fr).

La rue du Huit-Mai-1945 dans le film Les Grandes vacances, tourné en 1967 (capture d'écran d'une page du site lieuxtournage.fr).

Entre temps, à la fin du XIXe siècle semble-t-il, Igoville bénéficia ou subit un deuxième contournement. La route nationale 6015 délaissa la rude côte des Authieux et prit une courbe dans l’actuelle rue de Rouen. Une carte postale des années 1910 témoigne de ce changement qui traite sobrement de “l’ancienne côte”. Cette voie se dirige depuis vers le nord en direction de Gouy par une pente, plus longue mais plus douce que celle des Authieux (la rue des Canadiens). C’est ce que l’on voit par une photographie aérienne des années 1950. Peu après, une voie de shunt permit de contourner le centre-village par une entaille dans le coteau calcaire entre la station-essence et le carrefour reliant le centre-bourg à la nouvelle route de Rouen. Cette entaille permet de voir des failles dans la roche calcaire qui témoignent d’anciennes exploitations de carrières. 

Comparaison de deux cartes postales, l'une des années 1910, et l'autre vraisemblablement des années 1950. Cette comparaison fait clairement apparaitre la désaffection de la route des Authieux, ancienne voie royale, au profit de la route de Rouen. On mesure aussi que le Monument aux morts de la commune a été déplacé.aquelle
Comparaison de deux cartes postales, l'une des années 1910, et l'autre vraisemblablement des années 1950. Cette comparaison fait clairement apparaitre la désaffection de la route des Authieux, ancienne voie royale, au profit de la route de Rouen. On mesure aussi que le Monument aux morts de la commune a été déplacé.aquelle

Comparaison de deux cartes postales, l'une des années 1910, et l'autre vraisemblablement des années 1950. Cette comparaison fait clairement apparaitre la désaffection de la route des Authieux, ancienne voie royale, au profit de la route de Rouen. On mesure aussi que le Monument aux morts de la commune a été déplacé.aquelle

Entre route et résidence

Un autre contournement, bien qu’indirect, existe depuis 1967 et l’ouverture de l’autoroute A13 dite de Normandie. Il n’a pas ôté le caractère routier d’une partie de la commune : le long de la route départementale 6015. Cette voie est de plus en plus empruntée, voire encombrée, ce qui a permis le développement d’une zone d’activités autour du véhicule (stations-essence, garages), de l’alimentation (l’hypermarché U) et de petits commerces qui ont fui le centre-village devenu purement résidentiel à mesure que la circulation en était détournée. La gare de Pont-de-l’Arche-Alizay a perdu une partie de son activité au profit de la route. Sa voie ferrée coupe toujours la commune d’Igoville entre, d’un côté, les habitations et, de l’autre côté, une plaine alluviale ponctuée d’étangs issus des sablières. Le hameau de Limaie a conservé lui aussi ce côté commercial, voire industriel, avec une zone d’activités comprenant notamment des carrières de sables et gravats. C’est aussi en ce lieu que se trouvèrent la première usine électrique de Pont-de-l’Arche, des écluses, un chantier naval et où la faïencerie Lambert produit toujours de l’artisanat de qualité. 

Citons aussi, près de la gare de Pont-de-l’Arche-Alizay les locaux de l’ancienne usine de chaussures de Charles puis Jacques Morel. Extension de cette industrie principalement localisée à Pont-de-l’Arche, il est très probable que l’usine Morel fut installée ici pour profiter d’une main-d'œuvre locale utilisant le train matin et soir par la gare contigüe, ou presque. Aujourd’hui, les locaux de l’usine Morel sont utilisés par Intervet où sont réalisés des produits pharmaceutiques à usage vétérinaire. Avec quelques autres usines, le secteur industriel apporte toujours un emploi local non négligeable. ​​​​​​​

Deux cartes postales des années 1910 vers et à Limaie, appelé zone du Fort aujourd'hui, et une photographie montrant l'Auberge du pressoir, restaurant de qualité en activité de nos jours (cliché d'Armand Launay, 2011).
Deux cartes postales des années 1910 vers et à Limaie, appelé zone du Fort aujourd'hui, et une photographie montrant l'Auberge du pressoir, restaurant de qualité en activité de nos jours (cliché d'Armand Launay, 2011). Deux cartes postales des années 1910 vers et à Limaie, appelé zone du Fort aujourd'hui, et une photographie montrant l'Auberge du pressoir, restaurant de qualité en activité de nos jours (cliché d'Armand Launay, 2011).

Deux cartes postales des années 1910 vers et à Limaie, appelé zone du Fort aujourd'hui, et une photographie montrant l'Auberge du pressoir, restaurant de qualité en activité de nos jours (cliché d'Armand Launay, 2011).

L'église Saint-Pierre sur une carte postale des années 1910.

L'église Saint-Pierre sur une carte postale des années 1910.

Saint-Pierre, l’église d’Igoville

L’église paroissiale Saint-Pierre se trouve dans la discrétion des ruelles du centre-bourg, c’est-à-dire un peu cachée ‒ et éloignée surtout ‒ du passage des contemporains. Bien que peu ancienne, elle a le charme des églises rurales de la région avec son petit clocher en flèche de charpente couvert d’essentes en ardoise, sa nef à deux pans et son moellon calcaire. Les voutes de ses baies témoignent de restaurations du XVIIIe comme le montre un millésime de 1790 et du XIXe siècle, ce que l’on voit à l’emploi de la brique, comme pour la sacristie (1881) et le porche du pignon est. Le chœur est un peu plus bas que la nef et est percé par une porte des morts, murée, par laquelle on accompagnait la dépouille du défunt après l’office funèbre.

Vues de 2014 sur l'église Saint-Pierre d'Igoville et son calvaire (photographies d'Armand Launa).
Vues de 2014 sur l'église Saint-Pierre d'Igoville et son calvaire (photographies d'Armand Launa).
Vues de 2014 sur l'église Saint-Pierre d'Igoville et son calvaire (photographies d'Armand Launa).

Vues de 2014 sur l'église Saint-Pierre d'Igoville et son calvaire (photographies d'Armand Launa).

Un calvaire dont le socle date du XVIe siècle constitue, avec des parties de muret, le dernier vestige de l’enclos paroissial où se trouvait le cimetière avant sa translation, rue de Porrentruy. Quel est le lien entre Porrentruy, commune du Jura suisse, et Igoville ? L’église donne un premier indice. En effet, et comme le rapporte la Plateforme ouverte du patrimoine (POP), proposée par le Ministère de la culture, l’église est enrichie d’un vitrail du maitre-verrier François Décorchemont, originaire de Conches-en-Ouche. Datant de 1992, il montre, comme le décrit la notice du ministère, “au premier plan, le Christ et saint Pierre se [faisant] face. Ils sont suivis des autres apôtres. Décor de palmiers. En arrière-plan, l'église de Porrentruy, en Suisse.” Le vitrail porte le texte suivant : “Offert par la paroisse de Porrentruy — 1948 — Tu es le Christ — Le fils du Dieu vivant.” Un blason de la ville de Porrentruy figure également comportant un sanglier. Quant au lien avec Igoville, au-delà de la religion, c’est un article de Paris-Normandie du mercredi 16 janvier 2008 qui nous renseigne. Plus précisément, un enfant du pays passionné d’histoire, Claude Bourgeaux, a mené son enquête. À la Libération, le maire d’Igoville, Henry Boillot, se servit de ses origines suisses pour demander de l’aide. Au-delà de colis et de dons pécuniaires, les habitants de Porrentruy ont proposé d’accueillir des enfants de familles nécessiteuses. C’est ainsi que 24 élèves igovillais séjounèrent un mois en Suisse en 1947 accompagnés par le maire et l’instituteur communal Léon Mautor. Les paroissiens de Porrentruy dotèrent l’église d’un vitrail qui, assurément, avait subi les combats. En remerciement, les édiles baptisèrent une artère de la commune du nom de Porrentruy, en présence d’élus de la municipalité jurassienne. 

Photographie du vitrail du maitre-verrier François Décorchemont offert par des habitants de Porrentruy, en Suisse, à la paroisse d'Igoville (base POP).

Photographie du vitrail du maitre-verrier François Décorchemont offert par des habitants de Porrentruy, en Suisse, à la paroisse d'Igoville (base POP).

 

Les combats de 1940

Proche d’un point de franchissement de la Seine, des forces armées se sont concentrées sur Igoville qui subit des dommages collatéraux. Nous avons consacré un article à ce qu’on a appelé le combat de Pont-de-l’Arche où les forces françaises du capitaine François Huet et quelques éléments britanniques opposèrent une belle résistance, les 8 et 9 juin 1940, aux panzers d’Erwin Rommel. Ce combat rendit plus difficile encore l’exode des civils, notamment rouennais. On déplore des décès parmi les troupes anglaise et française, au sein de laquelle des Sénégalais dont un nom de rue a été donné à Igoville. Le passage de la Seine a encore ralenti et endurci les combats à la Libération où l’on déplore à Igoville le décès de soldats canadiens, près du château de la Sahatte. C’est ce qui explique que la côte des Authieux ait été rebaptisée rue des Canadiens. 

 

Comparaison entre deux vues aériennes (vers 1950 et vers 2018, extraites du site Géoportail) qui montre l'urbanisation de la vallée de la Seine et donc l'accroissement du nombre des sablières afin de fournir une partie du matériau de construction.
Comparaison entre deux vues aériennes (vers 1950 et vers 2018, extraites du site Géoportail) qui montre l'urbanisation de la vallée de la Seine et donc l'accroissement du nombre des sablières afin de fournir une partie du matériau de construction.

Comparaison entre deux vues aériennes (vers 1950 et vers 2018, extraites du site Géoportail) qui montre l'urbanisation de la vallée de la Seine et donc l'accroissement du nombre des sablières afin de fournir une partie du matériau de construction.

Armand Launay

Pont-de-l'Arche ma ville

http://pontdelarche.over-blog.com

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4 avril 2021 7 04 /04 /avril /2021 08:22

 

Gouy est une charmante commune seinomarine de 879 habitants en 2018. Elle s’étend depuis le rebord du plateau de Boos jusqu’à la rive droite de la Seine. Cette commune regroupe, outre Gouy, une petite partie du Port-Saint-Ouen, La ferme de l’Essart, Les Foumares, Les Petits-Friés et le Bois-Varin. Elle se trouve au nord du méandre fossile des Authieux, ancien lit de la Seine qui culmine entre 70 et 80 mètres au lieu des 140 à 155 mètres du plateau. C’est d’ailleurs ce méandre ancien qui dessine le coteau d’Ymare, entre Saint-Aubin-Celloville et Igoville. Gouy se trouve donc à une altitude intermédiaire entre la vallée et le plateau. 

Quant à la toponymie, chose assez rare, elle semble claire. Gouy, comme ses homophones de l’Aisne, de l’Oise et du Pas-de-Calais, serait issu du nom d’un propriétaire dénommé Gaudius, signifiant “le joyeux”. Gouy est la forme normanno-picarde qui équivaut à Jouy comme on le retrouve, près d’ici, à Jouy-sur-Eure, et qui a la même origine. On appelle ses habitants les Gauvassiens, retrouvant dans le “v” la même évolution que le terme de jovial.

 

Vue sur Gouy par Dumée, illustration extraite d'ouvrage du marquis de Belbeuf : L’histoire des grands panetiers de Normandie et du franc-fief de la grande paneterie (1856).

Vue sur Gouy par Dumée, illustration extraite d'ouvrage du marquis de Belbeuf : L’histoire des grands panetiers de Normandie et du franc-fief de la grande paneterie (1856).

La grotte de Gouy ou “du cheval”

Un site Internet dévolu à la préhistoire est proposé par l’université de Liège qui diffuse des informations assez brèves mais précises sur la grotte de Gouy. Ce site, appelé Europreart, a été alimenté par Pierre Noiret et Veerle Rots, du laboratoire de Tracéologie qui se consacre à l’étude des comportements humains à travers l’analyse des traces préhistoriques en pierre, principalement du paléolithique et dans toute l’Europe. Les chercheurs nous apprennent que la grotte de Gouy a tout d’abord été visitée en 1881 puis découverte pour son intérêt historique en 1956 par Yves Martin qui la dégagea de ses éboulis. Des fouilles et plusieurs études furent alors entreprises jusque vers 1973, semble-t-il. Cette grotte est située le long de la route départementale 6015 et a été raccourcie en 1935 par les travaux de voirie. Son entrée se fait par un aménagement où une porte donne dans un étrange mur couvert de calcaire.

Entrée de la grotte de Gouy le long de la route nationale 6015 (Wikimédia).

Entrée de la grotte de Gouy le long de la route nationale 6015 (Wikimédia).

Son intérêt réside dans ses gravures rupestres datant, vraisemblablement,  de 10 000 ans avant Jésus-Christ. Une autre petite grotte était gravée à Port-Saint-Ouen avant d’être démolie pour laisser place au nouveau rondpoint et sa voie de shunt. Une seule autre grotte est comparable à celle de Gouy : la grotte d’Orival. Toutes deux constituent, pour l’heure et semble-t-il, les seuls lieux où des gravures rupestres ont été retrouvées au nord de la France. La grotte gauvassienne est riche des représentations de 18 animaux dont 7 cornus et 7 chevaux, 8 vulves et peut-être un homme. Nous voyons ici, semble-t-il, l’évocation de la vie qui se régénère comme on le désire, que ce soit par la sexualité, la reproduction mais aussi par l’abondance du gibier. Bien que cette grotte soit une propriété de l’État et malgré un classement aux Monuments historiques le 11 mai 1959, le site a été modifié et semble en péril d’après Yves Martin, lui-même, qui a publié un article au moins dans le numéro 23 bis (de décembre 2009) du bulletin municipal intitulé Le Gauvassien et accessible en ligne. Notons, par ailleurs, le souci pédagogique des élus locaux qui ont baptisé l’école communale “Préhistoval”.

L'emblématique cheval de la grotte de Gouy (capture d'écran du Gauvassien n° 23).

L'emblématique cheval de la grotte de Gouy (capture d'écran du Gauvassien n° 23).

 

Châteaux et seigneurs “grands panetiers” de Gouy

Le village de Gouy s’étale ‒ avec notamment de belles demeures datant du XVIIIe siècle ‒ le long d’un axe est-ouest. Il repose sur un sol argileux propice, semble-t-il, aux mares et donc au travail rural. Le bout du village de Gouy se trouve sur un éperon qui se dessine et domine à mesure que se creusent deux vallons partant vers la Seine : la vallée Moïse et le Fossé de la Vigne. Une voie menant à cet espace élevé porte toujours le nom de “clos Catelier”. Le clos désigne une délimitation avec obstacles comme un fossé, un talus, voire un rideau d’arbres. Le catelier est le mot normand équivalant à châtelet. Il n’est pas douteux qu’une fortification médiévale, peut-être sur une motte, protégeât le lieu avant qu’un château résidentiel ne le remplaçât à la fin du Moyen Âge, voire à la Renaissance. On peut imaginer que le compagnon de Guillaume le Conquérant, réputé “seigneur de Gouy” et qui combattit au côté de son duc à Hastings en 1066, résidait en ce lieu protégé. Qui plus est, la demeure nobiliaire actuelle, datée de 1755, est réputée construite sur une cave du XIVe siècle ayant soutenu l’ancien château.

Le fossé de la Vigne est un des deux vallons encaissés qui forment un éperon sur lequel des fortifications ont été érigées au Moyen Âge à Gouy. Son nom rappelle une culture autrefois répandue dans les boucles de Seine de la région de Pont-de-l'Arche, notamment (photographie de Frédéric Ménissier, aout 2020, merci l'ami !).

Le fossé de la Vigne est un des deux vallons encaissés qui forment un éperon sur lequel des fortifications ont été érigées au Moyen Âge à Gouy. Son nom rappelle une culture autrefois répandue dans les boucles de Seine de la région de Pont-de-l'Arche, notamment (photographie de Frédéric Ménissier, aout 2020, merci l'ami !).

 

Mais, pour en savoir plus, Gouy a la chance de disposer d’un ouvrage traitant de ses anciens seigneurs et de leurs droits. Il s’agit de L’histoire des grands panetiers de Normandie et du franc-fief de la grande paneterie, rédigé dans un beau style en 1856 par Antoine Louis Godart, marquis de Belbeuf (1791-1872). Ce livre est disponible sur Gallica et aussi, semble-t-il, en mairie. Bel ouvrage, précis, exposant largement ses sources, il propose une conclusion assez philosophique de la part d’un noble dont les pouvoirs ont été largement déchus par la Révolution de 1789.

Le marquis de Belbeuf s’intéresse à un privilège singulier ayant appartenu aux seigneurs de Gouy : la paneterie, c’est-à-dire la charge de fournir du pain. Le grand panetier de Normandie était chargé d’approvisionner la table du duc et avait ainsi des droits sur les boulangers de Rouen et sa banlieue ainsi que sur les moulins. Le blason gauvassien le rappelle depuis 1952 qui porte trois pains. 

Le marquis de Belbeuf retrace patiemment l’origine probable de cette charge et son évolution depuis Odon de Malpalu, bailli de Rouen, premier grand panetier, connu vers 1170, au côté d’Henri II, duc de Normandie et roi d’Angleterre. Cette charge resta chez les Malpalu qui bénéficiaient, en sus, du droit de franc bateau pour le transport gratuit de leurs cargaisons sur la Seine, entre Gouy et Rouen. L’auteur narre aussi qu’en 1204 où le roi de France Philippe Auguste devint maitre de la Normandie, le grand panetier devait être le chambellan qui était alors Brice Duplessis, châtelain du Pont-Saint-Pierre et de Gouy. Il est possible que le nom de “du plessis” désignât la haie fortifiée autour du château de Gouy. Quoi qu’il en soit, la charge de chambellan supplanta le nom de Duplessis et en 1256 on obtient la certitude que Laurent Chambellan, seigneur de Gouy, était grand panetier de Normandie. Nous ne retraçons pas tous les méandres du droit d’Ancien Régime mais cette charge est peu à peu devenue symbolique. En effet, un grand panetier du roi de France existait. Cette charge s’est transformée en droits divers pour se fournir dans les forêts de Rouvray et Roumare.

 

 

Le marquis de Belbeuf, très précis, nomme les différents seigneurs qui se succédèrent, parmi lesquels : les Duhamel, les Croixmare, un certain Beuve d'Auray, qui accueillit et aida et Henri IV dans la prise de Rouen, les Dumoucel, les Hellenvilliers, le sieur de Renneville qui vendit sa propriété en 1753 Jean Pierre Prosper Godart, marquis de Belbeuf, procureur général du parlement de Rouen. Celui-ci fit construire la demeure actuelle en 1755 comme rendez-vous de chasse. Il reste de l’ancienne propriété le colombier du XVIe siècle et des bâtiments des XVIIe et XVIIIe siècles. Le château de Gouy, comme on le nomme, fait l’objet d’une description à la page 26 du bel ouvrage de Clément Damé édité en 2010 par l’agglomération de Rouen et intitulé Promenade historique entre Seine et plateau Gouy et Saint-Aubin-Celloville. Il est accessible en ligne et présente une photographie, page 27, dudit château. 

 

L'église Saint-Pierre de Gouy et son if multiséculaire sur une carte postale illustrée des années 1910.

L'église Saint-Pierre de Gouy et son if multiséculaire sur une carte postale illustrée des années 1910.

 

L’église Saint-Pierre

Belle église rurale située aux confins de la commune, Saint-Pierre est à deux pas du château, ce qui suggère sûrement en bonne partie l’origine seigneuriale de ses dons et sa place dans le domaine ducal. Le marquis de Belbeuf écrivit que c’est le duc Richard II qui dota l’abbaye de Jumièges de la chapelle de Gouy. Cela explique peut-être l’implantation de la vigne, près d’ici, sur les versants de la Fosse à la Vigne ; les moines étant friands du vin de messe. La fiche de l’église Saint-Pierre de la base Mérimée recensant le patrimoine français avance qu’une chapelle précéda l’église Saint-Pierre, ce qui est probable. En effet, on apprend qu’en 1147, le pape Eugène III confirma la possession de Saint-Pierre de Gouy par les moines de Jumièges.

Saint-Pierre n’est pas protégée par le service des Monuments historiques. Cet édifice, composé d’un seul vaisseau allongé et orienté, présente pourtant un beau portail avec nef du XIIe siècle, remarquable à ses petites baies voutées en tiers-point, et remaniée aux XVIIe et XVIIIe siècles. Le transept, non saillant, est couronné par une flèche polygonale couverte d’ardoise, caractéristique des clochers du pays. Le porche à pans de bois date du XVIe siècle. Le chœur et la sacristie portent le millésime de 1885 avec emploi de la brique dans les contreforts et le mur-bahut, du moellon calcaire scié en remplissage et de grandes baies néogothiques. Enfin, Saint-Pierre est sertie dans un bel espace verdoyant, avec notamment un if, peut-être huit fois séculaire, classé parmi les arbres remarquables en 1932. Citons aussi une belle croix hosannière du XVIIe siècle.

L’église de Gouy ne possède que deux œuvres classées par les Monuments historiques au titre d’objets. Il s’agit d’une statue de la Vierge à l’Enfant-Jésus en bois taillé, doré et peint, classée le 21 février 1951. La seconde œuvre est une plaque funéraire, dite de “Robert Perrenot”. Cette sculpture sur pierre, datée de 1514, fut classée le 20 octobre 1913.

 

Vues diverses sur Saint-Pierre de Gouy et son if par Armand Launay, en aout 2020, souvenirs d'une rayonnante journée d'été.
Vues diverses sur Saint-Pierre de Gouy et son if par Armand Launay, en aout 2020, souvenirs d'une rayonnante journée d'été.Vues diverses sur Saint-Pierre de Gouy et son if par Armand Launay, en aout 2020, souvenirs d'une rayonnante journée d'été.
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Armand Launay

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19 janvier 2021 2 19 /01 /janvier /2021 11:08
Le quartier de l'église d'après un détail du plan terrier de la fin du XVIIIe siècle conservé aux Archives de Seine-Maritime (cote 12Fi77) et accessible en ligne.

Le quartier de l'église d'après un détail du plan terrier de la fin du XVIIIe siècle conservé aux Archives de Seine-Maritime (cote 12Fi77) et accessible en ligne.

 

Presque invisible lorsqu’on circule le long de la route Évreux-Rouen “Les Authieux-sur-le-port-Saint-Ouen” est une bien jolie commune résidentielle qui annonce la couronne rouennaise. Les constructions immobilières s’y succèdent depuis les années 1950. De 326 habitants en 1946 à 1 265 habitants en 2017, les résidences pavillonnaires, consommatrices en espace, ont largement remplacé les anciens vergers, surtout aux Quatre-chênes. 

Passées ces constructions nouvelles, voici le cœur du village d’antan : un village-rue dans le sens Gouy-Le Hamel, dans la vallée vers Tourville. Les cartes anciennes le montrent, l’église Saint-Saturnin a été bâtie en haut du val Hamel et, sûrement, là où résurgeait une eau potable ayant creusé et alimenté le vallon. Le clocher de l’église indiquait de loin l’endroit où la voie reliant Rouen à Pont-de-l’Arche, passant donc plus à l’est que celle d’aujourd’hui, formait un carrefour avec le chemin Gouy-Le Hamel. 

Le château de La Haye était donc excentré. D’ailleurs, la “haye” signifiait en ancien français un enclos protégé par des fossés et de la végétation dense. Il a sûrement remplacé un ouvrage défensif plus ancien et plus modeste qui barrait cet éperon au-dessus de la vallée tourvillaise.

 

Vues des Authieux grâce à des cartes postales illustrées des années 1910.Vues des Authieux grâce à des cartes postales illustrées des années 1910.
Vues des Authieux grâce à des cartes postales illustrées des années 1910.Vues des Authieux grâce à des cartes postales illustrées des années 1910.

Vues des Authieux grâce à des cartes postales illustrées des années 1910.

 

Dans le cœur historique des Authieux se trouve le clocher en flèche de charpente de l’église Saint-Saturnin. C’est une architecture typique de la région, au moins dans les villages de Boos et du plateau du Neubourg. L’église est humble et basse mais son clocher est visible depuis bien des points de la paroisse et ailleurs, à commencer par les chemins avoisinant le Pré-Cantui, entre Igoville et Ymare. Pour une église rurale, la nef est étonnante par son ampleur et son soin. Elle tranche, en effet, avec le chœur du XIIIe siècle. Avec le clocher, la nef date du XVIe siècle avec des remaniements du premier quart du XVIIIe siècle. Sa décoration est soignée et s’ancre dans une admirable ambiance gothique du début de la Renaissance. Ses baies sont amples et accueillent de belles verrières, du XVIe siècle itou, figurant de saints personnages. Plusieurs de ces baies sont protégées par un classement aux Monuments historiques depuis le 25 aout 1908, il s’agit de : l’Annonciation (baie 1), des scènes de la vie de la Vierge (baie 3), Sainte Anne, la Vierge, sainte Cécile (baie 4), sainte Barbe, saint Sébastien, sainte Catherine (baie 5), Saint Laurent, la mort de la Vierge (baie 7), saint Pierre et saint Michel (baie 8) et saint Saturnin, la Vierge, saint Nicolas.

 

L'église Saint-Saturnin des Authieux d'après deux cartes postales illustrées des années 1910. L'église Saint-Saturnin des Authieux d'après deux cartes postales illustrées des années 1910.

L'église Saint-Saturnin des Authieux d'après deux cartes postales illustrées des années 1910.

Vue sur Les Authieux depuis le Pré-Cantui, ou presque, entre Igoville et Ymare (photographies d'Armand Launay, aout 2020).Vue sur Les Authieux depuis le Pré-Cantui, ou presque, entre Igoville et Ymare (photographies d'Armand Launay, aout 2020).

Vue sur Les Authieux depuis le Pré-Cantui, ou presque, entre Igoville et Ymare (photographies d'Armand Launay, aout 2020).

 

Que de pieuses références, me direz-vous ? Mais le nom de la commune est doublement pieux : “Altaribus” nom trouvé dans une archive estimée entre 1015 et 1024, signifie les petits autels, les “autilleux” en normand. Ces authieux doivent désigner des oratoires, voire des chapelles, lieux de dévotion populaires autant que modestes étant donné les faibles revenus des quelques familles paysannes résidant ici en ce temps. L’autre partie du nom : Port-Saint-Ouen, provient des vastes propriétés de l’abbaye Saint-Ouen, siège de l’actuelle mairie de Rouen, qu’elles fussent à Ymare, Sotteville ou Les Authieux. Un petit port de Seine fonctionna ici qui alimentait Rouen. C’est même de ce petit port qu’Amfreville-la-mi-voie tient son nom puisque cette paroisse est à mi-chemin entre Rouen et… le Port-Saint-Ouen. La carte de Cassini nous apprend que Les Authieux était le lieu d’un relai postal, c’est-à-dire une poste à chevaux sur la voie Paris-Rouen. Il est vrai que ces pauvres chevaux devaient être bien fatigués par les impressionnantes côtes qu’on vienne d’Igoville ou du Port-Saint-Ouen. Lieu de passage s’il en est, Les Authieux s’est retrouvée sur une des voies majeures entre Rouen et Paris, avec celle du Vexin et celle, sur l’eau, de la Seine. 

 

Les Authieux, c'est aussi le Port-Saint-Ouen, nom du hameau situé le long de la Seine et parcouru par la route départementale entre Evreux et Rouen. Ici d'après des cartes postales illustrées des années 1910.
Les Authieux, c'est aussi le Port-Saint-Ouen, nom du hameau situé le long de la Seine et parcouru par la route départementale entre Evreux et Rouen. Ici d'après des cartes postales illustrées des années 1910. Les Authieux, c'est aussi le Port-Saint-Ouen, nom du hameau situé le long de la Seine et parcouru par la route départementale entre Evreux et Rouen. Ici d'après des cartes postales illustrées des années 1910.
Les Authieux, c'est aussi le Port-Saint-Ouen, nom du hameau situé le long de la Seine et parcouru par la route départementale entre Evreux et Rouen. Ici d'après des cartes postales illustrées des années 1910. Les Authieux, c'est aussi le Port-Saint-Ouen, nom du hameau situé le long de la Seine et parcouru par la route départementale entre Evreux et Rouen. Ici d'après des cartes postales illustrées des années 1910.

Les Authieux, c'est aussi le Port-Saint-Ouen, nom du hameau situé le long de la Seine et parcouru par la route départementale entre Evreux et Rouen. Ici d'après des cartes postales illustrées des années 1910.

 

Le Ministère de la culture a aussi répertorié un logis du XVe siècle, agrandi au XIXe siècle qui dépendait de l'abbaye Saint-Ouen de Rouen. Il répertorie aussi un manoir appelé la Ferme du Clos aux moines et un hôpital placé sous les vocables de Saint-Antoine, Saint-Fabien et Sainte-Madeleine. Celui-ci aurait dépendu de l’abbaye de Bonport. La carte de Cassini le montre, entre le Port-Saint-Ouen et la berge et l'appelle la Madeleine. Le marquis de Belbeuf, auteur de L'histoire des grands panetiers de Normandie et du franc-fief de la grande paneterie, publié en 1856, nous apprend, à la page 22, que c'est Laurent Chambellan, seigneur de Gouy au milieu du XIIIe siècle, qui fonda cet hospice pour les pauvres et les orphelins. Cet hospice a été la propriété des moines de Bonport jusqu'à la Révolution. On n'y disait plus la messe bien avant cet évènement et les bâtiments ont été détruits vers 1836.

L’élément civil notable des Authieux est son château dans son beau parc. Le corps principal, de plan symétrique, est réputé de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Deux bâtiments encadrant le portail sont magnifiques. On en voit les murs pignons avec des parties maçonnées de brique. Ce château fut habité par Maurice Gallouen (1879-1945). Ce médecin installé à Rouen était connu pour son désintéressement et entra dans la Résistance dès 1940. Il cacha des explosifs et des tracts chez lui et soigna des soldats français. Dénoncé, il fut emmené par la Gestapo et déporté à Sachsenhausen en 1943, puis à Bergen-Belsen en février 1945. Malgré sa libération en mars 1945, il resta dans ce camp pour y soigner les survivants dans l’incapacité de se déplacer. Il y mourut du typhus en juin 1945. Les élus ont honoré son dévouement, son humanisme, en donnant son nom à l’un des deux axes principaux de la ville, le second ayant été dénommé rue des Canadiens, les libérateurs venus par Igoville. 
Les Authieux, c’est aussi des hameaux tels que Le Clos du Mouchel, sur les hauteurs de Port-Saint-Ouen et La ferme du Bosc, aujourd’hui appelée Les Pointes. À la lecture du plan terrier de la fin du XVIIIe siècle, archivé par le département de Seine-Maritime, cette ferme tenait son nom des immenses vergers qui l’entouraient. Le bosc, mot normand proche du sens de bois, devait donc signifier, au moins dans son acception locale, le verger.

Détails du plan terrier de la fin du XVIIIe siècle conservé aux Archives de Seine-Maritime (cote 12Fi77) et accessible en ligne. Il s'agit de la ferme du Bosc et de Port-Saint-Ouen.
Détails du plan terrier de la fin du XVIIIe siècle conservé aux Archives de Seine-Maritime (cote 12Fi77) et accessible en ligne. Il s'agit de la ferme du Bosc et de Port-Saint-Ouen.

Détails du plan terrier de la fin du XVIIIe siècle conservé aux Archives de Seine-Maritime (cote 12Fi77) et accessible en ligne. Il s'agit de la ferme du Bosc et de Port-Saint-Ouen.


Pour aller plus loin, les amateurs ont la chance de bénéficier, pour cette commune, des écrits d’Henri Saint-Denis, republiés par l’initiative d’Yves Fache, et même d’une étude d’Albert Soboul, historien marxiste de renom en matière de Révolution française ; article disponible en ligne sur Persée et intitulé “Une communauté rurale de Normandie à la veille de la Révolution : Les Authieux-sur-le-Port-Saint-Ouen”.

 

 

Armand Launay

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Mes activités

Armand Launay. Né à Pont-de-l'Arche en 1980, j'ai étudié l'histoire et la sociologie à l'université du Havre (Licence) avant d'obtenir un DUT information-communication qui m'a permis de devenir agent des bibliothèques. J'ai acquis, depuis, un Master des Métiers de l'éducation et de la formation, mention Lettres modernes. Depuis 2002, je mets en valeur le patrimoine et l'histoire de Pont-de-l'Arche à travers :

- des visites commentées de la ville depuis 2004 ;

- des publications, dont fait partie ce blog :

Bibliographie

- 20 numéros de La Fouine magazine (2003-2007) et des articles dans la presse régionale normande : "Conviviale et médiévale, Pont-de-l'Arche vous accueille", Patrimoine normand n° 75 ; "Pont-de-l'Arche, berceau de l'infanterie française ?", Patrimoine normand n° 76 ; "Bonport : l'ancienne abbaye dévoile son histoire", Patrimoine normand n° 79 ; "Chaussures Marco : deux siècles de savoir-plaire normand !", Pays de Normandie n° 75.

- L'Histoire des Damps et des prémices de Pont-de-l'Arche (éditions Charles-Corlet, 2007, 240 pages) ;

- Pont-de-l'Arche (éditions Alan-Sutton, collection "Mémoire en images", 2008, 117 pages) ;

- De 2008 à 2014, j'ai été conseiller municipal délégué à la communication et rédacteur en chef de "Pont-de-l'Arche magazine" ;

- Pont-de-l'Arche, cité de la chaussure : étude sur un patrimoine industriel normand depuis le XVIIIe siècle (mairie de Pont-de-l'Arche, 2009, 52 pages) ;

- Pont-de-l'Arche, un joyau médiéval au cœur de la Normandie : guide touristique et patrimonial (mairie de Pont-de-l'Arche, 2010, 40 pages) ;

- Pont-de-l'Arche 1911 I 2011 : l'évolution urbaine en 62 photographies (mairie de Pont-de-l'Arche, 2010, 32 pages) ;

- Mieux connaitre Pont-de-l'Arche à travers 150 noms de rues et de lieux ! (Autoédité, 2019, 64 pages) ; 

- Déconfiner le regard sur Pont-de-l'Arche et ses alentours (Autoédité avec Frédéric Ménissier, 2021, 64 pages) ;

- Les Trésors de Terres-de-Bord : promenade à Tostes, ses hameaux, Écrosville, La Vallée et Montaure (publié en ligne, 2022) ;

- Les Trésors de Terres-de-Bord : promenade à Tostes, ses hameaux, Écrosville, La Vallée et Montaure (version mise en page du précédent ouvrage, édité par la mairie de Terres-de-Bord, 2023).

Depuis 2014, je suis enseignant à Mayotte.

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