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3 octobre 2021 7 03 /10 /octobre /2021 09:28
Histoire de Poses (MM. Charpillon et Caresme)

Charpillon Louis-Etienne, Caresme Anatole, Dictionnaire historique de toutes les communes du département de l’Eure, Les Andelys : Delcroix, 1879, 960 pages, tome II, pages 982-983. 

 

      

 

POSES  

 

Paroisse des : Dioc. d’Évreux. – Vic. et Élec. de Pont-de-l’Arche. – Parl. et Gén. de Rouen.   

Pauses est le nom sous lequel Poses est désigné dans la chronique de Fontenelle, qui nous apprend qu’en l’an 700, un certain Lutbrand donna aux moines de cette abbaye, une certne portion du village de Poses, dans l’Évrecin.  

Charles le Chauve, en 876, donna aux moines de St-Ouen de Rouen le village de Poses, qu’il perdirent probablement lorsque Philippe Auguste, par une charte de 1198, échangea Poses contre Limaye. 

Par une charte du commencement du XIe siècle, le duc Richard donna aux religieux de Fécamp l’église St-Quentin de Poses ; mais, vers 1198, cette église appartenait à l’abbaye de St-Ouen à laquelle Richard-Cœur-de-Lion l’avait donnée.  

Il existait, au commencement du XIIIe siècle, une famille de Poses : nous citerons seulement, en 1216 ; Hugues de Poses ; en 1226, Raoul son fils, et en 1248, Gaultier de Poses, chevalier.  

Guillaume Routier, de Poses, et Geoffroy du Val, de Poses, figurent dans une charte de 1340.  

En 1343, les religieuses de Lonchamps, avaient des biens à Poses ; Henri VI, roi d’Angleterre, prenant le titre de roi de France, confirma leurs propriétés, le 20 février 1434.  

Claude Duval, receveur du prieuré des Deux-Amants, donna à bail pour 5 ans, en 1627, moyennant 30 l. t. à Nicolas Hallé, le droit de nommer à la maîtrise du pertuis de Poses.   

 

Fiefs

1° Fief-de-l’Eau. En 1198, Richard-Cœur-de-Lion donna aux religieux de Bonport un moulin à Poses, avec toutes ses dépendances. Richard Anfrie de Poses vendit aux mêmes religieux tout ce qu’il avait sur le gord dit Angouland. En 1730, le Fief-de-l’Eau, situé à Poses, appartenait à l’abbaye de Bonport ;  

Le Fief de st Ouen. L’abbaye de St-Ouen de Rouen avait reçu, de Charles le Chauve, une partie de Poses que l’on appelait le fief de St-Ouen. Richard de Malpalu fut témoin à la confirmation faite par Gaultier le Magnifique, archevêque de Rouen, de l’échange fait par les religieux de St-Ouen avec Richard-Cœur-de-Lion, pour la terre de Poses et la dîme des moulins[1]. L’état des propriétés et des rentes que l’abbaye de St-Ouen possédait à Poses a été dressé très exactement, en 1291, dans le livre des jurés de St-Ouen[2]Les religieux conservèrent leur fief de St-Ouen, jusqu’à la Révolution.    

Le Mesnil. Nicolas, fils de Honfroy du Mesnil, vend, en 1234, une rente sur un tènement à Léry. En 1681, le Mesnil de Poses appartenait aux héritiers de Georges Le Grand, sieur du Mesnil, lieutenant général au bailliage de Pont-de-l’Arche. Le 9 janvier 1700, Nicolas, Jean et Morin Caresme, frères héritiers de Nicolas Caresme, leur aïeul de Surville, vendent à Jeanne Langlois, veuve de Georges Le Grand, esc., sieur du Mesnil, ½ acre de Surville. 

Le Pavillon, plein fief de haubert, à Poses, appartenait à l’évêque de Lisieux. On a différents aveux, en 1382 et 1659, du fief du Pavillon. En 1650, le Pavillon était affermé 150 l. ; il produisait 200 l. l’année suivante et 450 l. en 1754. L’évêque de Lisieux prenait le titre de seigneur du fief, terre et seigneurie du Pavillon ; en 1766, Henri le Daim, bailli d’Igoville, était sénéchal du fief.  

 

POSES, cant. du Pont-de-l’Arche sur la Seine, à 18 m. d’alt. – Sol ; alluvions contemporaines et craie blanche. – 4 cont. 6,472 fr. – Rec. ord. budg. 4,915 fr. – Surf. terr. 670 hect. – 1206 hab. – * de N.-D.-du-Vaudreuil. – Percep. de St-Cyr-du-Vaudreuil. – Rec. cont. ind. de Pont-de-l’Arche. – Paroisse. – Presbyt. – École spéc. de 95 garçons et de 82 filles. – 2 maisons d’école. – [un blanc] déb. de boissons. – 7 perm. de chasse. – Dist. en kil. aux ch.-l. de dép. 34, d’arrond. 12, de cant. 8.  

  

Dépendances : Le Mesnil-de-Poses, Le Moulin-à-Vent, La Vigne.   

Agriculture : Céréales, prairies, légumes.   

Industrie : Marine.  

Patentés : 21. 


 

[1] Dom Pommeraye.   

[2] Notes Le Prévost, p. 616, t. 2. 

 

Armand Launay

Pont-de-l'Arche ma ville

http://pontdelarche.over-blog.com

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1 octobre 2021 5 01 /10 /octobre /2021 14:49
Toile de Charles-François Daubigny intitulée "Sur la rive de Seine à Portejoie" et datée de 1871 (collection de l'Art Institute de Chicago).

Toile de Charles-François Daubigny intitulée "Sur la rive de Seine à Portejoie" et datée de 1871 (collection de l'Art Institute de Chicago).

 

Portejoie et Tournedos ont fusionné le premier janvier 2018, date à laquelle est née la commune de Porte-de-Seine, 207 habitants en 2018 itou. Comme maints noms artificiellement forgés en vue de dénommer les communes nouvelles, ce toponyme peut sembler bien creux lui qui résulte d’un compromis entre Porte[-Joie] et [Tournedos-sur-]Seine. Or, le compromis semble s’être fait sur l’attachement à la forme des noms anciens plutôt qu’au sens qu’ils expriment. Pourtant, une lecture de la carte de Cassini, datant de la fin du XVIIIe siècle, peut donner sens à Porte-de-Seine. On peut voir, sur le détail que nous reproduisons, le bourg du Vaudreuil, composé de Notre-Dame et Saint-Cyr. Ainsi, Portejoie et Tournedos sont comme les portes de Seine du Vaudreuil avec quelques garennes les séparant de la ville. Depuis 1981 et la fondation officielle de Val-de-Reuil, les terres de Porte-de-Seine jouxtent celles de la ville nouvelle quand elles ne lui ont pas été annexées. Notre commune est comme un chapelet de fermes-hameaux construits le long de l’eau, sur une légère élévation les rendant insubmersibles. Ces fermes ont été assez largement remplacées par des résidences luxueuses depuis la fin du XIXe siècle, ce qui confère à nos villages un côté “beau quartier de Val-de-Reuil”. On peut aussi lire le nom de Porte-de-Seine comme l’entrée de la Seine dans cette boucle très spéciale où entre aussi l’Eure dans l’une des plus vastes plaines alluviales de la région. On peut enfin voir dans Porte-de-Seine la clé d’entrée dans la compréhension du peuplement de la boucle du Vaudreuil, ceci grâce aux nombreuses fouilles archéologiques de ces dernières décennies. 

Sur cet extrait de la carte de Cassini (de la fin du XVIIIe siècle) Tournedos et Portejoie apparaissent comme des portes d'entrée vers Le Vaudreuil et sa plaine.

Sur cet extrait de la carte de Cassini (de la fin du XVIIIe siècle) Tournedos et Portejoie apparaissent comme des portes d'entrée vers Le Vaudreuil et sa plaine.

 

Une rare concentration d’allées couvertes

Avec l’exploitation de vastes sablières alimentant le secteur de la construction, Porte-de-Seine a bénéficié, grâce à la législation et aux services de l’État, de maintes fouilles archéologiques. Les rapports de ces investigations sont une opportunité pour qui veut mieux connaitre la contrée. La lecture de ces documents, nombreux et techniques, peut cependant paraitre bien rude. Nous nous proposons ici d’en faire une vulgarisation. 

La meilleure entrée dans l’analyse de ces rapports est, à notre sens, l’article de Cyrille Billard, Philippe Chambon, Florence Carré et Florence Guillon, article intitulé “L'ensemble des sépultures collectives de Val-de-Reuil et Portejoie (Eure)”. Il fut publié dans le numéro 9 spécial de la Revue archéologique de Picardie [sic] en 1995 et aux pages 147 à 154. Les auteurs rapportent la découverte de cinq sépultures collectives dans la commune de Portejoie parmi lesquelles trois ont été dûment fouillées. Ils rappellent que la “plaine alluviale de la confluence Seine-Eure” est la zone haut-normande la plus riche en sépultures collectives avec un total de neuf sites situés aussi à Saint-Étienne-du-Vauvray, aux Vignettes de Léry et à Pinterville. Portejoie est donc le site le plus riche en sépultures collectives. Ce sont plus précisément des allées couvertes orientées, donc tournées vers l’est, recueillant plusieurs dizaines de dépouilles. Ces allées apparurent, selon la chronologie proposée par l’INRAP, vers 4500 avant notre ère. Leur usage se généralisa vers - 3500 et ce avant le retour des sépultures individuelles vers - 2300, ceci peu après l’expansion de la culture campaniforme. 

Afin de mieux figurer ce qu'est une allée couverte, voici une photographie de l'allée de Dampmesnil par Camille56 publiée dans Wikipédia.

Afin de mieux figurer ce qu'est une allée couverte, voici une photographie de l'allée de Dampmesnil par Camille56 publiée dans Wikipédia.

Les sites des allées couvertes de Portejoie répertoriés par l’équipe de Cyrille Billard

1. Le premier site est à Val-de-Reuil c’est-à-dire à Portejoie avant 1981. Il s’agit du lieu-dit  Beau-soleil où se trouvent la “Fosse XIV” et la “sépulture I” qui désignent des sépultures collectives fouillées par Guy Verron de 1966 à 1971. “Il s'agit de 2 allées sépulcrales de respectivement 10 m sur 2 et 15 m sur 3”. Des trous de poteaux laissent comprendre qu’un bâtiment en bois couvrait une allée qui n’était donc pas constituée de grosses pierres (les “mégalithes”). Des cimetières mérovingiens ont été identifiés sur les sites de ces deux allées. 

2. Sur le site des Varennes, à Val-de-Reuil, a été fouillée une allée sépulcrale non mégalithique en 1992. Une vingtaine de squelettes ont été identifiés ainsi qu’un toit à une pente qui couvrit sûrement l’allée. 

3. Sur le site rolivalois, adjectif de Val-de-Reuil, de Beau-soleil 3 a été soupçonnée une sépulture collective “lors de décapages mécaniques en 1990”. Une première campagne de fouilles fut entreprise en 1992 qui donna de petits blocs de pierre ainsi qu’une vingtaine de tombes mérovingiennes. 

4. Sur le site de la Butte-Saint-Cyr, désormais aussi à Val-de-Reuil, un monument a été mis au jour parmi l'emplacement médiéval de l’église Sainte-Cécile-de Portejoie. Cette construction mégalithique se trouvait à un mètre au nord de l’édifice chrétien. Long de 11 m sur 3 de large, les dépouilles néolithiques ont été bousculées par “des inhumations médiévales, dont certaines mérovingiennes”. Les archéologues soupçonnent qu’une “partie des blocs utilisés dans l'abside de l'église proviennent de l'allée couverte. Sans aucun doute, le sommet de certains d'entre eux étaient visibles au Moyen Age. Au total, une dizaine de mégalithes sont préservés.” 

 

Ce que l’on apprend 

Les archéologues ont mesuré que ces découvertes se situent “en bordure d'une vaste zone de paléochenaux ayant relié l'Eure à la Seine à hauteur de Portejoie, sur le rebord d'une basse terrasse sablo-graveleuse à une altitude d'environ 12 mètres.” Il est vrai que la lecture d’une carte topographique actuelle montre que l’Eure au Vaudreuil, formant l’ile L’Homme par ses deux bras, semble contrariée dans son écoulement et marque une forte courbe vers le nord. L’écoulement naturel se lit, par des altitudes plus basses, vers l’est, notamment par un champ dénommé Les Vallées. Le confluent de l’Eure et de la Seine se situait donc en ce lieu marécageux. Cyrille Billard a publié, dans un bel effort de vulgarisation scientifique, une carte de la plaine de Poses, sa géologie et les découvertes archéologiques. Elle fut publiée en 2006 dans le rapport de fouilles dénommé “Sur la mare”, à Poses. 

La répartition relativement homogène des allées couvertes démontre que cet éperon émergé, en face du confluent de l’Eure et de la Seine, était habité. Il était peut-être même plus habité que le reste de l’ile alluviale à laquelle il se rattachait. Des traces d’occupation humaine de l’âge du fer (à partir de - 800), de La Tène (c’est-à-dire les 500 dernières années avant notre ère) et de la Gaule-romaine ont été attestées. Mais c’est l’époque mérovingienne qui fournit le plus de vestiges d’occupation.    

Carte de la plaine du Vaudreuil produite par Cyrille Billard et publiée en 2006 dans un rapport de fouilles entreprises à Poses et intitulé "Sur la mare". Ce précieux document nous renseigne sur les paléochenaux et donc sur la localisation des habitats. Cette carte nous sert plusieurs fois de support à notre texte.

Carte de la plaine du Vaudreuil produite par Cyrille Billard et publiée en 2006 dans un rapport de fouilles entreprises à Poses et intitulé "Sur la mare". Ce précieux document nous renseigne sur les paléochenaux et donc sur la localisation des habitats. Cette carte nous sert plusieurs fois de support à notre texte.

Un important site mérovingien et médiéval

C’est ici un bel article de Florence Carré qui nous instruit. Très universitairement intitulé “Le site de Portejoie (Tournedos, Val-de-Reuil, Eure), VIIe-XIVe siècles : organisation de l'espace funéraire”, il fut publié en 1996, aux pages 153 à 162 d’un supplément à la Revue archéologique du centre de la France. Comme on le voit sur la carte de Cyrille Billard, citée ci-dessus, le village médiéval de Portejoie n’était pas à l’endroit où nous le connaissons de nos jours. Il était situé plus au nord sur une légère terrasse alluviale au nord d’un ancien chenal sûrement encore marécageux au début du Moyen Âge. Ce bras de l’Eure, vraisemblablement, séparait le Portejoie actuel du hameau de Beau-soleil près duquel ont été localisées les allées couvertes. Or, il semble qu’au VIIe siècle un habitat groupé émergea au nord de la Butte Saint-Cyr, ancêtre assurément du village de Portejoie. Cela témoigne peut-être d’une transition entre un habitat épars, fait de fermes-hameaux, à l’émergence de points centraux devenus par la suite des sièges paroissiaux. 

Bien loin d’abandonner ou de raser les lieux sacrés du Néolithique, les chrétiens mérovingiens utilisèrent trois nécropoles port-joyeuses : la Fosse XIV, Beau-soleil 3 et la Butte Saint-Cyr. Les deux premières furent délaissées au VIIIe siècle au profit du site de Saint-Cyr. Les archéologues, profitant du fait que le cimetière n’est plus utilisé, ont mis au jour 1665 inhumations autour du site néolithique. Les dernières remontent au premier tiers du XIVe siècle. Mais cela pose problème : pourquoi avoir privilégié un site unique pour les inhumations ? Est-on passé de petites nécropoles familiales liées à des fermes-hameaux à un cimetière collectif témoignant de l’émergence d’un village ? Les archéologues ont noté l’absence de sarcophages dans les petites nécropoles alors qu’ils en ont dénombré 50 à Saint-Cyr. Cela exprimerait une différence de statut entre les occupants des différents espaces. Le cimetière de Saint-Cyr témoignerait alors de l’émergence d’un fief majeur ? 

Carte géologique de la Butte-Saint-Cyr sur une capture d'écran réalisée à partir du site Géoportail. Nous utilisons la carte géologique car elle présente encore le sol tel qu'il fut avant l'ouverture de vastes sablières ayant défiguré le paysage local. Les isoplèthes d'altitude, les courbes de niveau, permettent de retracer le rivage d'une ile de Seine où a émergé la paroisse de Portejoie.

Carte géologique de la Butte-Saint-Cyr sur une capture d'écran réalisée à partir du site Géoportail. Nous utilisons la carte géologique car elle présente encore le sol tel qu'il fut avant l'ouverture de vastes sablières ayant défiguré le paysage local. Les isoplèthes d'altitude, les courbes de niveau, permettent de retracer le rivage d'une ile de Seine où a émergé la paroisse de Portejoie.

L’émergence d’un fief ecclésiastique ?

L’autrice, Florence Carré, a creusé la réflexion avec Marie-Pierre Ruas et Jean-Hervé Yvinec, dans un autre article publié en 2007 et intitulé “Le site rural de Portejoie (Tournedos / Val-de-Reuil, Eure, France) : des espaces particuliers au sein de l’habitat du haut Moyen Âge ?” À partir des restes animaux, les auteurs fondent l’hypothèse que le fief du cimetière était privilégié, notamment car on y trouve des restes de jeunes caprins. De plus, au VIIIe siècle émergea l’église Sainte-Cécile qui semble faire du cimetière ancestral un enclos paroissial. Florence Carré site un acte (annexe I) de 1006 qui fait état du fisc royal du Vaudreuil et qui mentionne cinq églises paroissiales dont Sainte-Cécile de Portejoie (Portus Gaudii). Ce nom est équivoque et peut signifier le port joyeux, dans le sens d’heureux, opportun (comme dans le proche Bon-Port) ou le port d’un seigneur appelé Joyeux comme dans les proches paroisses de Gouy et Jouy. Nous aurions affaire à un fief ecclésiastique qui expliquerait le contraste avec la modicité des habitations trouvées alentour, c’est-à-dire de nombreux fonds de cabanes. Autre singularité de ce fief : entre le VIIIe et le Xe siècles, “période où le village semble se déplacer hors de l’espace fouillé, l’installation de structures de combustion probablement liées au traitement des céréales distingue encore le secteur de l’église. Cette activité n’est représentée qu’à plus de 250 m de là, et véritablement développée à une distance de 400 m.” Peut-être avons-nous affaire au développement de la culture dans l’ancien bras de l’Eure. L’autrice principale note, de même, que “l’extension du cimetière à partir du XIe siècle se fait d’une part à l’ouest sur une frange de l’habitat qui n’est plus occupé…”

Dernier argument, les archéologues ont noté qu’une seule tombe fut disposée dans un axe nord-sud : il s’agit d’un sarcophage richement décoré. Est-ce pour lui que l’église Saint-Cécile fut bâtie en ce lieu ? Ou est-ce en raison de la proximité de l’allée couverte ? 

 

Déplacement de la rive et rôle de Port-Pinché

Florence Carré a noté un abandon relatif de la Butte Saint-Cyr à la fin du Xe siècle. Cela témoigne assurément de l'assèchement du marécage de l’ancien bras de l’Eure entre Le Vaudreuil et son port : celui de Portejoie. Le confluent entre l’Eure et la Seine s’est donc reporté un peu en aval, aux Damps, site que nous avons auparavant étudié. C’est surtout le trait de rive, déporté à l’est, qui a dû attirer les Port-Joyeux dans les hameaux de La Gribouille, Pampou, Port-Pinché et Portejoie. Un site étudié par Auguste Le Prévost dans le tome II de ses Mémoires et notes nous semble instructif à ce propos : Port-Pinché. Il a conservé la caractéristique d’être un port, comme Portejoie, et a fait l’objet de constructions régaliennes en 1198 grâce à Richard Cœur de Lion, duc de Normandie et roi d’Angleterre. En effet, dans le cadre de la défense de la Normandie contre les velléités du roi de France, Philippe II dit Auguste, Richard fit des réparations au bac (bacum) et au manoir du roi (domum regis) de Portum Gaudii (Portejoie). Plus encore, il fit bâtir une barbacane (bretescha) et un pont tournant sur le pont de Portejoie. Il semble que les fortifications aient été bâties dans une ile face à Port-Pinché et que le pont ait été bâti tout en bois. Au-delà de l’urgence défensive du moment, dont témoigne toujours le proche Château-Gaillard, cela révèle l’importance stratégique de ces lieux pour le souverain : le franchissement de la Seine par la voie reliant Louviers et Le Vaudreuil au Vexin en passant par Connelles et sa vallée montant à Daubeuf. Nous notons, au passage, qu’il existe un Mont-Joyeux dans cette commune qui, sans que nous ne sachions s’il y a un lien, rappelle le nom de Portejoie. Idem, la Butte-Saint-Cyr évoque l’une des deux paroisses du Vaudreuil : Saint-Cyr, à côté de Notre-Dame, comme pour en marquer l’autorité. Enfin, Auguste Le Prévost nous apprend aussi que la charte de 1006 (annexe I) consista en une dotation de Richard, duc de Normandie, en faveur de l’abbaye de Fécamp. Il attribua des droits sur la paroisse de Portejoie, preuve supplémentaire de son autorité directe sur ces lieux proches du Vaudreuil. 

 

De la Butte-Saint-Cyr à Portejoie

La Butte-Saint-Cyr fut peu à peu dépeuplée et son église Sainte-Cécile disparut dans le premier tiers du XIVe siècle. Seul le hameau de Beau-soleil a constitué et témoigné d’une habitation humaine pérenne en ce lieu désormais dans les terres. L’église Sainte-Cécile nous renseigne d’ailleurs sûrement sur l’étonnante église Saint-Quentin de Poses. Cette dernière est excentrée du village actuel et se trouve sur une bosse, petite terrasse alluviale de Seine. Il y a donc des chances que Poses fût un village ou un ensemble de hameaux proches de Saint-Quentin. La population a dû se déplacer en fonction de l’assèchement de la plaine et ce afin de rester à proximité des activités fluviales tout en cultivant des terres. Il faut croire aussi que le lit de la Seine s’est encaissé, rendant moins submersibles les nouveaux hameaux qui s’égrenaient sur le rebord de la rive gauche, si ce n'est pas sur des iles. Peut-être ont-elles même été un peu surélevées par la main de l’homme ?  

Il est d’ailleurs permis de penser que le nouveau Portejoie ait été peu à peu créé en raison du déplacement du franchissement de la Seine. Autrefois à Port-Pinché, il semble que la voie vers Herqueville ait été préférée à celle de Connelles, peut-être à cause de l’évolution du lit de la Seine. C’est elle qu’on retrouve sur la carte de Cassini à la fin du XVIIIe siècle où est symbolisé par des tirets le trajet du bac. 

Comparaison photographiques entre un document publié sur le site de la mairie de Portejoie avant les récentes restaurations et une carte postale illustrée des années 1910 conservée aux Archives de l'Eure sous la cote 8 Fi 471-2 et accessible en ligne.
Comparaison photographiques entre un document publié sur le site de la mairie de Portejoie avant les récentes restaurations et une carte postale illustrée des années 1910 conservée aux Archives de l'Eure sous la cote 8 Fi 471-2 et accessible en ligne.

Comparaison photographiques entre un document publié sur le site de la mairie de Portejoie avant les récentes restaurations et une carte postale illustrée des années 1910 conservée aux Archives de l'Eure sous la cote 8 Fi 471-2 et accessible en ligne.

L’émergence de Sainte-Colombe et le nouveau Portejoie

Quoi qu’il en soit, l’église Sainte-Colombe de Portejoie apparait dans les archives à la fin du XVe siècle d’après la fiche Mérimée du Ministère de la culture. Léon Coutil, à la page 115 de son article archéologique du Bulletin de la Société d'études diverses de Louviers de 1893, cita même la date de 1482 pour attester l'existence de Sainte-Colombe. Cela appelle à s’interroger sur le laps de temps entre la désaffection de Sainte-Cécile, au premier tiers du XIVe siècle, et l’émergence de Sainte-Colombe près de 150 ans plus tard. Il est probable qu’une église rurale précédât l’actuelle Sainte-Colombe avant qu’il fût décidé de reprendre le matériau de Sainte-Cécile dans une construction plus ambitieuse au XVe siècle. Sainte-Colombe dût devenir le siège de la paroisse, toujours placée sous le patronage de l’abbaye de Fécamp, dans le même temps où Sainte-Cécile fut abandonnée. Dans le cadre d’importantes restaurations qui viennent d’avoir lieu, le maire de Porte-de-Seine, Jean-Philippe Brun, a noté que “Il y aurait eu un beffroi originel, autour duquel l'église actuelle aurait été édifiée au XVIe siècle. Ce beffroi aurait pu être situé à l'extrémité d'une église plus ancienne et détruite. On relève dans la charpente des techniques d'assemblage médiévales, notamment ce qu'on appelle mi-bois.” 

L'église Sainte-Colombe de Portejoie, en 1901, huile sur toile de Gustave Loiseau (1865-1935).

L'église Sainte-Colombe de Portejoie, en 1901, huile sur toile de Gustave Loiseau (1865-1935).

Photographies de la nef et du chœur, ainsi que du chevet de Sainte-Colombe (où l'on voit la statue de la sainte) par Jean-Philippe Brun, que nous remercions. Photographies de la nef et du chœur, ainsi que du chevet de Sainte-Colombe (où l'on voit la statue de la sainte) par Jean-Philippe Brun, que nous remercions.

Photographies de la nef et du chœur, ainsi que du chevet de Sainte-Colombe (où l'on voit la statue de la sainte) par Jean-Philippe Brun, que nous remercions.

On retrouve une description architecturale de Sainte-Colombe dans l’intéressant texte de Michel Kitzis publié dans le blog communal. Brièvement nous rappelons que l’église est bâtie selon un plan en croix latine. Elle possède un vaisseau et un chœur remaniés dans la seconde moitié du XVIe siècle où l’édifice a été revêtu des atours d’une dame gothique avec des fenêtres à remplages. Restaurée au XIXe siècle, l’église a le charme des temples ruraux de la région et se trouve mise en valeur grâce à la berge qui lui sert de piédestal au-dessus du coulant miroir de Seine. Les artistes ne s’y sont pas trompés qui ont reproduit Sainte-Colombe sur diverses toiles et le Ministère de la culture n’est pas en reste qui a classé l’église et son enclos paroissial parmi les sites remarquables le 28 mai 1926. De plus, les fonts baptismaux ont été classés Monuments historiques au titre d’objet le 10 juin 1907.

Détail des fonts baptismaux par une photographie de Jean-Philippe Brun et par un document disponible dans la base POP du Ministère de la culture. Détail des fonts baptismaux par une photographie de Jean-Philippe Brun et par un document disponible dans la base POP du Ministère de la culture.

Détail des fonts baptismaux par une photographie de Jean-Philippe Brun et par un document disponible dans la base POP du Ministère de la culture.

Notons enfin le gout pour le patrimoine du maire Jean-Philippe Brun et son équipe qui a permis la restauration de Sainte-Colombe et la proche mairie du XVIIe siècle ; restauration qui a valu à la commune de Porte-de-Seine le prix des “Rubans du Patrimoine” pour la région normande en 2021. 

Enfin une dernière église de la commune, disparue, nous éclaire encore sur le peuplement de cette partie de la boucle du Vaudreuil : Saint-Saturnin de Tournedos. 

Sélection de cartes postales des années 1910 illustrant la proximité de Portejoie avec l'élément aquatique qui, en retour, explique la localisation de la commune.
Sélection de cartes postales des années 1910 illustrant la proximité de Portejoie avec l'élément aquatique qui, en retour, explique la localisation de la commune. Sélection de cartes postales des années 1910 illustrant la proximité de Portejoie avec l'élément aquatique qui, en retour, explique la localisation de la commune.
Sélection de cartes postales des années 1910 illustrant la proximité de Portejoie avec l'élément aquatique qui, en retour, explique la localisation de la commune. Sélection de cartes postales des années 1910 illustrant la proximité de Portejoie avec l'élément aquatique qui, en retour, explique la localisation de la commune. Sélection de cartes postales des années 1910 illustrant la proximité de Portejoie avec l'élément aquatique qui, en retour, explique la localisation de la commune.

Sélection de cartes postales des années 1910 illustrant la proximité de Portejoie avec l'élément aquatique qui, en retour, explique la localisation de la commune.

​​​​​​​Saint-Saturnin de Tournedos : l’église sœur de Sainte-Cécile

Saint-Saturnin n’est plus, de nos jours, qu’une chapelle dans un bois à quelques pas d’un cimetière, lui-même isolé des habitations. On la voit nettement sur une carte postale des années 1910 où sa brique et son moellon témoignent d’une construction datant, vraisemblablement, des années 1850. Elle semble déjà relativement peu utilisée, la légende la décrivant “dans les bois” et la verdure alentour étant peu battue par le passage des hommes. 

Carte postale illustrée des années 1910 montrant la chapelle de Tournedos.

Carte postale illustrée des années 1910 montrant la chapelle de Tournedos.

Saint-Saturnin n’était déjà plus qu’un témoin palliant un peu la disparition et de la paroisse et de son église. Elle nous rappelle, en ce sens et plus modestement, la chapelle Saint-Pierre des Damps. Mais elle fut auparavant, et semble-t-il en ce même lieu, le siège de la paroisse comme en témoigne la carte de Cassini de la fin du XVIIIe siècle. La fiche Mérimée du ministère de la culture nous apprend que l’église fut vendue comme bien national à la Révolution et détruite peu après. Elle dût servir de carrière de pierre. Dans le tome II du Dictionnaire historique de toutes les communes de l’Eure, paru en 1879, Louis-Étienne Charpillon et Anatole Caresme nous apprennent, dans l’article portant sur Tournedos-sur-Seine, que : “Cette paroisse est désignée sous le nom de Novavilla dans une charte de 1126, confirmant une précédente de 1006, par laquelle Richard II avait donné l’église de Saint-Saturnin à l’abbaye de Fécamp.” La Novavilla, la ville neuve, semble désigner le village développé le long de la Seine. C’est l’étude de Portejoie qui nous éclaire à ce sujet car elle nous a fait prendre conscience que la plaine alluviale s’était alors suffisamment asséchée en ensablée, vers l’an mil, pour que la rive soit déportée plus à l’est, là où nous la connaissons depuis. L’église Saint-Saturnin, comme l’ancienne église Sainte-Cécile de Portejoie, témoigne de l’emplacement de l’ancien village, siège de la paroisse. La carte géologique réalisée par Cyrille Billard en 2006, ceci pour instruire son étude archéologique intitulée Sur la mare, démontre que Saint-Saturnin se situait sur le rebord d’une légère terrasse sablo-graveleuse de la plaine du Vaudreuil, à l’endroit où, formant un ilot, l’altitude dépasse les 10 m. Le site de l’église se situe même, certes au-delà et au fond d’un petit chenal, dans la continuité des cinq allées couvertes découvertes (je n’ai pas pu m’empêcher) près de la Butte-Saint-Cyr. Elle recouvrait peut-être elle aussi un site néolithique.    

La statue Saint-Saturnin de l'église Poses est un vestige de l'église de Tournedos. Illustration de la base POP du Ministère de la culture.

La statue Saint-Saturnin de l'église Poses est un vestige de l'église de Tournedos. Illustration de la base POP du Ministère de la culture.

La fiche Mérimée de l’église Saint-Saturnin nous apprend l’existence d’ultimes vestiges de Saint-Saturnin : la statue de ce saint située dans l’église Saint-Quentin de Poses. La conservation régionale suspecte aussi que la statue de Saint-Éloi et le groupe sculpté de Saint-Nicolas proviennent de l’église de Tournedos. Ces trois œuvres furent classées Monuments historiques au titre d’objets le 22 février 1979. Enfin, une croix hosannière portant le millésime de 1742 trouve sa place centrale dans le cimetière. Elle constitue un vestige, si ce n’est de l’église, de l’enclos paroissial. 

Série de cartes postales illustrées de Tournedos-sur-Seine. Datées des années 1910, elles se retrouvent passim sur le Net et sur le site des Archives de l'Eure. On y lit le basculement entre le temps des fermes, quand la France était largement paysanne, et les cafés devenant des hôtels, des terrasses pour les gens de la ville venus ici pêcher et respirer. Les plus riches d'entre eux devinrent des propriétaires de résidences secondaires qui modifièrent largement le bâti communal.
Série de cartes postales illustrées de Tournedos-sur-Seine. Datées des années 1910, elles se retrouvent passim sur le Net et sur le site des Archives de l'Eure. On y lit le basculement entre le temps des fermes, quand la France était largement paysanne, et les cafés devenant des hôtels, des terrasses pour les gens de la ville venus ici pêcher et respirer. Les plus riches d'entre eux devinrent des propriétaires de résidences secondaires qui modifièrent largement le bâti communal. Série de cartes postales illustrées de Tournedos-sur-Seine. Datées des années 1910, elles se retrouvent passim sur le Net et sur le site des Archives de l'Eure. On y lit le basculement entre le temps des fermes, quand la France était largement paysanne, et les cafés devenant des hôtels, des terrasses pour les gens de la ville venus ici pêcher et respirer. Les plus riches d'entre eux devinrent des propriétaires de résidences secondaires qui modifièrent largement le bâti communal.
Série de cartes postales illustrées de Tournedos-sur-Seine. Datées des années 1910, elles se retrouvent passim sur le Net et sur le site des Archives de l'Eure. On y lit le basculement entre le temps des fermes, quand la France était largement paysanne, et les cafés devenant des hôtels, des terrasses pour les gens de la ville venus ici pêcher et respirer. Les plus riches d'entre eux devinrent des propriétaires de résidences secondaires qui modifièrent largement le bâti communal. Série de cartes postales illustrées de Tournedos-sur-Seine. Datées des années 1910, elles se retrouvent passim sur le Net et sur le site des Archives de l'Eure. On y lit le basculement entre le temps des fermes, quand la France était largement paysanne, et les cafés devenant des hôtels, des terrasses pour les gens de la ville venus ici pêcher et respirer. Les plus riches d'entre eux devinrent des propriétaires de résidences secondaires qui modifièrent largement le bâti communal. Série de cartes postales illustrées de Tournedos-sur-Seine. Datées des années 1910, elles se retrouvent passim sur le Net et sur le site des Archives de l'Eure. On y lit le basculement entre le temps des fermes, quand la France était largement paysanne, et les cafés devenant des hôtels, des terrasses pour les gens de la ville venus ici pêcher et respirer. Les plus riches d'entre eux devinrent des propriétaires de résidences secondaires qui modifièrent largement le bâti communal.
Série de cartes postales illustrées de Tournedos-sur-Seine. Datées des années 1910, elles se retrouvent passim sur le Net et sur le site des Archives de l'Eure. On y lit le basculement entre le temps des fermes, quand la France était largement paysanne, et les cafés devenant des hôtels, des terrasses pour les gens de la ville venus ici pêcher et respirer. Les plus riches d'entre eux devinrent des propriétaires de résidences secondaires qui modifièrent largement le bâti communal. Série de cartes postales illustrées de Tournedos-sur-Seine. Datées des années 1910, elles se retrouvent passim sur le Net et sur le site des Archives de l'Eure. On y lit le basculement entre le temps des fermes, quand la France était largement paysanne, et les cafés devenant des hôtels, des terrasses pour les gens de la ville venus ici pêcher et respirer. Les plus riches d'entre eux devinrent des propriétaires de résidences secondaires qui modifièrent largement le bâti communal. Série de cartes postales illustrées de Tournedos-sur-Seine. Datées des années 1910, elles se retrouvent passim sur le Net et sur le site des Archives de l'Eure. On y lit le basculement entre le temps des fermes, quand la France était largement paysanne, et les cafés devenant des hôtels, des terrasses pour les gens de la ville venus ici pêcher et respirer. Les plus riches d'entre eux devinrent des propriétaires de résidences secondaires qui modifièrent largement le bâti communal.

Série de cartes postales illustrées de Tournedos-sur-Seine. Datées des années 1910, elles se retrouvent passim sur le Net et sur le site des Archives de l'Eure. On y lit le basculement entre le temps des fermes, quand la France était largement paysanne, et les cafés devenant des hôtels, des terrasses pour les gens de la ville venus ici pêcher et respirer. Les plus riches d'entre eux devinrent des propriétaires de résidences secondaires qui modifièrent largement le bâti communal.

Huile sur panneau de bois d'Hippolyte Camille Delpy (1842-1910). Cette œuvre est datée de 1899 et intitulée "Soleil couchant, Pampoux-sur-Seine", Pampou étant un des hameaux de Porte-de-Seine.

Huile sur panneau de bois d'Hippolyte Camille Delpy (1842-1910). Cette œuvre est datée de 1899 et intitulée "Soleil couchant, Pampoux-sur-Seine", Pampou étant un des hameaux de Porte-de-Seine.

Parmi les gens de la ville prenant du bon temps à Tournedos on compte le célèbre Félix Vallotton qui peignit, en 1922, "La Seine bordée de saules, Tournedos".

Parmi les gens de la ville prenant du bon temps à Tournedos on compte le célèbre Félix Vallotton qui peignit, en 1922, "La Seine bordée de saules, Tournedos".

Conclusion

Porte-de-Seine est une porte d’entrée dans la compréhension du peuplement de la boucle du Vaudreuil ainsi que des déplacements de populations en fonction de l’ensablement de la vallée et du déplacement du cours de l’Eure et de la Seine. Grâce à de riches comptes-rendus archéologiques, nous pouvons retracer le peuplement dès le Néolithique et nous apercevoir d’une continuité de peuplement à la Butte-Saint-Cyr sur ce qui semble être le confluent de l’Eure et de la Seine et donc tourné vers les activités fluviales. Peut-être même que la Butte-Saint-Cyr fût une sorte d’avant-port du Vaudreuil. La christianisation marqua un grand retour dans la pratique de l’inhumation et les sites néolithiques furent réinvestis. L’analyse des cimetières a montré l’émergence d’un fief central autour de l’enclos paroissial Sainte-Cécile où émergea peu à peu une église. L’assèchement de la vallée conduisit les habitants à déménager près des nouvelles berges là où nous les connaissons de nos jours et c’est ainsi qu’au début du millénaire apparurent les sites de Portejoie, Tournedos et leurs hameaux. Quelques siècles plus tard, les anciennes églises de Portejoie et Tournedos furent abandonnées alors que celle de Poses fut entretenue, bien qu’à l’écart du nouveau village. Porte-de-Seine porte le sens de lecture de cette curieuse et belle plaine du Vaudreuil. 




 

Annexe I : dons de Richard II sur les églises de la boucle du Vaudreuil à l’abbaye de Fécamp

Acte faisant partie de la Collection du musée du Palais Bénédictine, à Fécamp, sous la cote Inv. 3 R005 (Engel 1 bis). Il est reproduit sur le site de l’université de Caen, Scripta, grâce au travail de Pierre Bauduin : “... in vallæ Rologiville, æcclesiam Sanctæ Mariæ, æcclesiam Sancti Stephani, æcclesiam Sanctæ Ceciliæ, æcclesiam Sancti Saturnini, æcclesiam Sancti Quintini cum capellis subjectis eis et quicquid terræ arabilis et prati ad eas pertinet…” On retrouve Sainte-Marie donc Notre-Dame du Vaudreuil, Saint-Stéphane donc Saint-Étienne du Vauvray, Sainte-Cécile de Portejoie, Saint-Saturnin de Tournedos et Saint-Quentin de Poses. 

L’extrait ci-dessus est accompagné de la traduction et contextualisation suivante : “30 mai 1006 : Richard II, pour compléter l’œuvre entreprise par son père Richard Ier, ayant confié à l’abbé Guillaume [de Volpiano] le monastère de Fécamp, concède audit monastère : dans le comté de Caux, à Fécamp, le tiers des colons et de la terre, la part de forêt comprise entre la voie publique et la mer et la moitié de l’impôt ; à Grainville tout ce qu’il possède ; à Arques le tiers de la pêcherie et deux salines ; l’église d’Ecretteville ; à Harfleur un manse ; à Rouen un manse avec une chapelle ; l’église de Pissy ; l’église de Barentin et cinq églises au Vaudreuil ; Aizier et Hennequeville. Il concède la liberté d’ordination et d’élection selon la coutume de Cluny, et pleine indépendance de toute autorité, sauf intervention éventuelle de réformateurs.”

Armand Launay

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9 octobre 2020 5 09 /10 /octobre /2020 09:53
Balade à Poses, sur la passerelle du barrage en avril 2013 (clichés d'Armand Launay).
Balade à Poses, sur la passerelle du barrage en avril 2013 (clichés d'Armand Launay).

Balade à Poses, sur la passerelle du barrage en avril 2013 (clichés d'Armand Launay).

 

Si l’intérêt touristique et promenadier de Poses n’est plus à faire, le long de la Seine, des ruelles et du barrage, il est bon d’y voyager dans le temps afin de voir combien évoluent vite les modes de vie et donc, quelque part, les paysages.

Déjà son église Saint-Quentin des XVe et XVIe siècles, au chœur et au transept gothiques, est intrigante si loin des maisons. Elle témoigne d’un temps où Poses n’était pas que ce village-rue peuplé de mariniers aux maisonnettes blotties et réparties au gré des venelles. Poses a aussi été un ensemble de hameaux situés hors des eaux des crues, notamment dans la plaine vers Léry, parmi lesquels se trouvait, naguère, un moulin depuis recouvert par les eaux des étangs ayant remplacé les carrières de sable. La vigne a même été entretenue et exploitée dans cette plaine comme en témoignent les lieux-dits comme “le clos des vignes” vers Tournedos.  

Qui sait qu’ici sont distinguées la haute Seine, celle de Paris et des berges aussi basses que végétales, de la basse Seine soumise aux marées ? La basse Seine fut transformée en chenal entre le milieu du XIXe siècle et les années 1930, ceci afin de rendre plus aisée la navigation. Ainsi Poses est le point cardinal où la Seine perd le plus de son altitude. C’est ce qui explique la présence des écluses d’Amfreville-sous-les-Monts afin d’aider les péniches à passer la cataracte.

Avant l’inauguration, en 1887, du barrage et des écluses, Poses était déjà une pause dans la pénible navigation des mariniers. Déjà en ce lieu la Seine perdait une altitude suffisamment importante pour baisser le tirant d’eau et rendre périlleuse la remontée, comme la descente, des bateaux. Des heures de guidage et montage des bateaux étaient nécessaires selon le poids des embarcations. Cela nécessitait des équipes de professionnels sur place et des aubergistes pour loger les transporteurs et leurs clients les commerçants, eux qui surveillaient le déplacement de leurs marchandises vers Paris ou vers la mer. Il parait que les bateaux étaient posés sur des iles, appelées les “poses”, en attendant la marée haute et donc les manœuvres des hommes. Ce serait là l’origine du nom de Poses au pluriel assez singulier.  

Ces activités batelières se lisent encore nettement sur les cartes postales des années 1910, notamment disponibles sur le site des Archives de l’Eure. Elles animent aujourd’hui encore le musée flottant de la batellerie : un prétexte supplémentaire pour aller se balader à Poses et savourer un patrimoine bâti serti dans un agréable écrin naturel. 

 

Cartes postales de Poses des fonds des Archives départementales de l'Eure.
Cartes postales de Poses des fonds des Archives départementales de l'Eure.
Cartes postales de Poses des fonds des Archives départementales de l'Eure.
Cartes postales de Poses des fonds des Archives départementales de l'Eure.
Cartes postales de Poses des fonds des Archives départementales de l'Eure.

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Armand Launay

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10 juillet 2019 3 10 /07 /juillet /2019 12:42

 

À la mémoire de Serge Petit, parti trop tôt avec son sourire et sa courtoisie.
 

Nous tenons à remercier pour leur aide Yvette Petit-Decroix ainsi que Renée et Pierre Roussel

 

Sa position sur une montagne élevée de trois cents cinquante pieds environ au-dessus des vallons que parcourent la Seine, d’une part, et l’Andelle, rivière du Pont Saint-Pierre, de l’autre, lui donne une des vues les plus agréables de France, surtout au printemps ; les pommiers qui couvrent ces vallons étant alors en fleurs.”

   

Aubin-Louis Millin de Grandmaison, Antiquités nationales ou Recueil de monumens…, 1791.

 

 

La côte des Deux-amants, avec au premier plan le barrage de Poses, vue depuis la rive gauche de la Seine (cliché Armand Launay, mars 2012).

La côte des Deux-amants, avec au premier plan le barrage de Poses, vue depuis la rive gauche de la Seine (cliché Armand Launay, mars 2012).

 

Pyramide verte émergeant du paysage de la vallée de la Seine, la côte des Deux-amants est un lieu de rêveries. Comme nous l’avons précédemment étudié dans un article, on lui attache depuis au moins le XIIe siècle la légende de deux amants, cousins d’infortune de Roméo et Juliette, aux amours interdites et empêchées par les obligations à eux imposées par leurs ainés. 

Dans une autre étude, nous nous sommes penchés sur l’origine du nom de la côte des Deux-amants : populaire, littéraire, chrétienne ou pratique ? La réponse n’est pas simple qui mérite d’associer les différentes thèses. Mais il semble, à minima, que l’existence d’un prieuré au sommet de la côte a entretenu les discussions et le besoin de répéter la légende des deux amants. Que savons-nous de ce prieuré, aussi appelé Madeleine des Deux-amants ? Ses bâtiments ? Son histoire ? Sa fondation ? Des documents existent, passim, sur le Net. Nous en compilons et commentons ici afin de donner quelques repères chronologiques, architecturaux et politiques.  

 

Pour respirer pleinement les images et les sensations, le mieux est de commencer la balade en marchant sur les eaux de la chute du barrage de Poses. La côte des Deux-amants se profile alors entre le vert sombre du bois du contrebas et le vert clair des herbages à contrehaut, parfois couronnés de bleu. Puis, il est bon de longer un peu la Seine et ses remous avant d’apercevoir, derrière sa haie, le manoir de Canteloup. La balade se fait ensuite en sous-bois par les premières pentes du coteau. L’air y est vif, les senteurs varient au fil des saisons et sont toujours au rendez-vous. Le cœur bat plus fort, on existe, on sort plus de soi à mesure que l’on fait l’effort de gagner en altitude. Puis, quelques pas remplacent le sous-bois par les tiges folles des herbages fouettés par les vents. Les échappées sur le paysage épousent la vallée de la Seine, la forêt de Bord et le bois de Longboël. On approche de l’ancien prieuré, rehaussé de fait par son cadre et devenant symboliquement un horizon mystérieux à notre balade. En 1791, Louis-Aubin Millin de Grandmaison écrivit en ce lieu que Le Prieuré est entouré d’un joli jardin, on y jouit de la vue la plus vaste et la plus étendue ; on y découvre une grande partie du département de l’Eure, de la Seine inférieure [...], les villes du Pont-de-l’Arche et de Louviers ; la Seine qui serpente aux pieds, rend ce site le plus agréable qu’il soit possible de voir.” La côte des Deux-amants appelle l’élévation du regard vers ses hauteurs autant que le recul sur nos existences dans la vallée. 

Presque arrivé à la table d’orientation, l’impression d’être devant une fortification se fait. Derrière le mur de la table d’orientation se trouve en effet une vaste propriété privée dont on aperçoit un imposant monument, surtout depuis deux ans où maints arbres ont été abattus. 

 

 

Le dortoir des chanoines émergeant du bois sommital (cliché Armand Launay, juillet 2017).

Le dortoir des chanoines émergeant du bois sommital (cliché Armand Launay, juillet 2017).

 

Un édifice du prieuré subsiste ! Le dortoir de 1685. 

Après le début de la révolution de 1789, les élus de la Convention missionnèrent Aubin-Louis Millin de Grandmaison. Il devait répertorier le patrimoine français. C’était la première recherche encyclopédique, à l’échelle nationale, de l’histoire perçue à travers le patrimoine matériel et littéraire. Les députés révolutionnaires tournaient des pages d’histoire et prenaient conscience de l’intérêt d’immortaliser les plus notables des chapitres précédents, aux pages tournées trop vite, sûrement, tant nous nous sentons et sommes emportés par l’action quotidienne, ses tracas et ses divertissements.  

Dans son ouvrage Antiquités nationales ou Recueil de monumens.., Aubin-Louis Millin accorda au prieuré des Deux-amants, en spécialiste du patrimoine, de belles pages au côté des plus beaux monuments de Paris et de France. Il décrivit le dortoir des chanoines, aussi appelé logis : Le bâtiment est composé d’un rez-de-chaussée, d’un étage et d’une mansarde, avec deux pavillons : il y a neuf croisées de front au corps-de-logis du milieu, et deux à chaque pavillon, ce qui fait treize à chaque étage, avec la porte du milieu, en tout trente croisées. Ce bâtiment a été construit en 1685, ainsi que l’indique l’inscription en brique, fig. 1.” Notre auteur semble fidèle à la réalité qu’il observa alors que son dessinateur se trompa en ajoutant deux croisées imaginaires. Imaginons-le, dépêché dans des lieux nombreux, griffonnant de rapides croquis, pour après, peut-être rentré à Paris, créer ses documents finaux destinés à la reproduction (du sculpteur Ransonnette). La réalité du fait a cédé à la beauté du trait. 

Les analogies entre le bâtiment dessiné pour Aubin-Louis Millin, celui des cartes postales des années 1910 et celui de la photographie de Wikimedia commons sont frappantes. Depuis lors, on appelle ce bâtiment “château des Deux-amants”, tant il est vrai que son architecture est bien plus caractéristique d’une résidence aristocratique, aux larges ouvertures, que d’un modeste et sobre dortoir monacal. Les constructions de l’aile ouest (“à gauche” ; mes excuses aux géographes) ont été remplacées par de nouveaux édifices témoignant que les lieux servirent de maison de retraite, privée, de 1975 à 2007. Les résidents devaient y trouver la paisible retraite des chanoines, retirés du monde ; un peu trop peut-être s’ils n’en avaient fait le vœu.

Quoi qu’il en soit, ce logis est recensé dans la base Mérimée du patrimoine national depuis 1986. Les bâtiments du prieuré n’ont donc pas tous disparu. 

Mais quels étaient les autres bâtiments prioraux ? 

 

Le dortoir des chanoines et l'église en 1791 tels que représentés dans Les Antiquités nationales d'Aubin-Louis Millin.

Le dortoir des chanoines et l'église en 1791 tels que représentés dans Les Antiquités nationales d'Aubin-Louis Millin.

Le dortoir des chanoines dans une carte postale illustrée des années 1910.

Le dortoir des chanoines dans une carte postale illustrée des années 1910.

Le dortoir des chanoines vers 2015 (Source Wikimedia commons).

Le dortoir des chanoines vers 2015 (Source Wikimedia commons).

 

L’église priorale de 1723 : disparue mais partiellement connue...

L’église priorale a entièrement disparu. Il nous en reste néanmoins la représentation demandée par Aubin-Louis Millin pour illustrer ses Antiquités nationales. Notre chercheur en a donné une description textuelle ainsi tissée : “À côté [du logis central, le dortoir] est l’église qui a été entièrement réparée, à l’exception du pan de muraille du côté de l’ancien portail dont on a conservé la rosette. Ce portail n’existe plus, et on n’entre dans l’église que par l'intérieur de la maison. Elle est d’un assez mauvais goût, le bâton de la croix étant plus court que le croisillon. Cette église a été dédiée le 22 septembre 1726, par M. Jean Gaulet, évêque de Grenoble. L’autel est dans le milieu : sous cet autel est un vase, fig. 5 , qui, selon la tradition, renferme les cendres des deux amans : il est de bois peint, et très-moderne. Il contient, en effet, quelques portions d’os, mais ce sont ceux de quelques Saints dont on ignore le nom, parce qu’on a perdu l’étiquette. Dans cette église on remarque trois tombes plates : les gens du pays assurent que ce sont celles des deux Amans et du barbare Banneret.”

 

On lit ici que la nouvelle église n’est pas du gout d’Aubin-Louis Millin qui la trouve disproportionnée et, surtout, sans rapport avec la rareté et l’ancienneté des monuments qu’il devait localiser et décrire. L’église remplaçait un précédent édifice puisqu’elle conservait un “pan de muraille du côté de l’ancien portail.” L’ancien portail est représenté. Il est orienté vers le sud. L’église était donc orientée vers le nord, ce qui est assez rare ; les églises étant traditionnellement tournées vers la renaissance, à l’Est, du soleil et ce afin de symboliser la renaissance du Christ. Un accès public était auparavant possible, surement par la porte perçant le mur d’enceinte visible sur la représentation. Les fidèles étaient donc plutôt attendus depuis les villages du plateau du Vexin. On peut imaginer les personnes les plus pieuses, empreintes de crainte et de respect pour ces lieux mystérieux ; mystérieux car on y entend le chant des chanoines, assis dans leurs stalles, derrière le jubé et la grille qui séparent le chœur de la nef. On ne voit pas les chanoines durant l’office, mais on est baigné de leurs voix, de leur place singulière, peut-être, entre soi et le chemin sublime qui mène aux cieux. Qui sait si, pour les humbles fidèles, les voix des chanoines n’étaient pas comme les rais de lumière traversant les rosaces et vitraux, les sculptures baroques illustrant le souffle divin qui s’en viendra, les joues gonflées des angelots, leurs ailes comme un élan vers le Paradis et la cessation des souffrances… 

Or, la reconstruction de l’église n’a prévu qu’un accès aux chanoines depuis le dortoir ; signe autant que cause, peut-être, de la perte de vitalité et d’idéal du prieuré.  

 

Une autre représentation, non signée et non datée, fut reproduite sur des cartes postales illustrées des années 1910. Elle montre le même corps de logis et date ‒ de ce fait et vraisemblablement ‒ d’après 1685. Cette représentation montre aussi intacte l’église priorale, celle d’avant 1723, semble-t-il, car le portail sud est ouvert et couronné d’un arc en plein cintre ; ce qui n’existait plus dans la nouvelle église. Jusqu’à plus ample informé, le premier à avoir publié une description de l’ancienne église est Charles de Stabenrath, en 1836. Comment le put-il 45 ans après le passage d’Aubin-Louis Millin ? Il consulta puis cita un document, un “état très curieux, rédigé et signé le 11 janvier 1723” rédigé par le prieur et ses frères eux-mêmes. Notre auteur retira de ce document que l’église “avait cent pieds d'élévation depuis le sol jusqu'au sommet du clocher [environ 32 m], et cent-douze pieds de longueur [environ 36 m]. Elle était éclairée par sept croisées ; on y entrait par une porte à plein cintre. Sur les arcs-boutans de l'entrée et de chaque côté, on voyait deux statues en pierre de Saint-Leu : l'une était celle de Jésus-Christ, l'autre celle de Madeleine, tombée quelques années avant. Les contre-forts étaient très peu prononcés, comme dans les anciens édifices.” 

Mais pourquoi refaire cette église, semble-t-il d’architecture rurale ? Charles de Stabenrath le précise : “Dès l'année 1722, le clocher de l'église, qui était carré, construit en pierre, surmonté d'une galerie et d'une flèche couverte d'ardoises, avait été abattu, et l'on songeait à renverser totalement un édifice menaçant probablement ruine.” L’auteur estimait que cette église était romane et datait sa construction du XIIe siècle ; siècle de la fondation du prieuré. Elle avait subi beaucoup de dommages. L’auteur le plus précis sur ces questions est François Blanquart qui, en 1926, publia un article inspiré de celui de Charles de Stabenrath mais plus détaillé et sourcé (les annexes reproduisant les textes originaux). François Blanquart cita les dégâts causés aux bâtiments claustraux par la Guerre de Cent ans et la domination anglaise (page 10). Il cita aussi les lettres d’indulgences accordées en 1454 par le Pape au cardinal de Rouen, Guillaume d’Estouteville, afin d’inciter des fidèles à financer la réparation du prieuré deuxamantin. Le même auteur cita les dégâts causés par la guerre de religions : en 1593, des protestants furent délogés manu militari du prieuré où un incendie ruina de nombreuses parties.   

Mais tout a-t-il réellement disparu de l’église ? 

 

L'église bâtie en 1724 selon un détail la représentation demandée par Aubin-Louis Millin (1791).

L'église bâtie en 1724 selon un détail la représentation demandée par Aubin-Louis Millin (1791).

Gravure non signée et non datée mais qui remonte à la période comprise entre 1685 et 1723. On y voit l'ancienne église et son portail sud.

Gravure non signée et non datée mais qui remonte à la période comprise entre 1685 et 1723. On y voit l'ancienne église et son portail sud.

 

Des vestiges de l’église priorale à Amfreville-sous-les-monts ?

Des vestiges de l’église priorale nous sont parvenus. Selon Charles de Stabenrath : “Parmi les ornemens remarquables qui décoraient cette petite église, il faut citer le retable du grand autel, en pierres sculptées, et représentant l'histoire de sainte Madeleine. Le curé d'Amfreville-sous-Ies-Monts, sans doute plus artiste et plus amateur de l'antiquité que les chanoines ses voisins, ayant appris la démolition de l'église du prieuré, demanda avec instances et obtint pour la sienne ce précieux retable, et, probablement, un tabernacle en pierre, quelques statues devenues inutiles pour l'édifice qu'on allait construire. Le chœur comprenait vingt stalles en bois, précédées par un jubé de même matière, très délicatement sculpté.”

 En consultant des photographies de l’intérieur de l’église Saint-Michel d’Amfreville-sous-les-monts, on retrouve autour du chœur la vingtaine de stalles et des panneaux de bois caractéristiques d’un prieuré. Ce sont les sièges où s’installaient les chanoines durant les offices. Nous avons vu ce même type de stalles à Pont-de-l’Arche, Criquebeuf-sur-Seine et Montaure

L’église est orientée, c’est-à-dire tournée vers l’orient. Son chœur est clôt par un mur plat, sans baies. Celui-ci est orné par un retable, sculpté en pierre semble-t-il, de style baroque. On contemple, c’est-à-dire qu’on est “avec un temple” de la Rome antique, avec ses frontons et ses colonnes. C’est ce que souhaitait symboliser artistiquement la Contre-réforme de 1630 rappelant que le christianisme était catholique et romain et non prétendument réformé, que ce soit par Jean Calvin ou Martin Luther. Le maitre-retable est enrichi d’une statue du Sacré-cœur de la Vierge-Marie. Sur sa droite, se trouve une statue du Sacré-cœur de Jésus-Christ. Sur sa gauche se trouve Saint-Joseph portant l’enfant Jésus. Sur le mur nord du chœur se trouve Saint-Michel, patron des lieux. En vis-à-vis, sur le mur sud du chœur, se trouve Sainte-Madeleine portant un vase de parfum, la myrrhe, qu’elle apporta au tombeau du Christ. Quid des écrits de Charles de Stabenrath ? On retrouve sainte Madeleine dans l’église d’Amfreville mais pas sous la forme d’une histoire illustrée. Quant au maitre-autel, il semble dater du XVIIe siècle. Il serait étonnant qu’il fût délaissé par les chanoines qui construisirent une église en 1723. À tout prendre, nous avons peut-être affaire, ici, à des récupérations d’éléments du monastère lors de la nationalisation des biens de l’église à la Révolution. 

Nous retrouvons en revanche, des éléments concordant : un tabernacle en pierre et une riche statuaire dont une Sainte-Madeleine et un Sacré-cœur de Jésus rappellent l’importance de l’amour et semblent issus de l’église priorale.  

 

 

Le choeur de l'église Saint-Michel d'Amfreville-sous-les-monts (cliché de Pierre Roussel, février 2006).

Le choeur de l'église Saint-Michel d'Amfreville-sous-les-monts (cliché de Pierre Roussel, février 2006).

Le maitre-autel de l'église Saint-Michel d'Amfreville-sous-les-monts (cliché de Pierre Roussel, février 2006).

Le maitre-autel de l'église Saint-Michel d'Amfreville-sous-les-monts (cliché de Pierre Roussel, février 2006).

La statue de sainte Madeleine de l'église Saint-Michel d'Amfreville-sous-les-monts (cliché de Pierre Roussel, février 2006).

La statue de sainte Madeleine de l'église Saint-Michel d'Amfreville-sous-les-monts (cliché de Pierre Roussel, février 2006).

 

Le dortoir des chanoines et l’église de 1723 sont-ils des témoignages des changements d’ordres religieux ?

Charles de Stabenrath livra quelques informations sur les chanoines et leur temporel, c’est-à-dire leurs biens matériels. Il ne restait que trois frères à la Révolution. On ne sait ce qu’ils devinrent à la nationalisation de leurs biens par les Députés. Notre auteur avança qu’ils étaient neuf à se vouer à Dieu en ces lieux, en 1746, et qu’ils disposaient d’un revenu modeste : “le revenu des chanoines du prieuré des Deux-Amans n'était pas considérable, en 1746. Ils possédaient en tout un revenu annuel de 3 655 livres et 13 deniers.” L’auteur compara cette somme aux 12 250 livres qu’avait couté la démolition de l’ancienne église et la construction de la nouvelle maison de Dieu.

Différentes sources montrent que le monastère était passé dans la mouvance des jésuites, c’est-à-dire un ordre de moines fondé en 1539 par Ignace de Loyola afin de lutter contre la Réforme protestante et donc de renforcer les pouvoirs du Saint-Siège. Jean-Michel Bouvris avance, archives en main, la date de 1617 où le monastère devint une dépendance du collège des jésuites de Rouen. Aubin-Louis Millin l’exprima en ces termes : “La mense prieurale a été unie au collège des Jésuites de Rouen, par Paul V, dont les lettres sont datées des années 1607 et 1608, et par des lettres-patentes de l’année 1649. La mense conventuelle fut donnée, en 1652, aux réformés de la congrégation de France. Ce sont eux qui ont rebâti à neuf l’église et tous les lieux réguliers.” Cela signifie que le revenu du monastère (la mense) était réparti en deux sommes : la première, celle du prieur, renforça les revenus des jésuites de Rouen ; la seconde, celle du couvent en lui-même, donc des frères, alla à des frères réformés. Mais réformés de quoi ?   

Charles de Stabenrath nous l’apprend : “les chanoines avaient embrassé la réforme le 24 mai 1648 (...) ils avaient pris le costume de France, et cessé de porter l'aumusse noire sur la tête...” Cette réforme est celle de la Congrégation de France, un ordre de chanoines fondé vers 1619 par François de la Rochefoucauld, abbé de Sainte-Geneviève, à Paris. La finalité était de renforcer l’observance des règles monacales et ce dans la lignée de la Contre-réforme du concile de Trente. En quelques mots, c’était un projet analogue à celui des jésuites que rejoignit, à ce propos, François La Rochefoucauld à la fin de sa vie. C’est sûrement pour cela qu’Aubin-Louis Millin regroupa l’arrivée des génovéfains (adjectif de Sainte-Geneviève) et des jésuites dans le même ensemble chronologique, quitte à la rendre peu compréhensible ‒ voire vétilleuse ‒ pour nous aujourd’hui. Il semble que ce nouvel élan génovéfain soit à l’origine du dortoir des chanoines visible de nos jours. Ce mouvement de contre-réforme génovéfain eut son siècle de gloire, à la fin du XVIIe siècle, où il gagna plus d’une centaine de monastères et prieurés de France. Les religieux devaient attendre de nouveaux frères animés par un renouveau de la foi. 

La réforme génovéfaine a-t-elle été une révolution dans la croyance et la pratique des frères ? Dans la croyance, il semble que non puisque cette réforme se fondait sur une observance accrue de la règle de Saint-Augustin ; règle déjà censée régir le prieuré des Deux-amants depuis 1192, au moins. C’est ce que Jean-Michel Bouvris montre en commentant une bulle originale par laquelle le pape Célestin II accorda aux “augustins” des Deux-amants certains privilèges. 

Mais dans la pratique il semble que les chanoines deuxamantins n’étaient pas tous disciplinés.

 

 

Frère des Deux-amants portant l'aumusse de chanoine d'après une gravure prévue pour les Antiquités nationales d'Aubin-Louis Millin.

Frère des Deux-amants portant l'aumusse de chanoine d'après une gravure prévue pour les Antiquités nationales d'Aubin-Louis Millin.

 

Peut-on expliquer les changements d’ordres religieux ?

Il est facile de lire les passages du prieuré d’un ordre à un autre avec un œil anticlérical. Alors on sourit en songeant aux religieux nobles ‒ à défaut de nobles religieux ‒ s’octroyant une partie des revenus prioraux. C’est partiellement vrai, comme nous l’avons plus haut, et faisait partie de la légalité la plus stricte. Le pape, et même le roi de France, pouvaient nommer des abbés commendataires percevant une partie des revenus afin de gérer les abbayes mais ce dans l’intérêt de celles-ci et non du leur propre. Un prieur, religieux présent parmi les moines, dirigeait réellement l’abbaye. Or, des abus furent commis et maints établissements servirent de rentes à des abbés peu scrupuleux, au grand dam de prieurs. C’est ce comportement illégitime que les nouveaux ordres religieux voulaient extirper de cette hydre à deux têtes qu’on appelle une religion d’État. 

Qui plus est, une crise des vocations religieuses touchaient les monastères parmi lesquels celui des Deux-amants. MM. Charpillon et Caresme citèrent les écrits de Monseigneur Eudes Rigaud, archevêque de Rouen, qui visita plusieurs fois le prieuré qui nous intéresse : “Sous la date du 9 février 1258 on trouve : “ils sont XV chanoines.” C’est à comparer aux 9 chanoines du début du XVIIIe siècle et aux trois derniers tondus de 1789. Il semble que le prieuré n’ait jamais attiré énormément de frères et qu’il fut en perte de vitalité après le Moyen Âge. 

La discipline a aussi inspiré et justifié le renouvèlement des ordres religieux. En sus des écrits d’Eudes Rigaud au XIIIe siècle, MM. Charpillon et Caresme relatent les procès intentés de 1620 à 1649 par le prieur Jacques de la Ferté (par ailleurs récipiendaire de nombreuses commendes et terres, notamment au Québec) à l’encontre de deux de ses frères accusés de “manque absolu de discipline et d’esprit religieux” et de “violences commises contre ceux que l’on avait tenté d’introduire pour donner le bon exemple”. 

Face aux abus d’une part, de nobles avides d’argent et de pouvoir et, d’autre part, de la crise des vocations et du relâchement de la piété chez certains frères, la Réforme protestante séduisit de nombreux croyants. À défaut de réformer par l’intérieur l’Église, les protestants tentèrent de réformer les croyances et pratiques des hommes. Ceci excita plutôt l’hostilité et la haine entre croyants et nourrit l’agnosticisme et l’anticléricalisme. Le prieuré des Deux-amants fut incendié en 1593 lors d’un combat entre les Ligueurs, des protestants militairement en rébellion contre le roi, qui avaient trouvé refuge dans le prieuré. Ils en furent délogés par les garnisons royales des Andelys et de Louviers parmi lesquelles des assaillants mirent “le feu à la porte principale, l'incendie gagnant ensuite tout le cloître” écrivent MM. Charpillon et Caresme. Outre les nécessaires réparations puis reconstructions des locaux en 1685 et 1723, c’est la remise en cause de l’autorité du roi qui explique en partie la nécessité de mieux contrôler les confessions et les ordres religieux. Le roi dut se défendre des protestants en renouvelant la spiritualité et l’organisation de l’église catholique de France. Il dut aussi diriger cette religion afin qu’elle ne soit plus la stricte propriété d’un État étranger comme elle le fut, durant le Moyen Âge, sous l’emprise du Saint-Siège. C’est ce que l’on nomma l’Église gallicane.

Nous avons vu ici un prieuré de taille et revenus modestes ; qui plus est en perte de vitesse. Qu’en était-il de ses revenus et de sa vitalité durant la période précédente ?

 

 

Vue aérienne du dortoir des chanoines et de la propriété contigüe qui servit, longtemps, de ferme aux frères puis aux propriétaires particuliers après la Révolution française (capture d'écran sur le site Géoportail, juin 2019).

Vue aérienne du dortoir des chanoines et de la propriété contigüe qui servit, longtemps, de ferme aux frères puis aux propriétaires particuliers après la Révolution française (capture d'écran sur le site Géoportail, juin 2019).

 

La constitution du terrier prioral du XIIe siècle au XIIIe siècle. 

Se consacrer à Dieu doit être une vocation, pas une profession. Mais cette vocation nécessite des revenus pour entretenir la santé des hommes et la solidité des locaux conventuels. C’est pourquoi les religieux vivaient des dons des croyants, que ceux-ci soient inspirés par une foi sincère ou par l’intérêt d’une bonne réputation. Les grands donateurs étaient donc, nécessairement, des nobles. Les actes anciens permettent de jalonner les années où émergea le prieuré deuxamantin : entre le XIIe siècle et le XIIIe siècle. 

Un article a été rédigé par Jean-Michel Bouvris, archiviste de l'Orne, qui relate la constitution du terrier du prieuré deuxamantin, c’est-à-dire les actes attestant les droits permanents des religieux sur des terres, des redevances, des services... Les actes prioraux sont principalement conservés aux Archives de la Seine-Maritime, dans le fonds du Collège des Jésuites de Rouen qui en recolle une douzaine pour la période choisie. Sans surprise, les droits des chanoines étaient situés dans le Vexin (Bacqueville, Gaillardbois), son pays naturel, mais aussi le long de la Seine (Tournedos), sur le plateau du Neubourg (Crasville) et, plus surprenant, en France, à Triel-sur-Seine. Jean-Michel Bouvris cite ce qui est, pour lui, “La pièce la plus précieuse (D 109) (...) diplôme original, daté de 1175, concernant des libéralités effectuées par le roi Louis VII à Authie, sur le terroir de Triel-sur-Seine (Yvelines). Les Deux-Amants furent, au cours du Xlle siècle, l'un des rares établissements religieux normands en faveur duquel le roi de France effectua une donation.” 

On peut relier cette rare connexion entre la Normandie et la France à ce qui se produisit à l’endroit de l’ancienne abbaye de Bonport, à Pont-de-l’Arche, cofondée en 1189 par Richard-cœur-de-Lion, roi d’Angleterre, et Philippe Auguste, roi de France. En étudiant cette abbaye cistercienne, nous avons trouvé des mentions du prieuré des Deux-amants dans deux de ses actes (à lire ici). Le 31 juillet 1205, une charte fut signée par les religieux du prieuré des Deux-amants afin de céder à leurs frères de la jeune abbaye de Bonport la chapelle de Saint-Martin de Maresdans, avec toutes ses appartenances et dépendances entre Pont-de-l’Arche et Criquebeuf. Ces droits avaient été en partie cédés en 1198 mais semblaient trop peu précis. Les chanoines des deux communautés durent se concurrencer et s’opposer sur l’exploitation des lieux, d’où la précision de 1205. 

Les religieux étaient aussi, en toute logique, possessionnés alentour. Le prieur était patron de la paroisse de Flipou et, depuis 1208, de celle d’Amfreville-sous-les-monts grâce au don de l'archevêque de Rouen (André Pilet, page 37). Une partie des revenus de ces paroisses leur revenaient donc. En 1203, Jourdain de Canteloup donna aux frères un moulin installé sur la Seine (André Pilet, page 20). Les chanoines possédaient à Amfreville la ferme du Plessis et “la ferme des Deux Amants”, jouxtant le prieuré (André Pilet, page 87). Ils possédaient des terres à Romilly-sur-Andelle, qu’ils fieffaient contre des rentes et redevances. Ils accaparèrent 12 hectares de pâturages à Pîtres et Romilly. Les habitants de ces paroisses leur intentèrent un procès en 1507 qui ne fut jugé qu’en 1583 en faveur des habitants spoliés. Les chanoines possédaient aussi un hôtel à Rouen, rue Martainville (André Pilet, page 43), sûrement pour la résidence temporaire du prieur et de frères et la vente de productions locales comme le vin dont on voit le vignoble sur la représentation ancienne plus haut. 

Mais de quand date précisément ce prieuré ? 

 

 

Représentation du gisant de Jean Farceau (selon Nicolas Bertin) dont la tombe était située dans l'église priorale. Il compte parmi les donateurs nobles qui ont constitué le temporel des chanoines.

Représentation du gisant de Jean Farceau (selon Nicolas Bertin) dont la tombe était située dans l'église priorale. Il compte parmi les donateurs nobles qui ont constitué le temporel des chanoines.

 

Vers 1145 apparait le prieuré des Deux-amants. 

Ernest de Blosseville cita le chartrier deuxamantin dans le fonds du collège des jésuites de Rouen. Il le consulta partiellement. À la page 16 de son article, il écrivit que “Le plus ancien [acte], croyons-nous, est un acte de Louis-le-Gros, donnant au prieuré des Deux-Amants 56 arpents de terre. L'origine de l'établissement religieux est donc au moins contemporaine du règne de ce prince, monté sur le trône en 1108.” Louis VI, dit le gros, régna sur les Francs de 1108 à 1137. MM. Charpillon et Caresme citèrent la même donation mais la datèrent de 1175. Le document doit être peu lisible mais la date de 1175 est plus réaliste et rejoint la lecture de Jean-Michel Bouvris abordée ci-dessus. 

MM. Charpillon et Caresme datent les premiers actes du chartrier de 1143 sans toutefois les détailler. 

Jean-Michel Bouvris cite, page 450, une charte d’”Hugues d'Amiens, archevêque de Rouen, délivrée peu avant 1150, par laquelle le prélat prend sous sa protection l'établissement, dont le patrimoine apparait encore à l'état embryonnaire.” Ceci pose assez précisément la naissance du prieuré quelques années auparavant, soit vers 1143. Le même auteur cite une bulle du pape Alexandre III, datée de 1165, qui intégra officiellement le prieuré deuxamantin dans le giron du Saint-Siège. Jean-Michel Bouvris est parvenu à faire le lien entre l'archevêque de Rouen, Gautier de Coutances (1184-1207), et le prieuré des Deux-amants envers lequel il fut généreux : son aumônier, frère Guillaume, était en 1207 un moine deuxamantin. L’impulsion religieuse est établie : le prieuré dépendait d’un groupe de frères appelés chanoines, eux-mêmes soumis à l’archevêché. 

Une famille parait avoir particulièrement enrichi le temporel du prieuré au point de passer pour sa fondatrice : les Malesmains. Les armes de cette famille étaient celles du prieuré comme le démontre le document des chanoines, daté de 1723, et reproduit par François Blanquart (page 28) : “Au fond, contre le pignon, etoit un autel et, au dessus, un retable representant l'Annonciation, au bas duquel etoit, d'un coté, les armoiries du prieuré, qui sont trois mains gauches de sable sur un fond d'azur, representant le dessus de la main à la vüe de l'autre coté etoit un ecusson dont le fond etoit aussi d'azur, en ovale, de meme que le precedent, avec un cheveron doré, au hault duquel et entre la pointe etoient deux roses sans queue et au bas dudit cheveron, dans le milieu, un croissant doré.

On retrouve cette famille dans les chartes attestant les donations de terres et de droits. C’est le cas des dons de Roger de Berville qui donna des droits sur huit églises qui du pays de Caux qui du Calvados. Nous étudions plus précisément cette famille dans un article consacré à la datation du lai de Marie de France sur les Deux-amants et son lien avec des nobles originaires de Pîtres attachés au pouvoir des rois normands d’Angleterre. 

 

 

Armes de la famille de Rouville, apparentée, vraisemblablement, aux Malesmains qui passent pour les fondateurs du temporel des chanoines. Leurs armes sont devenues celles du prieuré des Deux-amants (source : Pierre Palliot et Louvan Géliot, Science des Armoiries, 1660).

Armes de la famille de Rouville, apparentée, vraisemblablement, aux Malesmains qui passent pour les fondateurs du temporel des chanoines. Leurs armes sont devenues celles du prieuré des Deux-amants (source : Pierre Palliot et Louvan Géliot, Science des Armoiries, 1660).

 

Résumer pour conclure !

Nous avons étudié un prieuré de chanoines réguliers soumis à la règle de saint Augustin. Il exista de 1143, environ, à 1790. Il fut possessionné par de nobles familles normandes, au premier rang desquelles les Malesmains. Le roi de France Louis VII fit un don assez faible géographiquement mais fort symboliquement, ceci dans une des rares périodes de paix entre la France et la Normandie. 

Sans jamais croitre énormément (15 frères), le prieuré deuxamantin perdit de sa vitalité durant l’Ancien Régime. C’est ce dont témoignent les changements d’ordres religieux au XVIIe siècle (il fut jésuite puis génovéfain). Il reste de ces tentatives de vitaliser le prieuré le bâtiment du dortoir des chanoines, bâtiment datant de 1685, et des documents sur l’église bâtie vers 1724 et qui dut disparaitre sous les pics d’une carrière de pierres durant et après la Révolution. 

La Madeleine des Deux-amants fut, somme toute, un petit prieuré d’origine religieuse mais il attira les regards par son nom énigmatique autant que poétique : les deux amants. Nous consacrons une étude à ce nom. Il attira aussi les regard par la beauté de son cadre, c’est-à-dire son élévation qui rend sa vue incontournable. La légende ainsi que la géographie ont achevé de magnifier ce lieu au point qu’il est entré dans la liste des monuments nationaux établie par Aubin-Louis Millin. Avec le lai de Marie de France, la côte des Deux-amants et un petit joyau géographique et littéraire, au cœur de la culture française. Le prieuré n’a pas eu d’incidence notable dans l’histoire régionale mais il a largement contribué à bâtir le rayonnement poétique et spirituel de la côte des Deux-amants. 

 

Aujourd’hui, les appétits capitalistes s’apprêtent à ternir et salir l’environnement de la côte deuxamantine : en effet les lobbies du pétrole et de la construction ont prévu de construire une nouvelle autoroute contournant l’Est de Rouen depuis Val-de-Reuil. Une longue saignée de bitume environnera autant qu’elle polluera nos forêts, villages et poumons. Pour quel gain ? La richesse matérielle et très ponctuelle de quelques hommes.  

 

 

Croix de fer de l'entrée du village de Poses devant le sommet, en arrière plan, de la côte des Deux-amants (cliché Armand Launay, mars 2012).

Croix de fer de l'entrée du village de Poses devant le sommet, en arrière plan, de la côte des Deux-amants (cliché Armand Launay, mars 2012).

 

Sources

- Bertin, Nicolas, Voyage archéologique et liturgique en Normandie, Rouen, E. Cagniard, 1863, 56 pages, voir les pages 12 et 13. Accessible sur Gallica ;

- Blanquart, François, “La madeleine du mont des Deux-amants en 1722 : une description de l’ancienne église prieurale au moment de sa démolition”, pages 9 à 73, in Mélanges : documents / Société de l'histoire de Normandie, 10e série, 1926. Accessible sur Gallica

- Blosseville, Ernest, “L’origine du prieuré des Deux amants en Normandie : fabliau du XIIIe siècle, par un trouvère du XVIIIe siècle”, 32 pages, extrait du Précis des travaux de l'Académie impériale des sciences, belles-lettres et arts de Rouen, années 1807-1868. Disponible sur le site de la Bibliothèque de la Sorbonne ;

- Bouvris, Jean-Michel, “Les plus anciens actes du prieuré augustin des Deux-Amants à l'ancien diocèse de Rouen (vers 1110-1207)”, Annales de Normandie, n° 4, 1995, p. 448-450. Accessible sur Persée ;

- Charpillon, Louis-Étienne, Caresme, Anatole, Dictionnaire historique de toutes les communes du département de l’Eure, Delcroix, Les Andelys, 1868, tome I, notice “Amfreville-sous-les-monts”, chapitre : “Prieuré des Deux-amants”, page 109 ; 

- Duplessis, Michel Toussaint Chrétien, Description de la haute et basse Normandie, 1740, tome 2, page 331 (consultable dans Google livres) ; 

- Foulon, Charles, “Marie de France et la Bretagne”, Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest, 1953, pages 243 à 258. Accessible sur Persée

- Francis, Elizabeth A., “Marie de France et son temps” in Romania, tome 72, n° 285, 1951. pages 78 à 99. Accessible sur Persée ;

- Millin de Grandmaison, Aubin-Louis, Antiquités nationales ou Recueil de monumens..., tome 2, chapitre 17, “Prieuré des deux amans”, 1791 (consultable dans Gallica et dans archives.org) ;

- Pilet, André, Terre des Deux-Amants. Amfreville-sous-les-monts : son histoire, des silex taillés à l’ordinateur, éditions Bertout, Luneray, 1996, 179 pages (achetable dans cultura.com) ;

- Stabenrath, Charles de, “Notice sur le prieuré des Deux-amants”, in La Revue de Rouen et de Normandie, 1836, pages 370 à 382. 

 

 

Armand Launay

Pont-de-l'Arche ma ville

http://pontdelarche.over-blog.com

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9 juillet 2019 2 09 /07 /juillet /2019 12:24

La côte des Deux-amants se trouve dans l’Eure, entre Pîtres et Amfreville-sous-les-monts. Elle surplombe le barrage de Poses et, surtout, le confluent de la Seine et de l’Andelle. Elle constitue l’avancée ultime du plateau crayeux du Vexin vers le nord-ouest. Ainsi, elle possède une forme rare où se joignent deux alignements de côtes : les côtes de Seine, ponctuées de falaises depuis Connelles, et les côtes sud de la basse vallée de l’Andelle. 

Le nom des Deux-amants est énigmatique. Nous avons déjà étudié un lai, c’est-à-dire une fable médiévale, de Marie de France, daté de 1155, environ, et qui fait partie du patrimoine littéraire français et, plus précisément, de la littérature courtoise. Cette fable dépeint les efforts d’un noble prétendant au mariage d’une princesse. Mais le père de celle-ci, roi de Pîtres, ne voulait marier sa fille qu’à l’homme capable de la porter dans ses bras ‒ en courant sans pause ‒ au sommet de la côte. Fou amoureux, le prétendant voulut tout de même relever le défi fou. La princesse lui recommanda de chercher un philtre qui l’aidera à surmonter sa fatigue. Le prétendant chercha ce philtre à Salerne et revint à Pîtres. Il parvint à porter la princesse au sommet de la côte, en se passant du philtre, et mourut de fatigue. La princesse, elle, en mourut de douleur. 

Le texte original peut se lire sur Wikisource précédé d’une traduction de Jean-Baptiste-Bonaventure de Roquefort-Flaméricourt datée de 1820.

Cependant l’auteure, Marie, écrit elle-même qu’elle a couché sur le papier une légende populaire, préexistante donc. La fable de Marie fut oubliée et ne resurgit de la bibliothèque du muséum de Londres qu’en 1820. Entre temps, la légende locale était toujours vivace. 

Alors, le nom des Deux-amants a-t-il une origine populaire ou littéraire ? 

Mais encore, un prieuré fut fondé sur la côte des Deux-amants dans la période où fut écrite la fable de Marie. Il fut nommé “Prieuré des Deux-amants”. Or, l’idée qu’un prieuré porte le nom de deux amoureux parait bien peu religieuse, profane et donc indécente. Certains érudits avancèrent que le nom des Deux-amants proviendrait plutôt des “monts” de la région d’Amfreville… “sous les monts”.

Alors, le nom des Deux-amants a-t-il une origine chrétienne ou pratique ?    

 

Voici la plus ancienne représentation - connue - de la côte des Deux-amants. Non signée, on peut la dater entre 1685 et 1722. Le document met en valeur le lien entre cette côte, la Seine et l'Andelle comme voies fluviales.

Voici la plus ancienne représentation - connue - de la côte des Deux-amants. Non signée, on peut la dater entre 1685 et 1722. Le document met en valeur le lien entre cette côte, la Seine et l'Andelle comme voies fluviales.

La côte des Deux-amants constitue un paysage singulier dans la vallée de la Seine. Ici sur une carte postale des années 1910.

La côte des Deux-amants constitue un paysage singulier dans la vallée de la Seine. Ici sur une carte postale des années 1910.

 

1. Une origine populaire ?

Notre première entrée dans le domaine de la côte des Deux-amants se fait par l’oralité quand nos proches, ou un guide imprimé, nous révèle que son nom vient d’une légende orale. L’origine populaire, traditionnelle, existe qui ne semble pas remise en question faute de volonté, de matériau à étudier si ce n’est pas les deux. Cela se comprend car, Marie de France, première personne à avoir rédigé la légende, avoue elle-même qu’elle a emprunté aux Bretons la fable par eux composée à l’oral donc. C’est par ces vers qu’elle commence son lai : 

 

“Jadis avint en Normendie

Une aventure mut oïe

De Deus Amanz qui s’entr’amèrent

Par amur ambedeus finèrent ;

Un Lai en firent li Bretun

Des Deus Amanz reçuit le nun.

 

C’est clairement exprimé, le lai des Deux-amants existait auparavant et était très entendu, autrement dit connu du peuple. Sans qu’on puisse donner de date précise, le lai de Marie de France finit par tomber aux oubliettes mais la légende demeura connue en Normandie et ce par transmission orale.

 

 

 

Jusqu’à plus ample informé, le premier à coucher de nouveau par écrit cette légende est, selon Ernest de Blosseville (page 11), Germain-François Poullain de Saint-Foix dans le cinquième tome de ses Essais historiques sur Paris (page 157). Ce tome date de 1776. L’auteur y livra cette légende en tant que preuve de l’arbitraire exercé par des seigneurs locaux sur leurs serfs. Il la considéra comme fait historique mais ne cita pas ses sources.

 

La version de la légende selon Germain-François Poullain de Saint-Foix en 1776 : 

“Un seigneur qui possédoit une terre considérable dans le Vexin normand se plaisoit à faire parler de lui par ses idées singulières et bisarres. Il assembloit, au mois de juin, tous ses serfs, de l'un et de l'autre sexe, en âge d'être mariés, et leur faisoit donner la bénédiction nuptiale. Ensuite on leur servoit du vin et des viandes ; il se mettoit à table, « buvoit, mangeoit, et se réjouissoit avec eux ; mais il ne manquoit jamais d'imposer aux couples qui lui paraissoient les plus amoureux quelques conditions qu'il trouvoit plaisantes. Il prescrivoit aux uns de passer la première nuit de leurs noces au haut d'un arbre, et d'y consommer leur mariage ; à d'autres de le consommer dans la rivière d'Andelle, où ils passeroient deux heures, nuds en chemise ; à ceux-ci de s'atteler à une charrue, et de tracer quelques sillons ; à ceux-là de sauter à pieds joints par dessus des cornes de cerf, etc. Il avoit une nièce qui aimoit un jeune homme de son voisinage et qui en était éperdûment aimée. Il déclara à ce jeune homme qu'il ne lui accorderoit sa nièce qui condition qu'il la porteroit sans se reposer, jusqu'au sommet d'une montagne qu'on voyoit des fenêtres de son château. L'amour et l'espérance firent croire à cet amant que le fardeau serait léger. En effet, il porta sa bien-aimée, sans se reposer, jusqu'à l'endroit indiqué mais il expira une heure après des efforts qu'il avoit faits. Sa maîtresse, au bout de quelques jours, mourut de douleur et de chagrin. L'oncle en expiation de leur malheur qu'il avoit causé, fonda sur la montagne un prieuré qu'on appela le prieuré des Deux Amants.” 

Ernest de Blosseville avança que “c'est de lui que procèdent toutes les compilations” qui ont suivi. Il semble en effet que l’écriture imprimée permit de diffuser plus largement cette légende. Elle nous offre, surtout, des preuves datées et traçables de l’existence de la légende ; ce que l’oralité ne permet pas. Qui plus est, dans une histoire de Paris, il n’y a aucun doute que cette légende normande connut une plus grande publicité dans le public lettré français que s’il n’entrât dans une publication à portée provinciale. 

Que retenir de cette version par rapport au texte de Marie de France ? Il a beaucoup perdu de sa portée morale. Elle met l’accent sur la personnalité irréfléchie et farfelue du seigneur et ajoute des fantaisies à caractère sexuel qui nous rappellent les débats autour du moyenâgeux droit de cuissage où le graveleux se pare de recherche en apparence historique et donc légitime. Le roi est devenu un simple seigneur. La fille est devenue la nièce du seigneur. La parente de Salerne et le philtre ont disparu. L’idée de l’aveuglement amoureux du prétendant existe toujours mais son amante n’a plus de rôle de conseillère avisée. La chute, si l’on ose dire ainsi, n’explique pas la naissance du lai mais la fondation du prieuré.

Cette légende semble être la version appauvrie, répétée dans les auberges, du texte de Marie. On en imagine déjà une autre version, plus familiale, destinée aux enfants. Alors, peut-on imaginer que le lai de Marie soit d’origine populaire ou, au contraire, que la version populaire soit un lointain rappel du texte de Marie de France ?  

 

 

A partir du texte de Germain-François Poullain de Saint-Foix, paru en 1776, la légende des Deux-amants a connu de nombreuses versions écrites ainsi que des illustrations. Ici, les tableaux du peintre normand Paul Malençon (1818-1880) reproduits sur une carte postale de la fin du XXe siècle.

A partir du texte de Germain-François Poullain de Saint-Foix, paru en 1776, la légende des Deux-amants a connu de nombreuses versions écrites ainsi que des illustrations. Ici, les tableaux du peintre normand Paul Malençon (1818-1880) reproduits sur une carte postale de la fin du XXe siècle.

2. Une origine littéraire : le lai de Marie de France ?

La découverte en 1820 du lai de Marie de France par l’abbé Delarue au muséum de Londres n’a pas modifié la diffusion de la légende. Les hommes ont continué à coudre librement sur une trame commune et lâche l’histoire tragique des amoureux. Le romantisme dut attirer les regards vers la légende deuxamantine (adjectif des Deux-amants) et de ses larmes l’a déployée comme une éponge que l’on arrose.

Marie écrivit que les Bretons ont fait un lai de l’histoire des Deux-amants. Que viendraient faire des Bretons en pleine Normandie ? Dans un précédent article, nous avons analysé l’argumentaire d’Elizabeth Francis selon qui les 12 lais de Marie s’inscrivaient dans la politique d’Henri II d’Angleterre. Ce monarque cherchait la fidélité de ses seigneurs notamment en faisant paraitre des ouvrages légitimant son pouvoir et, plus généralement, celui des ducs de Normandie sur la germanique Angleterre. Ceci explique le recours aux légendes celtiques, bretonnes, montrant que les familles des barons normands étaient en partie issues de la petite Bretagne. Ils étaient donc les héritiers des anciens rois bretons et autre mythique Arthur. Le lai des Deux-amants s’adressait en particulier à la famille du comte d’Hereford, originaire de Pîtres. Ses ancêtres épaulèrent Guillaume le Conquérant dans sa conquête d’Albion puis restèrent attachés aux successeurs de Guillaume. Ceci peut expliquer pourquoi Marie place dans la bouche de Bretons ce qui est parfaitement normand. Qui plus est, dans ses 12 lais Marie traite deux thèmes principaux, en vogue dans la littérature courtoise : les loisirs, tels que les tournois, et la justice de nobles personnages bien inspirés d’être loyaux envers leurs prochains. Notre lai pîtrien fait partie du traitement de ces thèmes.

 

Afin de dater le lai des Deux-amants, R. N. Illingworth montra, à la suite d’Ernest Hoepffner, que Marie de France s’inspira partiellement d’une œuvre des Métamorphoses d’Ovide : Pyrame et Thysbé. Cette œuvre fit l’objet de nouvelles publications à partir de 1155. R. N. Illingworth date la composition du le lai entre 1155 et 1160. Ce lai présente des analogies avec l’œuvre d’Ovide : l’amour de jeunes êtres malgré l’obstacle parental, le manque de mesure (de raison) des amoureux qui créent leur propre perte et se donnent la mort, la non consommation du mariage pourtant voulu(e), la scène finale où l’amante étreint celui qu’elle vient de perdre... 

Autre auteur, Charles Foulon montra que Marie s’inspira du Roman de Brut du Normand Robert Wace. Cet ouvrage mi-historique mi-légendaire fut commandé par Henri II pour justifier le pouvoir anglo-normand. C’est ici que Marie puisa les noms de “Neustrie” prénormande et de “Pîtres” en tant que résidence royale. 

De tout cela nous retenons que Marie est en partie créatrice ‒ car augmentatrice ‒ du lai deuxamantin. R. N. Illingworth avance que Marie a dû s’inspirer tout de même d’une légende locale. Nous pouvons en effet remarquer qu’il manque l’idée d’ascension à la légende de Pyrame et Thysbé et aux thèmes courtois des loisirs et de la justice . 

 

Enfin, nous remarquons que la légende locale se distingue d’autres histoires impliquant deux amants malheureux ; histoires renommées au XIIe siècle. Nous n’évoluons pas dans les luxurieux rapports entre Héloïse et Abélard dont les lettres sont datées de 1115 ; nous ne sommes pas dans l’abstinence voulue et tenue des deux amants sans désir et rapports physiques tels que Grégoire de Tours les dépeint au chapitre 42 du premier livre de L’Histoire des Francs (page 83). 

Pour autant, les Deux-amants semblent être bons chrétiens, capables d’amour sincère, voulant le mariage et la justice. De plus, la version populaire de la légende, telle que rapportée par Germain-François Poullain de Saint-Foix en 1776, la relie explicitement au prieuré deuxamantin.

Faut-il délaisser la thèse religieuse de l’origine du nom qui nous intéresse ici ?  

 

3. Une origine religieuse : les deux amants divins : Jésus et Marie Madeleine ? 

Le thème de l’amour en esprit de Jésus et de Madeleine existait au Moyen Âge. Il n’y a rien d’étonnant à cela quand on songe au Cantique des cantiques de Salomon où l’amour pur entre deux êtres exprime la foi sincère et dévouée envers le divin : 

 

“Mon bien-aimé est pour moi un bouquet de myrrhe qui repose entre mes seins.

Mon bien-aimé est pour moi une grappe de troëne des vignes d’EnGuédi. 

- Que tu es belle, mon amie, que tu es belle ! Tes yeux sont des colombes. 

- Que tu es beau, mon bien-aimé, que tu es aimable ! notre lit, c’est la verdure. 

Les solives de nos maisons sont des cèdres, nos lambris sont des cyprès.”

 

Le cantique des cantiques, de Salomon, La Bible selon la traduction de Louis Segond. 

 

Le thème de l’amour en esprit était aussi dans l’air du temps quand fut fondé le prieuré des Deux-amants, vers 1143. En effet, en 1139 le deuxième concile de Latran entérina l’interdiction faite aux clercs de se marier et donc de connaitre la coupable chair qui divertit de l’amour réel. 

De plus, le thème des deux amants divins se retrouve, comme le cita Ernest de Blosseville (page 15) dans d’autres traditions à Clermont (inspirée de Grégoire de Tours, comme vu ci-dessus) et Lyon (communauté des Deux-amants), à Saint-Riquier (ché Picards) mais aussi en Espagne… 

Un argument pèse plus encore : Charles de Stabenrath et F. Blanquart commentent et reproduisent partiellement une description de l’ancienne église du prieuré, menaçant ruine. Elle fut rédigée par le prieur des Deux-amants, lui-même. Datée du 11 janvier 1723, cette description mentionne que : “Sur les arcs-boutans de l'entrée et de chaque côté, on voyait deux statues en pierre de Saint-Leu : l'une était celle de Jésus-Christ, l'autre celle de Madeleine, tombée quelques années avant.” F. Blanquart montre, de plus, que des statues de Jésus et Marie Madeleine se trouvaient aussi dans le chœur de l’église. Les figures de Jésus et Marie Madeleine n’étaient pas anecdotiques puisqu’elles accueillaient le fidèle à l’entrée de l’église priorale et se trouvaient au cœur du rituel sans cesse renouvelé par les chanoines. 

Qui plus est, Charles de Stabenrath argua que l’on trouve l’expression de “Deux amants” “dans une charte latine de 1177 : Duorum Amantium, que l'on traduit par Deux-Amans. Il s'agit, dans cette charte, d'une donation faite en faveur du prieuré par Gouel de Bauldemont, fils de Bauldric” (page 375). Il semble que le prieuré fût fondé vers 1143. Il serait étonnant ‒ autant que singulier ‒ qu’il n’ait pas porté le nom de Deux-amants dès sa fondation. 

Enfin, et pour en finir avec cet argument, le prieuré était aussi appelé sainte-Madeleine des Deux-amants. Les Deux-amants divins remplissent les locaux de l’ancien prieuré voué à eux.  

 

 

Le thème des Deux-amants divins était connu au Moyen  ge. Ici, par exemple, un détail de l’ébrasement du porche sud de la cathédrale de Chartres représente les “deux amants”. Cette illustration est une reproduction de diapositive des années 1930 du fonds Bonnenfant et classée sous la cote : 37 Fi 1822 aux Archives départementales de l’Eure.

Le thème des Deux-amants divins était connu au Moyen ge. Ici, par exemple, un détail de l’ébrasement du porche sud de la cathédrale de Chartres représente les “deux amants”. Cette illustration est une reproduction de diapositive des années 1930 du fonds Bonnenfant et classée sous la cote : 37 Fi 1822 aux Archives départementales de l’Eure.

 

Quant à Marie Madeleine, son nom fut donné à plusieurs personnages dans la théologie chrétienne. Malgré bien des controverses, elle incarna et symbolisa plutôt celle qui a péché à un moment de sa vie. Cela ne la singularise pas quand on songe aux vies du soldat saint Paul... et du bon vivant saint Augustin, dont les écrits ont inspiré la création de la règle des augustins ; règles des chanoines deuxamantins. Puis, Madeleine incarna et symbolisa le repentir : elle aima Jésus. Elle ne l’aima ni dans le sens du désir physique (l’éros grec), ni de l’amitié (philia), ni de la tendresse familiale (storgê) mais du désintéressement, du spirituel (agapè). C’est précisément en cela que consiste le vœu de chasteté des moines amants en esprit de Jésus. Or, amant signifiait “amoureux” en ancien français avant que son sens ne se limite à la relation sexuelle, voire sentimentale. Par ailleurs, presque comme Apollinaire, on pourrait aisément écrire à l’entrée des monastères : “les cénobites en paix”. Reprenons. C’est d’ailleurs ce que Jésus dit à Marie Madeleine quand il révéla sa résurrection : “noli me tangere”, ne me touche pas. L’amour qu’il désigne est celui qui assure l’immortalité et non les passions physiques qui dévorent et perdent l’homme, mâle et femelle. De nos jours, dans une atmosphère Da-Vinci-codesque, beaucoup de bruits courent autour d’un hypothétique amour charnel entre Jésus et Marie Madeleine, ancienne prostituée. C’est bien mal comprendre la finalité spirituelle du message chrétien.

 

Pour libérer l’imagination et développer la réflexion, on gagne à observer le rôle de tout premier plan donné à un personnage féminin dans les témoignages, anciennement dits testaments, des apôtres : Marie Madeleine était une femme et Jésus, envoyé de Dieu, l’élit premier témoin de sa résurrection. Or, au XIIe siècle, en France, le culte de Marie était vif et la littérature courtoise émergeait. Cette littérature louait l’homme qui sait respecter la femme. Parler de tension vers une égalité homme-femme serait anachronique mais la femme, au moins dans les milieux lettrés et aisés, se vit reconnaitre une sensibilité, une dignité. C’est là que la thèse romantique et profane des “deux amants” trouve un certain crédit. 

 

Malgré la présence monacale et les statues de Marie Madeleine et Jésus dans l’église priorale, le peuple ‒ et les auteurs après lui ‒ ont préféré la légende orale, plus romantique et profane. Aubin-Louis Millin nota que les gens du peuple attribuaient même les tombes du prieuré non aux anciens donateurs, tels les Malesmains ou les Rocherolles, mais aux deux amants de la légende et au père contrit. Les faits ont beau être têtus, écrivait Lénine, ils le sont moins que les hommes en quête de rêverie. 

Que valent les faits, justement ? Le nom des Deux-amants a-t-il une origine pratique ? 

 

4. Une origine pratique est-elle possible ?

Voici une explication moins aimée des érudits : la côte des Deux-amants pourrait tout simplement tenir son nom de sa géographie.

Charles de Stabenrath a une plume acérée sur le sujet : il crucifie le religieux Michel Toussaint Chrétien Duplessis selon qui le nom de “Deux-amants” proviendrait, légèrement déformé, de “deux monts”. Il se fonda sur l’observation de la côte depuis la rive droite de l’Andelle où deux monts se distinguent entre le départ d’un vallon. Duplessis avança cela au conditionnel car le nom des Deux-amants lui paraissait trop profane pour un lieu religieux. Il cita cependant, et honnêtement, une thèse toute spirituelle : l’amour de sainte Madeleine et de Jésus (page 374). Charles de Stabenrath enfonça cependant le clou (page 375) en citant la charte de 1177, traitée ci-dessus, où l’on trouve l’expression de “Duorum Amantium (...) que l'on traduit par Deux-Amans”. Dont acte. 

Nous avions nous-même envisagé que le nom de “Deux-amants” était issu de “deux amonts”. En effet, dans le langage des bateliers de Seine “aller amont” signifie remonter le courant (à lire ici). Or, la côte qui nous intéresse est un point de repère immanquable, surtout pour les voyageurs, au pied duquel il est possible de remonter deux amonts : celui de la vallée de la Seine et celui de la vallée de l’Andelle. Ces cours ont dessiné la douce et singulière courbe de la côte deuxamantine. Cette thèse rejoint celle de Gaëtan de la Rochefoucault pour qui les “deux amonts” désignent les rangées de monts proches de la confluence de l’Andelle et de la Seine (Ernest de Blosseville, page 14). Après tout, et pour aller dans son sens, Amfreville n’est-il pas devenu “sous-les-monts” afin de le distinguer du proche Amfreville-les-champs. Preuve est faite que les versants abrupts de Seine étaient dénommés “les monts”. 

 

 

Dessin publié dans Les Antiquités nationales d'Aubin-Louis Millin de Grandmaison pour illustrer la thèse selon laquelle le nom des Deux-amants serait issu de la jonction entre deux séries de monts. Ici le dessinateur s'est positionné sur le coteau nord de l'Andelle, sur les hauteurs de Romilly-sur-Andelle.

Dessin publié dans Les Antiquités nationales d'Aubin-Louis Millin de Grandmaison pour illustrer la thèse selon laquelle le nom des Deux-amants serait issu de la jonction entre deux séries de monts. Ici le dessinateur s'est positionné sur le coteau nord de l'Andelle, sur les hauteurs de Romilly-sur-Andelle.

 

Alors, il n’est pas exclu que le nom de “deux amonts” ait préexisté au prieuré établi vers 1143. Les chanoines, venus s’installer en ce lieu, ont pu s’approprier ce “deux amonts” par la légère modification en “deux amants”... divins. Selon nous, ce qui donne du crédit à cette thèse, reposant sur un jeu de sons, est l’exemple de l’ancienne abbaye de Bonport. Nous avions étudié son nom dans un précédent article. La légende populaire avance que Richard Cœur de Lion faillit se noyer dans la Seine durant une obscure mésaventure de chasse, peu à son avantage. Il fit vœu à la Vierge Marie de fonder une abbaye à l’endroit où elle lui ferait toucher la berge. Le “bon port” eut lieu et Richard fit l’abbaye. Pourtant les armes abbatiales montrent la Nativité du Christ. Le fils de Dieu parmi les hommes est un “bon port” bien plus précieux, qui plus est pour des religieux. De plus, au gré de nos études, nous identifions de mieux en mieux un petit port de Seine au creux du Val Richard. Il nous semble que les moines aient tenté de concilier un nom local avec une appellation conforme à leurs pieux vœux. Ceci d’autant plus que la fondation de Bonport provint d’une rare et courte période de paix entre Richard, roi d’Angleterre, et Philippe, roi de France. Bonport est une cofondation entre les deux royaumes, pas le résultat d’une mésaventure. Exit la thèse de la chute dans l’eau, nous semble-t-il. Bienvenue à la thèse religieuse qui s’ancre dans une contrée.   

 

Pour conclure, la côte des Deux-amants est un lieu romantique qui élève le regard des hommes vers la rêverie poétique ou historique. Le nom de ce lieu permet d’ouvrir de nombreuses problématiques. Pour tenter d’y répondre, nous avons répertorié et expliqué les thèses avancées par les auteurs. Nous les avons argumentées plus avant. 

Ces thèses ne semblent pas exclusives mais complémentaires. 

La légende populaire est le principal support de transmission de l’histoire des Deux-amants. Entre Marie de France vers 1155 et l’avant-veille de la Révolution, en 1776, 600 ans de transmission orale ont fait vivre et survivre la légende deuxamantine, bien que la déformant et l’appauvrissant. 

L’origine littéraire semble aussi acquise. En effet, Marie s’est inspirée d’un sujet local, préexistant à son lai, et relié à de nobles familles de barons d’origine pitrienne participant du pouvoir d’Henri II sur l’Angleterre. Mais il semble que notre auteure ait beaucoup enrichi le sujet des Deux-amants par une œuvre légendaire d’Ovide, Pyramus et Thysbé, et une œuvre historico-légendaire de Robert Wace, Le Roman de Brut

Il semble aussi qu’elle ait pris connaissance de la fondation d’un prieuré qui fit connaitre, au-delà de la contrée de Pîtres, le nom des Deux-amants. C’est d’ailleurs ce prieuré qui semble avoir suscité l’interrogation des hommes sur ce nom énigmatique. Ainsi, les hommes ont ressenti le besoin d’expliquer ce nom ; d’où la popularité de la légende qui nous est revenue en 1776 comme explication de l’origine du prieuré. 

Pourtant, le nom des Deux-amants est pleinement chrétien et semble dater de la fondation du prieuré vers 1143. C’est ce que prouvent les personnes de Jésus et Marie Madeleine, amants en esprit, présents sous forme de statues dans l’église priorale. Quant à l’origine première de ce nom, nous la voyons dans l’expression de “deux amonts” qui exista dans le langage des bateliers de Seine afin de désigner le fait de remonter le courant. Ici la côte qui nous intéresse est notable du fait de son élévation et singulière et du fait de ses courbes faisant la jonction entre deux rangées de monts : ceux de la Seine et de l’Andelle qui unissent leurs eaux au pied du mont. 

C’est enfin en ce lieu que la marée fait cesser ses effets, c’est-à-dire à Poses ; cette pause qui eût sauvé notre malheureux prétendant s’il eût bu, dans une bonne auberge du village, un bon cidre en guise de filtre ; et c’est sa femme qui le lui demanda !

 

Pour ne pas reproduire l'erreur du prétendant, pensez à boire régulièrement un bon beivre, notamment la bière des Deux-amants, produite à Val-de-Reuil : https://lesdeuxamants.com

 

 

 

 

 

La bière des Deux-amants est produite à Val-de-Reuil, goutez-y !

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Sources

- Blosseville, Ernest, marquis de, “L’origine du prieuré des Deux amants en Normandie : fabliau du XIIIe siècle, par un trouvère du XVIIIe siècle”, 32 pages, extrait du Précis des travaux de l'Académie impériale des sciences, belles-lettres et arts de Rouen, années 1807-1868 ;

- Bouvris, Jean-Michel, “Les plus anciens actes du prieuré augustin des Deux-Amants à l'ancien diocèse de Rouen (vers 1110-1207)”, Annales de Normandie, n° 4, 1995, p. 448-450. Accessible sur Persée ;

- Charpillon, Louis-Étienne, Caresme, Anatole, Dictionnaire historique de toutes les communes du département de l’Eure, Delcroix, Les Andelys, 1868, tome I, notice “Amfreville-sous-les-monts”, chapitre : “Prieuré des Deux-amants”, page 109 ; 

- Duplessis, Michel Toussaint Chrétien, Description de la haute et basse Normandie, 1740, tome 2, page 331 (consultable dans Google livres) ; 

- Foulon, Charles, “Marie de France et la Bretagne”, Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest, 1953, pages 243 à 258. Accessible sur Persée

- Francis, E. A., “Marie de France et son temps” in Romania, tome 72, n° 285, 1951. pages 78 à 99. Accessible sur Persée ;

- Illingworth, R. N. “La chronologie des Lais de Marie de France”, in Romania, tome 87 n° 348, 1966, pages 433 à 475. Accessible sur Persée ;

- Millin de Grandmaison, Aubin-Louis, Antiquités nationales ou Recueil de monumens..., tome 2, chapitre 17, “Prieuré des deux amans”, 1791 (consultable dans Gallica et dans archives.org) ;

- Pilet, André, Terre des Deux-Amants. Amfreville-sous-les-monts : son histoire, des silex taillés à l’ordinateur, éditions Bertout, Luneray, 1996, 179 pages ;

- Stabenrath, Charles de, “Notice sur le prieuré des Deux-amants”, in La Revue de Rouen et de Normandie, 1836, pages 370 à 382. 

 

 

Armand Launay

Pont-de-l'Arche ma ville

http://pontdelarche.over-blog.com

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10 juin 2019 1 10 /06 /juin /2019 08:58

 

À tonton Miguel;)

 

Avec nos remerciements à Édouard Capron, vigneron normand qui a instillé en nous l’idée et la motivation de créer cet article. Remerciements itou à notre ami Laurent Ridel, historien de la Normandie, pour les pistes bibliographiques. Remerciements enfin au blanc Entre-deux-mers qui a su m’encourager dans les parties les plus ardues de la rédaction.


 

À première vue, la présence de la vigne en Normandie étonne ou fait sourire étant donné le manque de soleil légendaire de notre contrée. Pourtant, on connait tous une vigne vierge sur la façade d’une maison d’un ami ; on se souvient avoir lu quelques lignes sur la vigne en Angleterre ; mieux, quand on consulte une carte, on mesure que la Champagne viticole n’est pas située plus au sud que notre bonne Normandie. Ce n’est donc pas l’existence de quelques pieds de vigne qui est étonnante en Normandie, mais l’idée de la cultiver sous forme de vignobles. Est-il approprié de parler de vignobles de la région de Pont-de-l’Arche ou est-ce une exagération, voire une illusion ?

 

Le vignoble renait depuis mars 2016 où Édouard Capron a planté 3000 pieds à Freneuse. Ici sur la photographie de Paris Normandie (document 1) se voient deux vendangeurs en action en septembre 2018. Les autres documents (clichés d'Armand Launay) montrent le domaine Saint-Expédit et son propriétaire.
Le vignoble renait depuis mars 2016 où Édouard Capron a planté 3000 pieds à Freneuse. Ici sur la photographie de Paris Normandie (document 1) se voient deux vendangeurs en action en septembre 2018. Les autres documents (clichés d'Armand Launay) montrent le domaine Saint-Expédit et son propriétaire.
Le vignoble renait depuis mars 2016 où Édouard Capron a planté 3000 pieds à Freneuse. Ici sur la photographie de Paris Normandie (document 1) se voient deux vendangeurs en action en septembre 2018. Les autres documents (clichés d'Armand Launay) montrent le domaine Saint-Expédit et son propriétaire.
Le vignoble renait depuis mars 2016 où Édouard Capron a planté 3000 pieds à Freneuse. Ici sur la photographie de Paris Normandie (document 1) se voient deux vendangeurs en action en septembre 2018. Les autres documents (clichés d'Armand Launay) montrent le domaine Saint-Expédit et son propriétaire.

Le vignoble renait depuis mars 2016 où Édouard Capron a planté 3000 pieds à Freneuse. Ici sur la photographie de Paris Normandie (document 1) se voient deux vendangeurs en action en septembre 2018. Les autres documents (clichés d'Armand Launay) montrent le domaine Saint-Expédit et son propriétaire.

Apéritif

Dans un article passionné l’abbé Cochet exposa, en 1866, que “La vigne prit heureusement racine dans les Gaules, car l’historien de Julien l’Apostat nous dit qu’à Lutèce on recueillait de meilleurs vins qu’ailleurs parce que, ajoutait-il, les hivers y sont plus doux que dans le reste du pays.” Il s’agit donc du IVe siècle de notre ère. Il y a tout lieu de penser que le vin lutétien était meilleur que les autres vins de la vallée de Seine et donc de la région de Rouen, le Vexin, et au-delà vers l’estuaire de la Seine. Puis, l’abbé Cochet établit un lien entre les sources textuelles religieuses et la culture de la vigne durant le haut Moyen Âge dans la vallée de la Seine. Il traite de l’importance des abbayes de Fontenelle, Jumièges et de Rouen en matière de plantation et de culture de la vigne. Pierre Brunet est plus précis qui trouve une première mention écrite de la présence de la vigne à Lisieux en 584 (page 185). Les religieux étaient, semble-il, très actifs en matière de viticulture en tant que propriétaires et consommateurs. Nous retrouvons cet intérêt pour la vigne dans notre région, à Léry, au XIe siècle...

 

1.1. Un premier verre : le vignoble de Léry, les religieux de Caen, puis de Bonport.

Charpillon et Caresme ont cité un acte approximant 1077 par lequel Guillaume le Conquérant donna “aux moines de Saint-Étienne de Caen quatre arpents et demi de vigne à Léry, et trois aux religieux de la Trinité.” Le duc leur permit aussi de créer deux moulins sur “la rivière d’Eure à la condition de laisser librement passer les poissons et les bateaux”. Un lien est fait entre la vigne et les moulins. Ceux-ci devaient assurément servir ‒ entre autres fonctions ‒ à écraser le raisin. Notons que deux moulins étaient toujours visibles sur le plan cadastral de 1834, signé par Le Fébure et Charpentier : l’un était sur la rive gauche de l’Eure, près de l’église Saint-Ouen et l’autre était appelé l’Aufrand, plus en amont sur la rive droite, vers l’actuelle prison des Vignettes.    

Puis, cette présence des moines et moniales caennais nous échappe. Seuls demeurent, à notre connaissance, les moines de l’abbaye Saint-Ouen de Rouen. Richard II, nous apprennent Charpillon et Caresme, leur avait donné l’église de Léry vers 1018. Entre 1130 et 1160 ils firent bâtir des parties ‒ toujours visibles ‒ de l’église actuelle. Ils conservèrent leurs droits à Léry, notamment la dime, jusqu’à la Révolution.

Un édifice témoigne aussi de la présence de religieux à Léry : l’église Saint-Patrice, le long de l’Eure, au n° 10 de la rue des Émotelles. Elle présente une entrée voutée en tiers point ce qui la rattache plutôt au style gothique et la daterait du XIIe siècle. En 1260, elle jouxtait le “cimetière Saint-Patrice” (Jules Andrieux, page 255). A-t-elle servi de lieu de culte pendant que les moines de Saint-Ouen faisaient construire l’église paroissiale ? Est-ce un vestige de la présence des moines et moniales de Caen ou, déjà, le signe de la prise de possession par les moines de Bonport du “clos de Léry” donné en 1189 par le roi d’Angleterre et duc de Normandie Richard Cœur-de-Lion ?

Les deux moulins de Léry sont mentionnés dans la même charte de 1077 par laquelle Guillaume le Conquérant dota en vignobles les moines de l'abbaye aux moines et les moniales de l'abbaye aux dames, de Caen donc. Il semble donc que les moulins servissent, en partie, à écraser le raisin d'une ample viticulture locale. Ici, sur une carte postale des années 1910, le moulin situé près du pont de l'église Saint-Ouen.

Les deux moulins de Léry sont mentionnés dans la même charte de 1077 par laquelle Guillaume le Conquérant dota en vignobles les moines de l'abbaye aux moines et les moniales de l'abbaye aux dames, de Caen donc. Il semble donc que les moulins servissent, en partie, à écraser le raisin d'une ample viticulture locale. Ici, sur une carte postale des années 1910, le moulin situé près du pont de l'église Saint-Ouen.

 

1.2. Le vignoble lérysien dans le cartulaire de Bonport

Le cartulaire désigne l’ensemble des chartes possédées par les moines d’une abbaye afin de défendre leur droit à la propriété ou à des redevances. Le cartulaire de Bonport, abbaye construite à Pont-de-l’Arche à partir de 1190, a été minutieusement étudié et compilé par Jules Andrieux. Nous avons sélectionné les passages les plus instructifs en lien avec le vignoble que nous avons compilés dans un article accessible ici. Mais que retenir de tout cela ?

En 1198, Richard Cœur-de-Lion, confirma sa donation aux moines bonportois et, notamment : “totum closum de Lere cum suis pertinentiis, et omnes vineas et vina que habebamus in Valle-Rodolii.” Les moines étaient donc fieffés à Léry, notamment de vignes et vignobles proches du Vaudreuil. Mais cela ne leur suffit pas.  

De 1190 à 1296, les moines bonportois acquirent ‒ environ ‒ 14 parcelles de vignes à Léry, 7 rentes sur des vignes lérysiennes et 8 parcelles de vignes dans 8 autres lieux distincts les uns les autres. Notons qu’à sa fondation l’abbaye de Bonport acquit trois parcelles en France conformément au souhait de Philippe II, roi de France, cofondateur de cette abbaye avec Richard Cœur-de-Lion. Léry apparait donc comme le lieu du vignoble bonportois par excellence. Nous apprenons que le vignoble servait notamment à l’hospice devant accueillir les pauvres à l’abbaye de Bonport, d’où la précision, en 1248, de la vente par Guillaume le Duc d’une pièce de vigne “au gardien de l'hospice des pauvres”. Une autre vigne est dite “sacriste”. Elle était donc réputée servir au sacriste, celui qui prépare l’office religieux et donc le vin de messe. Cela semble suggérer que le reste du produit des vignes allait à la consommation des moines, voire à la vente. Il nous est malheureusement impossible d’apprécier la superficie des vignes, les actes ne donnant pas cette précision. Ils évoquent, simplement, des “pièces” de terre. Cependant, les surfaces devaient être considérables car elles semblent couvrir une large partie du territoire paroissial.  

 

 

L'abbaye de Bonport était enclose. Une porte en permettait le ravitaillement depuis la berge de Seine. On peut imaginer les tonneaux de vin arrivant ici en vue de sa consommation par les moines, notamment dans le réfectoire, et par les personnes accueillies dans l'hospice, situé presque au-dessus de la cave (clichés Armand Launay, avril 2011).
L'abbaye de Bonport était enclose. Une porte en permettait le ravitaillement depuis la berge de Seine. On peut imaginer les tonneaux de vin arrivant ici en vue de sa consommation par les moines, notamment dans le réfectoire, et par les personnes accueillies dans l'hospice, situé presque au-dessus de la cave (clichés Armand Launay, avril 2011).

L'abbaye de Bonport était enclose. Une porte en permettait le ravitaillement depuis la berge de Seine. On peut imaginer les tonneaux de vin arrivant ici en vue de sa consommation par les moines, notamment dans le réfectoire, et par les personnes accueillies dans l'hospice, situé presque au-dessus de la cave (clichés Armand Launay, avril 2011).

 

Où était situé le vignoble lérysien ?

Le terme de “Vignettes”, petites vignes, est aujourd’hui connu qui désigne la prison de Val-de-Reuil, construite sur des terres de Léry (cédées en 1972 à la naissante commune de Val-de-Reuil). Le plan cadastral de 1834 montre le terme de “Vignettes”. Il se trouve sur la rive droite de l’Eure, du côté de l’Offrand. C’est un diminutif suggérant que les vignes étaient moins nombreuses de ce côté-ci. Elles étaient cependant suffisamment notables pour servir de toponyme. Le diminutif permettait de les distinguer des autres vignes lérisiennes. Celles-ci sont localisables dans le plan cadastral où l’on trouve la mention de “rue des vignes Potou” vers le Torché, ancien hameau existant déjà dans les chartes du XIIIe siècle, c’est-à-dire vers l’actuel Val-de-Reuil. Potou sonne comme le surnom d’une personne, si ce n’est pas son réel nom de famille.   

Un nom d’espace nous intéresse : “Le Camp l’abbé” qui signifie, en dialecte local, le champ de l’abbaye. L’abbaye est celle de Bonport, à n’en pas douter. Le nom d’abbé pour désigner un lieu semble déjà utilisé en 1291 dans une charte de vente par Guillaume Langleis d’une pièce de vignes aux moines de Bonport.

Les chartes bonportoises mentionnent rarement les lieux des vignobles mais le nom des propriétaires. Cependant, des vignes sont situées expressément en 1280 près de “Albe vie” qui se traduit du latin des chartes par “Voie blanche”, espace bien connu des hauts de Léry et, dans le français courant, par Aubevoye que l’on retrouve à côté de Gaillon. Un autre lieu est cité en 1288 : “queminum domini regis”, c’est-à-dire le “quemin le roy”, soit le chemin royal : la voie principale. C’est la voie de Rouen à Mantes que l’on retrouve sur le plan cadastral. D’autres noms nous intéressent : le Mont Béjout, qui indique une hauteur ; et Esmaiart, Esmeart, Maiart, qui nous fait songer ‒ même très lointainement ‒ aux mystérieux noms de “Grand-Neuf-Mare” et “Petit-Neuf-Mare” sur les hauts de Léry, là où il n’y a pas de mares. D’autres noms encore sont explicites : la rive de l’Eure, la garenne, le “nemus domini regis” c’est-à-dire la forêt du roi…   

Il ressort de ce paragraphe que de nombreux vignobles se trouvaient partout autour de Léry, surtout sur les pentes douces entre la voie principale et la Voie blanche. Mais nous nous étonnons de la présence de vignobles sur la rive droite de l’Eure et la plaine inondable...   

 

1.3. Les vignobles de la rive droite de l’Eure, dans la plaine inondable ?

Un autre nom de lieu de Léry, noté sur plan cadastral, intéresse notre étude : “le chemin des vignes de Léry à Poses”. Existait-il d’autres vignobles de ce côté-ci ? C’est ce que semble exprimer ce nom ou le mot “vignes” sonne comme un synonyme, dans l’usage local, de vignobles. Ce n’est pas qu’un nom de voie, le plan cadastral montre que c’est le nom d’un espace. Cela signifie donc qu’un vignoble occupait ce lieu.

Mais le fond de la vallée était-il favorable à cette culture ? C’est étonnant car il est connu que la vigne ne supporte pas l’excès d’eau. Or le fond de la vallée est submersible en cas de crues décennales et, à fortiori, centennales. Un indice nous est encore fourni par la toponymie : les différents espaces nommés “Les sablons”. Le fond de la vallée est composé de dépôt d’alluvions sablonneux. Ils attirent d’ailleurs les cimentiers qui l’exploitent depuis les années 1970. Les plaies béantes de leurs carrières ont été mis en eau afin d’être reconvertis en base de loisirs nautique : celle de Léry-Poses.

Édouard Capron, vigneron dont nous exposons le travail plus bas dans cette étude, nous a confirmé que “Les sols sablonneux sont propices à la culture : Les vignobles avec un sol sableux ont presque toujours une maturité précoce. Ce qui n’est pas un maigre avantage chez nous. Ils permettent un bon drainage des sols et évitent certaines maladies qui ne peuvent se développer. De plus le sable se réchauffe vite sous les rayons du soleil et diffuse cette chaleur en dessous de la surface. Ils le sont un peu moins (à mon gout) sur l’aspect qualitatif mais c’est une autre histoire. Ce type de sol donnera des vins légers et peu colorés mais parfois avec une grande finesse. Si la pluviométrie est suffisante (ce qui je pense était le cas), ce type de sol peut produire de grands vins rouges et blancs.” Nous buvons ses paroles.

Il fallait donc prévoir des années sans récoltes, après les crues, voire un remplacement des vignes. Ce qui devait nécessiter d’en posséder du côté insubmersible de la rive. Autrement, il est possible d’imaginer que les vignes fussent plantées sur des motillons, c’est-à-dire des ilôts légèrement plus élevés que le reste du fond de la vallée. Nous pensons que le raisin du chemin des vignes et des vignettes devaient être pressés au moulin de l’Offrand. L’Eure devait servir à acheminer le vin vers ses propriétaires et ses clients. C’est ce expliquerait le don de Guillaume le Conquérant qui confia le vignoble de part et d’autre de l’Eure, à Léry, pour deux grandes abbayes caennaises. C’est peut-être ce qui expliquerait, en partie, l’impressionnante place de la viticulture à Léry.  

Mais la culture du vignoble était-elle propre à Léry ou était-elle pratiquée ailleurs dans la région ?

 

Détail du cadastre de Léry où se voient la partie de plaine nommée "Les Vignettes", actuellement occupée par la prison, et l'ancien moulin de l'Aufrand, sur la rive droite de l'Eure. Il dût servir à presser le raisin lors des vendanges estivales (crédit : Archives départementales de l'Eure).

Détail du cadastre de Léry où se voient la partie de plaine nommée "Les Vignettes", actuellement occupée par la prison, et l'ancien moulin de l'Aufrand, sur la rive droite de l'Eure. Il dût servir à presser le raisin lors des vendanges estivales (crédit : Archives départementales de l'Eure).

 

2. Un troisième et même un quatrième verre : le vignoble était-il répandu dans les coteaux de la région de Pont-de-l’Arche ?

Ayant repéré un “chemin des vignes” entre Léry et Poses, nous avons laissé notre regard se promener sur les plans cadastraux, les vues satellitaires et les cartes toponymiques. Des indices de la présence de la vigne durant l’Ancien Régime sont visibles dans de nombreux villages que nous énumérons par village ci-dessous. Nous ajoutons les sources écrites médiévales et renaissantes dont nous disposons.

 

Poses

Le plan cadastral de Poses de 1834, signé par Le Fébure et Longlet, section de l’église, montre un dénommé “clos des vignes” proche d’un espace baptisé “Les sablons”. Cet espace était donc plutôt sec. Le clos des vignes est limitrophe de la commune de Tournedos. Une forme carrée se voit assez aisément sur le plan qui nous permet, sûrement, de retracer ce “clos”, c’est-à-dire un espace enclos. Il est situé au nord de l’ancien moulin à vent, ce qui devait être pratique pour écraser le raisin. Il n’est pas très éloigné de l’église de Poses, à l’ouest du clos.

 

Détail du cadastre de Poses (Archives départementales de l'Eure) où l'on voit apparaitre le "clos des vignes" à côté des "Sablons" et non loin de l'église.

Détail du cadastre de Poses (Archives départementales de l'Eure) où l'on voit apparaitre le "clos des vignes" à côté des "Sablons" et non loin de l'église.

 

Tournedos-sur-Seine

“Un clos de la vigne”, comme à Poses ou presque, apparait sur le plan cadastral de Tournedos, signé en 1834 par Le Fébure et Gondevin, à l’ouest de Pampou. Il est situé près d’un espace nommé “Les Pérelles”, pré formé de petites pierres et donc plutôt sec.

 

 

Le clos de la vigne de Tournedos, sur la gauche, limitrophe de Portejoie, au-dessus de Pampou (détail du plan cadastral, archives départementales de l'Eure).

Le clos de la vigne de Tournedos, sur la gauche, limitrophe de Portejoie, au-dessus de Pampou (détail du plan cadastral, archives départementales de l'Eure).

Connelles

Situé dans le creux d’un vallon, sur les berges de la Seine, entre deux coteaux crayeux du plateau du Vexin, Connelles concentre des paysages variés. Le plan cadastral de 1834, signé par Le Fébure et Gondouin, désigne un espace sous le nom de “La vigne Madame”, au nord de la partie la plus orientale du village (le long de la route de Daubeuf). Cet espace est un peu élevé et tourné vers le sud. Un autre toponyme nous intéresse : “Les vignes Servant” situé plus au nord, bien exposé au soleil, à contremont de la route longeant la Seine entre Amfreville et Connelles. Ces toponymes démontrent que les vignes permettaient de localiser des espaces. Elles n’étaient donc pas omniprésentes mais suffisamment nombreuses pour qu’il faille les singulariser. Servant sonne comme un nom de famille et Madame comme un sobriquet ou la marque de respect, peut-être, pour une noble propriétaire.

 

Le plan cadastral de Connelles (Archives départementales de l'Eure) montre "La vigne Madame", presque au centre ici, et "Les Vignes Servant" tout en haut à droite.

Le plan cadastral de Connelles (Archives départementales de l'Eure) montre "La vigne Madame", presque au centre ici, et "Les Vignes Servant" tout en haut à droite.

Le Mesnil-d’Andé

Le plan topographique du Mesnil-d’Andé montre une “rue des vignes” dans la partie haute du hameau.  Le plan cadastral de 1823, signé par Hautier et Roger, mentionne “les grandes vignes” à contremont du hameau. Cela indique qu’elles étaient impressionnantes pour leurs contemporains. De même, cela indique l’existence d’autres vignes, moins nombreuses, par différence avec ces “grandes” vignes.  

 

Saint-Pierre-du-Vauvray

De nos jours, les côtes de Seine de Saint-Pierre et de Vironvay font penser aux régions viticoles, les vignes en moins. Léopold Delisle mentionna, page 427, la présence de vignes à Saint-Pierre-du-Vauvray en 1333. Jules Andrieux fait état, page 405, de la propriété des moines de Bonport en 1340 : “en la ville du Vauvray, en la viconte du Pont de l’Arche, un hostel, vignes, terres labourables, prés, rentes en deniers, corvées, oyseaulx et autres redevances.

 

Le Vaudreuil

Jules Andrieux fait état, comme nous l’avons vu plus haut, de la confirmation en 1198 des dons consentis par Richard Cœur-de-Lion aux moines de Bonport et, notamment : “totum closum de Lere cum suis pertinentiis, et omnes vineas et vina que habebamus in Valle Rodolii.” Le clos de Léry ne se confondait pas avec les vignobles et le vin du Vaudreuil mais y était suffisamment lié pour être traité avec. Les vignobles du Vaudreuil devaient donc se trouver dans la plaine du Val-de-Reuil actuel et le long du coteau de la forêt de Bord.

Jules Andrieux expose, page 290, un acte par lequel Raoul le Meteer vendit aux religieux de Bonport 9 deniers de rente à prendre sur sa vigne de Landemare (en décembre 1274) située à Notre-Dame-du-Vaudreuil (“Beate Marie de Valle Rodolii”).

Jules Andrieux, toujours, fait état, page 405, de la propriété des moines de Bonport en 1340 : “en la ville de Vaudreul et viconte du Pont de l’Arche, ung hostel nomme Landemare, et ung moulin, vignes, prés, terres labourables.” Pierre Brunet écrivit qu’autour du Vaudreuil le vignoble disparut dès le XVIIIe siècle.

Les hauteurs de Pont-de-l'Arche, sur la route de Tostes, se seraient bien prêtées au vignobles durant le Moyen Âge, mais nous ne pouvons pas le prouver (cliché Armand Launay, mai 2013).

Les hauteurs de Pont-de-l'Arche, sur la route de Tostes, se seraient bien prêtées au vignobles durant le Moyen Âge, mais nous ne pouvons pas le prouver (cliché Armand Launay, mai 2013).

 

Pont-de-l’Arche

Léopold Delisle écrivit (page 427) que “Dans le compte des vins du roi pour 1227, Pont-de-l’Arche figure pour 88 muids 11 setiers et demi. Ces 88 muids concernent la production de toute l’élection (circonscription administrative). En effet, si un muid équivalait à 274 litres comme au XIXe siècle, cela eût représenté 24 112 litres soient 241 hectolitres. C’est bien au-delà de la production d’une seule paroisse.  

Jules Andrieux reproduisit (page 165) une charte bonportoise, datée de mai 1247, par laquelle Guillaume Helluin de Limaie vendit à Jean Durand une pièce de terre à Pont-de-l'Arche : “et hoc presenti scripto confirmavi, Johanni Durant, de Ponte-Arche, unam peciam terre ad campos, cultibilem, sitam videlicet in parrochia Sancti Vigoris Pontis-Arche, inter terram Roberti Le Conteor, ex una parte, et vineam Gaufridi Estordi, ex altera…” Le terrain vendu se trouvait à côté de la vigne de Geffroy Estordi. On entend presque "estourdi", étourdi, ce qui ne serait pas étonnant si le vigneron consommait une partie de sa production.

Dans le même cartulaire, une charte de confirmation, datée de 1340, rappelait les nombreux droits bonportois sur les habitants de la ville, parmi lesquels (page 396) : “xxx soulz que doit Guy Benoit, pour la vigne Estourmy en la dicte parroisse, du don dudict maistre Guillaume…” Bien que les terres les plus sèches de la ville soient celles de la route de Tostes, en pente, nous ne pouvons pas situer le vignoble Estordi ou Estourmy ; nom de famille qui n’apparait plus, à notre connaissance, dans l’histoire plus récente de la ville. Ce nom est difficile à lire et traduire. Il n’a pas dû rester plus longtemps usité. Cela doit prouver que le vignoble de Pont-de-l’Arche a été abandonné avant la fin du Moyen Âge.

 

Tostes

Près de la mairie se dessinent les premières pentes du ravin de la vallée d’Incarville. Celles-ci se creusent en un vallon qui s’approfondit à mesure qu’il se rapproche de la vallée de l’Eure. Avant d’entrer dans la forêt de Bord, au creux de ce vallon, on aperçoit un bois, sur la droite, en direction de l’ancien moulin à vent : c’est le “bois des vignes”. Bien que nous n’ayons pas de preuve textuelle, il semble que les moines de Bonport soient à l’origine de ces vignes. En effet, ils étaient propriétaires d’une très grande partie de Tostes au point d’avoir érigé les hameaux de Tostes en paroisse en 1687. Ils possédaient le moulin à vent proche des vignes qui nous intéressent. Ils étaient représentés localement dans la ferme de Bonport, où se trouvait une grange aux dimes, à côté de l’église paroissiale Sainte-Anne, en haut du ravin de la vallée d’Incarville. Ce nom apparait sur le plan cadastral de 1834 signé par Le Fébure et Lefebvre.  

 

 

Le vignoble du Domaine Saint-Expédit, à Freneuse, lors de son premier hiver entre 2016 et 2017 (clichés d'Edouard Capron)..
Le vignoble du Domaine Saint-Expédit, à Freneuse, lors de son premier hiver entre 2016 et 2017 (clichés d'Edouard Capron)..

Le vignoble du Domaine Saint-Expédit, à Freneuse, lors de son premier hiver entre 2016 et 2017 (clichés d'Edouard Capron)..

 

Oissel et Freneuse

Léopold Delisle exposa (page 427) qu’“Au XIIIe et au XIVe siècle, le territoire d’Oissel renfermait des vignobles assez considérables”.

L’abbé Cochet cita ces deux communes faisant partie depuis 1790 de la Seine-Maritime : “On le voit, les bords de la Seine étaient riches en vignobles, et si nous remontons un moment le fleuve, nous verrons les vins d’Oissel et de Freneuse mentionnés dans les anciens tarifs des droits d’entrée de la ville de Rouen. Noël de la Morinière, qui a bu du vin d’Oissel en 1791, assure qu’il était encore potable (16). Mais celui de Freneuse était regardé comme le meilleur ; il est question de ce vin dans un ancien cahier de remontrances faites, vers la fin du dernier siècle, sur la liberté des foires de Rouen.”

 

Alizay

Une carte toponymique d’Alizay montre une “rue du clos des vignes”, située en contrebas du coteau. La lecture du plan cadastral de 1834, signé par Le Fébure et Drouet, montre un espace sobrement nommé “les vignes”. Il est situé derrière le château (qui accueille aujourd’hui la mairie) et, peut-être surtout, l’église ; tant le vignoble était précieux aux membres de clergé.

 

 

Igoville

Reportez-vous à la légende de la photographie ci-dessous.

Quant à Igoville, ses douces pentes vers le Pré-Cantuit et son ensoleillement en ferait un lieu de viticulture idéal. La mémoire locale rappelle qu'un espace était appelé "les vignes" près du chemin de Devise, à la limite avec Alizay. Il existe aussi, à Igoville, un lieu appelé “Grand clos” qui peut désigner bien des activités (clichés Armand Launay, avril 2014).
Quant à Igoville, ses douces pentes vers le Pré-Cantuit et son ensoleillement en ferait un lieu de viticulture idéal. La mémoire locale rappelle qu'un espace était appelé "les vignes" près du chemin de Devise, à la limite avec Alizay. Il existe aussi, à Igoville, un lieu appelé “Grand clos” qui peut désigner bien des activités (clichés Armand Launay, avril 2014).

Quant à Igoville, ses douces pentes vers le Pré-Cantuit et son ensoleillement en ferait un lieu de viticulture idéal. La mémoire locale rappelle qu'un espace était appelé "les vignes" près du chemin de Devise, à la limite avec Alizay. Il existe aussi, à Igoville, un lieu appelé “Grand clos” qui peut désigner bien des activités (clichés Armand Launay, avril 2014).

 

Pîtres

MM. Charpillon et Caresme citent, dans leur article sur cette commune, un " Roger de Beaumont donna, vers 1070, à la Madeleine de Rouen, entre autres biens la terre de Pistres, pour fournir le pain et le vin du Saint-Sacrifice de la Messe." 

 

Pont-Saint-Pierre

Il existe à Pont-Saint-Pierre une route dite de “la vigne” qui passe au-dessus de l’ancienne abbaye de Fontaine-Guérard. Le plan cadastral de 1836, signé par Le Fébure et Legrain, montre qu’un lieu-dit se nommait “La vigne”. On la voit dans Section A dite “du Cardonnet et de Fontaine-Guérard”, sur la 7e des 8 feuilles.

 

Amfreville-sous-les-Monts

Le vignoble a été largement cultivé dans cette commune jusque très récemment, au point que nous nous en servons pour bâtir une partie de notre troisième partie sur l’évolution du vignoble du XVIIe siècle au début du XXe siècle.

Précisions ici, néanmoins, que la présence du vignoble a été accrue à Amfreville grâce à la présence du prieuré des Deux-amants. Les moines deuxamantins cultivaient directement leur vignoble sur les pentes de la côte devant leur monastère et étaient propriétaires des grandes fermes de la paroisse, qui cultivaient aussi partiellement le vignoble. Le vignoble des Deux-amants, joli nom, est visible sur une gravure ancienne, que nous reproduisons à côté de ce paragraphe, et sur une carte postale des années 1910 où elle semble toujours s’épanouir.  

 

Voici la plus ancienne gravure, connue, du prieuré des Deux-amants. Elle date d'entre 1685 et 1722. On y voir nettement son vignoble cultivé en carrés sur les pentes hautes de la côte.

Voici la plus ancienne gravure, connue, du prieuré des Deux-amants. Elle date d'entre 1685 et 1722. On y voir nettement son vignoble cultivé en carrés sur les pentes hautes de la côte.

 

Pour conclure ce rapide inventaire que constitue cette deuxième partie : bien que de nombreux espaces plantés de vignes n’apparaissent pas sur les plans cadastraux, nous avons localisé de nombreux toponymes en rapport avec la viticulture. Le vignoble concernait au moins un village sur deux de la région de Pont-de-l’Arche. Sans surprise il s’agit des villages aux pentes bien exposées au soleil. Il s’agit aussi de villages situés au fond de la vallée, ce qui est plus surprenant.

 

3. Un dernier verre pour la route, hips ! Le vignoble local entre essor et déclin du XVIIIe siècle au XXe siècle.

3.1. Le déclin du vignoble normand hormis celui de l’Eure.

Les auteurs sur le vignoble normand lèvent tous leur verre à l’âge d’or du vin régional, qu’ils situent avant le “petit âge glaciaire”. Celui-ci dura de 1350 à 1855. L’abbé Cochet livre une information précieuse sur la date des vendanges : “Au XIIIe siècle, Eudes Rigaud, archevêque de Rouen, faisant la visite de son diocèse, vint au prieuré de Saint-Aubin, près Gournay, le 9 septembre 1267 ; il y trouva treize religieuses, dont trois étaient pour l’heure aux vendanges (27). On voit ici à quel moment se faisait la récolte. En 1842, année très chaude, nous avons vu publier le ban de vendanges à Orléans, le 19 septembre seulement, tandis que, chez nous, il y a 600 ans, on le publiait dix jours plus tôt. Il s’ensuit de là, qu’au XIIIe siècle, sur les bords de l’Epte et de la Bresle, le raisin mûrissait plus vite qu’il ne mûrit au XIXe, sur les bords de la Loire.” Les variations du climat ne sont donc pas une vue de l’esprit.

Le petit âge glaciaire ne signifie cependant pas que la vigne disparut, loin de loin. Elle régressa pour plusieurs raisons. Tout d’abord, les importations s’accrurent depuis des régions plus méridionales, aux vins plus fins, et ce à mesure que grandirent le royaume Plantagenêt puis le royaume de France. Puis, le climat rendit plus couteux l’entretien de la vigne et en fit baisser la quantité et la qualité. C’est ce qui explique la raréfaction de la viticulture d’ouest en Est : exit la vigne de l’Avranchin (Manche) à la fin du Moyen Âge, puis celle du Perche (Orne) au XVIe siècle, celle d’Argences (Calvados) au XVIIe siècle et, enfin, celle de Rouen (Seine-Maritime) au XVIIe siècle. Qui plus est, une source concurrente de sucre fut de plus en plus privilégiée : la pomme avec laquelle on fait le cidre et le Calvados.

Pour l’heure, au XVIIe siècle, le vignoble de l’Eure se maintenait. Il se développa même un temps durant.

 

 

Le vignoble de la région de Pont-de-l'Arche se développa encore à la fin de l'Ancien régime et perdura jusqu'au début du XXe siècle, bien qu'ayant été supplanté par les pommeraies. Ici une carte postale des années 1910 montre le vignoble des Deux-amants au premier plan d'une belle perspective sur la vallée.

Le vignoble de la région de Pont-de-l'Arche se développa encore à la fin de l'Ancien régime et perdura jusqu'au début du XXe siècle, bien qu'ayant été supplanté par les pommeraies. Ici une carte postale des années 1910 montre le vignoble des Deux-amants au premier plan d'une belle perspective sur la vallée.

 

3.2. Le vignoble eurois : vignoble en progression aux XVIIe et XVIIe  siècles.

Pierre Brunet nota (page 188) qu’un arrêt du Parlement de Paris du 14 aout 1577 eut un effet positif sur la production euroise des vallées de l’Eure et de l’Iton, de la rive gauche de la Seine entre Vernon et Gaillon et la vallée inférieure de l’Epte. Cet arrêt interdit “aux marchands de vin de la ville de Paris d’acheter leur vin en deçà d’une ligne passant par Chartres, Mantes, Meulan, Clermont-en-Beauvaisie, Senlis, Meaux, Moret et Pithiviers.” Elle s’appelait “la règle des 20 lieues” et avait pour finalité de faire vivre les cabarets qui, seuls, pouvaient s’approvisionner sur place. Pierre Brunet écrit (page 189) que cet arrêt a renforcé la commande de vins en Normandie, le long des voies navigables. Il fait état de “mentions de “grands vignobles” dans les textes du début du XVIIe pour les élections (circonscriptions administratives) des Andelys et de Pont-de-l’Arche. “La descente partielle des vignes vers les plus basses pentes et la substitution des rouges médiocres aux blancs plus vins découlent de cette opportunité.” Ce vignoble normand alors en vogue concerna largement celui de Longueville, entre Vernon et Gaillon. Celui-ci était tellement réputé qu’on le disait “vin français”. Cependant un édit de 1776 sur la libre circulation des vins annula ces restrictions et accentua le recul déjà amorcé du vignoble local.

 

3.3. Le déclin du vignoble eurois au XIXe et XXe siècles.

Dans une monographie sur Amfreville-sous-les-monts, André Pilet consacra un chapitre intitulé : “La vigne dans notre commune”, de la page 49 à 52.

Il observa que la plus ancienne gravure connue du prieuré des Deux-amants présentait un vignoble. L’original de cette gravure date d’entre 1685 et 1722. On y voit de larges espaces pentus consacrés au vignoble sur la partie haute de la côte des Deux-amants. En ce temps, on n’utilisait pas de tuteurs qui créent les alignements si caractéristiques, aujourd’hui, des vignobles. On voit néanmoins se dessiner des carrés de culture, assurément pour le passage des charrettes ; les vendangeurs devant se faufiler à travers les plants pour récolter le maximum de fruits.

André Pilet consulta et commenta un document daté de 1760 et intitulé "rôle des vingtièmes, paroisse d'Amfreville sur les monts". Les vingtièmes étaient un impôt foncier sur les cultures. Sur les 18 personnes citées, 12 déclarèrent des vignes. Selon l’auteur les vignobles totalisaient un hectare, soit 10 000 m². C’est impressionnant pour nous aujourd’hui. C’était déjà en baisse, écrit l’auteur, pour nos ancêtres qui avaient subi de durs hivers. André Pilet donne ensuite des statistiques départementales : en l’An IX, 34 238 hectolitres de vin furent produits contre 18 530 hectolitres en 1837. La production de cidre était alors de 879 000 hectolitres, 47 fois plus que le vin. Le phylloxéra toucha aussi le vignoble eurois. D’autres informations éclairent les causes du déclin du vignoble : “En 1898, il y avait dans l'Eure, 24 pépiniéristes produisant de la vigne.” En 1913 il en restait 4. L’abandon de la recherche et de la sélection des variétés de vignes les plus résistantes, productives et, en un mot, adaptées à notre région a sonné le glas de la production. Malgré cela, en 1916, une production locale est toujours déclarée aux autorités : “10 hectolitres de vin à Daubeuf-Vatteville, 8 à Pressagny l'Orgueilleux. Fleury sur Andelle déclare 2,5 hectolitres en bouteilles (...). Par contre 140 hectolitres de cidre sont mentionnés. Amfreville-sous-les-Monts déclare 6 hectolitres de vin récolté, et donc pas encore bu, ainsi que 189 hectolitres de cidre.”

Le vignoble n’a donc pas disparu d’un coup. Son maintien ou son abandon a fait l’objet de choix délibérés de la part des cultivateurs qui étudiaient sa rentabilité parmi d’autres productions. Il a aussi, semble-t-il, été préféré un temps durant aux boissons nouvelles. C’est ce que nota Charles de Beaurepaire, dans L’état des campagnes normandes. À la page 90, il écrivit qu’il existait dans les trois siècles précédant la Révolution une boisson dominante et quasi-exclusive selon les pays de Normandie : cervoise, vin ou cidre… Dans le bocage et ses vergers le cidre dominait. À Eu et Aumale, comme la Picardie et le Nord, les habitants restaient fidèles à la cervoise de nos ancêtres. Aux Andelys, Louviers, Vernon, Pont-de-l’Arche, Breteuil et Évreux, la consommation de vin résistait. C’est cette habitude qui a dû maintenir quelques décennies encore la production locale à des fins de consommation directe. À Rouen, la cervoise dominait mais en laissant une large place aux deux autres boissons.  

 

Conclusion

La vigne n’a pas été qu’une simple plante présente le long des murs des vieilles demeures. On peut raisonnablement parler de vignobles de la région de Pont-de-l’Arche.

Le vignoble a concerné durant le Moyen Âge et l’Ancien Régime au moins une paroisse sur deux. Le vin servait beaucoup à l’exercice du culte religieux. On peut citer l’ancienne abbaye de Bonport et sa domination sur le vignoble de Léry. Citons aussi le prieuré des Deux-amants et son vignoble d’Amfreville.

Un temps durant, le vin de notre région a alimenté Paris malgré le durcissement du climat. Ce fut le temps des vignobles dans les basses pentes et le fond sablonneux de la vallée, plantée de cépages blancs. Puis, les vignerons locaux ont choisi de se reconvertir, décennie après décennie, vers de plus lucratives activités : les arbres fruitiers, au premier rang desquels la pomme à cidre. Les importations se sont aussi accrues, rendant accessible le vin des régions du sud, puis de l’étranger. Il faut donc imaginer que durant l’Ancien régime notre contrée ne se présentait pas encore sous l’image d’Épinal d’une Normandie uniquement faite de pommeraies mais aussi de vignobles.  

 

 

À quand le digestif ?

La vigne a toujours vécu en Normandie mais la viticulture renait depuis trois décennies. Le climat semble changer et devenir plus propice à une production plus large et meilleure. Ainsi, la viticulture renait. Citons Gérard Samson et les Arpents du soleil à Saint-Pierre-sur-Dives, près de Lisieux, Ludovic Messiers au Havre et à Étretat, Camille Ravinet à Giverny, un collectif de micro-producteurs à Gaillon... Surtout, en ce qui concerne les coteaux qui nous intéressent, citons l’initiative à Freneuse d’Édouard Capron qui a planté 3000 pieds de vigne en mars 2016 et qui espère faire gouter au public le fruit de ses efforts en juillet 2019. Il a nommé son vignoble : domaine Saint-Expédit, du nom d’un des saints de la paroisse. Cela rappelle l’importance des moines dans la viticulture. Cela évoque aussi la difficulté de l’initiative puisque Saint-Expédit est le saint des causes désespérées. Un site Internet existe pour en savoir plus : http://domaine-saint-expedit.fr

 

À vot’ santé !

 

Page d'accueil du site Internet du Domaine Saint-Expédit, d'Edouard Capron, qui fait revivre le vignoble local.

Page d'accueil du site Internet du Domaine Saint-Expédit, d'Edouard Capron, qui fait revivre le vignoble local.

 

Sources

- Archives départementales de l’Eure, les : les plans cadastraux et les cartes postales en ligne sur www.archives.eure.fr ;

- Beaurepaire, Charles de, Notes et documents concernant l'état des campagnes de la Haute Normandie dans les derniers temps du Moyen âge, 1865, 790 pages. Consultable sur Google livres ;

- Brunet, Pierre, “Un vignoble défunt : la Normandie”, in Collectif, Des vignobles et des vins à travers le monde : hommage à Alain Huetz de Lemps, voir les pages 183 à 191, presses universitaires de Bordeaux, 1996 ; Disponible, par passages, dans Google livres ;

- Cochet, Jean-Benoît-Désiré, abbé, Culture de la vigne en Normandie, 1844, accessible sur le site de la bibliothèque municipale de Lisieux : http://www.bmlisieux.com/normandie/cochet01.htm ;

- Charpillon, Louis-Étienne, Caresme, Anatole, Dictionnaire historique de toutes les communes du département de l’Eure, 1868, 960 pages, tome II, voir les pages 398-399 reproduites sur notre blog ici ;

- Delisle, Léopold, Études sur la condition de la classe agricole et l'état de l'agriculture en Normandie au moyen-âge, in Société libre d'agriculture, sciences, arts et belles-lettres de l'Eure, 1903. Accessible sur Gallica ;

- Pilet, André, Terre des Deux-Amants. Amfreville-sous-les-monts : son histoire, des silex taillés à l’ordinateur, éditions Bertout, Luneray, 1996, 179 pages.  ;

- Ridel, Laurent, “Une culture oubliée : les vignobles de Normandie”,

http://www.histoire-normandie.fr/une-culture-oubliee-les-vignobles-de-normandie

- Viel, Jean-Claude, “On buvait sec dans les monastères”, sur le site Vins de Normandie : histoire et actualités.

 

 

Armand Launay

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30 janvier 2013 3 30 /01 /janvier /2013 22:58

Le barrage de Poses et les écluses d'Amfreville-sous-les-Monts ont été construits de 1879 à 1885. Le barrage arrête l’eau grâce à des déversoirs mobiles montant ou descendant selon les besoins. Après de longs travaux, ces imposants ouvrages furent inaugurés le 3 juillet 1887 et constituaient la plus forte chute d’eau sur la Seine. Il faut dire que l'ingénieur en chef Caméré devait pallier les problèmes posés à la navigation par le pertuis de Poses qui, de toute histoire, a été un des passages les plus périlleux sur la Seine à cause du courant causé par le dénivelé. Rappelons que la marée cessait ses effets au pertuis de Poses précisément ; celui-ci marque donc la séparation entre la haute et la basse Seine.

Nous publions la numérisation d’une série de photographies industrielles du studio Henry (Louviers) qui fut missionné par la direction des Ponts et chaussées à l’occasion d’importants travaux de restauration de l’écluse d’Amfreville, du barrage de Poses et des aménagements alentours. Si la date ne figure pas, il s’agit des années 1945 à 1947. On aperçoit sur les photographies de visite du chantier, Maurice Blosset, ingénieur en chef des Ponts et chaussées. Ces clichés contenteront les spécialistes et amateurs de la navigation et du génie civil ; les autres lecteurs apprécieront les permanences et les changements qui ont pu affecter les lieux depuis lors. Nous ajoutons aussi deux clichés montrant la Seine gelée, vraisemblablement en 1940.

 

Photos du chantier de construction (1879-1885…)

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b1200075v

 

Pour les précisions techniques

http://fr.structurae.de/structures/data/index.cfm?id=s0017907

 

Pour accéder au diaporama, cliquez sur la photo ci-dessous : 

Barrage de Poses

 

Armand Launay

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7 novembre 2012 3 07 /11 /novembre /2012 22:09

 

Entre lacs et falaises, la serre zoologique Biotropica a pris place en 2012 dans la base de loisirs de Léry-Poses, à deux pas des falaises de la vallée de la Seine et de Pont-de-l'Arche. Un joli petit coin de Normandie où le sport, les loisirs et le patrimoine sont rois…

 

 

Logo Biotropica

 

 

Léry-Poses : sports et loisirs pour tous ! 

 

Entre Poses et Val-de-Reuil, 40 millions de tonnes de granulats ont été extraits pour répondre aux besoins de l’immobilier. La majeure partie des carrières n’est plus exploitée et a laissé place à près de 650 hectares de lacs. Une réserve ornithologique occupe 65 hectares et le reste est dévolu aux loisirs sous la responsabilité de la base de plein air de Léry-Poses. Ce syndicat mixte, associant la région Normandie, les départements de l'Eure et de Seine-Maritime et la CASE, met à la disposition du public de nombreuses activités sportives au lac du Mesnil (golf, voile, kayak, escalade, VTT, tir à l’arc…) et des loisirs pour l’ensemble de la famille au lac des Deux amants (plage, minigolf, téléski, parc de jeux, chalets en location, pédalos et canoë-kayaks…). De quoi passer des weekends aussi agréables qu’occupés !

 

Base de Léry-Poses

27 740 Poses – 02 32 59 13 13 / http://basedeloisirs-lery-poses.fr

 

11

Golf, sports nautiques, escalade et plage…

Léry-Poses a quoi ravir toute la famille.

 

 

 

Le barrage de Poses et les écluses d’Amfreville

 

Le saviez-vous ? La marée se fait sentir sur la Seine jusqu’à Poses, à 160 km de la mer ! C’est le barrage de Poses et les écluses d’Amfreville-sous-les-Monts qui démarquent la haute Seine de la basse Seine, soumise aux marées. Ces éléments ont été construits de 1878 à 1881. Le barrage présente d’impressionnantes poutres métalliques et des bardages de béton. Il est d’autant plus spectaculaire qu’une passerelle permet aux promeneurs de le surplomber et d’apprécier son point de vue imprenable sur les chutes d’eau, leur force, leur bruit et leurs embruns ! Un lieu de promenade idéal pour la famille entre Amfreville et sa célèbre guinguette et le village fluvial de Poses où sont amarrés les remorqueurs accueillant le musée de la Batellerie.

A lire : notre album-photos sur les réparations du barrage de Poses et des écluses d'Amfreville à la Libération.

 

12

Depuis 1881, le barrage de Poses sépare la basse Seine – soumise aux marées –

et la haute Seine. Au fond, la Côté des Deux amants.

 

 

Reine des falaises : la légendaire Côte des Deux amants

 

Avec 140 mètres de dénivelé, les falaises bordant la boucle de Seine à Poses offrent un magnifique paysage où des affleurements de craie entrecoupent des herbages et surtout des bois. La clé de voute de cet ensemble est sans conteste la côte des Deux amants qui domine le confluent de la Seine et de l’Andelle, aux confins du Vexin. Du haut de celle-ci, un très beau point de vue se dégage sur les iles de Seine, la vallée des lacs et vers Pont-de-l’Arche. Cette côté a inspiré la poétesse Marie de France qui écrivit la légende des Deux amants à la fin du XIIe siècle. Première femme à avoir écrit des vers en français et, plus précisément, en anglo-normand, elle a conté l’histoire du roi de Pîtres qui ne voulait pas marier sa fille. Il promit la main de celle-ci à l’homme qui surmonterait l’impossible : gravir la côte en portant la princesse dans les bras. Un homme s’y risqua qui mourut d’épuisement en arrivant en haut de la côte. Sa dulcinée mourut de chagrin sur les lieux qui s’appellent depuis « Côte des Deux amants ». Une hypothèse moins romantique avance que le nom provient de « côte des deux amonts » puisque cette zone de confluence permettait aux mariniers « d’aller amont » vers l’Andelle ou vers la Seine… soit deux amonts !

 

13

La côte des Deux amants, un site naturel classé bien connu des romantiques...

 

 

 

Pont-de-l'Arche, patrimoine médiéval et renaissant...

 

Avec l'ancienne abbaye de Bonport fondée par Richard Coeur de Lion (1190), les remparts de Philippe Auguste (XIIIe siècle), des dizaines de maisons à pans de bois (XVe-XVIIIe siècle), une église flamboyante (1499-1566), on peut lire l'histoire de la Normandie et de la vallée de la Seine à travers le prisme de Pont-de-l'Arche ! Il faut aussi compter sur la forêt de Bord-Louviers, vaste domaine public où chacun trouve son plaisir (balade à pied, VTT, équitation, observation animale, calme...). 

 

Ajoutez à cela de magnifiques berges propices aux piqueniques, une offre de restauration et de services...

 

 

Pour plus d'informations, l'Office de tourisme 

 

Sorties touristiques, agenda des manifestations, offre d’hébergement et de restauration…

Office de tourisme Seine Eure

10, rue Maréchal-Foch
27 400 LOUVIERS
02 32 40 04 41 / www.tourisme-seine-eure.com

14

 

 

 

 

 

 

 

 

 

2Les falaises vers Connelles vues depuis la Côte des Deux-amants (automne 2011).

 

 

1

Des randonneurs arrivant au sommet de la Côte des Deux-amants avec vue,

en contrebas, sur la Seine et les lacs de Léry-Poses (automne 2012).

Armand Launay

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25 avril 2012 3 25 /04 /avril /2012 16:40

Biotropica ? C’est une serre tropicale de 6 000 m² qui ouvre ses portes le 1er septembre sur la butte de la Capoulade à Val-de-Reuil, au milieu des lacs et des falaises normandes. C’est un espace dédié à la préservation des espèces et à l’écologie.

 

Biotropica


A l'origine du projet, on retrouve Anne et Thierry Jardin, les propriétaires du zoo de Cerza (près de Lisieux). La Communuauté d'agglomération Seine Eure (CASE) a proposé un endroit qui a pleinement convenu à Biotropica qui s'est concrétisée après un an de travaux. 

Sur plus de 100 000 m² le public peut se balader dans un vaste parc avec étang où les petits peuvent approcher des pélicans, des chèvres et des cochons nains, des poules autour de la ferme et des kangourous (si si !).

 En haut de la butte de la Capoulade, se trouve la serre et son climat humide et chaud. L’intérieur est composé d’impressionnants dont une cascade de 12 mètres de haut, des aquariums, des terrariums… 

Le public fait deux fois le tour de la serre grâce à une passerelle en hauteur. Ainsi, il observe pleinement les 2 500 animaux de Biotropica parmi lesquels des loriquets de Swainson, des ibis rouges, des pigeons couronnés, des escargots géants, des dendrobates, des tortues géantes, des alligators, des anacondas, des phasmes-feuilles ou encore des poissons aveugles. 

Pour assurer le bon fonctionnement de Biotropica, la direction a été confiée à Alain Le Héritte, qui fut directeur associé du parc zoologique de Pont-Scorff (Morbihan). Celui-ci croit au potentiel de Biotropica : « les Normands peuvent être fiers de leur région tant elle regorge de beautés et d’atouts à partager ». 

Parions que Biotropica saura dynamiser le tourisme local notamment grâce aux millions de parisiens qui vont régulièrement sur la côte normande. C’est ce qu’espèrent la région Haute-Normandie et le Conseil général de l’Eure qui subventionnent 8 % des 4,5 millions d’euros investis pour créer la serre ; le cout total du parc s’élevant à 7 millions d’euros.


Ouverture et tarifs

9h30-18h d’octobre à avril. 9h30-19h de mai à septembre. Le parking de Biotropica est celui de la base de loisirs Léry-Poses : 4 € par véhicule. Biotropica amortit ce cout par des tarifs d’entrée revus à la baisse.

Individuels : 3-11 ans : 7,5 €. Au-delà : 11 €.

Groupes (15 personnes et plus) : 2-11 ans : 5,5 €. Au-delà : 9 €.

Abonnement (offre d'ouverture limitée aux 3 premiers mois). Adultes : 22 €. Enfants : 15 €. Valable de date à date.

 


Contact et accès

  Logo Biotropica


Biotropica – www.biotropica.fr / Butte de la Capoulade, CD 110 / 27 100 VAL-DE-REUIL

 

 

A lire aussi...

Léry-Poses, Amfreville-sous-les-monts : une région bénie des dieux !

L'église de Pont-de-l'Arche

La forêt de Bord-Louviers

Aperçu de l'histoire de Pont-de-l'Arche


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8 juillet 2011 5 08 /07 /juillet /2011 13:43

Doinel A., Notice historique sur Alizay, Paris : Le livre d’histoire-Lorisse, 2004, 72 p.

 

Cet ouvrage date de 1880. M. Doinel était l’instituteur laïque de la commune. Il a mentionné les sobriquets attribués aux habitants de certains villages sans préciser, toutefois, si ces surnoms étaient utilisés systématiquement et par qui ? N’étaient-ils connus que des gens d’Alizay ? Que signifient-ils tous ? 

 

Les carnages de Pont-de-l'Arche

Les sorciers d’Alizay

Les carcasses d’Igoville

Les Manants du Manoir

Les capons souffleurs de Pîtres

Les cornus de Montaure

Les Brûleurs d’ânes de Criquebeuf

Les sacrés de Poses

Les pédants de Notre-Dame

Les Roussiers de Saint-Cyr

Les Mâchoires des Damps

Les marras de Martot

Les Fioux de Léry

Les malins de Connelles

Les carottiers de Porte-Joie

Les hiboux de Tostes

Les brouettiers d’Herqueville

Les mangeurs de soupe de Louviers

Les danseurs des Andelys

Les Culs terreux du Neubourg

Le mâqueu d' soupe (statuette de Notre-Dame de Louviers)

Le mâqueu d' soupe (statuette de Notre-Dame de Louviers)

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  • : Pont de l'Arche et sa région histoire, patrimoine et tourisme
  • : Bienvenue sur ce blog perso consacré à Pont-de-l'Arche et sa région (Normandie, Eure). Contactez-moi afin d'étudier ensemble, plus avant, l'histoire et donc de progresser vers la connaissance. Bonne lecture ! armand.launay@gmail.com
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Mes activités

Armand Launay. Né à Pont-de-l'Arche en 1980, j'ai étudié l'histoire et la sociologie à l'université du Havre (Licence) avant d'obtenir un DUT information-communication qui m'a permis de devenir agent des bibliothèques. J'ai acquis, depuis, un Master des Métiers de l'éducation et de la formation, mention Lettres modernes. Depuis 2002, je mets en valeur le patrimoine et l'histoire de Pont-de-l'Arche à travers :

- des visites commentées de la ville depuis 2004 ;

- des publications, dont fait partie ce blog :

Bibliographie

- 20 numéros de La Fouine magazine (2003-2007) et des articles dans la presse régionale normande : "Conviviale et médiévale, Pont-de-l'Arche vous accueille", Patrimoine normand n° 75 ; "Pont-de-l'Arche, berceau de l'infanterie française ?", Patrimoine normand n° 76 ; "Bonport : l'ancienne abbaye dévoile son histoire", Patrimoine normand n° 79 ; "Chaussures Marco : deux siècles de savoir-plaire normand !", Pays de Normandie n° 75.

- L'Histoire des Damps et des prémices de Pont-de-l'Arche (éditions Charles-Corlet, 2007, 240 pages) ;

- Pont-de-l'Arche (éditions Alan-Sutton, collection "Mémoire en images", 2008, 117 pages) ;

- De 2008 à 2014, j'ai été conseiller municipal délégué à la communication et rédacteur en chef de "Pont-de-l'Arche magazine" ;

- Pont-de-l'Arche, cité de la chaussure : étude sur un patrimoine industriel normand depuis le XVIIIe siècle (mairie de Pont-de-l'Arche, 2009, 52 pages) ;

- Pont-de-l'Arche, un joyau médiéval au cœur de la Normandie : guide touristique et patrimonial (mairie de Pont-de-l'Arche, 2010, 40 pages) ;

- Pont-de-l'Arche 1911 I 2011 : l'évolution urbaine en 62 photographies (mairie de Pont-de-l'Arche, 2010, 32 pages) ;

- Mieux connaitre Pont-de-l'Arche à travers 150 noms de rues et de lieux ! (Autoédité, 2019, 64 pages) ; 

- Déconfiner le regard sur Pont-de-l'Arche et ses alentours (Autoédité avec Frédéric Ménissier, 2021, 64 pages) ;

- Les Trésors de Terres-de-Bord : promenade à Tostes, ses hameaux, Écrosville, La Vallée et Montaure (publié en ligne, 2022) ;

- Les Trésors de Terres-de-Bord : promenade à Tostes, ses hameaux, Écrosville, La Vallée et Montaure (version mise en page du précédent ouvrage, édité par la mairie de Terres-de-Bord, 2023).

Depuis 2014, je suis enseignant à Mayotte.

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