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15 août 2015 6 15 /08 /août /2015 15:33
Vue bucolique sur une partie de l'EHPAD depuis la courtine du bailliage (cliché Armand Launay, 2008).

Vue bucolique sur une partie de l'EHPAD depuis la courtine du bailliage (cliché Armand Launay, 2008).

 

Le patrimoine ancien de l’hôpital de Pont-de-l'Arche, actuellement appelé Établissement hospitalier pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), comprend la tour dite de l’hospice, deux restes d’édifices de l’ancien hospice dont l’un comprend la chapelle Saint-Luc. Bel ensemble donc qui reste plutôt ignoré du public.  

 

Faites le point sur l’historique de l'hôpital... de l'hôtel-Dieu à l’EHPAD


La tour de l’hospice a longtemps été oubliée, ou presque, derrière une maison et sous des broussailles poussant entre deux propriétés : celle de l’hôpital et celle d’un particulier. C’est un vestige d’une des tours de flanquement des fortifications du Pont-de-l’Arche médiéval. Hémicylindrique (demi cylindre), elle possède encore une petite partie de son deuxième niveau. Le premier niveau semble avoir été comblé avec du moellon. Elle semble dater, comme le gros des remparts de la ville, des travaux lancés par Philippe Auguste, au début du XIIIe siècle donc. La base de cette tour est masquée par le comblement du fossé qui séparait la ville fortifiée de la terrasse alluviale du Pont-de-l’Arche des faubourgs et des nouveaux quartiers.

Ce monument est inscrit sur l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques depuis le 15 juin 1939. Les travaux de restructuration de l’EHPAD ont mis en valeur le mauvais état de la tour car ce monument se retrouve depuis au bord du parking et parmi un cadre à la fois vert et patrimonial qui compte parmi les critères d’un service de qualité rendu aux résidents. Cette tour a fait l'objet d'une heureuse restauration en .

La tour de l'hospice est redevenue visible dans le cadre du réaménagement de l'EHPAD (cliché Armand Launay, 2012).

La tour de l'hospice est redevenue visible dans le cadre du réaménagement de l'EHPAD (cliché Armand Launay, 2012).

Les édifices nord

Autour de l’ancienne entrée, par la rue Julien-Blin, se trouvent deux édifices de la seconde moitié du XVIIe siècle, semble-t-il. En partie conservés, ils témoignent de ce que fut le couvent des pénitents mais ne font l’objet d’aucun classement par les services des Monuments historiques.

Ces édifices comprennent deux niveaux sur cave et sont couverts d’un toit à deux versants portant des ardoises. Au n° 13 de la rue Julien-Blin, l’édifice nord ouest de l’hôpital a été rasé à 60 % vers 1995. Il présente deux baies côte à côte à chaque niveau des deux murs pignons. Le mur gouttereau (façade) le plus visible présente quatre baies à chaque niveau. Le rez-de-cour offre une décoration en haut relief de voutes en plein cintre qui encadrent les baies et créent une fausse galerie avec deux bandeaux courant le long des murs. Ceci crée une série de faux chapiteaux qui sépareraient des colonnades et des voutes. Ce type de décor se trouvait dans l’édifice Est, en vis-à-vis. De là à imaginer un air de cloitre et son jardin disparu…

Quant au gros œuvre, il doit être composite : pierre de taille, brique, moellon, silex. Il tranche, quoiqu'il en soit, avec le pan de bois qui constitue tous les édifices de cette partie de la ville, ce qui semble appuyer la thèse que les locaux du couvent ont été bâtis par les moines en lieu et place d'anciennes demeures. Les édifices nord sont couverts de plâtre légèrement travaillé de manière à souligner les encadrements des ouvertures et les bandeaux entre les niveaux. L’édifice nord ouest est plus finement décoré avec des sculptures imitant des pierres de taille aux encadrements des fenêtres et en guise de clés des voutes du premier niveau. L’intérieur de ces édifices ne présente aucun intérêt patrimonial à cause des aménagements récents (faux plafonds…). Les caves doivent présenter un intérêt mais nous n’avons pas pu les visiter. La partie intérieure qui présente un intérêt est celle de la chapelle Saint-Luc.    

 
L'édifice nord ouest, XVIIe siècle, avant sa démolition partielle (cliché EHPAD, vers 1993). Puis, le même édifice vu depuis l'EHPAD (cliché Armand Launay, 2014).L'édifice nord ouest, XVIIe siècle, avant sa démolition partielle (cliché EHPAD, vers 1993). Puis, le même édifice vu depuis l'EHPAD (cliché Armand Launay, 2014).

L'édifice nord ouest, XVIIe siècle, avant sa démolition partielle (cliché EHPAD, vers 1993). Puis, le même édifice vu depuis l'EHPAD (cliché Armand Launay, 2014).

La chapelle Saint-Luc et l'édifice nord Est, XVIIe siècle, qui fut entièrement démoli (cliché EHPAD, vers 1993). La chapelle Saint-Luc vu depuis la cour de l'EHPAD avec l'extrémité de l'extension de 1995 (cliché Armand Launay, 2015).La chapelle Saint-Luc et l'édifice nord Est, XVIIe siècle, qui fut entièrement démoli (cliché EHPAD, vers 1993). La chapelle Saint-Luc vu depuis la cour de l'EHPAD avec l'extrémité de l'extension de 1995 (cliché Armand Launay, 2015).

La chapelle Saint-Luc et l'édifice nord Est, XVIIe siècle, qui fut entièrement démoli (cliché EHPAD, vers 1993). La chapelle Saint-Luc vu depuis la cour de l'EHPAD avec l'extrémité de l'extension de 1995 (cliché Armand Launay, 2015).

La chapelle Saint-Luc

Discrète mais pourtant bien présente, se trouve la chapelle Saint-Luc au numéro 11 de la rue Julien-Blin. C’est le seul bâtiment de l’édifice nord-Est épargné par les travaux de 1995. Les ¾ de cet édifice ont alors été rasés. Quant au saint patron, il semble s’agir de saint Luc l’évangéliste puisque ce médecin, auteur du troisième évangile, est considéré par les chrétiens comme saint patron des médecins et des services de santé mais aussi des peintres. Il est célébré le 18 octobre.

La chapelle date vraisemblablement des années 1670. C'est Paul Goujon qui nous donne des indices en ce sens. L'auteur, qui a compulsé les archives départementales, nous apprend qu'en 1664 les pénitents achetèrent de Jehan Le Boulanger, conseiller et ancien avocat du roi, une maison avec cour et jardin et ce pour y construire une église. Il est probable que ce terrain ait permis de construire l’actuelle chapelle les années qui ont suivi. Comme les autres édifices nord de l'hôpital, la structure de la chapelle n'est pas composée de pans de bois, ce qui la distingue du reste du quartier du bailliage. Il semble donc qu'ils aient rasé la demeure nouvèlement acquise afin de construire une église dans un espace réduit, reprénant les dimensions d'une maison d'habitation avec un volume suffisant à l'accueil de fidèles que les pénitents voulaient nombreux. L'accueil du public obligea les pénitents à construire l'église le long de la rue qui n'était pas nécessairement le plus vaste emplacement.

Un autre indice, livré par Paul Goujon, nous intéresse. Les pénitents étaient en procès en 1741 avec Pierre et Nicolas Lebret, charpentiers de La Neuville-Chant-d'Oisel qui avaient rénové l’église des pénitents. Ces travaux semblent confirmer que l’église avait vieilli et, par conséquent, qu’elle devait dater des premières années suivant l’acquisition du terrain en 1664.

L'expulsion des pénitents en 1791 sonna la fin du culte qui ne reprit que quand cette ancienne église devint une chapelle de l'hôpital créé par la municipalité après et grâce aux dons de Julien Blin (1826).

 

Depuis l’extérieur, la chapelle est reconnaissable aux deux croix en relief sur plâtre qui couronnent les deux portes d’entrée (côté rue et côté cour). Deux baies, et une porte donc, percent une façade nord (rue Julien-Blin) rendue si fade par son ravalement que, sans ses symboles chrétiens, elle attirerait bien peu l’attention depuis la rue.

Parmi ces symboles, on peut compter la belle porte d’entrée en bois, côté rue, qui ne semble pas ancienne (début du XXe siècle). Chacun des deux vantaux est orné de lignes sculptées formant une grande croix. C’est au centre de ces croix, quel clin-d’oeil, que se trouvent les poignées d’ouverture... Couronnant ces vantaux, un panneau de bois présente deux roses à quatre lobes inscrites chacune dans son cercle et, plus largement, dans un carré. La porte ouvrant sur la cour intérieure est identique à celle donnant sur la rue. Elle est cependant couronnée d’un vasistas orné de deux petits vitraux de Pierre Lafoucrière (voir plus bas).

De plan carré, la chapelle présente - en toute logique - un autel orienté, c’est-à-dire tourné vers l’orient. Elle ne possède plus de cloche qui peut-être se trouvait dans un lanternon et sur les petits édifices le long de la rue.

La décoration intérieure de la chapelle s’inspire du baroque mais son caractère récent ne fait pas mystère grâce, notamment, à une plaque de marbre à gauche de la porte de la cour : “Cette chapelle a été décorée grâce à la générosité de M. André Désiré Le Normand. Juillet 1894”.

L’autel en bois est décoré par l’agneau du sacrifice entouré de rayons solaires, le tout relevé par des dorures. Il repose dans un chœur marqué par une élévation d’une marche et pavé d’élégants carrés en céramique à décor floral. Sur le mur Est, derrière l’autel, se trouve une niche voutée en cul-de-four qui accueillait une statue et une console sur chaque encoignure. Ces deux consoles devaient porter les statues de saint Luc et, peut-être, de la Vierge Marie, de saint François...  

Sur ce mur sont sculptées en relief deux colonnes décoratives à chapiteaux corinthiens de part et d’autre de la niche centrale. Elles sont jumelées en vis-à-vis par deux colonnes sur le mur ouest. Le long du mur sud, une ancienne porte a été rouverte par l’équipe venue il y a quelques années éradiquer le salpêtre. Cette porte devait servir d’entrée aux officiants du temps des pénitents. Le mur nord comprend deux colonnes et trois voutes rappelant un peu le décor des façades des deux édifices nord de l'hôpital. Notons aussi la présence d'un harmonium Dumont-Lelièvre.

L’élément patrimonial le plus notable de cette chapelle sont les quatre vitraux dessinés par l’artiste peintre Pierre Lafoucrière (né en 1927) et réalisés en 2001 par l’atelier de Dominique Bony-Bogros (Paris). Les vitraux ne sont pas figuratifs. Ils laissent passer une large lumière colorée grâce à de grandes pièces de verre. Ceci pallie le manque de luminosité de cette chapelle dont les principales ouvertures sont tournées vers le nord, c'est-à-dire la rue et donc les fidèles. Les bougies et l’ambiance solennelle de la messe devaient donc beaucoup compter afin que ce lieu soit propice au recueillement. Le financement des vitraux a été assuré par les dons des paroissiens. Dans le même temps, Pierre Lafoucrière exposa ses oeuvres à Pont-de-l’Arche grâce à ses bonnes relations avec le curé Paul Bigo, très versé dans le monde des arts. Bel hommage à saint Luc, donc, qui est aussi patron des peintres... peut-être est-ce aussi une manière de rappeler l'importance de cette chapelle qui fut menacée, la décennie précédente, de destruction ?

Cependant, la chapelle Saint-Luc n’est plus utilisée par le culte catholique depuis quelques années à cause des travaux d’éradication du salpêtre. Ceux-ci ont conduit au retrait de nombreuses boiseries au pied des murs où il reste les traces des anciennes attaches. La chapelle a aujourd’hui besoin d’une nouvelle phase de réhabilitation afin qu’elle soit redonnée au culte catholique. Ce serait justice notamment pour rappeler ce que l'hôpital doit à certaines personnes ayant puisé dans cette religion une force d'action, au premier rang desquelles Julien Blin, du nom duquel l'hôpital a été baptisé en 2016. En attendant cette réouverture, le curé reste évidemment aumônier auprès des résidents de l’EHPAD qui le souhaitent.

 
Les croix qui couronnent les deux entrées de la chapelle Saint-Luc. Vue sur la porte d'entrée de la rue Julien-Blin (clichés Armand Launay, 2013, 2013 et 2014).
Les croix qui couronnent les deux entrées de la chapelle Saint-Luc. Vue sur la porte d'entrée de la rue Julien-Blin (clichés Armand Launay, 2013, 2013 et 2014).
Les croix qui couronnent les deux entrées de la chapelle Saint-Luc. Vue sur la porte d'entrée de la rue Julien-Blin (clichés Armand Launay, 2013, 2013 et 2014).

Les croix qui couronnent les deux entrées de la chapelle Saint-Luc. Vue sur la porte d'entrée de la rue Julien-Blin (clichés Armand Launay, 2013, 2013 et 2014).

La chapelle de la fin du XVIIe siècle a nécessité plusieurs campagnes de restauration dont celle de 1894 qui a maintenu (?) la chapelle dans son style baroque (cliché Armand Launay, 2014).

La chapelle de la fin du XVIIe siècle a nécessité plusieurs campagnes de restauration dont celle de 1894 qui a maintenu (?) la chapelle dans son style baroque (cliché Armand Launay, 2014).

Vue sur le mur nord de la chapelle Saint-Luc et sur ses deux vitraux de Pierre Lafoucrière datant de 2001. Puis, zoom sur le vitrail nord ouest (celui de gauche) et sur la signature (clichés Armand Launay, 2015).
Vue sur le mur nord de la chapelle Saint-Luc et sur ses deux vitraux de Pierre Lafoucrière datant de 2001. Puis, zoom sur le vitrail nord ouest (celui de gauche) et sur la signature (clichés Armand Launay, 2015).
Vue sur le mur nord de la chapelle Saint-Luc et sur ses deux vitraux de Pierre Lafoucrière datant de 2001. Puis, zoom sur le vitrail nord ouest (celui de gauche) et sur la signature (clichés Armand Launay, 2015).

Vue sur le mur nord de la chapelle Saint-Luc et sur ses deux vitraux de Pierre Lafoucrière datant de 2001. Puis, zoom sur le vitrail nord ouest (celui de gauche) et sur la signature (clichés Armand Launay, 2015).

Tombeau d'autel de la chapelle Saint-Luc avec l'agneau du sacrifice. Porte voutée de la cour de l'EHPAD. Très récente, c'est le seul endroit de Pont-de-l'Arche où l'on peut symboliquement passer les vestiges de remparts sous une voute (clichés Armand Launay, 2015 et 2006).
Tombeau d'autel de la chapelle Saint-Luc avec l'agneau du sacrifice. Porte voutée de la cour de l'EHPAD. Très récente, c'est le seul endroit de Pont-de-l'Arche où l'on peut symboliquement passer les vestiges de remparts sous une voute (clichés Armand Launay, 2015 et 2006).

Tombeau d'autel de la chapelle Saint-Luc avec l'agneau du sacrifice. Porte voutée de la cour de l'EHPAD. Très récente, c'est le seul endroit de Pont-de-l'Arche où l'on peut symboliquement passer les vestiges de remparts sous une voute (clichés Armand Launay, 2015 et 2006).

A gauche, édifice sud ouest totalement rasé en 1995 qui semble être de la facture d'Hubert Marie, architecte et agent-voyer de la commune qui a déjà réalisé des façades mixtes, chargées en décors (cf. la Salle d'armes et le bailliage). Celles-ci réunissent les âges tant et si bien que l'on a affaire ici à fantaisie de type renaissance avec des fenêtres à meneaux (cliché EHPAD vers 1993). A droite, vestige du pavillon sud Est de 1900 construit par Hubert Marie. Deux pans de ce pavillon ont été conservés dans l'agrandissement de 1995 et, plus précisément, englobés dans les verrières où se trouvent les espaces communs (cliché Armand Launay, 2015). A gauche, édifice sud ouest totalement rasé en 1995 qui semble être de la facture d'Hubert Marie, architecte et agent-voyer de la commune qui a déjà réalisé des façades mixtes, chargées en décors (cf. la Salle d'armes et le bailliage). Celles-ci réunissent les âges tant et si bien que l'on a affaire ici à fantaisie de type renaissance avec des fenêtres à meneaux (cliché EHPAD vers 1993). A droite, vestige du pavillon sud Est de 1900 construit par Hubert Marie. Deux pans de ce pavillon ont été conservés dans l'agrandissement de 1995 et, plus précisément, englobés dans les verrières où se trouvent les espaces communs (cliché Armand Launay, 2015).

A gauche, édifice sud ouest totalement rasé en 1995 qui semble être de la facture d'Hubert Marie, architecte et agent-voyer de la commune qui a déjà réalisé des façades mixtes, chargées en décors (cf. la Salle d'armes et le bailliage). Celles-ci réunissent les âges tant et si bien que l'on a affaire ici à fantaisie de type renaissance avec des fenêtres à meneaux (cliché EHPAD vers 1993). A droite, vestige du pavillon sud Est de 1900 construit par Hubert Marie. Deux pans de ce pavillon ont été conservés dans l'agrandissement de 1995 et, plus précisément, englobés dans les verrières où se trouvent les espaces communs (cliché Armand Launay, 2015).

Faites le point sur l’historique de l'hôpital... de l'hôtel-Dieu à l’EHPAD qui propose, de plus, une conclusion à cette étude.

 

Sources

- Chevallier Émile, Guide du touriste et de l’archéologue au Pont-de-l’Arche, vers 1933, Fimin-Didot ;

- Goujon Paul, “L’hôtel-Dieu et les pénitents du Pont-de-l’Arche”, La Normandie, n° 3 de mars 1897, pages 65 à 76, et n° 4 (?) d’avril 1897, pages 105 à 115 ;

- Pont de l’Arche, bulletin municipal, n° 20, janvier 1994, 32 pages. “Rénovation de l’hôpital, par B. Maillard, directeur”, page 13 ;

- Monuments et sites de l’Eure n° 66, 1993, Patrimoine en péril : l’hôpital de Pont-de-l’Arche. RV 77 n° 66 ;

- Patin Jean-Pierre, “L’hôpital de Pont-de-l’Arche”, Monuments et sites de l’Eure n° 67, 1993, p. 17-18.

- Registres des délibérations du Conseil municipal.

 

Armand Launay

Pont-de-l'Arche ma ville

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5 juillet 2015 7 05 /07 /juillet /2015 20:45

On le découvre le plus souvent grâce à une visite commentée de Pont-de-l’Arche, ce panneau de bois sculpté couronnant la vitrine de deux commerces des numéros 15 et 17 de la place Hyacinthe-Langlois.

Ces édifices ont été inventoriés par le service des Monuments historiques en 1986 (IA00017925) mais sans protection ni pour eux ni pour le panneau qui attire notre attention ici. Pis, jusqu’à plus ample informé, aucune recherche n’a porté sur cet élément du patrimoine qui, au mieux, a parfois été considéré comme une “scène de triomphe” mais sans plus de précision ni sur son sens ni sur sa fonction.

 

Avec mes remerciements à mon ami Frédéric Ménissier pour ses photographies, le complément de description des personnages et les pistes ouvertes sur l'interprétation de la scène dans son entier. 

 

Le bâtiment

Les numéros 15 et 17 font partie d’un même bâtiment qui semble dater du XVIe siècle. Il s’agit d’une maison à pans de bois adaptée au dense urbanisme du centre ville qui explique ses deux étages carrés plus un étage de comble. Le bâtiment repose sûrement sur une cave. Il est couvert d’un toit à deux pans couvert d’ardoises comme la façade sud est couverte d’essentes en ardoises. La façade nord qui nous intéresse a été ravalée de plâtre à la fin du XIXe siècle. C'est dommage pour le cachet de cette place qui perd ainsi de son pittoresque médiéval. La partie du panneau située sur le numéro 17 a été remise au jour dans la fin des années 1990, d'où la meilleure conservation de l’enduit grossier qui la couvre. L'ensemble du panneau sculpté semble avoir été masqué par un autre panneau publicitaire depuis le XIXe siècle. Cela a préservé l'objet qui nous intéresse, bien que celui-ci nécessite une restauration.

 

Le panneau dans son entier (cliché Frédéric Ménissier, décembre 2015).

Le panneau dans son entier (cliché Frédéric Ménissier, décembre 2015).

Ce dessin signé Faubin montre que le bâtiment qui nous intéresse était déjà divisé en deux boutiques en 1837 et que son panneau sculpté était masqué (Archives de l'Eure : 1Fi 855)

Ce dessin signé Faubin montre que le bâtiment qui nous intéresse était déjà divisé en deux boutiques en 1837 et que son panneau sculpté était masqué (Archives de l'Eure : 1Fi 855)

Description du thème

Cette scène illustre la marche d’un char entouré de plusieurs personnages allant de gauche à droite. C’est ce sens de lecture que nous respectons.

 
Détail de la ville fortifiée d'où part la scène. Dans l'entrée se trouve le moine à la clé (cliché Frédéric Ménissier, décembre 2015).

Détail de la ville fortifiée d'où part la scène. Dans l'entrée se trouve le moine à la clé (cliché Frédéric Ménissier, décembre 2015).

Tout à gauche se trouve un temple à fronton triangulaire. Ce temple peut aussi symboliser une ville entière, Rome ou Jérusalem. Il évoque l'architecture byzantine avec une coupole et quoi qu'il en soit l'architecture antique avec ses ouvertures étroites et en plein cintre. Au centre se trouve une porte d’entrée voutée d'où sort un moine, lui aussi vouté, tenant une clé dans sa main droite.

 
Détail sur les danseuses (cliché Frédéric Ménissier, décembre 2015).

Détail sur les danseuses (cliché Frédéric Ménissier, décembre 2015).

Puis, contre toute attente, se trouvent trois danseuses dans des tenues, semble-t-il, un peu légères... surtout en Normandie. Leur danse est gracieuse, chacune a son mouvement mais l'ensemble est coordonné dans la même danse. Ce sont les seuls personnages qui apparaissent de face, au sein de la même scène que les autres personnages, mais qui ne sont pas dans le même déplacement de gauche à droite... Ces danseuses sont-elles marquées par le péché et ont-elles été brillamment négligées par le moine et les personnages qui transitent de gauche à droite ? Sont-elles inspirées par les Grâces des représentations antiques ? Ce ne serait pas étonnant si le panneau datait du début du XVIe siècle où les Grâces étaient réapparues depuis quelques décennies sous les pinceaux d'artistes comme Sandro Boticelli, Raphaël ou Lucas Cranach l'ancien.

Détail sur le cavalier (cliché Frédéric Ménissier, décembre 2015).

Détail sur le cavalier (cliché Frédéric Ménissier, décembre 2015).

À leur droite, un cavalier monte un cheval cabré. Le cavalier tient un étendard dont la tige repose sur le sol. À ses côtés se tient un lévrier et, dans le décor à sa droite, une tour (de guet ?).

 
Détail sur le fantassin et le pèlerin (cliché Frédéric Ménissier, décembre 2015).

Détail sur le fantassin et le pèlerin (cliché Frédéric Ménissier, décembre 2015).

À droite toujours, se trouve un fantassin tenant un fusil sur son épaule droite.

Puis, un personnage portant une cape, qui vole au vent, s'appuie sur un bâton de pèlerin. Nous eûmes aimé voir sur lui une coquille de saint Jacques mais la boule située sur son ceinturon peut tout aussi bien être une gourde.

 
Détail sur le char (cliché Frédéric Ménissier, décembre 2015).

Détail sur le char (cliché Frédéric Ménissier, décembre 2015).

Puis se trouve un élément central de ce panneau sculpté : le char reposant sur deux roues. Il est entouré d’une ou deux chimères à corps de serpent(s) et, d'une part, à tête mi-homme mi-âne (à gauche du char) et, d'autre part, à tête de cygne peut-être (à droite). Sur le char est assise une femme, apparemment, tenant dans sa main gauche une belle fleur à quatre pétales majeurs et quatre pétales mineurs. Elle tend cette fleur devant elle : est-ce à la chimère ? Derrière elle, en décor, apparaissent le dossier du trône sur lequel le personnage repose et un arbre. D’aucuns y ont vu une référence au récit biblique de la rupture de l’alliance entre le dieu principal des Hébreux et Adam et Ève. Mais, quid d’Adam et du fruit défendu ici (bas) ? Il semble que la tête d’un poisson apparaisse d’une vague à gauche du char, sous la femme. Une autre tête de mouton étrange tient dans sa gueule la corde de l’attelage reliant le char aux chevaux ailés de trait. Les chimères ne semblent pas ennemies des personnages humains ; l'une d'entre elles semble même sourire.

 
Détail sur l'attelage (cliché Frédéric Ménissier, décembre 2015).

Détail sur l'attelage (cliché Frédéric Ménissier, décembre 2015).

À droite toujours, après un petit oiseau situé dans le décor, s’étendent quatre chevaux ailés attelés par deux au char. La mythologie grecque est bien présente : Pégase est un cheval ailé, monté par Bellérophon qui est un héros tueur de monstres, dont la Chimère. Celle-ci était composée de parties de corps de lion, de chèvre et de serpent, ce qui correspond aux chimères autour du char, hormis le lion. On pourrait ajouter des éléments du mythe : les femmes nues se jetant au devant du héros, son expulsion de la ville... Mais, il n'y a là aucune référence précise, aucun attachement au sens du mythe, en particulier, et de la mythologie grecque, en général. Le rôle des ailes des chevaux peut-être symbolique ; le char est promis à une élévation dans le ciel spirituel... mais il reste pourtant bien au sol et les ailes semblent bien fantaisistes.

 

Détail sur les musiciens et la fin apparente du panneau (cliché Frédéric Ménissier, dit le "sponsor", décembre 2015).

Détail sur les musiciens et la fin apparente du panneau (cliché Frédéric Ménissier, dit le "sponsor", décembre 2015).

Puis, se trouvent quatre personnages soufflant dans des instruments à vent. Leurs habits, et la nudité d'un d'entre eux, rappellent la mode antique. Dans le décor apparaissent des édicules.

À l’extrême droite de ce panneau se trouvent un chien de course, semble-t-il, un arbre et un buisson sûrement.

La scène semble se prolonger encore. Nous ne pensons cependant pas qu’elle se prolonge beaucoup. En effet, nous voyons bien le début du panneau à sa gauche. Limité ainsi sur sa droite, il semble trouver une position centrale sur la façade des deux commerces réunis.

 

Interpréter tout cela…

On lit ce panneau comme un vitrail et une statuaire d'église. En effet, il est destiné à une lecture visuelle. Les images remplacent les mots pour une population alors illettrée mais cultivée. Ce panneau présente un travail de sculpture soignée, même s'il n'est pas signé (à notre connaissance). La preuve du soin apporté par l'artiste réside dans la précision des visages, doués d'expression, ayant chacun sa position, soignés dans le détail des yeux, nez, mentons, bouches, et même des chevelures ayant une texture. Le soin se lit aussi dans les restes de polychromie qui laissent entrevoir que la sculpture était rehaussée par la peinture. Même les tenues des personnages sont soignées ; le drapé, les différentes pièces de tissu que ce soient la robe, la tunique, les bas...

Un premier plan apparait avec les différents personnages et un arrière plan campe un décor. Ce dernier est loin d'être anecdotique car il devait conférer à la scène une profondeur renforçant la richesse de son atmosphère dans une perspective somme toute très médiévale où apparait au premier plan le principal. Ici le sens est plus la signification que l'orientation encore que la scène a un début et une fin.

Eh oui, autre preuve de la qualité de cette scène : le mouvement. Frédéric Ménissier voit deux temps dans cette scène : l'instantané qui fige la pompe du cortège et le mouvement général de la scène de gauche à droite, sens de la lecture.

 

Alors faut-il lire dans ce panneau un épisode du Premier testament ou de la mythologie grécoromaine ?

La tentation est grande, et pas que dans le désert, d'y voir l'illustration d'un passage de la vie d'un saint catholique. En effet, les références chrétiennes sont indiscutablement là. Le personnage sortant de la ville avec une clé ne serait-il pas saint Pierre ? Le personnage sur le char ne rappelle-t-il pas ces hagiographies (biographies des saints) où la foi chrétienne vainc les démons païens. On pense évidemment, à Pont-de-l'Arche, à saint Vigor de Bayeux terrassant le dragon vivant sur les terres du seigneur nommé Volusien.

 

Malgré tout, a notre sens, il n'y a pas ici de référence religieuse précise. On se balade dans l’évocation libre jusqu’à la fantaisie de personnages fictifs, de religieux, de militaires, de personnages de la mythologie grécoromaine que l'on réanime alors avec plaisir et liberté…

Le fil conducteur est le voyage et la scène montre des personnages qui ont besoin de voyager et, le soir venu, de trouver une bonne auberge où se reposer et, mieux, de faire bonne chère ; d’où, peut-être, les danseuses, les musiciens, les animaux comestibles chassés grâce aux chiens de chasse... Une évocation fantaisiste dans une atmosphère chrétienne : c'est notre point de vue pour le coup assez rabelaisien...

La galerie donnant accès à la Cour Ainé a sûrement été un passage de l'auberge qui nous intéresse vers ses écuries situées dans la cour arrière (cliché Armand Launay, octobre 2010).

La galerie donnant accès à la Cour Ainé a sûrement été un passage de l'auberge qui nous intéresse vers ses écuries situées dans la cour arrière (cliché Armand Launay, octobre 2010).

Si l’on retient cette thèse de l’auberge, tout s’éclaire : la localisation de son immeuble dans la place centrale du Pont-de-l’Arche médiéval, ville fortifiée et soumise au couvre-feu ; la galerie donnant accès à la Cour Ainé et, surtout, à l’arrière cour de l’auberge afin d’y nourrir et reposer les chevaux.

Le panneau sculpté aurait donc eu pour fonction de renseigner les gens sur l’activité de cette maison : une auberge. Elle aurait donc été une enseigne… à la mode médiévale. Imaginons-la peinte comme le suggèrent les quelques traits sculptés voulant donner une texture au décor et, peut-être, la polychromie (coloration) vieillie autour des personnages entre le temple et le char.

Quant à la datation, n’étant pas spécialiste de ce type de supports, nous pensons néanmoins qu’il se rattache à l’architecture médiévale qui se clôt un siècle après cette période (la fin du XVIe siècle, donc). On pourrait penser que ce panneau est plus ancien et qu'il a été réemployé ici, comme bien souvent les pièces de bois dans l'architecture à pans de bois. Mais, le décor sculpté nous oriente, cependant et timidement, vers l’esthétique de la Renaissance grâce aux références antiques : les chevaux ailés, les jupettes des soldats et musiciens rappelant l’uniforme romain tout comme les éléments d’architecture comme les dômes et les ouvertures étroites et cintrées des fortifications. À mettre au conditionnel, donc, mais nous daterions volontiers ce panneau du premier tiers du XVIe siècle pour son équilibre entre architecture médiévale et début d'esthétique renaissante.

 
Ce bâtiment annexe, situé au fond d'une cour arrière, a vraisemblablement servi d'écuries pour l'auberge des n° 15 et 17 de la place Hyacinthe-Langlois. Datable de la fin du Moyen-Âge, son architecture est aussi intéressante que menacée de ruine (clichés Armand Launay, 2008, Frédéric Ménissier, 2016).
Ce bâtiment annexe, situé au fond d'une cour arrière, a vraisemblablement servi d'écuries pour l'auberge des n° 15 et 17 de la place Hyacinthe-Langlois. Datable de la fin du Moyen-Âge, son architecture est aussi intéressante que menacée de ruine (clichés Armand Launay, 2008, Frédéric Ménissier, 2016).

Ce bâtiment annexe, situé au fond d'une cour arrière, a vraisemblablement servi d'écuries pour l'auberge des n° 15 et 17 de la place Hyacinthe-Langlois. Datable de la fin du Moyen-Âge, son architecture est aussi intéressante que menacée de ruine (clichés Armand Launay, 2008, Frédéric Ménissier, 2016).

Armand Launay

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31 décembre 2014 3 31 /12 /décembre /2014 11:06
La façade sud de l'église Notre-Dame-des-arts par un magnifique jour de juillet 2010 (cliché Armand Launay).

La façade sud de l'église Notre-Dame-des-arts par un magnifique jour de juillet 2010 (cliché Armand Launay).

Localisation de l'église de Pont-de-l'Arche

=> Visite fléchée du bâtiment sur Calaméo (document de la Ville de Pont-de-l'Arche) avec possibilité de télécharger une version PDF. 

Visite : libre, tous les jours

Propriétaire : Ville de Pont-de-l'Arche

Affectataire : paroisse catholique Saint-Pierre-des-deux-rives

Vocables : Saint-Vigor depuis le Moyen Âge, Notre-Dame-des-arts depuis 1896. 

Monument historique : bâtiment classé de 1846 à 1878 et depuis le 28 décembre 1910. De nombreux objets sont également classés ou inscrits sur la liste complémentaire des Monuments historiques. 

Adresse : place du maréchal-Leclerc, 27340 Pont-de-l'Arche.

Historique

Comme les églises Notre-Dame de Louviers, Saint-Maclou de Rouen, celles d’Harfleur et de Caudebec-en-Caux, Notre-Dame-des-arts témoigne de la prospérité du commerce sur la Seine après la guerre de Cent-ans. Les fidèles ont permis l’édification d’églises dans le plus beau style du XVIe siècle : le gothique flamboyant. Le gros-œuvre fut bâti entre 1499 et 1566 à la place d’une église rurale. Des travaux complémentaires ont eu lieu jusque vers 1650, d’où certaines décorations de style Renaissance. En 1896, elle devint Notre-Dame-des-arts suite à la volonté du curé Pierre Octave Philippe de célébrer la beauté sous les traits de la Vierge Marie. Après plusieurs campagnes de restauration, l’église fut classée Monument historique le 28 décembre 1910.

Jusqu'à plus ample informé, nous avons ici la plus ancienne représentation - réaliste - de l'église de Pont-de-l'Arche. Elle date de 1850 environ et provient de La Normandie illustrée : monuments, sites et costumes... / dessinés d'après nature par Félix Benoist et lithographiés par les premiers artistes de Paris, les costumes dessinés et lithographiés par François-Hippolyte Lalaisse,... ; texte par M. Raymond Bordeaux et Amélie Bosquet, sous la direction de M. André Pottier,... pour la Haute-Normandie…, Nantes : Charpentier père, fils et Cie, 1852, 2 volumes.

Jusqu'à plus ample informé, nous avons ici la plus ancienne représentation - réaliste - de l'église de Pont-de-l'Arche. Elle date de 1850 environ et provient de La Normandie illustrée : monuments, sites et costumes... / dessinés d'après nature par Félix Benoist et lithographiés par les premiers artistes de Paris, les costumes dessinés et lithographiés par François-Hippolyte Lalaisse,... ; texte par M. Raymond Bordeaux et Amélie Bosquet, sous la direction de M. André Pottier,... pour la Haute-Normandie…, Nantes : Charpentier père, fils et Cie, 1852, 2 volumes.

Architecture

Notre-Dame-des-arts a été bâtie en pierre ocre et tendre, peut-être de Saint-Leu, sur des soubassements calcaires (pierre locale de la vallée de la Seine). Elle est composée d’un vaisseau de 6 travées élargi de deux bas-côtés qui, avec ses 38 mètres de long, unissent la nef au chœur. L’église est dépourvue de transept, l'espace qui donne aux églises leur forme de croix, et de déambulatoire, le chemin qui permet de circuler autour du chœur. On sent que la place a fait défaut au-dessus de la sente de Beauregard et qu'on a privilégié la nef, c'est-à-dire l'accueil d'un public nombreux. Grâce à de grandes arcades et des fenêtres hautes achevées de 1864 à 1865 par M. Simon, architecte de Rouen, notre église possède un grand volume très éclairé. Avec ses 22 mètres de hauteur, c’est un des plus hauts vaisseaux de Normandie, ce qui fait que certains visiteurs hésitent à désigner sous le nom de "cathédrale" Notre Dame de Pont-de-l'Arche. 

Plan de l'église de Pont-de-l'Arche (archives de l'Eure, 1FI 859).

Plan de l'église de Pont-de-l'Arche (archives de l'Eure, 1FI 859).

Façade sud

Voici une des plus grandes façades flamboyantes de Normandie (37 mètres de long). Flamboyant ? Le terme est d’Hyacinthe Langlois, artiste né à Pont-de-l’Arche (1777-1837). Il caractérise ce style gothique aux riches sculptures et désignait à l’origine les ondulations en pierre soutenant les vitraux (remplages) et qui font penser à des flammes…

Cette façade fut restaurée et complétée par l’architecte Lucien Lefort à partir de 1897 (gâbles et arcs boutants). A noter, au milieu de cette façade, la « porte du Paradis », murée, par laquelle étaient sortis les cercueils. A droite de l’entrée, deux statues représentent un architecte tenant un plan, clin-d'oeil à Lucien Lefort (?), et un moine au léger sourire. Ce sont des fantaisies des restaurateurs du XIXe siècle.

Les formes des remplages des vitraux rappellent la danse des flammes. C'est pour cela que Hyacinthe Langlois a nommé cette phase "gothique flamboyant" pour désigner la finesse des sculptures s'élevant vers le ciel (cliché Armand Launay, 2010).

Les formes des remplages des vitraux rappellent la danse des flammes. C'est pour cela que Hyacinthe Langlois a nommé cette phase "gothique flamboyant" pour désigner la finesse des sculptures s'élevant vers le ciel (cliché Armand Launay, 2010).

Deux statuettes de la façade sud sont des clin-d'oeil laissés par des restaurateurs de la fin du XIXe siècle ou du début du XXe siècle. Elles représentent, d'un côté, un architecte habillé à la mode médiévale et tenant un plan sous la forme d'un parchemin et, de l'autre coté, un moine rêvassant, pour ne pas dire s'ennuyant (clichés Armand Launay, 2014 et 2011).
Deux statuettes de la façade sud sont des clin-d'oeil laissés par des restaurateurs de la fin du XIXe siècle ou du début du XXe siècle. Elles représentent, d'un côté, un architecte habillé à la mode médiévale et tenant un plan sous la forme d'un parchemin et, de l'autre coté, un moine rêvassant, pour ne pas dire s'ennuyant (clichés Armand Launay, 2014 et 2011).

Deux statuettes de la façade sud sont des clin-d'oeil laissés par des restaurateurs de la fin du XIXe siècle ou du début du XXe siècle. Elles représentent, d'un côté, un architecte habillé à la mode médiévale et tenant un plan sous la forme d'un parchemin et, de l'autre coté, un moine rêvassant, pour ne pas dire s'ennuyant (clichés Armand Launay, 2014 et 2011).

Intérieur... mobilier, statues, vitraux...

Voici une série de photographies commentées couvrant certains éléments de notre église... 

Les fonts baptismaux hexagonaux ont été sculptés dans de la pierre calcaire en 1523 (classés MH en 1907). Il semble que la huitième face symbolise la renaissance puisqu'il vient juste après le chiffre 7 (cliché Armand Launay, 2011).

Les fonts baptismaux hexagonaux ont été sculptés dans de la pierre calcaire en 1523 (classés MH en 1907). Il semble que la huitième face symbolise la renaissance puisqu'il vient juste après le chiffre 7 (cliché Armand Launay, 2011).

La Crucifixion (au-dessus du maitre-autel) est un vitrail contemporain de l’atelier Barillet (cliché Armand Launay, 2010)

La Crucifixion (au-dessus du maitre-autel) est un vitrail contemporain de l’atelier Barillet (cliché Armand Launay, 2010)

La verrière appelée le "baptême du Christ" comprend les plus anciens vitraux conservés en l'église Notre-Dame (vers 1510). Cette verrière a été restaurée en 1883 par l'atelier Duhamel-Marette et classée MH en 1862 (cliché Armand Launay, 2010).

La verrière appelée le "baptême du Christ" comprend les plus anciens vitraux conservés en l'église Notre-Dame (vers 1510). Cette verrière a été restaurée en 1883 par l'atelier Duhamel-Marette et classée MH en 1862 (cliché Armand Launay, 2010).

Saint Michel terrassant le dragon, sculpture sur bois, XVIIe siècle. Statue inscrite aux MH en 1977 (cliché Armand Launay, 2013).

Saint Michel terrassant le dragon, sculpture sur bois, XVIIe siècle. Statue inscrite aux MH en 1977 (cliché Armand Launay, 2013).

Vierge à l’enfant, pierre peinte, XIIIe siècle. Classée MH en 1907, c'est la plus ancienne statue de l'église Notre-Dame, une très belle oeuvre gothique.

Vierge à l’enfant, pierre peinte, XIIIe siècle. Classée MH en 1907, c'est la plus ancienne statue de l'église Notre-Dame, une très belle oeuvre gothique.

L’orgue a été construit entre 1608 et 1614 par Jean Oury, facteur d’orgue en formation chez Crépin Carlier, facteur d’orgues de Laon installé à Rouen de 1600 à 1631. Il présente un buffet de style Louis XIII (1610-1661) certainement créé lors de la translation de l'orgue du jubé à son actuelle tribune. L’orgue fut restauré par les frères Stoltz en 1893. Il compte 1 100 tuyaux. Le buffet fut classé en 1933 et la partie instrumentale en 1976 (cliché Armand Launay, 2012).

L’orgue a été construit entre 1608 et 1614 par Jean Oury, facteur d’orgue en formation chez Crépin Carlier, facteur d’orgues de Laon installé à Rouen de 1600 à 1631. Il présente un buffet de style Louis XIII (1610-1661) certainement créé lors de la translation de l'orgue du jubé à son actuelle tribune. L’orgue fut restauré par les frères Stoltz en 1893. Il compte 1 100 tuyaux. Le buffet fut classé en 1933 et la partie instrumentale en 1976 (cliché Armand Launay, 2012).

Les 46 stalles (XVIIe siècle) sont issues de Notre-Dame de Bonport. Les 12 lions symbolisent la royauté du Christ, la foi et évoquent peut-être Richard Cœur de Lion, fondateur de Bonport en 1190. Les stalles furent classées MH en 1907 (cliché Armand Launay, 2013).

Les 46 stalles (XVIIe siècle) sont issues de Notre-Dame de Bonport. Les 12 lions symbolisent la royauté du Christ, la foi et évoquent peut-être Richard Cœur de Lion, fondateur de Bonport en 1190. Les stalles furent classées MH en 1907 (cliché Armand Launay, 2013).

Le maitre-autel baroque a été réalisé vers 1642 par le sculpteur rouennais Etienne Mazeline. La toile, signée I. Letourneur et datée 1642, représente la résurrection du Christ. Cet ensemble a été classé MH en 1907. A noter, la statue de saint Vigor dans la niche de gauche (cliché Armand Launay, 2013).

Le maitre-autel baroque a été réalisé vers 1642 par le sculpteur rouennais Etienne Mazeline. La toile, signée I. Letourneur et datée 1642, représente la résurrection du Christ. Cet ensemble a été classé MH en 1907. A noter, la statue de saint Vigor dans la niche de gauche (cliché Armand Launay, 2013).

Le vitrail du halage, réalisé en 1605 par le peintre verrier rouennais Martin Vérel, représente les gens du tiers-état montant des bateaux sous le pont. Sur un ancien pont de la ville, le « maitre de pont » les commande afin d’éviter que le bateau heurte une pile. Les propriétaires de bateaux, en bas du vitrail, payaient les haleurs et une taxe qui a servi à construire l’église. En bas se trouve une représentation du fort de Limaie (rive droite de la Seine, aujourd’hui disparu). Pont-de-l’Arche est symbolisé au bout du pont par 2 tours. Vitrail classé MH en 1862 (cliché Armand Launay, 2011).

Le vitrail du halage, réalisé en 1605 par le peintre verrier rouennais Martin Vérel, représente les gens du tiers-état montant des bateaux sous le pont. Sur un ancien pont de la ville, le « maitre de pont » les commande afin d’éviter que le bateau heurte une pile. Les propriétaires de bateaux, en bas du vitrail, payaient les haleurs et une taxe qui a servi à construire l’église. En bas se trouve une représentation du fort de Limaie (rive droite de la Seine, aujourd’hui disparu). Pont-de-l’Arche est symbolisé au bout du pont par 2 tours. Vitrail classé MH en 1862 (cliché Armand Launay, 2011).

Pour le plaisir des yeux (clichés Armand Launay).
Pour le plaisir des yeux (clichés Armand Launay).
Pour le plaisir des yeux (clichés Armand Launay).
Pour le plaisir des yeux (clichés Armand Launay).
Pour le plaisir des yeux (clichés Armand Launay).
Pour le plaisir des yeux (clichés Armand Launay).
Pour le plaisir des yeux (clichés Armand Launay).
Pour le plaisir des yeux (clichés Armand Launay).
Pour le plaisir des yeux (clichés Armand Launay).
Pour le plaisir des yeux (clichés Armand Launay).
Pour le plaisir des yeux (clichés Armand Launay).
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4 septembre 2014 4 04 /09 /septembre /2014 21:49

Le 24 aout 2014 cela a fait 70 ans que Pont-de-l'Arche a été libéré de l'occupant nazi. Après notre étude sur le combat de Pont-de-l'Arche de juin 1940, nous avons étudié cette partie poignante de l'histoire de la ville.

 

La population sous terre

Depuis le Débarquement en Normandie, le 6 juin, les habitants de Pont-de-l’Arche entendent s’approcher les Alliés et les combats qu’ils mènent contre l’armée d’occupation. Les bombardements se sont intensifiés partout en Normandie. Le pont ferroviaire du Manoir et pont provisoire en bois de Pont-de-l'Arche sont devenus des cibles de choix pour l’aviation Alliée. Le pont de la ville est devenu inutilisable depuis le 31 mai. On compte quelques morts et de nombreux sinistrés archépontains. En aout, pendant plus de deux semaines, des centaines d’habitants résident jour et nuit dans les caves et les carrières souterraines situées à Pont-de-l’Arche et aux Damps. Sur terre, les convois allemands fuyant les Alliés deviennent nombreux, fournis et de plus en plus désordonnés. Ils convergent vers Poses afin de franchir la Seine. La future rue Général-de-Gaulle se garnit en permanence de trois colonnes d’hommes et de véhicules. La peur est à son paroxysme.

 

Prise d’otages sur la place Aristide-Briand

Comme à Criquebeuf et dans maintes communes, Pont-de-l’Arche a évité de justesse une exécution de civils par l’armée allemande. Le 24 aout, un officier allemand arrête son camion sur la place Aristide-Briand. Il est 9h, il descend la rue de Paris pour voir si la Seine est franchissable. Pendant ce temps, deux jeunes Archépontains tentent de voler les roues de son véhicule. Des soldats allemands s’en rendent compte et ouvrent le feu. Les convois allemands passant ici prennent peur. Un soldat sur la tourelle d’un char voit une fenêtre d’entrouvrir et craint pour ses jours. Il dégoupille une grenade, la lance vers la fenêtre ouverte par Alphonse Samain, huissier et résistant attiré par les tirs sur la place. Il meurt sur le coup. Les voleurs archépontains s’enfuirent. Les Allemands, sur le qui-vive, tiennent en joug les civils. Des officiers somment les gendarmes de réquisitionner 60 otages à fusiller. Les gendarmes obtempèrent. Ils réunissent une dizaine d’Archépontains dans leur cellule. C’est à ce moment que les premiers obus des Canadiens, vraisemblablement prévenus par la résistance, tombent sur la place Aristide-Briand. Les Allemands abandonnent les lieux et les otages sont saufs. Cependant les obus canadiens laissent un mort sur la place. Une femme, Gisèle Lapeyre, est grièvement blessée. Le résistant Charles Cacheleux, sur ordre du chef de son réseau, la transporte vers l’hôpital d’Elbeuf. Cependant sa voiture est mitraillée à Martot. Il meurt ainsi que Jean Prieur et Gabriel Briavoine.

Le 23 aout 1944, sur les berges de l’Eure, les Allemands abandonnent leur matériel pour traverser le fleuve. De jeunes Archépontains y jouent peu après…  (photo famille Duretz).

Le 23 aout 1944, sur les berges de l’Eure, les Allemands abandonnent leur matériel pour traverser le fleuve. De jeunes Archépontains y jouent peu après… (photo famille Duretz).

La Ville se libère le 25 aout !

Le 25 aout, les derniers Allemands quittent la ville et concentrent leurs forces de l’autre côté de la Seine. Les drapeaux français sont hissés et la Résistance assure la direction de la ville. Le registre des délibérations du Conseil municipal en témoigne : « Le Vendredi 25 août 1944 à 13h45 les Forces Françaises de l'Intérieur [FFI] se sont emparées de la ville de Pont-de-l'Arche […]. A 19 heures le Conseil d'Administration de la ville a pris possession de la Mairie de Pont-de-l'Arche. Le magnifique résultat a été obtenu sans pertes inutiles, grâce à l'étroite collaboration entre les forces de Police et les [FFI] […]. Dans la nuit du 25 au 26 les patrouilles des [FFI] ont poussé leurs reconnaissances jusqu'au Vaudreuil et dans les forêts de Louviers et de Bord et ont pu constater qu'il ne restait aucun noyau de résistance dans un secteur de 6 kilomètres. Le lendemain 26, entre 10 et 12 heures les troupes canadiennes entrent dans la Ville libérée et reçoivent l'accueil enthousiaste de la population.

Pont-de-l'Arche le 26 Août 1944.

Le chef des Forces Françaises de l'Intérieur. Loze Maurice.

Le président du Conseil d'Administration de la ville de Pont-de-l'Arche. Tardy Roger. »

 

Les Canadiens arrivent !

Le départ de l’occupant n’est pas synonyme de paix. L’artillerie ennemie fait pleuvoir sur la ville des obus tirés notamment depuis le château de la Sahatte, sur les hauteurs d’Igoville. Pont-de-l’Arche connait alors plus de victimes civiles que durant le reste de la guerre. Cependant, la ville échappe au pire car le mauvais temps semble avoir dissuadé l’aviation alliée de raser la région de Pont-de-l’Arche aux écluses d’Amfreville. L’armée canadienne installe des canons notamment dans ce qui est devenu le Centre de loisirs et à la tour de Crosne. Il faut attendre encore quelques jours pour que Pont-de-l’Arche sorte de la zone de combats et qu’arrive le gros de l’armée canadienne, par la route de Tostes. Dans l’allégresse générale, les Archépontains voient alors passer d’incessants convois canadiens pendant plus d’une semaine, bientôt renforcés par ceux des autres armées alliées. Les gens sont sur leurs pas de porte et échangent des œufs aux soldats, qui en sont très friands, contre du chocolat, des cigarettes, des pâtes de fruit… Les Canadiens jettent le pont d’Arromanches sur l’Eure et la Seine.

Fin aout 1944, l’arrivée des premiers éléments de l’armée canadienne (route de Tostes) dans une ville libérée (photo famille Jouvin).

Fin aout 1944, l’arrivée des premiers éléments de l’armée canadienne (route de Tostes) dans une ville libérée (photo famille Jouvin).

La fin des combats

La Libération est synonyme de joie mais pas d’opulence. Le rationnement des denrées est maintenu, beaucoup d’habitants sont sinistrés et occupent des baraquements provisoires, notamment dans la rue Charles-Michels. Les familles attendent le retour de soldats français emprisonnés, de résistants engagés dans l’armée ou de déportés. Enfin, malgré l’interdiction lancée par le Conseil provisoire issu de la Résistance, Pont-de-l’Arche n’échappe pas aux représailles. Quelques Archépontaines sont rasées pour leurs relations avec des Allemands, même quand il s’est agi de liens amoureux à l’origine de familles et de retrouvailles après guerre.

Visite du général de Gaulle à Pont-de-l’Arche le 8 octobre 1944 (ici rue… Général-de-Gaulle) (photo famille Azuara y Oro).

Visite du général de Gaulle à Pont-de-l’Arche le 8 octobre 1944 (ici rue… Général-de-Gaulle) (photo famille Azuara y Oro).

Le pont d’Arromanches est composé d’un ponton du port artificiel bâti par les Alliés à Arromanches en juin 1944 et amené à Pont-de-l’Arche en 1946 (cliché Armand Launay).

Le pont d’Arromanches est composé d’un ponton du port artificiel bâti par les Alliés à Arromanches en juin 1944 et amené à Pont-de-l’Arche en 1946 (cliché Armand Launay).

Sources

Archives départementales de l’Eure, fonds FFI.

Mémoires de l’abbé Desdouits

Archives familiales

 

 

 

Armand Launay

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30 août 2014 6 30 /08 /août /2014 12:12

Balade littéraire et poétique

aux Damps et à Pont-de-l’Arche

 

Lever de soleil sur l'Eure(1).jpg

Armand Launay

 

                            À Dany

                                Patrice

                                    Peggy et David…

 

 

Avant propos

Qui n’a pas connu le plaisir de la balade, dans les rues de son petit village, quand le ciel du printemps permet de remettre le bout du nez dehors sans risquer un gros rhume ?

Qui ?

À vrai dire je ne connais personne. Personne qui reste insensible au vert tendre des bourgeons et au rayon de soleil qui redonne au paysage un charme que l’hiver lui a interdit… En fait, au printemps tout le monde redécouvre la nature et, en même temps, son âme de poète… comme dirait l’autre !

    Eh bien ! Ce printemps là, en rentrant aux Damps chez mes parents, quelques jours seulement entre deux semaines d’étude au Havre, j’ai eu une envie irrésistible et spontanée d’aller respirer l’air vif du redoux en arpentant les ruelles du patrimoine local que j’aime tant. En plus, je dois l’avouer, même si Le Havre est une ville que j’ai appris à aimer et que je trouve belle aujourd’hui, quoi qu’en disent les sceptiques (!), mon petit coin de Normandie natal m’a manqué et j’ai eu besoin de le retrouver…

    C’est pourquoi, ayant eu l’envie d’écrire mes sensations, j’ai emmené quelques feuillets que j’ai griffonnés en me baladant à droite et à gauche. Après deux ou trois retouches -quand il le fallait vraiment- j’ai trouvé que le résultat n’était pas si décevant et j’ai eu envie de partager mes sensations, grâce à un petit livre, avec mes contemporains mais aussi avec des lecteurs de demain. En fait, inspiré du livre d’Edmond Spalikowski et de mon goût pour l’Histoire, j’ai tenu à laisser un témoignage avec l’espoir que son message procurera autant de plaisir à ses lecteurs que je n’en ai eu à lire le livre de 1930…

    Le résultat est comme le début de ma balade : imprévu et donc imprévisible dans sa spontanéité. Alors, ma plume s’est promenée entre la littérature, la poésie, l’Histoire et le témoignage sur les modes de vie d’aujourd’hui... En fait, c’est peut-être ça la véritable originalité de cette balade, outre le fait que les publications sur Pont-de-l’Arche et, à plus forte raison, sur Les Damps sont rares : elle se propose d’aborder de nombreux aspects du patrimoine sans les analyser avec rigueur.

    Enfin, chacun verra s’il le souhaite si le résultat et jugera par lui-même ! Quoi qu’il en soit, je ne suis sûr que d’une chose : ces lignes chantent le plaisir et c’est bien là tout ce qui compte !

 

                                                     Armand Launay

 

                     Aux Damps,

le vendredi 4 avril 2003

            



 

Prendre le temps de flâner                    

 

J’aime ces douces heures passées à flâner, à rêver.

Ces heures où le temps cesse

Un instant, de m’éroder comme

La mer usant les falaises d’Étretat.

 

Entre le temps que l’on a et celui que l’on prend,

J’ai choisi celui que l’on dit " Hors du temps "…

Comme suspendu au-dessus de la toile tissée

Par les impératifs au temps métrés du quotidien.

Il est le moment que l’on vit à plein temps

Car il permet que l’on se retrouve, seul ou non.

 

Il est le temps où l’on ne quitte

Pas même quelqu’un, pas même quelque lieu,

Pour en effleurer de nouveaux et éphémères,

Et ce en courant, en s’oubliant.

 

Il est l’instant où, sur les berges de l’Eure

Ou ailleurs en forêt de Bord, on glisse

Sur la pente des jours… et l’on se regarde vivre.

La pensée devient fluide lorsque les sens épousent

Le doux courant de la rivière ou la cascade des feuilles

Parcourues par le vent de doux échos printaniers.

 

C’est le moment du plaisir.

Mais ce plaisir n’est rien

Si la conscience n’y est pas.

Seule la conscience de ce plaisir et des moments paisibles

Engendre le bien-être, le bonheur.

Le bonheur est la conscience que l’on est heureux.

Sans conscience, l’existence est bien peu,

Elle ne réalise pas la chance d’être aux côtés

Des gens que l’on aime, des paysages du quotidien

Qui sont le cadre des visages aimés…

Elle ne mesure pas la valeur des échos des temps passés

Qui résonnent dans nos murs actuels

Et qui raisonnent nos actes et pensées.

Or, l’éveil de la conscience a besoin de temps à soi.

 

"Hors du temps" ou, plus justement,

Au cœur même du temps que l’on prend,

Arpentons nos bois et ruelles

Qu’elles soient des Damps,

Qu’elles soient de Pont-de-l’Arche,

En quête de richesses humaines,

Historiques et naturelles…

  


 

                  Les Damps,

                        le vendredi 4 avril 2003


À l’aube des temps

 

Notre balade qui suit les hommes

Dans leurs paysages et dans leur histoire

Débute dans ce grand massif

Qu’est la forêt de Bord de Seine.

 

Ici, aujourd’hui, le printemps

Hisse la sève des arbres

Et l’air bourgeonne du soleil.

 

Le craquant tapis de feuilles,

Ces héroïnes de l’automne passé

Qui virevoltaient au vent,

Laisse peu à peu place sous les pieds

À un tendre duvet, de couleur prairie,

Constellé de fleurs blanches,

Une mauve de-ci de-là.

 

C’est un plaisir chaque année renouvelé

Lorsque le soleil regagne sa place,

Celle de clé de voûte, celle d’étoile de vie.

 

Cet après-midi, le ciel revêt

La même couleur que les tableaux

Des impressionnistes,

Eux qui surent savourer la lumière

Et les couleurs normandes.

 

Sur le promontoire naturel qu’est la Crûte, on aperçoit furtivement

Une échappée colorée sur le paysage de la vallée et, parfois,

Sur Les Damps, d’où percent les cris enjoués des enfants

À l’heure de la récré tant espérée.

 

Le vent de Nord-ouest me baigne de son eau aérienne

D’une tiède légèreté. Éole me fait écho

Des activités des hommes de la vallée

Et des gens de la nuit des temps car,

Non loin d’ici, fut levé un voile de mystère

Lorsque deux ou trois vestiges,

D’un bronze vert et mordu par le poids des âges,

Furent détectés et déterrés.

L’homme, bien avant notre ère,

Façonnait sa hache dans la pierre,

Mais le métal est ici le premier jalon

Décelé de l’évolution de l’homme.

 

Le bois alors gagné sur la forêt servît-il de poutre à l’habitat,

De rempart contre l’excès hivernal,

De figure de proue d’un voyage sur Seine ?

C’est un mystère qui recèle de bien plus grands charmes

Qu’une réponse nette et assurée.

 

Cependant, la forêt garde aussi en mémoire

Les anodins dés à coudre,

Romains tout comme contemporains,

Qui trahissent les actes immémoriaux

De nos lointaines mères, elles qui tuaient le temps,

L’aiguille à la main, en gardant le troupeau.

C’est ce que m’avoua le timide talus,

Longiligne et caché sous l’humus,

Qui dessine sous nos yeux d’antiques parcelles

Qui crient toujours, aux promeneurs,

Leur raison d’être, tout en restant incomprises.

 

Ici, le petit bruit d’un scarabée attire l’œil curieux

Qui voit la feuille lentement se soulever.

Là-bas, la chaleur d’un rayon outrepasse le branchage

Fraichement fleuri et verdi avant qu’un nuage n’ose,

Un court instant, l’interrompre insolemment.

 

Dans le sous-bois ou aux abords d’un chemin

Le couvert végétal éparpillé laisse paraître sa moue désolée.

Le groin du cochon l’a retourné :

Il abandonne alors ses plaies au regard étranger.

 

Et là, encore un hêtre, au tendre vert d’une jeune feuille,

Présente un corps harmonieux sur lequel j’appose ma feuille

Ma plume et ma prose. D’ailleurs, plus le tronc du hêtre choisi est fin,

Plus mon écriture tremblante me rappelle mon âme d’enfant.

 

En revanche, je ne me risque pas au chêne sur lequel le mariage

Entre ma plume et l’écorce déchirerait ma feuille de longs regrets.

 

Mais je reprends mon chemin entre les essences en ébullition.

 

Une voie pourfend le bois : je préfère l’ignorer

Et poursuivre à travers les sentiers non battus, les sentiers préservés.

 

Mais très vite, sous le pas, la terre laisse paraitre

Un vallon qui courbe l’horizon et invite la curiosité

À assouvir son penchant : c’est une des portes de la vallée.

Au rebord du promontoire où j’arrive bientôt

Une souche me propose ses assises où je me pose.

Ici apparaissent les couleurs vertes, presque bleues,

Des falaises accompagnant la côte des Deux Amants,

Ainsi que les couleurs végétales qui parcourent la plaine

En formant une mosaïque traversée par la tendre courbe de l’Eure.

 

Un train pourfend soudain la plaine

Et traverse la Seine par le couloir du Manoir,

Cette dentelle de métal suspendue,

Et disparait bien vite derrière les usines qui

Négligent notre vue, notre nez et notre santé,

En nourrissant de moins en moins les familles alentour.

 

La Seine se laisse deviner grâce aux furtives apparitions,

Entre deux bouquets d’arbres,

D’une péniche qui semble flotter

Entre deux sillons de cultures.

 

En contrebas, vrombissent les flèches roulantes

Sur le chemin de grisaille qu’est l’asphalte.

 

Les ronces abondent depuis peu avec leurs fraiches pousses

Qui mordent parfois le mollet du promeneur

Comme si elles défendaient un lieu un peu mystérieux

Qu’un curieux enjambe allègrement.

 

Et l’endroit ne manque pas d’énigmes et de légendes…

 

À deux pas d’ici domine la côte de la Crûte,

Petite élévation de terre telle une motte,

Qui fit couler l’encre autour du dilemme :

Est-elle naturelle ou fille de l’homme ?

Mais surtout, est-elle le lieu de la bataille des Damps ?

 

Depuis la côte, la pente, sévère, accélère le cœur et retarde le pas.

Or, dans les brumes de la Seine du siècle neuvième,

Surgirent les hommes du Nord dont les figures de proue des navires

Étaient des têtes de dragons que l’on nomma "drakkars".

 

Dudon de Saint-Quentin narre une bataille opposant

Francs et Normands non loin de la confluence de l’Eure et de la Seine.

Les enfants de Scandinavie, retranchés derrière une fortification,

Battirent l’armée franque à As Dans, devenu Les Damps.

Alors, le flou des textes lointains et miraculeusement conservés

Fut une porte à l’imagination, aux rêves et à la légende.

D’aucuns situèrent, qu’ils soient historiens ou romantiques,

Le lieu de la bataille ici même où on surplombe les premières demeures.

Le paisible chant des oiseaux contraste avec les faits rapportés,

Mais l’image est saisissante : les Normands, sortis de leurs navires,

Barrèrent la route aux Francs et voguèrent vers Paris.

Peut-être ce sol fut-il maculé ? Toutefois, les mystères qu’il recèle

Entretiennent la mémoire des hauts faits des temps passés.

 

Mais là où la magie le dispute résolument à l’histoire,

C’est le terrain des couloirs souterrains.

Cette légende locale, où réalités et rêveries

Tourbillonnent ensemble dans la même danse,

Donne le pétillant dans l’œil de nos ainés

Dont l’âme d’enfant narre à cœur joie

Les anecdotes glanées, çà et là,

En jouant aux gendarmes et aux voleurs

En forêt de Bord, en se réfugiant, dans une cavité,

Des bombes de la guerre passée…

 

Parfois, au hasard de promenades

Dans d’autres splendeurs de la forêt,

On croise de grands effondrements :

Certains sont des témoins des bombes

D’il y a six décennies,

Mais les autres sont-ils

Les éboulements de galeries souterraines

Qui courent de part et d’autre

Rejoindre une commanderie templière ?

 

Enfin, franchissons l’orée et gagnons le petit village blotti

Au bord de l’Eure : la patrie dampsoise…




 

Aux Damps,

                                le samedi 5 avril



Au cœur des Damps


Quelques arpents plus loin, sur le chemin de la Crûte,

On entre dans une partie préservée des Damps

Où les balles de paille s’alignent non loin des haies

Qui plongent avec le chemin vers le cœur du village.

 

D’ici, en faisant quelques pas avec le vent

Qui s’engouffre fraichement dans cette allée verte et fleurie,

Quelques échappées de paysage laissent entrevoir les colombages

Et les pierres du pays accompagnés de blancs pommiers en fleurs.

 

Le soleil, qui a récemment percé le frêle voile matinal,

Rayonne sur les jardins de l’ile étalés le long de la Seine

Et juste devant le monde bétonné d’une usine indicible

Mais que les mots ne peuvent taire.

 

Cette descente de la Crûte évoque

Les tortueuses routes du bocage normand

Où l’ancien bitume est noyé dans une verdure

Dont le feuillage salue le vent au passage.

La Maison Commune des Damps émerge ici et veille sur le hameau.

Cette Mairie fut l’enjeu, en 1879, d’un combat entre une population

Éprise de l’universel esprit républicain et les résistances obscures

Des sujets de "Sa Majesté", camelots du roi ou de l’empereur.

Ces hommes et ces femmes voulaient fonder la jeune République

Sur l’éducation et la culture, sans lesquelles ces mots ne seraient.

 

Mais la balade me mène au fond du val au creux duquel

Se blottissent frileusement les colombages, le torchis et les briques

Du dernier corps de ferme animé. Témoin de temps récemment révolus,

Cette ferme me rappelle qu’il y a six décennies – à peine –

Une dizaine de domaines fertilisaient le sol et élevaient le troupeau

Dont la présence aujourd’hui encore confère aux Damps

Un cachet rural des plus appréciables. En ces lieux,

La vie n’a pas rompu avec les temps passés qui l’ont conçue…

 

La rue des Carrières est une véritable notice historique :

Elle rappelle qu’elle est le berceau de nombreuses pierres

Aujourd’hui insérées dans les murs de nos ruelles.

Sous le chant du coq, la rue des Plâtriers

Ainsi que l’inscription presque entièrement effacée

Indiquent l’activité des ancêtres du maçon qui vit ici.

 

Poursuivant la visite vers la rue des Carrières,

J’observe l’ancienne charrette abandonnée,

Et la plante grimpant sur la façade,

Qui jalonnent le chemin à peine perturbé

Par quelque vrombissement soudain.

 

L’ancienne épicerie s’est endormie ainsi que la pompe communale

Alors que, issue du Moyen-Âge,

Resplendit la maison de la "Dame Blanche" :

Un petit reptile, qui lézardait sur la pierre baignée de soleil,

Ose fuir ses poutres croisées et ses petits carreaux en losanges.

 

 

Après cette rencontre avec le plus lointain souvenir,

Fièrement dressé dans un recoin du village,

Le chemin dessine un coude vers l’Eure,

Point d’arrivée et d’attache de nos aïeux.

 

Il suffit "d’aller aval" de quelques pas,

Comme disait le marinier,

Pour faire la rencontre avec le cœur

Du village des Damps : la place.

 

Vue du petit pont, elle est aujourd’hui

Bien anodine et reposante avec ses peupliers

Tendrement caressés par le frai vent du Nord.

Qui se souvient qu’on les plantait pour tendre le fil

Qui séchait les toiles lavées dans l’eau ?

 

Combien de femmes ont plongé le linge,

Toute leur vie durant, et frotté, et frotté ?

Combien d’enfants ont joué à la balle

Dessus les fils tendus alors que leurs pères

Amassaient les stères sur la place

Avant de les charger sur la Seine.

 

La Seine, eh oui ! car c’est ici , jusqu’en 1934,

Que se trouvait la confluence entre les deux cours.

C’est ici que l’Eure perdait son nom.

C’est ici encore que l’on trouvait le bac,

Dix mètres en amont du pont.

 

Mais tout l’ancien temps du lieu n’est pas réservé à la sensibilité,

Qui nous fait voir ce qui n’est plus :

L’âme des mariniers et du passé de la Seine

Se lit encore dans les linéaments du paysage mais aussi dans les actes

Des pêcheurs qui perpétuent une occupation ancestrale.

 

Enfin, peut-on encore s’imaginer qu’ici passèrent les fûts qui firent

Les bateaux de la monarchie de la fin des âges médiévaux

Mais aussi qu’un jour les navires normands

Passèrent et s’arrêtèrent en ces lieux si paisibles ?

 

Aujourd’hui, quelques voitures sont garées

Devant le bien nommé "Café de la Place",

Lieu de sociabilité des gens d’ici depuis des temps immémoriaux.

Il garde la mémoire du rendez-vous

Des mariniers et des paysans qui l’animaient.

 

Maintenant que l’Eure, "La rivière d’Ure",

Comme le prononçaient nos ancêtres,

Est découverte, la suite de notre balade

Passe par ses contours où un sentier pittoresque

Rappelle le chemin de halage et passe à travers les pâquerettes,

Les pissenlits et les boutons d’or.

 

L’eau fait scintiller de mouvements

Les piles du pont, toujours ombragées.

Les remous de l’eau font onduler

La surface de la rivière et de curieux dessins

Tourbillonnent lentement au gré du courant

Comme des galaxies dans l’immensité noire.

 

Le vent, qui accélère le courant, ride la surface de l’Eure

Qui garde, néanmoins, un cours paisible et ponctué de vaguelettes.

 

Les chiens du lointain aboient en canon.

Les motos et les mobylettes percent l’air tel l’essaim d’abeilles.

Les taupes façonnent leurs mottes.

Les plantes aquatiques se laissent bercer

Par le silencieux courant.

 

Toujours assoiffé de nouveauté, je m’enfonce dans le marais,

Asséché ces temps-ci, et y découvre un sol moelleux

Parcouru de sèches failles et où poussent en tous sens

Les troncs et les branches à la recherche de lumière.

 

Pendant que j’avance, un oiseau signale de deux cris qui s’envolent

Ma dangereuse présence aux siens. Deux canards viennent rayer

La surface de l’Eure où le bleu du ciel clignote désormais.

 

Cependant, alors que je suis à l’ombre de hauts arbres,

Un cygne blanc nage avec célérité en ma direction

Et s’arrête sur la berge, peu avant mon pas.

Il doit s’étonner de ma présence dans ce marais retranché,

Me dis-je. Mais non, pas du tout, ce cygne est une mère attentive

Qui est venue protéger ses petits, encore tout ronds au fond du nid,

Vaste berceau de paille.

Cette attendrissante protection vaut bien mon départ silencieux

Qui préserve cette beauté, après quelques secondes d’admiration.

Je l’admire encore, en m’éloignant et rêve déjà au plaisir de l’été prochain

Où elle glissera sur l’eau, contrastant par sa blancheur étincelante,

Suivie de ses petits, les fruits de son amour.

 

Un peu plus en aval, c’est un bras mort que je découvre,

Flaque bleue dans le vert dominant du pré de l’ile Saint-Pierre.

Une poule d’eau détourne mon attention en s’envolant de la berge.

Elle frappe l’Eure de ses ailes cinq ou six fois

Avant de lâcher un cri surprenant et d’atterrir sur la rive d’en face.

 

La chapelle, derrière moi, même si elle n’a que cent cinquante ans,

Marque l’emplacement de l’antique église de Saint-Pierre des Damps.

 

Appelé par la découverte, je gravis sur ma gauche

Le moins connu "passage des marronniers",

Étroit et boisé, ce passage pittoresque ravine

Ce qui rend son ascension moins aisée

Et presque digne de celles des Vosges.

Les Vosges, nom auquel fait écho

Cette partie du village appelée Les Vauges,

Mais qui n’a de lien que le son,

À l’inverse de ma poésie qui préfère faire rimer

Les sens plutôt que les sons.

 

        Au sommet du chemin de pierre,

        Apparaissent les toits plats de Le Corbusier

        Et les résidences toutes récentes des Merisiers.

        À gauche encore, de retour vers la Mairie,

        Je longe les terrains de jeux et l’école

        Qui a libéré, tout à l’heure, à "l’heure des mamans",

        Les enfants vers un samedi radieux.

        

        L’œil du quotidien passe sans savoir

        Près de deux ou trois plaisirs à saisir :

        Qui a lu, sur la pierre du mur qui fait face à l’aire sportive

        Cette ancienne gravure, "1833", à moitié effacée,

        À moitié recouverte par le lierre vert tendre.

        

        Qui a pris le temps de lire les noms

        De ceux qui tombèrent durant les guerres

        Sur l’humble monument d’un village

        Ému et meurtri par le sacrifice

        Consenti pour la liberté

        Et qui déplore à jamais la guerre

        Qu’elle soit d’aujourd’hui dans les sables,

        Qu’elle soit d’hier dans la boue…

 

        Qui apprécie la poésie et la touche d’humour

        Du nom de la rue Monte au Ciel,

        Rue escarpée que l’on nommait Saint-Jean

        Et ce deux siècles auparavant ?

 

        Qui ? Peut-être ce couple qui se promène,

        Avec l’enfant dans le landau,

        À qui je souhaite un bonjour

        Qu’il me retourne.

 

Derrière moi, ce terrain anodin recèle les vestiges d’une villa romaine

Révélés par une fouille lorsque je n’étais pas encore de ce monde.

La cave et ses soupiraux furent épargnés par la mécanique

Et offerts à notre savoir et à nos divagations teintées de rêve.

 

Tous ces secrets à peine voilés me font dire que la routine n’est pas le fait

De vivre le même quotidien mais d’y apposer le même regard.

Que ton œil garde la curiosité qui pétille dans l’œil des enfants

Et chaque journée que tu vis t’apportera son écot de nouveauté

Et de charme…

Ces balades, où le temps est celui de la nature, qui ne compte

Ni les heures, ni les révolutions de la terre,

Est le terreau de ces découvertes que je veux partager avec toi.

Alors, si tu le peux, vas sur ces lieux que je dépeins et jouis de tes sens.

 

Ces lieux sont le cadre d’un tableau, celui du bonheur,

Que tu peins avec les couleurs que sont tes sens.


 

                            Aux Damps,

                                     le samedi 5 avril


 

Sur le chemin des Haies


 

La chaleur dans le dos,

Le parfum des fleurs qui virevolte dans les airs,

Quelques filaments blancs en guise de nuages,

Je m’oriente maintenant vers Pont-de-l’Arche.

 

Le Chemin des Haies, ce long chemin qui domine l’Eure,

Tel une petite corniche, se resserre pendant un instant

Qui s’interdit aux moteurs.

 

Ici, à l’ombre d’un mur et d’une haie,

Le piéton savoure le raccourci

D’un rare espace qui lui est réservé.

 

En bas, deux pêcheurs perdus entre les branches

Occupent l’entrée du bras mort,

Le tout en silence et à l’insu de tous, ou presque.

 

Les insectes s’activent, sous ce soleil d’avril,

Tout comme les propriétaires de terrains

Non loin du "passage des Thuyas".

 

Ici et là, dans les cours, ou derrière la grande usine,

Des parterres de béton apparaissent à la surface

Comme des couches géologiques.

 

Une oie passe à l’instant et m’interrompt.

Toutes ailes déployées et impressionnantes

Elle va, d’Est en ouest, en exprimant

De rapides gémissements essoufflés.

 

Ces étendues bétonnées témoignent de l’emplacement

D’une base aérienne anglaise datant de la Grande Guerre.

On réparait ici les moteurs dans des bâtiments parfois disparus.

On se restaurait dans ce qui est, aujourd’hui,

Le Café des Dardanelles et l’on occupait l’usine qui demeure.

 

Le nom de la rue est, une fois encore, révélateur : la rue des Dardanelles.

Ce nom commémore les terribles combats qui firent rage au large

De l’actuelle Turquie et qui meurtrit les Français et les Anglais,

Unis face à l’Ottoman et l’Allemand de ces temps.

 

Alors qu’une fourmi me chatouille, un sac qui vole à l’horizon

Rappelle à mon regard l’usine de briques rouges,

Symbole d’un temps qui fait écho dans ma raison

Comme celui de la chaussure et du chausson.

C’est le temps de l’industrie, des abus des uns

Sur le faible, l’honnête : c’est un temps éternel et humain, trop humain...

 

C’est le temps de la grande grève de 1932,

Sous les yeux de la gendarmerie à cheval :

La plus grande manifestation qu’aient connue

Les Damps et Pont-de-l’Arche.

"Morel à l’iau ! Morel à l’iau ! Vivent les dix pour-cent !"

Criait la majeure partie des gens de la région

Dans les rues médiévales du chef-lieu de canton.

 

Cette usine symbolise, à elle seule,

Sa période : grâce à son toit de sheds

Fabriqué selon la dextérité anglaise ;

Et le pays de ses origines d’où nous vint,

Aussi, la révolution industrielle,

La brique rouge systématique et

Le train qui roule toujours à gauche…

 

En face d’elle, des pans entiers des Damps

Ont grandi depuis l’Armistice et, depuis peu,

Grâce à d'entières familles heureuses de vivre

Dans un cadre aussi accueillant et je les comprends.

 

Un faisceau blanc pourfend le ciel à la suite d’un lointain avion.

Arrivé au Val des Damps, je ne peux que penser à Octave Mirbeau,

Ce journaliste, cet écrivain, épris de justice sociale.

Il  appela de tous ses vœux une société libertaire en réaction à

Une économie dont il voyait les méfaits sur le peuple des Damps,

De Pont-de-l’Arche et de partout ailleurs, et à une République

Qu’il jugeait pas assez sociale et radicale.

Je pense ici à lui car c’est là qu’il habita,

Quatre ans durant après 1889, dans un cadre qu’il aima

Et qu’il décrivit par ces mots que je vous livre…

 

    « Je ne retrouverai nulle part un spectacle aussi admirable que celui là.

Toute la vallée de la Seine, la vallée de l’Andelle, au loin s’ouvrant derrière le mont des Deux Amants, et tout près de nous l’embouchure de l’Eure.

Le petit village des Damps est bâti, près de l’embouchure de l’Eure, sur un bras de la Seine que sépare du grand fleuve une île plantée de hauts peupliers et d’oseraies abandonnées, maintenant envahies par une flore exubérante et vagabonde qui donne l’impression d’une jungle mystérieuse. Du grand bras de Seine, caché par le niveau de l’île, on n’aperçoit que la rive droite, plate, nue, découvrant par places les écorchures blanchâtres d’un terrain marneux. La plaine ensuite, çà et là semée de bouquets de trembles et de pommiers solitaires, s’étend en paisibles carrés de cultures, jusqu’à des coteaux aux souples ondulations, aux pentes orangées, couronnées de forêts, dont la tache sombre s’attendrit, se voile de bleu léger et semble se vaporiser avec la brume qui monte, soir et matin, des nappes d’eau et des prairies riveraines. Gaiement éparpillés sur une même ligne, des villages longent le pied des coteaux, et leurs toits rouges et leurs façades blanches éclatent parmi les verdures estompées. Un peu vers la droite, la plaine s’élargit, les coteaux s’exhaussent en montagnes et s’ouvrent brusquement pour laisser voir un espace très lointain, très bleu et très rose, une enfoncée de vallée qu’on dirait remuante et légère autant que des nuées. Le spectacle de cet horizon est délicieux à regarder ; il est d’une douceur infinie, d’une lumière opaline, exquise, rendue plus exquise par la dureté des premiers plans et la complication de leurs arabesques emmêlées. Durant les mois d’automne, le brouillard y promène ses rêves fugitifs et ses mystères changeants dans la fine transparence de ses voiles argentées. »

Octave Mirbeau

 

Dès lors, notre balade littéraire nous amène à emprunter

La rue Morel-Billet, voie que se partagent les villages

Des Damps et de Pont-de-l’Arche.

 

Nos premiers pas archépontains nous montrent un petit ange

Dessiné dans le bout de plâtre isolé dans la façade de pierre

De la dernière bâtisse, à gauche, avant la grande route de Rouen.

Un ouvrier s’amusa à imiter l’artiste qui donna aux églises

Tout son savoir faire, il y a des siècles.

 

Franchissons le pont qui eut l’insigne honneur

D’être inauguré par Pierre Mendès France.

L’intérêt de quitter Pont-de-l’Arche et de gagner les terres d’Igoville

Est d’avoir un point de vue imprenable sur la cité millénaire…

 

 

Igoville,

le samedi 5 avril

 

Au fort de Limaie

 

Sous le ciel limpide, à l’abri du vent,

Le soleil double sa superbe

En faisant de la Seine le miroir de sa majesté.

 

La chaleur monte au visage et seule une brise

Parvient à percer le bouquet végétal, derrière moi,

En face de Pont-de-l’Arche, au lieu dit "Le Fort".

 

Ici, face à la Seine, en contrebas de l’actuel pont,

Je suis avec un ami sur les bases de l’ancien ouvrage

À l’endroit même du pont de Charles le Chauve,

Ce roi qui, en 862, voulut barrer la Seine aux Normands.

 

Ce lieu, inaccessible jusqu’à la semaine passée,

Où mes mains n’écrivirent mais frayèrent

Un passage à travers les ronces,

Est un promontoire humain

Qui montre le point de départ du pont

Qui menait à la rue Alphonse Samain,

Au centre ville de Pont-de-l’Arche.

 

Nous sommes assis, les jambes dans le vide,

À l’endroit même de la porte du château de Limaie,

La forteresse qui défendait le pont et qui disparut il y a deux siècles.

 

Combien de milliers de mil de passages !

Et quel silence aujourd’hui…

Il n’y a plus que l’esprit pour aimer à rêver

Au trot du cheval tirant la charrette.

J’imagine ce bruit de herse, s’éveillant dans mon dos,

Laissant place au trot de ce cheval fantôme

Qui me traverse : il apparait à mes yeux,

S’éloignant sur ce pont, puis entre dans Pont-de-l’Arche

Entre deux remparts et sous la maison du portier.

 

C’est un luxe de l’esprit que de créer ce qui n’est pas

Et ceux qui ne sont plus.

C’est un lèse de l’automobile que de me réveiller de ce rêve.

 

Mais, ce qui me console, c’est le cadre naturel :

Le déversoir laisse entendre, par intermittences éoliennes,

Ses rêves où il s’imagine en cascade de Mortain

Ou même, l’orgueilleux, en chute alpine.

 

Le soleil scintille çà-et-là sur l’eau tout comme l’image des isles

Qui font rêver celui qui ne connait pas même le village d’à côté.

 

Et, droit devant, l’église, toujours imposante,

Laisse apparaitre par transparence

La lumière provenant de derrière deux vitraux.

La tour de Crosne, de même,

Par l’alignement de ses deux fenêtres,

Est percée d’un rayon de lumière

Qui fait d’elle le phare tardif

D’un port qui n’est plus.

 

Les iles verdissent mais, manquant d’arbres,

Laissent à Pont-de-l’Arche la place qui doit lui être impartie :

La première dans le paysage. Or, ici, fait singulier,

Peu d’annonces criardes le long de la route.

Aucune pollution visuelle, de ce côté-ci de la Seine,

Pour le grand commerce – le grand appât –

Ou de la grande industrie ne nuit au paysage et au cadre de vie.

 

Je songe à cette ville où je vécus enfant et adolescent

Avant de gagner Les Damps tout en allant

Apprendre l’étude historique au Havre de Grâce.

Je me dis que, tout en évoluant, la bourgade a gardé son charme.

Elle n’a jamais rompu avec la tradition qui, certes,

N’est pas un point d’attache mais constitue un point de repère :

Elle nous dit d’où nous venons et donc qui nous sommes

Afin d’évoluer tout en restant nous-mêmes,

Afin d’évoluer sans nous dénaturer

Et sans dénaturer nos enfants par là même.

 

Mais ce fil ténu de l’évolution est mal compris

Entre ceux de la révolution qui du passé veulent faire table rase

Et taire ses enseignements et ceux de la tradition

Qui se ferment aux solutions actuelles

Que propose et impose une situation nouvelle.

J’aime à me voir, tel l’arbre, prenant mes racines

Dans le terreau de mes ancêtres et

Me déployant vers de nouveaux horizons : nul extrême.

 

Une péniche interrompt mes considérations

Le "Bay Trader" va aval et gagne Rouen

En claquant les vaguelettes sur les berges du fleuve.

 

Le soleil décline, en cette fin d’après-midi,

Et illumine l’horizon du couchant,

Laissant avec parcimonie

Aux blanches maisons du centre ville

Quelques rayons aux façades bien orientées.

Les oiseaux volent au-dessus de l’eau

En quête d’insouciants moustiques.

Les voitures reflètent – une seconde à peine –

L’astre déclinant par leurs vitres.

 

Mais Pont-de-l’Arche mérite mieux qu’un regard lointain,

Même à la base de son ancien pont, son acte fondateur.

Approchons nous…

 

 

À Pont-de-l’Arche,

le 6 avril

 

Lumières nocturnes

 

Si la plume prend ses pauses,

La prose ne tarit pas sous l’effet bénéfique des Muses

Qui m’insufflent les doux airs de lyre de la vie.

Nos déesses me réchauffent le cœur et je me sens en sécurité,

Lové dans la blanche chaleur de leurs bras,

Quand je les entends entonner les chants

Qui louent le plaisir de vivre au milieu des hommes,

Dans la culture et la quête du bien-être en société.

Chose étrange, alors que Clio, l’Histoire, est la déesse

À qui je donne le plus de temps et adresse le plus de pensées,

C’est Polymnie, la Poésie, qui me susurre depuis deux ou trois jours

Les notes que je joue à la lyre qu’est ma plume.

Parfois même, Érato, la tendre et triste nostalgie,

Me chante sa mélopée que je sème çà et là dans mes vers.

Ainsi quelques fleurs tendrement nostalgiques

Apparaissent dans les recoins du tableau que je dépeins.

Érato est aussi belle que ses sœurs avec ce timide sourire

Des jours où le soleil intérieur peine à se lever.

 

Je reviens donc, bien plus tard, voir ce paysage

Que chaque instant renouvèle,

Que chaque heure recolore,

Que chaque couleur redécore.

 

La moitié de la nuit a sonné sous l’infinité céleste ponctuée d’étoiles,

Et je me suis posté à l’affût de l’insolite, à l’endroit même du quotidien,

Assis sur une marche du tourbillon qui relie le pont à l’ile Saint-Pierre.

 

Les lampes et le va-et-vient automobile

Accompagnent ma prose nocturne.

L’obscurité du fleuve et de la rivière

Font écho – encore et encore – au ciel :

Les étoiles scintillent dans un ballet de clins-d’œil.

Bleu tout à l’heure, le ciel est désormais noir

Comme la rétine du chat que j’ai croisé en venant des Damps.

Le chat, ce furtif de nos nuits,

Était là, sur le muret du Val,

Dans la sempiternelle position du félin

Lorsqu’arrive l’homme inconnu ;

L’œil plus vif que jamais,

La tête basse tournant en un instant,

Une fois à droite, une fois à gauche,

Pour mesurer où sa fuite bondissante

Se traduira par le succès le plus assuré.

 

L’araignée, au milieu de sa toile,

A tissé son réseau, mortel,

Dans celui de la rambarde écaillée.

Elle qui attend l’imprudent moustique

Me sert de point de mire sur la ville

De Pont-de-l’Arche, au second plan.

Une partie de sa toile est déchirée

Mais l’autre trahit sa position

Car la soie relaie les lumières

Et révèle son piège fatal.

Non loin d’ici, l’Eure est comme un ruban

Qui brille et qui glisse avec aisance et douceur

Entre les doigts des herbes qui peuplent les rives.

Derrière elle, sur la place,

Quelques jeunes prisonniers de leurs voitures

Ne tardent pas à démarrer vers un nouveau samedi soir.

L’ironie des temps me prête à sourire :

Naguère, ils eussent gagné l’Hôtel de Normandie,

Au lieu même de l’actuelle banque,

Où la salle de concert accueillait

Le on ne peut plus local Monte Carlo Jazz band.

 

Ma frêle enveloppe corporelle tremble parmi cette fraicheur

Pourtant atténuée grâce à un vent qui tomba avec l’astre du jour.

Des odeurs d’herbages adoucissent – un instant – le climat

Grâce aux rayons précieusement recueillis le jour durant.

Mais le bourg dort au chaud :

Ses maisons blotties les unes aux autres

Rappellent un temps où la nécessité

Drapait les hommes de solidarité

Dans le tissu social qu’est la condition commune.

On a gagné la couette, où l’on tue encore le temps

À l’aide d’un écran … Ah si l’écran ne tuait que le temps…

Quand on le regarde de trop près,

On en oublie parfois jusqu’à son propre foyer.

La télévision jette le voile sur la parole, la lecture, les amis et

L’empathie qui sont les acteurs des riches et longues veillées…

 

Les anciennes pêcheries, au pied de la courtine,

Au pied de l’église et de la tour de Crosne,

Laissent rayonner leurs façades

Aidées en cela par la guirlande lumineuse

Qui éclaire nos vieilles rues.

 

Enfin, Notre-Dame-des-Arts, derrière mon araignée,

Reste grave et impassible. La forme de ses fenêtres

En ogive, lui confère un regard sévère et austère

Renforcé par un contraste entre sa façade éclairée

Et ses vitraux, son toit, qui rivalisent avec l’obscur céleste…

Il est vrai que l’Archange de la lumière descendit,

Une à une, les marches séparant le Paradis de l’Enfer…

Les Lumières et les Églises…

Mais mes doigts se crispent et mon imaginaire prend

De plus en plus les étoiles comme le scintillement

De lumières sur la glace… Je pars donc rejoindre

La chaleur de celle qui donne un visage à l’amour

Et un bonheur à mes jours.

Ma plume m’a dérobé trop longtemps

À sa présence, à ses précieux moments.

 

Je tais mon verbe et l’offrirai tout à l’heure au soleil.

 

À Pont-de-l’Arche,

le dimanche 6 avril

 

Le marché de Pont-de-l’Arche


Sortant du pont, sur ma droite, le dimanche matinal consacre

Le lieu privilégié de la balade le long des étals du marché.

 

Le ciel offre un mélange cotonneux

Tel un camaïeu de blancs et de gris.

Une légère bise nous rappelle

Que la dure saison n’a pas renoncé

À ses prétentions sur la Normandie.

Mais l’œil l’ignore, attiré par le fruit, le légume,

Le fil tissé aux couleurs de l’été.

Le regard se pose furtivement,

Pudeur oblige, sur le promeneur qui vient en face.

 

Je reste parfois incompris et éveille souvent l’étonnement

En consignant sur le papier quelques impressions glanées

Devant la demeure du luthier.

 

Les sacs s’emplissent à mesure que les billets glissent de main en main.

Le panier des anciens se balance paisiblement ou se protège sur le flanc.

 

Le repos dominical que symbolise le marché,

Où le contact humain reste privilégié,

Est un havre, le long de la rue Montalent,

Pardon ! de la rue Jean-Prieur.

Il est entouré de l’océan bruyant

Du véhicule roulant vers Rouen,

Ou de celui du ballet motorisé

De l’âpre quête de la place

De stationnement.

 

Le marché mêle, côte à côte,

Grands et petits, humbles et opulents,

Ainés et puinés, bérets et casquettes,

Dans une activité tout droit issue

Des temps immémoriaux.

Ici on croise l’ami, le voisin, la famille, les copains,

Ceux que l’on voit tous les dimanches

Et ceux que l’on revoit au gré des vents.

La discussion fait alors écho sur les murs anciens

Faits de sombres colombages, de rouges briques,

De blanches pierres et de clairs crépits.

Le tout se déroule autour de bavardages épars

Et d’éclats de rire de-ci de-là,

Sous la rouge coccinelle de l’enseigne.

 

Je me lève et pense à ces quelques pierres

Qui sont les lointaines filleules

Des pierres de taille depuis lors morcelées

Qui servirent à la construction

De la porte du rempart médiéval.

Cette porte, avec pont et fossé,

Se situait ici même…

 

Marcher le long de la rue animée,

C’est traverser des univers de senteurs

Aux horizons divers : viandes rôties,

Fruits du verger, légumes du potager…

 

Les cloches sonnent soudain annonçant la fin du catholique office

Alors que, à tour de rôle, on propose Jéhovah aux paniers déjà repus.

 

Je suis arrivé et installé, après le lent pas du marché,

Au buste de Hyacinthe Langlois où la sèche fontaine est envahie

Par les étals répandus sur la place.

Ce buste n’existe plus depuis la dernière guerre,

Mais en 1930, Edmond Spalikowski,

Grand amateur de culture et de Normandie,

Pouvait encore écrire ces quelques vers :

 

« Hyacinthe Langlois, poète archéologue

« Qui sur ta stèle vois, surpris, tendant le dos,

« Dévaler le troupeau bondissant des autos

« Échappées aux éclairs du mont Décalogue,

« Pour assaillir le pont cher à Charles le Chauve,

« Dans un mugissement de démon ou de fauve,

« Lève pour dissiper l’effroi de ta prunelle

« La tristesse de tes regards

« Que consolait jadis l’inflexion d’une aile

« Vers le sourire gothique

« De Notre-Dame-des-Arts,

« Reine aux fleurons de pierre en couronne au portique.

« Mais prête aussi l’oreille à l’argot des commères

« Bourdonnant à tes pieds aux étaux du dimanche,

« À leur langue salée, à l’invective amère

« Lancée en bon patois, les deux points sur les hanches

« Et tu reconnaîtras par ce verbe gaulois,

« Le sang fier de la race aux illustres exploits

« Dans les veines d’enfants des "machons" d’autrefois. »

 

Edmond Spalikowski

 

Mais le temps vient à me manquer :

Un rendez-vous familial m’attend

Lui qui consacre une institution

Bien française… le repas dominical.

Mon pas oublie la place Langlois

Sous les senteurs envoutantes

De la boulangerie, mais je reviendrai…

 

Pont-de-l’Arche,

le 12 avril



Dans les ruelles médiévales

 

Six jours ont passé et nous ont fait frissonner,

Eux qui sont les derniers soubresauts de l’hiver.

 

Le temps est redevenu clément et les ruelles archépontaines

Sont animées par les roues et les pas d’un samedi après-midi.

 

Quelques enfants dévalent la pente

Qui relie la fontaine à la Seine

Et ce grâce à leurs trottinettes.

 

Assis devant la cascade

Je prends le temps de voir les passants

Sortir et entrer d’un magasin à l’autre

Comme l’abeille butine de fleur en fleur

Le nectar de son quotidien.

Et les enseignes ne trompent pas,

Du Coccinelle aux Quatre-Saisons,

Car ici les senteurs se marient

Sous le nez du promeneur

Averti du conseil du vendeur.

 

C’est lorsque l’on est épris d’histoire

Que l’on en vient ici à s’étonner

De cette route qui descend et qui meurt

Avant même d’atteindre le bord de l’Eure

Et qui laisse apparaitre au loin

Les ruines désolées de l’ancien pont fortifié

Où tant d’armées croisèrent le fer.

 

C’est un bonheur de voir que la ville

Qui naquit pour des raisons belliqueuses

Est aujourd’hui un parfait havre de paix.

 

Les poutres anciennes sont repeintes

De toutes les couleurs, selon l’usage médiéval,

Et côtoient les façades, de plâtre ravalées,

Nées du vingtième siècle aux idéaux

De richesses et d’apparences.

 

Une façade présente de vieilles peintures,

Les réclames d’une chapellerie-mercerie,

Qui apparaissent comme un ancien maquillage

Qui a conservé un charme certain

À défaut d’un éblouissant éclat artificiel.

 

Un parterre de fleurs orne la rue

Devant le fleuriste qui remplaça,

Récemment, le cordonnier qui

Laissa le soin à l’usine Marco

De rappeler à nos contemporains

Le passé de la chaussure des Archépontains.

Tout comme les Ch’tis

Qui voient poindre dans leur cœur

Un soupçon de nostalgie quand

On parle de ceux qu’allotent à l’ fosse,

Je pense aux Archipontins

Qui, eux, allaient à la cauchure.

Comment qu’on l’appelait le père untel ?

C’était quoi son soubriquet ?

I’l’en avait bien un comme tout le monde ici.

L’Cat Qui Miaule, voilà son surnom,

Mais qu’est-ce que ça veut dire aujourd’hui ?

Cela voulait-y dire qu’il avait écorché un nom

Ou qu’il avait une grande goule ?

Mai j’sais pâs. J’sais juste qui l’était fâniâ !

 

Mais l’arc de cercle de la rue Blin m’appelle.

Il me propose de faire plus ample connaissance :

Avec l’hôpital qui fut un couvent

Qu’un chemin droit devant reliait à l’église ;

Avec la maison du gouverneur

Du Pont de l’Arche, au coude à droite ;

Avec l’ancienne Mairie, au coude à gauche,

Qui était le bailliage et la prison de l’Ancien-Régime.

 

Quelques pas plus loin la vue se dégage

Sur les arrières de la tour de Crosne et de l’église

Tandis que la maison du gouverneur dévoile

De nouveaux charmes sous un jour nouveau,

Un jour bien lointain de ceux où

Saint-Louis et Henri V vinrent ici.

 

Ce décor est impressionnant car il marie le cadre urbain

Aux charmes champêtres de ces arbres, toujours plus verts,

Qui sont les demeures des chants d’oiseaux.

 

L’église, dans laquelle j’entre,

Porte en elle une page d’histoire

Sous la forme du verre du vitrail du halage :

Le maitre de pont dirige les siens

Et les chevaux, de son dix-septième siècle,

Qui tirent l’embarcation peinant

À remonter le courant concentré

Entre les piles du vieux pont.

 

Et je sors du monument : les gargouilles m’inquiètent

Certes moins par la forme de leur sculpture

Que par le risque de chute qu’elles représentent.

 

Le cadran solaire tait le temps,

Qui se lisait selon les pas du soleil,

Car les nuages font leur entrée

Sur la scène du ciel normand.

 

Sous les échos de la place Langlois,

En contrebas à droite,

Je m’oriente vers le petit chemin,

La Sente de Beauregard,

Qui serpente derrière l’église

Et traverse l’ancien rempart.

Il me rappelle le village de Provence

Où la venelle escalade le caprice naturel d’une pente

Encline à exaspérer le promeneur.

Tout en gagnant l’Eure, cette brève descente

Laisse admirer combien les habitations entremêlent

Les toits et les façades dans un dédale de rues alors invisibles.

 

Les couleurs s’offrent à nouveau au regard

Quand la pierre cède la place au végétal

Qui borde la Seine et l’Eure.

 

Mais je me tourne vers ces verbes que j’étale et réfléchis sur le papier

Et je me dis que le mot exprime la pensée,

Épouse les contours d’un paysage et révèle un sentiment.

Autant Les Damps offre à ma prose un visage aux linéaments poétiques,

Autant Pont-de-l’Arche fait prendre à ma plume

Le cours littéraire d’une balade historique et touristique.

Aux Damps le lyrisme et à Pont-de-l’Arche la solennité

Prouvent que la littérature et le paysage

Font partie du domaine sentimental de l’homme.

 

Aucun lieu ne fait écho dans nos cœurs

S’il n’y a derrière le visage d’un être aimé,

S’il n’y a le souvenir d’un bonheur, d’un sentiment…

Le lieu n’est pas le nom d’un cadre géographique

Mais celui d’un espace sentimental : le tien, le mien…

Les lieux revêtent la richesse des sentiments :

La larme d’une chambre désormais vide ;

La nostalgie de temps heureux

Lovés dans le monde de l’amour maternel ;

Les rires partagés avec des alcoolytes du lycée ;

Les retrouvailles des parents et des amis

Après la distance d’un voyage…

Les lieux sont imprégnés d’humanité

Ce qui leur donne une dimension que

Ni les richesses du bout du monde

Ni l’empire d’à-côté ne revêtent.

Un charme ne se lit pas sur les traits du paysage

Mais sur les élans du cœur.

Un charme ne réside pas

Dans la beauté d’un visage

Mais dans le pouvoir, l’emprise,

D’une femme ou d’un homme

Sur nos sentiments.

Les sens et les sentiments doivent

Vivre et évoluer à travers les lieux et le temps.

Mon espace sentimental est différent du tien

Mais ils vivent côte à côte

Et, parfois, et c’est le cas des amoureux,

Ils s’entremêlent en partageant le même plaisir.

 

Et je poursuis la balade qui suit le cours de l’Eure

Entre le terrain de camping,

Où arrivent les premiers touristes,

Et la berge caressée par l’eau.

Le soleil ne danse plus au creux des remous de l’Eure

Car le voile vaporeux des nuages a drapé le ciel printanier.

Le soleil éclaire le voile blanc ce qui dessine une véritable

Feuille naturelle sur laquelle s’écrivent les rêves de ceux

Qui s’allongent sur les prés de l’été.

Il leur faudra attendre encore un peu.

 

Mais la crue de la Seine s’impose aux yeux du curieux

Qui peut lire, à la base du mur, sur l’anodine plaque :

"Crue 2 février 1910". Sa hauteur coupe le souffle

 

Et rappelle immédiatement la carte postale

De noir et blanc illustrée et maculée d’une belle plume,

Cursive et courbée.

 

Mais longer l’Eure c’est aussi croiser

Le petit pont qui mène à l’ile et

Qui garde pour lui son passé oublié,

Celui où ses semblables, parmi tant d’autres,

Formèrent le port artificiel d’Arromanches

En juin 1944, à la Libération.

Aujourd’hui, Pont-de-l’Arche

Garde en mémoire les plus connus

Des libérateurs de l’époque :

Rue Roosevelt, Charles de Gaulle,

De Lattre de Tassigny, Mendès-France…

Mais, à côté de ceux-ci,

Les résistants et les malchanceux

Ont leur part de souvenir :

Rue Cacheleux, Samain, Antoine, Bonnet…

Néanmoins, de nombreux noms

De ceux qui sauvèrent l’honneur de la Cité

Ont été oubliés : Roger et Jean Tardy,

Robert Doucerain, Victor et Berthe Désert…

Mais ce n’est pas tout, jeunes et moins jeunes

Se rappellent encore l’anecdote du grand père

Lors de l’exode de 1940 ou encore les canons français

Placés sur les remparts de Pont-de-l’Arche

Et bombardant l’Allemand arrivant sur les hauteurs d’Igoville :

Ce fut la dernière fois que les fortifications millénaires

Eurent une fonction militaire.

 

Toujours plus loin, vers l’abbaye de Bonport,

Le chemin prend des allures un peu écossaises

Lorsque l’on ouvre et referme sur nos pas

La clôture veillant sur les moutons.

Ici les anciennes barques sont toujours attachées

À leurs pontons ou à leurs amarres de fortune.

Leur proue pointue fait triste mine

Car elle manque de fraiche peinture

Et de nouvelles aventures.

Une barque apparait derrière

Le miroir qu’est la surface de l’Eure :

Elle touche le fond

Sous les derniers rayons

Qui parviennent à elle.

Ce lieu est le terrain propice au pique-nique de l’été,

Près du puits artésien et de la petite ferme

Sertie de haies à la normande.

 

Vers Bonport, se dresse à gauche

Une légère corniche restée naturelle

Et percée par d’anciennes carrières

Et ce à quelques pas de la Seine d’époque

Où l’on chargeait la pierre qui bâtit les villes de Paris à la mer.


 

Pont-de-l’Arche,

le 16 avril

 

Derniers rayons sur l’Eure

 

Désormais, c’est l’heure où les rayons solaires

S’étalent longuement avant de laisser place à l’ombre.

 

C’est le moment où les ombres s’allongent en fuyant

Le soleil qui se couche dans son berceau flavescent,

Mêlant le bleu-azur, l’or et les pourpres.

 

C’est le moment où les ombres s’allongent de plus en plus

Avant de recouvrir le théâtre des cieux.

Le soleil dépose encore, çà et là,

Les quelques langues roses du soir venu

Sur les vieilles barques où s’écaille la peinture.

 

Je suis assis sur la berge

Qui relie Bonport à Pont-de-l’Arche.

C’est elle qui accueille les moutons,

Qui bêlent au loin, rappelant ainsi la campagne.

 

Une barque retournée ferme les yeux sur son passé

Alors qu’une autre offre au regard la douce danse

Des reflets de lumière sur l’eau

Et qui ricochent sur son bois.

 

Le soleil, presque orange, double son visage sur l’eau

Laissant la berge isolée entre deux feux.

Néanmoins, les derniers rayons de la journée,

Véritable enclave estivale dans la beauté du printemps,

Ne parviennent plus à contenir le frai courant d’air

Qui remonte du calme courant d’eau.

 

Les poumons inspirent un air plus vif, dans sa tiédeur,

Qui laisse indifférents les canards

Remuant la surface de l’Eure.

 

Les moustiques virevoltent et s’entrecroisent

Sous les projecteurs solaires

Comme de furtives poussières.

 

Et le soleil descend lentement

De ses hauteurs olympiennes

Tel un dieu que l’on tutoie

Et devant lequel on ne baisse plus les yeux.

 

L’horizon invite l’astre à se retirer du paysage

Et à laisser les plaisirs d’aujourd’hui

Devenir, peu à peu, les rêves de demain,

Les rêves pour le lendemain.

 

Déjà affaibli derrière les branches des saules,

Pleurant son départ, l’astre d’or

Entre en terre derrière la presqu’ile de Freneuse.

 

Il prend la forme d’un amphithéâtre

Dans lequel il est enseigné à quiconque

Le plaisir, la fascination,

De voir un coucher de soleil

Et de ressentir pleinement la nature.

 

Le ciel perd ses accents dorés.

Une flèche de fumée relaie les rayons,

Désormais cachés, à la suite d’un avion.

 

L’Est se pare de rose et d’une auréole incandescente

Alors que les senteurs florales cèdent la place

Aux odeurs des herbages et des bords de l’Eure.


 

Pont-de-l’Arche,

le jeudi 10 juillet

 

 

Aux abords de Bonport

 

Sur le chemin de l’abbaye,

C’est une ou deux lieues qu’il me faut parcourir

Accompagné par le destin de l’Eure

Qui rejoint doucement celui de la Seine à Martot.

 

Les murs silencieux de l’édifice religieux

Indiquent, par les divers parements qui l’habillent,

Le nombre de siècles qui, l’un après l’autre,

Se sont pris pour les vagues de l’océan,

Elles qui sont les magiciennes de l’érosion.

 

Ils marquent aussi la volonté des hommes

Qui ne veulent pas que le temps ait de prise

Sur leurs corps, leurs esprits ou, encore,

Sur l’expression matérielle de leurs rêves.

 

Cette belle journée d’été prolonge

Mon plaisir printanier à cela près

Que la chaleur a rejoint mon pas.

 

L’herbe, aux pointes sèches battues par la brise,

Abrite un monde dont l’écho traduit les rêves

D’une infinité d’insectes qui caricaturent

Les chanteuses d’oc : les cigales du midi.

 

D’ailleurs, ce sont peut-être ces doux sons

Que vont chercher les vacanciers qui défilent,

Non loin, sur l’autoroute de Normandie,

Cette grise entaille qui ne brise qu’à peine

La sérénité impavide de l’abbaye de Bonport,

Une lointaine filleule de Bernard de Clairvaux.

 

Et je me plais à imaginer, dans la voiture,

Les enfants assoupis, rêvant de plage et de glaces,

Lovés dans l’amour parental : ils sont

Une des sources intarissables du bonheur.

 

Le papillon, à l’imprévisible tracé,

Me rappelle que là, derrière le pré,

L’Eure s'était dérobée à ma conscience.

Elle revient à moi accompagnée,

Comme toute parcelle de savoir,

D’un autre vécu, littéraire celui-ci :

Cette expérience, toute Archépontaine,

Enrichit mon savoir lorsque je lus l’ouvrage

De Léon de Duranville, datant de 1856.

J’y appris que, jusqu’au XVIIIe siècle,

Une fête chrétienne perpétuait

Le rituel du paganisme en proposant aux fidèles

De communier par un bain dans la Seine,

Acte répandu dans de nombreuses contrées païennes.

Cette lointaine habitude de nos ancêtres

Me fait alors immédiatement penser

À l’arbre du Petit Saint-Ouen de Léry.

Ici encore le Christianisme fit perdurer

Ce qu’il condamnait encore au XIe siècle :

Le culte de la nature et des divinités plurielles

Qu’elle insuffle dans le cœur des hommes

Qui n’ont pas rompu leurs liens avec elle.

 

Mais reprenons une lecture plus onirique

Et prenons plaisir à imaginer que cette communion annuelle

Fut la commémoration de l’acte fondateur de l’abbaye :

La chute du duc de Normandie et roi d’Angleterre

Dans les eaux plus actives de la Seine d’alors.

La légende, encore vivace à Pont-de-l’Arche,

Dit que Richard Cœur de Lion, poursuivant une proie

Lors d’une chasse en forêt de Bord,

Tomba dans les eaux du fleuve et failli s’y noyer.

Or, le courant rapprocha le Lion de la berge

Ce qui le persuada d’une bienveillance divine.

Richard fit alors édifier l’abbaye qui consacra

Le "Bon port" du courant et ce à la fin du XIIe siècle.

Depuis lors l’abbaye accueillit les clercs et les laïcs

Jusqu’aux heures de la Révolution où les pierres de l’édifice,

Nées du labeur des humbles, passèrent des mains du privilège

Aux mains d’un autre privilège, monétaire celui-ci,

Et qui fit de Bonport le lieu d’une carrière.

Ainsi, les pierres du lieu furent vendues et éparpillées

Dans la région où, aujourd’hui,

On les trouve dans la Cour du Cerf,

À Pont-de-l’Arche, ou encore à l’entrée de la ferme,

À Sotteville-sous-le-Val, ou dans la rue d’Alizay.

 

L’image des austères bâtiments se traduit pour mon ouïe

Par des chants grégoriens d’une époque lointaine et

Qui donneraient aux murs une sagesse et une connaissance

Frustrante et magique… à cause de leur silence

Quand le regard se prend, aujourd’hui, à les interroger.

Mais je me vengerai dès ce soir car, si les siècles ont passé,

Les hommes laïcs d’aujourd’hui savent redonner de la vie et du charme

À ce site historique en proposant du théâtre aux influences italiennes

Et aux références grecque et française – Phèdre ou l’amour impossible –

Au sein du festival : l’été en Bord de Seine.

 

Mais je me regarde penser, tout d’un coup,

Et des ressemblances se dessinent sous mes yeux :

Les faits culturels, les faits historiques

Sont comme les faits personnels,

Les faits présents, les sentiments

Qu’ils soient amoureux ou amicaux,

Haineux ou dédaigneux, et encore

Comme les mots qui résonnent et

Qui encrent le papier…

Ils ont cela en commun

Qu’ils sont tous des expériences

Qui font la richesse de la vie

De celui qui en prend conscience

Et qui en ressort grandi

Par le savoir, la sagesse

Et le bonheur.

 

Ici s’arrête notre balade

Et ces moments solennels

Dont le privilège est la simplicité…

 

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21 juillet 2014 1 21 /07 /juillet /2014 14:23

 

Peu connus mais pourtant témoins d’une production longtemps nécessaire au niveau local : les fours à plâtre de Pont-de-l’Arche méritent notre attention. On les trouve dans une cour privée au n° 63 du Quai Maréchal-Foch. Tout d’abord, nous nous étonnons car, pour faire du plâtre, il faut du gypse. Or, ce sont plutôt les régions de Paris et de Pacy-sur-Eure qui en sont riches, pas la nôtre. Force est pourtant de constater que des carrières ont été nombreuses à Pont-de-l’Arche...  

 

Photographie panoramique des fours à plâtre de Pont-de-l'Arche (janvier 2011).

Photographie panoramique des fours à plâtre de Pont-de-l'Arche (janvier 2011).

 

Des carrières locales ? 

À Pont-de-l’Arche comme aux Damps, commune limitrophe, une rue des Carrières jouxtait le lieu d’une ancienne plâtrerie. En effet, la rue Henry-Prieur était dénommée rue des Carrières avant son baptême officiel le 4 mars 1937 par le Conseil municipal présidé par Raoul Sergent. Ce nom, que l’on retrouve sur le plan cadastral de 1837, désigne tout d’abord une ferme. Le plan montre une délimitation peu linéaire entre une parcelle de cette ferme et un espace sous le coteau, au nord. Cela indique la présence de carrières à ciel ouvert dont l’espace a depuis quelques années été occupé par quelques maisons neuves. 

 

Les fours à plâtre sont situés près de l'ancienne ferme des Carrières, près des carrières le long du coteau. Extrait du plan cadastral de 1837 consulté sur le site des Archives départementales de l'Eure.

Les fours à plâtre sont situés près de l'ancienne ferme des Carrières, près des carrières le long du coteau. Extrait du plan cadastral de 1837 consulté sur le site des Archives départementales de l'Eure.

La sente des Plâtriers en avril 2013. Sente qui jouxte les fours à plâtre et qui permet d'aller vers l'ancienne ferme des Carrières.

La sente des Plâtriers en avril 2013. Sente qui jouxte les fours à plâtre et qui permet d'aller vers l'ancienne ferme des Carrières.

 

La rue des Carrières indiquait aussi l’orientation vers le coteau de l’Eure, autrefois bras de Seine, vers Bonport. Il est vrai que le coteau, loin de descendre en douceur vers l’Eure, a un relief concave semblant indiquer qu’on y exploitait la roche calcaire à ciel ouvert. Nous ne savons pas si des carrières souterraines ont été exploitées avant que leur entrée ne soit éventuellement rebouchée. 

Il est probable qu’une partie de la roche ayant servi à la construction des murs de remplissage de l’ancienne abbaye de Bonport ait été extraite directement des carrières locales du bord de l’eau ou de la forêt de Bord. Nous traitons ici du remplissage car les pierres de taille de Bonport proviennent de carrières de qualité, telle que celle de Vernon, offrant de la roche calcaire dure et donc résistante.  

La roche locale a dû servir aux constructions de la ville de Pont-de-l’Arche, que ce soit les maisons, les murs et le remplissage des remparts (notamment avec le creusage des fossés). C’est ce que tend à prouver une charte de 1284 où il est fait mention d’une carrière de pierres à côté de la “Basse sentele”, c’est-à-dire la rue de l’Abbaye-sans-toile. Il est vrai que le sol de la ville y est singulièrement bas. C’est même le seul endroit où les remparts ont été fondés au niveau de la Seine et non sur le coteau calcaire. Il faut imaginer que tout l’espace entre l’escalier du pont actuel, l’arrière du Manoir de Manon et le bout de l’Abbaye-sans-toile ont été exploités. Peut-être même se trouve-t-il des carrières souterraines courant sous la ville. C’est ce que tendrait à prouver un témoignage d’un Archépontain qui, durant les travaux de l’espace Jacques-Henri-Lartigue, a vu un éboulement. Celui-ci laissait entrevoir une galerie perpendiculaire au Manoir de Manon et allant vers le sud. Certains en ont conclu qu’il existait des galeries à vocation militaire sous la ville. Il est probable qu’on ait affaire à une ancienne carrière souterraine. 

C’est l’exemple des Damps qui peut, à défaut de prouver tout cela, rendre crédibles ces affirmations non prouvées. En effet, la commune des Damps, s’étalant de nos jours le long d’un coteau calcaire, présente toujours des entrées de carrières souterraines qu’on appelle des cavages. Venant de Pont-de-l’Arche, la première se trouve après la rue du Val, aux alentours de la maison Morel-Billet. Puis, une entrée bouchée se situe juste après la maison Langlois, vaste propriété du bout de la rue des Peupliers, au-dessus d’une falaise. Puis, une entrée de carrière se trouve au fond de la cour du restaurant la Pomme, de nos jours. Enfin, une entrée se trouve dans la rue des Carrières, avant la maison de la Dame-Blanche. Celles-ci ont cessé d’être exploitées vraisemblablement à la fin du XIXe siècle. Par ailleurs, elles ont servi de refuge durant les bombardements précédant la Libération de 1944.

 

Vue sur le bâtiment des fourneaux, détail d'une photographie aérienne des années 1960. Ce bâtiment s'est effondré en 2004.

Vue sur le bâtiment des fourneaux, détail d'une photographie aérienne des années 1960. Ce bâtiment s'est effondré en 2004.

 

La sente des Plâtriers et ses fourneaux

Une “sente des Plâtriers” existe toujours à Pont-de-l’Arche. Elle dénomme l’escalier situé en contrebas de la tour de Crosne, entre la rue Henry-Prieur et le quai Maréchal-Foch. Il doit son nom aux fours à plâtre situés dans un modeste bâtiment effondré en 2004. Ces fours ont alimenté les constructions de Pont-de-l’Arche au XIXe siècle. 

Nous n’avons pu fouiller beaucoup d’archives, mais un chaufournier apparait dans la capitation de 1788. C’est ce que nous apprend Bénédicte Delaune à la page 60b de son mémoire de maitrise soutenu en 1992 et intitulé Pont-de-l’Arche, population, pouvoir municipaux et société à la fin du XVIIIe siècle et pendant la Révolution. Rien ne prouve que ce chaufournier ait utilisé les fourneaux qui nous intéressent mais, en l’absence de mention d’autres fours, nous pensons qu’il s’agit-là d’une référence en lien avec notre plâtrerie des bords de l’eau. Cette plâtrerie a assurément remplacé un ancien four à chaux, aux cheminées plus massives donc. Celui-ci, au pied des fossés de la ville, a dû servir aux maçonneries des fortifications et aussi des bâtiments publics et privés. Ceci d’autant plus qu’en 1697 Louis XIV obligea les propriétaires de maisons à pans de bois à couvrir ceux-ci de plâtre pour limiter la propagation des incendies.  

Ce four, étant donné que la chaux était un engrais, dut aussi servir à enrichir les terres, notamment de la ferme de la Carrière, voire des fermes du Becquet et du Bon-air.

De manière plus précise, un document des Archives de l’Eure (460 Q 19) montre que les fours étaient utilisés en 1849 quand Édouard Collet, maitre plâtrier, signa un bail d’occupation de 9 ans de la propriété d’Éléonore Frigard. Le bail, contre 250 francs par an, comprenait une maison avec cuisine, une petite salle à côté, une chambre au-dessus sans cheminée, une écurie, une plâtrerie ayant deux fourneaux, le tout dans le même enclos et le long de la rivière allant à Bonport. Édouard Collet utilisait ces lieux depuis plusieurs années. 

Éléonore Frigard décéda le 16 octobre 1850. Sa propriété fut reprise par ses frères Jean-Baptiste Louis Frigard, huissier, Napoléon Frigard, Euphrosine Frigard et Caroline Frigard. Le bail n’a semble-t-il pas été dénoncé et le maitre plâtrier a continué son activité.  

Il semble que la plâtrerie ait cessé ses activités avant 1891 car, dans le recensement de la population, aucun plâtrier n’est mentionné dans la rue de la Petite-chaussée, actuel quai Maréchal-Foch. En 1896, seuls subsistent les tailleurs de pierre Parfait Lefebvre, 57 ans, et son fils Robert, 24 ans, mais sans lien direct avec le sujet qui nous intéresse. 

 

 

Description des fourneaux

Jusqu’en 2004, les fourneaux étaient protégés par un étage en moellons calcaires sciés datant vraisemblablement des années 1860. Cet étage était couvert par un toit à pan simple en ardoise. Il servait assurément de réserve à bois, peut-être amené depuis la forêt de Bord par le chemin puis la sente des Plâtriers où une porte donnait accès à cet étage. Par chance, l’effondrement de la partie haute de la plâtrerie n’a pas endommagé les fourneaux et les propriétaires ont, d’urgence, mis hors d'eau les fours afin de préserver. 

Grâce à quelques clichés de janvier 2011, on peut voir les fourneaux dans un relativement bon état de conservation. La photographie panoramique montre deux fourneaux à plâtre avec, à l’est (à gauche), un espace de stockage. Ces fourneaux en plein cintre sont maçonnés en brique de pays datant de plusieurs campagnes de restauration s’étalant, semble-t-il le long du XIXe siècle. Le sol est couvert d’un pavé qui semble plus ancien, peut-être de la fin du XVIIIe siècle. 

Au fond des fours se voient encore des conduits d’aération, depuis bouchés. Autre partie bouchée, un puits situé dans le bâtiment.

La plâtrerie était accessible depuis la rue de la Petite-chaussée en passant par une petite cour en légère montée, donc adaptée au charrettes tirées par des animaux, comme l’illustre le célèbre tableau de Théodore Géricault, “le four à plâtre”, daté de 1821 ou 1822. 

 

Photographies des fours à plâtre (janvier 2011).
Photographies des fours à plâtre (janvier 2011).
Photographies des fours à plâtre (janvier 2011).

Photographies des fours à plâtre (janvier 2011).

Illustration de ce que fut un four à plâtre selon Théophile Géricault, vers 1821 ou 1822 (musée du Louvre).

Illustration de ce que fut un four à plâtre selon Théophile Géricault, vers 1821 ou 1822 (musée du Louvre).

 

Du plâtre et donc du gypse ?

N’étant pas spécialiste du sujet, nous nous étonnons de voir qu’ici fut produit du plâtre. En effet, si cette production est bel et bien attestée, tant à Pont-de-l’Arche qu’aux Damps où l’on en exportait dans les années 1850 par le petit port, elle ne va pas de soi d’un point géologique car la roche adaptée à la fabrication du plâtre est le gypse, non la craie locale.  

Pour poursuivre cette étude nous avons consulté la carte géologique de la France sur le site Géoportail et lu la Notice explicative de la carte géologique au 1/50 000e, dite des Andelys, éditée par le Service de la carte géologique de la France. 

 

Détail de la carte géologique du site Géoportail consulté le 19 juillet 2014. Les fours à plâtre des Damps et Pont-de-l'Arche sont signalés ainsi que les zones où le calcaire coniacien, dégagé des alluvions, est localisé.

Détail de la carte géologique du site Géoportail consulté le 19 juillet 2014. Les fours à plâtre des Damps et Pont-de-l'Arche sont signalés ainsi que les zones où le calcaire coniacien, dégagé des alluvions, est localisé.

 

Le premier constat est l’absence de gypse dans la proche région de Pont-de-l’Arche. La région de Pont-de-l’Arche est constituée d’alluvions récentes en fond de vallée et d’alluvions plus anciennes sur le petit rebord de plateau partant des Damps (la Crute) et descendant en douceur vers Bonport. Géologiquement, ce sol est classé “Fy” ce qui désigne les alluvions fluviatiles anciennes de basses terrasses datant du pléistocène supérieur, période que l’on fait débuter à 126 000 ans avant Jésus-Christ. Ces alluvions proviennent d’un ancien lit de la Seine, plus en altitude et décalé par rapport à son lit actuel. Ce lit est à relier au méandre fossile des Authieux-sur-le-Port-Saint-Ouen. Les alluvions Fy sont distinguées selon leur altitude en Fyc pour les terrasses élevées entre 30 et 35 m et Fyb pour les terrasses allant jusqu’à 75 m et composées d’un sol plus riche en sable. 

Les alluvions ne constituent que des couches sur des sols calcaires bien plus anciens. Ces couches sont épaisses de 1,50 à 3 m pour Fyc, 3 à 10 m pour Fyb selon les carottages réalisés au niveau de l’autoroute A13.

Or, les roches calcaires affleurent par endroits. C’est le cas aux Damps entre la Crute et la rue des Plâtriers et à Pont-de-l’Arche dans un triangle près du bord de l’eau où se trouvent les fours qui nous intéressent ici. Il semble évident que nos ancêtres ont privilégié ces lieux car le calcaire y était directement exploitable. Ceci n’a pas empêché d’exploiter aussi les carrières le long du coteau mais celles-ci nécessitaient un plus long travail de transport.   

Le calcaire local est le même que celui des falaises d’Amfreville-sous-les-Monts ou Orival. Il est appelé “craie à Micraster coranguinum” et abrégé en C4 sur les cartes. Il s’agit d’un calcaire coniacien (c’est-à-dire que son stratotype a été fixé à Saintes, en Charente-Maritime) datant d’entre 86 et 89 millions d’années. 

Il ne s’agit pas de gypse et, si l’on peut comprendre aisément qu’il servit à faire de la chaux, on peut présumer que la pureté de son calcaire a permis de faire un plâtre de qualité relative mais présentant l’intérêt d’être produit localement.

 

Des questions demeurent : où et comment concassait-on les moellons calcaires ? Les plâtriers ici n’étaient-ils que producteurs de plâtre ou, aussi, artisans qui appliquent le plâtre dans les chantiers ?  

 

Depuis 140 ans les propriétaires ont souhaité protéger les fours à plâtre, témoin de pratiques qui ont rendu maints services au niveau local. Une mise hors d'eau a de suite été réalisée afin de préserver les fours (cliché de septembre 2012).

Depuis 140 ans les propriétaires ont souhaité protéger les fours à plâtre, témoin de pratiques qui ont rendu maints services au niveau local. Une mise hors d'eau a de suite été réalisée afin de préserver les fours (cliché de septembre 2012).

 

Fermeture mais conservation de la plâtrerie

Avec l’amélioration des moyens de transport, il a été possible d’importer des plâtres de meilleure qualité. La plâtrerie locale a été victime de cette nouvelle concurrence et l’on estime à 1882 la date de fermeture de l’établissement archépontain. 

Aujourd’hui ce petit élément du patrimoine a toute sa place dans la compréhension de ce qui fit la vie en collectivité. Un nom de voie l’évoque nettement : la sente des Plâtriers. Par chance, ce n’est que l’étage supérieur du bâtiment qui tomba en 2004. Les deux fourneaux méritent d’être préservés, d’autant plus qu’ils ne dérangent pas. Il conviendrait de les protéger, comme l’ont fait tous les propriétaires depuis au moins 140 ans. Un nouvel étage, pouvant accueillir un petit logement ou un espace de rangement, serait le bienvenu dans ce bel espace de la ville. 

 

Armand Launay

Pont-de-l'Arche ma ville

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19 juin 2014 4 19 /06 /juin /2014 18:13
Visite commentée de Notre-Dame-des-arts, dimanche 29 juin, 14h
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8 juin 2014 7 08 /06 /juin /2014 19:23

Le moulin de la Couture, plus connu sous le nom de moulin de Tostes, a été inventorié par le service régional de conservation du patrimoine culturel (référence IA00018023). Celui-ci le date du XIVe siècle avec un point d’interrogation. Il a raison car aucune étude n’a encore posé la question sur cette propriété privée qui ne fait l’objet d’aucune protection. 

Le moulin de la Couture vue de l'ouest (route de Tostes à Montaure) (cliché Armand Launay, novembre 2013).

Le moulin de la Couture vue de l'ouest (route de Tostes à Montaure) (cliché Armand Launay, novembre 2013).

Repères historiques : une propriété de Bonport

La plus ancienne mention du moulin de la Couture se trouve dans le travail d'Etienne Deville qui a recueilli les manuscrits de l'ancienne abbaye de Bonport et publié leur contenu (voir les sources). A la page 24 du second fascicule, il résume un document rédigé par un moine ou un prieur : « Etat du revenu de l'abbaye de Bonport ordre de Cisteaux diocèse d'Evreux et ce commençant à la Saint Michel mil six cens six. » Parmi les bénéfices cités, Bonport possède des droits sur la « grande ferme » de la vallée de la Corbillière, le Camp des Ventes, Montore [sic], Blacquetuit, la Cramponnière et Tostes. A la page 25 est écrit que, parmi les propriétés tostaises, Bonport percevait des revenus sur le « moulin de Tostes » et, plus précisément sur Pierre le Bourgeois et Pierre Martin.

Ensuite, nous empruntons au précieux travail de Max Masson (voir les sources) qui a passé au crible les archives municipales de Tostes et dressé une liste de propriétaires du moulin de la Couture (tome 1, folios 74 et 75). Max Masson trouve trace du moulin vers 1670 où il est toujours une propriété bonportaise. La Couture, culture en normand, formait alors un hameau qui regroupa « jusqu'à sept masures ». Grâce aux archives d'état civil, Max Masson cite les meuniers tostais : Jean Auger (1707), Jean Pétel (1759), Jean Moreau (1771), François Longuemare (1796) et François Langlois (1801). Le moulin fut nationalisé ainsi que l'ensemble des propriétés de Bonport et revendu comme bien national à certain Quesney, fabricant à Elbeuf. C'est peut-être cet homme qui est honoré par une belle stèle dans le cimetière de Pont-de-l'Arche. Max Masson rapporte des souvenirs d'anciens du village de Tostes se rappelant avoir vu des débris d'ailes et « même une aile qui pendant encore au mécanisme du sommet, après avoir tourné longtemps aux grands vents venus de la mer... » Enfin l'auteur tostais rapporte une légende locale donnant aux moulins un rôle de surveillance militaire tant leur architecture massive rappelle des tours de guet.

1606 est donc, jusqu'à plus ample informé, la date la plus reculée concernant ce moulin et ce malgré une analyse attentive du Cartulaire de l'abbaye royale de Notre-Dame de Bonport dressé en 1862 par Jules Andrieux. En effet, dans cette importante somme de documents, l'entrée des terres tostaises dans le giron de Bonport n'est pas mentionnée. La mention la plus reculée date du 15 novembre 1456 où les moines rendent aveu de leurs biens en Normandie et en Ile-de-France. Parmi ces biens (page 405) « plusieurs terres labourables avec trois manoirs ou granches, nommées Tostes, Blacquetuit et la Corbeillerre. » Pas de référence à notre moulin donc. Pourtant celui-ci a nécessairement dû être bâti ou acquis par Bonport pour moudre les récoltes des importantes granges locales. Nous notons que, sans être à équidistance, la Couture forme un quatrième point entre Tostes, la Corbillière et Blacquetuit.

D’après le même cartulaire, il semble que Bonport n'acquit aucun terrain à Tostes au XIIIe siècle où les chartes sont nombreuses. Cependant, Jules Andrieux reproduit (page 159) une charte de février 1246 par laquelle Louis IX céda 100 acres en forêt de Bord aux moines de Bonport. Le roi accorda ces terres forestières en réparation de dommages antérieurs causés sur des terres cultivées : « ... pro restauratione dampnorum que sustinebant, ut dicibant, pro terris traditis ad culturam in forestis de Borz et de Aquosis, dedimus et concessimus in perpetuam centum acras terre, sitas in dicta foresta de Borz... » Qui plus est, Louis IX accorda de nouveaux droits aux moines sur un moulin de Pont-de-l’Arche. Ces terres de la forêt de Bord semblent avoir un lien fort avec la culture. Peut-être tenons-nous là une partie des terres de Tostes tombées dans la mouvance de Bonport.

En résumé, nous entrevoyons le début de la mainmise de Bonport sur Tostes et ses dépendances à partir du XIIIe siècle et officiellement au XVe siècle. En toute logique, ces nouvelles terres fertiles ont nécessité la présence d’un moulin pour moudre les récoltes.

Qui plus est, dans un article intitulé "Moulins seigneuriaux et moulins royaux en Normandie : marché de l'énergie et institution (XIIe-XVe siècles)" Mathieu Arnoux note (page 520) "deux épisodes de forte croissance économique" durant la période étudiée : les "XIe-XIIe siècles" et la "seconde moitié du XVe siècle".  Cette période serait donc propice à la construction de notre moulin.  

 

Description architecturale

Le moulin de la Couture a été bâti sur une motte de terre ; motte certainement amoindrie par la hausse naturelle du sol autour. Depuis qu'il est tombé en désuétude, le moulin a perdu sa toiture et ses pales. Aujourd'hui demeure le corps principal, de type moulin à tour cylindrique, réalisé en pierre calcaire locale et en silex. Deux larmiers séparent trois niveaux dont la circonférence diminue avec l'altitude. On peut parler d’architecture télescopique. Le premier niveau – la base de la tour – est légèrement évasé. Avec le deuxième niveau, il présente une décoration esthétique reposant sur une alternance d'assises en pierre de taille et en silex gris. Le troisième niveau est orné d'un damier de pierres de taille et de silex. Quelques ouvertures étroites ponctuent le corps du bâtiment. Elles devaient servir d’éclairage et d’aérations faciles à boucher en périodes de froid. Le moulin est percé de deux portes (Est et ouest) voutées en tiers-point selon les canons de l'architecture gothique. La toiture a entièrement disparu. Paul Hélot, dans un article intitulé « Document sur les moulins à vent de France » décrit la toiture des moulins à tour (page 18) : « la toiture seule est mobile, supportée par deux gros sommiers qui reposent à chacune de leur extrémité sur un rail circulaire surmontant l’arête du mur. Ils reposent sur ce rail par l’intermédiaire de galets en fonte, c’est en somme une plaque tournante montée sur le rail et qui sert de base à la charpente du toit. Cette charpente est munie d’une lucarne qui laisse passer l’arbre des ailes. On peut faire tourner toute cette toiture au moyen d’une queue que l’on pousse du sol ; elle est fixée à la charpente du côté opposé aux ailes. » On parle ainsi de moulin-tour à calotte tournante. Ainsi s’explique la présence de deux portes afin que l’on pénètre dans le moulin quelle que soit l’orientation de ses pales.

Paul Hélot précise que le moulin à tour à calotte tournante est un véritable donjon de pierre qui fit son apparition dans le nord de la France « que vers le XVe siècle ». Ses murs ont souvent « plus d’un mètre d’épaisseur, il y a presque toujours un rez-de-chaussée et un étage ». Une description allant parfaitement au moulin de la Couture.

Le moulin de la couture vu de l'Est (cliché Armand Launay, novembre 2013).

Le moulin de la couture vu de l'Est (cliché Armand Launay, novembre 2013).

Détail de la porte ouest (cliché Armand Launay, novembre 2013).

Détail de la porte ouest (cliché Armand Launay, novembre 2013).

Détail de l'appareillage du niveau supérieur de la tour du moulin (cliché Armand Launay, novembre 2013).

Détail de l'appareillage du niveau supérieur de la tour du moulin (cliché Armand Launay, novembre 2013).

Le moulin de la Couture est habité par au moins un personnage halloweenien (cliché Armand Launay, novembre 2013).

Le moulin de la Couture est habité par au moins un personnage halloweenien (cliché Armand Launay, novembre 2013).

Autre perspective sur la porte ouest et les reflets d'automne sur les moellons de silex (cliché Armand Launay, novembre 2013).

Autre perspective sur la porte ouest et les reflets d'automne sur les moellons de silex (cliché Armand Launay, novembre 2013).

Comparaisons architecturales

Les assises de notre moulin font penser à celles d'une tour d'angle de l'enceinte de l'abbaye de Bonport, réalisée toutefois avec du silex blanc. Une analyse dendrochronologique, c'est-à-dire portant sur l'ancienneté du bois, réalisée par Jean-Baptiste Vincent en 2016 nous apprend que cette tour date du milieu du XIIIe siècle. Jean-Baptiste Vincent expose ainsi que "cette datation dendrochronologique affine la typo-chronologie des constructions employant un appareillage mixte calcaire et silex, phénomène souvent daté au plus tôt du XIVe s., mais qui dans ce contexte apparaîtrait dès le milieu du XIIIe s. C’est ainsi les problématiques sur les politiques architecturales monastiques et les techniques de construction du Moyen Âge qui trouveront une réponse grâce à cette confirmation dendrochronologique."

Elles se rapprochent aussi de la technique utilisée pour le moulin d’Hauville (construit en 1258 par les moines de Jumièges et détruit en 1400 selon l'association du moulin) et le proche moulin de Beauregard à La Haye-Malherbe, daté du XVe siècle par la conservation régionale (référence IA00019331) avec un point d'interrogation. Ce moulin a fait l'objet d'une de nos études accessible en cliquant ici.  

Les assises d'une tour d'angle de l'enceinte de Bonport ressemblent à celle du moulin de la Couture, le silex n'étant pas noir mais blanc. Cette tour date du milieu du XIIIe siècle (cliché Armand Launay, 2012).

Les assises d'une tour d'angle de l'enceinte de Bonport ressemblent à celle du moulin de la Couture, le silex n'étant pas noir mais blanc. Cette tour date du milieu du XIIIe siècle (cliché Armand Launay, 2012).

Le moulin de Beauregard, à La Haye-Malherbe, est voisin de celui de la Couture. Hormis le garde-corps en brique (XIXe siècle) qui le couronne, il est en tous points semblable à celui de Tostes (cliché Armand Launay, novembre 2013).

Le moulin de Beauregard, à La Haye-Malherbe, est voisin de celui de la Couture. Hormis le garde-corps en brique (XIXe siècle) qui le couronne, il est en tous points semblable à celui de Tostes (cliché Armand Launay, novembre 2013).

En guise de conclusion

Le moulin de la Couture était une propriété de l’abbaye de Bonport au service des vastes terres mises en valeur par et pour les moines. Son architecture de moulin à tour cylindrique traduit une technologie arrivée dans le nord de la France vers le XVe siècle. Ce siècle nous a aussi laissé les plus anciennes chartes attestant la mainmise de Bonport sur Tostes (1456) et donc la nécessité, pour l’abbaye, de moudre le grain sur place. La seconde partie du XVe siècle étant une période de prospérité économique, nous sérions tentés de la retenir pour dater la construction du moulin de la Couture. Mais, vu les datations dendrochronologiques et les comparaisons avec la tour d'angle de Bonport et le moulin d'Hauville, le moulin de la Couture semble, par-delà les restaurations, dater du XIIIe siècle.

 

A lire aussi...

L'histoire de Tostes

La ferme de Blacquetuit

Sainte-Anne de Tostes

 

 

Sources

- Arnoux Mathieu, "Moulins seigneuriaux et moulins royaux en Normandie : marché de l'énergie et institution (XIIe-XVe siècles)", pages 505 à 520, Cavaciocchi Simonetta, Economia e energia (secc. XIII-XVIII), atti della "Trentaquattresima settimana di studi del'Instituto internazionale di storia economica "F. Datini "" 15-19 aprile 2002, Firenze, 2003 ;  

- Deville Etienne, Les Manuscrits de l'ancienne bibliothèque de l'abbaye de Bonport conservés à la Bibliothèque nationale et à la bibliothèque de Louviers, fascicule 2e, Paris, Honoré Champion, 1910, 36 pages ;

- Masson, Max, Histoire de Tostes par Tostes pour Tostes, 2 tomes, Tostes, mairie, 1986, 55 f. ;

- Hélot Paul, « Documents sur les moulins à vent de France », Nos vieux moulins, Société des amis des vieux moulins, Rouen, juillet 1933, 2e année, n° 1, 48 pages ;

-  Vincent, Jean-Baptiste, « Pont-de-l’Arche – Abbaye de Bonport : tour d’enceinte », ADLFI. Archéologie de la France - Informations [En ligne], Haute-Normandie, mis en ligne le 18 février 2016, consulté le 19 janvier 2020. URL : http://journals.openedition.org/adlfi/16653.

Deux cartes postales de la première décennie du XXe siècle. Sur la première se trouvent des vestiges de toiture. Deux cartes postales de la première décennie du XXe siècle. Sur la première se trouvent des vestiges de toiture.

Deux cartes postales de la première décennie du XXe siècle. Sur la première se trouvent des vestiges de toiture.

Armand Launay

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8 juin 2014 7 08 /06 /juin /2014 17:00

Près de Pont-de-l'Arche, dans l'Eure, se trouve la peu connue commune de Tostes (454 habitants, 5 hameaux). Il se trouve qu'en plus d'être charmante elle est riche en histoire et en patrimoine... 

La mairie de Tostes, construite en 1891, est le symbole républicain de la volonté d'autonomie des Tostais (cliché A. Launay, mai 2014).La mairie de Tostes, construite en 1891, est le symbole républicain de la volonté d'autonomie des Tostais (cliché A. Launay, mai 2014).

La mairie de Tostes, construite en 1891, est le symbole républicain de la volonté d'autonomie des Tostais (cliché A. Launay, mai 2014).

Une présence humaine préhistorique

Même en l’absence de rapport archéologique contemporain, il n’est pas difficile de constater la présence de l’Homme à Tostes durant la préhistoire et ce grâce à trois articles de Léon Coutil.

Le premier article, intitulé « Inventaire des menhirs et dolmens de France (département de l’Eure) », expose que « sur la limite de la forêt, entre Tostes et Saint-Pierre-lès-Elbeuf, au triage de la Cramponnière, se trouve un grès d'environ un mètre de hauteur, que l'on désigne sous le nom dePierre du Gain » (pages 108-109). Cela doit vraisemblablement être un mégalithe préceltique attestant la présence de l’Homme, voire sa sédentarisation.

Dans un article de 1893, « Résumé des recherches préhistoriques en Normandie (époque paléolithique) », Léon Coutil fait état d’une autre découverte : « Dans les champs, à la surface, M. Noury a recueilli une large hache plate taillée à grands éclats des deux côtés ; cette pièce, un peu triangulaire et à patine ocreuse, mesure environ 0m15. On peut la voir au musée d'Elbeuf, ainsi que des lames moustériennes trouvées dans les mêmes conditions, au même endroit » (page 66).

Dans un autre article, « Ateliers et stations humaines néolithiques du département de l’Eure » Léon Coutil écrivit que « Le Musée d'Elbeuf possède plusieurs belles haches trouvées à la Vallée, près Tôtes, au triage des Routis. Au triage des Treize-Livres, hache plate en silex rosé, trouvée en 1859 (Musée de Louviers)" (page 177).

 

Des traces gallo-romaines

La Carte archéologique de la Gaule, éditée par Dominique Cliquet, fait état (page 227) de fouilles réalisées entre 1894 et 1904 par Léon de Vesly et Victor Quesné. Celles-ci eurent lieu, en forêt, près de La Vallée. Elles ont restitué les bases d’un fanum (13 m de côté) à cella carrée (un sanctuaire) de 4,35 m de côté et entourée d’une galerie. Les murs de cette dernière étaient recouverts d’une couche de gypse rose et surmontés d’un portique. Plus de 60 monnaies ont été retrouvées sur les lieux allant du début du Ier siècle avant notre ère au IVe siècle : Tibère, Claude, Néron, Marc-Aurèle, Lucille, Dèce, Gallien, Salonine, Postume, Claude II, Tétricus I et II, Probus, Constance Chlore, Maximien Hercule et Daia, Constantin, Licinius, Crispus, Constantin II.

D’autres vestiges sont signalés par la carte d’état-major de l’IGN en forêt de Bord, près du carrefour des Quatre-bancs, entre La Couture et Louviers. La carte IGN les considère comme des restes de villa avec son puits. Nous n’avons pas trouvé de rapport de fouille sur ces vestiges situés aujourd’hui hors du périmètre administratif de Tostes.

Ces premiers éléments laissent entrevoir un habitat gallo-romain dispersé dans des friches d’une forêt de Bord aux contours différents de ceux que nous lui connaissons depuis le Moyen-Âge.

Les quelques éléments dont nous disposons montrent que, vraisemblablement, certaines villas ont été abandonnées et la nature a repris ses droits sous forme de forêt. C'est certainement ce qui a rendu possible leur conservation : les autres vestiges de villas ayant été arrasés par des siècles d'activité agricole.

Nous pensons que d'autres villas ont ponctué le rebord de plateau sur lequel Tostes a émergé ensuite. Les hameaux que nous connaissons de nos jours ont peut-être remplacé et recouvert de petites exploitations agricoles familales de l'Antiquité.

En effet, les emplacements les plus propices à l'activité humaine n'ont pas dû être abandonnés : résurgences de sources ou présence de nappes phréatiques importantes et non profondes, terres planes et ensoleillées, proximité de la forêt pour l'élevage d'animaux... A ce titre, les courbes de niveau de la carte d'état major montrent que la naissance du ravin de la vallée d'Incarville se situe près de la Fosse Caron, au-dessus de la ferme du Petit-Bonport (en face de la mairie). S'il y a un ravin, c'est qu'il y a eu un ravinement et donc de l'eau. Quand cette eau a-t-elle cessé de couler ? Nous l'ignorons mais il paraitrait logique que la Ferme du Petit-Bonport ait été bâtie à côté d'une source et, autour d'elle, le hameau de Tostes.  

Il y a certainement eu un mouvement de bocagisation autour des habitats des cinq hameaux (voire plus). Ce paysage était quelque peu différent de celui d'aujourd'hui : des champs ouverts dévolus à la production intensive, saufs autour des habitations et de quelques lisières de forêt.  

La carte d'état major IGN indique des "vestiges Gallo-romains" et un "Puits romain" près du carrefour des Quatre-bancs. Le deuxième extrait de carte montre la naissance du ravin de la vallée d'Incarville, à deux pas de la ferme du Petit-Bonport certainement installée ici en raison de la résurgence d'eau. La carte d'état major IGN indique des "vestiges Gallo-romains" et un "Puits romain" près du carrefour des Quatre-bancs. Le deuxième extrait de carte montre la naissance du ravin de la vallée d'Incarville, à deux pas de la ferme du Petit-Bonport certainement installée ici en raison de la résurgence d'eau.

La carte d'état major IGN indique des "vestiges Gallo-romains" et un "Puits romain" près du carrefour des Quatre-bancs. Le deuxième extrait de carte montre la naissance du ravin de la vallée d'Incarville, à deux pas de la ferme du Petit-Bonport certainement installée ici en raison de la résurgence d'eau.

Un lieu-dit Tostes attesté en 1130

Le nom de Tostes existait bien avant que le village ne soit constitué en paroisse en 1687. En 1130, le grand rôle de l’Echiquier de Normandie cita des droits à percevoir en forêt de Bord et à Tostes « … et de 4 lib. 14 sol. de pasnagio foreste de Bort. In thesauro 74 sol. In suo superplus veteris anni de compoto suo de vadio Petri de Bures in Tostes 100 sol. et quiebus est. » (Léopold Delisle, Mémoires de la Société des antiquaires de Normandie, page 29, membrane 8). Difficile de douter qu'il s'agisse de l'emplacement du chef-lieu de commune que nous connaissons aujourd'hui et qui a dû, selon notre thèse exposée plus haut, être construt autour de la ferme dite du Petit-Bonport.

 

Un nom sorti de la clairière ?

Louis-Etienne Charpillon et Anatole Caresme ont écrit que le nom de Tostes provient du scandinave « topt », signifiant village. Cette hypothèse est séduisante car le plateau du Neubourg est ponctué de toponymes scandinaves : Surtauville, Limbeuf, Daubeuf, Ecquetot et le très proche Blacquetuit dans la commune de Montaure… Une autre hypothèse est soulevée par Auguste Le Prévost (voir Léopold Delisle et Louis Passy) : Tostes viendrait du participe passé latin « tostus » du verbe « torrere », bruler. Les « tostes » anciennes de la forêt de Bord seraient donc nos « brulis » actuels, c’est-à-dire des terres forestières ou herbagères brulées afin de les rendre plus propres à l’agriculture. Une trace de ces pratiques demeure sur le territoire de Criquebeuf-sur-Seine où une parcelle de forêt est nommée Les Brûlins (près du Bosc-hêtrel).

 

Sainte-Anne, déjà patronne en 1174

Dans le Dictionnaire des anciens noms de lieux du département de l'Eure, Auguste Le Prévost cite une charte d'Henri II, datée de 1174, qui mentionne sainte Anne comme patronne de Tostes. C'est toujours sous ce vocable qu'est connue l'église paroissiale. Le lieudit dépendait du chapitre de la cathédrale de Chartres. Après tout, le confluent de la Seine et de l'Eure, rivière de Chartres, n'était pas loin : Les Damps. Comment la cathédrale de Chartres avait-elle été possessionnée à Tostes ? Edouard Jore, auteur de « La chasse en forêt de Bord » (page 14), nous fournit des éléments d'explication par un document constituant la plus ancienne référence du nom « Bord » : « il s’agit d’une charte du 11e jour des calendes d’octobre de l’an 1014, par laquelle Richard II, dit « le Bon Duc de Normandie » pour réparer les dommages que son armée avait causés aux possessions de la Cathédrale de Chartres, fait don à cette Basilique notamment de Vraiville entre Louviers et Elbeuf avec la dîme de la chasse dans la forêt appelée Bord ». Il s'agit d'une conséquence indirecte des incursions scandinaves donc et il semble que le lien avec Tostes soit fait par la forêt de Bord.

"Plan, figure et arpentage général de la terre de Toste appartenant à Messieurs les Abbé et religieux de Notre-Dame de Bomport" par Jacques Longuet, arpenteur ordinaire du roi, en 1694 (Gallica, Bibliothèque nationale de France).

"Plan, figure et arpentage général de la terre de Toste appartenant à Messieurs les Abbé et religieux de Notre-Dame de Bomport" par Jacques Longuet, arpenteur ordinaire du roi, en 1694 (Gallica, Bibliothèque nationale de France).

Tostes est née d'une clairière et n'en est pas tout à fait sortie ce qui renforce le caractère agréable de cette commune (photo Armand Launay, 2011).

Tostes est née d'une clairière et n'en est pas tout à fait sortie ce qui renforce le caractère agréable de cette commune (photo Armand Launay, 2011).

Des terres dans la mouvance de Bonport

Richard Cœur de Lion, roi d’Angleterre et duc de Normandie, et Philippe Auguste, roi de France, ont fondé l’abbaye de Bonport en 1190. Ils dotèrent cet établissement de nombreuses terres en forêt de Bord, aux alentours, et le long de la Seine. Cependant le cartulaire de Bonport, tel que compilé, commenté et partiellement reproduit par Jules Andrieux, reste muet sur l’entrée de terres tostaises dans le domaine de l’abbaye. Le cartulaire mentionne pour la première fois Tostes le 15 novembre 1456 où les moines rendent aveu de leurs biens en Normandie et en Ile-de-France. Parmi ces biens (page 405) « plusieurs terres labourables avec trois manoirs ou granches, nommées Tostes, Blacquetuit et la Corbeillerre. » La grange de Tostes doit assurément être la ferme qui jouxte aujourd’hui l’église Sainte-Anne. Selon Max Masson, à la Révolution elle était exploitée par la famille Mouchard (voir plus bas) et était connue sous le nom de ferme du « Petit Bonport » (folio 4, tome I). Celle-ci côtoie une ancienne grange – très remaniée – qui semble avoir remplacé la grange dimière bonportaise de Tostes, à deux pas de l’église.

 

1687 : Bonport érige Tostes en paroisse

Les notes d’Auguste Le Prévost (page 286) citent un document important dans l’histoire de Tostes : « En 1687, les moines de Bonport exposèrent à l’évêque d’Evreux qu’ils possédaient mille acres de terre, tant de labour que de bois, situées dans la forêt du Pont-de-l’Arche, autrement dite la forêt de Bord ; qu’au milieu de ces terres s’élevaient cinq villages : Tostes, Blasquemesnil [sic], la Corbillière, la Cramponnière et Treize-livres, et que ces cinq villages comprenaient environ trois cents habitants : que depuis 1680, l’abbaye de Bonport avait fait élever une chapelle à Tostes, et qu’il était urgent de transformer cette chapelle en paroisse. La paroisse ne fut érigée que le 14 janvier 1687 à la demande de Louis Colbert, abbé de Bonport, par décret de l’évêque d’Evreux. » L’on mesure la mainmise de Bonport sur les terres situées autour de la forêt de Bord.

Louis Colbert, fils de Jean-Baptiste Colbert, bras droit du roi, avait un pouvoir certain. Il parvint à faire reconnaitre la nouvelle paroisse de Sainte-Anne de Tostes, composée de terres prises sur Montaure (dont la ferme de Blacquetuit qui revint en définitive à Montaure en 1791)… Il rattacha la paroisse de Tostes au domaine de son abbaye, ce qui lui fit gagner près de 300 hectares de bois et 300 hectares de terre. L’intérêt de cette affaire était de récupérer, en plus, le dixième des récoltes grâce à l’impôt de l’Eglise qu’était la dime.

L’autre partie des terres, boisée, était elle aussi essentielle. Outre la fabrication des outils et des locaux abbatiaux, les moines pouvaient se chauffer, cuisiner et vendre le bois coupé. Ils pouvaient de même faire glaner les porcs. En revanche, leurs bois étaient évidemment à la merci des habitants les plus démunis, ou avides, de la région. C’est ce qui fit que les moines mandatèrent des hommes à la surveillance de la propriété… Une famille de Tostes était missionnée pour cela : les Mouchard (Max Masson, folio 37, tome I). Leur ferme était située près de l’église et était appelée « Le petit Bonport » (Max Masson, folio 4, tome I). Leur nom de famille doit venir du surnom « mouchard » puisqu’ils révélaient aux moines les noms des auteurs de délits. Ceux-ci devaient les transmettre aux autorités de la Maitrise des eaux et forêts de Pont-de-l’Arche.

L'église Sainte-Anne est contemporaine de l'érection de Tostes en paroisse par l'abbaye de Bonport en 1687 (cliché Armand Launay, mai 2014).L'église Sainte-Anne est contemporaine de l'érection de Tostes en paroisse par l'abbaye de Bonport en 1687 (cliché Armand Launay, mai 2014).

L'église Sainte-Anne est contemporaine de l'érection de Tostes en paroisse par l'abbaye de Bonport en 1687 (cliché Armand Launay, mai 2014).

La ferme de La Corbillière, à La Vallée, est un des plus beaux éléments du patrimoine bâti de Tostes. Son logis semble dater du XVe siècle, avec des ajouts et remaniements de la fin du XIXe siècle. Un étage carré plus un étage de comble. Escalier dans l’œuvre. Référence Mérimée : IA00018024. Il est jouxté par une grange, en ruine, du XVIIe siècle (photo A. Launay, avril 2014).

La ferme de La Corbillière, à La Vallée, est un des plus beaux éléments du patrimoine bâti de Tostes. Son logis semble dater du XVe siècle, avec des ajouts et remaniements de la fin du XIXe siècle. Un étage carré plus un étage de comble. Escalier dans l’œuvre. Référence Mérimée : IA00018024. Il est jouxté par une grange, en ruine, du XVIIe siècle (photo A. Launay, avril 2014).

La Révolution confirme l’autonomie de Tostes

La Révolution émancipa Tostes des moines de Bonport car l’abbaye fut fermée en 1790. Cela posa toutefois la question du maintien de cette commune. Grâce à la mobilisation des habitants, Tostes et ses fermes furent érigées en commune en 1790 à l’exception de la ferme de Blacquetuit qui revint à la commune de Montaure étant donnée, peut-être, sa proximité avec ce bourg (Max Masson, folio 54, tome I). Le hameau de Tostes fût-il érigé en commune s’il n’avait pas auparavant été constitué en paroisse ? On peut en douter quand on considère qu’Ecrosville, un hameau presque aussi peuplé que le bourg de Montaure, a été rattaché à la commune de Montaure. Quelque part, l’intervention de Bonport a laissé des traces dans le découpage administratif local ; d’où cette étrangeté administrative répartissant les maisons de La Vallée – un hameau aussi grand que Tostes – dans trois communes (Tostes, Montaure et La Haye-Malherbe).

Cette étrangeté administrative a été résorbée par la fusion des communes de Tostes et Montaure qui se nomment, depuis le 1er janvier 2017 "Terres de Bord". 

 

Un appréciable patrimoine ancien

Pour une commune peu habitée (412 habitants en 2012 selon l’INSEE), Tostes possède un beau patrimoine architectural parmi lequel se trouve la tour d’un moulin à vent, présumée du XVe siècle, une ferme nommée La Corbillière dont les parties les plus anciennes sont datées du XVe siècle par la conservation régionale des Monuments historiques, plusieurs corps de ferme du XVIIe siècle et une église rurale de la fin du XVIIe siècle.

 

 

Tostes possède un beau patrimoine ancien dont la tour d'un moulin du XVe siècle (propriété privée) (cliché Armand Launay, aout 2013).

Tostes possède un beau patrimoine ancien dont la tour d'un moulin du XVe siècle (propriété privée) (cliché Armand Launay, aout 2013).

Sources

- Andrieux Jules, Cartulaire de l'abbaye royale de Notre-Dame de Bon-Port de l'ordre de Citeaux au diocèse d'Evreux, Evreux, Auguste Hérissey, 1862, 434 pages ;

- Charpillon Louis-Etienne, Caresme Anatole, Dictionnaire historique de toutes les communes du département de l’Eure, Les Andelys, Delcroix, 1868, pages 922 et 923 ;

- Cliquet Dominique, Carte archéologique de la Gaule : l’Eure 27, Paris, ministère de la culture, 1993, 285 pages ;

- Coutil Léon, « Résumé des recherches préhistoriques en Normandie (époque paléolithique) », pages 34 à 142, Collectif, Bulletin de la Société normande d'études préhistoriques, Société normande d'études préhistoriques et historiques, Louviers, imprimerie Eugène Izambert, tome I, année 1893, 1894, 151 pages ;

- Coutil Léon, « Inventaire des menhirs et dolmens de France (département de l’Eure) », pages 36 à 122, Collectif, Bulletin de la Société normande d'études préhistoriques, Société normande d'études préhistoriques et historiques, Louviers, imprimerie Eugène Izambert, tome IV, année 1896, 1897, 222 pages ;

- Coutil Léon, « Ateliers et stations humaines néolithiques du département de l’Eure », pages 123 à 211, Collectif, Bulletin de la Société normande d'études préhistoriques, Société normande d'études préhistoriques et historiques, Louviers, imprimerie Eugène Izambert, tome IV, année 1896, 1897, 222 pages ;

- Delisle Léopold (publié par), « Cartulaire normand de Philippe Auguste, Louis VIII, Saint-Louis et Philippe le Hardi », Mémoire de la Société des antiquaires de Normandie, 6e volume, XVIe volume de la collection, Caen, 1852, 390 pages ;

- Delisle Léopold, Passy Louis (publié par), Mémoires et notes de M. Auguste Le Prévost pour servir à l’histoire du département de l’Eure, tome III, Évreux, Auguste Hérissey, 1864, article « Tostes », page 286 ;

- Deville Étienne, Les Manuscrits de l’ancienne bibliothèque de l’abbaye de Bonport conservés à la bibliothèque nationale et à la bibliothèque de Louviers, fascicule 2, Paris : H. Champion, 1910, 36 pages ;

- Jore Edouard, « La chasse en forêt de Bord avant 1789 », pages 14 à 18, Bulletin de la Société d’études diverses de l’arrondissement de Louviers, tome XVII, années 1923-1924, 134 pages ;

- Le Prévost Auguste, Dictionnaire des anciens noms de lieux du département de l'Eure, Evreux, typographie d’Ancelle fils, 1839, 297 pages, références pages 270 et 271 ;

- Masson Max, Histoire de Tostes par Tostes pour Tostes, 2 tomes, édité par la mairie de Tostes, 1986, 82 et 108 folios ;

- Anonyme, Wikipédia, article Tostes, excellemment alimenté avec sources à l’appui.

 

 

 

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Armand Launay

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8 juin 2014 7 08 /06 /juin /2014 10:57
Sainte-Anne de Tostes vue depuis le côté sud (cliché Armand Launay, avril 2014).

Sainte-Anne de Tostes vue depuis le côté sud (cliché Armand Launay, avril 2014).

Parmi mes coups de cœurs, il y a Tostes depuis toujours et son église depuis peu. Voici le compte rendu d’une visite de courtoisie rendue en février 2012 à l’église Sainte-Anne avec mon ami Michel Lepont.


Informations diverses

Adresse postale : 6-8, rue de l’église, 27340 TOSTES
Propriétaire : commune de Tostes (code INSEE : 27648) depuis 1905.
Affectataire : église catholique, évêché d’Évreux, paroisse Notre-Dame des bois, pays de Louviers.
Protection : recensée en 1986 par les Monuments historiques. Ni inscrite, ni classée. Référence Mérimée : IA00018022.


Sainte Anne, patronne de Tostes

Auguste Le Prévost, dans son Dictionnaire des anciens noms de lieux du département de l'Eure, cite une charte d'Henri II, datée de 1174, qui mentionne sainte Anne comme patronne de Tostes. Celle-ci était célébrée le 26 juillet. Le lieudit dépendait du chapitre de Chartres.  

Selon Étienne Deville, en 1255 le pape Alexandre IV autorisa les moines de Bonport à construire, pour leur usage, un autel dans leur grange de Tostes. Ce fait relate l’importance des moines de Bonport qui ont possédé de très nombreuses terres à Tostes mais ne nous permet pas de faire le lien avec l’église actuelle. 

Cependant, nous savons qu'un clos de Bonport existait à Tostes dans un espace qui correspond à une exploitation agricole actuelle, en face de l'église, à proximité de l'église. Une grange se trouve toujours en ce lieu, du moins à proximité. L'hypothèse que nous formulons est que l'autel en question dans le charte de 1255 est l'ancêtre de l'église qui nous intéresse ici.  

Au XIVe siècle, une chapelle est construite dans le village (notice Mérimée), peut-être à l’emplacement de l’église aujourd’hui.

Auguste Le Prévost nous informe que (page 286) "depuis 1680, l’abbaye de Bonport avait fait élever une chapelle à Tostes."  Nous pouvons affirmer qu'il s'agit-là de l'édifice qui nous intéresse. En effet, l'auteur donne information pour immortaliser le fait que Louis Colbert - abbé de Bonport et surtout fils du célèbre homme d’État - voulut ériger les hameaux de Tostes en paroisse :

« En 1687, les moines de Bonport exposèrent à l’évêque d’Évreux qu’ils possédaient mille acres de terre, tant de labour que de bois, situées dans la forêt du Pont-de-l’Arche, autrement dite la forêt de Bord ; qu’au milieu de ces terres s’élevaient cinq villages : Tostes, Blasquemesnil, la Corbillière, la Cramponnière et Treize-livres, et que ces cinq villages comprenaient environ trois cents habitants : que depuis 1680, l’abbaye de Bonport avait fait élever une chapelle à Tostes, et qu’il était urgent de transformer cette chapelle en paroisse. La paroisse ne fut érigée que le 14 janvier 1687 à la demande de Louis Colbert, abbé de Bonport, par décret de l’évêque d’Évreux. »

L'abbé de Bonport voulait ainsi prendre la main sur la dime due à l'église. Pour cela, il arracha à la très ancienne paroisse Notre-Dame de Montaure ses fiefs déjà détenus par l'abbaye de Bonport.

Si l'église Sainte-Anne de Tostes bénéficia d'aménagements attestés par des millésimes observables : 1722 sous le clocher, 1728 sur la baie près de la porte et 1748 sur un lambris du chœur ; nous pouvons nous demander si l'architecture actuelle reflète bien la date de 1680 où la chapelle est sensée avoir été élevée ?
 

Architecture
Avec le monument aux Morts, l’église de Tostes forme un pittoresque tableau avec son muret en pierre de taille et moellon maçonnés ainsi que de précieux éléments végétaux. L’église Sainte-Anne est le bâtiment public le plus remarquable du centre-village et le seul visitable à l’occasion de concerts et de messes.


Gros-œuvre
Tournée vers l’Est, l’église Sainte-Anne est constituée d’un seul vaisseau de plan allongé réalisé avec, en chinage, des pierres de calcaire de dimension moyenne et, en remplissage, un appareillage – rustique et élégant – de petits moellons calcaires et de silex sombre. Sur le mur gouttereau nord, c'est-à-dire visible depuis la rue, ceux-ci sont alternés à raison d’une ligne de moellons toutes les 2 à 4 lignes de silex. Le mur sud est rempli de moellons de silex noir. Le haut du pignon est et l’escalier à vis (dans l’œuvre) sont réalisés en pans de bois et en torchis. Le chœur est constitué d’un bâtiment deux fois plus réduit que la nef et composé des mêmes matériaux, les moellons calcaires exceptés.

Nous avons bien affaire à un savoir-faire de la moitié du XVIIe siècle. Les petits blocs de silex noir sont sûrement un réemploi de l'édifice antérieur.  

 

Ouvertures
La nef est percée de deux paires de baies en vis-à-vis et au chambranle réalisé en pierre de taille. Les baies les plus proches du chœur sont géminées (jumelées) et surmontées d’un œil-de-bœuf percé de trois cercles. Les baies les plus proches du clocher sont voutées en berceau. La baie côté nord porte le millésime "1728". Ces ouvertures sont élégantes et rattachent, modestement mais efficacement, la rurale église Sainte-Anne à l'esthétique gothique. La porte est couverte d’un arc en plein cintre. Le pignon est est ajouré de deux œils-de-bœuf ; le pignon ouest en possède un.

 

2Détail de la baie côté nord.


Couverture
La nef est protégée par un toit à longs pans avec un pignon couvert. Il est surmonté d’un clocher à flèche de charpente polygonale portant une girouette. A part le clocher, couvert d’ardoises, le toit est couvert de tuiles plates de pays.


Charpente et décor intérieur
La charpente de la nef est masquée par un berceau lambrissé en coque de navire renversé. Toutefois, les trois entraits sont apparents dont un soutient un balcon situé sous le clocher. Le sol est couvert d’un beau pavé orné de décors floraux dans le chœur et d’un pavé plus rustique dans la nef. La voute du chœur est recouverte de lambris portant le millésime de « 1748 ».  

Mobilier
Malgré de modestes dimensions, Sainte-Anne de Tostes recueille un mobilier riche et varié.

Les retables classés
Deux sculptures sur bois ont été classées par les Monuments historiques au titre d’objets le 10 juin 1907. Il s’agit des retables des deux autels latéraux qui encadrent des toiles. Chacun présente de fines sculptures dessinant un fronton brisé avec une sorte de cartouche en son centre. Des motifs floraux décorent les parties latérales où l’on attendrait des colonnes. Ils s’inscrivent pleinement dans l’art baroque du XVIIe siècle. Le retable nord propose une peinture sur toile représentant le Paralytique ou Jésus guérissant les malades (références Mérimée AP58N00162 et AP58N00263). Le retable sud est enrichi d’une peinture sur toile représentant la Résurrection de Lazare (références Mérimée AP58N00161 et AP58N00262).

3

Le retable côté nord, "le Paralytique ou Jésus guérissant les malades",

classé Monument historique en 1907.


4 Le retable côté sud, la "Résurrection de Lazare",

classé Monument historique en 1907 également.

 

Le retable central et son tabernacle
L’élégant retable central est de style baroque. En son centre se trouve une toile millésimée 1657 illustrant la présentation de la Vierge Marie, au Temple, par ses parents Joachim et sainte Anne. De part et d’autre du corps central se trouvent deux colonnes à chapiteaux corinthiens surmontés d’un arc en plein cintre. Au-dessus de celui-ci, on peu voir un symbole de la trinité portant la date de 7551. Le tabernacle, tout aussi baroque avec ses colonnettes torses, possède des niches où se trouvent les statuettes de sainte Anne, du Christ au globe et de saint Joseph.  

 5                                         Le retable central, de style baroque, porte une toile millésimée 1657

illustrant la présentation de la Vierge Marie, au Temple,

par ses parents Joachim et sainte Anne.



Statuaire : les oeuvres les plus anciennes
Les plus anciennes statues datent du XVe siècle. Il s’agit d’une Vierge à l’Enfant naïve, près du retable sud, d’une Sainte-Anne et d’un Saint-Eloi, près du retable nord. Ces statues présentent encore une belle polychromie. Représentant sainte Anne, une statue en bois servant aux processions est rangée contre le retable nord. 

 

Statuaire : les vestiges de la poutre de gloire

Avec le crucifix du mur sud, deux statues forment un ensemble en bois de la Renaissance, malheureusement en mauvais état, qui devait constituer la poutre de gloire. Le Christ crucifié, entouré de la Vierge et de saint Jean l'Evangéliste, formaient ce groupe traditionnellement situé sur une poutre surmontant la nef, à l'entrée du choeur. Les poutres de gloire, à l'origine du jubé (tribune et clôture séparant la nef du choeur), furent le plus souvent démontées après le concile de Trente et au XIXe siècle dans un souci d'ouvrir le choeur aux fidèles.  

 

Statuaire : l'original saint Onuphre

Après Sainte-Anne, les fidèles tostais adressaient leur dévotion à saint Onuphre. Une statue (XIXe siècle) à l'effigie de ce patron des tisserands orne le bas-côté sud. Saint guérisseur des rhumatismes et des problèmes d’articulation, il faisait l’objet d’un pèlerinage le 12 juin et ce jusque dans les années 1930 (Max Masson). Nous nous arrêtons un peu sur ce saint tant il est rare. Saint Onuphre est le patron des tisserands car il n'est revêtu que sa chevelure et de longs poils. Amusant clin-d'oeil. Un oratoire accolé au chevet de l’église lui était dédié qui a disparu ces dernières décennies. Selon Georges Dumézil, ce saint est aussi le patron des raves, semées vers le jour de sa fête. Autrement, on peut se demander s'il n'y a pas un lien entre les moines de Bonport et la présence de ce saint à Tostes. Saint Onuphre était un saint de l'extrême : il vivait en ermite dans le désert de la région de Thèbes, en Egypte, au IVe siècle. La légende dit qu'il vivait de l'eau d'une fontaine et de l'ombre d'un palmier. Un moine cistercien, les cisterciens étant réputés chercher le "désert" (le vide d'hommes), aura peut-être ironisé sur le côté très reculé de Tostes au Moyen-Âge, blotti au coeur de la forêt. Ceci d'autant plus qu'il semble que la ferme connexe, ancienne propriété de Bonport, a semble-t-il été bâtie à côté d'une source. Enfin, il nous plait de souligner que "Onuphre" provient de l'égyptien "Ounennefer", un qualificatif - signifiant "éternellement bon" - qui était attribué à Osiris, dieu de l'agriculture et de la mort. La mythologie dit de ce dieu agricole qu'il fut ressuscité par Isis. Après tout, le Nil ne ressuscitait-il pas les récoltes après chacune de ses crues annuelles ? Onuphre incarne donc plutôt bien le cycle végétal. Saint Onuphre fut introduit en Occident après les croisades. Dans l'église de Tostes, on retrouve aussi ce saint dans un vitrail décrit plus bas. 

 

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Saint-Onuphre                                   Sainte-Anne                                                                        


Fonts baptismaux
Octogonaux, les fonts baptismaux ont été taillés dans de la pierre calcaire locale. Sobres et élégants, ils semblent dater du XVIIe siècle et sont encore munis de leur cuve en plomb.  


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Vitraux
Les vitraux se trouvent dans le chœur. Du XIXe siècle, vraisemblablement, ils représentent Sainte-Anne (côté sud) et Saint-Onuphre, genou droit à terre, devant une bible ouverte sur le sol. Il est reconnaissable à la lettre O dans son auréole et la branche de palmier qui lui apporte une ombre. 

Cloche
La cloche a été réalisée par la fonderie Mahuet, à Dreux. Pesant 200 kg, elle porte cette inscription : « L'an 1863, Mgr Devoucoux étant évêque d'Evreux, j'ai été fondue par la générosité de M. Janvier de la Motte, préfet de l'Eure, par celle des habitants de Tostes et par les soins de M. Dedessulamare, maire – Bénite par M. Marette, curé de Montaure et de Tostes – nommée Marie par M. Alphonse Gantier et Melle Eugénie Heullant ». Silencieuse avant les années 1950, la cloche tinta de nouveau après 1980 suite à des travaux, notamment d’électrification, financés par la commune et une souscription publique lancée par le maire M. Drouet. .

 

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Stalles et banc de présidence
Contre le mur pignon Ouest se trouvent quatre stalles et le banc de présidence. En bois sculpté, ces beaux éléments du XVIIe siècle se trouvaient dans le chœur. Peut-être ces stalles sont-elles un souvenir des moines de Bonport venant (présider ?) aux offices ? 


Harmonium

A noter enfin, un harmonium du début du XXe siècle qui est une véritable pièce de collection tant ce type d'instrument, qui ne bénéficie d'aucune protection, s'est raréfié.



Sources
- Ministère de la culture, base Mérimée ;

- Delisle Léopold, Passy Louis (publié par), Mémoires et notes de M. Auguste Le Prévost pour servir à l’histoire du département de l’Eure, tome III, Évreux, Auguste Hérissey, 1864, article « Tostes », page 286 ;

- Deville Étienne, Les Manuscrits de l’ancienne bibliothèque de l’abbaye de Bonport conservés à la bibliothèque nationale et à la bibliothèque de Louviers, vol. 2, Paris : H. Champion, 1910, 36 pages ;  

- Le Prévost Auguste, Dictionnaire des anciens noms de lieux du département de l'Eure, Evreux, typographie d’Ancelle fils, 1839, 297 pages, références pages 270 et 271 ;

Masson Max, Histoire de Tostes par Tostes pour Tostes, 2 tomes, Tostes, mairie, [1985 ?], 55 f. Ce livre est disponible en mairie contre 15 €. Il rassemble les photocopies des travaux dactylographiés de Max Masson, ancien secrétaire de mairie. Cet homme, aujourd'hui décédé, s’appliqua à éplucher et commenter les archives municipales.

 

A lire aussi...

Tostes et son histoire...

Notre-Dame de Montaure

 

Armand Launay

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Mes activités

Armand Launay. Né à Pont-de-l'Arche en 1980, j'ai étudié l'histoire et la sociologie à l'université du Havre (Licence) avant d'obtenir un DUT information-communication qui m'a permis de devenir agent des bibliothèques. J'ai acquis, depuis, un Master des Métiers de l'éducation et de la formation, mention Lettres modernes. Depuis 2002, je mets en valeur le patrimoine et l'histoire de Pont-de-l'Arche à travers :

- des visites commentées de la ville depuis 2004 ;

- des publications, dont fait partie ce blog :

Bibliographie

- 20 numéros de La Fouine magazine (2003-2007) et des articles dans la presse régionale normande : "Conviviale et médiévale, Pont-de-l'Arche vous accueille", Patrimoine normand n° 75 ; "Pont-de-l'Arche, berceau de l'infanterie française ?", Patrimoine normand n° 76 ; "Bonport : l'ancienne abbaye dévoile son histoire", Patrimoine normand n° 79 ; "Chaussures Marco : deux siècles de savoir-plaire normand !", Pays de Normandie n° 75.

- L'Histoire des Damps et des prémices de Pont-de-l'Arche (éditions Charles-Corlet, 2007, 240 pages) ;

- Pont-de-l'Arche (éditions Alan-Sutton, collection "Mémoire en images", 2008, 117 pages) ;

- De 2008 à 2014, j'ai été conseiller municipal délégué à la communication et rédacteur en chef de "Pont-de-l'Arche magazine" ;

- Pont-de-l'Arche, cité de la chaussure : étude sur un patrimoine industriel normand depuis le XVIIIe siècle (mairie de Pont-de-l'Arche, 2009, 52 pages) ;

- Pont-de-l'Arche, un joyau médiéval au cœur de la Normandie : guide touristique et patrimonial (mairie de Pont-de-l'Arche, 2010, 40 pages) ;

- Pont-de-l'Arche 1911 I 2011 : l'évolution urbaine en 62 photographies (mairie de Pont-de-l'Arche, 2010, 32 pages) ;

- Mieux connaitre Pont-de-l'Arche à travers 150 noms de rues et de lieux ! (Autoédité, 2019, 64 pages) ; 

- Déconfiner le regard sur Pont-de-l'Arche et ses alentours (Autoédité avec Frédéric Ménissier, 2021, 64 pages) ;

- Les Trésors de Terres-de-Bord : promenade à Tostes, ses hameaux, Écrosville, La Vallée et Montaure (publié en ligne, 2022) ;

- Les Trésors de Terres-de-Bord : promenade à Tostes, ses hameaux, Écrosville, La Vallée et Montaure (version mise en page du précédent ouvrage, édité par la mairie de Terres-de-Bord, 2023).

Depuis 2014, je suis enseignant à Mayotte.

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